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Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britanniae, manuscrit de la seconde moitié du XIIe siècle (détail)

Bibliothèque nationale de France

Prophètes de Basse-Bretagne - 1 ère


partie

Christian Souchon

Qu’est-ce qu’un vouga ?

Il y a quelques années, Pierre-Yves Quémener, bien connu des lecteurs du Kahier ar


Poher, publiait un article consacré aux « Pérégrinations de saint Vouga ». Il y exposait
comment l’hagiographe Albert Le Grand, dans son recueil de 1637 sur les Saincts de la
Bretagne Armorique, avait fusionné sous ce même nom deux légendes distinctes : celle
du Léonard, saint Vouga honoré à Saint-Vougay et celle du Cornouaillais, saint Bechew
de Tréguennec. L’abbaye de Landévennec s’appropria le culte de ce dernier et l’implanta
en un troisième lieu, Priziac en Poher où, sous l’appellation de saint Beho, il devint un
symbole d’appartenance communautaire comme l’atteste la fréquence de ce prénom sur
les registres de baptêmes de cette paroisse.

Vouga est un nom inattendu et facile à retenir. En lisant l’article susmentionné, il m’est
revenu qu’il figurait de façon tout à fait énigmatique dans le registre des baptêmes d’Edern,
au détour de 4 vers moyens-bretons précédés d’une traduction française, inscrits dans
ce livre en date du 14 février 1628 :

Goude glao bras arnou noas a dra sur Un peu avant seize-cent-trente
Meur a vouga varvel a druillou.
1
Les vouga à la barbe jausne payront la rante
Hac en o bro a changeo stil Un beau Gaston moult besoignera,
Rac muy e quit cant mil a vresillo Et la croix rouge de couleur changera
1  vouga, dans le texte breton = croquemitaine, fantôme effrayant.

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En examinant ce texte de plus près, on se rend vite compte que l’emploi du mot vouga,
dans la traduction française, résulte d’une mauvaise interprétation. Mais cette association
d’idées permettait de plonger dans un univers bien particulier, celui des prophéties
populaires et de constater qu’il existe dans toute la Basse-Bretagne des prophéties de
ce genre. On les attribue à différents personnages qui ont nom Philippe Normant, le
roi Stéphane, sans oublier un certain Guinclan qui occupe une place à part. Ce type
de formules mystérieuses se rencontre chez un peu tous les prophètes dans le Poher,
à Edern, Priziac, Motreff, Langonnet… ou dans le proche Vannetais et justifie de leur
consacrer quelques pages ; les lecteurs du Kaier ar Poher qui auraient entendu parler
de telles prophéties dans leur jeunesse sont invités à enrichir ce dossier.

Une tradition ancienne

Ces vaticinations jouent un rôle important dans l’imaginaire collectif, en particulier


celtique. L’ouvrage dont est issue en dernière analyse toute la matière de Bretagne, le
texte rédigé en latin entre 1135 et 1138 par le Gallois Geoffroy de Monmouth et intitulé
Histoire des rois de Bretagne, ne comporte pas moins de 74 Prophéties de Merlin qui
servent de prolepse narrative au livre en évoquant de manière voilée et allusive les
grandes lignes du récit qui les suit.

Dans une étude qu’il consacra en 1861 à Myrdhinn ou l’enchanteur Merlin, Théodore
de La Villemarqué, auteur du Barzhaz Breizh, souligne l’influence historique, politique
et littéraire qu’ont exercée lesdites prophéties. Ce texte est du plus grand intérêt, même
si son auteur omet de signaler ce qu’il doit aux commentaires en latin de Francisque
Michel, l’éditeur, en 1837, de la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth. C’est ainsi qu’on
y apprend que la Prophétie 32, « Alors du bois chenu sortira une vierge qui arrêtera le
fléau … » et quelques autres furent invoquées à charge lors du procès de Jeanne d’Arc
(1431).

Par ailleurs, Merlin possède dans les communes de Louargat et de Tréglamus un épigone
avec lequel il a beaucoup de traits communs. Il s’agit du fameux Guinclan, rebaptisé
Gwenc’hlan par La Villemarqué qui lui consacre le premier chant du Barzhaz de 1839,
personnage réputé enseveli sous le Ménez Bré.

C’est par lui que nous commencerons ce tour d’horizon.

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Les Prophéties de Gwenc’hlan

Le Guinclan des dictionnaires

En 1834, les érudits bretons s’intéressaient à un mystérieux manuscrit : Les prophéties de Guinclan
( Guiclan ou Guinclaff ) considéré comme disparu, depuis la Révolution, de l’abbaye de
Landévennec. Selon les dires du bénédictin Dom Louis Le Pelletier et du capucin Grégoire de
Rostrenen, ce manuscrit y était conservé autrefois. Tous deux auteurs de dictionnaires bretons
avaient, l’un fait des citations, l’autre mentionné l’existence de ce texte.

Dom Louis le Pelletier (1663-1733) est l’auteur d’un Dictionnaire étymologique de la langue bretonne
publié en 1752, après sa mort et dans lequel il mentionne avoir eu entre les mains, à l’abbaye de
Landévennec, ledit manuscrit où il avait trouvé des mots pour son dictionnaire ; né au Mans, il
n’était pas bretonnant de naissance. Dom Taillandier rédigeant la préface de l’ouvrage posthume
avait indiqué, page VIII :

« le plus ancien [monument écrit en langue bretonne] qu’ait trouvé Dom Pelletier est
un manuscrit de l’année 1450, qui est un recueil de prédictions d’un prétendu prophète
nommé Gwinglaff. Il a tiré quelques secours de la vie de saint Guénolé, premier abbé de
Landévennec... »

Gwinglaff est effectivement cité à trois reprises dans ce dictionnaire aux mots : bagad /troupe,
gnou /notoire et orzail /batterie, corruption dit Le Pelletier du français assaillir.
Avant que l’ouvrage ne soit publié, Grégoire de Rostrenen (1667-1750) avait fait paraître, en 1732,
son Dictionnaire Celto-Breton où il citait ce même Guinclan :

• Dans l’introduction où il donnait la liste des...auteurs dont [il s’était] servi pour composer ce
dictionnaire :

« Ce que j’ai trouvé de plus ancien sur la langue... bretonne a été le livre manuscrit en langue
bretonne des Prédictions de Guinclan, astronome breton très fameux encore aujourd’hui
parmi les Bretons qui l’appellent communément « le prophète Guinclan «. Il marque au
commencement de ses prédictions, qu’il écrivait l’an de salut deux cent quarante (240),
demeurant entre Roc’h-Hellas et le Porzh-Gwenn : c’est au diocèse de Tréguier, entre Morlaix
et la ville de Tréguier. »

Aujourd’hui ces localités s’appellent le Grand Rocher qui surplombe la baie de Saint-Michel-
en-Grève et Port-Blanc en Penvénan.

• À l’article Guinclan, page 480 du dictionnaire :

« Guinclan, prophète breton, ou plutôt astrologue qui vivait dans le IIIème siècle, [et] dont j’ai
vu les prédictions en rimes bretonnes à l’abbaye de Landévennec entre les mains du R.P. Dom
Louis Le Pelletier. »

Sa lecture ne dut pas être très attentive, car il ajoute :

« [Il] était natif de la comté de Goélo en Bretagne Armorique et prédit aux environs de l’an de

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L’église de Landévennec
Estampe de Félix Benoist
(1818-1866) publiée par
Henri Charpentier,
imprimeur éditeur
à Nantes.
Musée de Bretagne.

grâce 240, ( comme il le dit lui-même), ce qui est arrivé depuis dans les deux Bretagnes [dans
la traduction bretonne de l’article : ‘en Armorique et en Grande Bretagne’]. »

La contradiction avec le futur dictionnaire de Dom Le Pelletier dut lui être signalée, peut-être par
ce dernier, car six ans plus tard, dans sa Grammaire Celto-Bretonne (1738), il la corrige partiellement :

« Il s’est glissé...dans mon Dictionnaire...une très grosse [erreur] : C’est au mot Guinclan dont
j’ai marqué les prédictions à l’an 240, au lieu qu’il faut mettre 450. »

L’erreur n’était plus que de 1000 ans ! Les commentateurs qui s’intéresseront à Guinclan par la
suite retiendront cette date : l’an 450. C’est le cas de Cambry dans son Voyage dans le Finistère (1797)
et de l’abbé de La Rue dans ses Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine dans le
Moyen Âge (1815).

Le Gwynglaff du « Dialogue avec le roi Arthur »

En 1924, l’écrivain et linguiste Francis Gourvil (1889-1984) découvrit près de Morlaix un


dictionnaire manuscrit de Le Pelletier daté de 1716 et contenant 247 vers intégralement copiés
par lui-même constituant la fameuse prophétie, sous le titre « Dialog etre Arzur, Roe an Bretounet ha
Gwynglaff / Dialogue entre Arthur, roi des Bretons et Guinclan », suivi des mots « L’an de Notre
Seigneur Mil quatre cent et cinquante. »

Un copiste mal avisé avait raturé le mot « mil », ce qui explique l’erreur du père Grégoire, mais
pour critiquer cette rature, le savant Dom Pelletier attirait l’attention sur les mots français dont ce
texte est truffé, au nombre desquels « canol » pour « canons ». En voici les 31 premiers vers avec
une traduction empruntée à mon site2 :

2 http://chrsouchon.free.fr/arzurroe.htm

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AN DIALOG... LE DIALOGUE...

Dre Gracz Doe ez veze. S'il vivait, c'était grâce à Dieu.


N'en devoe ezdre voe en beth Il n'eut pendant qu'il fut au monde
Nemet an delyou glas. Que feuilles vertes contre l'onde,
N'en devoe quen goasquet. Comme unique abri sous les cieux.
[5] An rese en beve Semblable aux bêtes des forêts
N'endevoe quen boet. Il mangeait les baies et les pousses.
Didan un capel guel ez voe, C'est couvert d'une cape rousse
Noz ha dez en e buhez en beth. Qu'il vécut sur terre caché ;
Digant Doe en devoe e gloar en eff, Mais eut de Dieu sa gloire au Ciel :
[10] Ha ne manque quet. Par la grâce de l'Éternel,
Dre Graçç Doe ez gouuie, Il voyait la venue du temps
Doediguez flam an amser divin illuminet. Manifestée divinement.
An Roe Arzur en ampoignas da sul, Or, un matin, Arthur le roi,
Pan savas an heaul un mintin mat, C'était un dimanche, je crois,
[15] Ha dre cautel ha soutildet Par ruse s'empara de lui.
Ez tizas e dorn, hac e quemeret. Il chercha sa main et la prit.
Maz goulennas outaff hep si : Lui disant :" Je t'en prie, dis-moi,
En hanu Doe ; me hoz supply, Je te prie de dire à ton roi,
D'an Roe Arzur ez liviry Quels événements, quels prodiges
[20] Pebez sinou e Breiz a coezo glan Le Ciel à la Bretagne inflige
Quent finuez an bet man, Avant que ce monde ait pris fin.
Na pebez feiz, lavar aman : Et à quoi croira-t-on demain ?
Pe me az laquay e drouc saouzan. Dis, ou je te mets mal à l'aise..."

Guynglaff Gwynglaff

Me a lavar dit a-deffry, Pourquoi, grand Dieu, te mentirais-je ?


[25] Quement a crenn a goulenny, Tu sauras tout, quoi qu'il advienne,
Diouziff a gouvezy, nemet da maru ha ma hany. Excepté ta mort et la mienne.
Calz a fizio en beth muy evyt en Ilis, Un jour l'on fera, vice immonde,
An-tra-se a coezo dre vicz, Moins confiance aux prêtres qu'au monde :
Huy guelo etre tut a Ilis Vous verrez chez les gens d'Église
[30] Baeleien hep nep justiçç Des prêtres user de traîtrise,
Pep foll a goulenno offiçç… Tous les fous voudront officier…

Le texte de ce « Dialogue » où Guiclan ne figure pas comme auteur, mais comme acteur, est
structuré comme suit, selon l’analyse publiée par R. Largillière dans les Annales de Bretagne ( tome
38, 1929 ) :

• Vie de Gwynglaff, être à demi sauvage, n’ayant d’autre abri que les arbres des forêts dans
lesquelles il errait couvert d’une cape rousse. Il connaissait l’avenir. Ce thème de l’homme
sauvage est aussi présent dans le chant du Barzhaz, Merlin Barde.
• Un dimanche, le roi Arthur se saisit de lui et lui intime l’ordre assorti de menaces de lui dire
quels prodiges arriveront en Bretagne avant la fin du monde.
• Réponse : « Tu sauras tout, excepté ta mort et la mienne » suivie de précisions difficiles à

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interpréter ; été et hiver confondus, jeunes gens à cheveux gris, la pire terre qui fournit le
meilleur blé ; hérétiques défiant la loi divine, etc.
• Prédictions concernant les années de 1570 à 1575 et 1587 et 1588.
• Longue réponse à une question du roi : guerres et destructions imputables aux seuls Anglais.
Sous peine d’être décapités, les Bretons sans armes et les gens armés devront affronter les
ennemis. Ils mourront par bandes et par troupes sur le Ménez Bré ; devront assiéger Guingamp,
rompre ses murailles et piller ses biens. On violera les filles, tuera hommes et femmes. Par
punition de Dieu, les Saxons prendront possession de la Bretagne.

Selon J. Tourneur-Aumont, dans les mêmes Annales de Bretagne ( tome 39, 1930-1931 ), il s’agit d’un
« Chant royal » composé suivant les canons en vigueur au XVème siècle pour servir les ambitions
politiques du roi de France, Charles VII. L’intérêt de ce texte est philologique, non historique.

Dans la Vie de Merlin de Geoffroy de Monmouth, le roi Rodarchus s’empare de Merlin par la force
et dans l’Histoire des rois de Bretagne, Merlin refuse de répondre à Vortigern quand celui-ci l’interroge
sur son propre destin. Le thème est donc ancien et il apparaît que Gwynglaff a pris la place de
Merlin.

En outre, certaines de ces prédictions font partie du répertoire de prophètes bas-bretons que nous
aborderons plus loin.

Deux passages :

• « An douar fallaff a roy guellaff / La pire terre qui fournira le meilleur blé »
• « Ma’z marvint oll a strolladoù War Menez-Bré, a bagadoù / Ils mourront par bandes et par troupes
sur le Ménez Bré »
avaient été cités par divers auteurs avant la redécouverte du manuscrit.

D’autres sont mentionnés dans les deux dictionnaires qui s’en inspirent, mais sont absents du
manuscrit : le mot « orzail » ( Le Pelletier ) et la phrase indiquant que Guinclan « demeurait entre
Roc’h-Hellas et le Porzh-Gwenn » ( Grégoire ).

Sur le manuscrit, Dom Le Pelletier mentionne 2 versions des Prophéties. Ces mots doivent figurer
sur la version manquante qu’il a montrée au Père Grégoire.

Une querelle dans la querelle du Barzhaz : celle de Gwenc’hlan

Dans le Que-sais-je ? qu’il consacre en 1952 à la Langue et littérature bretonnes, Francis Gourvil souligne
insidieusement que, selon lui, cette découverte « a permis de réduire à néant les prétentions de ceux
qui, croyant le texte disparu à jamais, avaient inconsidérément abusé de lui. » Il est clair qu’il visait
spécialement le poème Diougan Gwenc’hlan / Les prophéties de Gwenc’hlan, sur lequel s’ouvrait, en
1839, la première édition du Barzhaz Breizh de La Villemarqué et dont la grandiose beauté a sans
doute puissamment contribué au succès de ce livre.

Le poème du Barzhaz, reproduit en annexe, met en scène un antique barde qu’un prince chrétien
retenait prisonnier après lui avoir crevé les yeux et qui, ayant le don de prophétie, prédit qu’il sera
vengé par un prince païen.

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Il a d’abord la vision d’un sanglier blessé ( le prince chrétien ), entouré de ses marcassins qu’un
cheval de mer blanc aux cornes d’argent ( le prince païen ) vient frapper furieusement, répandant
une mare de sang. Autre vision : le barde est couché dans sa tombe. Il entend l’aigle appeler ses
aiglons et tous les oiseaux du ciel pour venir se repaître de chair chrétienne. Un corbeau est occupé
à arracher ses deux yeux rouges de la tête du chef de guerre qui a emprisonné et fait aveugler
le poète. Un renard déchire son cœur hypocrite. Quant à son âme, elle ira habiter le corps d’un
crapaud.

La Villemarqué attribuait à une tradition populaire deux dictons barbares qui apparaissent dans
l’édition de 1845 et qui avaient pu l’inspirer :

• « Tud Jezus-Krist a wallgasor / Evel gouezed o argador : Les prêtres du Christ seront poursuivis / On
les huera comme des bêtes fauves », et
• « Rod ar vilin a valo flour / Gand goad ar venec’h eleac’h dour : La roue des moulins moudra menu /
le sang des moines lui servira d’eau. »

Il s’appuyait sur l’historien local Daniel-Louis Miorcec de Kerdanet (1792-1874) qui attribuait lui
aussi à Gwenc’hlan des prophéties qu’ils avaient pu entendre ou lire. Dans ses Notices Chronologiques
(1818), Miorcec écrivait (pp. 8-9) : « [Guinclan] prédit vers l’an 450, les révolutions des deux
Bretagne et la gloire dont il devait jouir dans la postérité : L’avenir... entendra parler de Guinclan.
Un jour les descendants de Brutus [ = les Bretons ] élèveront leurs voix sur le Ménez-Bré. Ils
s’écrieront en regardant cette montagne : ‘‘ Ici habita Guinclan ’’. Ils admireront les générations qui
ne sont plus, et les temps dont je sus sonder la profondeur. »

À bien y regarder, le Dialogue de Gwynglaff confirme certaines hypothèses du jeune barde :

• Il reprend deux des citations que le Barzhaz Breizh attribue au devin sur « Les pires terres qui
produiront le meilleur blé.» et celle sur les foules d’hommes qui « mourront sur le Ménez-
Bré...»
• Il fait de Gwynglaff un contemporain du roi Arthur, autre personnage légendaire dont
l’historien Nennius dans son Historia Brittonum, vers 960, dit qu’il livra diverses batailles contre
les Saxons dont celle du Mont-Badon qu’un autre document rédigé à la même époque, les
Annales Cambriae, date de 516. Si Gwynglaff-Gwenc’hlan avait vécu, ce serait donc au VIème
siècle.

Des alliés inattendus

La Villemarqué avait en l’écrivain Anatole le Braz (1859 -1926) un critique acerbe. Pourtant, dans
les Contes du Soleil et de la Brume (1905), ce dernier ne rechigne pas à citer les trois premières strophes
du Barzhaz, lorsqu’il évoque « la plainte amère que lui a prêtée, dans le Barzhaz-Breizh, le vicomte
de La Villemarqué. » Il poursuit :

« Dans toute l’ancienne Domnonée [ côte nord de la Bretagne ], ses prédictions étaient
célèbres. Elles furent même rédigées par écrit et l’on en conservait, paraît-il, un recueil, il y
a quelque deux cents ans, chez les moines de Landévennec. Aujourd’hui, ce n’est guère que
dans la mémoire du peuple que l’on peut trouver un écho fort affaibli de ces paroles sibyllines, de
ces ‘‘ diou-ganoù ’’ ».

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La chapelle Saint-Hervé au sommet du Menez Bré - Editions Mesny (Loïc) - 1er quart du 20e siècle - Musée de Bretagne

La source de cette tradition orale relative au prophète où puise Le Braz n’est autre que Marguerite
Philippe ou Marc’harid Fulup, (1837 -1909), l’informatrice principale de Luzel, à Plouaret. Selon
elle, Guinclan habitait le manoir de Run-ar-Goff à l’ouest de la montagne et pouvait tourner
complètement la tête vers l’arrière à la manière des chouettes. Il voyait les événements se mettre
en marche mais parlait peu, préférant converser avec les corbeaux et les oiseaux migrateurs qui
l’informaient des événements du monde. Une fois, il combattit toute une journée un ennemi
invisible avec son épée, au sommet du Ménez-Bré. Il avait exterminé de futurs envahisseurs et les
nuages étaient rougis de leur sang.

L’existence de ces traditions orales est même confirmée par le très sceptique François-Marie Luzel
(1826-1895) qui écrit dans De l’authenticité des chants du Barzhaz Breizh, 1872, p. 5 :

« A Louargat, au pied du Ménez-Bré, une vieille femme que j’interrogeais m’a dit un jour
qu’il y avait autrefois ur Warc’hlan sur le sommet de la montagne. Serait-ce une altération de
Gwynglaff ? Elle ne savait du reste si c’était un homme ou un animal ».

Un mélange d’authenticité et d’invention

À défaut d’avouer qu’il les a pris pour modèle, La Villemarqué signale dans ses « Notes » les
ressemblances de son texte avec divers auteurs gallois anciens : Aneurin ( strophes 1 et 20 ),
Taliésin ( strophes 9 et 13 ), Llyfarc’h Hen ( strophes 2 et 23 à 25 ). De même, la dernière strophe
- qui situe la zone d’activité du prophète - reproduit la citation de Grégoire de Rostrenen déjà
mentionnée. Ces passages ont certainement été composés par le jeune Barde de Nizon3.

3  Barde de Nizon - En 1938, au congrès celtique dit Eisteddfod d’Abergavenny, au Pays de Galles, La Villemarqué alors âgé de 23 ans fut
élevé à la dignité de barde sous le nom breton de Barzh Nizon / Le Barde de Nizon.

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Il n’en demeure pas moins que la mère de La Villemarqué indiquait sur une liste de chanteurs
dressée d’après la table des matières du Barzhaz de 1839 « Prédiction de Guinclan : Annaïg Le
Breton, Kerigazul en Nizon ».

Par ailleurs, sa nièce, Camille de La Villemarqué (1855-1945) écrivait le 21 novembre 1906 à son
cousin Pierre, le fils du barde : « Clémence Penquerc’h [ fille de Marie-Jeanne Droal, dite Mélan,
épouse Penquerc’h, de Penanros en Nizon ], se souvient très bien de ... la Prédiction de Guiclan. »
Cette lettre est citée par Donatien Laurent dans Aux sources du Barzhaz-Breizh ( Ar Men, 1989,
p.285 ). Il ajoute :

« Il est bien fâcheux de ne pas savoir ce que chantaient Annaïg Le Breton et Clémence
Penquerc’h et de ne pouvoir dès lors apprécier la toilette, à coup sûr soignée, que fit subir
La Villemarqué au texte qu’il recueillit avant de l’admettre au rang des élus. Au moins les
probabilités que ce texte existe me paraissent-elles sérieuses, contrairement à l’avis de Luzel,
de Loth et de F. Gourvil. »

Ajoutons que la prenante mélodie dans le mode hypolocrien4 qui accompagne le poème du Barzhaz
( lequel en fait un plus classique thème en fa dièse mineur en haussant d’un demi-ton une note à
la 10ème mesure ), n’a sans doute pas été inventée par La Villemarqué. Elle a inspiré au musicien
allemand, Friedrich Silcher (1789-1860), un accompagnement d’une religieuse majesté, publié
en 1840 avec la traduction du Barzhaz intitulée Volkslieder der Bretagne, de A. Keller et E. von
Seckendorff.

Le Manuscrit de du Cleuziou et le livre de Le Barzic

Il apparaît donc que, si le personnage de Gwenc’hlan était célèbre à l’époque de Le Pelletier et de


Grégoire de Rostrenen, la tradition orale, contrairement à ce qui a été parfois affirmé, n’était pas
devenue muette à son sujet au XIXème siècle.

On doit à l’érudit celtisant, bibliographe, écrivain et éditeur breton, Gwennolé Le Menn (1938-
2009), l’étude la plus complète de ce sujet. Ce qui suit tient largement compte de l’article intitulé
« Du nouveau sur les prophéties de Gwenc’hlan » qu’il fit paraître, en 1983, dans le tome 111 des
bulletins de la Société d’Émulation des Côtes-du-Nord.

C’est l’archiviste de l’évêché de Saint-Brieuc, le chanoine Jacques Raison du Cleuziou (1915-2004),


qui lui communiqua une feuille de papier pliée en deux où son grand-père, Hippolyte du Cleuziou
(1819-1886), devenu président de la Société archéologique et historique des Côtes-du-Nord en
1870, avait consigné des prophéties.

Les abréviations qui suivent les noms ou ouvrages cités sont destinées à faciliter la lecture du
tableau synoptique ci-après:
• Le Menn (LM) les intitule « Prophéties tirées du ‘‘ Livre ’’ du meunier de Trébeurden » et fait
des recoupements avec d’autres sources, en particulier :
• un ouvrage du régionaliste Ernest Le Barzic (LB, 1917-1977) intitulé Merveille de la côte de
Granit Rose, l’Île-Grande, Enez-Veur et ses environs (Rennes, 1970) où sont rapportés les dires de
l’octogénaire, Mme Le Corre ;

4  Mode hypolocrien - Succession de tons T et de demi-tons D selon la suite TDTTTDT. Cette gamme s’obtient sur un piano en jouant sur les
touches blanches en partant du ré. Ce mode est aussi appelé plain-chant. Codifié au IXe siècle il devient plain-chant grégorien.

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• différents témoignages concernant les deux prophètes déjà cités dont les noms bretons sont
Er Roue Stevan (RS, Vannetais) et Filip Normant ( FN, région du Faouët et Langonnet ) ;
• des références diverses : une femme de Plougastel (PL) ; Louis-François Sauvé (SA, 1837-
1892) auteur du recueil Proverbes et dictons de la Basse-Bretagne (1878) ; des extraits du Barzhaz
Breizh de 1867 (BB) ; le collecteur de chants bretons J.M. de Penguern (PE, 1807-1858)
• enfin et surtout le Dialogue de Gwynglaff (DI) dont nous avons déjà parlé :

TEXTE ORIGINAL TRADUCTION NOTES


« Vers prophétiques de Guiclan que lisait dans son LB « J’ai lu ça dans Buhez Gwinglan [un
moulin le meunier de Milin-Lann en Trebeurden. Il livre] que j’ai prêté et qu’on ne m’a
avait le livre tout entier. » pas rendu » ( Mme Le Corre ).

1 Eürus, eürus vo ar bed 1 Heureux sera le monde LM Le texte…prédit que la vie de


Pa zigouezo Loeiz C’hwezek. Jusqu'à ce qu'arrive Louis XVI. Louis XVI sera courte.
E buhez avat na bado ket. Sa vie longtemps ne durera pas. (1754-1793)

Un amzer a vo gwelet Un temps viendra où l'on verra LM Ce passage sur l’évolution des
5 E vo an dud ken disgizet 5 Que les gens seront si déguisés modes vestimentaires rappelle
Ha na vo ket anavezet Qu'on ne distinguera plus d’autres prophéties de Filip
Dilhad ar peizantezed Les vêtements des paysannes RS Normant et du roi Stevan.
Dimeus ar re dimezelled. De ceux des demoiselles. FN En 1843 les bragoù braz cédaient la
Erruout a rayo ar giz Il arrivera la mode place aux pantalons.
10 Ma vezo an dud gwisket en brizh: 10 Des gens vêtus en bariolé.
Ar kapichonoù a vo lakaet On portera des capuchons
Ar pantalonoù a vo gwisket Ainsi que des pantalons.
Maleürus a vezo ar bed Malheureux sera le monde / Quand les gens
Pa vo an dud gwisket evel naered. seront vêtus comme des serpents.

15 Amzer a vo e vo gwelet 15 Un temps viendra où l'on verra DI 36 Te a guelo quent e donet


An hañv, ar goañv kemmesket L'été et l'hiver confondus, An haff han goaff quesmenet,
Ken ne vont ket anavezet Au point qu'on ne les distinguera Ha ne aznavezy heur en beth
Nemed d'eus ar gwez deliaouek Que par les arbres porteurs de feuilles Nemet dyouz an guez delyet,
Hag ar gouelioù instituet. Et par les fêtes instituées. Pe diouz an goeliou statudet.

[ G. Le Menn remarque que la ressemblance de On verra bien avant qu'Il vienne,


ce texte avec celui du « Dialogue » est ici trop L'hiver et l'été confondus,
grande pour ne pas penser qu’il y a une filiation Et le temps ne sera connu
entre eux, sans doute par l’intermédiaire d’une Que par les fêtes anciennes.
version écrite ] Ou l'arbre qui devient feuillu

20 Amzer a vo a vesterdien a gonduo ar bed, Un temps où des bâtards mèneront le monde, SA A-barzh a vezo fin ar bed
Ar fallañ dud gwellañ dimezet. Où les pires gens seront les mieux mariées + Ar fallañ douar gwellañ ed
Ar fallañ dud gwellañ estimet. Les pires gens les mieux estimées. DI Ar fallañ merc’h gwellañ dimeet
FN Hag ar besterd araok oc’h ober
BB tro vered.
An togoù kolet a vo lakaet. On portera des chapeaux collés [=cirés ?]
Ar mibien a essañs mat a yelo da c'hlask o boued. Les fils des meilleures familles iront mendier. Avant la fin du monde, les pires
terres produiront le meilleur blé,
les pires filles seront les mieux
mariées, et les bâtards conduiront
les processions.

25 Amzer a vo e vo gwelet 25. Un temps viendra où l'on verra LM L’annonce de guerres est un des
Brezel en Frañs hag a vo kalet, L'âpre guerre faire rage en France. motifs les plus constants dans
Brezel sivil ha brezel all Guerre civile et autre guerre toutes les prophéties.
Lec'h ma vo chefoù priñsipal. Opposant les principaux chefs.

Hag en amzer-se en-em daolo an dud fall war ar Roue hag En ce temps-là les gens méchants se jetteront sur LM Le roi assailli fait évidemment
en-devo kalz a boan en-em tenn, le roi qui aura beaucoup de mal à s'en tirer, s'il y penser à Louis XVI cité au début
mar ra. arrive des prophéties.

KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 ■ 10


Henchoù a vo graet a-dreuz ar parrezioù da gonduiñ d’an Des chemins seront faits à travers les paroisses, LB Pa yo an hentoù da vord an aod
aod. Er komañsament evo mestroù pere n'eo ket fall outo e conduisant au rivage. Au commencement il y + Paz’ he-do bep plac’h he zok,
ve labouret warne. Mes goude e vo chañjet: ar mestroù a ray aura des maîtres lesquels ne voudront pas qu'on FN Pa vefont araok er prosesionoù,,
o anvañs mat. Ha ne vint ket peurechuët Ma vo fin d'ar y travaille. Puis tout changera ; Leurs chantiers RS War ar bed e vo gwall reuzioù.
boulversamañt. iront bon train. A peine seront-ils achevés que ce PG
sera la fin du bouleversement. Quand les routes longeront les
côtes / Que les femmes porteront
[ G. Le Menn cite une femme de Plougastel- chapeau / Qu’elles iront en tête
Daoulas: « E vezo fin ar bed / pa vezo gwelet ar des processions / De grands
merched / e penn ar prosesionoù… » Quand on verra PL malheurs s’abattront sur le monde.
les femmes en tête des processions, ce sera la fin
du monde ! ]

29 Eüruz a vo an hini 29 Heureux celui LM [ La haine des chemins est un


Pehini en-devo e ti Qui habitera PE leitmotiv de la tradition orale
Etre Vilemoan ha Gindi (1) Entre La Méloine (1) et Le Guindy, LB bretonne. On la trouve à la fin du «
Ma hell diwall eus ar bleizi S’il peut se défendre des loups Vieil homme aveugle », gwerz
Ha dimeus an degouidi. et des nouveaux arrivants. recueillie dans le Trégor par de
Penguern. Une variante de cette
(1) Velimoan est une petite île ou rocher sur cette strophe est citée par Le Barzic ]
côte-ci. (Note de du Cleuziou).
A la fin pa vo bet brezeloù en pep fason e vo lavaret : peoc'h À la fin, quand il y aura eu des guerres de toutes DI 205 Ma'z renko an ezec'h fall ha
vo bremañ. sortes, on dira : il nous faut la paix désormais. grwagez
Moned da vervel ditruez (…)
Que mariés malades et femmes
Se voient sacrifiés, chose infâme

Mes allas! Souden goude e truyo seizh rouantelezh war ar Hélas, aussitôt après, sept royaumes se rueront DI 211 Ma'z dastumont fall ha seven,
Frañs sur la France : Dre gourc'hemenn ur kabiten,(…)
Les canailles et gens de bien,
Sous les ordres d'un Capitaine,

hag a formo un arme a tri-ugent lev a-hed hag a daou-ugent une armée de 60 lieues de long et 40 de large qui DI 214 Hag ar gwragez o sikouro.
lev a lec'hed. Hag a dalc'ho da avañs ken a vint rentet en avancera sans s'interrompre jusqu'au Ménez-Bré. Ma'z marvint oll a strolladoù
Menez-Bre. Eno e aretint hag a bep kostez a erruo ar Là elle s'arrêtera et de tous côtés afflueront les War Menez-Bré, a bagadoù
maerioù gant o farosioù, gwazed ha merc'hed a redont hep maires et leurs communes, hommes et femmes Les femmes sont leur seul soutien.
goût petra a reont da redek. accourant sans en savoir la raison. De sorte qu'ils mourront en foules
Sur le Ménez-Bré, en troupeaux

Ha pa vint erru eno, e vo savet daou enseign: unan fall hag Et quand ils seront arrivés là, on dressera deux
unan vat. Ar Roue komañs ar kombat pehini a yelo er enseignes, celle du mal et celle du bien. Alors
kostez ma garo. éclatera un combat où chacun choisira son camp.

Neuze e vo ur kombat ken sanglant ma hellfe div vilin o Et il sera si sanglant que le sang versé pourrait BB Rod a vilin a valo flour
valañ gant ar gwad epad daou devezh. alimenter deux moulins pendant deux jours. (*) Gand gwad ar venec’h e-lec’h dour

Ma gounid an hini vat e vo friket ar c'hostez fall Ne chomje Si le camp du bien l'emporte, celui du mal sera (*) La roue du moulin pourra
hini anezhe. Mar gounid an hini fall e vo lezenn fin ar bed, anéanti et il n'en restera plus rien. Si c'est le mal moudre menu ;
hep esperañs ebet Mar gounit an hini mat, e teuio ar peoc'h qui l'emporte, s'imposera la loi de la fin du Le sang des moines lui servira
Hag ar tranquillité da ren er bed; Da vihannañ ur pennad monde sans espérance aucune. Si c'est le bien, la d’eau
Ma gounid an hini vat e vo friket ar c'hostez fall Ne chomje paix et la tranquillité règneront sur terre, du (BB 1867: Introduction, p. XXV
hini anezhe. Mar gounid an hini fall e vo lezenn fin ar bed, moins pendant un moment. Et Notes du chant, p.23)
hep esperañs ebet Mar gounit an hini mat, e teuio ar peoc'h
Hag ar tranquillité da ren er bed; Da vihannañ ur pennad Cf. Les moulins sanglants“ ci-après

Quelques thèmes récurrents

Ces rapprochements mettent en évidence dans toutes ces sources un corpus commun de « formules
prophétiques » ayant trait à des sujets précis. Dans le cadre du présent rapprochement, trois thèmes
méritent d’être soulignés :

• Un « livre de Guinclan » est évoqué par deux sources ( manuscrit de du Cleuziou et ouvrage
de Le Barzic ).
• Parmi les signes avant-coureurs de la catastrophe finale, l’un des plus révélateurs du machisme

11 ■ KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020


qui imprégnait la société d’autrefois est le fait que les « femmes prendront la tête des
processions ». Dans la version de la gwerz Le Recteur Lescoat notée par La Villemarqué dans
son second carnet de collecte, la strophe 6 souligne le caractère incongru de cette pratique :

Pa yelo ar brosesion en-dro, Quand la procession fera le tour de l’église


Kentañ a vo 'raok hi a vezo. C’est elle qui marchera en tête.

• Dans la longue description en prose qui termine la note manuscrite d’Hippolyte du Cleuziou,
on est frappé par l’image des moulins tournant avec du sang. Elle est aussi présente dans les
prophéties populaires de Filip Normant et du Roué Stevan. Mais c’est La Villemarqué qui est
le premier à la citer :
Rod ar vilin a valo flour La roue des moulins moudra menu
Gand goad ar venec’h eleac’h dour. Le sang des moines lui servira d’eau.

Un équivalent français de cette phrase existe dans le Guionvarc’h de Louis-Antoine Dufilhol (1791-
1864), paru à Paris en 1835 (pp.26, 109 et 163) : « Arrose, arrose ton moulin, il veut tourner avec
du sang ». R. Largillière considérait, en 1925, qu’on avait là un centon qui existait encore dans la
bouche des paysans du Bas-Tréguier.

L’authenticité de cet aphorisme est confirmée par une communication du linguiste François
Vallée (1860-1949) au congrès de l’Association Bretonne, à Moncontour en 1912. Il déclarait avoir
recueilli une « prophétie rimée » sur la résurrection de Guinclan, sur le combat terrible qui doit se
livrer et sur « le moulin de l’Île Verte qui tournera avec du sang ».

Cette affirmation est accueillie, on ne sait trop pourquoi, avec le plus grand scepticisme par Francis
Gourvil, en 1960, dans son important ouvrage déjà cité.

D’ailleurs, G. Le Menn remarque cette image dans le Dialogue de Gwynglaff et du roi Arthur redécouvert
par Gourvil :

[125] Hac an rivier so hanvet Dourgoat, Le ruisseau nommé l'Eau de sang


A chencho he liou ha he stat, Changera de couleur, de lit
Hac a hano ez duy an rivier un tro. C'est de là que viendra son nom…

À Suivre …
Christian Souchon

KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 ■ 12

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