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Cas M. Moustache1

A ntoine, Guillaume et Thibault examinaient des dizaines de CVs empilés


sur leur bureau. Ils n’arrivaient pas encore à réaliser qu’ils étaient en
mesure de recruter leur premier stagiaire. À peine sortis d’une école de com-
merce, leur vie avait été entièrement transformée par le succès fulgurant de
M. Moustache, leur petite start-up de conception de chaussures pour jeunes
hommes actifs, créée en 2012. Les résultats de leur premier lancement
de produit avaient été plus que satisfaisants, avec plus de 1000  paires de
chaussures vendues sur les 45 premiers jours. Cela était dû en grande par-
tie à l’efficacité de leur campagne sur les réseaux sociaux. Avec un budget
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quasi nul, leur stratégie de communication était essentiellement axée sur


l’optimisation de leur page Facebook et la soirée de lancement de la marque
M. Moustache. Après trois semaines de teasing, ils avaient déjà 1500 fans sur
Facebook ; 850 personnes étaient présentes pour la soirée de lancement.
En dépit de ce succès initial, les trois amis fondateurs ne se faisaient aucune
illusion. Ils savaient que 50 % des start-up en France ne survivent pas à leur

1. Les auteurs tiennent à remercier Maïlys Doe de Maindreville, étudiant en 4e année à l’EMLV
Business School de Paris, pour sa précieuse collaboration dans la rédaction de ce cas. Nous
tenons également à remercier Guillaume Alcan, Antoine Vigneron et Thibault Repelin, fon-
dateurs de M. Moustache, pour leur volonté de partager des renseignements et avoir assuré
une relecture du cas.

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Partie 1    Trois exemples de cas du type Harvard

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troisième année. Ils savaient aussi qu’ils avaient une marge de manœuvre
très restreinte et que « notre première erreur stratégique pourrait entraîner
la mort prématurée de notre jeune société », selon les mots d’Antoine.
À l’heure actuelle, cependant, les nuages sombres semblent s’éloigner.
Avec un accueil favorable du marché, M. Moustache avait commencé à
rêver de la conquête de rivages étrangers et des opportunités d’apporter
leur expérience de la «  French Touch  » à d’autres lignes de produits. Le
recrutement d’un assistant marketing serait le premier pas dans cette
direction. Des dizaines de candidats, issus de différentes écoles de mana-
gement, avaient envoyé leur candidature. Ils devaient à présent choisir
le meilleur. Ils ont décidé de présélectionner quelques candidats et de
leur proposer un défi  : on leur donnerait une brève description de l’en-
treprise et de l’industrie de la chaussure en France  ; après une analyse
individuelle et une discussion de groupe, les candidats seraient invités à
faire des suggestions sur la façon de développer l’entreprise. Le nouveau
stagiaire serait celui dont les arguments et les compétences seraient les
plus consistants.

Les origines de l’idée


Guillaume Alcan, Antoine Vigneron et Thibault Repelin se sont rencontrés
en 2011, au cours de leur dernière année à l’École de Management Léonard
de Vinci (EMLV) de Paris. Tandis que Guillaume et Antoine avaient opté pour
une spécialisation finance (audit), Thibault avait lui choisi de se spéciali-
ser dans le marketing et le développement durable. Guillaume et Antoine
avaient eu une expérience de stage international de 3e année qui s’était
révélée décisive pour l’avenir du projet. Guillaume était en effet, au sein du
groupe Zannier (Shanghai), Directeur adjoint en charge de la Direction de
la Qualité (production de textile et de la logistique). Antoine, pour sa part,
a été stagiaire à Euroland, une société de services pour les investisseurs,
où il a travaillé comme conseiller en financement d’entreprise. Thibault
avait lui été embauché chez Publicis, une grande agence de communica-
tion ; il a notamment travaillé à l’international sur le budget Renault. Ces

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compétences furent le socle sur lequel les jeunes partenaires se sont répar-
tis leurs rôles chez M. Moustache, avec Antoine en charge de la gestion
financière et commerciale, Guillaume au contrôle de la production et de
la logistique et Thibault en charge du marketing et de la communication.
Leurs envies d’entrepreneuriat tournaient autour d’un produit tangible. Ils
voulaient quelque chose qu’ils pourraient produire physiquement. Entrer
dans la sphère de la fabrication a été un choix difficile, car il fallait tenir
compte de l’ensemble de la chaîne de production en amont et de la gestion
des partenaires industriels installés à l’étranger. L’industrie textile fut donc
le choix du démarrage de l’aventure. Les réussites de Faguo et Veja dans
l’industrie de la chaussure, récemment créées par des étudiants français
comme eux, les inspiraient beaucoup.
L’incubateur d’entreprises PEEGO EMLV a joué un rôle clé dans le démar-
rage de l’entreprise. PEEGO est une plate-forme visant à aider les étudiants
entrepreneurs à développer leurs idées en leur offrant une formation et
un accompagnement appropriés. Outre des installations de qualité avec
un accès Internet haut débit et des ressources marketing, le programme
PEEGO d’incubation a offert aux étudiants un tuteur pour les aider à déve-
lopper leur projet, ainsi que la possibilité de progresser à partir de l’inte-
raction avec les autres projets de l’incubateur. Un des auteurs de ce livre
(Thierry Fabiani) était responsable du département EMLV entrepreneuriat
à l’époque. Il a personnellement supervisé les trois jeunes entrepreneurs
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qui ont fondé M. Moustache, exigeant un rapport d’activité tous les 15


jours et les accompagnant dans leurs premières visites de prospection de
points de vente.
Hébergés et ainsi encadrés, ils réduisaient les risques avec des coûts de fonc-
tionnement très faibles. Cependant en l’absence de capital-risque, ils ont
dû rapidement se poser la question des fonds propres. Afin d’atteindre l’in-
vestissement nécessaire de 55 000 €, ils ont apporté leurs fonds personnels
(5 000 € chacun), puis emprunté 20 000 € à la banque (« un processus long
et compliqué », comme ils aiment à le rappeler). Le reste provenait de « love
money » : ou comment demander aux parents et amis d’investir dans l’entre-
prise s’ils croient à l’aventure M. Moustache.

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Développement du concept
Les modèles M. Moustache se sont clairement inspirés des besoins et des per-
ceptions des fondateurs. Comme la plupart des membres de la génération
Y, les trois amis ont observé une tendance d’un nouveau style décontracté
de la Silicon Valley et des entrepreneurs de l’Internet qui ont grandement
influencé les codes vestimentaires en milieu professionnel depuis plus d’une
décennie. Il inspire de nombreux jeunes professionnels qui sont réticents à
porter le costume classique et une cravate uniforme. Ce style est à mi-che-
min entre le costume traditionnel et la tenue décontractée.
Se visant principalement (génération Y), les trois entrepreneurs souhaitaient
donc associer les valeurs de qualité évoquées par la moustache courbée de
l’ancienne paysannerie française (qui est devenue leur logo) avec le mode
de vie actif des citadins modernes. Leur but était de créer « une chaussure
polyvalente pour les jeunes hommes actifs qui souhaitent être élégants au
travail, élégants le soir et à l’aise le week-end à la campagne ».

Nom : ROBERT
Nom de famille : Moustache
Couleurs : bleu marine et brun chameau
Matériau de prédilection : cuir véritable
Taille : 39 à 46
Spécialité : réunion commerciale du lundi
matin et happy hour le jeudi soir
Bonus : les lacets caramel pour aller avec
un état d’esprit différent

Figure 1.1. – Exemple de la marque M. Moustache

Les hommes représentent près de 30  % du marché de la chaussure en


France. M. Moustache a ciblé les hommes entre 18 et 28 ans avec un mode
de vie très urbain. Leur client type était assez actif sur les médias sociaux, en
étant constamment en contact avec ses amis. Ils se sont principalement axés
sur les jeunes actifs et les jeunes actifs urbains français qui gagnent entre
20 000 € et 50 000 €.

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La marque a été soigneusement conçue autour d’une forte personnalisation
du produit. Chaque modèle a sa propre « carte d’identité » (figure 1.1) avec le
nom, la taille, la personnalité et les préférences. Cette approche a contribué
à créer une ambiance détendue, qui suggère une histoire derrière chaque
produit. S’inspirant de la tradition des grands vignerons français, chaque
paire de chaussures a été emballée dans des caisses en bois, soulignant ainsi
la sensation de luxe. Une gamme de chaussettes de qualité aux coloris dif-
férents, a été soigneusement choisie pour correspondre au style général et
accompagner les chaussures. Il est intéressant de noter combien le concept
d’emballage (la caisse en bois) a été déterminant lors des premiers points
de vente prospectés. Les responsables de magasin étaient très curieux de
voir quel type de produit se cachait à l’intérieur de la boîte en bois. Certains
aimaient tellement cet emballage qu’ils l’ont utilisé comme support mer-
chandising pour la décoration de leurs vitrines.
Le budget de communication était quasi nul, « Ce n’était tout simplement pas
la priorité », disaient-ils. Pour la promotion de la marque, ils se sont concen-
trés sur la communication via Facebook. L’originalité de leur style et de la
démarche décalée leur a valu une certaine publicité dans la presse au début,
soit en utilisant des contacts amicaux soit par pur hasard ; cette petite expo-
sition a permis aux premières ventes de se réaliser. « Le bouche à oreille fut
aussi un moyen très efficace d’accroître notre réputation », ont-ils ajouté. Le
modèle de la chaussure de M. Moustache a été directement inspiré par le
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style classique « Richelieu », un design de luxe qui s’adresse à ces jeunes cibles
masculines urbaines. Le prix, cependant, a été maintenu plus accessible que
les marques de luxe. À 85 €, il y a un rapport qualité/prix jugé très compétitif.
Au début, M. Moustache priorisait les détaillants indépendants. En 2013, les
chaussures étaient déjà disponibles dans 50 magasins en France. Juste après
le lancement, les ventes sur Internet ont représenté 30 % du chiffre d’affaires
global ; comme le nombre de points de vente physiques a augmenté, la pro-
portion du chiffre d’affaires en ligne (via leur site Internet et leur page Face-
book) a été réduite à 20 %.
Les fondateurs étaient tout à fait conscients de l’importance de magasins
physiques (brick and mortar selon l’expression anglophone consacrée).

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Ils ont compris que les gens voulaient voir, toucher et essayer les produits
physiquement avant de les acheter. Ils savaient qu’ils devaient gagner la
confiance des consommateurs avant d’obtenir des commandes en ligne.
Cela ne signifie pas qu’ils devaient négliger leur présence sur la toile. En
effet parmi les conséquences d’un dispositif de communication performant
(presse) de leur première campagne de lancement de produit, l’entreprise
M. Moustache a reçu un appel de Sarenza (un « pure player » de vente en
ligne) les invitant à rejoindre la liste des nouvelles collections de chaussures
sur leur boutique en ligne. Les trois amis ont été ravis de la perspective et
ont sauté sur l’occasion. Le fait que Sarenza offre la livraison gratuite et inclut
une politique de retour de produit gratuit semblait rassurer la plupart des
acheteurs en ligne. Guillaume a estimé que l’offre en ligne augmenterait
leurs ventes d’au moins 20 %, avec un taux de retour produit faible (environ
5 %).
Concernant la production, grâce à l’expérience internationale de Guillaume,
la start-up a bénéficié de contacts clés avec les acteurs de la chaîne mon-
diale d’approvisionnement du cuir. La production a été assurée en Chine
(modèles de base) et au Portugal (produits haut de gamme).
Le processus de développement de produit a essentiellement consisté à
identifier les nouvelles tendances de la mode, pour inspirer la conception de
prototypes avec différents fournisseurs en Chine, pour enfin les présenter à
leurs partenaires de vente au détail pour prendre des précommandes.
La production a été lancée une fois qu’ils ont eu une estimation précise de la
demande des deux canaux de vente (détail et en ligne) mais aussi du potentiel
de leurs propres promotions (ventes privées, conférence vente, visite d’écoles
de commerce et de bureaux des élèves…). Étonnamment, le modèle qui a
connu le plus grand succès était en fait le résultat d’un malentendu dans le
processus de développement du produit ! « Nous avons reçu un prototype de
la Chine qui n’était pas conforme à nos spécifications en termes de couleurs ;
mais quand nous avons regardé nous nous sommes dits : “ce n’était pas si mal
en fait” et avons décidé d’aller de l’avant avec ce modèle ; il s’est avéré être
notre modèle qui a le plus cartonné ! »

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Le marché de la chaussure française
Estimé à 29,5  milliards d’euros en 2011, l’industrie du vêtement français
présente d’énormes opportunités de marché. Le chiffre d’affaires a été
stable lors des 15 dernières années, la baisse du prix moyen de vente des
chaussures (agressivité commerciale des acteurs) ayant été compensée
par l’augmentation des volumes de vente. La tendance de baisse des prix
s’est cependant stabilisée ces dernières années. Le secteur a été fortement
impacté par la mondialisation (plusieurs marques étrangères entrent sur
le marché français, la concurrence s’intensifie) et les cycles de la mode
deviennent de plus en plus courts, on est passé de 5-6 mois en moyenne
à 2 mois.

Chaussures Chaussures
de sécurité de plein air
13% 3%

Chaussures Chaussures
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d'intérieur de ville
29% 55%

Figure 1.2. – La production de chaussures française par types de produits


(Source : Xerfi, 2011)

Avec 22 % du CA de l’industrie de la mode, les chaussures représentent un


segment important de du marché de l’habillement en France. La croissance
découle du renouveau créatif des collections pour stimuler l’intérêt des

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consommateurs. Un large éventail de styles et de niveaux de prix ont été
conçus pour viser un large public.
Les segments du marché encore produits (mais de moins en moins) en
France (figure 1.2) sont :
yy Les chaussures de ville sont le premier segment. Ce segment est très sen-
sible aux fluctuations des prix du cuir. Il a été particulièrement touché
par l’agressivité des concurrents asiatiques.
yy Les chaussures d’intérieur sont également sensibles à la concurrence
étrangère, qui tire le marché vers le bas.
yy Les chaussures de sécurité traditionnellement destinées à des travail-
leurs dans l’industrie à la recherche d’une combinaison de confort, de
durabilité et de fonctionnalité.
yy Enfin, les chaussures de plein air sont les moins compétitives en termes
de production locale, avec seulement 3 % de la production nationale
en dépit de son énorme potentiel de marché, en particulier chez les
jeunes.
Après une année terne en 2008 et une mauvaise performance en 2009 tant
en termes de valeur (-0,7 %) que de volume (-1,8 %), le marché de la chaus-
sure française a rebondi en 2010, atteignant 8,8  milliards d’euros en 2011
(voir annexe 1). La baisse de la consommation en 2009 est due principale-
ment à la crise financière qui a incité les ménages à réduire leurs dépenses.
D’autre part, l’augmentation conséquente des volumes de vente enregis-
trée peut être aussi attribuée en grande partie aux importations, notam-
ment celles de la Chine (premier fournisseur étranger avec près de 29 % des
importations en 2012), l’Italie, le Vietnam, le Portugal et l’Indonésie. En 2011,
les importations ont représenté plus de 53 % des ventes en France. La pro-
duction européenne ne représente que 6 % du total mondial.
La France reste l’un des marchés les plus importants de la chaussure en
Europe. Avec une valeur estimée à 50 milliards € en 2011, le marché euro-
péen de la chaussure est le premier mondial. Outre la France, l’Allemagne,
la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Espagne occupent les cinq premières places
avec 70 % du marché.

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La dépense moyenne en Europe est de 100 € par an, soit 4,2 paires par per-
sonne. Les baskets en toile urbaines sont un succès unanime à travers l’Eu-
rope, toutefois certaines différences nationales sont observables. Ainsi, les
Britanniques apprécient les mocassins classiques ou les bottes ; les Italiens
préfèrent les talons hauts et les modèles de haute couture ; les Espagnols
portent principalement des baskets et des chaussures ouvertes ; les Alle-
mands quant à eux ont préféré des chaussures fonctionnelles.
Bien que le marché pour les chaussures femmes représente encore 50 % en
termes de valeur et en volume, la part des hommes (30 %) et des enfants
(20 %) ne cesse d’augmenter. Les femmes ont une forte préférence pour les
chaussures de ville (plus de la moitié de leurs achats), tandis que les hommes
et les enfants répartissent leurs achats entre les chaussures de ville et « out-
doors » dans les mêmes proportions. Les Français ont acheté en moyenne
trois paires, tandis que les Françaises en ont acheté environ six (les plus
grosses clientes en Europe et 2e dans le monde après les États-Unis).
Les porteurs de chaussures en France ont été très sensibles au rapport qua-
lité/prix. Selon la Fédération française de la chaussure, en 2011, la consom-
mation moyenne de chaussures a augmenté de 0,4 % pour les femmes, de
1,7 % pour les hommes et de 3,3 % pour les enfants. Cela correspond à une
dépense de 132 € par an et par personne, soit un prix moyen de 22,50 € par
paire. Près d’un tiers du chiffre d’affaires de l’industrie s’est déroulé lors des
soldes et des promotions, et cette tendance reste en constante augmenta-
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tion. Il est à noter que si le produit est perçu comme privilégiant la qualité et
l’esthétique, les consommateurs (et surtout les hommes) sont prêts à payer
un prix plus élevé.

Environnement concurrentiel
et opportunités
Les concurrents directs de M. Moustache sont essentiellement des nouvelles
marques de chaussures créées par de jeunes entrepreneurs ciblant un seg-
ment identique (les jeunes plutôt aisés et concernés écologiquement par-
lant). Sur ce créneau, les deux principaux concurrents sont Veja et Faguo,

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deux offres basées sur des valeurs autour du développement durable.
Veja souligne les pratiques du commercial équitable, alors que Faguo se
concentre lui sur du développement plutôt écologique (protection de l’en-
vironnement).
Veja a été créée en 2004 sur des valeurs de développement durable. Leurs bas-
kets ont gagné en notoriété surtout chez les Parisiens de moins de 25 ans ;
ils ont ciblé les hommes, les femmes et les enfants. Avec un capital social de
100 000 €, ils ont réalisé un chiffre d’affaires annuel de 4,7 millions € en 2010. Ils
sont particulièrement sélectifs dans le choix de leurs partenaires distributeurs,
en priorisant les détaillants dont le positionnement environnemental est en
phase avec leurs discours, comme le Comptoir des Cotonniers, par exemple.
Leur prix varie de 69 € à 160 €. Ils ont étendu leur marque aux accessoires de
téléphone, aux portefeuilles ou aux housses accessoires pour iPad…
Avec 17 000 € de capital social, Faguo a pour sa part pratiqué une stratégie
complètement différente, avec des campagnes de marketing plus agressives
en utilisant des événements, des ventes privées ou des blogs de mode. Plus
de 40 000 personnes ont aimé leur page Facebook. Ils ont réalisé un chiffre
d’affaires de plus de 1 million € en 2011. Fondé en 2009, Faguo produit ses
chaussures en Chine, comme M. Moustache.
Le positionnement écologique de Faguo est basé sur la promesse de planter un
arbre pour chaque paire de chaussures achetée. Comme Veja, ils ciblent aussi
les hommes, femmes et enfants. À 50 € la paire en moyenne, leurs prix sont rela-
tivement plus faibles que Veja ou M. Moustache. Il est à noter que les trois fon-
dateurs de M. Moustache ont rencontré leurs concurrents de Faguo lors d’un
séminaire sur les start-up et l’entrepreneuriat étudiant à l’incubateur installé à
l’École de Management Léonard de Vinci, à Paris. Le témoignage de Faguo a
donné aux créateurs de Moustache de précieux renseignements concernant
les clients, les agents internationaux et les processus de fabrication.
Le troisième concurrent, Bobbies (fondé en 2010 avec un capital social de
40 000 €) a lui un chiffre d’affaires de 700 000 € en 2011. Ils se sont concen-
trés sur des mocassins confortables quelle que soit la saison, jour et nuit.
Leur logo est sous la forme d’un pélican. Eux aussi ont cherché à se différen-
cier par un positionnement respectueux de la nature  : pour chaque paire

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achetée, ils s’engagent à faire don de 1  € à la cause d’espèces en voie de
disparition. Toutefois, la société n’a pas beaucoup communiqué sur cette
promesse, car elle ne figure ni sur leur site ni sur leur page Facebook.
M. Moustache avait décidé, dès le départ, de ne pas suivre leurs concurrents
sur la marque « eco-friendly ».
«  Nous ne voulions pas nécessairement créer un projet basé sur une pro-
messe de développement durable ou de commerce équitable comme les
autres, nous rappelle Guillaume. Nous ne voulions pas de green washing
pour notre produit. Nous avons décidé d’utiliser l’opportunité de l’environ-
nement, lorsque nous trouverions une idée solide que nous pourrions creu-
ser, et exploiter pour nous différencier en termes de positionnement. Il y a
des marques qui fonctionnent très bien sans promesses écologiques. Nous
avons compris que 80 % de nos clients ne se soucient pas du lieu de fabrica-
tion, par exemple. » Exceptée cette différence en termes de positionnement,
ces quatre marques ont un certain nombre de choses en commun.
Elles ont toutes été créées par d’anciens élèves d’école de commerce qui
souhaitent repositionner la chaussure classique pour s’adapter à la tendance
vestimentaire du Parisien décontracté. Ils ont tous ciblé des consommateurs
émergents de la génération Y. Chacun à sa manière a audacieusement conçu
une chaussure (couleurs, formes, matériaux) pour rivaliser avec les opéra-
teurs historiques établis eux de longue date sur ce marché.
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Elles ont toutes offert une proposition de valeur que nous pourrions qua-
lifier « du pareil pour moins cher ». La création de modèles confortables et
chics à des prix accessibles. Ainsi, les fondateurs de M. Moustache savaient
qu’ils entraient dans un segment très dynamique mais aussi très concurren-
tiel. Ils étaient cependant les seuls à se concentrer exclusivement sur le seg-
ment masculin.
Les trois fondateurs étaient conscients que cette orientation pouvait être
à la fois une force et une faiblesse. Réfléchissant au futur, ils pensaient pou-
voir ultérieurement développer le segment du genre féminin sur certains
modèles. Ceux-ci devraient être davantage perçus comme des modèles uni-
sexes, un peu comme on observe le succès des montres du genre masculin

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auprès des femmes. Ainsi parmi les points de vente ils ont travaillé avec ceux
qui n’étaient pas spécialisés dans les chaussures (genre masculin ou féminin).
Ils ont aussi l’opportunité de toucher le segment enfant. Ils savent cependant
qu’avec cette cible il y a beaucoup de contraintes juridiques et des normes
(essais de pression, tests réaction épiderme, textile et cuir, etc.). Cela peut donc
s’avérer très coûteux de développer des solutions compétitives sur cette cible.
À long terme, ils prévoient d’aller se développer à l’étranger, de trouver
des distributeurs en Asie et en Europe. Ils pensent qu’ils seront prêts à fran-
chir cette étape après avoir atteint environ 80 points de vente consolidés
en France. Selon eux  : «  Plusieurs marchés étrangers sont réceptifs à des
marques comme M. Moustache ; notamment des pays comme le Japon, la
Corée, où on aime la mode et les designs innovants ; d’ailleurs, nos concur-
rents ont fait des choses intéressantes là-bas ». Ils sont conscients que pour
franchir cette étape, ils devront trouver des solutions commerciales adap-
tées au contexte car un développement de réseau intégré pourrait s’avérer
être long, coûteux et complexe.
En termes d’opportunités d’extension de marque, ils ont réfléchi à pénétrer
l’univers du bagage, suite logique des chaussures en cuir, en particulier dans
les points de vente qui vendent des objets de voyage et des chaussures.

Le canal de distribution
Deux grands réseaux de distribution ont été identifiés sur le marché de la
chaussure française. Le premier est celui qualifié de « réseau spécialisé », qui
représentait 57 % des ventes en 2011. Il est composé de magasins spécia-
lisés (LSS), de détaillants indépendants et de boutiques. Au cours des dix
dernières années, les LSS et boutiques ont perdu des parts de marché au
profit des détaillants indépendants (voir annexes 2 et 3). Les détaillants indé-
pendants sont ainsi devenus une menace majeure pour les boutiques et les
groupes LSS (y compris les deux plus grands comme Vivarte et Eram). Le
deuxième réseau de distribution majeur est composé de non-spécialistes
avec des acteurs tels que les magasins de sport, supermarchés, magasins de
vêtements et la vente en ligne.

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Outre les chaînes de vente au détail comme Eram, André ou Bata et les
détaillants indépendants (cœur de cible pour M.  Moustache), il y avait
aussi du pure player, qui traite exclusivement sur le net avec des ventes
en ligne. Les ventes en ligne ont vu le jour au cours des dernières années,
dans de nombreux magasins de chaussures en ligne (Sarenza, Zalando,
pour les principaux). Ce canal a représenté 5,5 % du marché français en
2011. Un tel canal de distribution a attiré des clients pour sa rapidité, son
confort et la variété de l’offre. Ils promettent une livraison en 48 heures,
des retours pratiques, ainsi que le remboursement rapide et intégral des
sommes perçues en cas de retour pour rassurer les clients quant à leurs
expériences virtuelles.
Du côté fabriquant, la France a connu une baisse constante du volume de
la production nationale au cours des dix dernières années ; il a été réduit à
un cinquième de son niveau des années 2000. Cela est dû principalement
à la concurrence des pays à bas coûts de main-d’œuvre. En fait, une paire
de chaussures produite en France doit se vendre aux environs de 100 €, la
rendant moins attractive qu’un produit similaire réalisé à l’étranger. La Chine
est le premier fournisseur de chaussures avec 58 % des volumes vendus. Elle
est suivie par l’Italie et le Vietnam, qui représentent respectivement 7 % et
8 % des volumes vendus.
Certaines marques mettent en avant l’argument « made in France », même
si ce n’est que partiellement vrai, car dans les faits, ils sous-traitent une
© Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit.

partie de la production à l’étranger. Des activités comme la recherche et


développement et la conception du prototype sont encore fabriquées
localement dans certains cas. Seules les grandes marques de luxe peuvent
se permettre de garder leur processus de production en France, car elles
nécessitent une main-d’œuvre hautement qualifiée. Le made in France reste
une stratégie alternative de différenciation sur les marchés internationaux,
en particulier aux États-Unis, en Asie, en Russie et au Moyen-Orient. Les
exportations de chaussures françaises premium ont bondi de 17 % de 1,5
à 1,7 milliard d’euros en 2011 (80 millions de paires). Les principaux mar-
chés d’exportation sont les pays européens (Italie, Espagne, Allemagne,
Belgique, Royaume-Uni).

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Partie 1    Trois exemples de cas du type Harvard

international.scholarvox.com:None:63522312:88832598:160.177.160.12:1610016984
L’embauche d’un assistant marketing
pour M. Moustache
Après un démarrage très prometteur, M. Moustache devait définir sa stra-
tégie de croissance à moyen-long terme. Dans un contexte de marché
français morose, la marque avait envisagé de s’étendre aux marchés asia-
tiques et européens. En effet, Guillaume était déjà en pourparlers avec un
agent qui pourrait les aider à distribuer dans les principaux pays asiatiques ;
Corée, Hong Kong, Taïwan notamment étaient particulièrement friands de
la « French touch ». Des contacts avaient été également pris en Europe. Outre
l’expansion internationale, la marque avait réfléchi à l’opportunité d’entrer
sur le marché des chaussures de femmes, ainsi qu’à l’extension de la marque
aux produits de bagagerie.
Les trois fondateurs avaient regardé les nombreux CVs sur leur bureau. Ils
savaient que l’avenir de leur entreprise pourrait bien dépendre de la qua-
lité du «  quatrième mousquetaire  ». Ils devaient s’assurer que le nouveau
venu partagerait leur vision stratégique et comprendrait les menaces et les
opportunités de cet environnement. Dans le cadre du processus de recru-
tement, les fondateurs avaient décidé de demander à chaque candidat
retenu d’analyser la situation actuelle et de formuler des recommandations
concrètes concernant le volet marketing.
Une chose était sûre  : celui (ou celle) qui serait choisi(e) comme nouveau
stagiaire aurait une lourde tache dès le premier jour.

Sources
yy Businesscoot, Études, « Le marché de détail de la chaussure », www.business-
coot.com/le-march-de-d-tail-de-la-chaussure-58
yy Eurostaf, « Le marché et la distribution de chaussures en France », www.euros-
taf.fr/fr/catalogue/etudes/sectorielles/biens-consommation/marche-chaus-
sures.html
yy Institut supérieur des Métiers, «  Données statistiques sur le marché de la
chaussure en 2011  », mai 2012, http://veille.infometiers.org/dossier_filiere/
textile-cuir-chaussure/actualite/donnees-statistiques-sur-le-marche-de-la-
chaussure-en-2011.html

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