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Dans le Kaier ar Poher n°69 de juin 2020, un article consacré aux « Prophètes de Basse-
Bretagne » commençait par des considérations inspirées par Les pérégrinations de saint
Vouga que l’on doit à l’intérêt que porte Pierre-Yves Quémener aux prénoms en général
et aux prénoms bretons en particulier. Dans le présent numéro, il se propose d’inaugurer
une rubrique trimestrielle, Histoires de prénoms, dans laquelle il nous guidera à travers
cette passionnante province de la linguistique qu’est l’onomastique.
Cette pièce a fait l’objet d’une première publication partielle, en 1839, dans la première
édition du Barzhaz Breizh : il s’agit de la partie III du poème définitif, « Le Chevalier
du Roi ». Dans la 2e édition du Barzhaz Breizh, en 1845, l’ensemble du cycle est
publié, sachant toutefois que les parties I, « Le départ » et II, « Le retour » parurent en
traduction respectivement dès 1842 dans les Contes populaires des anciens Bretons de
La Villemarqué et en 1843, dans la Revue de l’Armorique.
Dès 1836, ce nom était apparu sous la plume du jeune barde sous la forme Lesambreiz, dans un
article de L’écho de la jeune France intitulé « Un débris du bardisme ». En 1839, seul le poème " Le
chevalier du roi " (III) est publié sous le titre « Lez-Breizh, chant national des Bretons / Lez-Breizh,
Barzhoneg ar Vretoned ». Il ne contient aucune indication d'origine et la mère de La Villemarqué qui
rédigea des Tables des matières des chanteurs, à l'intention de son fils, note : " Les-Breis : donné par
je ne sais qui ".
En voici le résumé, emprunté au site de Pierre Quentel1 , où l'on pourra lire l'intégralité de ce long
chant :
« Un combat singulier est organisé entre Lez-Breizh et un chevalier du roi, Lorgnez. Avant le
combat, le Breton remet son sort entre les mains de sainte Anne, en promettant des dons pour
son église en cas de victoire. Le combat commence, après un échange d'invectives entre les
adversaires.
La scène suivante montre le page de Lez-Breizh racontant comment son maître a tué treize
Français, et Lorgnez le premier. Puis Morvan va remercier sa sainte protectrice. »
C'est la traduction de La Villemarqué dans l'édition 1839 : Gallaoued / Français. Dans les éditions
suivantes, Français devient Gaulois (1845), puis Franks (1867). L'apparition de ce dernier vocable
permet d'invoquer la prestigieuse autorité de l'historien Augustin Thierry (1795 -1856) qui
orthographiait ainsi ce mot pour désigner " le mot tudesque, le nom national des conquérants de
la Gaule, articulé selon leur idiome ", par opposition au mot franc au sens de libre. « Frank » avait
un sens ethnographique, « Franc » un sens social. Comme l'a souligné le philologue breton Francis
Gourvil (1889-1984), cette animosité anti-française est propre à la version Barzhaz de ce chant
collecté par ailleurs.
Toujours dans l'édition de 1839, les " Notes et éclaircissements ", à la page 214, signalent l'existence
d'autres poèmes du même cycle :
• « Le Maure du roi » (IV)
• « L'ermite » (VI) qui relate l’extraordinaire récapitation du héros après sa première mort,
1 http://per.kentel.pagesperso-orange.fr/
Dans le Barzhaz publié en 1845, le poème comprend désormais 6 parties. « Le chevalier du roi »
(III) y est suivi par « Le Maure du roi » (IV), deux poèmes dont le caractère authentique ne soulève
pas de difficultés. En effet, combinés en un seul poème, ils ont été publiés par Luzel dans ses
Gwerzioù, volume 1, 1867 sous trois versions différentes dont l'incipit est : « Entre Koat-ar-Skevel
et Lézobré », puis « Koad-ar-Stern et Lézobré » et enfin, « Entre Koat-ar-Skin et Lézobré ». Toutes
ces versions sont repérées 0047 dans la classification de Patrick Malrieu qui correspond au thème
« Lézobré ha Morian ar roue / Les Aubrays et le Maure du roi ».
Deux autres versions, non recueillies par Luzel lui-même, figurent dans le volume 2 de ses Gwerzioù,
paru en 1874. Elles sont intitulées respectivement « Le géant Lizandré » (p. 565) et « Le géant Les
Aubrays » (p. 573). Selon Luzel et Joseph Loth, cités p. 389 de son La Villemarqué par Francis
Gourvil qui se range à leur avis, seules ces parties III et IV sont des chants authentiques, à vrai dire
outrageusement arrangés, le reste faisant partie de la catégorie des chants inventés.
Morvan ou Murman
Les livres d'histoire disent peu de choses à propos de Morvan ou Murman dont La Villemarqué
fait si grand cas. Un récit d'Ermold le Noir (790 - 838) figure dans un poème latin en l'honneur
de l'empereur Louis le Débonnaire (814 - 840). Il nous apprend qu'en 818, celui-ci participa à une
expédition au sud de la Bretagne contre Murman, un chef breton qui revendiquait le pouvoir royal.
Murman, que La Villemarqué appelle Morvan, est présenté comme un ivrogne invétéré. Pourtant
l'empereur le traite avec beaucoup d'égards et lui dépêche un émissaire, l'abbé Witchaire, pour
lui rappeler qu'il gère un vaste territoire où, exilé, il était venu par la mer avec tout son peuple, et
qu'au lieu de refuser le tribut et de prendre les armes contre les Francs, il doit s'unir pacifiquement
au peuple chrétien. Morvan ne contrôlait certainement pas toute la Bretagne, mais il était à la tête
d'une fédération dont le territoire correspondait non pas au Léon, mais au Poher (Carhaix) et à
l'ouest du Vannetais (Priziac). Selon la Chronique de Réginon de Prüm, quand Morvan mourut, le
commandement /ducatus des Bretons fut confié à Nominoë.
Les articles de Pierre-Yves Quémener et de Bertrand Yeurc'h dans le présent Kaier ar Poher, ainsi
que celui de Goulven Péron consacré à « La légende du roi Morvan » dans la même revue, en 2006,
Nulle part il n'est dit que Morvan était surnommé Lez-Breizh ou Lezoù-Breizh comme l'affirme
La Villemarqué. Les dictionnaires n'attribuent d'ailleurs pas le sens dérivé de soutien au mot lez,
pluriel-duel divlez / hanches, si ce n'est, selon l' « Argument » introductif du chant, le Dictionnaire
breton-français de Le Gonidec, et encore...
L'édition de 1826 (p. 307) ne connaît que le sens de hanche. Ce n'est que dans les éditions ultérieures
qu'apparaîtra (p. 413) la mention " Au figuré : support, soutien. HV ", ces deux lettres indiquant
que l'adjonction est de... Hersart de La Villemarqué. Lez /orée, lisière a pour pluriel lezoù et pour
singulatif lezenn / liseré.
Tout cela, La Villemarqué le concède dans l’édition de 1867, à la fin de la longue note qui suit le
chant, mais en partie seulement :
D’autant, ajoute La Villemarqué, qu’ « un archéologue breton atteste avoir vu, dans le caveau d’une
chapelle en ruine, la tête [des Aubrays] sciée en deux à côté de tibias gigantesques. » Il fait ainsi
allusion à une découverte de l'archéologue Pol de Courcy (1815 - 1891) qui écrit dans son guide
Hachette, De Rennes à Brest et à Saint Malo :
« Les Dames hospitalières de Saint-Augustin sont établies, depuis 1650, près de la chapelle
de Sainte-Anne (à Lannion), chapelle qui, suivant la tradition, doit son origine à la piété d'un
seigneur des Aubrays, de la maison de Lannion, protégé par sainte Anne dans un combat contre
un magicien Maure : Cette tradition s'appuie sur une ballade bretonne très répandue dans le
pays de Goëlo et insérée dans le recueil des chants populaires publiés par M. de La Villemarqué.
Il semble pourtant que le savant éditeur ait attribué à celle ballade une date beaucoup trop
Le poète populaire dit que le seigneur des Aubrays, vainqueur du Maure du roi, fut plus tard
décapité par les Français, et " recapité " par un ermite.
À la strophe 192 du long poème, Lez-Breizh promet à sainte Anne : « Je vous bâtirai une maison
de prière sur la hauteur entre le Léguer et le Guindy ». Dans une note, La Villemarqué explique
que ladite maison de prière / ti-bediñ est l'église Sainte-Anne de Trégastel. Or, les parties les plus
anciennes de ce bâtiment datent du XIIe siècle et non de l'époque de Morvan ; il était placé
anciennement sous le patronage de saint Laurent ; il n'est pas situé sur un tertre et le Krec'h
Morvan dont parle La Villemarqué n'est pas à proximité immédiate.
Le Poème de 1845
Dans le Barzhaz de 1845, on découvre donc sans surprise les deux chants annoncés dans l'édition
de 1839 : « Le Maure du roi » et « L’ermite », entre lesquels s'intercale un court récit intitulé
« Le roi ».
Le Maure du roi
Le roi des Francs demande à ses chevaliers de vaincre Lez-Breizh. Le Maure du roi, [autant un
sorcier qu'un guerrier] relève le défi et va provoquer le Breton. Le combat a lieu en présence
du roi et tourne à l'avantage du héros qui tranche la tête du Maure ; puis il le fixe par les
cheveux au pommeau de sa selle, s'en retourne chez lui et attache la tête à sa porte. Les Bretons,
impressionnés, se disent : " En voilà, un homme ! ". Nouveaux remerciements à sainte Anne.
Le roi
Cette fois c'est le roi lui-même que Lez-Breizh va combattre. Son page, sa sœur, effrayés par de
mauvais augures, [un cheval marin aux prises avec un serpent] essaient de l'en dissuader.
L'ermite
Lez-Breizh frappe à la porte d'un ermite ; mais le vieillard lui refuse l'hospitalité, par crainte
du roi des Francs. Sous la menace, il finit par ouvrir ; stupéfaction, c'est un fantôme qui entre,
tenant sa tête dans ses mains ! Il demande à l'ermite de replacer sa tête sur ses épaules ; celui-ci
accepte, mais lui impose une pénitence de sept ans à porter une robe lestée de plomb.
Au bout de sept ans, le vieux chevalier est méconnaissable ; seule le reconnaît sa sainte patronne,
sainte Anne, qui le délivre de son fardeau.
Le page, qui le cherchait depuis sept ans, arrive près de l'endroit où il s'était retiré et reconnaît
son cheval. " Dites-moi, vieillard qui venez à la fontaine, qui dort sous ce tertre ? - C'est Lez-
Breizh qui dort en ce lieu. Il va s'éveiller tout à l'heure et va donner la chasse aux Franks ! "
Ces épisodes sont précédés de deux autres : « Le départ » (partie I) de Lez-Breizh enfant, puis
« Le retour » (partie II) au manoir familial. Ils seront examinés plus loin.
Vérifions que, pour l’essentiel, les notes relatives à Lez-Breizh et consignées dans le carnet n°2
portent sur « Le chevalier du roi » (partie III) et celles du carnet n°3 sur un court passage de
« L’ermite » (partie VI).
À la page 220, la strophe 72 introduit « Le chevalier du roi ». Fait exceptionnel, cette strophe est
insérée sous 6 mesures de la mélodie de Lez-Breizh notée de la main de La Villemarqué.
Chose encore plus étonnante : ce n'est pas la ligne mélodique du Barzhaz de 1839, mais la belle
variante de Friedrich Silcher (1789-1860), publiée avec harmonisation en décembre 1840, dans
la traduction allemande du Barzhaz par A. Keller et E. von Seckendorff ! C'est là un hommage
secrètement rendu par La Villemarqué au travail de ce grand mélodiste. Dans la préface de l'édition
de 1845, page V, il écrit : " De plus F. Silcher a eu l'amabilité de sélectionner quelques-unes des plus
belles mélodies originales et d'y ajouter un accompagnement pour le piano ".
Dans l'édition de 1867, ces arrangements ont disparu. L'explication est donnée dans la nouvelle
préface : c'est un souci de rigueur scientifique qui a présidé à cette suppression :
" Selon le conseil de mon savant confrère, M. Vincent, chaque air a été écrit tel qu’il a été
entendu, sans aucun changement et sans accompagnements, comme l’ont fait MM. Moriz
Hartmann et Ludwig Pfau à la fin de leur traduction en vers allemands de mon recueil. Les
personnes qui regretteraient les accompagnements des éditions précédentes en trouveront de
très convenables à choisir, soit dans les traductions de MM. Adalbert Keller et de Seckendorff,
soit dans celle de M. Tom Taylor, où ils admireront en même temps de beaux vers anglais
calqués sur les paroles bretonnes. "
Un examen attentif du carnet n°2 conduit en outre à constater que La Villemarqué n’a pas
exploité certains passages :
La nouvelle mouture de Lez-Breizh est assortie, dans le Barzhaz de 1845, d’une abondante liste
d’informateurs : une certaine Marie Koatefer de Loqueffret, une dénommée Naïk de Follezou,
un mendiant de Kergloff près de Carhaix, mais aussi des personnalités de premier plan : Victor
Villiers de l’Isle-Adam, Jean-Marie de Penguern, Pol Potier de Courcy et la comtesse de Cillart.
Seule cette dernière est créditée d’une contribution précise, le chant III, « Le chevalier du roi ».
Le carnet 2 permet d’enrichir cette liste de deux nouveaux noms, pour la variante notée pp. 217-
218 : Louise Carré, de Kerlan, près de Kerauffret en Plouguernével et Yves Brigon, du bourg de
Lanrivain près de Saint-Nicolas-du-Pélem.
Le roi et l’ermite
En matière d’authenticité, les parties V et VI, intitulées « Le roi » et « L’ermite », devraient être pour
le moins admises au bénéfice du doute.
Dans l’édition de 1867, on apprend que la légende de la mort en deux poèmes, « Le roi » (V) et
« L’ermite » (VI), se chantent en Plévin près de Carhaix, chants authentifiés par la citation in extenso
faite par Augustin Thierry dans ses Dix ans d’études historiques ! On note la proximité entre le thème
du cheval de mer aux prises avec un serpent dans le premier poème et un passage de La prophétie de
Gwenc’hlan. Même si les interprétations qu’en donne le barde sont discutables, la religion druidique
assaillie par le christianisme dans un cas, la nation bretonne en lutte contre les Francs dans l’autre,
ces chants pourraient avoir une origine authentique.
il porte, selon Gourvil, la marque d’un texte inventé ou outrageusement modifié, cette animosité
anti-française étant étrangère à l’authentique tradition orale de la Bretagne.
Rien n’oblige à tenir pour certaine l’affirmation de La Villemarqué assurant, en 1839, qu’on lui
avait montré à Loqueffret en Haute-Cornouaille « une grotte en ruine qui passe pour avoir été
l’ermitage des deux solitaires » après la miraculeuse récapitation. Mais la découverte du crâne scié
des Aubrays dans la chapelle de Kermaria-an-Iskuit en Plouha, pourrait corroborer l’existence
de cette tradition. Pour prouver que son poème a bien trait à Morvan et non à Les Aubrays, La
Villemarqué s’appuie sur une citation d’Ermold le Noir :
« Quand Morvan eut été tué, on apporta sa tête toute souillée de sang à un moine
appelé Witchaire qui connaissait bien les Bretons et possédait sur les frontières une
abbaye qu’il tenait des bienfaits du roi ; Witchaire la prit entre ses mains, la trempa dans
l’eau, la lava et en ayant peigné et lissé les cheveux, il reconnut les traits de Morvan :
Is caput extemplo latice perfundit et ornat
Pectine ; cognovit mox quoque. »
L’ermite du poème, qui est « évidement » le même que Witchaire prend aussi entre ses mains... la
tête de Morvan et il la trempe dans l’eau mais cette eau est bénite et sa vertu, jointe au signe de la
croix, ressuscite le héros breton.» ( strophes 238 à 245 ). Si cette recapitation est propre à la ballade,
il n’en va pas de même de la vengeance de l’écuyer qui déclare à la strophe 261 :
La Villemarqué ajoute : « L’auteur breton n’est pas moins d’accord avec tous les historiens du IXe
siècle quand il suspend la tête ensanglantée du vaincu au pommeau de la selle de Lez Breizh qui
l’emporte comme un trophée. » À ce sujet, l’historien Bernard Tanguy (1940 - 2015), bien que son
intention ne soit manifestement pas d’apporter de l’eau au moulin de La Villemarqué, ajoute dans
ses Origines du nationalisme breton :
« Pourquoi ne dit-il mot du barde gallois Llywarc’h Hen ? Son rapport sur sa mission littéraire
au Pays de Galles ne nous apprend-il pas que ‘c’est encore, à vrai dire, le barde sauvage qui
suspend aux pommeaux de sa selle, pour la ravir à l’ennemi, la tête du chef qu’il aima... ? »
Le départ
Les développements qui suivent sont peut-être un peu trop péremptoires.
Le grand philologue celtique que fut Fañch Elies-Abeozen (1896-1963) a étudié très attentivement,
entre 1941 et 1961, dans son En ur lenn Barzhaz-Breizh, la langue de ce recueil. Voici ce qu’il écrit
( P. 35 de la réédition Preder de 2013 ) :
Evit ar re a gred ez eo bet ijinet « Ar c'himiad » À en croire ceux qui pensent que « Le départ »
hag al lodennoù II, IV, V, VI sed amañ penaos e est une forgerie, tout comme les parties II, IV,
ve moarvat da ziskleriañ an doare ober. Da gentañ V et VI, voici à coup sûr comment le faussaire
ez eus bet savet war batrom skrid saozneg an Itron aurait procédé : à partir du texte anglais de Lady
Guest ur skrid gallek a zo bet lakaet e stumm ur Guest, il aurait rédigé une version française
werz. Gant piv ? Amañ ne ouzer ket re... Ermaez qu'il aurait fait transformer en gwerz bretonne.
eus ar Barzhaz ne veneger nemet disterachoù diwar Par qui ? On ne sait pas trop. En dehors du
dorn Kervarker. Barzhaz, on ne connaît, en langue bretonne
que des textes insignifiants de la main de La
Villemarqué.
L’abbé Guillaume Henry (1803-1880) a effectivement corrigé le breton de La Villemarqué à partir
de l’édition du Barzhaz de 1845. Il s’est toujours défendu d’en avoir rédigé une seule ligne et il n’y a
aucune raison de mettre en doute la parole de ce prêtre. Elies-Abeozen ne relève de faute grossière
ni dans « Le départ », ni dans « Le retour ». Il termine ainsi son examen :
Un dra zo da verkañ en ur echuiñ. N'eus ket bet tro Une remarque pour finir. Il ne m'a pas été
el lodenn-mañ da venegiñ zoken ur ger pe un doare- possible de déceler dans cette partie du texte,
lavar da dostaat ouzh ar c'hembraeg. Brezhoneg ne serait-ce qu'un mot ou une tournure
yac'h nemetken, warnañ liv Bro-Gernev. qu'on puisse rapprocher du gallois. On a là
exclusivement du breton idiomatique tel qu'on
le parle en Cornouaille.
Et pourtant...
Même à qui s’efforce de ne pas tomber dans le travers de la suspicion systématique, il semble
difficile de voir dans « Le départ », première des six parties du long poème de 1845, une authentique
création populaire bretonne. Celle-ci, affirme La Villemarqué, aurait été adaptée et affadie par
manque d’enracinement local de la légende, par l’auteur gallois du conte Peredur ab Evrawc au
XIe siècle, dans Les Mabinogion nouvellement traduits par Lady Charlotte Guest, puis plagiée
dans le Perceval le Gallois ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes un siècle plus tard !
Il convient de rappeler qu’en octobre 1838 La Villemarqué avait été chargé d’une mission, auprès
de l’Eisteddfod d’Abergavenny, au pays de Galles, dont il reviendra le bras orné du ruban bleu des
Lady Guest fit aussitôt savoir que lesdits contes étaient basés sur sa propre traduction et sur ses
notes. Il ne semble pas excessif de risquer l’hypothèse que « Le départ », partie I du Lez-Breizh,
absente chez les autres collecteurs comme dans les carnets de La Villemarqué, est une création
personnelle du barde de Nizon. Cette fiction consolide son avis sur la question de l’antériorité
réciproque des traditions orales et écrites bretonnes et galloises, tout en lui servant d’argument
dans une querelle personnelle. Qu’on en juge :
I I
3. Hag ar paotr Leiz-Breizh 'dal m'hen welaz, 3. Et l'enfant que ce spectacle étonne
Soñjal 'oa Sant Mikael a reas ! Le prend pour saint Michel en personne :
6. - An Aotrou Sant Mikel ned on ket 6. - Je ne suis pas cet archange saint,
Nag un drougoberour kennebeut Non plus qu'un bandit de grand chemin.
7. Sant Mikel, avat, me n'emaon ket 7. Non pas saint Michel, en vérité
Marc'heg urzhet ne lavaran ket. Mais un chevalier ordonné.
10. - Leveret-hu din-me da gentañ 10. - Répondez d'abord : Qu'est donc ceci ?
Petra zo, na petra rit gantañ ? A quoi, dites-moi, cela sert-il ?
11. - Pezh am-eus c'hoant a dizhan gantañ 11. - Je blesse avec cela qui je veux :
Ur goaf a leverer anezhañ. C'est ce que l'on appelle un épieu.
12. - Gwell eo ganin, gwell eo va fenn-bazh 12. - J'ai bien mieux : j'ai mon bâton ferré
Na eer ket en e arbenn hep lazh. Qu'on n'affronte point sans trépasser.
15. - Aotrou marc'heg, n'am goapet ket 15. - Seigneur chevalier, ne raillez pas
Meur a wenneg tarzhet 'm eus gwelet Des écus, j'en vis plus d'une fois.
16. Derc'hel e rafe unan em dorn 16. Un écu tiendrait dans votre main.
Kel ledan hemañ hag ur mein-forn. Le vôtre clorait un four à pain.
17. - Na peseurt dilhad a zo ganeoc'h 17. - Quel genre d'habit portez-vous donc ?
Ken pounner hag houarn, pounneroc'h ? Il me semble plus lourd que le plomb !
19. - Ma ve 'n heized evel-se sternet 19. - Si les cerfs étaient enharnachés
Diaesoc'h e vezent da dizhet Ainsi, nul ne pourrait les tuer.
21. Ar marc'heg kozh, evel m'e glevas 21. Le vieux chevalier en l'entendant
A-walc'h e galon c'hoarzhin a reas Partit d'un rire tonitruant.
22. - Piv an diaoul 'ta en-deus ho sternet 22. - Qui diable vous a donc équipé,
Ma ned oc'h bet evel-se ganet ? Dès lors qu'ainsi vous n'êtes point né ?
23.- An hini en-deus gwir da ober. 23. - Celui qui de le faire a le droit,
Hennezh en-deus graet, ma mabig ker Cher enfant, c'est lui qui fit cela.
24. - Ha piv 'neus bremañ gwir da ober ? 24. - Mais qui donc a le droit de le faire ?
- Den nemet an aotrou kont Kemper - Nul, hormis le comte de Quimper.
26. - Un den eveldoc'h am-eus gwelet 26. - Un homme comme vous par ici
Ha dre-se tre, aotrou, emañ aet. S'en vint. Il a pris ce chemin-ci.
II II
27. Hag ar paotr d'ar gêr en ur redek 27. L'enfant rentra, courant comme un fou.
Ha war varlenn e vamm, ha prezek : Sa mère le prit sur ses genoux.
28. " Ma mammig, ma mamm, na ouzoc'h ket ? 28. - Si vous saviez, ma mère chérie,
Biskoazh tra ker brav n'am-boa gwelet Ce que je viens de voir aujourd'hui.
29. Biskoazh tra ker brav na welis 29. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau
Hag am eus gwelet hiziv-an-deiz. Que ce que je viens de voir tantôt :
30. Bravoc'h den hag an aotrou Mikael 30. Un homme plus beau que saint Michel
A zo en hon iliz, an arc'hel ! L'archange au vitrail près de l'autel !
31. - N'eus den, ma mab, bravoc'h koulskoude 31. - Il n'est point d'homme plus beau pourtant
Bravoc'h evit aelez hon Doue. Que les anges de Dieu, mon enfant.
32. - Salokras, ma mamm, gwelet a reer 32. - Pardonnez-moi, ma mère on en voit.
Marc'heien, emaint-i, o anver. Ils s'appellent chevaliers, je crois.
33. Ha me a fell din monet ganto 33. Les suivre, voilà ce que je veux
Ha monet da varc'heg evelto. Et devenir chevalier comme eux.
34. An itron gaezh, evel pa glevas 34. La pauvre dame entendant cela,
Teir gwech d'an douar a fatigas. Sans connaissance tomba trois fois.
35. Ha paotr Lez-Breizh, hep sellet a-dreñv 35. L'enfant Lez-Breizh, sans se retourner,
E-barzh ar marchosi ez eas tre Vers l'écurie s'est précipité.
36. Hag ur c'hozh inkane a gavas 36. Il y trouve un bien méchant cheval,
Ha prim war he c'horre a bignas. Monte sur le dos de l'animal,
37. Hag eñ kuit da heul ar marc'heg ken 37. Et part s'enquérir du chevalier,
Kuit, ha timat, hep kimiadañ den. Sans songer même à prendre congé.
38. Da heul ar marc'heg ken da Gemper 38. Il quitte pour Quimper son château
Ha kuitaat a eure ar maner Rechercher ce chevalier si beau.
« Un jour on aperçut trois chevaliers chevauchant par le chemin charretier, le long de la forêt... - Ma
mère, demanda l’enfant, qu’est-ce que ceux-ci ? - Ce sont des anges, mon fils, dit-elle. - Par ma foi
! dit l’enfant, je veux devenir ange comme eux. Et, il se dirigea vers eux et il les joignit. - Dis-moi,
chère âme, lui demanda un des cavaliers, as-tu vu passer un chevalier, aujourd’hui ou hier ? - Je ne
sais, répondit-il, ce que c’est qu’un chevalier. - Quelqu’un comme moi, dit l’homme de guerre. -
Si tu veux répondre à la question que je vais te faire, je répondrai à celle que tu m’as faite. - Très
volontiers, dit le chevalier. - Qu’est-ce donc que ceci ? demanda l’enfant, en montrant la selle. -
C’est une selle, répondit le guerrier. Alors l’enfant l’interrogea sur chaque partie de l’armure des
chevaliers et des chevaux, et sur l’usage qu’on en faisait, et sur la manière de s’en servir. Et quand
l’homme de guerre lui eut tout montré, et qu’il lui eut appris à quoi servait chaque objet : - Va
toujours, lui dit l’enfant : j’ai vu quelqu’un comme tu en cherches un ; et je veux te suivre.
Alors il revint vers sa mère et lui dit : - Mère, ce n’étaient pas des anges, mais des chevaliers
ordonnés. A ces mots, la mère tomba pâmée comme morte. Et son fils se rendit à l’écurie où
étaient les chevaux qui charriaient le bois de chauffage et qui portaient les vivres de la ville en
ces lieux déserts ; et il y prit un cheval bai décharné, le meilleur qu’il trouva, et d’un sac il se
fit une selle, et avec des branches tordues il imita les harnais qu’il avait vus sur les chevaux des
chevaliers ; puis il retourna vers sa mère. Cependant la dame avait recouvré l’usage de ses sens -
Quoi ! Mon fils, lui dit-elle, est-ce que tu voudrais chevaucher ? - Oui, avec votre permission, ma
mère. - Alors il faut que je te donne des conseils avant que tu partes. - . . . . . . Quand elle eut fini
de parler, l’enfant enfourcha son cheval, et, prenant dans sa main une poignée de dards, il partit. »
Remarque : Le rapprochement avec le Perceval de Chrétien de Troyes est encore plus saisissant.
Dans « Le Départ », chacune des 38 strophes a son pendant dans ce second poème.
Le retour
La composition de la partie II, « Le retour » répond aux mêmes motivations. L'argument est le
suivant :
« Au bout de dix ans, le chevalier Lez-Breizh revient chez sa mère. Le manoir envahi par les
ronces est habité par une vieille femme et une jeune fille. Celle-ci raconte que depuis le départ
de son frère, dix ans plus tôt, tout est tombé en ruines et que sa mère en est morte de chagrin.
Le frère et la sœur, en pleurant, tombent dans les bras l'un de l'autre. »
Les 6 pages de notes en caractères fins qui font suite au poème dans le Barzhaz de 1867 comportent
un long extrait de la Continuation Perceval, par Wauchier de Denain, du Perceval de Chrétien de
Troyes que La Villemarqué suppose inspiré du Peredur gallois. Cela donne au barde de Nizon
l’occasion de rappeler une théorie qui lui est chère : celle de l'antériorité et de la supériorité de la
tradition orale bretonne sur ses continuateurs gallois, romans et germanique ! Il estime le texte,
qu'il attribue à tort à Chrétien, bavard, surchargé d' « ornements... de mauvais goût… manquant de
naturel ». Il fait le même genre de remarque à propos du lai Le Rossignol de Marie de France dont
le Barzhaz propose un pendant breton tout à fait suspect. Comme l'écrit le critique souvent partial
qu'est Francis Gourvil, dans son Théodore de La Villemarqué et le Barzaz-Breiz (p. 427) : « Procédé
semblable à celui d'un imitateur plus ou moins adroit qui reproduirait un tableau trouvé à son goût,
présenterait ensuite sa copie comme l'original et s'aviserait de parler de plagiat à propos de l’œuvre
qui lui aurait servi de modèle. » Mais il serait injuste de réduire à cette critique cruelle, quelque
fondée qu'elle soit, ce majestueux poème qui occupera pour longtemps une place privilégiée dans
l'imaginaire collectif de la Bretagne.
Christian Souchon