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Principes des structures architecturales

légères

1:
2 : Assemblages non hiérarchisés
3 : Structures à membrane tendue
4 : En deçà tension et compression

Préambule

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Vahé Zartarian

© 2007

http://co-creation.net/architecture/
Assemblages non hiérarchisés

principes et précédents

comparaison

La logique constructive des assemblages non hiérarchisés est complètement différente de celle des
assemblages hiérarchisés. Au lieu de partir d’éléments porteurs grands et lourds autour desquels se construit
progressivement la forme, on part de la forme que l’on structure à l’aide de nombreux éléments similaires
reliés entre eux. Chacun pris séparément est peu résistant comparé à une poutre porteuse, mais leur nombre
et la manière dont ils sont reliés assurent une distribution des efforts sur tous.

assemblages hiérarchisés assemblages non hiérarchisés


- poutres porteuses peu nombreuses, - tiges nombreuses quasi identiques
grandes et fortes; éléments
secondaires plus nombreux, plus
courts et moins résistants
- les éléments d’un même niveau ne - les éléments sont reliés entre eux
sont pas tant reliés entre eux que par des connecteurs qui jouent un
fixés à des éléments du niveaux rôle structurel majeur
inférieur
- les efforts sont canalisés vers les - les efforts sont distribués dans toute
éléments du premier niveau la structure via les connecteurs
- la forme diffère de la structure - la forme se confond avec la
structure

Ce dernier point est particulièrement important. Il signifie que la résistance du bâtiment provient entièrement
de sa forme. D’où, entre autres, une grande économie puisqu’il n’y a pas à construire deux fois, la structure
d’un côté, la forme de l’autre.

Habitats nomades

Si l’on cherche des précédents à l’emploi de cette logique constructive, ce


n’est pas tant du côté des échafaudages évoqués plus haut qu’il faut se
tourner que du côté de certains habitats nomades. Question probablement de
disponibilité des matériaux, de transportabilité et de facilité de
montage/démontage.

De nombreux peuples nomades construisent des huttes simplement en


tressant et en attachant des branches fines. Par exemple les Gabras du nord
Kenya.

La matière première est relativement facile à se procurer même dans ces


régions semi-désertiques (il s’agit en général de fines branches d’acacia),
l’ensemble se monte et se démonte rapidement et se transporte sur un
chameau.

Plus aboutie sur le plan structurel est la yourte mongole (appellation consacrée venant du russe tandis que les
mongoles eux-mêmes l’appellent ger, que l’on voit parfois écrit gher).
La yourte est une construction autoportante c’est-à-dire qu’elle tient toute seule sans avoir besoin d’être
ancrée et sans avoir besoin d’un mât planté dans le sol. La structure est constituée d’éléments nombreux
mais relativement courts et légers, ce qui la rend facile à transporter. Une yourte de taille moyenne peut se
monter et se démonter en une heure à trois personnes. Sa forme ronde et son profil bas la rendent
extrêmement résistante aux vents forts de la steppe. Le confort n’est pas en reste de par ses dimensions (de 5
à 10 m de diamètre), son épaisse couverture de feutre en laine de mouton ou en crin de cheval, et la
possibilité de faire du feu dont la fumée s’évacue par une petite ouverture sommitale (outre l’intérêt de
réchauffer, il maintient la membrane sèche et l’empêche de moisir).

De nombreux occidentaux aspirant à des modes de vie plus simples


et plus proches de la Nature ont découvert la yourte ces dernières
années (à la suite du tipi). Certains l’achètent, quelques uns se la
fabriquent eux-mêmes. On trouve sur internet de nombreux sites
donnant des informations pratiques. Je ne discuterai pas ici de
l’intérêt de transplanter cet habitat hors de son contexte
géographique, climatique et culturel, cette question sera abordée
dans le livre 3. Pour le moment un seul point m’intéresse en rapport
direct avec mon présent propos, la manière dont est construit le mur,
appelé hana ou khana.

Traditionnellement il est fait avec de jeunes pousses


d’arbres, de fines tiges coupées à la même longueur,
environ 2,5 m. Il en faut une cinquantaine voire plus pour
une petite yourte de 5 m de diamètre. Chaque tige est
attachée à cinq ou six autres (c’est fonction de leur
longueur et de leur nombre) à l’aide de lanières de cuir
pour former une structure en treillis à mailles carrées. Le
résultat ressemble à ces treillis en bois ou en plastique que
l’on trouve dans les jardineries pour palisser les plantes:

Si vous en avez un sous la main, vous constaterez qu’il se courbe très facilement:

Idem pour le khana de la yourte. Les lattes sont assez


souples pour que le treillis, une fois posé verticalement au
sol, puisse être courbé en cercle. Les extrémités ne sont pas
directement attachées mais fixées de chaque côté d’un cadre
rigide qui sert d’entrée. Le mur est ceinturé à l’aide de
fortes sangles pour bien le maintenir vertical, en particulier
pour contrebalancer les forces d’écartement causées par le
poids du toit qui repose directement sur le treillis, sans le
soutien d’un mât central (dans les petites yourtes du moins,
un mât est nécessaire pour les plus grands diamètres).

Cette brève description suffit pour se faire une idée du fonctionnement de cette structure. On comprend en
particulier que son intégrité n’est pas remise en cause par la défaillance d’un élément. Une attache peut
lâcher, une latte se briser, il y a suffisamment de redondance pour que l’ensemble tienne bon.
Limites et développements

Le problème avec ces structures non hiérarchisées simples est qu’elles butent très vite sur des limites
dimensionnelles. Cela dépend bien sûr des matériaux et des techniques choisis mais il est évident qu’au-delà
de quelques mètres de diamètre force est de rajouter des éléments porteurs classiques tels que poteaux et
poutres si l’on veut que cela tienne.

Les limites des structures non hiérarchisées seraient-elles déjà atteintes? Vous vous doutez que non sinon je
ne vous aurais pas conduit jusqu’ici. Vous vous doutez également que le passage de la hutte à des structures
couvrant des centaines voire des milliers de mètres carrés ne se fera pas sans quelques sauts conceptuels.
Sinon ça se saurait, les grands maîtres es structures architecturales des temps passés nous auraient déjà
gratifiés de quelques édifices monumentaux de ce genre.

Les avancées sont relativement récentes, première moitié du 20e siècle pour certaines, seconde moitié pour
d’autres. Des chercheurs, ou il serait plus exact de dire des trouveurs, ont imaginé des solutions efficaces
tout à fait originales. Pour pénétrer à notre tour les principes des coques en treillis de bois, des dômes
géodésiques et de la tenségrité, il va nous falloir rompre avec la façon habituelle d’aborder l’architecture.
C’est en effet une toute autre manière de penser le rapport de la forme et de la structure, une toute autre
manière de construire aussi.

À première vue, on devine deux directions de développement des structures non hiérarchisées:

1. soit on utilise des tiges longues et flexibles que l’on courbe pour former la structure, extension à
l’ensemble du bâtiment du principe du mur de la yourte (notons en passant que celle-ci n’a pas une
structure homogène puisque son toit est fait de poutres);

2. soit on utilise des tiges plus courtes et rigides assemblées par triangulation, un peu comme les
échafaudages, mais pour former des surfaces beaucoup plus complexes.

Explorons ces deux pistes, dans cet ordre.

Les coques en treillis de bois

Remarque préliminaire: pour ceux désireux d’approfondir le sujet l’équivalent anglais de cette expression est
timber gridshell.

Du cylindre déformable à la coque indéformable

Si tout à l’heure vous vous êtes amusé avec un treillis de palissage, reprenez la petite arche que vous avez
construite. Sinon vous pouvez vous contenter d’en former une avec une feuille de papier épais. Appuyez
légèrement dessus. Le problème saute aux yeux: ça se déforme à la moindre sollicitation. Pas très engageant
pour un principe structurel censé résister au vent et à la neige!

En fait la flexibilité des tiges qui a permis de courber le treillis se retrouve en partie dans le résultat final.
Mais pourquoi dans ces conditions la yourte se révèle-t-elle si résistante? C’est que la déformabilité du mur
est contenue par les poutres radiales du toit, qui agissent en quelque sorte comme des rayons rigides d’une
roue, et par un cerclage au moyen de fortes sangles.

Donc si l’on veut réaliser un bâtiment tout en treillis, sans ajout de poutres ni autres renforts rigides, gage de
légèreté et de cohérence, il faut faire en sorte que la résistance provienne de la forme elle-même. Comme on
vient de le voir, ce n’est pas le cas d’une portion de cylindre formant voûte. Mais vous pouvez imaginer que
si vous croisiez une première arche en treillis avec une autre identique placée perpendiculairement, vous
obtiendriez une sorte de dôme qui serait beaucoup plus résistant. En reliant bien les deux treillis, la structure
finale fonctionnerait comme une coque.
Les coques

Il ne s’agit pas des coques de bateaux mais de coques architecturales réalisées à l’origine en béton. Rien à
voir non plus, malgré une parenté morphologique, avec les dômes et autres voûtes en pierres des temps
anciens. Question d’épaisseur. Une image suffira à s’en convaincre, celle de cette station-service de
Deitingen en Suisse construite par Heinz Isler en 1968:

Heinz Isler
station-service de Deitingen

Le rapport portée/épaisseur est un critère intéressant pour évaluer l’efficacité d’une structure. Voici un petit
comparatif (ce ne sont que des ordres de grandeur évidemment):

- poutre en bois: 20

- arche: 40

- coque en béton: 400 à 800

- membrane supportée par l’air: jusqu’à 300 000

Pour une construction en ‘dur’, les coques sont un excellent compromis entre la quantité de matériaux
utilisés et la surface couverte. D’autant que les matériaux en question sont des plus banals, du béton pris sur
une grille métallique.

L’exceptionnelle résistance d’une coque vient de sa forme, pas de sa masse. C’est le même principe que pour
une coquille d’œuf. On peut voir une coque comme le développement d’une arche funiculaire de façon à
générer une surface et non plus seulement une ligne.

La première réalisation de ce genre date des années 1920. Mais c’est surtout à partir des années 50 que le
procédé se propage sous l’impulsion d’architectes comme Candela, Nervi, Esquillan. C’est à ce dernier que
l’on doit la réalisation la plus monumentale, le CNIT de Paris-La Défense.

En plan, elle dessine un triangle équilatéral de 218 m de côté inscrit dans un cercle de 251 m de diamètre.
C’est en quelque sorte un dôme tronqué de manière symétrique sur trois côtés et qui culmine à plus de 48 m.
Compte tenu de ses exceptionnelles dimensions, la structure est faite de deux coques espacées d’environ 2 m
et reliées par des cloisons. L’épaisseur totale varie en fait de 1,9 m au sommet à 2,7 m à la base, tandis que
l’épaisseur de chaque coque varie de 60 à 120 mm. Les cloisons de liaison entre les deux font quant à elles
59 mm d’épaisseur.

Comme les coquilles d’œufs, de telles coques en béton se révèlent extrêmement solides malgré leur très
faible épaisseur. Et comme les coquilles d’œufs, elles s’enfoncent assez facilement sous une charge
ponctuelle un peu forte, ce qui conduit généralement à l’effondrement de tout le bâtiment.

Un autre inconvénient des coques est que la réalisation nécessite un moule. On peut parfois s’en passer,
comme dans certaines constructions conçues par assemblages d’éléments préfabriqués, ou comme ces petits
dômes où le béton est coulé sur un ballon que l’on gonfle. Mais ça reste un problème dès que la forme
devient un peu plus complexe.
Le béton est quasiment le seul matériau utilisé. Je ne connais guère que les coupoles de télescopes faites
dans une autre matière, la fibre de verre. Il faut dire qu’elle est beaucoup plus chère et difficile à travailler (il
faut construire des moules et passer beaucoup de temps à empiler des couches successives de tissu de verre
et à les enduire de résine après avoir patiemment attendu que la précédente ait séché).

La question qui se pose maintenant est de savoir si l’on peut réaliser une coque à partir d’un treillis. Si oui,
les avantages seraient nombreux: grande économie de matière, pas besoin de moule, il suffirait de courber le
treillis de manière adéquate, d’où facilité et rapidité de montage, critères qui sont aussi des dimensions de la
légèreté.

principe des coques en treillis

L’idée de croiser deux treillis que j’ai suggérée plus haut n’est ni pratique ni économique. D’ailleurs si deux
treillis à mailles carrées se croisent, l’on peut faire en sorte que les mailles se superposent à l’endroit du
croisement. Cela veut dire que la même forme pourrait être obtenue avec un seul treillis.

La question devient donc: est-il possible de déformer un treillis simple en une surface à double courbure
comme un dôme? Si vous avez toujours sous la main votre treillis de palissage, essayez, vous vous rendrez
vite compte que c’est possible mais à condition de ne pas accentuer la courbure, sinon les lattes se
disjoignent ou se rompent.

Il y a une raison géométrique à cette impossibilité de courber davantage le treillis: on ne peut pas plaquer un
carré sur une sphère sans le déformer. Découpez un petit carré de papier et plaquez-le sur un bol ou une
balle, vous constaterez qu’il ne colle pas à la surface à moins de faire des plis. Vous pouvez aussi réaliser un
petit carré avec du fil de fer, c’est plus proche de la maille d’un treillis. En le plaquant sur une boule, vous
pouvez cette fois lui faire épouser la surface mais au prix d’une déformation.

On pressent que si on laisse du jeu dans les connexions,


l’ensemble du treillis devrait pouvoir se déformer plus
amplement jusqu’à prendre la forme d’une coque. Tout le
secret est là en effet: laisser du jeu.

Au final, le principe de construction d’une coque en treillis apparaît assez simple:

1. On commence comme pour le mur d’une yourte par assembler à plat sur le sol de longues lattes de bois
selon un maillage généralement carré mais qui peut être aussi triangulaire ou hexagonal. On ne sert pas à
fond les boulons ou les connecteurs situés à tous les points d’intersection pour permettre de légères torsions
et de petits déplacements des lattes lors de la mise en forme.

2. Par une combinaison de poussées et de tractions, on déforme la trame plane en une surface à double
courbure, qui peut être très complexe et ne pas se limiter à la calotte sphérique comme on le verra dans les
exemples ci-après. Au cours du processus, et grâce au jeu qu’on a laissé, certains carrés s’agrandissent
légèrement, d’autres rapetissent, beaucoup se déforment en losanges.

3. Une fois la forme finale désirée atteinte, on assure la jonction avec le sol et on sert bien tous les boulons.
On obtient au bout du compte une structure extrêmement résistance par effet de coque. Pour accroître la
rigidité, on peut ajouter des câbles diagonaux qui triangulent les carrés.

Mannheim Multihalle
La première réalisation remarquable est l'œuvre de Frei Otto, un génie des structures légères que l'on
retrouvera maintes fois dans cette étude. Pour être tout à fait exact, l'architecte était Carlfreid Mutschler, le
bureau d'ingénierie Ove Arup & partners avec Ted Happold comme chef de projet, et Frei Otto était le
concepteur de la forme-structure. Il avait déjà employé le procédé mais à échelle beaucoup plus modeste.
Avec la Mannheim Multihalle construite en 1975 on passe dans une autre dimension: 7400 m² couverts, une
longueur maximale de 160 m, une largeur maximale de 115 m, une portée maximale de 85 m, une hauteur
maximale de 20 m pour un poids de seulement 14 kg/m². La structure est constituée d'un double réseau de
longue lattes de bois de 5x5 cm et le tout est recouvert d'une membrane transparente en polyester.

Cette Multihalle de Mannheim était conçue au départ comme un bâtiment temporaire pour une exposition
horticole. Plus de trente ans après elle est toujours debout. Comment expliquer alors que le procédé n’ait pas
fait école? C’est que derrière la relative simplicité de la construction se cachent quelques grandes difficultés.

D’abord il n’est pas si facile de sélectionner du bois de qualité adéquate et de l’abouter en très longues lattes
de plusieurs dizaines de mètres de long assez solides et assez flexibles pour prendre la courbure voulue sans
se briser ni se fendre.

Ensuite la conception de la forme est extrêmement


complexe dès que l’on s’éloigne un tant soit peu de la
simple calotte. Et la Multihalle de Mannheim est en effet
d’une grande complexité. De l’extérieur on dirait une
succession de collines.

De
l’intérieur on a une incroyable sensation d’espace
(renforcée par la couverture transparente) et de fluidité avec
des variations incessantes de courbure, d’inclinaison et de
hauteur de la coque.

Pour concevoir cette forme, Frei Otto a procédé par étapes.


Il a d’abord travaillé sur des maquettes au 1/100 constituées
d’un réseau de câbles (un câble pour trois lattes) en
exploitant l’idée d’une surface funiculaire qui par inversion donne une coque parfaite.

dans
http://elib.uni-
stuttgart.de/opus/volltexte/2001/761/pdf/wendland.pdf

Après de nombreux tests et ajustements, notamment pour modifier les zones où des rayons de courbure trop
faibles auraient entraîné la rupture des lattes, la maquette a servi de base à une modélisation numérique pour
une étude plus poussée du comportement de la structure. À partir de là ont été calculés précisément la
longueur de chaque latte et son positionnement. Une fois tout ce travail de conception accompli, le reste
devenait simple et rapide: montage du treillis au sol, déformation, fixation. Encore fallait-il parvenir à
franchir la première étape! À suivre ce résumé, on comprend qu’il ait fallu attendre 25 ans pour voir l’idée
reprise pour une autre grande réalisation.

Downland

À Downland en Grande-Bretagne a été construit récemment un bâtiment original abritant le centre national
d’études et de conservation des bâtiments traditionnels à ossature bois. Si le bâtiment en question se devait
d’être en bois, les promoteurs ont choisi d’innover pour montrer le dynamisme de la filière. Au lieu d'une
structure traditionnelle, ils ont opté pour la coque en treillis proposée par le cabinet de l'architecte Edward
Cullinan avec l'assistance du cabinet d'ingénierie Buro Happold. La présence de ce dernier n'est pas un
hasard puisqu'il a été fondé par Ted Happold, lequel a collaboré sur de nombreux projets avec Frei Otto,
dont la Multihalle de Mannheim. Le résultat est une courbe continue qui dessine trois bulbes, une belle
forme ondulante en harmonie avec les collines environnantes. Avec ses 48 m de long, ses 16 m de largeur
maximale, et ses 11 m de hauteur, la structure pèse seulement 6 tonnes. Elle est constituée de 6000 m de
lattes en chêne de 5x3,5 cm assemblées en un double réseau superposé à mailles carrées de 1 m qui au sol
forme approximativement un rectangle de 30 m sur 52. La série de photos suivante montre bien les étapes de
la construction:
http://www.burohappold.com

Avec des rayons de courbure allant jusqu’à 6 m et des lattes mesurant jusqu’à 50 m, beaucoup d’efforts ont
porté sur leur fabrication: sélection du bois, choix de la colle, conception des connecteurs pour éviter de faire
des trous qui affaibliraient les lattes, etc.

De grands efforts ont été faits également pour modéliser le comportement de la structure. Car il fallait
respecter les normes de construction en vigueur pour un bâtiment permanent destiné à accueillir du public.

Pishwanton

Dans la foulée mais à l’opposé de ce projet ambitieux les britanniques nous ont gratifiés récemment d’une
autre structure en coque à treillis de bois. Il s’agit cette fois d’une simple calotte posée sur une base
hexagonale maçonnée de 9 m de diamètre. Elle a été conçue en 2002 par l’architecte Christopher Day pour
un centre anthroposophique situé à Pishwanton. L’idée était de la réaliser en autoconstruction avec autant
que faire se peut des matériaux locaux: lattes en mélèze (encore vert pour la flexibilité) de 3,5x2,5 cm de
section et 3 m de long aboutées pour atteindre 12 m; treillis carré de 60 cm fait de deux couches de lattes;
une coque consolidées par trois couches croisées de planches vissées pour que le bâtiment supporte le poids
d’une toiture végétale.
images David Tasker dans
http://vs2.i-dat.org/fourthdoor/index.html

Il y a à mes yeux une incohérence entre la réalisation de la coque selon un principe de légèreté et le résultat
final renforcé de trois couches de planches pour supporter des tonnes de terre. Mais c’est leur problème et
tout ce qui compte ici c’est de constater que le principe est utilisable en autoconstruction sans avoir recours à
des modélisations poussées. À condition de savoir se contenter d’une simple calotte.

du bois au carton

En guise de conclusion sur les réseaux en treillis, citons l'expérience originale de Shigeru Ban pour le
pavillon japonais de l'exposition universelle de Hanovre. Il voulait une forme naturelle et une structure
légère dont tous les éléments soient recyclables. Ayant déjà travaillé avec des tubes en carton, l'idée d'un
réseau en treillis avec de tels tubes s'est vite imposée. Il s'est rapproché de Frei Otto et de Buro Happold qui
l'ont aidé. La forme en trois bulbes ressemble un peu à celle de Downland. Elle fait 16 m de hauteur et
couvre 3600 m². Elle n'a pu être conçue que par ordinateur. Le réseau consiste en 440 tubes en carton de
12 cm de diamètre et 40 m de long.

L'expérience consistant à employer du carton est originale mais encore limitée : d'une part par le fait qu'il a
tout de même fallu recourir à des renforts en bois sinon la structure ne respectait pas les normes; d'autre part
parce que tout a été démonté à la fin de l'exposition et qu'on ne peut donc rien tirer du comportement d'une
telle structure sur une plus longue durée. Saluons toutefois l'esprit d'innovation.

les dômes géodésiques

éléments rigides

L’autre direction prise par les assemblages non hiérarchisés conduit à préférer des éléments plus courts et
rigides au lieu de longs et flexibles. L’idée cette fois est de concevoir des surfaces susceptibles d’être pavées
par des triangles, avec pour avantages:

+ l’emploi de petits éléments quasi identiques (bambou, tubes d’acier, d’aluminium, etc.) facilitant la
fabrication et le transport;
+ une structure facile à monter et à démonter si les connecteurs sont bien conçus, à l’instar d’un
échafaudage,

+ avec du personnel peu ou pas qualifié.

L’idée de telles structures s’est progressivement élaborée autour de 1900. À la fin des années 30, plusieurs
brevets ont été déposés pour des systèmes de connexion. Mais c’est surtout avec la construction des dômes
géodésiques, culminant en 1967 avec la remarquable réalisation pour l’exposition universelle de Montréal,
que ce principe structurel touche le grand public.

Montréal 1967

Bien que les premiers dômes géodésiques remontent aux années 1940, le monde les a véritablement
découvert en 1967 à l’occasion de l’exposition universelle de Montréal.

Une énorme boule de plus de 80 mètres de diamètre donnant paradoxalement une impression de
transparence et de légèreté. Une sorte d’OVNI venu se poser là en douceur. Une architecture de circonstance
en cette ère triomphale où les hommes s’apprêtaient à poser le pied sur la Lune. Des américains pour être
exact. Car ce dôme était le leur. À l’intérieur s’élevait un immeuble de six étages exposant ce que
l’Amérique elle-même jugeait comme le summum de son inventivité: gadgets technologiques, œuvres d’art,
jusqu’au programme spatial Apollo. Mais le meilleur témoignage de la réussite américaine était peut-être le
dôme lui-même:

+ une boule correspondant aux 3/4 d’une sphère de plus de 80 mètres de diamètre, haute comme un
immeuble de 20 étages;

+ 600 tonnes seulement;

+ une structure en deux couches espacées d’environ un mètre faite de tubes d’acier soudés de 9 cm
de diamètre (il avait été prévu de les boulonner mais pour des raisons d’économie les tubes ont été
soudés, rendant la structure indémontable);

+ une couverture de 1900 panneaux d’acrylique.

Succès assuré: 5,3 millions de visiteurs en 6 mois.

En 1976, à l’occasion de travaux de maintenance, un incendie s’est déclaré qui a détruit toute la couverture
sans affecter la structure. Rebaptisée Biosphère, elle abrite aujourd’hui un centre d’information écologique.
Buckminster Fuller

Cette remarquable réalisation est due à Buckminster Fuller (1895-1983). On ne saurait le qualifier
d’architecte à proprement parler. Sa démarche était beaucoup plus ambitieuse: embrasser le fonctionnement
de l’univers, dévoiler les principes de régénération qui selon lui l’organisent et le réorganisent
continuellement à toutes les échelles, et en tirer des application pratiques, notamment en architecture. Sa
pensée est complexe, parfois un peu outrée, mais il a le mérite de l’avoir passée au crible de l’expérience.
Cela n’a pas toujours réussi, mais ce qu’il en reste n’est pas moins remarquable. Relevons quelques unes de
ses idées maîtresses sur lesquelles s’appuient ses réalisations.

Fuller a une approche véritablement cosmique dans la mesure où, pour lui, ce sont les mêmes principes qui
gouvernent l’organisation de la matière à toutes les échelles, des atomes au système solaire en passant par les
êtres vivants. Par conséquent une architecture sensée doit suivre les mêmes règles qu’il synthétise sous la
dénomination synergetics pour synergetic-energetic geometry. Cela signifie d’une part que toute structure
naturelle tend d’elle-même vers un état d’énergie minimale (principe bien connu en physique qu’il
généralise), et d’autre part que son évolution se fait de manière synergique, c’est-à-dire que le comportement
de l’ensemble n’est pas réductible à celui de ses éléments constitutifs (d’autres à la même époque
employaient plutôt le vocable systémique). Tirant le fil de sa réflexion, il parvient à cette compréhension des
jeux de force dans la matière:

“La compression est une ˝réalité centrale˝ ŕ laquelle on aime se référer, et cette réalité est considérée comme
universellement étendue. On doit maintenant casser cette habitude et apprendre à jouer le jeu de la nature où
la tension est première et explique la cohérence de l’ensemble. La compression est pratique, très pratique,
mais toujours secondaire et discontinue." (cité dans http://www.redskyshelters.com/index.html, traduction
personnelle)

Cette mise en avant de la tension le conduira, entre autres, à élaborer avec Kenneth Snelson le concept
révolutionnaire de tenségrité (tensegrity en anglais pour tensional integrity) que l’on étudiera dans le
chapitre suivant.

Ajoutons que Fuller avait avant l’heure une pensée que l’on qualifierait aujourd’hui d’environnementale. Il
était parfaitement conscient du poids exagéré que fait peser l’homme sur la Nature. Donc conscient
également du poids que l’architecture fait peser sur les ressources. De là une aspiration à des bâtiments plus
légers, tout en étant autant sinon plus résistants que les ouvrages massifs grâce à la meilleure compréhension
des principes structuraux permise par sa métaphysique. Dans ce domaine il s’est confronté avec succès à la
matière. Preuve en est que les plus grands dômes construits avant l’ère moderne, St Pierre de Rome et le
Panthéon de Paris, pèsent aux environs de 15 000 tonnes pour un diamètre de 50 mètres, tandis qu’un dôme
géodésique de même diamètre construit par Fuller pèse mille fois moins!

géodésiques

Comme le suggère ce dernier exemple, le dôme géodésique se veut une application de ces conceptions à
l’architecture. Cela ne s’est pas fait sans quelques essais et erreurs.

Mais pour bien comprendre de quoi il s’agit commençons par revenir sur la dénomination elle-même. En
géométrie, on appelle géodésique d’une surface la ligne la plus courte qui, sur cette surface, joint deux
points. On en a tous l’expérience sans avoir besoin de connaître la géométrie ni son vocabulaire. Par
exemple chaque fois que l’on essaie de ficeler un paquet informe. Quand, après pas mal d’efforts, on croit
être parvenu à un résultat satisfaisant et que l’envie nous prend de secouer un peu le paquet pour vérifier que
tout tient bien, c’est la catastrophe, les ficelles semblent se détendre d’un coup. En fait elles ne se détendent
pas, elles trouvent d’elles-mêmes leur vraie place, les chemins les plus courts, autrement dit les géodésiques.
Dans le cas d’une surface sphérique, les géodésiques sont tout simplement des ˝grands cercles˝, c’est-ŕ-dire
que le trajet le plus court entre deux points quelconques A et B est l’arc de cercle qui a pour centre le centre
de la sphère, pour rayon le rayon de la sphère, et qui passe par A et B:

Fuller interprète les géodésiques comme des chemins d’énergie et de durée minimales. D’où l’idée de
réaliser des sphères, qualifiées donc de géodésiques, à partir d’un certain nombre de tels grands cercles
arrangés de manière qu’ils se croisent en formant des triangles. Si cette idée à l’air séduisante d’un strict
point de vue géométrique, elle s’avère en pratique peu efficace. Problème de matériaux pour réaliser les
cercles, mais surtout problèmes structuraux: les triangles que forment les géodésiques en se croisant et qui
sont supposés donner sa tenue à la structure ont des dimensions fort inégales, d’où une mauvaise répartition
des efforts.

triangulation de la sphère

Suite à ces premiers essais mitigés datant de la fin des années 40, Fuller a l’idée de revenir au triangle, plus
précisément au triangle équilatéral qui constitue déjà une structure optimale. S’il est possible de réaliser une
structure en assemblant uniquement de tels triangles identiques, on sera assuré de sa résistance grâce à une
répartition régulière des efforts. Restant fixé sur la forme du dôme, sans doute parce que la sphère est
également une forme optimale dans son système, la question devient: comment approcher au plus près la
surface d’une sphère avec des triangles équilatéraux identiques? Le problème a été résolu il y a longtemps
déjà, dès l’Antiquité en fait. Dans un espace euclidien tridimensionnel, il n’y a que trois polyèdres de ce
genre qui s’inscrivent parfaitement dans une sphère:

1. le tétraèdre formé de 4 faces triangulaires équilatérales identiques, avec 4 sommets et 6 côtés:

2. l’octaèdre formé de 8 faces triangulaires équilatérales identiques, avec 6 sommets et 12 côtés:


3. l’icosaèdre formé de 20 faces triangulaires équilatérales identiques, avec 12 sommets et 30 côtés:

Ces figures appellent quelques remarques:

En remplaçant l’arc par la corde (ici le côté d’un triangle) pour dessiner la forme, on n’est plus à proprement
parler sur une géodésique de la sphère. Mais pour Fuller l’essentiel est préservé dans la mesure où la corde
étant plus courte que l’arc elle constitue en quelque sorte un raccourci encore plus économique. De là sans
doute que l’appellation géodésique ait été préservée.

D’autre part, il est clair que plus le nombre de triangles augmente, plus la forme est proche de la sphère
circonscrite. D’où l’idée d’augmenter encore leur nombre, à la fois pour coller au plus près de la sphère et
pour augmenter la solidité en travaillant avec des éléments plus courts (rappelons que la résistance d’une tige
au flambage est inversement proportionnelle au carré de sa longueur).

L’augmentation du nombre de triangles se fait en deux étapes.

Première étape: chaque triangle est subdivisé en triangles équilatéraux plus petits et identiques. C’est une des
propriétés du triangle équilatéral de pouvoir se partitionner aussi facilement en figures similaires:

En divisant chaque côté en 2 parties égales par une ligne parallèle à un autre côté, on obtient 4 petits
triangles équilatéraux identiques. On dit qu’on est à la fréquence 2. En le divisant en 3 avec deux lignes
équidistantes et parallèles à un autre côté, on obtient 9 petits triangles équilatéraux identiques. On parle de
fréquence 3. Et ainsi de suite, on obtient 16 triangles à la fréquence 4, 25 à la fréquence 5 etc.
On remarque que tous ces nouveaux triangles sont situés en-dehors de la sphère. D’où la seconde opération
qui consiste à les ramener sur la sphère. La figure suivante montre le processus pour un triangle de fréquence
2:

Voici le détail de la procédure:

1. le triangle équilatéral ABC est partitionné en 4 triangles équilatéraux identiques: Abc, aBc, abC et
abc;

2. les points a, b et c sont ramenés sur la sphère, précisément: a se projette en a’ sur l’arc géodésique
BC, b se projette en b’ sur l’arc géodésique AC, c se projette en c’ sur l’arc géodésique AB;

3. en fin de compte la structure se compose des triangles Ab’c’, a’Bc’, a’b’C et a’b’c’ dont tous les
sommets se trouvent sur la sphère.

Ces opérations peuvent être effectuées sur n’importe lequel des polyèdres réguliers ci-dessus, le tétraèdre,
l’octaèdre ou l’icosaèdre, et pour n’importe quelle fréquence. Le choix dépend notamment du type de dôme
que l’on souhaite réaliser, en particulier du plan de coupe, car on ne construit jamais une sphère entière mais
un hémisphère ou 3/8 de sphère ou 5/8 etc.

Pour un diamètre de sphère donné, on choisit la fréquence de manière à obtenir une longueur de tige
appropriée. À titre d’exemple, la majorité des dômes géodésiques qui servent d’habitations et qui ont entre 5
et 10 mètres de diamètre emploient des tiges de 2 à 2,5 mètres de long et sont construits sur un icosaèdre de
fréquence 3. Voici à quoi ressemble un tel dôme coupé à 5/8 de sphère:

Il est important de remarquer que la seconde opération, celle par laquelle les sommets des nouveaux
triangles sont ramenés sur la sphère, leur fait perdre leur équilatéralité. Du point de vue esthétique, cela ne
fait guère de différence. Du point de vue des ouvriers qui fabriquent et assemblent les tiges, cela demande un
peu d’attention.

Les calculs pour connaître le nombre et la longueur des différentes tiges ne sont pas très difficiles. D’ailleurs
il existe des tables et même des petits logiciels de simulation qui donnent toutes les valeurs utiles en fonction
du polyèdre de départ, de la fréquence, et de la position du plan de coupe. Voici à titre d’exemple les
longueurs des tiges pour un dôme géodésique sur base d’icosaèdre de fréquence 2, en partant de R le rayon
du cercle circonscrit:

1. longueur des arêtes Ab’, b’C, Ca’, a’B, Bc’ et c’A: 0,5465xR;

2. longueur des arêtes a’b’, b’c’ et c’a’: 0,6180xR;

procédés constructifs

Des milliers de dômes géodésiques ont été construits à ce jour, de toutes tailles et avec des matériaux divers.
Pour les tiges: tubes d’acier, d’aluminium, de PVC, tiges en bambou, en bois de charpente, etc. Pour les
connexions: soudures, connecteurs métalliques avec tiges boulonnées, connecteurs bois avec tiges
boulonnées, clouées ou vissées, tiges attachées, etc. Bref, il y a autant de procédés constructifs que de
constructeurs. Je ne rentrerai donc pas davantage dans les détails.

Retenons surtout que la conception d’une telle structure la rend extrêmement résistante, même avec des
matériaux qui peuvent paraître de prime abord trop légers. Lorsqu’un effort s’exerce quelque part, il se
diffuse partout par tension de certains éléments et compression d’autres, et ce faisant il se dilue, se disperse
en quelque sorte. On ne compte plus les dômes construits dans le sud-est des États-Unis qui ont résisté à des
ouragans.

Une remarque supplémentaire cependant.

On appelle angle axial l’angle que fait une tige avec le rayon:

On voit que pour une longueur de tige donnée, cet angle augmente avec le rayon (pour les amateurs:
cosA=L/2R). Quand on conçoit une grande structure, vient le moment où cet angle est si proche de l’angle
droit qu’elle perd toute résistance. La raison en est assez facile à comprendre.

Prenez trois tiges identiques (trois crayons, trois manches à balais, trois tubes PVC, etc.). Fixez-les
solidement ensemble par une extrémité (plusieurs tours de ruban adhésif peuvent convenir). Reliez les autres
extrémités par une ficelle.

Premier essai (figure de gauche): ajustez la longueur de la corde de façon que, posée au sol, la structure
forme quasiment un tétraèdre. Appuyez fortement sur le sommet: pas de doute, c’est du solide (on fait des
petits tabourets de voyage comme ça). Deuxième essai (figure de droite): déroulez la corde pour rapprocher
le sommet du sol. Appuyez une nouvelle fois sur le sommet. Vous constatez qu’une faible force suffit pour
effondrer la structure (c’est pour la même raison qu’un parapluie ou un parasol se retourne si facilement).

Pour réaliser des dômes géodésiques de grand diamètre, l’idée consiste à construire deux structures
parallèles et à les relier entre elles. Il y a plusieurs variantes dont voici la plus simple:

Les deux couches sont analogues et conçues selon les principes ci-dessus. Elles sont légèrement écartées
l’une de l’autre, et légèrement décalées de sorte que le sommet d’un triangle appartenant à la première
couche est en regard du centre d’un triangle appartenant à l’autre couche. Les deux couches sont reliées par
un réseau tétraédrique c’est-à-dire que chaque sommet d’une couche est fixé par des tiges à trois sommets de
l’autre couche.

On voit en haut un fragment de la première couche (numérotée 1), en bas un fragment de la seconde couche
(numérotée 2), et les liaisons entre les deux.

Voici une autre possibilité pour un dôme géodésique construit sur un double maillage hexagonal et non plus
triangulaire. Plus précisément, la couche extérieure est hexagonale et la couche intérieure est formée
d’hexagones et de triangles, ces derniers étant nécessaires pour rendre l’ensemble indéformable. Cette
structure a l’avantage de donner une plus grande sensation d’ouverture même si elle est plus complexe à
réaliser:

Simon Burt, Apex Photo Agency,


dans
http://science.howstuffworks.com/eden3.htm

autoconstruction

Les dômes géodésiques sont devenus très populaires dans les années 70, surtout aux États-Unis et plus
particulièrement dans les milieux dits de la contre-culture. Plusieurs raisons à cela:
+ ils constituent une alternative viable à la ˝maison carrée˝,

+ ils sont relativement faciles à réaliser en autoconstruction, du moins jusqu’à une dizaine de mètres
de diamètre soit environ 70 m² au sol,

+ ils sont économiques à construire (certains sont même faits avec du bois de palettes) et
économiques à l’entretien,

+ ils sont agréables à vivre, donnant à l’intérieur une belle sensation d’espace (à condition de ne pas
s’acharner à le partitionner pour refaire dedans des pièces carrées).

Ce succès ne se dément pas puisqu’on trouve aujourd’hui rien qu’aux États-Unis une quarantaine de
constructeurs officiellement répertoriés plus quelques uns au Canada, sans compter tous les auto-
constructeurs. Un exemple de réalisation en bois:

http://www3.sympatico.ca/geodome/index-
fr.htm

Soyons justes, le dôme géodésique n’a pas que des avantages, en particulier:

– si la structure est relativement facile à réaliser, la couverture pose plus de problèmes car il faut
fermer des espaces triangulaires qui de surcroît forment entre eux des angles pas ordinaires: les fuites
ne sont pas rares;

– difficile également de faire rentrer dans ces espaces triangulaires des portes et des fenêtres de
formes rectangulaires conçues pour des maisons parallélépipédiques;

– impossible d’apporter des modifications, de faire des extensions, sauf à construire autre chose à
côté;

– à de légères variations près, c’est toujours la même forme.

Cette forme de dôme est certes intéressante, son volume et sa rondeur étant plus attractifs que les boîtes
parallélépipédiques. Mais si c’est pour remplacer toutes ces boîtes par de telles structures géodésiques, faire
des villages, des villes entières de dômes, je ne vois pas l’intérêt. Le dôme n’a de sens que comme une forme
possible parmi d’innombrables autres.

conclusions
D’une part, les grandes réalisations comme le dôme de Montréal (toujours debout malgré un incendie) ou
plus récemment l’Eden Project en Angleterre (qui sera détaillé dans la quatrième partie) prouvent la validité
du concept d’assemblages non hiérarchisés. On dispose maintenant de suffisamment de recul pour être
certain que, bien que très légères, ces structures sont extrêmement résistantes.

D’autre part, la réappropriation du concept par d’innombrables autoconstructeurs prouve qu’au niveau de
monsieur et madame tout-le-monde aussi une alternative est possible aux principes constructifs traditionnels
que sont les empilages et les assemblages hiérarchisés. Il est intéressant de remarquer que cela s’est fait tout
seul, complètement en-dehors des circuits traditionnels de la construction, sans l’aide des architectes ni des
maçons. Simplement par des gens aspirant à un nouvel art de vivre et qui osent franchir le pas, séduits par la
forme, le procédé, et par la possibilité d’habiter autrement l’espace.

la tenségrité

séparer tension et compression

Nous avons vu deux manières de construire des structures non hiérarchisées, d’une part avec des tiges
longues et flexibles aboutissant aux coques en treillis, d’autre part avec des tiges plus courtes et rigides
aboutissant aux dômes géodésiques. Avons-nous fait le tour de la question? Peut-être pas. Il y a encore une
piste à explorer, moins immédiate. Souvenons-nous de la possibilité de séparer dans une poutre la partie
travaillant principalement en compression de celle travaillant exclusivement en tension. Eh bien l’idée serait
d’étendre le procédé à l’ensemble de la structure et plus seulement à un élément. Cela aboutirait à relier les
tiges entre elles par des câbles au lieu de les fixer ensemble à l’aide de connecteurs. Un niveau
supplémentaire de simplification donc, du moins au niveau conceptuel.

Est-ce possible? Peut-on effectivement concevoir des structures qui seraient en quelque sorte réduites à leur
plus simple expression: des tiges rigides tenues par un réseau de câbles tendus? Avantages: une grande
économie de moyens et des matériaux employés à l’optimum de leurs possibilités. Notons que cela
entraînerait la disparition des efforts de torsion particulièrement dommageables aux structures rigides,
notamment au niveau des connexions, qu’elles soient d’ailleurs hiérarchisées ou non. Plutôt que nous
plonger dans de savantes considérations théoriques, essayons plutôt de réaliser une telle structure.

le simplex

Une seule tige ne permettant pas de faire grand chose sinon un piquet ou un mât démarrons d’emblée avec
deux et voyons où cela nous mène.

Amusez-vous à manipuler deux crayons, vous comprendrez vite que la seule possibilité de faire une structure
qui tienne est de les fixer en croix. Combien de manières de faire? Ou bien on les attache au point de
croisement, ou bien on les relie par leurs extrémités avec quatre câbles.
Remarquons que si l’on tend bien les câbles l’ensemble est géométriquement indéformable sans qu’il soit
besoin de fixation supplémentaire à l’endroit où les deux tiges se croisent. C’est une structure complètement
triangulée.

Voilà qui est déjà intéressant mais toute de même limité car au fond ce n’est qu’un rectangle que l’on a
fabriqué. Une autre limite est l’apparition possible de déformations (si les câbles sont trop tendus par rapport
à la flexibilité des tiges) qui font sortir du plan du fait que les tiges se croisent (flèches sur le schéma).

Voici peut-être un moyen de dépasser ces limites. Laissant B et D fixes et détendant les autres câbles, on fait
pivoter A et C dans des directions opposées (ici A va vers l’avant et C part en arrière). Ainsi l’on sépare les
deux tiges et du même coup on déploie la figure dans un espace à trois dimensions:

Le problème maintenant est que les tiges tombent si on ne les retient pas d’une manière ou d’une autre.
Quels câbles ajouter pour qu’elles tiennent?

Faisons deux petites expériences en aparté pour essayer de comprendre ce qui se passe dans ce genre de
situation où une tige est tenue pas un câble.

Première expérience:

La tige est posée verticalement par terre (posée et pas plantée) et elle est maintenue droite par un câble. Une
extrémité du câble est fixée au sol par un piquet. Question: où doit être fixée l’autre extrémité pour que ça
tienne? En X au-dessus du sol, en Y au niveau du sol dans l’alignement du premier piquet et du pied de la
tige, ou en Z au-dessous du niveau du sol? Réponse: X.

Deuxième expérience:

Dans cette variante la tige est inclinée latéralement par rapport à l’axe du câble. Même question: où faut-il
fixer la seconde extrémité du câble pour que la tige ne tombe pas? En X du côté opposé à l’inclinaison, en Y
sur l’axe, ou en Z du côté de l’inclinaison? Réponse: X.

Revenons à notre problème. En ajoutant deux câbles fixés au sol comme ceci, on arrive à la faire tenir:
Maintenant imaginons que nous glissions une troisième tige entre les deux précédentes. Il doit être possible
de faire tenir l’ensemble si: d’une part cette troisième tige est suffisamment longue pour que, une extrémité
étant attachée en A et l’autre en C, cela ‘tire’ bien des deux côtés; d’autre part, on relie E et F à D et B à la
fois pour tirer la tige vers le bas et pour remplacer la liaison DB:

Concrètement:

Cet objet bizarre est appelé simplex. Bien que simple comme son nom l’indique, il est déjà intéressant.
D’abord parce qu’il montre qu’il est effectivement possible de réaliser une structure tridimensionnelle faite
d’éléments en compression qui ne se touchent pas enserrés par un réseau de câbles en tension.

Ceci étant, sa simplicité n’est qu’apparente car il n’est pas si facile à concevoir, on vient de le voir: une
excellente capacité de visualisation dans l’espace ainsi qu’une bonne appréhension des forces en jeu sont
exigées.

Il n’est pas non plus facile à réaliser: d’une part parce tant que tout n’est pas en place la structure ne tient pas
(ce qui implique après coup que si un élément lâche, tout lâche: coupez un câble et voyez ce qui se passe…);
d’autre part parce qu’il n’est pas aisé de fixer tous ces câbles tout en ajustant à la fois leur longueur et leur
tension pour que chaque tige soit précisément positionnée. Et encore n’avons-nous ici que 3 tiges et 9 câbles,
imaginez ce que ça doit être quand on augmente leur nombre!

Remarquons encore:
+ c’est quasi magique, la structure prend forme en fixant le dernier câble; ce qui n’était qu’un tas de
tiges et un embrouillamini de câbles devient subitement une structure tridimensionnelle: étonnant!

+ c’est quasi magique, la structure tient toute seule alors que les tiges ne se touchent pas, qu’elles
semblent flotter dans l’air: fascinant!

+ la structure acquiert sa rigidité en tendant bien les câbles; s’il n’y a pas suffisamment de tension,
elle se déforme à la première sollicitation voire sous son propre poids; c’est comme si elle était
d’autant plus solide qu’elle emmagasinait plus de force (dans les limites permises par la résistance
des matériaux évidemment);

+ ici, chaque extrémité est reliée à trois autres, ce qui fait en tout neuf câbles; il aurait été possible
d’en mettre plus, jusqu’à douze; une telle redondance pourrait s’avérer utile dans certains cas; mais
elle n’est pas si facile à réaliser; le problème est que, du fait que la structure n’est plus optimale, une
surtension dans un câble n’est pas forcément transmise à tous les autres; peuvent se produire des
comportements inattendus comme des relâchements ici ou là.

Je vous encourage à faire vos propres expériences avec le simplex pour mieux appréhender comment marche
une telle structure. Les structures plus complexes ne sont guère que des variations de celle-ci.

définition

Les spécialistes se disputent la paternité de ce principe structurel. Citons:

- les structures tendues et autotendantes ou les réseaux autotendants de George Emmerich (1925-
1996),

- les sculptures en floating compression de Kenneth Snelson (1927-),

- la tensegrity de Buckminster Fuller (1895-1983), contraction de tensional integrity.

Tout ça date à peu près de la même époque, autour de 1950, et correspond à peu près à la même chose.
Finalement c’est le terme tensegrity qui a prévalu, francisé en tenségrité pour tension et intégrité.

Esquissons une définition, inspirée de René Motro, directeur du laboratoire de génie civil de Montpellier et
spécialiste de la tenségrité: système stable autoportant, constitué d’un ensemble discontinu d’éléments en
compression à l’intérieur d’un réseau continu d’éléments en tension. Développons:

système

Une structure en tenségrité est un système dans la mesure où le comportement de l’ensemble n’est pas
réductible aux comportements de ses seuls éléments. C’est le propre en fait de toute structure non
hiérarchisée. Cela signifie entre autres que connaître la résistance des éléments ne permet pas de connaître de
manière immédiate la résistance de la structure (d’où des problèmes lors de la conception). Dans une
structure hiérarchisée au contraire, la connaissance de la résistance des poutres primaires suffit pour
connaître la résistance de l’ensemble du bâtiment.

stable

La structure est stable dans la mesure où elle retrouve son équilibre après une perturbation. Prenez un
Simplex et appuyez dessus. Il se déforme par élasticité des câbles. Relâchez l’effort, il reprend sa forme.

Notons en passant que la structure absorbe les efforts en se déformant (l’ampleur de la déformation étant
inversement proportionnelle à la tension régnant initialement dans le réseau de câbles et proportionnelle à
l’élasticité du matériau dont sont faits les câbles). D’où certaines difficultés s’il faut la fermer. Il faut
recourir à une couverture susceptible elle aussi de se déformer dans les mêmes proportions, soit sous forme
d’une membrane élastique, soit sous forme de petits panneaux rigides assemblés en écailles pour rester
mobiles les uns par rapport aux autres.

autoportant

Cela signifie que la structure tient toute seule, que sa forme et son intégrité ne dépendent ni de sa liaison
avec le sol (pas besoin de points d’appuis au sol pour dessiner la forme) ni de la gravité (la structure peut
sans déformations être soulevée, retournée, déplacée…). Elle garde d’ailleurs la même forme en apesanteur.
D’où son intérêt pour des structures spatiales, surtout combiné au fait que certaines peuvent être rendues
déployables (il suffit de réaliser une structure prémontée avec les câbles complètement détendus et de
prévoir un système qui les raccourcit jusqu’à la longueur adéquat puis les met en tension).

séparation tension-compression

Les efforts de compression sont entièrement localisés dans des éléments disjoints les uns des autres. Ceux-ci
sont reliés par un réseau continu d’éléments en tension. De ce fait, toute modification locale de tension est
immédiatement répercutée dans tout le réseau. Ceci est compensé par un accroissement de compression dans
certaines tiges. C’est ainsi que la structure réagit globalement aux efforts. Cela la rend particulièrement
résistante. En contrepartie il est très difficile de prévoir précisément son comportement. Il y a aussi
l’inconvénient que la rupture d’un élément a forcément des répercussions sur l’ensemble. Mais notons à ce
propos: 1. on sait faire aujourd’hui des éléments extrêmement résistants à la tension; 2. les éléments
subissant la compression sont courts, donc les risques de flambage réduits; 3. il est possible d’introduire un
certain degré de redondance, même si ce n’est pas facile à calculer.

Insistons à nouveau sur l’énorme différence de comportement entre structures hiérarchisées et non
hiérarchisées. Les premières sont conçues pour canaliser progressivement vers le sol les efforts à travers des
éléments de plus en plus résistants qui reçoivent de nombreux ruisselets de forces en provenance des niveaux
hiérarchiques supérieurs. Tandis que dans les secondes, les forces sont dispersées comme dans un réseau
dense de capillaires, pour finir en partie absorbées de manière élastique et en partie évacuées dans le sol.

intérieur en compression dans une gaine en tension

Les petites expériences réalisées plus haut permettent de comprendre que la structure ne tient que si tous les
éléments en compression sont situés à l’intérieur d’une enveloppe d’éléments en tension. C’est cette
enveloppe qui délimite la forme. S’il s’agit d’un bâtiment qui demande à être fermé, c’est sur cette
enveloppe que prendra appui la couverture. Et comme elle a une certaine élasticité, on retrouve la nécessité
d’une couverture capable de se déformer également.

art vs. architecture

Si l’on sait réaliser un élément tel que le Simplex, on se doute qu’il est possible de concevoir des formes
beaucoup plus complexes. Par exemple cette figure dérivée du tétraèdre:
C’est une bien jolie forme dira-t-on mais est-il réellement possible de se servir d’un tel principe structural
pour construire des bâtiments? C’était l’ambition avouée de Fuller. Il faut reconnaître que ses tentatives
n’ont hélas pas abouti. Il aurait voulu en particulier faire des dômes géodésiques en tenségrité. Ses échecs
l’ont contraint à se rabattre sur des dômes réalisés uniquement avec des tiges rigides. Mais cela ne l’a pas
empêché de continuer à croire en la validité du concept et à poursuivre toute sa vie des recherches dans cette
direction.

Au contraire de Snelson, co-inventeur du concept, qui a préféré se cantonner au domaine de l’art:

"Je suis persuadé sur la base de ma longue expérience dans la construction de structures en tenségrité de
toutes formes et toutes tailles que le principe en lui-même est inapplicable à la construction de bâtiments. De
nombreux architectes et ingénieurs ont travaillé dans ce sens et continuent de le faire. Cela fait cinquante
ans. Aucun n’a prouvé que l’emploi de ce principe structurel avait le moindre intérêt dans ce domaine." (cité
dans http://www.alumnos.unican.es/uc1279/6-Applications.pdf, traduction personnelle)

Cette division perdure. À leur tour les chercheurs d’aujourd’hui se partagent entre ceux qui ne voient dans la
tenségrité que des idées inspirantes, susceptibles d’applications pratiques à condition d’être notablement
adaptées, et ceux qui croient possible d’appliquer les principes tels quels. Sans rentrer dans la dispute,
voyons ce qu’on arrive déjà à faire.

applications de la tenségrité

mâts, tours, arches

On doit à Snelson un certain nombre de tours (dont une de plus de 30 mètres de haut), arches et autres
formes intermédiaires spectaculaires qui tiennent davantage de la sculpture que de l’architecture.
http://www.kennethsnelson.net

Lorsque les câbles se confondent avec l’arrière-plan, on a vraiment la sensation d’une structure flottante,
expression chère à Snelson, ou carrément d’éléments en lévitation. Fascinant mais guère utilisable pour faire
des maisons.

dômes

Reprenant les projets de Fuller, Robert Burkhardt a conçu à la fin des années 90 un dôme en tenségrité.

Robert Burkhardt
http://www.channel1.com/users/bobwb/index.html

Le premier modèle de ce genre possède les caractéristiques suivantes:

- 5,28 m de diamètre extérieur pour 4,06 m de diamètre intérieur;

- 102 tiges de bois de 2,54 cm de section et 1,22 m de long;

- 570 câbles en nylon.

Ce dôme s’avère aussi solide et léger qu’un dôme géodésique traditionnel, plus compliqué à monter, mais
plus simple dans ses constituants puisque toutes les tiges sont identiques et qu’on se passe de connecteurs.
En revanche il semble difficile à couvrir et peu pratique en guise d’habitation.

réseau bidimensionnel
Des recherches effectuées au laboratoire de génie civil de Montpellier sous l’égide de René Motro ont abouti
à la conception d’un module de base appelé V-expander qui, répliqué un grand nombre de fois, permet de
réaliser de grandes surfaces n’ayant pas plus d’épaisseur que celle du module:

En 2000 a été réalisé selon ce principe une surface portante de 82 m² pour un poids de seulement 900 kg,
capable de supporter environ 160 kg/m² soit au total près de 13 tonnes.

bilan de la tenségrité

Les principaux avantages des structures en tenségrité sont: légèreté, stabilité, résistance. Quant aux
inconvénients: difficulté de conception, de construction, de couverture des surfaces.

Que pour le moment les inconvénients l’emportent largement sur les avantages et que les réalisations soient
très en retrait par rapport aux ambitions n’empêchent pas de considérer avec intérêt ces structures. La raison
principale en est bien sûr qu’elle vont droit au cœur du principe structurel tension/compression. Nous voilà
parvenus très loin des structures conventionnelles stabilisées par leur poids via des éléments comprimés, loin
aussi des assemblages rigides. Cela prouve au moins qu’il est possible d’envisager les structures d’une
manière radicalement nouvelle, que c’est donc un domaine largement ouvert à la recherche et à la créativité.

Quant au futur de la tenségrité, on peut l’envisager dans deux directions, toujours les mêmes.

Poursuivre les recherches dans la pure tenségrité. À force, finiront bien par émerger des géométries et des
matériaux susceptibles de réelles application pratiques. Mais il ne semble pas que ce soit pour un futur
immédiat, du moins pour le grand public (probablement plus tôt pour des applications spatiales).

Ou bien s’inspirer seulement de certains principes de la tenségrité sans souscrire totalement au dogme pour
réaliser dès à présent des structures opérationnelles. Par exemple le câble-dôme de David Geiger ou les
dômes de Shelter Systems dans lesquels les éléments en tension ne sont plus des câbles mais des membranes.
C’est pourquoi ces exemples seront détaillés dans la partie suivante consacrée justement aux architectures à
membranes.

Structures à membrane tendue.


Des tentes traditionnelles aux structures tendues modernes

Forme, structure et couverture

Avec les assemblages non hiérarchisés on a franchi une étape importante par rapport aux assemblages
hiérarchisés dans la mesure où forme et structure sont devenus indissociables. Mais les uns comme les autres
se heurtent à la difficulté de devoir recouvrir après-coup la structure. Difficulté d'autant plus grande que l'on
n'a plus affaire à de très classiques rectangles mais à des triangles et autres polygones accolés selon des
angles inhabituels, voire à des formes tarabiscotées conçues même parfois pour se déformer élastiquement.
Remarquons en passant qu'après l'incendie qui l'a détruite, la couverture du dôme de Montréal n'a pas été
remplacée. C'est maintenant une structure ouverte, le centre écologique prenant place dans un bâtiment
ordinaire construit à l'intérieur du dôme.

Un pas supplémentaire vers la simplification serait de construire avec une membrane qui assurerait toutes les
fonctions: structurelle, délimitation de la forme et couverture de protection. Essayons pour voir.

Il fait beau, quelqu'un suggère de manger dehors. Sauf que quelques délicats, trouvant le Soleil un peu fort
pour leur peau et leurs yeux sensibles, réclament une protection. Comme il n'y a pas de parasol, il faut faire
avec une simple bâche. Attachée aux quatre coins à hauteur convenable cela fournit une protection
satisfaisante. Tout le monde est content. Jusqu'à ce que survienne un petit coup de vent qui ballotte tant et
tant la membrane que l'on craint qu'elle ne se déchire. La solution est vite trouvée: tendre davantage les liens
de fixation. Miracle, l'ampleur des oscillations s'atténue aussitôt. Mais voici que se produit une nouvelle
alerte, une averse, oh pas très forte, suffisante tout de même pour qu'en quelques minutes une poche d'eau se
forme. Pas d'autre solution que de pousser par dessous avec un balai pour vider l'eau.

Pas si facile en fin de compte de construire avec une membrane. L'on sait seulement qu'elle n'a aucune tenue
et que pour lui donner à la fois une forme appropriée et lui conférer une aptitude à résister à des forces
extérieures il faut la tendre fortement entre des supports. Ceux-ci doivent être suffisamment rigides pour ne
pas se plier sous l'effort. Une véritable architecture à membrane est nécessairement une structure tendue.
Sinon on en revient à une membrane qui n'est qu'un élément de couverture venant remplir l'espace entre les
tiges ou les câbles d'un assemblage.

Les tentes

L'idée des architectures à membranes évoque irrésistiblement la tente. Après la grotte et parallèlement à la
hutte faite de branches entrecroisées c'est probablement la plus ancienne forme d'habitat humain. Une peau
attachée entre deux arbres, voilà déjà un abri, déjà un embryon de tente.
Au fil des perfectionnements, on en est arrivé à des constructions plus
élaborées qui assurent une protection correcte (selon les cas au Soleil, à
la pluie, au vent, au froid) et offrent un espace de vie suffisant pour une
famille. Bref, les tentes traditionnelles s'avèrent plutôt confortables dans
leurs contextes géographiques et climatiques respectifs, tout en étant
relativement faciles à fabriquer (facile mais long, la membrane en
particulier réclame pas mal de travail, moins tout de même que tailler
des poutres ou des pierres), à entretenir (fréquemment), à monter et à
démonter. Fortes de ces avantages, c'est à se demander pourquoi elles
restent l'apanage de peuples nomades, pourquoi les hommes en se
sédentarisant les ont abandonnées au profit de maisons en
durs. On le comprendra par la suite.

Selon le climat, les matériaux disponibles, les modes de


vie, différents modèles de tentes ont été inventés. Parmi
les plus intéressants, citons:

- le tipi des indiens des plaines américaines


‐ la yourte mongole, qui s'étend en fait jusqu'au Tibet

http://www.espace-mongolie.com/fr/vivre-dans-une-yourte.php

‐ la tente noire des gens du désert, que l'on
retrouve du Maghreb au Tibet

http://www.ethnographiques.org/document.php3?id_document=71

De ces trois modèles, seul le dernier correspond


véritablement à une architecture à membrane car il y
a interdépendance entre celle-ci, les mâts et les
câbles. Dans la yourte, on l'a vu dans la deuxième partie, la couverture de feutre n'a pas de fonction
structurale, elle est simplement posée sur une structure en bois indépendante. Idem pour le tipi qui consiste
en un simple cône fait de longues perches de bois que viennent recouvrir des peaux de bison.

Probablement originaire de Mésopotamie, la tente noire a envahi une longue et mince bande de l'Atlantique
au Tibet. Elle tient son nom de la couleur des chèvres dont les poils servent à réaliser la couverture (certains
ajoutent un peu de laine de mouton, et les tibétains quant à eux utilisent des poils de yaks). Les fibres sont
filées puis tissées grossièrement en une longue bande d'une dizaine de mètres de longueur et d'une trentaine
de centimètres de largeur. Plusieurs bandes semblables sont cousues côte à côte pour former un grand
rectangle, et un ou deux de ces rectangles servent à couvrir une tente.

Un certain nombre de perches servent quant à elles de mâts de soutien. Deux ou trois supportent la partie
centrale sommitale, d'autres les angles. Elles sont reliées par un réseau de cordes et fixées au sol par de long
haubans qui assurent un ancrage solide.

Une fois posée sur l'ossature, le poids important de la couverture (tellement qu'il faut un, voire deux,
robustes animaux pour la transporter: chameaux, dromadaires ou yaks) met en tension les câbles. La tente
prend alors sa forme définitive et acquiert sa résistance par le jeu réciproque entre le poids de la membrane,
la tension des câbles, et la compression des mâts. Par conséquent, bien qu'elle ne soit pas elle-même en
tension, la membrane est bien ici un élément de structure autant qu'un élément de forme et de protection,
contrairement à ce qui se passe dans un tipi ou une yourte.

Les tentes noires traditionnelles occupent un carré de 5 à 10 mètres de côté pour une hauteur maximale de 2
à 2,5 mètres, assez faible pour conférer un profil aérodynamique.

Le tissage est intentionnellement lâche pour laisser circuler l'air et permettre aussi l'évacuation de la fumée.
En cas de pluie, les fibres gonflent en absorbant l'eau, ce qui referme les pores et procure une certaine
étanchéité (à condition que l'averse ne dure pas trop longtemps! cette tente est plus appropriée aux régions
arides qu'aux régions pluvieuses).

Même si le bois servant à faire les mâts est rare, l'élément le plus critique de cette structure est bien
évidemment la membrane. Sa durée de vie est relativement courte, guère plus de 5 ans, et elle nécessite de
fréquentes réparations. Voilà probablement qui explique qu'elle n'ait pas survécu à la sédentarisation, surtout
lorsqu'il y a besoin de couvrir des surfaces importantes telles que granges à foin, greniers à grains, etc., bien
protégées autant des intempéries que des rongeurs.

Les voiliers

Autre précurseur des architectures à membranes, la marine à voile. Les mâts et leurs haubans, les voiles et
leurs gréements constituent tous ensemble de véritables structures tendues. On imagine qu'il suffirait de pas
grand chose pour transformer cette architecture navale en architecture terrestre, un simple basculement de la
voile de la position verticale à la position horizontale. À ma connaissance seuls les romains s'y sont essayés.
Leurs arènes et théâtres étaient fréquemment pourvus de toits de toile rétractables directement inspirés de la
marine à voile: mâts de soutien, câbles de maintien et de manœuvre, grandes toiles disposées
horizontalement pour former des dais, le tout manœuvré par d'anciens marins. De là le nom de velum, voile
en latin, donné en français à ces toits de toile.

Cette entorse à leur goût du robuste et du massif ne vient pas d'un désir d'ouvrir leurs amphithéâtres mais
plutôt de leur incapacité à couvrir d'aussi vastes espaces avec des toits en dur. Cela explique sans doute qu'ils
n'aient pas poursuivi la transposition à l'architecture des techniques de construction navale.

Vers les architectures à membrane modernes

Si vous aviez à concevoir une maison avec une membrane souple jouant un rôle structural, comment vous y
prendriez-vous? Pas facile en vérité, surtout s'il s'agit d'un habitat permanent et pas seulement d'une tente de
camping.

Pas facile de parvenir à équilibrer tensions, compressions, et forces extérieures changeantes. Quel campeur
n'a pas vu une tente s'effondrer, s'envoler ou se déchirer? Quel marin n'a pas vu une voile se déchirer, un mât
ou un hauban se casser, un navire chavirer par mer calme lors d'un simple changement de cap? La difficulté
augmente évidemment avec la dimension de l'ouvrage (disons de 40 à 200 m² pour une habitation à
comparer avec les quelques mètres carrés d'une tente de camping).

Pas facile non plus de modeler une forme de dimensions respectables qui n'accumule pas des tonnes de
neiges ou d'eau. Cf. les poches d'eau qui se forment fréquemment sur les toits des tentes de camping ou des
auvents en toile. Dans des conditions de vacances ou de transhumance on se dit que ce n'est qu'un mauvais
moment à passer. Pour un habitat permanent, c'est beaucoup moins acceptable.

Pas facile encore de trouver une membrane adéquate, à la fois résistante à la tension et durable. Les
matériaux traditionnels tels que la laine et le coton s'avèrent bien peu performants. On a tous le souvenir de
ces vieilles tentes en toile de coton qui s'avachissent et dégouttent à la première averse, qui moisissent quand
elles ne sèchent pas immédiatement, qui se décolorent et cuisent au Soleil, pour finir par se déchirer au
prochain coup de vent.

Tout bien considéré, les voiliers et les tentes ne sont pas tant des modèles pour les architectures à membrane
modernes que des retardateurs de cette révolution. Car il a fallu attendre longtemps pour qu'elle se produise.
Le tournant se situe à la fin de la seconde guerre mondiale. Il importe cependant de remarquer que ce
tournant n'est pas le produit de quelque avancée technique mais qu'il est d'abord conceptuel.

D'un part, la conception des premières formes complexes et l'évaluation des forces en jeu se sont faites sans
recourir à des modélisations mathématiques ni à des machines à calculer. Frei Otto s'est inspiré de modèles
physiques tels que bulles de savon ou poids suspendus à des réseaux de câbles.

D'autre part, les premières grandes réalisations datent d'une époque où des membranes performantes
n'existaient pas encore. Pour le pavillon allemand de l'exposition universelle de Montréal en 1967, Frei Otto
s'est servi en guise de substitut de membrane d'un réseau de câbles d'acier recouvert d'un gigantesque filet
d'acier (diamètre des brins 12 mm, taille des mailles 50 cm) recouvert à son tour d'une membrane
translucide, le tout faisant plus de 8000 m² et étant supporté par 8 mâts culminant à 38 m.

J'insiste, cette révolution est avant tout celle du sens. Les tentes nomades et les expériences des romains n'ont
pas pu se prolonger en-dehors de leurs contextes car elles n'avaient plus de sens. Idem pour la tente de
campement (des armées avant d'être de camping) dont le seul prolongement a été la grande tente de cirque
au 19e siècle pour laquelle la mobilité primait sur la durabilité et le confort. Les modernes architectures à
membrane ne sont pas nées des nécessités d'un mode de vie particulier (mobilité) ni d'avancées techniques
(nouveaux matériaux) mais d'une nouvelle aspiration:

"Nous construisons trop. Nous gaspillons l'espace, la terre, la matière, l'énergie. Nous continuons à
construire des bâtiments non naturels comme aux temps passées. Notre époque demande plus de légèreté,
d'économies d'énergie, de mobilité, d'adaptabilité, en un mot des constructions plus naturelles, sans négliger
les besoins de protection et de sécurité." (Frei Otto cité dans http://www.redskyshelters.com/index.html,
traduction personnelle)

Les pionniers

Frei Otto (1925-) est justement la personne qui a le plus contribué à cette révolution. Porté par cet élan de
créer une nouvelle architecture, il a étudié les tentes traditionnelles, les voiliers, les ballons, les cerfs-volants,
les avions; il a étudié les squelettes des vertébrés, les toiles d'araignée, les plantes, les bulles de savon; il a
réalisé d'innombrables expériences, maquettes, modèles; il a synthétisé tout ça dans de nombreuses
réalisations architecturales remarquables qui vont des coques en treillis aux structures pneumatiques en
passant par des structures à câbles tendus et à membranes tendues, sans oublier quelques ponts. Citons:

- en 1955 un kiosque à musique à Kassel qui semble aussi léger et aérien qu'un papillon;

- en 1967 le pavillon allemand (Allemagne de l'Ouest à l'époque) de l'exposition universelle de


Montréal (conçu avec Rolf Gutbrod), à comparer avec le dôme géodésique construit par Fuller pour
les USA pour le même événement;

- en 1972, inspiré du précédent, le toit du stade olympique de Munich, un réseau de câbles recouvert
d'un filet à mailles de 75 cm recouvert à son tour de panneaux en plexiglas, l'ensemble couvrant plus
de 35 000 m² et supporté par 8 mâts culminant à 76 m (avec Heinz Isler Günter Behnisch et Jurgen
Joedicke); ce n'est qu'un élément d'un gigantesque ensemble construit selon le même principe qui
couvre au total près de 75 000 m², la plus grande structure permanente du genre, et comprenant en
plus du stade la salle de gymnastique et la piscine;

- en 1975-1980 la salle de sport de l'université Abdul Aziz de Jeddah (Arabie Saoudite);

- en 2000 le pavillon japonais pour l'exposition universelle de Hanovre (avec Shigeru Ban)...

Ajoutons qu'il a fondé en 1960 l'institut des structures légères affilié à l'université de Stuttgart (Institut für
Leichtbau Entwerfen und Konstruieren, http://www.uni-stuttgart.de/ilek/ ).

Autres personnages marquants: Walter Bird, David Geiger (1935-1989) et Horst Berger (1928-). Ils ont tous
trois travaillé chez Birdair, firme fondée par le premier en 1956 et spécialisée à l'origine dans les structures
pneumatiques (voir chapitre suivant), puis les deux derniers ont fondé Geiger Berger Associates en 1968,
spécialisée dans l'intégration des structures tendues dans des bâtiments permanents. Entre autres réalisations
citons:

- en 1981 le Haj Terminal de Jeddah, 210 dais de forme conique constitués d'une simple membrane,
couvrant en tout plus de 40 hectares et capable d'abriter 100 000 pèlerins du Soleil du désert;

- en 1994 le grand hall de l'aéroport international de Denver; dans cette ville habituée à des coup de
vent violents et à de fortes chutes de neige, cette réalisation a achevé de convaincre les professionnels
et le grand public que de telles architectures ne sont pas que de jolis abris pour expositions
temporaires (même si le toit a été partiellement et temporairement endommagé par une violente
tempête en 2003).
La grande contribution de Berger a été de trouver en 1974 comment modéliser mathématiquement la forme
d'une structure tendue. Jusqu'alors il fallait se contenter de modèles approximatifs réalisés notamment avec
des films de savon. C'est ce qui a permis une explosion de formes jamais vues en architecture et des
réalisations monumentales qui ont passé avec succès l'épreuve du temps et des éléments. Mais on rentre là
dans de la cuisine technique, la vraie révolution, celle du sens, l'ayant précédée.

Florilège

Frei Otto, kiosque


http://www.freiotto.com

Frei otto, complexe olympique de Munich, 1972


http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:Olympiastadion_1.jp
g

Horst Berger, Tennessee Pavilion, 1979


galerie photos des structures tendues du NJIT
http://www-ec.njit.edu/civil/fabric

laboratoire de recherches M & G de Venafro, Italie


réalisation Samyn and Partners, photo Matteo Piazza
Horst Berger, King Fahd Stadium de Riyad, Arabie
Saoudite, 1985
galerie photos des structures tendues du NJIT
http://www-ec.njit.edu/civil/fabric

réalisation Birdair
http://www.birdair.com

La membrane

Contraintes

C'est bien évidemment l'élément le plus important qui donne forme, résistance et protection au bâtiment. Il
lui est demandé énormément:

- supporter la pré-tension à laquelle elle est soumise en permanence;

- supporter des surtensions temporaires souvent bien plus considérables, celles dues au vent
notamment;

- ne pas se détendre ni se dégrader sous l'effet de l'humidité, de la chaleur ou des ultraviolets;

- si nécessaire être étanche à l'eau, à l'air, résister au feu, etc.

Lourd cahier des charges! Tellement qu'avant les années 70 il fallait la plupart du temps se contenter de
matériaux inappropriés tels que les toiles de coton, ou bien recourir à un réseau de câbles comblé dans un
second temps avec des membranes sans fonction structurale. Ces temps sont révolus, l'on dispose aujourd'hui
de matériaux performants et durables.

Fibres tissées et enduits polymères

Les principaux matériaux utilisés en guise de membranes dans les structures tendues sont des composites
constitués:

- d'un support en fibres synthétiques tissées qui procure à la membrane la résistance mécanique à la
tension,
- d'une enduction en polymère qui assure l'étanchéité, la protection et permet de réaliser des soudures
entre lés.

L'industrie chimique fournit quantités de fibres et d'enduits polymères. Parmi les innombrables
combinaisons possibles, seules deux s'approchent suffisamment du cahier des charges idéal pour être
couramment employées en architecture en guise de membranes dans les structures tendues: le tissu de fibres
polyester enduit de PVC et le tissu de fibres de verre enduit de polytétrafluoroéthylène, PTFE en abrégé.

Le polyester est une fibre facile à fabriquer et à travailler, peu coûteuse, mais néanmoins très résistante à la
tension. Elle possède également une bonne élasticité, ce qui autorise de légères imprécisions lors du
montage. L'inconvénient est qu'elle est sensible au vieillissement, c'est-à-dire que l'âge tend à affecter ses
propriétés.

Le PVC ou polyvinyle chlorure est un matériau aussi commun, facile à travailler et bon marché que le
polyester. On le trouve d'ailleurs dans de nombreux produits d'usages courants: tuyaux et canalisations,
matelas et jouets gonflables, liners de piscines, bâches d'étanchéité pour les travaux publics, etc. Divers
additifs lui confère souplesse, résistance aux UV, au feu, à la décoloration, aux moisissures, etc. Il a
l'inconvénient de dégazer des substances pas franchement bonnes pour la santé.

Ces deux matériaux se complètent bien. Selon leur qualité, la durée de vie de la membrane peut atteindre 10
à 15 ans.

Le tissu de verre (à ne pas confondre avec la laine de verre employée comme isolant ni avec la toile de verre
utilisée pour tapisser les murs même si tous sont réalisés avec du verre) possède également une excellente
résistance à la tension. Mais il est moins élastique que le polyester et même un peu cassant, ce qui oblige à
une grande précision et une grande délicatesse lors de la réalisation de la membrane et son installation. Il
possède en revanche un grand avantage: il n'est pas affecté par le vieillissement, tout comme le PTFE auquel
il est généralement associé. Le premier bâtiment permanent utilisant une telle membrane date de 1973 et l'on
n'a pas constaté à ce jour de dégradation.

Le PTFE, polytétrafluoroéthylène, est plus connu sous le nom de marque Téflon, celui-là même qui est
employé dans les poêles antiadhésive, les rubans d'étanchéité pour la plomberie, ou encore comme patins
glissants pour déplacer des meubles. Cette variété d'usages témoigne de ses étonnantes propriétés, entre
autres: il est presque complètement inerte chimiquement c'est-à-dire qu'il ne dégaze pas et ne réagit
pratiquement avec aucun produit chimique; il est antiadhésif donc autonettoyant; il est non combustible,
extrêmement résistant à l'humidité et aux ultraviolets. En contrepartie il est plus cher et plus difficile à
travailler. Remarquons qu'il existe une variante complètement transparente, l'éthylènetétrafluoroéthylène ou
ETFE, connu sous le nom de marque Tefzel. Lui aussi a depuis quelques années un usage en architecture que
l'on étudiera dans la quatrième partie.

Voici comparées les principales caractéristiques de ces deux membranes:

polyester-PVC tissu de verre-PTFE


durée de vie 10-15 ans 25-30 ans
coût bon marché 4 à 5 fois plus cher
résistance mécanique de 60 à 120 kg/cm pour idem
des qualités de 800 à
1300 g/m²
résistance au feu ne propage pas le feu et incombustible
ne produit pas de
gouttes incandescentes
résistance à la salissure salissant voire très autonettoyant
salissant jusqu'à prendre
un aspect peu avenant
résistance aux UV additifs protecteurs insensible
coloration vaste gamme de coloris généralement blanc
translucidité de 7 à 18% jusqu'à 25%
isolation thermique 4,5 W/m².°C pour une idem
membrane de 1200 g/m²
soudures légèrement moins même résistance que la
solides que le matériau membrane
pliage facile car souple difficile car reste
cassant
montage facile: l'élasticité donne difficile: grande
une marge de précision exigée et mise
manœuvre et la mise en en tension progressive
tension se fait en une en plusieurs fois
seule fois
usage recommandé structures temporaires bâtiments permanents
ou démontables

Le matériau idéal qui allierait la facilité d'emploi et le coût avantageux du polyester-PVC avec la durée de
vie et le bel aspect du tissu de verre-PTFE n'existe pas. Il existe encore moins si l'on ajoute des critères
écologiques. Certes le tissu de verre n'est rien d'autre que de la silice, le matériau le plus abondant de la
croûte terrestre, certes le PVC est dans une certaine mesure recyclable et le PTFE l'est complètement (tout
du moins seuls, car laminés pour former des composites, c'est une autre histoire), mais dans l'ensemble l'on
n'a pas affaire au summum des matériaux naturels (en précisant que le coton ne l'est pas davantage sachant
qu'il est de plus en plus produit par des plants transgéniques et que cela reste le plus gros consommateur de
pesticides).

Les recherches se poursuivent: fibres aramides, fibres de carbone, enduction silicone, etc. Tout ça finira bien
par déboucher sur des matériaux plus satisfaisants. À moins que la surprise ne vienne d'ailleurs, de la
biologie par exemple plutôt que de la chimie. J'imagine bien des colonies de bactéries synthétisant des films
(et pas seulement des fils) pouvant servir directement de membranes. Des membranes respirantes, auto
adaptables à des conditions de température, d'humidité et de luminosité changeantes, autoréparables même
(voir http://biopro1.step.in-systeme.net/en/region/freiburg/magazin/01782/index.html?
lang=en&print_style=yes). Bref une véritable peau.

Des tissus et des membranes

À y bien regarder, un tissu n'est qu'une approximation d'une membrane puisqu'il est réalisé par tissage de
fibres. On croyait l'avoir dépassé et revoilà le dilemme lignes-surfaces!

Là n'est pas le seul problème à vouloir se servir de tissu en guise de membrane. La forme architecturale à
réaliser n'est jamais plate. C'est même une surface à double courbure comme on le verra plus loin. Or un
tissu est toujours tissé à plat et mis en rouleaux d'une largeur donnée. La surface courbe doit donc être
réalisée en assemblant des lés plats. C'est le même problème que de devoir réaliser un globe terrestre avec du
papier fabriqué et imprimé à plat. En fin de compte ce n'est pas la surface idéale que l'on obtient mais une
surface approchée. Plus les lés sont petits, plus l'on se rapproche de la surface, mais plus il y a de travail de
découpe et de soudure. Et inversement.

Autre problème: un tissu n'est pas un matériau isotrope c'est-à-dire qu'il n'a pas exactement les mêmes
propriétés dans toutes les directions. Prenez quelques échantillons de tissu, étirez-les dans différentes
directions et vous constaterez que la plupart n'ont pas la même élasticité dans les deux sens. Pour
comprendre il faut revenir au processus de fabrication.

Un tissu comporte des fibres orientées dans deux directions. Les fils de chaîne constituent la grande longueur
d'un rouleau. Entre eux sont insérés avec la navette les fils de trame. Ils s'étirent dans la largeur du rouleau.
Lors de la fabrication, le fil de trame ondule entre des fils de chaîne tendus bien droits par le métier à tisser:

Il est évident que l'élasticité ne sera pas la même dans la longueur que dans la largeur. Dans la longueur, les
fils de chaîne sont plus rectilignes, d'où une élasticité moindre; dans la largeur, les fils de trame sont plus
lâches, d'où une plus grande élasticité. Conséquence: selon la manière dont un lé sera découpé dans un
rouleau de tissu, il n'aura pas tout à fait les mêmes propriétés mécaniques:

L'enduction du tissu avec un polymère quelconque ne change rien à l'affaire. En revanche on peut
compliquer le tissage pour atténuer ce problème.

Tension-compression

Membrane en tension

Vous vous souvenez de la petite expérience réalisée avec un drap dans le prologue de cette troisième partie,
d'où il ressortait que plus il est tendu, mieux il résiste aux efforts. En particulier le fait de tendre la
membrane lui évite de battre, phénomène très dommageable comme on le constate à l'extrémité des
drapeaux qui finissent rapidement et systématiquement en lambeaux.
Autre exemple. Prenez un ballon de baudruche. Gonflez-le légèrement, juste ce qu'il faut pour lui donner
forme et sentir une pression à l'intérieur. Si vous posez dessus un poids comme un dictionnaire, vous
constaterez que le ballon s'écrase facilement. Il perd complètement sa forme, incapable de supporter la
moindre charge.

Maintenant gonflez-le autant que vous pouvez. Vous sentez bien à l'effort que vous devez fournir la pression
qui augmente à l'intérieur et la tension qui augmente concomitamment dans la membrane. Si vous reposez le
livre dessus, vous constaterez cette fois que le ballon non seulement supporte facilement la charge mais
qu'en plus il se déforme à peine.

Pour comprendre ce qui se passe, reprenons le schéma d'un poids suspendu à un fil étudié dans la première
partie:

L'équilibre entre la force transversale P et la tension dans le fil T est exprimé par la formule:

Par renversement cela donne:

et s'interprète ainsi: pour une géométrie donnée (angle A donné), plus la tension T dans le câble est élevée,
plus la structure est apte à supporter une charge P élevée.

Ce raisonnement appliqué à un câble se transpose facilement à une membrane. D'où il résulte que c'est la
combinaison entre la géométrie (la forme de la surface) et la pré-tension de la membrane qui rend la
structure capable de résister à des efforts élevés telles que surcharges de neige ou aspiration du vent. Et c'est
la flexibilité de la membrane qui permet à des efforts localisés d'être dispersés dans toute la structure.
Chaque fibre, lorsqu'elle subit un effort, en transfert une partie aux fibres adjacentes grâce aux variations de
tension dans les fibres perpendiculaires qui les relient, et ainsi de suite jusqu'à se diffuser partout et ce faisant
se diluer.

Revenons un instant à la formule ci-dessus. Pour un angle A égal à zéro, elle n'a plus de sens puisque le
sinus de zéro vaut zéro. Par conséquent une telle structure ne peut en aucun cas dessiner une surface plane.
Est-ce à dire que si le procédé est approprié pour couvrir l'espace il ne l'est pas pour réaliser l'équivalent d'un
plancher? Non et oui. C'est sûr qu'on ne va pas pouvoir faire un étage capable de supporter des meubles
traditionnels tels que lourds sommiers, commodes, penderies, etc. Mais cela n'empêche pas de réaliser une
surface presque plane parfaitement utilisable, qui soit ludique (pour sauter comme sur un trampoline) autant
qu'habitable (pour se reposer comme dans un grand hamac ou travailler assis en tailleur...). Remarquons que
cette idée n'est pas nouvelle puisque l'espace entre les coques d'un catamaran est souvent comblé de cette
manière.

Mise en forme
On pressent que la conception de telles structures à membrane tendue n'est pas triviale du fait qu'il y a
interdépendance entre la forme de la surface, la pré-tension de la membrane et ses propriétés mécaniques. Il
faut particulièrement veiller à ne pas créer des zones susceptibles d'accumuler l'eau ou la neige, ni dessiner
des géométries qui risquent d'engendrer des surtensions dépassant la résistance de la membrane.

Concernant ce dernier point, remarquons que l'on se donne en général une marge de sécurité de l'ordre de 6.
Cela signifie que pour une membrane typique d'une résistance à la tension de 100 kg/cm (ou dix tonnes par
mètre linéaire, c'est-à-dire qu'un élément de membrane d'une largeur d'un mètre peut supporter jusqu'à 10 t),
la charge maximale permise est de 17 kg/cm (soit 1,7 tonnes par mètre) tandis que la charge habituelle de
pré-tension est comprise entre 1,5 et 3,5 kg/cm (150 à 350 kg/m).

La conception est encore compliquée par l'anisotropie de la membrane (elle n'a pas exactement les mêmes
propriétés dans toutes les directions), les discontinuités introduites par les soudures et les bords, et encore par
les comportements non linéaires du matériau (les déformations ne sont pas proportionnelles à la charge).

Grâce à la modélisation informatique et à l'expérience accumulée ces dernières décennies, toutes ces
difficultés sont de mieux en mieux maîtrisées. Reste que, sauf pour de très petites structures, la conception
est réservée à des ingénieurs spécialisés. Preuves de leurs compétences et de la pertinence de leurs modèles,
les très belles réalisations dont on a vu quelques exemples plus haut. Très belles et très résistantes, en toutes
dimensions et sous tous les climats.

Une fois parvenu au bout du processus de conception, la fabrication de la membrane peut commencer. Cela
se fait dans un atelier spécialisé car c'est pratiquement impossible sur le terrain. Les lès sont découpés dans
des rouleaux et soudés entre eux jusqu'à former une membrane qui fait parfois plusieurs milliers de mètres
carrés. Elle est pliée, expédiée sur le chantier où elle est dépliée, le tout le plus délicatement possible,
particulièrement lorsque le support est en fibre de verre.

Le montage peut s'avérer lui aussi être un casse tête du fait qu'une telle structure n'est stable qu'une fois tous
les éléments assemblés. C'est le même problème que rencontre un randonneur lorsqu'il se bat avec la toile et
les arceaux pour monter sa tente, mais à une toute autre échelle. Et une fois le montage effectué, ce n'est pas
fini car il faut encore mettre la membrane sous tension, à la valeur précise recommandée par les ingénieurs.
Il faut donc aussi prévoir des vérins hydrauliques (préférentiellement sur les grandes structures) ou des
tendeurs mécaniques (sur les plus petites) pour pousser les mâts vers le haut ou tirer sur les câbles.

Toutes ces complications impliquent d'intégrer dès la conception la manière dont s'effectuera le montage.

Avec les architectures à membranes modernes on s'éloigne considérablement des pratiques traditionnelles.
On le pressentait mais peut-être pas à ce point. D'habitude la construction des bâtiments se fait par étapes
successives simples, chacune fournissant un appui stable pour la suivante. C'est lourd évidemment mais pas
compliqué. Ici c'est tout le contraire, le déploiement de la forme globale et la stabilisation de la structure se
font en un seul et même mouvement. Paradoxe même, alors que le poids par mètre carré de surface couverte
peut atteindre des valeurs extrêmement basses (quelques kilos seulement), on peut avoir à manipuler des
éléments très lourds, quand il s'agit par exemple d'une membrane monobloc de plusieurs centaines voire
plusieurs milliers de mètres carrés, sans parler des ancrages qui, comme dans un pont suspendu, assurent la
jonction de la structure avec le sol. Donc tout doit être parfaitement pensé au préalable car il n'y a aucune
place pour l'improvisation, une modification même minime pouvant avoir des répercussions sur le
comportement de l'ensemble de la structure. C'est certes inhabituel et compliqué, mais pas impossible. La
preuve, certains y arrivent. Il faut juste se donner la peine d'apprendre cette nouvelle manière de concevoir et
de réaliser des bâtiments.

Compression

Il n'a été question jusqu'ici que de tension. Or l'on se doute, après toutes les considérations de la première
partie, que sans quelques éléments en compression, une telle structure ne peut pas tenir. Il est facile de s'en
convaincre. Revenons encore une fois au drap tendu. Disons qu'il a été attaché à des arbres. Eh bien ce sont
eux qui supportent la tension de la membrane en fléchissant, conjugaison je le rappelle de tension sur le côté
convexe et de compression sur le côté concave. S'ils sont suffisamment minces, cette flexion est parfaitement
visible: les troncs se rapprochent en se courbant. Et si les arbres ne cassent pas ou ne tombent pas déracinés,
c'est qu'ils sont solides et bien ancrés dans le sol. C'est là qu'aboutit finalement la compression. Plus
exactement le sol situé entre les arbres subit un effort de compression. D'ailleurs si vous essayez de faire la
même chose sur l'eau, tendre un drap entre deux voiliers par exemple, vous constaterez vite que ça n'est pas
possible parce que l'eau libre ne peut pas supporter un tel effort de compression. Elle glisse, s'écarte, les deux
bateaux se rapprochent, et au final le drap se pose doucement sur l'eau sans plus de tension.

Donc:

1. sans tension une membrane repose sans forme précise et se déforme à la moindre sollicitation;

2. une tension qui lui donne forme ne peut exister que si elle est contrebalancée par une compression.

Questions: quel élément prendre pour supporter cette compression et où le mettre? Si l'on pense à une tente,
on voit que des mâts et des arceaux conviennent parfaitement. D'où une première possibilité pour réaliser
une structure tendue, associer la membrane travaillant exclusivement en tension à des éléments rigides
travaillant principalement en compression.

Est-ce tout? Il existe en fait une autre possibilité radicalement différente. Souvenez-vous du ballon de
baudruche. La membrane acquiert sa tension grâce à la mise sous pression de l'air à l'intérieur. C'est donc
l'air qui cette fois supporte la compression.

Question: pourquoi cet air est-il capable de supporter une compression alors que l'eau dans l'exemple du drap
tendu entre deux barques en était incapable? Tout tient au fait que l'air est en surpression par rapport au
milieu ambiant, grâce à la membrane qui le contient et qui par sa capacité à résister à la tension n'éclate pas
sous la charge. Autrement dit les deux se tiennent mutuellement. Ce n'est pas le cas de l'air libre ni de l'eau
libre. Si vous enfermiez cette dernière dans une membrane avec une légère surpression, vous auriez aussi un
élément résistant en compression. Certaines piscines hors-sol par exemple sont ainsi faites: la structure est
simplement un gros boudin rempli d'eau, et cela suffit à retenir l'eau du bassin et les baigneurs. Remarquons
encore que la cellule, le bloc de base du monde vivant, n'est rien d'autre du point de vue structurel qu'un
liquide enfermé dans une membrane sous tension.

Pour revenir à l'architecture, on va détailler maintenant les deux grandes familles de structures à membranes
tendues selon la nature de l'élément qui supportent la compression: les membranes tendues sur ossature et les
membranes soutenues par l'air.

Membrane tendue sur ossature

L’ossature

Dans cette première famille de structures à membrane tendue, ce sont des éléments rigides qui supportent les
efforts de compression. Elle se scinde à son tour en deux sous-familles:

1. les mâts qui sont en-dehors de la forme délimitée par la membrane,


2. les arches qui appartiennent à la surface et participent à la délimitation de la forme.

Dans un cas comme dans l'autre, une grande variété de matériaux et de procédés peuvent être utilisés, la
seule chose qui compte étant que l'élément résiste à la compression. Tout ce qu'on a vu dans la première
partie à propos des poutres et des arches est valable: bois brut, bois lamellé-collé, tubes métalliques,
structures en treillis, arches en tensairity, en tenségrité (pas encore employé à ma connaissance mais il y a
des projets), ou encore gonflables (uniquement à petite échelle, par exemple pour des tentes de secours à
déploiement rapide ou pour des petits pavillons utilisés lors d'opérations promotionnelles).

La surface

La membrane d'une structure tendue sur une ossature rigide ne peut pas prendre n'importe quelle forme.
Gonflez un ballon de baudruche. Il devient à peu près sphérique. Maintenant dégonflez-le et essayez
d'imaginer comment reconstituer la sphère en suspendant la membrane par un nombre quelconque de points
à des mâts ou des arches. Vous aurez beau tourner et retourner le problème dans tous les sens, vous n'y
arriverez pas. Impossible de tendre ainsi une membrane en lui donnant une forme de sphère: ou bien elle est
tendue mais elle n'est pas sphérique, ou bien elle est sphérique mais alors elle est détendue (il n'y a toujours
pas de pression à l'intérieur bien sûr), ce qui se voit au fait qu'elle flotte, qu'elle ballotte.

Pour comprendre quel genre de forme donner ce genre de structure intéressons-nous à un simple câble qui
pend entre deux piquets:

C'est comme une corde à linge trop lâche qui au moindre coup de vent s'agite dans tous les sens:

On se dit qu'il doit y avoir moyen de tenir le câble en place en fixant dessous un second câble:
Effectivement, la structure ainsi constituée résiste parfaitement aux mouvements verticaux. En revanche elle
reste très sensible à des mouvements dans un plan perpendiculaire.

Si nous orientons le câble CD dans l'autre direction, nous obtenons le résultat désiré qui est d'interdire tout
mouvement:

Il est intéressant de poursuivre la construction. Prenant appuis sur ces deux câbles et sur les quatre coins
ABCD, il est facile d'ajouter d'autres câbles pour dessiner une surface assimilable à une membrane:

Voici un exemple de réalisation due à Frei Otto:


http://www.freiotto.com

Cette forme s'appelle un paraboloïde hyperbolique.


Elle a des propriétés géométriques très intéressantes
qui seront étudiées dans le livre suivant. En attendant
retenons juste une particularité de cette surface qui
saute au yeux: elle est courbée dans deux directions différentes, comme une selle de cheval. Précisément on
dit qu'il s'agit d'une surface à double courbure anticlastique.

Surface anticlastique

La dernière phrase du paragraphe précédent doit sûrement vous paraître incompréhensible. Je crois utile de
fournir quelques explications car cela servira aussi à comprendre quelles formes peuvent prendre les
structures pneumatiques. Rassurez-vous, je ne vais pas vous perdre dans des considérations mathématiques
absconses. Quelques exemples simples suffiront à éclairer le sujet.

La notion de courbure d'une surface est assez facile à saisir. Il est clair par exemple qu'un plan n'a aucune
courbure. Il est tout aussi clair qu'un cylindre est courbé dans une seule direction puisqu'il est droit dans
l'autre. On peut d'ailleurs le réaliser en roulant une feuille de papier. Idem pour un cône. On n'a pas de mal
non plus à percevoir la différence qu'il y a avec une sphère. Si l'on considère un point quelconque de sa
surface, on voit qu'elle est courbée dans toutes les directions, une forme impossible à réaliser avec une
feuille de papier. En mathématiques on appelle cela une surface à double courbure. Il en va de même du
paraboloïde hyperbolique que l'on vient de rencontrer.

Ces deux surfaces sont à double courbure, soit, mais elles n'ont pas du tout le même air de famille.
Précisément, on appelle:

- surfaces synclastiques celles où tous les rayons de courbure en un point quelconque ont leur centre
d'un même côté de la surface, comme la sphère,

- surfaces anticlastiques celles où les rayons de courbure en un point sont situés de part et d'autre de
la surface, comme le paraboloïde hyperbolique.

Le tore, autrement dit une surface en forme de bouée, est une figure intéressante qui va nous permettre de
voir d'un peu plus près cette distinction.

Géométriquement, le tore est la surface engendrée par la rotation d'un petit cercle de centre O' et de rayon r
autour du centre O à une distance R:

Cette surface est en tous points à double courbure. Elle présente une particularité intéressante: elle se partage
en deux par un plan de coupe cylindrique vertical (représenté par la droite CD) de telle sorte qu'elle est
synclastique dans toute sa partie extérieure et anticlastique dans sa partie intérieure.

Considérons par exemple le point A. La surface y est courbée un peu comme celle d'une sphère. Il est facile
de voir que tous les rayons de courbure en ce point sont situés à droite de la surface. En particulier: dans le
plan vertical il y a le petit cercle de centre O' et de rayon r; dans le plan horizontal le grand cercle de centre
O et de rayon R+r. Tous les autres centres se promènent entre O et O'. La surface est synclastique.
Considérons maintenant le point B. La surface est courbée comme une selle de cheval. On remarque en
particulier que dans le plan vertical le centre du rayon de courbure se situe comme ci-dessus en O', que dans
le plan horizontal il se situe également en O, mais cette fois les deux centres se retrouvent de part et d'autre
de la surface. Celle-ci est anticlastique.

Surface minimale

Une forme convenable pour une structure tendue sur ossature rigide est nécessairement une surface à double
courbure anticlastique. Elle possède une autre particularité importante qui est d'être une surface minimale.
Qu'est-ce à dire?

Prenez un anneau circulaire rigide et accrochez-y un hémisphère. S'il est fait dans un matériau souple, par
exemple du plastique ou du tissu, vous pouvez facilement l'enfoncer comme ceci:

Autrement dit il se déforme sans effort et sans que sa superficie totale ne change.

Considérez maintenant le disque qui remplit la surface de l'anneau comme la membrane d'un tambour. Si
vous voulez le déformer, vous devez cette fois appuyer fort, même si ce n'est du tissu. Cela est dû au fait que
le disque est la surface minimale qui remplit l'anneau circulaire. Il ne peut être déformé qu'en augmentant sa
superficie, ce qui est possible dans une certaine mesure en jouant avec l'élasticité du matériau. Pour mémoire
la superficie du disque vaut o r² contre 2o r² pour celle de l'hémisphère.

La surface minimale est évidemment plus complexe pour des contours plus tarabiscotés qu'un cercle dans un
plan mais l'idée est la même, à savoir:

- la surface minimale qui s'appuie sur ce contour ne peut se déformer qu'en augmentant sa superficie,

- une surface non minimale de ce contour peut se déformer sans modification de sa superficie.

On voit l'intérêt pour les structures tendues. Si la surface que dessine la membrane n'est pas minimale, elle
va battre dans le vent et finir en lambeaux, comme tous les drapeaux. Tandis que si sa surface est minimale,
elle va se déformer par élasticité du matériau, comme un ressort que l'on tend, et puis revenir à sa position
initiale. La structure reprend toujours sa forme.

Cette notion de surface minimale a un autre intérêt. Nous avons vu que l'élaboration de la forme d'une
structure tendue est loin d'être simple. Elle se fait de nos jours par modélisation numérique grâce aux progrès
conjugués des modèles de simulation et de la puissance des ordinateurs. Mais il existe un autre moyen qui ne
nécessite aucune connaissance mathématique ni aucun calcul. Il suffit d'un peu d'eau savonneuse, à condition
de savoir qu'un film de savon qui se dépose sur un contour quelconque dessine automatiquement une surface
minimale. C'est le procédé employé par Frei Otto pour concevoir ses structures tendues avant l'ère de la
modélisation numérique. Certes l'analyse des comportements est moins poussée, mais cela permet tout de
même de concevoir des structures tendues très complexes et qui tiennent. Concrètement:
1. un premier modèle est réalisé en tulle pour définir l'apparence général et préciser certains paramètres
importants tels que hauteur maximale, hauteur et largeur des passages, etc.;

2. un contour en fil de fer épousant cette forme est réalisé puis plongé dans de l'eau savonneuse:

dans
http://elib.uni-
stuttgart.de/opus/volltexte/2001/761/pdf/wendland.pdf

3. la forme ainsi dessinée est nécessairement une surface minimale mais elle n'est peut-être pas exactement
celle désirée; en jouant sur la hauteur des mâts, leur position, celle des points d'ancrage, on la déforme
jusqu'à la faire correspondre au premier modèle;

4. un nouveau modèle plus précis est réalisé avec à nouveau une membrane en tulle:

dans
http://elib.uni-
stuttgart.de/opus/volltexte/2001/761/pdf/wendland.pdf

la membrane est fixée par des petits ressorts aux points d'ancrage qui peuvent être légèrement déplacés; on
procède à de petits ajustements pour assurer une distribution uniforme des tensions et la régularité de la
surface;

5. la forme étant précisément définie, les lés qui serviront à réaliser la membrane sont délimités.

catalogue de formes

Il y a évidemment un nombre infini de formes qui ont la propriété d'être des surfaces à double courbure
anticlastiques. En pratique, les architectes se contentent souvent des mêmes formes plaisantes et éprouvées
que l'on sait maintenant parfaitement calculer. En les déformant, les tronquant, les orientant de diverses
manières, les assemblant entre elles, cela offre déjà beaucoup de possibilités. Citons notamment:

Le paraboloïde hyperbolique que l'on a déjà rencontré.


Le cône, pas le cône classique à côté droit bien sûr mais à côté arrondi pour dessiner une surface à double
courbure anticlastique. C'est sans doute la forme la plus simple avec sa symétrie circulaire et son unique mât
central. En voici une variante sur une base hexagonale:

On remarque les bords courbes parce qu'ils sont supposés maintenus par un câble (le rebord de la membrane
est replié pour former une gaine dans laquelle est inséré un câble qui est ensuite fixé par ses deux extrémités
et tendu).

Voici également le patron de cette forme, plus précisément des trois lés qui constituent chacun des six
panneaux identiques de ce cône hexagonal:

L'arche:
Sont mis en évidence sur ce schéma l'arche unique en arc de cercle et l'anneau de compression qui constitue
la base circulaire. On voit bien comme ces deux éléments de l'ossature sont partie intégrante de la surface,
contrairement aux mâts des formes précédentes. Ceci est l'exemple le plus simple d'arche mais on peut lui
donner d'autres formes (elliptique, parabolique, funiculaire, etc.) et en mettre autant qu'on veut en les
orientant dans diverses directions:

- les disposer verticalement et parallèlement de manière longitudinale comme dans les longues serres,

- les disposer verticalement de manière radiale comme les baleines d'un parapluie (même si dans
cette configuration ça ressemble davantage à une sphère, la surface reste en tous points anticlastique,
il suffit d'observer la courbure que prend la membrane d'un parapluie ouvert pour s'en rendre
compte),

- les incliner comme sur une capote de landau.

habiter

À superficie égale les formes anticlastiques sont moins habitables que les formes synclastiques. Il suffit de
comparer la figure précédente avec un hémisphère qui s'appuierait sur le même anneau. De l'intérieur de
l'hémisphère on a l'impression d'un volume ouvert, tandis qu'il se referme dans l'autre cas.

Plus subtilement, de telles structures tendues procurent des sensations qui ne sont pas familières. Je parle de
structures relativement importantes dans lesquelles la traction sur les ancrages se mesure en tonnes et non
pas en kilos. D'une part il y a justement la présence de ces ancrages, souvent très imposants, qui viennent
contredire la sensation de légèreté. D'autre part la tension qui habite la membrane et les câbles est
parfaitement perceptible, s'ils ne sont pas dissimulés par des faux plafonds et autres cloisons. On sent une
énergie contenue qui n'est pas celle de l'arc bandé prêt à lancer sa flèche, ni celle de la voile gonflée qui
propulse un navire. Nous n'avons pas encore les repères pour sentir que cette énergie ne sert à rien d'autre
qu'à conférer sa résistance à la structure. Je n'ai pas connaissance de personnes ayant choisi d'habiter en
permanence dans de tels bâtiments. Je ne sais donc pas si avec l'habitude la perception se modifie au point
que cette tension n'est plus ressentie comme étrange mais plutôt comme utile voire agréable, à l'instar d'une
voile. À suivre donc...

membrane soutenue par l'air

structures pneumatiques
De l'air sous pression retenu dans une enveloppe en tension, voilà qui suffit pour avoir un élément de
structure résistant à la compression. Cette famille de structures se scinde en trois sous-familles:

1. les structures gonflables (air inflated structures en anglais)

Ce sont de véritables poutres ou arches qui tiennent grâce à une pression de plusieurs centaines de grammes
par centimètre carré. S'y rattachent aussi les systèmes hybrides en tensairity. Tout ceci a été vu dans la
première partie. Comme n'importe quel type de poutre ou d'arche, ces éléments peuvent être associés à des
membranes pour réaliser des structures tendues dont ils constituent l'ossature.

2. les membranes soutenues par l'air (air supported structures en anglais)

Cette fois, c'est la totalité de la membrane constituant la couverture du bâtiment (voire le bâtiment en entier
lorsque murs et toit se confondent) qui est mise sous pression. Quelques grammes par centimètre carré
suffisent pour assurer la tenue d'une structure de plusieurs centaines, plusieurs milliers voire dizaines de
milliers de mètres carrés. C'est le sujet de ce chapitre.

3. les coussins gonflables (air pillows ou pneumatic cushions en anglais)

Ce ne sont pas des éléments structuraux mais des éléments de couverture qui fonctionnent eux aussi à basse
pression, quelques grammes. Ils seront étudiés dans la quatrième partie.

des ballons aux radômes

Ballons et dirigeables peuvent être considérés comme les précurseurs des structures à membrane soutenue
par l'air. L'idée de transposer ces procédés à l'architecture semble avoir germé en premier dans la tête d'un
ingénieur britannique du nom de Lanchester. En 1917 il dépose un brevet pour un hôpital de campagne
constitué d'une membrane soutenue par l'air. Problème de matériaux ou problème de demande? toujours est-
il qu'il n'a pu réaliser son rêve.

Il a fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour voir la réalisation effective de structures
architecturales à membranes soutenues par l'air. Le maître d'ouvrage en était l'armée américaine qui
commençait à installer d'énormes radars pour surveiller sa frontière nord, très proche de l'URSS vue depuis
l'arctique. Les conditions climatiques difficiles, la fragilité des antennes, et la nécessité d'une structure et
d'une couverture non métalliques pour rester transparentes aux ondes électromagnétiques ont conduit à
choisir la solution proposée par Walter Bird: un dôme gonflable. Première réalisation en 1948: un dôme de
15 mètres de diamètre fait d'une membrane de tissu de nylon enduit de vinyle qui passe avec succès les tests.
En quelques années des centaines de radômes, ainsi qu'on les appelle, sont érigés en Alaska et au Canada.
Du coup Bird fonde sa propre compagnie, Birdair, en 1956.

sous pression
Ces radômes par leur forme ne sont pas très éloignés de leurs ancêtres les ballons. Une différence importante
toutefois concernant le principe de fonctionnement:

- dans un ballon on n'introduit pas de surpression à l'intérieur par rapport à l'extérieur, c'est une
différence de densité qui assure la portance (dans un ballon à air chaud elle est créée par une
différence de température);

- dans une structure pneumatique il y a surpression de l'air intérieur par rapport à l'extérieur pour
donner simultanément forme et tenue.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire cette surpression n'est pas du tout gênante pour les occupants. En
fait elle est si minime qu'on ne sent rien en passant du dehors au dedans et inversement (en général à travers
un sas constitué de portes tournantes). À peine 2 pour mille de surpression suffisent pour tenir la structure,
soit 2 ou parfois 2,5 g/cm². C'est de beaucoup inférieur aux fluctuations de la pression atmosphérique dont
l'amplitude dépasse 40 g/cm² entre anticyclones et dépressions. Deux grammes par centimètre carré, c'est la
différence de pression existant entre le rez-de-chaussée d'un immeuble et le quatrième ou le cinquième étage.
C'est encore la surpression qui règne à 2 cm sous l'eau. Rien de notable donc.

Remarquons que si une pression de 2 g/cm² soutient un toit de 20 tonnes, il n'y a pas à fournir un effort aussi
colossal pour que ça tienne. Concrètement, supposons qu'un ventilateur de 1,14 mètre de diamètre serve à
maintenir la pression. La force contre laquelle il a à lutter pour forcer l'air à l'intérieur est seulement de 20 kg
(la pression multipliée par la surface qui est ici de 1 m²). Donc pas besoin d'un turboréacteur pour insuffler
l'air qui tient la membrane. Le seul problème est de bien dimensionner l'installation de soufflage pour
compenser les pertes naturelles (porosité de la membranes, ventilation, entrées et sorties des personnes par
les sas) plus d'éventuels aléas (comme des petites déchirures ou des décrochages localisés de la membrane).

déploiement de forces

Comme dans un ballon de baudruche, la membrane est mise en tension par la pression de l'air, et cette mise
en tension lui confère aussi sa forme. Tous ces paramètres se combinent de sorte que, en gros, la tension est
proportionnelle à la pression et au rayon de courbure. Précisément dans le cas simple d'une sphère (simple
parce que tous les rayons de courbure en un point sont identiques et égaux au rayon de la sphère), on a:

Pour fixer les idées, la tension s'exerçant sur la membrane d'un dôme hémisphérique de 10 m de rayon sous
une pression de 2 g/cm² est de 1 kg/cm. Autrement dit une force de traction de 1 kg seulement s'exerce sur
un bout de membrane de 1 cm de largeur. Pour un hémisphère de 100 m de rayon, la tension augmente pour
atteindre 10 kg/cm. Cela reste raisonnable, sauf que sur des très grandes structures toutes ces tension
élémentaires s'additionnent pour atteindre au bout du compte des valeurs considérables, plusieurs centaines
de tonnes. D'où la présence fréquente de câbles d'acier passant par-dessus la membrane. Ils ne sont pas là
pour participer à son soutien, puisqu'ils n'ont pas plus de résistance qu'elle à la compression, mais à la
soulager d'une partie de cette tension.

le paradoxe de la légèreté

Le problème d'une telle structure n'est pas qu'elle pèse sur le sol mais qu'elle a tendance à s'envoler. Pour
reprendre les exemples ci-dessus, la force totale qui s'exerce du bas vers le haut est de 6280 kg pour le dôme
de 10 m de rayon et de 628 t pour celle de 100 m. Ramenée au mètre linéaire de la base circulaire, cela fait
une force de soulèvement de 100 kg/m dans le premier cas et de 1000 kg/m dans le second. Si l'on tient
compte aussi des forces d'aspiration du vent, il faut multiplier ces chiffres au moins par trois pour assurer un
ancrage au sol satisfaisant.

Du coup la légèreté en prend un sérieux coup. Certes la membrane est légère (autour de 1 kg/m² sans
compter les câbles éventuels), certes l'air qui tient toute la structure en étant à peine comprimé est léger
(environ 1,3 g/l) mais l'ancrage lui est forcément lourd et il est partie intégrante de la structure, troisième
élément aussi indispensable que les deux autres. Renversement complet de logique par rapport aux
empilages: ce qui délimite la surface est très léger, tellement qu'un énorme poids au sol est nécessaire pour
l'empêcher de s'envoler!

Pour fixer les idées considérons encore une fois un dôme hémisphérique de 10 m de rayon. La membrane
pèse environ 628 kg (en prenant pour base 1000 g/m²) soit beaucoup moins que le poids du volume d'air
qu'elle renferme, un peu plus de 2000 mètres cubes pesant près de 2700 kilos. Quelle maison de plus de
300 m² peut se targuer de peser moins d'une tonne, moins que le poids de l'air qu'elle contient? Sauf qu'il faut
ajouter près de 20 tonnes pour l'ancrer au sol. Pas très léger finalement!

mise en formes

Considérons ces deux exemples d'un hémisphère au sommet enfoncé et d'un cube (images de gauche):

Si nous mettons la pression, ils se déforment comme on le voit à droite. Conclusions:

- certaines formes anticlastiques (une partie de la sphère enfoncée est anticlastique) ne tiennent pas
sous la pression,

- les forment planes (comme les faces du cube) ne tiennent pas sous la pression,

- la mise sous pression déforme une surface et tend à la rapprocher d'une sphère,

- des plis peuvent apparaître lors de cette déformation parce que la forme de la surface et celle de son
contour ne correspondent plus.

La forme d'une structure pneumatique doit être au moins en partie synclastique. Les surfaces purement
anticlastiques comme le paraboloïde hyperbolique sont impossibles à réaliser. Il n'est toutefois pas interdit
que certaines parties soient anticlastiques. Preuve en est le tore: entier il forme une bouée; placé
horizontalement et coupé horizontalement par le milieu cela fait une sorte de tunnel circulaire; placé
verticalement et coupé en deux horizontalement cela fait une arche.

Retenons surtout que toutes les formes ne sont pas possibles pour des structures pneumatiques et qu'elles
sont à prédominance synclastique.

Voici un petit test simple pour savoir si une forme peut être réalisée pneumatiquement: si l'on prend une
sphère dont le diamètre varie en continue le long d'un trajet quelconque, la surface enveloppe ainsi
engendrée peut être formée pneumatiquement. Deux exemples, le premier montrant une vue en coupe
latérale d'une structure verticale à symétrie circulaire, et le second une vue de dessus d'une sorte de tunnel
serpentin à section semi circulaire:

La conception est compliquée par le fait que la membrane réelle n'est qu'une approximation de la forme
idéale puisqu'elle est réalisée à partir de lés plats. Et pour compliquer encore davantage les choses, il faut
noter que la forme dépend de la charge, laquelle se décompose en charge permanente due à la surpression
(comme un ballon de baudruche change de forme en augmentant ou diminuant la pression, quoique ici la
membrane ayant une élasticité moindre subit des déformations comparativement plus faibles mais difficiles à
prendre en compte du fait qu'elle a un comportement non linéaire) et surcharges temporaires provoquées par
le vent ou des accumulations de neige (voir plus haut l'expérience du livre posée sur un ballon de
baudruche). Suite à ces changements de forme des plis peuvent apparaître. On observe bien la formation de
tels plis lorsqu'on gonfle plus ou moins une bouée. En ces points la tension augmente ou diminue, ce qui
dans tous les cas se traduit par une fragilisation de la membrane. Toutes ces difficultés expliquent que l'on
s'en tient en général à des formes banales dérivées plus ou moins du cercle.
exemples d'architectures à membrane soutenue pas l'air

Les réalisations se regroupent en deux familles: les bâtiments à profil haut et les toits à profil bas.

Les premiers correspondent à un rapport hauteur/largeur assez élevé, de l'ordre de 1 ou 1/2. La membrane
tient lieu à la fois de toit et de mur. La portée est limitée à quelques dizaines de mètres et le rayon de
courbure est assez court, d'où des tensions qui restent faciles à maîtriser (je rappelle que la tension est
proportionnelle au rayon de courbure). Surtout si l'on ajoute la simplicité des formes, globalement arrondies
sur une base circulaire (radômes), elliptique ou rectangulaire (servant généralement d'entrepôts ou de
couverture pour des courts de tennis).

Les structures à profil bas ont quant à elle un grand rayon de courbure au point qu'elles apparaissent
relativement peu bombées. Elles servent surtout de toits qui viennent couvrir des grands édifices existants
tels que des stades. Les portées permises par cette technologie sont énormes. Le Pontiac Silverdome Stadium
de Détroit est muni d'un tel toit fait d'une membrane de tissu de verre enduit de téflon de 229 mètres sur 168,
soit près de quatre hectares. C'est l'un des plus anciens du genre (1975) mais pas le plus grand. Il faut ajouter
18 gros câbles d'acier qui reprennent la tension et 29 ventilateurs géants dont trois seulement servent en
temps normal à maintenir la légère surpression de quelques grammes par centimètre carré.

http://www.geigerengineers.com

conclusions

Même si le concept de membranes soutenues par l'air est séduisant et que de nombreuses réalisations ont fait
leurs preuves, le bilan déçoit quelque peu:

- le bénéfice de la légèreté est annihilé par l'indispensable présence de pesants ancrages pour retenir
la membrane de s'envoler;

- il faut obligatoirement un système actif (capteurs de pression et ventilateurs) pour maintenir la


surpression à l'intérieur; en cas de panne la structure s'effondre en quelques minutes (même si c'est
généralement sans danger étant donné le faible poids de la membrane, sauf s'il y a des tonnes de
neige accumulées dessus);
- une construction très soignée est exigée pour réaliser une bonne étanchéité sur tout le pourtour de
fixation de la membrane;

- les formes sont limitées et beaucoup moins séduisantes que celles permise par la présence d'une
ossature.

Tout ceci explique probablement que ces structures restent cantonnées à quelques domaines très particuliers
pour lesquels il n'y a guère d'autres solutions. Par exemple couvrir plusieurs hectares d'un seul tenant, sans
appui intermédiaire et à un coût attractif.

autonomie des architectures à membranes

prise de terre

Les structures à membranes tendues, qu'elles prennent appui sur des éléments rigides ou sur de l'air
comprimé, se heurtent on l'a vu à un paradoxe: elles sont ce qui se fait plus léger pour couvrir l'espace (de
l'ordre du kilogramme par mètre carré pour la membrane seule) mais nécessitent en même temps de lourds
ancrages au sol. D'où l'envie de se débarrasser de ces ancrages pour parvenir enfin à une vraie légèreté.
L'exemple suivant emprunté au domaine connexe des ouvrages d'art suggère que ce devrait être possible.

des ponts suspendus aux ponts à haubans

Voici le schéma d'un pont suspendu:

Le poids du tablier est pris par les câbles verticaux puis repris par les grands câbles en parabole. La tension
dans ces câbles est transformée: d'une part en forces verticales de compression sur les piles, et d'autre part en
forces de traction au niveau des extrémités. Selon l'angle avec lequel les câbles sont fixés aux culées, ces
dernières peuvent comporter une petite composante verticale de soulèvement, et surtout, dans tous les cas,
une importante composante de traction horizontale. La première est compensée par le poids même de la
culée. Mais quid de la composante horizontale? En fait c'est la Terre elle-même qui intervient, comme une
gigantesque poutre en compression placée sous le pont. Les culée, par leur poids, servent à relier les câbles à
la Terre. Celle-ci ne se contente pas de porter le poids du pont, elle fait elle-même partie de la structure. Sans
sa participation à l'absorption des forces de traction horizontales, le pont ne tiendrait pas.

Voici maintenant un pont à haubans:


Au premier coup d'œil la différence ne semble pas bien grande: on retrouve des piliers, un tablier, et des
câbles pour le supporter. En fait les deux sont très différents du point de vue structurel. De part et d'autre de
chaque pilier le tablier est maintenu en équilibre comme les plateaux d'une balance par des câbles qui
rayonnent symétriquement. La Terre n'est plus là que pour porter le poids et ne participe d'aucune autre
manière à la structure. Plus besoin de culées.

Insistons sur le fait que cet important changement de comportement structural a été obtenu très simplement
en modifiant seulement la manière dont les câbles sont accrochés.

la roue à rayons

Y aurait-il de même quelques moyens simples de rendre les structures tendues plus autonomes vis-à-vis de la
Terre, conduisant ainsi à faire l'économie des lourds ancrages? La transposition de l'exemple ci-dessus sera
plus facile à comprendre si l'on passe par une étape intermédiaire, la roue de bicyclette, ou pour être plus
précis la roue à rayons.

On a tous en tête le schéma d'une bicyclette et on visualise sans peine le poids du cadre et du conducteur
pesant sur les roues au niveau de leur moyeu. Question: comment ce poids est-il à son tour transmis au sol?
Plus précisément: passe-t-il par les rayons situés dessous, qui sont donc mis en compression (figure de
gauche), ou par les rayons situés dessus, qui agissent comme des câbles en tension (figure de droite)?

En fait la figure de gauche montre le comportement d'une roue de charrette et pas celui d'une roue de
bicyclette. La figure de droite montre ce qui se passe réellement dans une roue à rayons:

1. le moyeu est suspendu à la jante par le rayon du dessus,

2. du coup la jante tend à s'écraser, à s'ovaliser,

3. mais les rayons horizontaux se mettent à leur tour en tension et limitent sa déformation.

Bref, les rayons pourraient être remplacés par des câbles, la roue fonctionnerait tout aussi bien. Sauf qu'elle
serait plus difficile à monter et à régler, c'est pourquoi l'on préfère finalement employer des petites tiges
métalliques. Mais l'important demeure, à savoir que dans une telle roue seule la jante travaille en
compression tandis que les rayons travaillent en tension. En outre elle est autonome du point de vue
structurel, sinon la bicyclette ne roulerait pas.

Des ingénieurs ingénieux (tous ne le sont pas) ont trouvé plusieurs façons de transposer cette idée aux
structures tendues. En voici deux.
ukigumo

Ce mot signifie ˝nuage flottant˝ en japonais. Une image évocatrice de l'impression qu'offre au visiteur cet
énorme toit conçu par Daiichi-Kobo en 1997 pour couvrir sur plus de deux hectares le stade de Kumamoto
au Japon.

Les schémas suivants en décrivent le principe:

La structure se présente comme une énorme roue à rayons placée horizontalement: un anneau de
compression extérieur tenant lieu de jante, un moyeu de forme particulière, et 52 câbles qui les relient par le
haut et par le bas (tous ne sont pas représentés pour des raisons de lisibilité). Entre les deux rangées de
câbles prend place une sorte d'énorme bouée gonflable en tissu de verre enduit de téflon. Une pression de
3 g/cm² suffit pour lui faire prendre sa place entre les câbles et lui faire épouser le moyeu. L'air insufflé met
la membrane en tension qui met à son tour les câbles en tension et c'est ce qui donne à la fois forme et tenue
au ˝nuage flottant˝.

Quelques autres caractéristiques intéressantes:

- le bâtiment fait plus de 26 000 m² et la surface couverte par la membrane en représente plus de
23 000, soit près de 170 m de diamètre à une hauteur de 48 m;
- le toit pèse près de 1000 tonnes, ce qui paraît beaucoup mais représente seulement 45 kg/m², tout
compris c'est-à-dire la membrane plus les câbles plus le moyeu plus la jante; c'est plus lourd
évidemment qu'une membrane seule mais le système est complètement autonome et ne nécessite
aucun ancrage, seulement des supports;

- la membrane n'étant pas soutenue par l'air mais gonflée comme une bouée, il n'y a pas de risque
d'effondrement en cas de grosse déchirure ou de panne d'électricité; comparativement à une simple
membrane supportée par l'air, un débit d'air 40 fois moindre suffit pour compenser les fuites et
maintenir la pression dans cette double enveloppe de plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes
(un peu plus de 4000 mètres cubes par heure).

le câble-dôme

Quoique s'inspirant lui aussi de la roue à rayons, David Geiger propose une solution très différente:

On retrouve un anneau de compression, un moyeu et des câbles, mais disposés différemment et avec en plus
quelques tiges rigides en position verticale. Voici comment cela marche:

1. l'anneau de compression et le moyeu sont positionnés, les câbles radiaux suspendus;

2. les tiges de la première série (t1) sont accrochées aux câbles par le haut; elles sont en outre reliées
par leur extrémité inférieure à l'anneau de compression par des petits câbles (b1); ensuite est fixé le
câble périphérique (c); mis en tension, il stabilise le premier anneau de la structure;

3. l'opération est répétée avec la deuxième puis la troisième série de tiges;

4. la structure achevée, la membrane vient la recouvrir.

La première construction de ce genre a été réalisée pour couvrir la salle de gymnastique des jeux olympiques
de Séoul en Corée. D'autres ont suivi. Particulièrement remarquable, le toit du Tropicana Field de St
Petersburg en Floride d'une portée de plus de 200 m pour un poids de moins de 25 kg/m².
Notons qu'il ne s'agit pas d'une structure à membrane tendue à proprement parler mais plutôt d'une structure
à câbles tendus. C'est seulement une remarque en passant, pas une critique, car il ne s'agit pas d'être
dogmatique mais pratique. Et de ce point de vue, nul doute que c'est une réussite.

dômes à membrane en tenségrité

L'imagination des ingénieurs ingénieux n'étant jamais en panne, voici une autre proposition radicalement
différente pour rendre des structures à membrane tendue autonomes vis-à-vis de la Terre. Elle est l'œuvre de
Bob Gillis, fondateur de Shelter Systems (http://www.shelter-systems.com d'où sont tirées toutes les
informations de ce paragraphe ainsi que la photo). Sa solution s'inspire à la fois du dôme géodésique et de la
tenségrité pour arriver à un dôme hémisphérique où une membrane donne forme à des arches flexibles tout
en étant soutenue par elles. Les dimensions sont modestes comparées aux grandes réalisations précédentes
mais néanmoins supérieures aux ordinaires tentes de camping. La plus grande fait 10 m de diamètre (30
pieds), soit une surface couverte d'environ 75 m², tout en étant très légère à tous les sens du terme: moins de
100 kg pour l'ensemble arches et membrane, et un prix de vente de moins de 2000$.

Bob Gillis n'est pas un novice en matière de conception de tentes. On lui doit en 1976 la première tente de
randonnée fondée sur les géodésiques et la tenségrité. De nombreux modèles commerciaux de tentes de
randonnée à arceaux flexibles exploitent l'un ou l'autre de ses brevets. Mais cette fois il s'agit d'autre chose,
proposer au grand public des structures plus grandes et pour des usages variés: de l'habitation permanente à
l'abri d'urgence, de la salle de jeux à l'abri piscine, de la serre au solarium en passant par l'observatoire
astronomique et quantités d'autres usages.

Ses dômes comportent de nombreuses innovations simples mais intéressantes:

forme

Voici le patron permettant de définir la surface de la membrane (pour les dômes les plus courants de 14, 18
et 20 pieds de diamètre, les modèles plus grands et plus petits étant basés sur d'autres configurations):
Quatre panneaux de ce genre pliés et assemblés permettent de réaliser un dôme inscrit dans un hémisphère:

D'accord ce n'est pas une forme très originale même si cela se démarque du classique dôme géodésique. La
conception de la structure l'est davantage.

arches

La principale innovation concerne les arches. L'idée consiste à employer un matériau flexible pour réaliser
véritablement des arcs, courbés comme les armes du même nom par un élément en tension, ici une
membrane au lieu d'une corde:
On remarque que la membrane est située sous l'ossature. L'ensemble constitué par la membrane et les arches
est à sa manière un système en tenségrité. En particulier il est totalement autoportant. Le dôme peut être
soulevé, déplacé, retourné même, sans rien perdre de sa forme.

Pour des raisons de coût, de facilité de transport et de montage, les arches ne sont pas d'un seul tenant (ce
serait possible en utilisant par exemple la fibre de verre, comme les perches des sauteurs) mais constituées
d'éléments courts (autour d'un mètre cinquante) ajustés en longueur au patron de la forme et assemblés grâce
à des connecteurs spéciaux.

Il est intéressant de remarquer que, contrairement à un dôme géodésique classique formé de triangles, la
plupart des tiges ont ici la même longueur.

matériaux

Le choix de matériaux courants rend ces constructions extrêmement faciles à réaliser, à réparer, à monter et à
démonter (1/2 heure sans outils), et finalement très peu onéreuses (quelques centaines de dollars).

Pour les arches, des tubes de plomberie en PVC de 1" class 200 ou class 125 (il s'agit de normes américaines
qui correspondent à ceci: diamètre extérieur 3,34 cm, diamètre intérieur 2,97 cm, résistance à la pression
14,4 et 9 kg/cm² respectivement).

Pour les connecteurs, des tubes PVC de même catégorie mais de diamètre immédiatement supérieur (1"1/4)
dans lesquels viennent s'emboîter les précédents. Ils consistent simplement en deux bouts de tuyau coupés à
la longueur de 12,5 cm et fixés en croix.
L'accrochage de la membrane aux tubes se fait grâce à des petits dispositifs en plastique appelés Grip-Clip et
développés tout spécialement. Ils évitent de percer la membrane (inconvénient des œillets).

La membrane est faite d'une matière plastique travaillée selon un procédé appelé ripstop qui la rend très
résistante à la tension et quasi indéchirable. On commence par fabriquer un film plastique que l'on étire
jusqu'à ce qu'il perde une grande partie de son élasticité sans amoindrir sa résistance. Le film est alors coupé
en fines lanières qui sont tissées. Le tissu ainsi obtenu est laminé sur ses deux faces avec des films étirés
comme précédemment et incorporant des protecteurs UV. On obtient de la sorte une membrane résistant bien
à la tension, indéchirable (on peut la percer bien sûr mais la déchirure ne se propage pas, même sous
tension), relativement durable, disponible en plusieurs coloris (translucide, blanc, noir, argent), et très bon
marché (moins de 10$ le mètre en 1,5 m de large).

Si j'insiste particulièrement sur cet exemple c'est que, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre à la lecture
de tout ce qui précède, il prouve que les architectures à membrane tendue ne sont pas réservées à des édifices
monumentaux d'une complexité et d'un coût exorbitants, ni à de minuscules tentes de randonnée inutilisables
en-dehors de l'usage pour lequel elles sont prévues. Bob Gillis s'est donné la peine de pénétrer les principes
qui régissent les structures légères et il est parvenu à une solution très simple et très efficace (avec tout de
même quelques limitations dans des conditions climatiques extrêmes). Ce faisant il ouvre une voie à d'autres
chercheurs qui voudront bien à leur tour se creuser la tête pour nous proposer d'autres solutions tout aussi
simples, encore plus efficaces et si possible plus élégantes. Il ouvre aussi la voie à une véritable
démocratisation des structures à membrane tendue.

démocratisation des structures tendues

les freins

Les structures à membrane tendue deviennent de plus en plus courantes dans le paysage architectural:

- grandes structures tendues sur ossature: gares, aéroports, salles de sports, etc.

- petites structures supportées par l'air: abris de tennis ou de piscines

http://www.worldwidedomes.com/index.html

- petites structures tendues sur ossature: tentes de randonnée et de camping, pavillons d'expositions ou de
loisirs
http://www.smartspartyhire.com.au/tents.php

De là à accepter ces structures en guise d'habitations, le pas est encore grand. Je n'ai connaissance que d'une
personne en France qui habite de manière permanente dans un dôme gonflable et aucune dans une structure
tendue sur ossature (une grande s'entend, pas juste une toile posée sur des cordes ni une tente de camping à
arceaux). Pourtant le catalogue des formes est vaste et attrayant, et les difficultés techniques ne semblent
guère plus élevées que pour les dômes géodésiques. Quantité de tels dômes ont été érigés par des
autoconstructeurs, alors pourquoi tant de freins vis-à-vis des architectures à membrane? J'en vois deux, le
premier psychologique, l'autre technique.

Nous sommes partis de la tente noire des nomades du désert, de conception simple, relativement facile à
fabriquer (pour qui sait tondre les chèvres et les moutons, filer la laine et la tisser), mais pas très grande (on
n'y tient debout qu'en son centre) ni très confortable hors de son contexte géographique, climatique et d'un
mode de vie d'éleveur nomade. Nous avons fini sur une tente d'un autre genre, le dôme à membrane en
tenségrité développé par Shelter Systems, encore plus facile à construire (pour qui a un magasin de bricolage
à côté de chez lui), sans doute plus confortable dans d'autres contextes que le désert aride, mais pas très
originale du point de vue morphologique, pas très avenante avec sa simple peau de plastique, ni résistante à
des conditions extrêmes. Bref, l'œil du novice ignorant tout de la tenségrité et autre subtilités structurales n'y
verra guère plus qu'une tente de camping améliorée. Voilà justement ce qui me semble être le premier frein à
la démocratisation des architectures à membrane, leur assimilation à la tente, avec tout ce que cela sous-
entend en termes de petitesse, d'inconfort et de fragilité. Pour quelques nuits, pourquoi pas, mais en guise
d'habitation permanente, pas question!

Pourtant nous savons maintenant que les architectures à membrane ne sont pas toujours synonymes de
tentes. Nous avons rencontré des édifices qui par leurs dimensions impressionnantes, jusqu'à plusieurs
hectares, leurs formes originales souvent très élégantes et leur durabilité n'ont plus grand chose à voir avec
les tentes, qu'elles soient anciennes ou modernes. Le hic est qu'elles semblent inaccessibles à l'architecte
moyen et plus encore à l'autoconstructeur: difficultés de conceptions sans moyens informatiques puissants,
difficultés de construction sans équipes rodées, sans parler des matériaux qui ne sont pas disponibles dans le
premier magasin de bricolage venu et ne se travaillent pas dans un garage avec les habituels outils du
bricoleur, perceuses, visseuse et autres scies sauteuses. Tel est me semble-t-il l'autre frein à la
démocratisation des architectures à membrane, leur côté par trop high-tech.

Pourtant ces architectures à membrane ouvrent de belles perspective, notamment les structures tendues sur
ossature rigide, souvent plus élégantes et moins problématiques que celles soutenues par l'air. La solution
proposée par Shelter Systems montre que, malgré ses insuffisances, ces structures peuvent être simples et
accessibles. Que proposer d'autre qui soit aussi accessible?

réseaux de câbles

Souvenons-nous:
1. les premières réalisations de Frei Otto (y compris le monumental pavillon allemand de l'exposition
universel de Montréal et la plus monumentale encore couverture du complexe olympique de Munich)
emploient des câbles et des filets métalliques en guise de substituts à des membranes,

2. des réalisations plus récentes tout aussi spectaculaires comme le câble-dôme et le ˝nuage flottant˝
emploient aussi des câbles qui participent ŕ la forme et à la structure,

3. une modélisation est possible qui ne nécessite ni connaissances physiques ni recours à


l'informatique, seulement un peu d'eau savonneuse déposée sur un contour métallique.

De là l'idée de revenir à des structures de câbles tendus, la membrane n'étant plus qu'une couverture qui ne
joue pas de rôle structural. Ce qu'on perd d'un côté en rajoutant une couche, on le gagne de l'autre en
simplifiant à la fois la conception, la réalisation, l'approvisionnement et le travail des matériaux, et
finalement la maintenance. On en arrive ainsi à une structure en trois couches:

1. un réseau de câbles principaux qui supportent l'essentiel des tensions en s'appuyant sur des mâts et des
ancrages;

2. un réseau de câbles secondaires formant un filet à mailles plus fines qui délimite plus précisément la
forme et soulage la membrane;

Frei Otto, volière de Munich


http://www.freiotto.com

3. la membrane elle-même qui n'a plus qu'un rôle de protection, principalement au Soleil, à l'eau et à l'air.

On en revient en quelque sorte à une organisation hiérarchisée, mais c'est le prix à payer tant qu'on ne
dispose pas d'une membrane satisfaisante apte à remplir à elle seule toutes les fonctions, y compris
structurale, tout en étant bon marché, facile à travailler et si possible aussi écologique et saine. Dans ce
contexte les structures à membranes fixées sur ou sous des câbles constituent un bon compromis.

montage

Le fait de réintroduire une certaine dose de hiérarchie simplifie grandement le montage qui, on l'a vu, est
souvent problématique dans les structures tendues du fait de l'interdépendance entre la forme et la tension.
Pour autant on ne s'éloigne pas trop de l'esprit de l'architecture à membrane dans la mesure où le réseau de
câble se comporte quasiment comme une membrane. On peut le voir comme un tissu à tissage très très lâche.

forme
Une grande variété de formes est possible, aussi séduisantes les unes que les autres, qu'elles soient régulières
(comme les cônes, les arches, les paraboloïdes hyperboliques) ou complètement libres (à l'exemple des
réalisations de Frei Otto). On peut imiter des formes existantes en les réduisant d'échelle, ou inventer ses
propres formes en les modélisant suivant la méthode décrite plus haut.

Frei Otto, volière de Munich


http://www.freiotto.com

matériaux

Comme il s'agit de couvrir des surfaces de quelques centaines de mètres carrés tout au plus et pas des
milliers, les problèmes de résistance des matériaux restent maîtrisables sans avoir recours à des produits
high-tech ni des calculs poussés. Du coup ils sont relativement faciles à se procurer à un coût raisonnable.

Des poteaux électriques ou téléphoniques conviennent en guise de mâts.

Les câbles ainsi que tous les accessoires pour les accrocher et les tendre se trouvent dans des magasins pour
BTP ou pour voiliers.

Quant à la membrane, n'ayant plus à subir des tensions démesurées ni à remplir simultanément toutes les
fonctions ni à être monobloc, elle est relativement facile à réaliser directement sur le chantier à partir de
divers produits disponibles dans les magasins de matériaux. Par exemple les membranes d'étanchéité pour
toitures, dont il existe aujourd'hui des versions écologiques sans chlore ni plastifiants (voir http://sarnafil.fr
ou http://www.spectraroof.com).

Si l'on souhaite réaliser un complexe multicouches pour plus de confort, on peut se tourner aussi vers les
écrans de sous-toiture respirant (étanche à l'eau mais perméable à la vapeur d'eau), les isolants minces, sans
parler des tissus de toutes sortes, en fibres naturelles ou synthétiques, traités ou pas.

Autre avantage d'une telle structure, il est facile de faire des ouvertures puisque la continuité de la membrane
n'est plus une condition de sa résistance. De même on peut facilement inclure des parties transparentes, par
exemple en fixant à l'ossature de câbles des plaques de polycarbonate qu'il n'est pas très difficile de relier à
la membrane de manière étanche.

Ajoutons encore que le mode de conception et les matériaux employés n'exigent pas une précision absolue,
tout écart étant rattrapable sur le chantier, ce qui facilite grandement la vie du constructeur.

biotecture

Intéressante aussi est la possibilité d'intégrer le bâtiment dans le paysage, ou plus précisément de réaliser une
interaction fusionnelle de la structure avec la flore et la faune. C'est ce que Rudolf Doernach appelle la
biotecture (http://www.rainforestinfo.org.au/good_wood/biotctl.htm).

Par exemple:
Des plantes peuvent pousser directement sur les mailles du filet, devenant partie intégrante de la structure à
la fois dans un rôle de protection et de renfort. Je pense à une vieille serre du 19e siècle à la structure
complètement rouillée qui ne tenait plus que grâce à la vigne qui avait poussé dessus.

Certaines parties du bâtiment peuvent rester en permanence ouvertes avec des arbres qui poussent entre les
câbles, un ruisseau qui serpente, une petite mare, bref tout un écosystème qui est à la fois dedans et dehors.

D'autres parties du bâtiment peuvent être couvertes par une simple bâche facile à mettre et à enlever, pour
réaliser selon les cas une serre, une véranda, un accumulateur de chaleur pour l'hiver, etc.

Bref, il y a de quoi expérimenter pour qui en a l'envie...


En deçà tension et compression

formes fluides

la méduse

Qu'est-ce que c'est?

Théodore Schwenk
Le chaos sensible, Triades 1982

Une méduse? Non: seulement une cloche d'eau chaude rendue visible par un colorant qui monte doucement
dans de l'eau plus froide en laissant derrière elle des traînées filamenteuses d'eau refroidie. Voici maintenant
de vraies méduses:

On s'y tromperait. Certains animaux sont très proches de l'état liquide. Une méduse, c'est de l'eau à presque
99%. Sa dénomination anglaise est plus évocatrice: jelly-fish, le poisson-gelée. C'est bien l'impression que
cela donne quand on touche son corps (en évitant si possible les filaments urticants), de la gelée. C'est mou,
et pourtant l'animal est capable de mouvements, contracter son ombrelle pour se déplacer, étendre ou
rétracter ses filaments pour atteindre des proies. C'est comme si ces êtres portaient encore dans leur corps,
bien visible, la trace des mouvements de l'eau qui les ont engendrés, comme s'ils n'étaient qu'une surface de
démarcation dans de la matière fluide délimitant un volume qui au fil du temps est devenu de plus en plus
autonome.
Les fluides, que ce soit l'air ou l'eau, ont une grande facilité à former des surfaces de démarcation stables.
D'infimes différences suffisent: de température (entre de l'air chaud et de l'air froid par exemple), de densité
(entre de l'eau salée et de l'eau douce), de vitesse (deux courants peuvent se rencontrer sans se mélanger,
comme le montrent ces nuages qui semblent se croiser mais qui en fait ne se situent pas à la même altitude,
poussés par des vents soufflant dans des directions différentes). Il arrive que ces surfaces délimitent des
volumes qui eux aussi peuvent rester stables malgré un flux continuel de matière autour voire au travers.
Voilà donc des structures dont la persistance et la résistance ne proviennent pas en premier lieu de l'habituel
antagonisme tension-compression.

ballons

La réalisation de structures qui ne soient pas fondées sur le jeu tension-compression n'est pas toute neuve
dans l'histoire des techniques. Le principe a été mis en œuvre avec succès il y a déjà plusieurs siècles sans
peut-être en avoir bien conscience. Les ballons sont ainsi faits, qu'ils soient à air chaud ou à gaz plus légers
que l'air. Par exemple dans un ballon à air chaud la membrane ne fait que matérialiser une surface de
démarcation entre des fluides identiques mais de températures et donc de densités différentes. Les deux
paragraphes qui suivent et que j'invite tous les allergiques aux maths à éviter, montrent notamment:

- qu'il existe tout de même une très légère surpression à l'intérieur du ballon (c'est d'ailleurs ce qui lui
donne sa forme quasi sphérique et le fait monter), mais elle n'est pas première comme dans une
structure gonflable (qui est quant à elle l'effet d'un jeu antagoniste tension de la membrane et
compression du fluide), elle est consécutive à la différence de densité;

- que les nuages comme les cumulus sont engendrés exactement de la même manière: la surface,
rendue visible par condensation de l'eau, est une surface de démarcation entre deux fluides de
températures différentes.

le principe d'Archimède (lecture facultative)

On a tous appris qu'un ballon monte dans l'air pour la même raison qu'un bateau flotte, grâce à la poussée
d'Archimède: tout corps plongé dans un fluide subit une poussée verticale de bas en haut égale au poids du
volume de fluide déplacé. Si ledit corps est plus léger que cette poussée, il s'élève. En fait, cette loi à une
cause plus profonde, à savoir la différence de pression dans le fluide entre le bas de l'objet et le haut.

La pression dans un fluide non contraint (par opposition à, par exemple, des inclusions dans de la matière
solide) soumis à la seule action de la force de gravité n'est rien d'autre que le poids par unité de surface de la
colonne de fluide située au-dessus.

Considérons un petit élément de volume situé à hauteur h (mesurée à partir du fond) de surface S et de
hauteur dh dans un fluide de densité D(h) :

Selon la définition ci-dessus de la pression, avec g pour l'accélération de la pesanteur:

La force ascensionnelle sur cet élément de volume vaut:


soit:

S dh correspond au volume, donc S D(h) dh correspond à la masse, et par conséquent S D(h) g dh au poids.
Conclusion: la force ascentionnelle est égale au poids de volume de fluide déplacé. C'est bien le principe
d'Archimède.

le principe des ballons (lecture facultative)

Pour simplifier, assimilons le ballon à une colonne de hauteur H, de surface horizontale S entourée d'une
membrane de poids négligeable fermée en haut et ouverte en bas. Appelons Pint(h) et Pext(h) respectivement
la pression à l'intérieur et à l'extérieur à la hauteur h.

Puisque la colonne est ouverte en bas: Pint(0) = Pext(0)

Quelle est la pression en haut du ballon, à la hauteur H? La formule s'écrit pareillement pour l'extérieur et
pour l'intérieur:

>

Le second membre de cette équation vaut D g H.

Donc:

qui se réduit à:

Conclusion: le ballon monte grâce à une différence de pression au sommet consécutive à une différence de
densité entre le gaz à l'intérieur et le gaz à l'extérieur.

Comme hypothèse supplémentaire, assimilons l'air à un gaz parfait:

donc:

où M est la masse molaire, soit 0,029 kg/mole pour l'air sec

Cette dernière équation relie la densité à la température et à la masse molaire (et aussi à la pression histoire
de compliquer encore un peu les choses). Donc une différence de densité peut être créée de deux manières:
par une différence de température (M constant, T qui varie) ou par une différence de composition (T
constant, M qui varie).
Dans le premier cas, c'est le principe du ballon à air chaud ou montgolfière: une différence de température
crée une différence de densité qui se traduit par une différence de pression au sommet du ballon entre
l'intérieur et l'extérieur.

Cette légère surpression intérieure a deux effets:

1. maintenir le ballon gonflé bien qu'il soit ouvert en bas;

2. le soulever avec une force ascensionnelle valant:

Pour avoir un ordre de grandeur prenons: une hauteur de 10 m, une surface de 100 m² (soit un volume de
1000 mètres cubes); une température extérieure de 20°C (soit 293°K) et intérieure de 100°C (373°K)
uniformément répartie (la température maximale de fonctionnement d'un ballon à air chaud moderne est
limitée à 120°C par le matériau de la membrane, en général du nylon). Je vous fais grâce des calculs qui
aboutissent à une différence de pression de l'ordre de 0,25 g/cm², d'où une force ascensionnelle d'environ
250 kilos. Ce n'est pas beaucoup mais c'est suffisant pour une personne. Pour trois ou quatre personnes, il
faut un ballon d'environ 2500 mètres cubes qui peut soulever près de 700 kilos, et pour un très gros ballon
capable d'emporter une douzaine de personnes il faut compter 15 000 mètres cubes.

Dans un ballon rempli de gaz plus léger que l'air comme l'hélium ou l'hydrogène, c'est la différence de
composition qui procure la force ascensionnelle. J'insiste, il est seulement rempli et pas gonflé, c'est-à-dire
qu'il n'y a pas de surpression intérieure introduite au départ. On le devine sur cette photo d'un ballon météo
prêt à être lâché:

http://techno-
science.net/illustration/Aero/Dirigeables/Ballon_meteo_1.jpg

La gaz s'accumule en haut où il arrondit le ballon et le pousse vers le ciel tandis qu'en bas la membrane pend
mollement.

Dans un tel ballon la température est la même partout et la différence de densité est due à la différence de
masse molaire entre l'air et le gaz enfermé: 0,029 kg/mole pour l'air sec, 0,004 kg/mole pour l'hélium et
0,002 pour le gaz hydrogène. Là encore je vous fais grâce des calculs: la différence de pression entre
l'intérieur et l'extérieur au sommet du ballon engendrée par cette différence de densité est de l'ordre de 100
pascals pour une hauteur de 10 m soit environ 1 g/cm² en unités non orthodoxes mais plus parlantes.
nuages (lecture recommandée)

Il existe de nombreux types de nuages auxquels correspondent différents modes de création. Je ne vais
m'intéresser ici qu'à un seul, le cumulus, pour sa similarité avec le principe de fonctionnement des ballons.

L'été, en milieu de journée, le Soleil frappe le sol selon un angle assez proche de la verticale, d'où une
efficacité maximale. Le sol chauffe et, en fonction de la géologie et de la couverture végétale, transmet plus
ou moins sa chaleur à l'air environnant. De véritables bulles d'air chaud se forment là où le transfert de
chaleur est le plus efficace, au-dessus des champs plutôt qu'au-dessus des arbres. Elles se mettent en
mouvement comme des ballons à air chaud: une différence de température créée une différence de densité
qui crée une différence de pression qui crée une force ascensionnelle. Se forment de véritables courants vers
le haut que l'on appelle des ascendances. Les rapaces nous montrent bien leur existence: en se plaçant
précisément dedans ils prennent très vite de l'altitude sans le moindre battement d'ailes. Certains de ces
courants sont si forts qu'à leur tour les pilotes de planeurs et de parapentes ont appris à s'en servir pour
s'élever (ce n'est pas le seul type d'ascendances, il en existe aussi engendrées par le vent qui vient buter sur
certains reliefs).

Que se passe-t-il lorsque cette bulle d'air qui monte du sol est chargée d'humidité? Remarquons tout d'abord
que la masse molaire de la vapeur d'eau est notablement inférieure à celle des principaux constituants de
l'air: seulement 18 g/mole contre 28 pour l'azote et 32 pour l'oxygène. Donc la bulle d'air chaud et humide a
doublement tendance à s'élever dans de l'air plus froid et plus sec.

D'autre part, on sait que plus l'altitude est élevée plus la température est basse. Vient donc le moment où la
bulle atteint l'altitude correspondant au point de condensation de la vapeur d'eau. C'est le même phénomène
que l'on observe au-dessus d'une marmite où de l'eau bout. Au contact de l'air extérieur plus froid, l'eau passe
de l'état de vapeur à l'état liquide et devient visible sous forme d'un petit nuage. Les nuages dans le ciel se
forment exactement de la même manière: dans de l'air plus froid, l'eau sous forme de vapeur se condense en
d'innombrables gouttelettes d'eau (voire de glace si la température est très basse). Ainsi apparaît le cumulus.

La dynamique du nuage ne s'arrête pas là. Sa surface se refroidit par rapport à l'intérieur tandis que des
bulles chaudes continuent de monter. C'est ce qui donne au cumulus cet aspect bourgeonnant avec
d'innombrables volutes tourbillonnantes et des retombées.

Ces nuages disparaissent progressivement dès qu'ils cessent d'être alimentés depuis le sol en air chaud et
humide. C'est ainsi que le soir venu le ciel redevient clair, jusqu'au lendemain où le cycle recommence...

changement de paradigme
Rien de bien nouveau en apparence: les cumulus existent depuis la nuit des temps, les méduses depuis des
millions d'années et les montgolfières depuis 1783. Ce qui est nouveau en revanche c'est le retournement de
point de vue que ces considérations invitent à accomplir, un véritable changement de paradigme pour les
structures.

On appelle paradigme en sciences un ensemble de croyances implicites ou explicites qui orientent les
recherches. Un exemple simple sera plus parlant:

On connaît tous le pendule, un poids suspendu au bout d'un fil dont on se sert entre autres pour faire des
pendules. Avant Galilée (1564-1642), une telle application à la mesure du temps était inconcevable. La
physique était alors dominée par les théories d'Aristote. Englués dans ses conceptions de substance et de
finalité, les aristotéliciens ne pouvaient abstraire les notions de trajectoire et de période. Pour eux un pendule
n'était qu'un corps pesant entravé par un fil qui gagnait avec difficulté sa position finale de repos. Dans leur
paradigme, le mouvement de l'objet ne comptait pas, seule importait son attirance vers son point d'arrivée.

Survient Galilée qui renverse complètement la perspective. Avec lui cela devient un corps qui oscille en
répétant presque toujours le même mouvement. Il devient alors possible d'abstraire le concept de période.
Galilée observe et découvre qu'elle ne dépend que de la longueur du fil et pas de l'amplitude des oscillations
ni de la masse de l'objet suspendu. Le pendule est né et la possibilité de faire des horloges exploitant cette
propriété. Galilée a changé le paradigme en portant un nouveau regard sur ce banal objet qu'est un poids
suspendu au bout d'un fil et il a ainsi ouvert de nouvelles perspectives tant théoriques que pratiques.

C'est un semblable renversement de paradigme que j'invite à accomplir dans le domaine des structures
architecturales où tout est basé jusqu'ici sur l'antagonisme tension-compression. Ces forces ne vont pas
totalement disparaître bien évidemment tant que l'on construira avec de la matière (mais il n'est pas interdit
de penser qu'un jour l'on n'aura plus affaire à elles, lorsqu'on maîtrisera mieux certains phénomènes
physiques au point de pouvoir faire des barrières immatérielles, à bases d'ondes par exemple, acoustiques ou
électromagnétiques comme en imaginent souvent les écrivains de science-fiction). Donc considérer que les
jeux tension-compression, tout en restant présents, ne sont plus que secondaires par rapport à des
phénomènes plus profonds, plus en amont. Par exemple les différences de température ou de composition
dans des fluides que nous venons d'étudier, grâce à quoi se créent des surfaces de démarcation stables qui
enclosent des volumes persistants. L'on sait déjà que c'est possible dans des domaines aussi différents que la
Nature inanimée, le monde vivant et les constructions humaines avec respectivement les exemples des
nuages, des méduses et des ballons. Toute la question maintenant est de savoir si c'est transposable à
l'architecture. Mais assez de théorie, soyons pratiques à l'exemple de Galilée. Que sera notre pendule à nous?
à l'évidence les structures pneumatiques, que nous reconnaissons déjà comme étant en architecture ce qui se
rapproche le plus des nuages et des ballons.

coussins gonflables

de la membrane au coussin

De toutes les constructions étudiées jusqu'ici, celles supportées par l'air sont indéniablement les plus
séduisantes du point de vue structurel:

+ une simple membrane de quelques dixièmes de millimètre d'épaisseur en guise de murs et de toit,
surface de démarcation sensible qui ne rompt pas la continuité de l'espace, et pas cloison qui sépare
deux mondes jusqu'à les isoler;

+ comme seul support, une faible surpression d'air du même ordre de grandeur que celle qui se crée
dans un ballon par différence de densité (quelques grammes par centimètre carré).
Hélas, des défauts rédhibitoires limitent considérablement les usages:

- sont requis faute de quoi tout s'effondre: une membrane résistante et étanche, des joints tout aussi
étanches, des ouvertures limitées, plus un système actif de maintien de la pression;

- sont requis faute de quoi tout s'envole des ancrages massifs;

- peu de formes possibles, et pas toujours très séduisantes.

Peut-on palier à ces inconvénients? Revenons au principe de base d'une structure supportée par l'air:

En haut et sur les côtés la pression s'exerce sur la membrane. En bas, elle s'exerce sur le sol. Entre ces deux
éléments hétérogènes une jonction étanche et pesante est requise.

L'on peut rendre la jonction homogène au point de se passer d'ancrage en soudant cette membrane à une
autre identique placée dessous. En introduisant de l'air sous pression, on obtient une sorte de grand coussin
gonflable qui prend une forme lenticulaire:

Si maintenant on place ce coussin en hauteur sur une structure porteuse, on conserve les avantages d'une
structure supportée par l'air sans la plupart des inconvénients:

C'est probablement par un raisonnement de ce genre que les concepteurs de l'ukigumo, le ˝nuage flottant˝, en
sont arrivés ŕ concevoir leur structure (voir troisième partie). Le hic est que plus grand est le coussin (près de
170 m de diamètre dans cet exemple), plus grande aussi la difficulté de le maintenir en forme, donc plus
grande la structure porteuse (ici près de 1000 tonnes pour un énorme anneau de compression, un moyeu, plus
52 câbles reliant les deux et enserrant le coussin).

D'où l'idée de fractionner la surface à couvrir en plusieurs coussins plus petits capables chacun de garder sa
forme par la seule pression de l'air à l'intérieur. Cela implique aussi de fractionner les éléments porteurs,
chaque coussin devant être maintenu individuellement. Mais cette multiplication d'éléments similaires, des
modules en quelque sorte, est beaucoup plus facile à gérer qu'une seule énorme structure porteuse, tant du
point de vue de la conception que de la réalisation. En outre apparaît un bénéfice inattendu puisque, ô
miracle, pratiquement n'importe quelle forme devient réalisable, du cube à la sphère comme nous le verrons
plus loin, étant bien entendu qu'il n'y a pas de surpression à l'intérieur de l'espace habitable.

Je ne sais si c'est par un raisonnement similaire que Jay Baldwin est parvenu à son idée de pillow dome.
Toujours est-il qu'il est le premier à ma connaissance à avoir proposé d'utiliser de tels coussins gonflables
comme éléments de couverture. Cela remonte à 1969. À l'époque, les dômes géodésiques étaient à la mode
dans les milieux de la contre-culture californienne. Beaucoup rêvaient même de dômes transparents. Beaux
rêves hélas difficilement réalisables: coûts élevés, problèmes de fuites d'eau, de contrôle de la température et
de condensation, entre autres. Jay Baldwin eut l'idée de combler chaque triangle d'un dôme géodésique par
des coussins de vinyle transparent. Après un prototype réussi, Buckminster Fuller lui-même en commanda
un puis cinq autre furent construits. Tout fut arrêté lorsqu'ils réalisèrent que le vinyle dégazait des substances
nocives. Sans parler de sa faible durée de vie, 6 ans à peine. L'idée fut donc remisée et ce n'est que dix plus
tard que Jay Baldwin la reprit. Entre-temps, un nouveau matériau aux propriétés étonnantes était apparu,
l'éthylènetétrafluoroéthylène, ETFE pour les intimes.

né pour l'espace

L'ETFE est un extraordinaire matériau inventé par DuPont pour la NASA. Dans les années 60-70, la course à
l'espace tirait la recherche en avant. Les conditions extrêmes de l'espace (vide quasi absolu, violents écarts
de température entre le zéro presque absolu du côté à l'ombre et plusieurs centaines de degrés centigrades du
côté ensoleillé, rayonnements intenses, en particulier dans l'ultraviolet mais aussi X et gamma...) exigeaient
des matériaux aux performances exceptionnelles (en termes également de longévité compte tenu de projets
de missions de plus en plus longues, plusieurs années même puisqu'il était envisagé à l'époque d'aller jusqu'à
Mars une fois la Lune conquise). Il en résulta, entre autres, le PTFE (plus connu sous le nom de marque de
DuPont, le Téflon) que nous avons déjà rencontré dans la troisième partie associé au tissu de verre, et l'ETFE
(nom de marque Tefzel chez DuPont, Fluon chez Asahi Glass qui s'y est mis aussi).

Le passage de l'architecture spatiale à l'architecture terrestre n'est le fait ni de DuPont ni de la NASA. Aux
Etats-Unis, on le doit à l'intuition de Jay Baldwin. Hélas guère de réalisations n'ont fait suite aux siennes et
les recherches semblent même s'être arrêtées.

La véritable percée est venue d'Allemagne, de Stefan Lehnert. Étudiant, il était aussi passionné de voile. En
quête de nouveaux matériaux pour réaliser des voiles plus performantes, il a découvert l'ETFE. Il s'est avéré
impropre à cet usage mais Lehnert a entrevu son potentiel en architecture en raison de sa transparence, de ses
propriétés antiadhésives qui le rendent autonettoyant, de sa légèreté alliée à sa solidité (sa grande résistance à
la déchirure va de pair avec une grande élasticité, c'est probablement ce qui le rend inapproprié pour des
voiles; c'est pour la même raison que le PTFE seul ne peut être employé comme membrane pour les
structures tendues mais qu'il doit être associé à un autre élément très résistant à la traction, comme un tissu
en fibre de verre). En 1982 il a fondé Foiltec (http://www.foiltec.com), spécialisée dans la conception et la
fabrication de produits pour l'architecture à base d'ETFE, et il a commencé à proposer des solutions à des
cabinets d'architectes. Dans les années 90 les réalisations se sont multipliées, culminant en 2000 avec le très
beau et spectaculaire Eden Project en Grande-Bretagne. La validité du procédé était pleinement établie.
D'autres firmes spécialisées se sont créées dans les années 2000, d'autres projets ont vu le jour. Certes on est
encore loin de la démocratisation (le grand public n'en a aucune connaissance et je suis sûr que la plupart des
architectes non plus). Mais un cap est passé, le procédé n'a plus à faire ses preuves. Ce n'est plus qu'une
affaire d'audace, d'imagination, et de savoir-faire car toute la pensée architecturale est à reconsidérer
lorsqu'on travaille avec un matériau souple, une véritable membrane et plus un succédané sur base tissée. Il
me semble donc intéressant de rentrer dans les détails.

des films en ETFE

Il est un fait qu'un matériau conçu pour les rudes conditions de l'espace doit se comporter très favorablement
sur Terre:

durabilité

Avec maintenant près de 40 ans de recul, il apparaît que les films en ETFE ne présentent pas le moindre
signe de vieillissement malgré des années d'exposition au Soleil, à la pollution, aux intempéries, etc.: aucune
altération, aucune décoloration, aucune perte de résistance.

Le processus de production de l'ETFE consomme peu d'énergie et le matériau est entièrement recyclable:
fondus, les films redeviennent de la résine qu'il est possible de repasser dans des extrudeuses pour refaire des
films...
transparence

Les films en ETFE sont parfaitement transparents à la lumière visible (plus que le verre), avec un rendu des
couleurs aussi bon qu'à la lumière du jour.

Contrairement au verre, ils sont aussi transparents aux UV (83-88% selon épaisseur). C'est sans doute parfait
pour des plantes et peut-être moins pour des humains ou certains matériaux fragiles comme des tissus.
Divers procédés permettent de limiter les apports solaires. J'y reviendrai.

S'agissant des infrarouges, les films présentent une forte absorption, ce qui permet, comme avec le verre, de
créer un effet de serre. Efficace pour récupérer de la chaleur en hiver mais qu'il faut maîtriser en été.

inertie chimique

L'ETFE ne réagit pas du tout avec un très grand nombre de substances réputées corrosives: acides, bases,
halogènes, sels métalliques en solution, etc.

Il a une faible perméabilité à la plupart des gaz et vapeurs.

Notons encore que le matériau lui-même ne dégaze pas, contrairement à de nombreux plastiques tels que le
vinyle, le PVC et autres.

autonettoyant

Les films sont réalisés par extrusion, ce qui rend leur surface extrêmement lisse. Les saletés n'ont donc pas
tendance à s'accumuler comme dans les innombrables anfractuosités d'un composite à base tissée.

Surtout, comme son cousin le PTFE (Téflon), l'ETFE a un fort pouvoir antiadhésif: rien n'accroche.

Donc une membrane faite dans cette matière n'attire pas la saleté, et quand saleté il y a (déjections d'oiseaux
par exemple), elle tend à disparaître à la première pluie. Une telle membrane garde sa propreté et sa
transparence sans nécessiter aucun entretien.

Pour les mêmes raisons la pluie et la neige glissent facilement (à condition évidemment qu'il y ait une petite
pente). On observe très bien ce phénomène lorsqu'on lave une poêle antiadhésive: il suffit de la pencher pour
voir glisser toute l'eau, il n'y a pas à l'essuyer, elle est déjà sèche.

Dernier avantage notable, les algues ont très peu d'affinités avec ce matériau, donc pas de risque de voir des
colonies verdâtres se développer dans les coussins.

inflammabilité

L'ETFE brûle difficilement. Et comme il y a peu de matière dans une architecture à membrane (au plus
quelques kilos au mètre carré si l'on emploie des coussins constitués de nombreuses couches), le feu n'est pas
entretenu.

Autre avantage en cas d'incendie: les gaz chauds ramollissent le film vers 200°C, qui du coup se rétracte, ce
qui l'éloigne de la source de chaleur. Et par le trou ainsi créé, les fumées s'évacuent facilement, entraînant
vers le haut d'éventuelles fragments de film détachés. Il y a donc très peu de risques pour les habitants de
prendre sur la tête des gouttes d'ETFE.

Remarquons d'ailleurs que partout où il est employé dans des bâtiments, y compris recevant du public, les
codes de construction sont parfaitement respectés et les autorités délivrent les permis de construire.

Quelques données complémentaires: point de fusion 270°C; température de service maximale 150°C;
température minimale où le matériau devient cassant -104°C.
résistance mécanique

La finesse des films en ETFE (en architecture, les coussins gonflables utilisent généralement des épaisseurs
allant de 50 à 200 microns) n'empêche pas une très grande résistance, tant à l'impact qu'à la déchirure. Un
bon coup de couteau va évidemment faire un trou, qui se répare facilement en soudant dessus un petit carré
de film.

Ils présentent également une excellente résistance à l'élongation, 450% à la rupture.

Enfin ils se plient sans dommage et résistent même à de nombreux cycles de pliage-dépliage.

Mieux que des mesures chiffrées selon diverses normes en vigueur, des exemples concrets de sa résistance
seront plus parlants:

+ Jay Balwin a utilisé le premier coussin gonflable en ETFE comme trampoline pour tester sa
résistance;

+ les coussins de l'Eden Poject peuvent supporter chacun le poids d'une équipe de rugby.

des coussins en ETFE

Au sortir du processus de fabrication, l'ETFE est une résine. Passée dans une extrudeuse, cela devient un
film mince (de 30 à 200 microns d'épaisseur). À cause de son élasticité, une seule couche d'un tel film ne
peut servir de membrane pour des structures tendues. C'est pourquoi on ne les utilise qu'en coussins
gonflables: on découpe des lés selon un patron, on en superpose plusieurs (de deux à cinq), et on les soude
sur tout le pourtour, en n'oubliant pas d'insérer quelque part une valve pour le gonflage avec de l'air, de
l'argon ou autre. Un tel coussin hérite bien évidemment de toutes les propriétés du film qui le constitue. Il
présente en outre les caractéristiques suivantes:

gonflage

Une pression relativement faible suffit à donner au coussin sa stabilité structurelle et son pouvoir isolant.
Pour les coussins triangulaires d'environ 1,5 m de côté de son pillow dome, Jay Baldwin injectait de l'argon
sous 40 g/cm² de pression (0,5 psi). Je ne sais pas comment il a déterminé cette valeur. D'autres aujourd'hui
emploient des valeurs beaucoup plus faibles bien que leurs coussins soient de dimensions plus importantes.
Par exemple la firme Architen Landrell Associates (http://www.architen.com) utilise une pression de
2,24 g/cm² (220 Pa précisément).

Compte tenu de la perméabilité de la membrane (bien que faible elle n'est pas nulle) ainsi que d'inévitables
petites fuites (au niveau des soudures, des valves, voire de micro-trous), un système actif est nécessaire pour
maintenir la pression. Comme sur un pneu d'automobile, il s'agit seulement de maintenir la pression et pas de
créer un courant d'air. Toujours selon Architen Landrell, un gonfleur électrique de la puissance d'une
ampoule d'éclairage et fonctionnant 50% du temps suffit pour maintenir la pression dans 1000 m² de toit (ces
gens voient grand!). En cas de panne, une pression suffisante subsiste plusieurs heures. Ensuite les coussins
deviennent flasques et commencent à battre si le vent se lève, ce qui accélère la déflation. Quoiqu'il en soit,
même en cas de perte totale de pression ou d'arrachement, il n'y a pas de risque d'effondrement du bâtiment
parce que les coussins sont insérés dans une structure porteuse indépendante qui offre, elle, peu de prise au
vent.

isolation thermique

Les coussins ont naturellement des propriétés isolantes:

nombre de couches coefficient K


2 2,94
3 1,96
4 1,47
5 1,18

Un coussin de toit comportant 3 couches est plus isolant qu'un triple vitrage en position horizontale (les
fabricants donnent toujours les performances de leurs vitrages pour la position verticale, plus avantageuse
que l'horizontale). Une innovation de Foiltec (Texlon Nano) permet même d'atteindre la valeur
remarquablement basse de 0,3 W/m²°C.

apports solaires

Une couverture entièrement faite de coussins d'ETFE transparents n'a pas que des avantages, notamment en
été lorsque le Soleil frappe selon un angle proche de la verticale. Il est donc indispensable de contrôler les
apports solaires. Des solutions existent d'ors et déjà:

- imprimer des motifs sur les films qui réduisent la transmission solaire;

- teinter l'ETFE dans la masse pour le rendre translucide au lieu de transparent;

- utiliser des systèmes actifs de contrôle climatique qui modifient la transmission en fonction des
conditions extérieures et des besoins intérieurs.

Les recherches actuelles tendent vers cette dernière direction. Par exemple le toit de l'école Kingsdale de
Londres: 2 des 3 couches constituant le coussin comportent des motifs imprimés de sorte qu'en jouant avec
la pression entre les couches, on modifie la transmission solaire entre 50 et 5%.

la lumière passe

la lumière ne passe presque plus

Il est bien sûr possible d'imprimer des motifs plus élaborés que des bandes ou des carrés, jusqu'à constituer
de véritables œuvres d'art.

Les recherches ne faisant que commencer, il est probable que d'autres solutions seront imaginées dans les
années à venir.

acoustique

Les coussins gonflables sont transparents acoustiquement parlant.

Le plus gênant est l'effet de roulement de tambour produit par la pluie qui frappe le film extérieur tendu par
la pression. Les chercheurs ont conçus divers dispositifs qui atténuent ces bruits d'impacts de 20 dB et même
jusqu'à 60 dB. Ce n'est certainement pas simple ni bon marché mais c'est intéressant de savoir que ça existe.
dimensions

Il semble que ce ne soit pas du tout un facteur limitant. Architen Landrell Associates propose des coussins
rectangulaires de 3,5 m de large et jusqu'à 30 m de long. Des dimensions supérieures sont possibles en
incorporant des renforts.

De son côté Foiltec a réalisé pour le pavillon allemand de l'exposition universelle de Hanovre en 2000 un
énorme coussin de toit de près de 25 mètres de diamètre. Je ne sais si c'est le cas pour ce coussin géant,
toujours est-il que cette société les conçoit en général pour des forces de succion du vent de 220 kg/m² et des
surcharges de neige de 300 kg/m².

coût

L'ETFE est encore loin d'être un matériau commun que l'on trouve dans le premier magasin de bricolage
venu. Une petite recherche dans Google portant sur "teflon film price" permet tout de même de se faire une
idée de son prix: environ 30 dollars le mètre carré en 200 microns d'épaisseur (ou 8 mil. c'est-à-dire 0,008
pouces) pour des rouleaux de 60 cm de large sur 3 m de long (précisément 53,25 dollars en 24 pouces sur 10
pieds au premier octobre 2007). Pour des coussins constitués de trois couches, on approche des 100 dollars
le mètre carré.

Il est probable qu'avec le développement de la concurrence et l'essor du marché des grands travaux ces prix
vont baisser. En attendant le coût total film plus fabrication des coussins plus accessoires (gonflage,
protection solaire, protection acoustique, etc.) n'est pas des plus légers pour les finances. Mais pour être juste
il faut faire une comparaison globale tenant compte aussi:

+ de l'entretien, quasi nul à part le coût du gonflage;

+ de la légèreté (typiquement 750 g/m² pour un coussin à 3 couches, extérieur 200 microns, milieu
150 et intérieur 80), qui permet un moindre coût de transport ainsi qu'un allègement de la structure
porteuse;

+ du fait que le coussin tient lieu simultanément de couverture, de fenêtre de toit et d'isolant.

À titre de comparaison, voici le nombre de couches qui constituent un toit traditionnel comme celui de notre
maison: tuiles romaines décoratives posées sur des plaques ondulées en fibrociment elles-mêmes posées sur
des voliges, le tout supporté par des tasseaux sur des chevrons qui prennent appui sur les murs de la maison,
un pare pluie plus un isolant plus un pare vapeur, des tasseaux supportant le lambris intérieur de finition,
sans oublier une ou deux couches de lasure ou de verni, sans parler de l'énergie et du travail dépensés pour
mettre tout ça en place. La simplicité des coussins gonflables a son charme...

réalisations monumentales

Eden Project

Implantée dans la banlieue de Londres et datant de 2000, c'est la première réalisation marquante dont la
couverture est entièrement faite de coussins gonflables en ETFE. Il s'agit d'un ensemble de dômes
géodésiques immenses couvrant près de 35 000 m² et servant de serres pour des plantes tropicales.
http://www.foiltec.com

La carcasse est constituée de deux couches interconnectées de tubes d'acier dessinant des hexagones et des
triangles du côté intérieur, des hexagones plus quelques pentagones du côté extérieur. Toute la couverture est
faite de coussins gonflables de formes hexagonales (plus les quelques pentagones): 3 couches d'ETFE, 2 m
de profondeur, et jusqu'à 11 m de diamètre.

Il est intéressant de savoir que l'ensemble a été conçu par le groupe d'architectes Grimshaw-Hunt-Arup avec
l'assistance du cabinet d'ingénierie Buro Happold pour la conception des coussins. Or Ove Arup a beaucoup
travaillé avec Frei Otto, sur la Mannheim Multihalle notamment. Quant au cabinet Buro Happold, il a été
fondé par Ted Happold, lui-même un ancien de Ove Arup & partners, et il a aussi de son côté beaucoup
travaillé avec Frei Otto. On peut donc dire que c'est en quelque sorte la branche britannique de l'institut des
structures légères de Frei Otto qui est derrière cette réalisation. Un dernier mot: dès les années 50, Frei Otto
a eu l'idée de coussins gonflables mais n'a hélas jamais rien réalisé de tel.

Allianz Arena

C'est le tout nouveau stade de foot de Munich construit à l'occasion de la coupe du monde 2006 et conçu par
les architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Les munichois l'ont surnommé Schlauchboot, le
canot pneumatique, à cause de sa façade entièrement recouverte de coussins gonflables en ETFE.
En tout 2874 coussins maintenus gonflés par un flux continu d'air, leur surface étant constellée de petits
trous pour mieux diffuser la lumière projetée par des lampes blanches, rouges, et bleues.

Pour donner une idée de l'ampleur de cette façade, le stade fait 258x227x50 m et peut accueillir un peu
moins de 70 000 spectateurs.

Water Cube

C'est le surnom du centre de natation de Pékin construit pour les jeux olympiques de 2008. Conçu avec l'aide
de Foiltec il utilise 100 000 m² de coussins en film ETFE bleu de 200 microns pour couvrir murs et toit. Le
bâtiment ressemble à un empilement de bulles de savon.

Les coussins font jusqu'à 9 m de diamètre et 3,6 m de section sans autre soutien que sur leur pourtour.
L'ensemble est conçu pour résister à d'importantes contraintes climatiques: à l'extérieur, les rigueurs du
climat pékinois (très chaud et humide en été, très froid en hiver, plus le vent, la neige, la pollution); à
l'intérieur, un environnement constant à 28°C chargé d'humidité et de vapeurs de chlore.

Remarquons que si le procédé permet de remplir aussi bien un cube qu'un hémisphère, c'est que
pratiquement n'importe quelle forme est réalisable.

auto-construction

Malgré leurs attraits, les structures à membrane tendue étudiées dans la troisième partie sont apparues guère
accessibles aux amateurs à causes d'énormes difficultés de conception et de manufacture, à moins de faire un
pas en arrière pour revenir à des structures à câbles tendus. Faut-il craindre qu'il en aille de même avec ce
nouveau principe structural? Heureusement non.

D'abord aucun bâtiment utilisant ce procédé, aussi imposant soit-il, n'est fait d'un seul bloc. Il y a toujours
plusieurs coussins, ce qui fait que chacun pris séparément est d'une taille et d'un poids raisonnables. En outre
ils se travaillent souvent à plat: il suffit de découper des lès dans des films qui arrivent en rouleau et les
souder. L'élasticité du matériau permet de compenser d'éventuelles imprécisions. C'est donc à la portée d'un
bricoleur.

D'ailleurs les premiers essais de Jay Baldwin étaient motivés par un esprit d'autonomie et d'auto-construction
que l'on ne retrouve évidemment pas dans les projets prestigieux évoqués ci-dessus, ni dans leurs suivants
(comme le gigantesque centre de loisir Khan Shatyry dans la capitale du Kazakhstan). La raison peut-être
pour laquelle le procédé n'a pas pris aux Etats-Unis. Les américains commencent seulement à s'y intéresser
au vu des monumentales réalisations européennes et sous l'impulsion de compagnies comme Foiltec qui a
maintenant une filiale là-bas.

Les grands projets ont ceci d'intéressant qu'ils montrent l'état de l'art. Force est de reconnaître qu'en quelques
années de formidables progrès ont été accomplis. Reste maintenant à les ramener à une échelle plus
humaine, celle des habitations. Pour l'exemple, revenons sur ce que Jay Baldwin a réussi a faire avec des
moyens beaucoup plus modestes (quelques milliers de dollars contre près de 100 millions pour le Water
Cube) et à une époque (1979) où les connaissance sur le matériau étaient encore limitées.
pillow dome

La structure porteuse est un dôme géodésique classique de fréquence 3 de 31 pieds de diamètre (un peu
moins de 9,5 m) formant 3/8 de sphère (voir explications sur les dômes géodésiques dans la deuxième
partie).

Les coussins ont la forme de triangles d'environ 1,5 m de côté. Ils sont faits de trois couches d'ETFE soudées
avec un rebord de 3 pouces (7,5 cm) de large avec une valve dans un coin.

Les coussins sont installés sur la structure tubulaire en aluminium du dôme. Les rebords soudés des triangles
s'enroulent sous les tubes et sont maintenus à l'aide de longs clamps façonnés dans des tubes PVC ouverts
dans la longueur. Des rivets tous les 15 cm assurent la fixation définitive. Baldwin affirme que le procédé est
fiable et assure une parfaite étanchéité (le point faible de nombreux dômes à cause de dilatations et de
contractions importantes et inégales qui sont ici absorbées par la souplesse du matériau).

Les coussins sont remplis d'argon (gaz inerte, non toxique, meilleur isolant que l'air, de plus en plus employé
dans les doubles vitrages) sous une pression de 1/2 psi (environ 40 g/cm²). La gardent-ils ? Lorsque le dôme
a été démonté plus de 10 ans après sa construction, quelques coussins étaient encore gonflés.

La totalité de la construction pèse moins de 250 kg, soit moins de 4 kg par m² de surface au sol. Pour ne pas
qu'elle s'envole, elle est ancrée dans le sol avec des blocs de béton reliés aux connecteurs inférieurs du dôme
(pas d'autres fondations). Résultat: le bâtiment a supporté 75 cm de neige et des vents de plus de 150 km/h.

En 1985, Jay Baldwin estimait que, produit en masse, un pillow dome de 1000 pieds carrés (environ 90 m²)
reviendrait à 12 $/ft² (130 $/m²), structure, coussins, main d'œuvre et installation compris.

"En fin de compte, il apparaît raisonnable sur les plans structurel et énergétique de vivre dans le jardin et
d'avoir des bâtiments qui produisent plus qu'ils ne prennent à la nature. Il y a bien sûr d'autres façons
d'accomplir cela, mais le moment semble approprié pour développer les possibilités offertes par la
combinaison du pillow dome, du procédé de culture agricole en intérieur New Alchemy, et de nouveaux
matériaux prometteurs. Allez-y! L'idée n'est pas brevetée et ne peut l'être. Quant à moi, j'aurai mon lit par là,
sous le cerisier." (Jay Baldwin, the pillow dome, Buckminster Fuller Institute 1985, traduction personnelle)

en deçà tension et compression, bilan et perspectives

Nous sommes partis avec l'idée de concevoir des structures architecturales qui ne soient pas fondées
directement sur l'antagonisme tension-compression. Avons-nous réussi? En partie seulement. Il est vrai qu'à
l'heure actuelle les coussins gonflables en ETFE sont, en architecture, ce qui se rapproche le plus de cette
idée:

- une pression intérieure du même ordre que dans les ballons et les nuages,

- une véritable membrane,

- qui prend forme sous la pression et n'est pas entièrement figée à la conception,

bref, c'est quasiment une surface de démarcation au sein du fluide air.

Le problème est que, dans l'état de l'art actuel, un coussin doit obligatoirement être tenu sur son pourtour. Et
là on retrouve des structures plus classiques, c'est-à-dire relevant du paradigme tension-compression, même
si l'on peut se permettre de les ouvrir et de les alléger en recourant notamment à des assemblages non
hiérarchisés: cf. l'ossature de l'Eden Project, du Watercube et du pillow dome.
Est-il possible d'aller plus loin et d'opérer à ce niveau aussi un changement de paradigme? J'avoue que je ne
sais pas. Le dilemme est similaire à celui sur lequel bute la tenségrité (voir deuxième partie):

- ou bien le nouveau paradigme en deçà tension et compression est capable d'inspirer des structures
architecturales entièrement fondées dessus,

- ou bien il n'est apte qu'à suggérer des solutions partielles, réalisables au prix de quelques
compromis, à l'exemple des coussins gonflables sur ossature classique.

On ne le saura évidemment qu'en poursuivant l'exploration de cette voie. Mais quelle qu'en soit l'issue, on est
déjà certain de ne pas perdre notre temps au vu des constructions les plus récentes à base de coussins
gonflables. Qu'elles aient été réalisées sans avoir en tête ce nouveau paradigme (je n'en ai trouvé mention
chez aucun des constructeurs cités) ne change rien au fait qu'elles l'incarnent dans une certaine mesure. C'est
déjà une preuve que ça marche, et le fait d'en avoir maintenant conscience ne peut que nous aider à aller plus
loin. C'est ce que je tenterai de faire dans le dernier livre en l'appliquant à nos habitations.

Mais faire de l'architecture, ce n'est pas seulement résoudre des problèmes structuraux. Il y a aussi la
question des formes, des sensations qu'elles procurent, de leur genèse, la question de la signification du mot
habiter, des fonctions que remplit une maison, de ce qu'on y fait, etc., toutes choses et d'autres qui sont
traitées dans les livres suivants...

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