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INTRODUCTION

Lausa la mare e tent’en terro (Proverbe provençal)

Les Romains dont la réputation de peuple rait admettre que l’ensemble des villas des ter-
terrien constitue un des thèmes majeurs de leur ritoires (colonies, municipes) présentant une
littérature, ont mis au point une forme parti- façade maritime, appartient à la catégorie des
culière d’habitat, la villa maritima. Simple para- villas maritimes. Les arguments pour adopter
doxe ou, au contraire, suprême victoire de la une solution aussi large ne manquent pas, en
terre sur la mer, cette notion n’a jamais fait l’ob- particulier, d’un point de vue sociologique, les
jet d’une étude d’ensemble1, bien qu’elle appa- activités, la présence des divers propriétaires
raisse très souvent mentionnée dans les travaux de villas doivent être, pour une même cité, exa-
des philologues comme dans ceux des archéo- minées comme un tout.
logues. Dans l’analyse, la proximité relative consti-
La raison principale de cette carence est sans tue, un facteur essentiel que j’aurai souvent
doute à rechercher dans les limites et la nature l’occasion de préciser. Elle n’interdit pas, à
de la documentation disponible sur lesquelles je l’intérieur d’une communauté territoriale
reviendrai bientôt. Elle tient aussi dans la diffi- unique, l’établissement de hiérarchies d’un site
culté de circonscrire le champ d’étude. Au sens à l’autre. Elle est préférable à une notion
strict la notion n’apparaît que très tardivement comme celle de «vue sur la mer», extrême-
dans un texte, plus précisément chez Cornelius ment variable suivant la topographie locale
Nepos (Vie d’Atticus, 14, 3). On admet générale- (les villas des Monts Albains devraient alors
ment qu’elle désigne des constructions très cer- être considérées comme maritimes si l’on suit
tainement antérieures. Cette ambiguïté auto- Martial, Epig., V, 1) ou, pour reprendre un des
rise toutes les interprétations et, de fait, le terme axes de la description du Laurentinum de
recouvre chez les Modernes une gamme très Pline, celle de «bruit» (là où l’on entend la
vaste de constructions, largement étalées dans mer). L’inconvénient d’une extension aussi
le temps et dans l’espace. large, souligné très tôt par les archéologues,
Je commencerai donc par fixer les limites est qu’elle tend à banaliser la notion même de
de cette enquête. A la fin de la République villa maritime. En réaction certains ont alors
(Kuziscin 1982, p. 53), le nom d’un domaine proposé de restreindre cette appellation à des
est donné par celui de la cité (Formianium, sites construits au moins partiellement «dans»
Cumanum, etc.) et, faute de mieux, on pour- la mer 2. Les dangers, et même l’absurdité de

La principale exception est l’article de Gatti 1957.


1
tutte le altre comprese nella fascia littoranea, anche quando
F. Piccaetta (1977, p. 17, note 18) : Definisco marit-
2
sono vicinissime al mare.
time solo le ville dotate di apprestamenti a mare; costiere

.
4 VILLA MARITIMA

cette position maximaliste, apparaissent très De ce cadre sont exclues cependant toutes les
rapidement quand on l’applique à des cas constructions secondaires comme les simples
concrets : non seulement la Villa Jovis à Capri, habitats de pêcheurs dont une étude récente
entourée littéralement par la mer, se trouve ex- vient de rappeler l’existence dans un secteur,
clue 3 de cette catégorie mais plus globalement Cosa, connu traditionnellement par l’impor-
encore on va définir dans le cas de villas de tance de ses villas 6. En revanche les cités pro-
type dispersé un «quartier» maritime alors prement maritimes (Formies, Pompéi) ont
que c’est la villa, dans sa totalité, qui est ou abrité sur leur front de mer une catégorie de
n’est pas maritime. domus dont les rapports avec les villas mari-
Dans ces conditions le critère retenu ne times méritent d’être clarifiés.
peut être qu’arbitraire. J’ai pris en considéra- Le choix de ne considérer que les villas ap-
tion l’ensemble des villas situées dans une partenant à la partie littorale de cités dotées
bande littorale de 3 km de large environ. Ce également d’un hinterland souvent très im-
chiffre permet de retenir dans cette étude la portant, peut sembler aujourd’hui anachro-
villa de Cicéron à Formies, construite pour le nique. Les études de peuplement ont en géné-
bâtiment principal à 1000 pas, c’est-à-dire ral pour but d’opposer, dans un cadre poli-
1500 m du rivage, mais qui d’après le récit des tique défini, des unités naturelles diverses
derniers instants de l’orateur 4, devait égale- mais jugées complémentaires, en liaison avec
ment comporter un quartier maritime ou, du des formes d’habitat elles aussi diversifiées.
moins, englober dans les limites de la proprié- De fait, pour éclairer certaines orientations
té, une portion de littoral. Dans les zones de adoptées pour les villas littorales, j’aurai l’oc-
côte basse cette distance peut être légèrement casion de faire parfois appel aux établisse-
repoussée jusqu’à quatre ou cinq kilomètres ments plus internes, ne serait-ce que pour
pour inclure les premiers reliefs où, pour des faire ressortir l’originalité des premières. Mais
raisons diverses (stabilité des fondations, vi- le but de ce travail est de parvenir à caractéri-
sion panoramique etc.), est établi le noyau ser de façon aussi complète que possible ce
central de la villa. Quand cela était possible j’ai que les Anciens appelèrent villa maritima,
tenu compte des variations du littoral depuis dans la double signification de centre de do-
l’Antiquité sur les côtes sableuses, en parti- maine de nature particulière et de forme ar-
culier dans les secteurs proches de l’embou- chitecturale spécifique. Pour éviter toute am-
chure d’un fleuve comme le Tibre ou l’Arno. biguïté, je qualifierai toutes ces villas de «lit-
A l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles) torales», conservant au terme «maritime» (en
on retrouve ces chiffres pour caractériser les français) la signification étroite retenue par
«villas côtières» d’Herculanum comme plus les archéologues, justifiée par un contact di-
tard encore, en France, celles construites sur rect avec la mer, matérialisée par des équipe-
les bords de la Manche 5. On pourrait m’ob- ments spécifiques.
jecter que cette définition risque de caractéri-
ser davantage comme maritime le fundus que
la villa. J’espère pouvoir montrer comment, au
moins à un certain moment, les deux notions LES SOURCES

sont étroitement imbriquées : elle doit, de fait,


permettre de saisir tout autant les diverses Trois séries de sources constituent la base
formes architecturales adoptées par les de la documentation de cette étude, la repré-
constructeurs de villas à proximité de la mer sentation de ces monuments, les textes et les
que l’organisation des domaines eux-mêmes. monuments eux-mêmes. Aucune n’est inédite,
3
Mingazzini – Pfister (1946, p. 41) : La villa Jovis invece p. 210 et sq. (Villas de la Manche).
esula da questo tipo perche situata troppo in alto per potersi 6
L’edificio di Casa Brancazzia (Carandini 1985, p. 107)
considerare marittima. doit être complété par de nombreux sites signalés par
4
Sénèque le Père (reprenant Tite Live CXX), Suasoriae Bronson – Uggeri 1970 qui ne peuvent être retenus comme
VI, 17. des villas maritimes.
5
Proszinska 1987, p. 87 (Herculanum); Rouillard 1984,

.
INTRODUCTION 5

et leur examen conjoint ne peut être considéré reux pour suppléer au manque d’information
comme une nouveauté. à propos d’une villa particulière. Leur étude
Si la définition retenue plus haut indique sera donc menée dans la troisième partie,
sans ambiguïté que la troisième série consti- correspondant à celle des villas d’époque im-
tuera l’épine dorsale de ce travail, les deux périale, ne serait-ce que pour éviter tout ana-
autres ne peuvent être oubliées et intervien- chronisme.
dront pour une part non négligeable. La ma-
nière de les aborder n’est cependant pas iden- Textes
tique pour l’une et pour les autres et mérite
d’être examinée globalement même si je serai Les textes sont d’une importance fonda-
obligé de revenir dans le cours de ce travail sur mentale qu’il serait vain de nier, et auraient pu
les problèmes spécifiques à chaque grande pé- fournir l’armature de ce travail. Plusieurs rai-
riode. sons m’ont dissuadé de suivre cette voie : tout
cela mérite donc quelques explications. Histo-
riquement les premières études consacrées
Représentations figurées
aux villas maritimes reposent avant tout sur
Les représentations figurées, essentielle- l’examen des sources écrites (Gesualdo 1757)
ment des petits tableaux intégrés à des pan- mais, depuis lors, on distingue plusieurs types
neaux des troisième et quatrième styles, for- d’approche.
ment un ensemble homogène bien que rela- Le genre quantitativement le plus répandu
tivement tardif par rapport à la naissance du est la recherche de l’identité des propriétaires
phénomène. Les exceptions, par exemple les de villas : pendant longtemps l’ambition ma-
mosaïques nilotiques antérieures et les jeure dans ce domaine s’est limitée à donner
grands panneaux peints comme celui de la un nom à des restes archéologiques dont l’é-
Maison de la Piccola Fontana de Pompéi, tude proprement dite était menée de façon ex-
permettent de retracer l’histoire de cette trêmement succincte. Seul l’aspect topogra-
iconographie mais apportent peu à l’étude phique, c’est-à-dire la situation, l’orientation
des villas elles-mêmes. Leur examen a été en- générale par rapport à la mer, faisaient l’objet,
trepris dès le début du siècle, et renouvelé ré- dans le meilleur des cas, d’examens sommaires
cemment 7. C’est pourquoi il ne m’a pas sem- en relation avec les données plus ou moins ex-
blé nécessaire d’en dresser à mon tour un in- plicites des textes. Les grands auteurs clas-
ventaire complet, les quelques éléments siques ont naturellement été soumis à ce type
inédits que j’ai eu l’occasion de reconnaître d’enquête, particulièrement Cicéron depuis
ne modifiant pas, c’est le moins que l’on Schmidt 1899 jusqu’à R. Chevallier (1988,
puisse dire, les connaissances antérieures et, p. 337-341) et Pline le Jeune (Tanzer 1924;
en particulier, la typologie proposée par W.- Sherwin-White 1966, p. 186-199) : leur corres-
M. Rostowzew (1904 et 1911). pondance rend la tâche plus facile. Mais les
Ces peintures, comme celles représentant auteurs divers comme Catulle (Boersma 1969)
le port de Pouzzoles, font référence pense-t- ainsi que la plupart des grands hommes poli-
on généralement à des monuments campa- tiques de la fin de la République comme Lu-
niens ou plus généralement du littoral tyrrhé- cullus (Van Ooteghem 1959, p. 178-196; Jolivet
nien 8. Mais il s’agit, dans le cas des villas, 1987), et les Empereurs ont attiré, au moins
plus de représentations génériques que d’i- marginalement, l’intérêt des érudits. Ce mou-
mages fidèles de monuments singuliers. Leur vement, qui a atteint son acmé à la fin du
apport est donc capital pour définir les élé- XIXe s./ début du XXe s., passionne toujours
ments qui apparaissaient essentiels aux yeux les amateurs locaux (par exemple Ciccone
des contemporains, infime et même dange- 1980 et 1983) mais peut aboutir à des datations

7
Rostowzew 1904, p. 103-126 et 1911. Cette étude a été pitre 7, p. 276; cf. P. Grimal (1969, p. 217) et A. De Fran-
reprise par J.-M. Croisille (1982, p. 189-230). ciscis (1974, p. 343) pour l’assimilation peinture et villas
8
Cet aspect sera discuté plus amplement dans le cha- campaniennes.

.
6 VILLA MARITIMA

surprenantes de certains édifices attribués et finalement l’impasse où cela conduit si l’on


sans preuve à un personnage célèbre 9. s’en tient à cette seule source documentaire.
On peut rattacher à ce courant les tenta- Une deuxième tendance concerne principa-
tives pour donner un nom aux différentes vil- lement Pline, qui nous donne dans une de ses
las dégagées dans les environs de Pompéi. Le lettres la description apparemment complète
cas le plus intéressant, en raison de la qualité de sa villa des Laurentes (Pline le Jeune Ep., II,
remarquable de la statuaire conservée, est ce- 17). Récemment une exposition a voulu faire le
lui de la villa des Papyri (HERC 3) souvent at- point sur toutes les «restitutions» proposées
tribuée aux Pisons (Sauron 1980, p. 281 note depuis 1615, parallèlement à l’organisation
23) depuis sa découverte au XVIIIe s. La ques- d’un concours destiné à inciter les architectes
tion est loin d’être réglée comme le montre la contemporains à retravailler sur ce thème (La
bibliographie récente : par exemple on a cru Laurentine 1982). Cette utilisation en quelque
reconnaître (De Franciscis 1975, p. 15-16) dans sorte mécanique ou directe du texte avec pour
la villa récemment dégagée à Oplontis (POM ambition de proposer une restitution est loin
4)10 une propriété de la famille de Poppée. De d’être abandonnée (Salza Prina Ricotti 1983 et
fait aucune villa maritima n’ a échappé à cette 1985) mais d’un point de vue strictement ar-
volonté d’identification. Ces efforts ont chéologique les résultats sont quelque peu dé-
conduit à quelques résultats intéressants et cevants. Les raisons sont non seulement l’igno-
sûrs mais qu’il est vain désormais d’espérer rance du cadre général dans lequel cette villa
multiplier, ne serait-ce qu’en raison de l’urba- devait s’inscrire11 mais surtout les lacunes du
nisation de plus en plus grande du littoral. De texte (absence complète d’indications
toute façon les changements continuels de chiffrées; intérêt porté quasi exclusivement
propriétaires dont témoignent les textes eux- aux seules pièces où vit l’auteur etc.) qui
mêmes (Rawson 1976, p. 84-97), rendent cet laissent la voie ouverte à une multitude de
aspect de l’enquête relativement accessoire si choix contradictoires. Cette lettre reste au
l’on considère les monuments dans la totalité contraire fondamentale, ainsi que le soulignait
de leur existence, étalée le plus souvent sur déjà Viollet le Duc (1875, p. 161-175), comme
plusieurs siècles. «modèle des principes» de la villa antique; j’a-
C’est pourquoi, plus récemment le propos jouterai seulement : à un moment précis de
s’est quelque peu élargi, en se déplaçant son histoire... Elle fera donc l’objet d’un exa-
comme l’a fait J. H. D’Arms pour la baie de men détaillé dans la troisième partie.
Naples, sur l’ensemble de la classe des proprié- L’apport des textes sera donc envisagé ici
taires des villae, période par période, pour ce dans une perspective quelque peu différente,
secteur géographiquement limité mais qui en ayant pris conscience de certaines de leurs
concentre les trois quarts de l’information limites, et après avoir opéré deux classements
(D’Arms 1970). Là encore les villae sont tou- selon la «quantité» et la «qualité» de l’infor-
jours examinées de façon quelque peu exté- mation fournie. Par quantitatif il faut entendre
rieure, essentiellement comme point d’ancrage le degré de précision des renseignements.
de telle ou telle famille sénatoriale ou équestre Schématiquement on peut distinguer trois ni-
romaine. Il suffit de rappeler que pour la seule veaux :
Pompéi on ne connaît guère plus de dix noms – Le plus élémentaire concerne la mention
de propriétaires (D’Arms 1979) à «répartir» du séjour d’un personnage en tant qu’hôte ou
sur plus de cent sites repérés (Kockel 1985) d’une propriété dans une cité littorale. Leur in-
pour comprendre les lacunes de l’information térêt est d’ordre statistique (quand? où? qui?)

9
Par exemple la villa de Sirmione (BS 1) attribuée à connue par les textes et l’archéologie.
Catulle en raison de son Carmen XXXI; celle de Marina di 10
Les villas archéologiquement attestées sont désignées
San Nicola (RM 47) attribuée à Pompée (Venturini, «Pom- par leur numéro dans le catalogue constituant l’Annexe.
peo non abita piu qui», Il Messaggero, 8.XI.87). Toutefois 11
Plusieurs projets sont inscrits dans un cadre mon-
la position de G. Tosi (1975, p. 217) est inacceptable tagneux qui rappelle davantage Capri que le littoral d’Os-
quand il écrit que seule la Villa Jovis (CAP 1) nous est tie!

.
INTRODUCTION 7

et éventuellement, nous y reviendrons, chrono- maritima va tenir en quelques siècles mais


logique, mais ne concerne pratiquement que la avec une accélération très rapide du phéno-
classe des personnages dignes d’entrer dans mène en quarante ou cinquante ans. Or,
l’histoire, c’est-à-dire les hommes politiques quand on utilise ces sources littéraires à pro-
romains et le cercle de leurs relations. pos de l’architecture domestique, la tendance
– Au deuxième niveau figurent les indica- générale est de négliger l’aspect chronolo-
tions souvent indirectes, sur un point plus ou gique. Ce souci chronologique rencontre deux
moins important d’architecture, comme la dis- difficultés qui ne sont d’ailleurs pas propres à
position de fenêtres dominant directement la ce sujet. La première est le nombre limité de
mer12 mais insuffisantes pour nous donner une sources qui, malgré les précautions rappelées
vision globale du bâtiment. Cette catégorie est plus haut, nous oblige à utiliser des textes de
certainement celle susceptible de fournir en- nature différentes, le plus souvent avec une
core de nouvelles données comme l’a souligné préoccupation très éloignée de celle prévue
très récemment encore R. Hanoune (1986, par l’auteur. Les blancs sont donc inévitable-
p. 446), en puisant dans des textes peu connus ment importants et leur signification diverse
habituellement des archéologues, guère plus mais, heureusement, l’abondance relative du
des philologues littéraires. Ier siècle av. J.-C. correspond au moment où les
– Enfin, les descriptions plus ou moins changements sont également les plus nom-
complètes, selon l’aveu même des auteurs, breux et les plus décisifs. Toutefois ce déséqui-
d’un édifice particulier. J’ai déjà mentionné libre exclut une analyse véritablement statis-
celle de la villa des Laurentes, la plus détaillée. tique du phénomène fondée uniquement sur
Au total on en compte moins d’une dizaine (la ces sources littéraires.
frontière avec la catégorie précédente n’étant Le deuxième problème est celui du déca-
pas toujours facile à tracer!), toutes très lage entre le fait rapporté et le moment de la
connues. rédaction. Si, pour des problèmes institution-
nels, la vraisemblance des personnages, les
La nature des textes permet un autre clas- anachronismes paraissent soigneusement évi-
sement que j’appelle qualitatif. S’agissant d’un tés comme le montre l’exemple de Varron
domaine où les considérations moralisantes (Agache 1987, p. 212), peut-il en être de même
sont loin d’être négligeables, on ne peut mettre à propos de fait de civilisation? Le problème a
sur le même pied la description enthousiaste déjà été souligné à propos de notions appa-
d’un domaine par un propriétaire fier de son remment très simples comme latifundium
choix et de ses réalisations et la condamnation (Kuziscin 1982, p. 64-72). L’architecture do-
générale du phénomène par un philosophe mestique ne peut échapper à cette ambiguïté.
stoïcien. Je distinguerai donc des textes Quand les deux dates diffèrent, j’ai préféré,
neutres (par exemple Strabon), des textes polé- malgré les difficultés et les risques de confu-
miques (Horace, Sénèque), des textes laudatifs sion les prendre en compte toutes les deux plu-
(Martial). Il va de soi que pour Cicéron les dif- tôt que d’adopter arbitrairement l’une ou
férentes mentions de villas maritimes doivent l’autre. En dépit de ces limites, les textes nous
être soigneusement ventilées selon le contexte fournissent une armature chronologique abso-
précis et la nature (lettre, plaidoyer etc.) de ses lue de base. Ils nous permettent par ailleurs
œuvres. d’aborder la question des désirs et des volontés
La dimension chronologique constitue une des commanditaires qui, sans cela, nous de-
autre préoccupation essentielle : il est absolu- meureraient presque complètement hermé-
ment nécessaire, si l’on veut dégager une évo- tiques. Mais du point de vue de la recherche,
lution, d’être le plus précis possible en ce do- les rapports entre les textes et les villas fouil-
maine, sachant que toute l’histoire de la villa lées sont fondamentalement ambigus.

12
Par exemple un couple se suicide en se jetant directe- Lettres VI, 24).
ment de sa chambre dans le lac de Côme (Pline le Jeune,

.
8 VILLA MARITIMA

Sur le plan chronologique on est tenté de en Italie, la villa romaine, lié à un renouvelle-
dater les villas d’après les textes et de proposer ment sensible des objectifs et des méthodes.
ainsi des villas «catoniennes», «varroniennes», Parmi les exigences nouvelles figure en bonne
etc. en confondant typologie et chronologie : il place le souci de considérer ces constructions
peut exister un fossé profond entre l’apparition dans leur contexte géographique et historique,
d’un nouveau type, sanctionné pour nous par largement étudié par ailleurs, notamment lors
un texte littéraire, et sa diffusion. Par exemple de deux congrès retentissants13 et plus récem-
dès 45 av. J.-C. Cicéron envisage parmi les amé- ment encore dans le cadre d’une série d’exposi-
nagements à réaliser dans une villa qu’il vient tions14. De fait la documentation disponible est
d’acheter la construction de balnea minora et devenue plus accessible mais continue à poser
maiora. A Sette Finestre les fouilleurs ont mon- quelques difficultés. Il est de règle dans ce do-
tré qu’un tel travail n’avait été entrepris qu’à la maine, depuis déjà très longtemps (Maiuri
fin du Ier siècle ap. J.-C. (Carandini – Ricci 1985, 1947, p. 293), de se plaindre du faible nombre
II, p. 129). Le texte de Cicéron fournit donc un de sites «complètement» fouillés. Malgré plu-
argument typologique (la villa de Sette Finestre sieurs publications15 cette constatation reste
correspond au modèle cicéronien) mais aucun d’actualité, dans la mesure également où les
point de référence pour dater ces travaux. Dans exigences d’ exhaustivité évoluent elles-
l’autre sens on admet comme allant de soi que mêmes... Puisque ce souci demeure un rêve et
la description littéraire ne renvoie jamais à une risque de constituer longtemps encore un mau-
réalité plus ancienne et marque obligatoire- vais alibi, je prendrai le risque de proposer un
ment le début de nouvelles pratiques : devant le état des lieux sous forme d’une première syn-
peu de textes conservés, il convient d’être thèse, tout en ayant conscience de son carac-
prudent dans l’un et l’autre cas, d’autant plus tère provisoire.
que les auteurs antiques s’inspirent, sans tou- Comme pour les textes j’ai distingué trois
jours le dire, de textes plus anciens. niveaux d’informations16. Le plus élémentaire
L’ambiguïté de ces rapports est également (groupe 1 dans le Catalogue) est la simple men-
manifeste au niveau de la signification : n’a-t- tion de signes (tuiles, céramiques) attestant
on pas tendance à surestimer dans la hiérar- l’existence d’un bâtiment antique, sans véri-
chie des villas celle que l’on vient de fouiller, de table possibilité de vérifier qu’il s’agit bien
la même façon que certains propriétaires anti- d’une villa. Dans le meilleur des cas ces sites
ques comme Pline étaient déjà tentés de le faire nous permettent de compléter la carte de dis-
en décrivant leur villa, Par réaction on estime tribution dans les régions à faible densité ar-
généralement, de façon trop systématique, que chéologique. Ailleurs on ne peut exclure qu’il
les villas décrites ou mentionnées dans les tex- s’agit, pour un nombre sans doute non négli-
tes sont supérieures en qualité à celles révélées geable de bâtiments, d’annexes dans le cas de
par l’archéologie. grandes villas de type dispersé ou de construc-
tions d’un autre type comme les phares ou les
Monuments sanctuaires. De ce fait dans ces régions ils
n’ont pas été catalogués de façon systématique
L’étude des monuments eux-mêmes consti- et figurent seulement, éventuellement, sur les
tue l’axe principal de ce travail et s’inscrit dans cartes de détail.
le regain d’intérêt que connaît, principalement Le deuxième niveau (groupe 2 du Cata-

13
The Seaborne commerce of Ancient Rome, American 16
Je reviendrai plus loin sur le sens du mot villa. J.-
Academy in Rome nov. 78-avril 79 (1980); Società Romana G. Gorges (1979 et 1981) propose un classement assez
e produzione schiavistica (Abrégé SRPS), Pise, janvier 1979 proche des sites découverts en prospection et en fouilles.
(1981). Des critères toponymiques ont été utilisés par nombre
14
La romanizzazione dell’Etruria : il territorio di Vulci, d’auteurs pour compléter les cartes de répartition, par
Orbetello, mai-octobre 1985. exemple Galliou 1989 en Bretagne. Sauf exception expres-
15
Villa de Sette Finestre (Carandini – Ricci 1985); villas sément signalée (Golfe de la Spezia par exemple), je n’en
de Francolise (Cotton 1979; Cotton – Metraux 1985, etc.). ai pas tenu compte.

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INTRODUCTION 9

logue) regroupe des sites définis comme villas disponible : aux raisons physiques (déplace-
grâce à un élément caractéristique provenant ment et modifications des lignes du rivage)
le plus souvent de ce qu’il est convenu d’appe- s’ajoutent peut-être dans ce cas la nature des
ler la pars urbana (mosaïque, élément de matériaux utilisés, bois et terre crue, plus diffi-
sculpture etc.), plus rarement de la pars fruc- cilement repérables par l’archéologie tradi-
tuaria (pressoir, vivier etc.). Il s’agit générale- tionnelle.
ment de découvertes anciennes pour les- Pour la seule Italie continentale (Istrie non
quelles, quand on en dispose, le plan n’est que comprise) le Catalogue comprend plus de 700
très partiel. En revanche les éléments de déco- numéros, environ deux cents villas du groupe
ration, voire quelques découvertes monétaires, 2 et moins d’une centaine du groupe 3. Toutes
autorisent une première approche chronolo- seront citées par leur numéro, sans autre ré-
gique. Ils ont fait l’objet d’un fichage simplifié. férence bibliographique. Une numérotation
Les villas véritablement explorées consti- continue n’étant pas possible je l’ai réalisée par
tuent le troisième niveau (groupe 3 du Cata- province pour l’Italie et de façon plus simple
logue). J’ai également inclus dans cette série pour les villas de référence appartenant aux
toutes celles dont on pouvait avoir une idée du autres pays :
plan d’ensemble, en raison du relatif bon état – un numéro précédé d’une seule lettre
de conservation du monument qui autorise un renvoie donc à une villa qui n’appartient pas
relevé sans fouille, éventuellement avec l’aide au territoire italien actuel. La lettre a été choi-
d’une photographie aérienne et une datation sie autant que possible d’après les plaques au-
par l’appareil des murs, malgré les risques tomobiles, Y pour Yougoslavie, F pour France
d’interprétation erronée que cette situation fa- etc.
vorise y compris en Italie centro-méridionale. – un numéro précédé de deux lettres cor-
Ce groupe constitue bien évidemment l’arma- respond à une province abrégée là aussi sui-
ture de l’analyse qui sera proposée et a fait vant les plaques minéralogiques italiennes.
l’objet d’un catalogage systématique plus déve- Toutefois dans le texte le nom est écrit en en-
loppé. Dans certains secteurs comme l’Etrurie tier pour faciliter le repérage sur la carte, sauf
méridionale ou les îles comme Ventotène, le pour les plus fréquemment citées, Roma (RM),
nombre de villas retenues est inférieur à celui Latina (LT), Viterbo (VT), Salerno (SA). En rai-
adopté dans les publications plus anciennes où son de sa richesse exceptionnelle, la province
la distinction entre les différents types de de Naples a été subdivisée. Le numéro est pré-
constructions n’est pas faite. Malgré les cédé alors par trois lettres qui correspondent
risques d’erreur il s’agit donc d’un catalogue et au début du nom de la cité : BAI pour Baïes et
de cartes interprétatifs, différents dans leur es- Pouzzoles; NAP pour Naples etc.
prit des simples inventaires de sites ayant livré
du matériel. J’ai pris en compte des secteurs très divers
D’une région à l’autre, le rapport numé- du littoral romain et ces choix, qui condi-
rique entre ces trois groupes est extrêmement tionnent bien évidemment l’ensemble de ce
variable en raison du développement inégal de travail et ce qu’il est convenu d’appeler sa pro-
l’archéologie mais surtout en raison des condi- blématique, doivent être précisés en même
tions de conservation ultérieures des sites (na- temps que cette dernière. La zone de plus
ture du terrain, poids démographique etc.) : grand développement de la villa maritima est
par exemple on signale en Istrie deux cents incontestablement le littoral tyrrhénien, entre
sites de villas littorales mais moins de dix vil- Cosa au Nord et Paestum au Sud. J’ai déjà pré-
las ont fait l’objet d’une étude. En revanche senté un premier état de la question en me li-
entre Sperlonga et Gaète pour huit sites recen- mitant à ce cadre (Lafon 1981), qui s’est révélé
sés, six fournissent une documentation utili- beaucoup moins homogène que prévu. Pour-
sable du niveau 3. Les côtes basses comme quoi l’étendre alors que les villas des autres
celles qui s’étendent très largement de part et secteurs comme des provinces sont présentées
d’autre de l’embouchure du Pô apparaissent le plus souvent (Sanquer 1983, p. 19) comme
pratiquement vides d’après la documentation de simples imitations des «modèles campa-

.
10 VILLA MARITIMA

niens» les mieux connus ou, plus exactement, serait-ce que celles induites par les plus
les plus célèbres? grandes facilités de transport. Tout cela fera
C’est précisément l’idée de modèle qui me l’objet d’un examen, notamment pour la fin de
semble fondamentale. On admet de façon gé- la République (chap. 4).
nérale que le signe majeur de la présence ro- Pour des raisons pratiques évidentes il n’é-
maine dans les campagnes occidentales est, tait pas possible de prendre en compte la tota-
plus que les traces de cadastre, l’existence de lité des quinze ou vingt mille kilomètres de
«villas» (Mansuelli 1957, p. 13). Ces édifices côtes du monde romain occidental. Le littoral
sont décrits cependant le plus souvent comme tyrrhénien central reste le point d’ancrage es-
un compromis entre des habitudes régionales sentiel et son étude a été poussée aussi loin
(ou même «indigènes») et des schémas ro- que possible, concentrant en particulier toutes
mains (Percival 1976, p. 14-15). Le cas des vil- les opérations de prospection et de fouilles
las littorales m’apparaît plus favorable que personnelles. Pour le reste de l’Italie, rives des
d’autres pour aborder cette question d’un mo- lacs comprises17, l’enquête est demeurée bi-
dèle et de ses transformations car elles réu- bliographique même si la plupart des sites im-
nissent plusieurs facteurs d’unité. La mer portants ont pu être visités. Au-delà je n’ai re-
constitue une unité entre des régions diverses, tenu pour comparaison que certaines zones
y compris par son rôle climatique, qui réduit étroites, en fonction, là encore, essentielle-
sinon supprime les différences naturelles (tou- ment de la bibliographie mais avec l’idée d’of-
jours sensibles à l’intérieur) et permet des frir une sorte d’échantillonnage représentatif
genres de vie relativement proches dans des de situations diverses. Quelques sites
régions par ailleurs très différentes. Par son complètent cette liste comme Fishbourne en
pouvoir attractif elle peut être également dans Angleterre : leur isolement ou plus exactement
certaines conditions qu’il faudra préciser, un leur caractère exceptionnel à haute époque
critère de hiérarchisation : les propriétaires les dans leur région, permet d’aborder un autre
plus riches ne sont-ils pas tentés d’investir aspect de la villa maritime parfois mentionné,
prioritairement sur le littoral et, conséquence celui de cadeau diplomatique destiné à s’atta-
logique, de construire en fonction de leur rang cher des clientèles locales aristocratiques ou,
social plus luxueusement que leurs voisins de mieux, royales.
l’intérieur? ou, dans le cas de propriétaires
uniques, de hiérarchiser chacun de leurs do-
maines en fonction de sa situation par rapport
à la mer? UNE VILLA, DES VILLAE
En contrepartie les contraintes imposées
par le milieu maritime ne peuvent être sans
conséquence sur certains choix architectu- Il est de règle au début de tout travail sur
raux. Des comparaisons avec des réalisations les villas romaines de proposer une définition
très éloignées dans le temps comme «les villas philologique et archéologique du terme. Je
balnéaires» du XIXe s. permettent de mieux les n’en ferai rien car toute définition préalable,
comprendre et d’apprécier les solutions rete- en escamotant deux obstacles majeurs, risque
nues par les constructeurs romains. Au facteur de se montrer, par son côté restrictif, plus dan-
esthétique peuvent s’ajouter des atouts écono- gereuse qu’utile. Le premier obstacle est celui
miques particuliers, les «richesses de la mer» : de la durée : une définition unique exclut par
l’étude des viviers est inséparable depuis long- avance toute possibilité d’évolution du
temps de celle de la villa maritime mais il concept, évolution dont les Romains eux-
existe bien d’autres activités spécifiques, ne mêmes avaient conscience, même s’il convient

17
Le lien entre les rives des lacs et le littoral maritime les berges des fleuves, du Liris à la Moselle en passant par
est établi dès l’Antiquité, en particulier par Sénèque (Ad l’Aniene et le Tibre. Pour éviter une trop grande dispersion
Lucillum, 89, 21) et Pline le Jeune (Epist., IX, 7). Il aurait je ne l’ai pas fait, mais je ferai appel si nécessaire pour des
été théoriquement possible d’inclure pour la même raison comparaisons à l’une ou à l’autre de ces villas fluviales.

.
INTRODUCTION 11

de se méfier des balancements rhétoriques rarchie à l’intérieur de l’ensemble des villas est
trop systématiques entre la simplicité du pas- inséparable de l’idée de modèle. Schématique-
sé, embelli, et le luxe du présent, accusé de ment la construction d’une villa renvoie en ef-
toutes les «décadences». Il est nécessaire, au fet à deux systèmes de pensées :
contraire, de cerner toutes les étapes, sans – d’un côté des pratiques locales (disposi-
perdre de vue les permanences qui justifient tions des espaces, matériaux, etc.) qui la rat-
l’utilisation continue d’un vocable unique pen- tachent à l’architecture vernaculaire (Cuise-
dant près d’un millénaire. nier 1978, p. 13-16) caractérisée par des codifi-
Le deuxième obstacle nous est révélé par la cations rigides qui permettent de définir des
célèbre discussion qui ouvre le livre III des Res styles régionaux.
Rusticae de Varron : à tout moment de son – de l’autre la concrétisation des désirs
histoire le terme villa définit des constructions d’un particulier, qui, à ce titre, dans des limites
fort différentes et le simple bon sens devrait à préciser, souhaite une œuvre originale.
nous interdire d’être plus puristes que les Ro-
mains eux-mêmes, en restreignant la significa- Ce second aspect a longtemps été considéré
tion du terme à une réalité unique. Je suis comme essentiel, interdisant par avance toute
même tenté d’aller plus loin : l’imprécision du étude d’ensemble des villas18 sur le modèle ac-
mot n’est pas sans conséquence sur le contenu cepté pour l’architecture publique (et plus par-
qu’il est susceptible de recouvrir, les ambiguï- ticulièrement religieuse) où l’influence de
tés volontairement entretenues par certains, R o m e e s t c o n s id é r é e c o m m e d é c is iv e .
dans un contexte de jalousie (sinon même de L’exemple des domus d’Afrique du Nord (Thé-
rivalités) entre propriétaires appartenant ou bert 1985) montre que l’architecture domes-
non au même milieu. De ce point de vue un tique romaine est également une architecture
parallèle avec le terme français «château» théorique, inséparable de la précédente. Vi-
n’est pas sans intérêt malgré un contexte et truve (De Architectura VI, 5) suggère fortement
une signification globalement différente : les que le rôle de l’architecte ne se différencie pas
châteaux médiévaux alsaciens regroupent des dans l’un et l’autre cas. Le désir d’originalité
constructions aussi dissemblables que les don- est susceptible d’être limité par les références à
jons isolés de Husseren ou la forteresse du des modèles qui circulent dans l’ensemble du
Haut Koenigsbourg. De même on visite les monde romain au moins autant que par les
châteaux de la Loire et leurs jardins mais les pratiques de l’architecture vernaculaire. La
bourgeois du XIXe siècle mettaient encore tendance actuelle, surtout dans les provinces,
souvent des tourelles à leur maison de cam- consiste au contraire à multiplier les typolo-
pagne pour en faire un château. gies les plus locales possibles, en privilégiant à
De ce fait, une des difficultés, mais égale- outrance les influences indigènes. Seul un exa-
ment un des intérêts de ce travail, réside dans men détaillé des monuments permet de faire à
la mise en relation de constructions de niveaux chaque fois la part entre ces deux conceptions
très divers mais cependant liées entre elles par antinomiques.
une chaîne continue. A côté de réalisations ex- En 36 av. J.-C., au moment où Varron écrit
traordinaires, qui nous sont connues essentiel- le troisième livre des Res Rusticae, la villa se
lement par les textes, nous disposons d’une définit par son côté extra-urbain et une cer-
masse de constructions standards révélées par taine qualité de la construction. Elle devrait
l’archéologie. Toutes pour moi ont droit au produire un revenu (mais ne le fait pas tou-
nom de villa mais on peut admettre que les jours) et offrir un logement au propriétaire en
premières ont servi, d’une certaine façon, de plus de celui réservé au personnel. C’est peu
références aux autres selon des modalités et mais, de façon plus ou moins consciente, le
des retards qu’il conviendra de définir. La hié- poids de ce texte est tel qu’il sert de référence

18
L’article villa (Grenier – Lafaye 1916) du Dictionnaire
des Antiquités est caractéristique de ce point de vue.

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12 VILLA MARITIMA

obligée pour toute l’histoire de la villa et à ce privilégier l’un d’entre eux au détriment des
travail en particulier. Les chevauchements de deux autres :
sens, les interférences, sont donc indisso- – Actuellement celui qui vient immédiate-
ciables de la notion de villa. En contrepartie ils ment à l’esprit, au point que certains lui font
rendent compte de l’apparition très ancienne jouer le rôle essentiel, est le volet économique,
de discriminants sous la forme d’adjectifs : pu- la villa conçue comme centre d’un domaine as-
blica remonte selon Tite-Live au IVe siècle et surant un certain profit (fructus), exploité par
dès Caton apparaissent, destinés à un grand une main d’œuvre particulière; de ce point de
avenir, rustica et urbana. Nous aurons l’occa- vue nous sommes renvoyés à une analyse des
sion de revenir plus en détail sur leur chrono- productions, des investissements, du mode de
logie, leur signification, en rapport avec les faire valoir, de la rentabilité, de l’intégration
restes archéologiques contemporains. Notons dans les circuits économiques etc.
seulement pour le moment que ces adjectifs – Je ne m’étendrai pas ici sur le volet idéolo-
(dont maritima) vont se multiplier au moins gique déjà suggéré plus haut, qui permet de
jusqu’aux années 30-20 av. J.-C. sans que l’on considérer la villa entre autres comme le
puisse dire cependant que, désormais, le mo- moyen d’affirmer un certain pouvoir social et
dèle de la villa cesse d’évoluer. politique et de mener un genre de vie parti-
Plus important encore, la signification des culier que l’on nommera beaucoup plus tard
plus connus (urbana, rustica) change, en rela- villegiatura.
tion, sans aucun doute, avec l’évolution des – Enfin, traduction fonctionnelle évidente
constructions, si bien qu’ils ne permettent des deux précédents mais dans des rapports à
pas d’établir une typologie des composantes préciser et avec des décalages chronologiques
que l’on retrouve, en proportions variables, qui peuvent être importants, la villa doit être
dans la plupart des villas. Leur utilisation par également étudiée comme un monument, doté
les archéologues relève assez souvent de la de formes et de décors spécifiques, voulu par
plus grande fantaisie, sans parler de la créa- un propriétaire et réalisé par une main-d’œuvre
tion de néologismes qui auraient sans doute diversifiée de l‘architecte au manœuvre.
laissé les Romains perplexes. Ce n’est donc
que la confrontation très serrée de monu- Les combinaisons de ces différents élé-
ments et de textes strictement contemporains ments peuvent être multiples, contradictoires
dans un cadre géographique défini, qui per- selon les périodes, les régions, les cas indivi-
met de juger la validité du vocabulaire utilisé duels puisque chacun d’eux présente des carac-
et par là de dégager évolutions et perma- tères éminemment fluctuants. L’examen d’un
nences. Les caractéristiques propres aux dif- groupe de villas particulières en l’occurrence
férents groupes de villas prennent alors tout celui des villas littorales définies jusqu’à nouvel
leur sens. ordre par leur situation relative (moins de trois
Sans donner de définition univoque, im- kilomètres) par rapport au littoral, doit prendre
possible à mon sens, le mot villa recouvre trois en compte ces trois séries de questions : la fina-
aspects ou plutôt trois axes de recherche très lité (économique, idéologique), les moyens (fi-
différents bien qu’étroitement imbriqués et nanciers, intellectuels) mis en œuvre, sans ou-
complémentaires; en conséquence l’on a par- blier bien entendu, la situation chronologique
fois tendance à les confondre, plus souvent à et géographique des monuments.

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