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et de la formation
Coordonné par
Vincent Troger
Couverture
Titre
Copyright
Repères chronologiques
Des résultats…
… et des questions
Privilégier le sensible
Moraliser en instruisant
Cultiver l’intelligence
Réaction et radicalisation
Contrôler l’enseignement
L’enfance exploitée
L’intervention de l’État
POINTS DE REPÈRE
Le projet de Condorcet
Repères chronologiques
L’influence du positivisme
De la concorde au compromis
Discipline et créativité
La critique pédagogique
La critique sociale
L’émancipation de l’enfant
POINTS DE REPÈRE
• La naissance du baccalauréat
• La réforme de 1902
Repères chronologiques
L’enfant au centre
La réforme de 1959
La démocratisation de la sélection
POINTS DE REPÈRE
Le plan Langevin-Wallon
La maternelle et le primaire
É
Évolution des structures du système scolaire de 1959 à 1975
• Plus d’autonomie
• Latin et démocratisation
ANNEXES
CONSEILS BIBLIOGRAPHIQUES
• Pour mieux saisir les enjeux de la constitution de l’école moderne à partir du XVIe siècle
Ouvrages de synthèse
Hors collection
Essais
NAISSANCE ET CROISSANCE
DE L’ÉCOLE MODERNE
POINTS DE REPÈRE 87
Repères chronologiques
1231 Statuts de l’université de Paris.
Ouverture d’un collège à l’université de Paris pour des
1257 étudiants pauvres par une donation de Robert de Sorbon, qui
donnera son nom à la Sorbonne.
1541 Calvin publie le premier catéchisme en français.
1556 Premier collège jésuite ouvert en France, à Billon.
Première congrégation pour l’enseignement féminin
1610
(Visitandines).
Fondation à Reims de l’institut des Frères des écoles
1678
chrétiennes par Jean-Baptiste de La Salle.
1792 Rapport de Condorcet sur l’instruction publique.
1794 Fondation de l’École polytechnique.
1795 Instauration d’une école centrale par département.
1800 Première École des arts et métiers.
1801 Concordat.
1802 Création des lycées.
1806 Création de l’université impériale.
Création de la Société pour l’enseignement élémentaire et
1815
premières écoles mutuelles.
1828 Création du ministère de l’Instruction publique.
Loi Guizot créant l’enseignement primaire public et
1833
l’enseignement primaire supérieur.
1850 Loi Falloux renforçant le contrôle clérical sur l’école.
Création d’une filière professionnelle dans l’enseignement
1865
secondaire.
VINCENT TROGER
« Il avait l’habitude de placer sous les coussins de son lit des tablettes et
des feuillets de parchemin afin de profiter de ses instants de loisir pour
s’exercer à tracer des lettres ; mais il s’y prit trop tard et le résultat fut
médiocre. » Le laborieux adulte autodidacte dont il est question ici, c’est
l’empereur Charlemagne lui-même, celui que la mythologie scolaire de la
IIIe République et la chanteuse France Gall ont proclamé inventeur de
l’école. Encore faut-il préciser que l’auteur de ce témoignage, le moine
Eginhard (770-840), conseiller et biographe du monarque, a voulu léguer à
la postérité un portrait particulièrement avantageux de son maître. Le
souverain européen le plus puissant du IXe siècle ne savait donc pas écrire.
En fait, rares étaient les enfants de l’aristocratie des premiers siècles du
Moyen Âge qui recevaient une autre éducation que celle des armes et de la
chasse. Quant aux gens du peuple, ils étaient dans leur très grande majorité
analphabètes. C’est dire à quel point l’héritage culturel de l’Antiquité
gréco-latine avait été dégradé par les invasions barbares et les siècles
d’instabilité politique qui avaient suivi. L’effondrement de l’Empire romain
d’Occident avait entraîné la disparition progressive de son réseau scolaire.
Tout n’avait cependant pas été perdu. L’Église chrétienne avait réussi à
entretenir des vestiges de scolarisation et à préserver quelques textes
fondamentaux. Au lendemain de la chute de Rome, ceux des aristocrates ou
des évêques romains et gallo-romains qui avaient gagné la confiance des
nouveaux princes wisigoths sauvegardèrent et transmirent une partie de
l’héritage. Ainsi le consul Boèce (480-524) rédigea-t-il en latin une
synthèse du programme d’enseignement des grammaticus, les écoles
secondaires romaines. Composés du trivium (grammaire, rhétorique et
dialectique) et du quadrivium (arithmétique, géométrie, musique,
astronomie), ces enseignements furent qualifiés au Moyen Âge d’arts
libéraux et servirent de référence à de multiples initiatives scolaires.
Pendant les premiers siècles du Moyen Âge, les moines des nombreux
monastères établis à travers l’Europe ont conservé des œuvres latines dans
leurs bibliothèques, les ont recopiées, et en ont transmis une partie des
savoirs dans leurs écoles. Ainsi au monastère de Saint-Riquier, près
d’Abbeville, recense-t-on en 831 plus de cinq cents livres. Aux côtés des
bibles, des écrits des Pères de l’Église et des psautiers, on trouve aussi les
œuvres de Virgile, de Suétone et de nombreux autres poètes, historiens,
géographes, juristes ou fabulistes romains.
Mais lecture et écriture demeurent alors l’apanage des seuls clercs, qui
outre leurs fonctions sacerdotales, instruisent les jeunes moines et jouent
aussi le rôle de conseillers des nobles et des princes, dont ils constituent
souvent le personnel administratif. Ils sont la plupart du temps les seuls
lettrés dans une société très faiblement alphabétisée.
Ce n’est qu’au début du second millénaire que sur les territoires qui
constituent aujourd’hui la France un renouveau culturel et scolaire se
manifeste. « La grammaire fleurit de tous côtés et le grand nombre des
écoles la met à la portée des plus pauvres », témoigne à l’orée du XIIe siècle
l’abbé bénédictin Guibert de Nogent.
Cette première renaissance semble essentiellement le produit d’une
expansion démographique et économique qui caractérise le XIe et le XIIe
siècle. C’est l’époque des grands défrichages, la forêt recule laissant place
aux champs de blé et aux pâturages. Les villes augmentent, en taille et en
nombre, notamment les villes franches auxquelles les seigneurs ou les
abbayes accordent une plus grande autonomie. Accompagnant cette
croissance urbaine, les activités artisanales, commerciales, administratives
et juridiques se développent et se compliquent. Une nouvelle demande
d’instruction émerge, l’écrit prend une place plus importante qu’auparavant,
il faut auprès des autorités municipales ou des princes un plus grand
nombre d’auxiliaires lettrés pour assumer les tâches notariales, judiciaires
ou comptables. En Île-de-France, la nouvelle dynastie capétienne étend
progressivement son pouvoir sur les seigneurs féodaux et accroît le prestige
de sa capitale, qui devient une ville à la réputation européenne.
La reprise d’échanges commerciaux plus intenses, conjugués aux
croisades, rétablit aussi des contacts plus étroits avec l’Orient et la
civilisation musulmane, qui a hérité d’une partie du savoir de l’Antiquité
grecque. Par les points de contact que sont l’Italie et l’Espagne, les clercs
les plus audacieux redécouvrent les manuscrits orientaux. Aristote,
Ptolémée, Euclide, l’arithmétique et la médecine grecques, l’algèbre arabe
irriguent désormais la vie intellectuelle de l’Europe et s’ajoutent à ce qui
avait été conservé de l’héritage romain.
Nous l’avons dit, l’enseignement est individuel, jusqu’à ce que les Frères
inventent des méthodes d’enseignement collectif, voire mutuel, les plus
avancés aidant les plus jeunes. L’apprentissage de la lecture se fait
longtemps sur des textes en latin, le psautier par exemple, qui présentent
l’avantage que toutes les lettres se prononcent. Les protestants ont
évidemment opté pour la lecture du français, qui va s’imposer partout à la
fin du XVIIe siècle. Seuls, le catéchisme et les prières courantes, récités en
français (ou en dialecte dans certaines provinces) entraînent les élèves à
s’exprimer. Beaucoup d’élèves n’iront pas plus loin, mais il est quasi
impossible de savoir dans quelle proportion. Ne serait-ce que parce que
passer à l’étape suivante, l’écriture, exige des familles le paiement d’un
« écolage » plus élevé, et que beaucoup n’en voient pas l’utilité. Nous
l’avons dit, l’écriture est un vrai apprentissage, qui nécessite un
investissement en papier, et pas mal d’habileté manuelle. Il ne s’agit jamais
que de copier un texte. Nul ne pense encore que, dans l’école élémentaire, il
y ait lieu de faire appel à l’imagination ou à la créativité des élèves.
Des résultats…
Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, c’est d’abord en latin que l’on apprend à
lire, même au niveau élémentaire. Les manuels proposent les deux
langues, mais commencent le déchiffrage par le latin. Il y avait à cela
deux raisons. La première était évidemment le lien étroit entre la
scolarisation et la religion. Langue de l’Église, le latin était
naturellement celle de l’école dont le contrôle était assuré par les
ecclésiastiques. Mais l’usage du latin répondait aussi à une exigence
pédagogique. Toutes les méthodes reposant en effet sur le déchiffrage
des lettres et des syllabes indépendamment du sens des mots et des
phrases, l’usage du latin pour cette première étape présentait deux
avantages : les élèves ne comprenaient pas le sens des mots, et ils les
prononçaient donc comme on l’exigeait, en prononçant toutes les lettres,
et non avec l’accent de chaque région. Le passage du français au latin se
fait ensuite progressivement.
Si les protestants, qui traduisent la Bible en français, enseignent très tôt
dans la langue maternelle, il faut attendre Jean-Baptiste de La Salle pour
que la même pratique se répande dans les écoles catholiques.
L’argumentation de La Salle est pragmatique : « L’expérience apprend
que ceux et celles qui viennent aux écoles chrétiennes ne persévèrent
pas longtemps à y venir […] Quand ils se retirent, ils ne savent
qu’imparfaitement lire le latin et oublient en peu de temps ce qu’ils
savaient, d’où il arrive qu’ils ne savent jamais lire, ni en latin, ni en
français. »
Au XVIIIe siècle, le latin devient donc ce qu’il allait rester pendant un
siècle et demi : il a déserté l’enseignement élémentaire et ne demeure
qu’un savoir d’excellence et de distinction réservé aux élites ayant
fréquenté l’enseignement secondaire. V.T.
… et des questions
Les statistiques sont là, mais elles posent encore bien des questions,
auxquelles les historiens se sont efforcés de répondre. Et d’abord, que vaut
le test des signatures ? On a justement fait observer qu’il y a toutes sortes de
manières de signatures : celles qu’on voit aujourd’hui sur les dessins dont
nos élèves de maternelle sont si fiers n’impliquent pas de savoir écrire, ni
même lire ; or beaucoup de celles qu’on relève sur les registres de mariage
leur ressemblent. Il peut y avoir un abîme entre griffonner son nom et écrire
avec aisance. En revanche, on peut fort bien savoir lire sans savoir écrire. Il
y a même, comme nous l’avons dit, bien des raisons de penser que les
lisants, en particulier parmi les femmes, étaient beaucoup plus nombreux
que les écrivants ; mais cela, nous ne pourrons jamais le prouver ni le
compter, avant le XIXe siècle qui, lui, saura faire la différence. Ce n’est pas
une révélation que de dire que le taux d’alphabétisation dépend aussi de la
position sociale et de la profession de chacun ; encore qu’on puisse trouver,
dans la France ancienne, des marchands qui ne savent pas écrire, et des
artisans qui s’en remettent à leur femme pour tenir les papiers du ménage.
Disons pour finir que si les parents se montrent plus ou moins empressés
à envoyer leurs enfants à l’école – dans la mesure où ils n’en ont pas besoin
pour les travaux des champs ou du ménage –, les autorités civiles, elles, ne
poussent guère à l’instruction. De Richelieu (voir p. 31) à Colbert et aux
économistes du XVIIIe siècle, la crainte est que l’instruction ne sorte les
enfants des classes laborieuses de leur condition. Même Voltaire ose dire
que l’ignorance du peuple est une garantie de la paix sociale. Rousseau, de
son côté, est réservé, car l’instruction éloigne de la nature. Ce n’est guère
que chez Condorcet (voir p. 88), à l’extrême fin du XVIIIe siècle, que
s’affirme la volonté d’élever par l’instruction publique le niveau de toute la
population française, des filles autant que des garçons.
Pourquoi les collèges jésuites sont-ils restés dans notre mémoire collective
comme les plus représentatifs de ce type d’établissements ?
Je me méfie de l’usage, et encore plus de l’utilisation, de la mémoire. Je
préfère parler en l’occurrence de mythologie, c’est-à-dire d’une
construction idéologique qui reste fixée dans les consciences comme une
vérité intangible. D’abord rappelons la part objective des collèges jésuites
dans l’ensemble des collèges : une centaine d’établissements sur trois cents
à trois cent cinquante au moment de leur extension maximale, soit le tiers ;
mais comme ils sont présents dans les plus grandes villes, ils atteignent sans
doute les deux tiers en termes de population scolaire. Cette proportion
constitue cependant un apogée qu’on peut situer vers 1670. Il faut en effet
rappeler que, sur le long terme de l’existence des collèges avant la
Révolution (du milieu du XVIe siècle à 1792), les Jésuites ne s’imposent pas
massivement avant la première moitié du XVIIe siècle et sont éliminés
entre 1762 et 1764 du fait de l’expulsion de la Compagnie.
Il ne faut pas non plus exagérer la spécificité pédagogique des Jésuites
qu’eux-mêmes ne revendiquaient pas puisqu’ils se réclamaient, au moment
de leur fondation, des pratiques en vigueur dans l’université de Paris.
Toutes les affirmations relatives aux particularités de l’enseignement des
Jésuites (par exemple, leur refus de l’histoire, leur traditionalisme en
matière de langue française et de sciences exactes) se nuancent
considérablement quand elles ne s’effondrent pas complètement au fur et à
mesure que les recherches menées actuellement produisent des résultats. Si
spécificité des Jésuites il y a, elle relève plutôt de la culture au sens
anthropologique du terme : l’optimisme vis-à-vis de la condition humaine,
le recours aux ressorts de l’émotion et des sens qui répugne à d’autres
éducateurs et qui se traduit par leur goût du décor baroque et du spectacle.
Ces inclinations ont bien sûr des implications en matière de doctrine
religieuse qui leur aliène des adversaires (gallicans, jansénistes).
Le privilège accordé aux Jésuites tient au fait que, dans l’historiographie
érudite et positiviste du XIXe siècle, l’histoire de l’enseignement appartient à
l’histoire religieuse et qu’elle est, de ce fait, écrite majoritairement par des
clercs. Les Jésuites eux-mêmes ont apporté à leur propre histoire une
contribution ample et solide, bien que non dénuée de parti pris.
Dans votre livre intitulé Du collège au lycée, vous écriviez que ces
établissements visaient à « inculquer aux jeunes seigneurs les valeurs
cléricales de savoir et de discipline ». Adhérez-vous à la thèse de certains
sociologues qui voient dans les collèges et les petites écoles l’émergence
d’une « forme scolaire » plus contraignante et plus coercitive que les
écoles et les universités des périodes précédentes, en lien avec la montée
en puissance du pouvoir royal et de son administration ?
Je ne nie pas que cet objectif de christianisation de la jeune noblesse fût
assigné aux collèges, mais il n’est qu’un parmi d’autres, la noblesse ne
constituant qu’une partie faible de la population. Je parlerais plutôt
d’imprégnation, dans l’ensemble des élites, d’une culture commune dont les
traits principaux sont empruntés à la culture cléricale. Les textes soumis à
l’étude le sont pour leur caractère édifiant, au sens le plus général
d’exaltation du bien, du vrai et du beau, sans rapport avec le christianisme
car ces textes appartiennent à l’Antiquité païenne. Les exercices auxquels
les élèves sont soumis (thèmes, compositions) partagent ce caractère
édifiant. Textes latins pour la grande majorité, ils exigent un effort
intellectuel, dont on reconnaît la valeur (récompenses, prix, bourses). En ce
sens, la méritocratie qu’on qualifie aujourd’hui de républicaine me paraît
s’ancrer dans cette tradition cléricale.
J’identifie ces valeurs comme cléricales, parce qu’elles ne sont pas cultivées
également par tous les groupes sociaux dominants. La cour en particulier
valorise la langue française, raille l’édification, apprécie l’esprit, à
l’occasion caustique, dans la conversation ; elle privilégie le don naturel, la
grâce physique. On sait combien le savoir y est facilement taxé de
pédantesque.
La forme scolaire des collèges serait effectivement contraignante et
coercitive si elle était obligatoire, mais elle ne concerne que des
volontaires : les rebelles insupportables ou les élèves jugés inaptes étaient
exclus sans état d’âme. Si contrainte et coercition il y a, elles sont
intériorisées et, à cet égard, le collège s’est montré plutôt efficace. Ses
moyens étaient l’imposition d’un cadre strict, à commencer par celui du
temps : horaire fixé jour après jour et déroulement du temps en général
(semaine, trimestre, semestre, année) ; le cursus était parcouru au gré
d’exercices soigneusement gradués, donnant lieu à des évaluations et à des
classements réguliers et fréquents.
Quant au lien avec l’affirmation du pouvoir royal, la réponse doit, elle
aussi, être nuancée. Les collégiens étaient nourris de la révérence envers la
République, expression suprême de la justice, de la vertu publique et du
bien commun. Les écarts du pouvoir royal par rapport à cet idéal ont suscité
de grands résistants, formés aux humanités, à commencer par les hommes
des Lumières. Robespierre, qui avait été un élève modèle, n’avait à la
bouche que le salut du peuple. Tout au long du XIXe siècle, les conservateurs
ont craint les ferments de Révolution cachés dans l’éducation humaniste.
Votre question supposait plutôt le parallélisme entre la monarchie absolue et
les humanités scolaires qu’elle n’y voyait un lien de cause à effet. Je
souligne à ce propos que, depuis une quinzaine d’années, les historiens
doutent de l’efficacité du pouvoir politique sur l’institution scolaire. On
reconnaît à celle-ci une autonomie qui, des établissements aux diverses
corporations enseignantes, affirme la puissance de sa logique propre, lui
permettant en particulier de n’intégrer des programmes et des méthodes
d’enseignement que ce à quoi elle consent elle-même. Si tant est qu’on
puisse voir une correspondance entre les caractères de l’enseignement
public et la culture des citoyens qu’il a produits, on pourrait retenir
l’inculcation d’une idée spécifique d’État et de nation. L’unification des
établissements dans leur administration et leurs programmes est le fil
conducteur pluriséculaire de la réglementation. Les élèves sont nourris de la
pensée et de la littérature françaises et persuadés de leur supériorité (la
fameuse « clarté » française).
Vous estimez que la période révolutionnaire n’a pas constitué une rupture
dans l’histoire des collèges secondaires et que c’est sous le Second
Empire que de véritables changements sont intervenus. Pourquoi ?
Il y a bien eu rupture révolutionnaire avec l’érection des écoles centrales,
mais comme leur vie a été courte et peu convaincante, et que leur
suppression a été suivie d’une longue réaction au sens étymologique du
terme, cette rupture s’inscrit plutôt comme un essai raté que comme le point
de départ d’une ère nouvelle. Leur échec a entraîné un retard dans
l’instauration du modèle alternatif qu’elles proposaient.
Les écoles centrales sont issues du projet des Lumières qui, rejetant la
rhétorique et la ratiocination philosophique comme les produits stériles des
humanités, exalte en revanche la raison, productrice de science, de
technique et de progrès : à la primauté du discours, il substitue la pluralité
des savoirs issus de la sphère savante et ajoute des matières à finalité
professionnelle (dessin, enseignement technique). Du point de vue de la
forme scolaire, le cours (une heure de parole magistrale) remplace la classe
(deux séances quotidiennes durant chacune de deux heures à deux heures et
demie, divisées en courtes séquences). Cette substitution est un processus
entamé dès la fin de l’Ancien Régime : des chaires (histoire,
mathématiques) ont été créées dans les plus gros collèges ; les écoles
militaires formaient les futurs ingénieurs. Elle s’est poursuivie au long du
XIXe siècle par l’introduction, dans les lycées, de cours faits par les agrégés,
s’ajoutant aux classes. Elle ne pouvait qu’être encouragée par le positivisme
de la IIIe République. La réforme de 1902 consacre l’avènement des
matières et des filières : le temps des élèves, comme des professeurs, est
désormais distribué en heures de cours et le corps professoral divisé en
disciplines, même si le trio français-latin-grec garde une prépondérance
jusque dans les années 1960.
L’historiographie de l’éducation est écrasée par l’injonction du progrès :
l’apparition des matières scientifiques dans l’univers des humanités a
toujours été saluée comme un signe de modernité. La domination des
mathématiques aujourd’hui peut légitimement apparaître comme le
couronnement de cette histoire. Pourtant les interrogations contemporaines
jettent un doute sur la validité de ce progrès. N’en est-on pas arrivé à
l’épuisement de la forme scolaire dessinée par les Lumières ? Le désarroi
viendrait de l’absence de projet alternatif susceptible de rallier l’opinion
publique. Si l’hypothèse de l’autonomie de l’école est juste, c’est aux
professeurs de se montrer créatifs en la matière.
« Ce que nous vous demandons à tous, c’est de nous faire des hommes
avant de nous faire des grammairiens ! […] Vous avez compris qu’aux
anciens procédés, qui consument dans le temps en vain, à la vieille
méthode grammaticale, à la dictée – à l’abus de la dictée – il faut
substituer un enseignement plus libre, plus vivant, plus substantiel […]
Épargnons ce temps si précieux qu’on dépense trop souvent dans les
vétilles et l’orthographe, dans les règles de la dictée qui font de cet
exercice une manière de tour de force et une espèce de casse-tête
chinois6. »
Ces propos très critiques au regard d’une étude trop pointilleuse de
l’orthographe et d’une pratique trop systématique de la dictée paraissent
tout droit sortis de la bouche d’un pédagogue contestataire des
années 1960. Ils ont pourtant été prononcés en 1880, devant un public
d’inspecteurs et de directeurs d’écoles normales, par Jules Ferry lui-
même !
C’est dire à quel point l’enseignement minutieux de l’orthographe
auquel se livraient institutrices et instituteurs pouvait déjà paraître, dès
les débuts de l’école républicaine, comme excessivement fastidieux et
inutilement détaillé. On sait pourtant combien orthographe et dictée sont
restées longtemps les activités centrales et quasi sacrées de l’école
primaire, et le seul étalon auquel nombre de Français ont continué, et
continuent encore, d’évaluer le « niveau » des élèves.
Pour expliquer l’importance que la maîtrise sans faille d’une
orthographe complexe a prise dans l’école primaire française dès la
mise en œuvre de la loi Guizot en 1833, l’historien André Chervel
évoque la conjonction de plusieurs facteurs. Le premier est évidemment
l’injonction politique de constituer l’unité culturelle du territoire
national et d’imposer la pratique du français à la place des langues
régionales. Cette ambition suppose des instituteurs qui sachent eux-
mêmes bien l’orthographe. Or les enquêtes disponibles indiquent
qu’encore en 1830, les deux tiers d’entre eux ne maîtrisent pas
l’orthographe et écrivent plus ou moins phonétiquement, sans doute à la
manière de ce texte rédigé en 1779 par un colporteur qui envoie une
commande de livres à un libraire suisse :
« Monsieur
jeresus lhoneur de la votre an dat du courant je vous suit tres oblige de
voux ofe de credit que vous aves biens voulut me faire mais entansions
nesont pons dajete des marchandise acredit pour an peier des jroenteres
jeme baucoup mieux a jete aucontans pour le peu que jajete contant
onmefai la remis de 12 a 15 pour sant de fasons que jevoi monbien
(efris de dime ?) sit vous voulet trete avecmoi vous pouve manvoier
votre cathalo surtout les livre filo (biffé) philosophique duquelle je
poures vous faires un debis au condisions que vous meranderrer les
marchandise fran de porre jusqualion vocit monnadres est ches
monsieur piertairalions roulierfaubour de resse a lions […]
sitvous juje aprepau de mespedier mademan je vous cert aublije
demandonet avis evous oservere que cest au contant cit vous ne trouve
pas la comodite a tire avu sur le roulier vous pouve tire aus sur moi au
je vous anverret une lette de chanje sur paris vous obligeres monsieur
celui qui a lhoneur dostre tres parfetmans votre serviteur noel gilles
demontargis le 30 juillet 17797
Il fallait donc un enseignement rigoureux pour combler de telles
lacunes. Mais André Chervel insiste aussi sur le rôle qu’a joué
l’orthographe dans la constitution de l’identité professionnelle des
instituteurs. Une fois transmise de façon systématique par les écoles
normales après 1833, l’orthographe est devenue le savoir qui assurait
leur prestige dans les villages. L’orthographe maîtrisée, ils pouvaient se
voir confier la fonction de secrétaire de mairie, assister au conseil
municipal et détenir des informations importantes. Autrement dit, leur
maîtrise de l’écrit faisait d’eux dans la société villageoise des égaux du
prêtre, alors que pendant des siècles ils n’en avaient été que le modeste
et peu savant auxiliaire.
Plus surprenant, l’orthographe du français était encore au début du
XIXe siècle plus ou moins bien maîtrisée par les professeurs des collèges
secondaires, qui étaient souvent plus rigoureux dans l’écriture du latin
que dans celle du français. En acquérant une maîtrise rigoureuse de
l’orthographe, les instituteurs définissaient aussi un domaine de
compétences qui, avec l’enseignement des poids et mesures, leur était
propre et caractérisait leur spécificité professionnelle.
Un dernier facteur a joué en faveur de la pérennité du couple
orthographe/dictée, c’est la généralisation par la IIIe République du
certificat d’études primaires. La dictée est un exercice qui se prête
facilement à une correction objective, à l’inverse des travaux qui font
appel à l’initiative personnelle ou à l’imagination.
Volonté politique d’inculcation d’une culture commune, appropriation
identitaire par une catégorie d’enseignants et facilité de validation par
des examens écrits, ce sont souvent les ingrédients à l’origine du succès
que certaines formes de savoirs obtiennent dans le cadre de la logique
scolaire, parfois jusqu’à y occuper une situation de monopole. C’est en
tout cas ce qui explique que la dictée ait résisté si longtemps dans sa
forme la plus traditionnelle aux critiques des pédagogues, y compris de
ceux qui avaient fondé l ’école républicaine. V.T.
Plus complexe, en revanche, est la scolarisation de la géométrie dont
l’enseignement ne relève pas a priori de l’instruction primaire, du moins
telle qu’elle est définie au sortir de la Révolution française. C’est pour les
écoles primaires supérieures qu’elle institue que la loi Guizot de 1833
introduit un enseignement comprenant « les éléments de la géométrie et ses
applications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage ». Cet
enseignement puise dans une double tradition. La première est celle, déjà
ancienne, de la géométrie pratique qui traite de l’évaluation des surfaces et
des volumes. Certains projets révolutionnaires, tels ceux de Mirabeau ou
Condorcet, en tentèrent l’institutionnalisation, en vain. La seconde est plus
récente : elle remonte à l’introduction, dans les écoles mutuelles de la
Restauration, d’un enseignement de dessin appelé « dessin linéaire » parce
qu’il conduit à dessiner des combinaisons de lignes géométriques. Outre
qu’il représente « un excellent moyen d’occuper tous les élèves à la fois8 »,
celui-ci offre une large palette d’exercices graphiques susceptibles de
familiariser ces derniers avec le vocabulaire et les figures de la géométrie.
En revanche, la géométrie spéculative occupe une place marginale dans les
études primaires. Encouragée dans les écoles élémentaires dans les
années 1830 – la géométrie proprement dite est supprimée par la loi Falloux
du 15 mars 1850 avant d’être rétablie comme matière facultative par Victor
Duruy en 1865 –, cette éducation géométrique reste l’apanage d’une petite
minorité d’écoles urbaines. En outre, elle concerne préférentiellement les
garçons : non seulement les activités géométriques sont étroitement liées au
futur rôle social de ces derniers, mais les écoles de filles offrent
généralement un enseignement moins développé que celles de garçons.
Enfin, requérant un minimum de connaissances arithmétiques, elle
s’adresse principalement aux grands élèves. Dans ce contexte, l’inscription
en 1882 d’un enseignement de géométrie à tous les niveaux de
l’enseignement primaire élémentaire constitue une réelle nouveauté. Mais, à
l’exception des questions de mesurage (des surfaces et des volumes), cet
enseignement n’est guère valorisé par les épreuves du certificat d’études
primaires institué en 1880. Sous la IIIe République encore, calcul et système
métrique forment le centre de gravité de l’enseignement mathématique de
l’école élémentaire.
Parce qu’elle accueille des enfants qui, dans leur très grande majorité,
entreront tôt dans la vie active, l’école primaire approprie son enseignement
à leur probable avenir social et professionnel. L’enseignement
mathématique n’échappe pas à cette logique. Pratique, concret, usuel, il doit
« servir, autant que possible, de préparation à la profession qu’on doit
embrasser » : « Par la solution d’une foule de questions plus ou moins
analogues à celles qui s’y présentent, il met en état de résoudre toutes
celles qu’on pourra rencontrer9. » La résolution de problèmes est au centre
du dispositif. Ceux-ci doivent rendre compte de situations « usuelles »,
c’est-à-dire susceptibles de survenir dans le cadre de l’atelier, de la boutique
ou de l’exploitation agricole, ainsi que dans l’univers domestique. Il s’agit
bien sûr d’exercer les élèves sur les opérations arithmétiques, mais aussi de
les familiariser avec la valeur des choses et de leur enseigner tout un
ensemble de notions utiles concernant l’agriculture, le commerce,
l’industrie et plus généralement la vie quotidienne. Autrement dit, un
problème doit être instructif. « Ne sera-t-il pas, par exemple, plus utile pour
un cultivateur de pouvoir rendre compte du prix de revient du produit d’un
champ ou des frais de culture dans différents systèmes, que de savoir
calculer le moment de rencontre des deux aiguilles d’une montre, ou de
découvrir ce que j’ai dans ma bourse, sachant que la moitié des 2/3 des 3/4
des 4/5 de ce qui y est contenu égale 6 francs ? » s’interroge ainsi
l’inspecteur primaire Jean-Jacques Rapet10. Un Recueil de problèmes
présentant l’application des opérations de l’arithmétique aux diverses
branches du commerce et de l’industrie, publié par les Frères des écoles
chrétiennes à partir des années 1860, est emblématique de cette conception
« instructive » de l’enseignement mathématique : un index analytique de
près de quatre cents entrées permet de choisir des problèmes relatifs à tel ou
tel objet ou produit agricole, commercial ou industriel, depuis « Abeille »
jusqu’à « Zinc » en passant par « Mines et carrières ». On y apprend qu’une
machine à coudre fait 800 points à la minute quand une couturière n’en fait
que 60, que le moellon d’Arcueil est plus onéreux que le moellon de Passy
et que les mines du Potosi ont été découvertes en 1545. Autre exemple : le
Bulletin de l’instruction primaire publie en 1854 un long article riche en
données numériques afin que les instituteurs puissent, au moyen de
quelques problèmes bien choisis, convaincre leurs élèves des avantages de
certains procédés d’ensemencement. La question des données numériques
est essentielle : lorsqu’elles sont imaginaires, inexactes ou périmées, elles
« substituent à l’ignorance non la vérité, mais l’erreur pire encore que
l’ignorance11 ». Certains manuels ou journaux pédagogiques mettent
d’ailleurs un point d’honneur à fournir aux maîtres des données bien réelles,
puisées à des sources sûres et récentes.
Privilégier le sensible
Moraliser en instruisant
Cultiver l’intelligence
Les conflits scolaires qui éclatent avec l’école laïque de Jules Ferry
remontent à la Révolution française et à l’opposition entre les forces
politiques héritières des Lumières et celles qui demeurent nostalgiques
de l’Ancien Régime.
La querelle scolaire n’a pas commencé avec les lois Ferry qui ont séparé
l’Église de l’école et inscrit durablement la concurrence entre écoles
publiques laïques et écoles privées confessionnelles dans le paysage
politique français. Le processus qui conduit à ce résultat remonte au moins
à la Révolution française, et reflète tout au long du XIXe siècle un débat de
nature politique et idéologique, opposant la France héritière des Lumières,
libérale et bientôt républicaine, à l’Église catholique souvent marquée par
l’intransigeance et la nostalgie de l’Ancien Régime. L’enseignement,
considéré de part et d’autre comme un vecteur clé du contrôle de la société,
est alors le grand enjeu de ce débat, dont les phases, complexes, reflètent
l’alternance entre des régimes politiques, qui sont pour les uns favorables
aux prérogatives de l’État, pour les autres enclins à appuyer les revanches
« cléricales ».
Tel est le sens de la loi Falloux du 15 mars 1850 (voir p. 59). Celle-ci,
sans doute, n’est pas entièrement conforme à la légende noire tissée par
l’idéologie républicaine : elle s’inscrit à certains égards dans la continuité
institutionnelle de tous les grands textes qui ont organisé l’enseignement au
XIXe siècle et elle a notamment permis un essor de la scolarisation féminine.
Mais, votée dans le cadre du tournant conservateur de la Seconde
République (1848-1852), elle reflète d’abord la montée d’un réflexe de peur
sociale au sein des élites libérales au pouvoir, effrayées après les journées
de juin 1848 d’une possible conversion au socialisme des enseignants de
tous ordres. Quoique de tradition anticléricale, ces élites – dont Adolphe
Thiers et Victor Cousin sont des figures éminentes – n’hésitent pas à
appeler l’Église comme rempart de l’ordre social et à passer un arrangement
très favorable aux intérêts catholiques. Ainsi, la loi introduit les
ecclésiastiques au Conseil supérieur de l’instruction publique, renforce la
surveillance du clergé local sur les instituteurs (« L’entrée de l’école lui est
toujours ouverte ») et – entorse suprême aux principes libéraux qui
dominent tout le siècle – autorise un financement public partiel des
établissements privés (appelés établissements libres). Et surtout peut-être, la
loi Falloux légalise une discrimination en faveur des maîtresses
congréganistes : les religieuses sont en effet dispensées du brevet de
capacité nécessaire aux laïques, la « lettre d’obédience » délivrée par les
supérieures des ordres religieux en tient lieu ; un système proche s’applique
aux ordres masculins, mais en principe il concerne seulement les adjoints.
LOI GUIZOT DU 18 JUIN 1833 SUR L’INSTRUCTION PRIMAIRE
DES GARÇONS
TITRE PREMIER. – DE L’INSTRUCTION PRIMAIRE ET DE SON OBJET
er
Art. I . – De l’instruction primaire et de son objet.
L’instruction primaire et élémentaire comprend nécessairement
l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la
langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures.
L’instruction primaire supérieure comprend nécessairement, en outre, les
éléments de la géométrie et ses applications usuelles, spécialement le
dessin linéaire et l’arpentage, des notions des sciences physiques et de
l’histoire naturelle applicables aux usages de la vie, le chant, les
éléments de l’histoire et de la géographie, et surtout de l’histoire et de la
géographie de la France. Selon les besoins et les ressources des localités,
l’instruction primaire pourra recevoir les développements qui seront
jugés convenables.
Art. 2. – Le vœu des pères de famille sera toujours consulté et suivi en
ce qui concerne la participation de leurs enfants à l’instruction
religieuse.
Art. 3. – L’instruction primaire est privée ou publique.
TITRE III. – DES ÉCOLES PRIMAIRES PUBLIQUES
Art. 8. – Les écoles primaires publiques sont celles qu’entretiennent, en
tout ou en partie, les communes, les départements ou l’État.
Art. 9. – Toute commune est tenue, soit par elle-même, soit en se
réunissant à une ou plusieurs communes voisines, d’entretenir au moins
une école primaire élémentaire.
Art. 11. – Tout département sera tenu d’entretenir une école normale
primaire, soit par lui-même, soit en se réunissant à un ou plusieurs
départements voisins. Les conseils généraux délibéreront également sur
la réunion de plusieurs départements pour l’entretien d’une école
normale. Cette réunion devra être autorisée par ordonnance royale.
Art. 12. – Il sera fourni à tout instituteur communal :
1° Un local convenablement disposé, tant pour lui servir d’habitation
que pour recevoir les élèves ;
2° Un traitement fixe, qui ne pourra être moindre de deux cents francs
pour une école primaire élémentaire, et quatre cents francs pour une
école primaire supérieure.
TITRE IV. – DES AUTORITÉS PRÉPOSÉES À L’INSTRUCTION PRIMAIRE
Art. 17. – Il y aura près de chaque école communale un comité local de
surveillance composé du maire ou adjoint, président, du curé ou pasteur,
et d’un ou de plusieurs habitants notables désignés par le comité
d’arrondissement.
Source : P. Chevallier, B. Grosperrin, L’Enseignement français de la
Révolution à nos jours, Mouton, 1971.
Réaction et radicalisation
Cette situation pousse le Second Empire lui-même à réagir, surtout
après 1860, pour maintenir les prérogatives de la société laïque face à ce qui
est perçu comme une « reconquista » catholique.
Dans le primaire, une politique de rectification de la loi Falloux, menée
par les ministres Gustave Rouland (1856-1863) et surtout Victor Duruy
(1863-1869), parvient pour l’essentiel à stopper l’offensive des
congrégations, mais non à retourner la tendance. Ce dernier soumet à
inspection les écoles libres subventionnées par les communes et prend par
ailleurs des mesures favorables aux écoles de hameaux. En revanche,
lorsqu’il entreprend de soustraire l’enseignement féminin au patronage de
l’Église en créant dans les villes des cours secondaires pour les jeunes filles,
Duruy se heurte à une vive résistance cléricale. Ce faisant il désignait
l’éducation des filles comme l’enjeu principal de la future laïcisation.
La réaction du pouvoir traduit la radicalisation de la guerre des deux
France à la fin du Second Empire. Face à un catholicisme dominé par les
ultramontains et dont le Syllabus de Pie IX (1864) symbolise la fermeture à
la modernité, une opinion anticléricale émerge. Elle recrute dans les classes
moyennes et les nouvelles couches en ascension sociale, se structure autour
des loges maçonniques, des sociétés de libre-pensée et de la Ligue de
l’enseignement avec en toile de fond l’adhésion à un idéal
« éducationniste » identifié au progrès de l’humanité et qu’incarnent aussi
bien l’essor des bibliothèques populaires et des cours d’adultes que les
campagnes en faveur de l’obligation et de la gratuité de l’enseignement
primaire. Pour ce courant d’opinion, rejoint à ce sujet par un mouvement
ouvrier en plein essor, ce n’est plus l’utilité sociale mais la nocivité des
religions, et particulièrement du catholicisme, qui est à l’ordre du jour. La
crise du premier seuil de laïcisation est donc avérée. On entre dans une
problématique nouvelle que symbolise l’apparition du substantif « laïcité »
dans la langue politique en 1871.
Contrôler l’enseignement
De l’apprentissage à l’enseignement
technique
L’enfance exploitée
Dans les industries les plus précocement concernées par la division
industrielle du travail au XIXe siècle, c’est-à-dire principalement l’industrie
textile et les industries d’extraction minière, la mécanisation et la
spécialisation des tâches entraînent la déqualification du travail ouvrier et
par conséquent l’allongement de la durée de l’apprentissage.
En l’absence de toute réglementation, il devient alors possible, et
rentable, de faire travailler les enfants. En 1840, un ancien médecin
militaire, Louis René Villermé, publie un Tableau de l’état physique et
moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie. Il y
décrit la monstrueuse exploitation d’enfants qui dès six ou sept ans sont
employés douze ou treize heures par jour à nettoyer les bobines et à
rattacher les fils dans des ateliers de filature mal aérés et souvent humides.
Les enfants prolétaires se rencontrent surtout dans le textile et les mines,
mais parfois aussi dans d’autres secteurs. On a estimé leur nombre à plus
de 200 000, soit 20 % de la main-d’œuvre ouvrière des industries
concernées.
L’enquête de Villermé s’ajoute à d’autres témoignages qui provoquent
parmi la fraction la plus éclairée de la bourgeoisie une prise de conscience à
la fois économique et politique. Devant « une population abâtardie et
détériorée au physique comme au moral », comme l’écrit en 1837 le préfet
de la Meuse, le risque de manquer de force de travail pour les usines et de
soldats en bonne santé pour l’armée devient une éventualité qui inquiète à
la fois industriels et politiques.
C’est ce qui explique le vote de la loi de 1841 qui interdit le travail des
enfants avant huit ans, limite à huit heures par jour le travail des huit-douze
ans, et oblige à ce que ces derniers fréquentent une école publique ou privée
en plus de leurs heures de travail. La loi sera très mal appliquée, mais elle
indique qu’une partie de la bourgeoisie commence à accepter, voire à
demander, l’intervention de l’État pour pallier le manque de réglementation,
tandis que la scolarisation est envisagée comme un outil de protection de la
jeunesse populaire.
L’intervention de l’État
Qui sont les élèves qui reçoivent cet enseignement et que deviennent-ils ?
Il est ici difficile de généraliser, d’autant que les établissements ne sont pas
très nombreux, ni toujours comparables. Il faut distinguer chaque école,
surtout pour le milieu du siècle alors que se crée la profession. La réponse à
cette question devrait être plus aisée pour la période ultérieure, quand
l’enseignement technique existera en tant que tel – avec notamment une
direction ministérielle. Les quelques études de carrières d’anciens élèves
manquent encore de finesse et font apparaître des disparités importantes, ce
qui appelle à la prudence. De plus, la situation, sociale et industrielle,
évolue au cours du siècle : l’exemple des Écoles d’arts et métiers est
représentatif de cette transformation progressive du recrutement d’une part,
de l’avenir de ses élèves d’autre part.
Dans l’ensemble, les formations techniques s’adressent aux catégories
sociales intermédiaires, certainement pas aux couches de la société les plus
défavorisées : un minimum d’instruction est toujours requis. Il faut aussi
souligner que les positions professionnelles dépendent de nombreux
facteurs, l’industrie fonctionnant essentiellement par promotion interne – si
on excepte les catégories les plus hautes peut-être. Les gadz’Arts
commencent en général comme ouvriers qualifiés, contre-maîtres ou
dessinateurs, avant de passer chefs d’atelier ; ils finissent souvent comme
chefs de fabrication – parfois avec le titre d’ingénieur – , voire comme
entrepreneurs à leur propre compte. Une seule statistique, pourtant : d’après
une enquête de 1880, 20 % d’une promotion ne finit pas dans une position
de cadre, pour employer un terme d’aujourd’hui, pendant que 40 % est à la
tête d’entreprises industrielles (toutes tailles confondues) – signe d’une
certaine promotion sociale. Sans doute faut-il y voir la qualité réelle de cette
formation, autant qu’un rapport très favorable de la demande à l’offre
d’emplois industriels qualifiés.
LE PROJET DE CONDORCET 88
Messieurs,
Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à
leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs
droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ;
Assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se
rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé,
de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature ; et
par là, établir, entre les citoyens, une égalité de fait, et rendre réelle
l’égalité politique reconnue par la loi ;
Tel doit être le premier but d’une instruction nationale ; et, sous ce point
de vue, elle est, pour la puissance publique, un devoir de justice […].
La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des
vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent
être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique ; et
comme, néanmoins, cette indépendance ne peut être absolue, il résulte
du même principe qu’il faut ne les rendre dépendants que de
l’Assemblée des Représentants du Peuple, parce que de tous les
pouvoirs, il est le moins corruptible, le plus éloigné d’être entraîné par
des intérêts particuliers, le plus soumis à l’influence de l’opinion
générale des hommes éclairés, et surtout parce qu’étant celui de qui
émanent essentiellement tous les changements, il est dès lors le moins
ennemi du progrès des lumières […].
Nous avons observé, enfin, que l’instruction ne devait pas abandonner
les individus au moment où ils sortent des écoles ; qu’elle devait
embrasser tous les âges ; qu’il n’y en avait aucun où il ne fût utile et
possible d’apprendre, et que cette seconde instruction est d’autant plus
nécessaire que celle de l’enfance a été resserrée dans des bornes plus
étroites […]. Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur
raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en
vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de
commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas
moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle
des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves.
Source : P. Chevallier, B. Grosperrin, L’Enseignement français de la
Révolution à nos jours, Mouton, 1971.
Après avoir rétabli par le Concordat de 1802 les relations avec l’Église,
Napoléon Ier crée les lycées (1802), instaure un monopole d’État sur
l’éducation (1808), et se montre particulièrement attentif au recrutement et
à l’état d’esprit des enseignants, dont il veut faire, pour les lycées, un corps
de fonctionnaires dévoués à sa politique.
Évolution des effectifs de
l’enseignement primaire de 1817 à
1937
C’est entre 1815 et 1880 que la croissance de l’école primaire a été la
plus remarquable. Avec l’obligation d’instruction, la IIIe République a
surtout rendu la fréquentation de l'école plus régulière et elle a laïcisé
l'enseignement des filles.
Les dates sont choisies en fonction des statistiques disponibles et des
moments clés de l’histoire scolaire ou nationale. Les données, surtout
jusqu’à la Première Guerre mondiale, présentent un degré de fiabilité
incertain. Il faut aussi souligner certains biais dont on doit tenir compte
dans la lecture du tableau : à partir de 1922, les effectifs des écoles
primaires supérieures (voir p. 113) ne sont plus comptabilisés alors qu’ils le
sont auparavant, ce qui explique en partie la baisse brutale du nombre
d’élèves, qu’il ne faut donc pas attribuer uniquement au déficit de
naissances dû à la Première Guerre mondiale ; en revanche, à la même date,
la réalité de la baisse de la population globale due à la guerre et aux
épidémies est en partie masquée par l’annexion de l’Alsace-Lorraine et de
sa population.
Mais à la fin du règne de Louis XVIII, puis avec celui de son frère
Charles X qui lui succède en 1824, les milieux conservateurs catholiques
deviennent plus influents et s’opposent à l’enseignement mutuel. Ils lui
reprochent son origine anglaise, son indépendance vis-à-vis de l’Église et la
dimension démocratique de sa pratique pédagogique. C’est ce que montrent
clairement les propos de l’abbé Affre, vicaire général de Mgr l’évêque
d’Amiens (futur archevêque de Paris) :
« Il est facile de sentir combien une telle méthode est vicieuse […]. Quoi de
plus propre à nourrir leurs dispositions à l’ambition, à l’orgueil, à
l’indépendance, puisqu’on leur montre la facilité de devenir chacun à leur
tour les chefs et les supérieurs de leurs condisciples. Toute la morale qui
résulte d’une semblable méthode se réduit à ceci : que le meilleur des
gouvernements est celui où l’on n’obéit qu’à ses égaux et où l’on peut
aspirer sans cesse à devenir leur supérieur. C’est là évidemment un
principe républicain1… »
L’enseignement mutuel ne se relèvera pas de cette offensive.
1 Cité par A. Prost, Histoire de l’enseignement en France 1800-1967, Armand Colin, rééd. 1983.
PARTIE II
L’ÉCOLE RÉPUBLICAINE,
MYTHE ET RÉALITÉ
L’influence du positivisme
La laïcité fut ainsi, au XIXe siècle, marquée par le combat qu’elle eut à
mener contre une Église arc-boutée sur une tradition hostile à la modernité.
Elle eut donc tendance à se présenter ou à se vivre elle-même comme
relevant d’une nouvelle conception du monde, promouvant ses valeurs
propres : la science, la raison, le progrès…, qu’elle opposait volontiers aux
valeurs que ses adversaires présentaient comme « chrétiennes ». L’influence
d’un positivisme diffus, plus ou moins directement inspiré d’Auguste
Comte et qui voyait dans le monde moderne l’avènement d’une civilisation
scientifique appelée à reléguer dans un passé dépassé les sociétés
« théologiques », a contribué à donner à cette laïcité une dimension à la fois
« doctrinale » (on pourrait dire aussi philosophique) et polémique. Jules
Ferry lui-même, qui ne faisait pas mystère de son allégeance personnelle au
positivisme comtien, ne déclarait-il pas à la fin de son célèbre discours sur
l’égalité d’éducation (10 avril 1870) qu’il fallait arracher la femme à
l’influence de l’Église pour la placer sous la conduite de la science, comme
si la science constituait une alternative philosophique à la foi et se plaçait en
rivale de la religion ? Dans une lettre à Lavertujon, Ferry, qui n’est pas
encore ministre, s’exprime encore plus directement : « La religion, dans son
essence, est donc frappée d’une irrémédiable décadence, alors que la
science, reine du monde, est la maîtresse de l’avenir5. » Se manifeste ici
plus qu’un engagement personnel et singulier : toute une tradition
intellectuelle de la laïcité, imprégnée de « positivo-scientisme » militant et
d’interprétation négative de la croyance religieuse. Paul Bert, célèbre
physiologiste et ministre de l’Instruction publique entre deux ministères
Ferry, le chimiste Marcellin Berthelot qui fut lui aussi ministre de
l’Instruction publique, ou, plus tard, le président de la Ligue de
l’enseignement, Albert Bayet, furent d’éminents représentants d’une telle
tradition. La prudence de Gambetta ou de Ferry lui-même invitant à ne pas
confondre anticléricalisme et anti-religion (le « catholicisme politique »,
inacceptable, et le « catholicisme religieux », digne de respect) ne doit pas
masquer que ces promoteurs de la laïcité se fondaient sur une philosophie
de l’histoire et du progrès peu favorable aux religions traditionnelles et
surtout au catholicisme. L’égalité juridique que la laïcité républicaine
reconnaît entre les croyances n’empêche pas la présupposition de leur
inégalité philosophique chez certains des plus éminents fondateurs de cette
laïcité, pas plus que la neutralité exigée des maîtres de « la laïque » n’a
empêché les écoles normales de produire des instituteurs dont
l’anticléricalisme se distinguait malaisément de l’anti-catholicisme. Il en
allait par exemple ainsi du père de Marcel Pagnol, Joseph, dont La Gloire
de mon père évoque, avec attendrissement, combien il se plaisait à
brocarder la foi de son beau-frère.
De la concorde au compromis
Nombre de ceux qui ont analysé la loi de 1905 soulignent qu’elle ne fut
pas une loi de combat mais d’apaisement et même de liberté15. Elle
témoigne du moment où, en matière de laïcité, le juridique a pris le pas sur
l’idéologique. Pourtant la dimension « libérale » (au sens de « favorable à la
liberté ») ne fut pas non plus absente des lois scolaires des années 1880.
Leurs initiateurs assurent aussi qu’elles reposent sur le principe de l’égalité
des droits et notamment de l’égale liberté de conscience, y compris, Ferry
aime à le répéter, celle de l’enfant. Lorsque le ministre recommande aux
instituteurs, dans la lettre-circulaire qu’il leur adresse en 1883, de ne pas
s’aventurer sur le terrain des convictions, variables, des familles, et
notamment de faire silence sur les questions religieuses, ce n’est pas
seulement pour rassembler toutes les composantes de la nation sous
l’enseignement consensuel de l’école laïque. C’est aussi l’effet d’un
scrupule juridique, qui fait de l’école de Jules Ferry, sur ce point, l’héritière
de Condorcet, lequel proposait déjà dans son plan d’instruction publique
(1792) la laïcisation de l’enseignement moral : « La Constitution, en
reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en
établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne
permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui,
en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des
avantages sociaux et donnerait à des dogmes particuliers un avantage
contraire à la liberté des opinions16. »
Il faut en ce sens souligner que la loi du 28 mars 1882 contient deux
articles concernant la laïcité de l’enseignement. Si le premier, en excluant le
catéchisme et l’histoire sainte des matières enseignées, relève du combat
contre les prétentions cléricales de l’Église en matière d’éducation
publique, le second, en faisant du jeudi un jour chômé afin que les familles
puissent faire donner à leur progéniture l’instruction religieuse de leur
choix, garantit une liberté et interdit du même coup de comprendre la
laïcisation de l’école comme une mesure anti-religieuse. En somme, la
séparation de l’Église et de l’école se fait déjà dans l’esprit « libéral » de ce
que sera quelque vingt ans plus tard la séparation de l’Église et de l’État.
En 1882 comme en 1905, il s’est agi non de déchristianiser la France, mais,
comme le dit Jean Baubérot, de désinstitutionnaliser la religion, c’est-à-dire
de donner à la croyance religieuse le statut d’une opinion privée, égale en
droits à toutes les autres.
Ainsi, la dimension juridique de la laïcité n’est pas un fruit tardif de son
histoire. C’est plutôt de la victoire d’un de ses éléments originaires sur
l’autre qu’il faudrait parler. L’idéal laïque a fini par voir son contenu
philosophique se diluer en raison directe de l’inscription dans le droit positif
d’une laïcité liberté qui, en privatisant la religion, lui a du même coup
assuré la pleine autonomie de son exercice dans la société civile et a cessé
de passer auprès des religionnaires pour une philosophie rivale ou une
Église de remplacement. On peut se réjouir de voir ainsi la laïcité pour ainsi
dire se « désubstantialiser » et entrer définitivement dans l’ordre procédural
des démocraties modernes… même si certains semblent regretter le temps
où la laïcité était encore un ressort spirituel pour la République et son école,
au moment difficile mais exaltant de sa fondation durable, en déplorant
qu’elle n’en soit plus que la jurisprudence.
Les tentatives qui prennent place entre 1830 et 1880 montrent à la fois
qu’il existe une conviction durable parmi certains membres de l’élite sur
l’utilité sociale d’une telle filière d’enseignement, ainsi qu’une clientèle
pour celle-ci. Mais son organisation se heurte aussi à des difficultés
récurrentes : d’une part la rareté du personnel enseignant capable d’inventer
un enseignement adapté à la clientèle (les cas de l’école Turgot à Paris et de
l’école de Leloup à Nantes sont des contre-exemples) ; d’autre part
l’irrégularité du financement pour les écoles dépendant des villes. À la fin
des années 1860, la croissance de l’enseignement élémentaire a permis de
surmonter une autre difficulté : l’existence d’un nombre suffisant d’élèves
ayant acquis les rudiments primaires qui sont un préalable à cet
enseignement.
En 1878, l’enseignement primaire supérieur renaît officiellement :
bourses et subventions d’État lui sont, pour la première fois, attribuées5. Le
terme « école primaire supérieure » (EPS) réapparaît pour désigner les
établissements qui offrent trois (et parfois, un peu plus tard, quatre) années
d’études après la dernière année d’école primaire et l’obtention du certificat
d’études primaires (instauré en 1882). Cet enseignement s’adresse donc à
des élèves âgés de 12 à 16 ans. L’une de ses singularités est alors sa
gratuité, tandis que l’enseignement secondaire public (lycées et collèges)
impose toujours le paiement d’une rétribution scolaire. En outre, à côté des
écoles primaires supérieures, sont créés des cours complémentaires, simples
classes rattachées à des écoles primaires et qui empruntent leur programme
aux EPS. Autre fait nouveau : la réglementation de l’enseignement primaire
supérieur est appliquée aux filles (1879), qui bénéficient ainsi, au moment
où est créé l’enseignement secondaire de jeunes filles, d’un second type de
filière de scolarisation prolongée. La IIIe République organise donc une
filière complète de poursuite d’études au-delà de l’enseignement
élémentaire obligatoire, qui est gratuite et dans laquelle enseignent des
instituteurs ou des institutrices formés à cet effet. Mais elle se distingue
explicitement des lycées et des collèges publics, qui demeureront payants
jusqu’en 1930, en n’enseignant pas le latin et en ne préparant pas au
baccalauréat.
Parallèlement, une suite de réorganisations transforme après 1880
l’enseignement secondaire spécial qui avait été créé en 1864. Celui-ci se
rapprocha par sa durée, puis par ses sanctions – avec la création d’un
baccalauréat moderne en 1891 – de la filière classique, elle-même
simultanément modifiée en 1880 et en 1890. L’enseignement secondaire
moderne n’est plus alors défini par les caractéristiques sociales du public
auquel il s’adresse, mais par l’orientation des études. L’enquête
parlementaire sur l’enseignement secondaire réalisée en 1898 conclut
qu’une grande partie de la clientèle antérieure de l’enseignement secondaire
spécial fréquente dorénavant les écoles primaires supérieures.
1 Voir dans les Points de repère p. 88 les extraits du projet de Condorcet en 1792.
2 J. Ferry, « De l’égalité d’éducation » Discours de la salle Molière, Conférence du 10 avril 1870 à la
Société pour l’instruction élémentaire.
3 Destutt de Tracy, Observations sur le système actuel d’instruction publique, Panckoucke, an IX.
4 J.-M. Chapoulie, « L’enseignement primaire supérieur de la loi Guizot aux écoles de la IIIe
République », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 36, juillet-septembre1989.
5 J-P. Briand, J.-M. Chapoulie, Les Collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le
développement de la scolarisation prolongée sous la IIIeRépublique, Éditions du CNRS/
INRP/Presses de l’ENS, 1992.
6 F. Buisson, L’Enseignement primaire supérieur et professionnel en France, Fischbasher, 1887.
PATRICK CABANEL
Comme l’école primaire, l’école maternelle n’a pas été inventée par la
IIIe République, même si c’est bien en 1881 que cette dénomination
apparaît ; et comme l’école primaire, elle demeure jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale une école principalement destinée aux enfants du
peuple.
C’est en fait de l’action caritative de quelques philanthropes qu’est né
ce que l’on a appelé jusqu’en 1881 les « salles d’asile ». Émilie Mallet,
fille du banquier Oberkampf, et Jean Denys Cochin ont été, dès la fin
des années 1820, les pionniers les plus dynamiques du développement
de ces « établissements charitables », comme les qualifie une
ordonnance de 1837 qui les réglemente. Cette dénomination suffit à en
indiquer le but : au moment où le salariat féminin s’accroît dans les
milieux ouvriers, le problème de la garde des plus petits enfants devient
crucial pour des familles qui n’ont ni les moyens de payer une nourrice,
ni l’environnement familial large des zones rurales. Pour la bourgeoisie
libérale et philanthrope, le développement des salles d’asile répond alors
à une double finalité. Faire la charité bien sûr, mais aussi commencer tôt
l’éducation d’enfants du peuple dont la dangerosité future demeure une
crainte permanente. Une circulaire de 1845, qui fait suite à l’ordonnance
de 1837, précise qu’il faut que les générations futures soient « plus
pénétrées des principes d’ordre et de discipline ».
Une minorité d’animateurs de ces salles d’asile ont aussi très tôt
développé une réflexion pédagogique. Dans les quelques établissements
les plus performants, notamment celui dirigé par Marie Pape-Carpantier
qui poursuit l’œuvre de Cochin, les enfants se familiarisent avec la
lecture, l’écriture, le calcul, chantent et pratiquent une gymnastique
rythmique.
Lorsque la IIIe République entame son œuvre scolaire, elle hérite
donc d’un réseau de 5 000 établissements accueillant
environ 150 000 enfants, soit environ 20 % d’une classe d’âge. Mais les
effectifs qu’ils accueillent (parfois plus de 100 enfants par classe)
indiquent qu’il s’agit surtout de garderie, bien loin des ambitions des
pédagogues les plus novateurs. Aussi, en transformant ces salles d’asile
en écoles maternelles (1881) et en recrutant des institutrices issues des
écoles normales pour y enseigner (1878), les républicains affirment
vouloir en faire « des établissements de première éducation ».
L’inspectrice générale Pauline Kergomard, chargée de superviser ces
nouvelles écoles, travaille alors obstinément à la mise en œuvre d’une
pédagogie spécifique. Elle prône la centralité du jeu éducatif dans la
pédagogie enfantine et réclame du mobilier adapté à la taille des petits
enfants. Mais les écoles maternelles vont conserver jusqu’à la fin des
années 1930 leur caractère principalement urbain et populaire. La loi
de 1905 ayant entraîné la fermeture de nombreux établissements privés
congréganistes, le nombre d’élèves préscolarisés tend même à diminuer
avant la Seconde Guerre mondiale. L’école maternelle demeure l’école
des enfants pauvres dont la mère est obligée de travailler pour subvenir
aux besoins de la famille. À la fin des années 1930, ce sont
environ 850 000 enfants de 2 à 5 ans qui sont préscolarisés dans les
écoles maternelles, les jardins d’enfants ou les classes dites
« enfantines » de l’école primaire, soit pas plus de 30 % de chaque
classe d’âge.
Mais en 1921 un décret avait donné aux écoles maternelles leur statut
définitif, conseillé des pratiques pédagogiques inspirées des
préconisations de Pauline Kergomard et précisé les conditions de
recrutement d’institutrices spécialisées. Progressivement, une pédagogie
innovante va alors s’y développer plus nettement, préparant la
remarquable croissance des écoles maternelles après la Seconde Guerre
mondiale. V.T.
On peut penser qu’est moins en cause un niveau qu’une forme : celle de
la dictée. Aujourd’hui désacralisée, elle était alors un rendez-vous majeur
des apprentissages, un moment à part dans la journée et dans la vie, minuté,
solennel, entre rituel et panique, le vrai « 100 mètres » ou « contre-la-
montre » de l’école. Certains l’aimaient, d’autres la détestaient, avec la
même violence. Les témoignages insistent sur ce qui se passait alors : le
silence habité par la parole, le changement de ton (dictée/diction) et même
de maintien de l’instituteur, la tension extrême, les déchirements ou les
paris fiévreux sur les doubles consonnes (apercevoir/apparaître), voire la
tentation de la fraude… C’est ensuite le relâchement de fin d’épreuve, trahi
souvent par une moins bonne orthographe dans les réponses aux questions
ou dans la rédaction qui suivent ! Ce que les élèves des
années 1920 auraient surtout maîtrisé, intériorisé, c’est la forme de la
dictée, sa haute discipline, la partie littéralement rituelle de l’école. Le
niveau en orthographe n’aurait été que l’expression d’une performance
momentanée, impossible à tenir sur la durée : nul n’a pour vitesse de
croisière celle d’un sprint final.
Discipline et créativité
Refuser la passivité des enfants, éveiller leur intérêt, éviter d’abuser des
sanctions : depuis deux siècles, de nombreux pédagogues ont cherché
les moyens d’atteindre un idéal d’éducation démocratique.
• Jean Jacques Rousseau (1712-1778)
C’est désormais une tradition de considérer L’Émile ou de l’éducation
publié par Rousseau en 1762 comme une référence commune à la
plupart des pédagogues novateurs des deux siècles suivants. Il y pose un
principe qui rompt avec les traditions éducatives antérieures, qui
considéraient plutôt l’enfant comme un adulte inaccompli, proche de
l’animalité. « Commencez par mieux étudier vos élèves » pour
« considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre », propose-t-il
aux pédagogues, les incitant à ne pas chercher « toujours l’homme dans
l’enfant » mais plutôt « ce qu’il est avant que d’être homme ».
•Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827)
Disciple de Rousseau, ce Suisse s’attache à l’éducation des enfants
pauvres et fonde une institution d’accueil d’enfants et d’adolescents
orphelins. Lui aussi estime qu’il ne faut pas considérer l’enfant « comme
une table rase sur laquelle il faut écrire », mais comme « une force
réelle, vivante, active ». Il éduque donc les enfants par le travail manuel
productif (fromagerie, agriculture, tissage) associé à l’instruction
générale. Cette dernière commence assez tardivement et tente de
respecter les rythmes de chacun.
• Friedrich Fröbel (1782-1852)
Ce fils de pasteur s’intéresse à l’éducation de la petite enfance.
Persuadé, comme Pestalozzi, de l’essence divine de la nature humaine,
il fonde sa pédagogie sur l’épanouissement de cette nature par le jeu.
« […] Il faut surtout que l’enfant ait la possibilité, fidèle aux exigences
les plus intérieures de sa vie, à l’instinct de sa nature et de sa vie, qui
s’exprime lui-même très tôt en tant qu’instinct de jeu, de pouvoir être
actif. » Fröbel fonde ainsi en 1837 le premier « jardin d’enfants »
(Kindergarten).
• John Dewey (1859-1952)
Philosophe de formation, Dewey est comme Pestalozzi persuadé que
c’est dans l’action collective que l’enfant apprend le mieux. « Je crois
finalement que l’éducation doit être conçue comme une reconstruction
continuelle de l’expérience ; que le processus et le but de l’éducation ne
font qu’un. » Dans son « école-laboratoire » du Massachusetts, il met
donc en œuvre ce que l’on appellera ensuite des « méthodes actives » ou
encore la « pédagogie de projet ».
• Maria Montessori (1870-1952)
Médecin, elle travaille avec des enfants autistes à la Casa dei bambini à
Rome. Elle met au point un ensemble de pratiques pédagogiques
fondées sur la manipulation d’objets spécifiques (cubes, cylindres,
lettres découpées) adaptés à l’éducation sensori-motrice. « L’activité de
l’enfant se développe dans un rapport direct avec le matériel, c’est-à-
dire avec des objets scientifiquement déterminés et mis à sa disposition
dans son milieu. » Elle est une des principales inspiratrices de l’école
maternelle.
• Ovide Decroly (1871-1932)
Ce médecin belge s’intéresse d’abord à l’éducation des enfants
handicapés puis fonde une école pour les enfants normaux. Il est le
fondateur de la « méthode globale » de lecture qui vise à apprendre par
visualisation des phrases plutôt que des mots par décomposition
syllabique. Il prône également une pédagogie fondée sur des « centres
d’intérêt » plutôt que sur un découpage disciplinaire.
• Adolphe Ferrière (1879-1960)
Fils d’un médecin suisse, il fait des études brillantes et se découvre une
vocation précoce pour la pédagogie. Mais atteint de surdité, il ne peut
enseigner lui-même avec des enfants. Il s’attache alors à faire connaître
la recherche pédagogique. Cofondateur de la Ligue Internationale pour
l’Éducation nouvelle en 1921, il rédige de multiples ouvrages en faveur
des pédagogies actives centrées sur l’intérêt de l’enfant.
• Alexander Sutherland Neill (1883-1973)
Écossais, fils d’un instituteur, Alexander Neill s’intéresse très tôt à
l’éducation nouvelle. En 1924 il fonde l’école expérimentale de
Summerhill. En révolte contre toutes formes de contrainte sociale, Neill
recherche une pédagogie fondée sur la libre parole des enfants et des
adolescents et le respect de leurs intérêts et de leurs initiatives. Il rend
son expérience célèbre par la publication en 1960 d’un livre à succès,
Libres enfants de Summerhill.
• Fernand Oury (1920-1998)
Fils d’ouvrier, résistant, Oury devient instituteur. Refusant ce qu’il
appelle « l’école-caserne », il rencontre Freinet en 1949 et commence à
adapter ses méthodes à l’environnement urbain dans lequel il travaille.
En 1961 il fonde son propre mouvement avec une psychologue, Aïda
Vasquez. Pionnier de la démocratie en classe, il est à l’origine de la
pédagogie institutionnelle, dont la pratique du dialogue matinal entre
l’instituteur et sa classe intitulé « Quoi de neuf ? » est une des
applications les plus connues. V.T.
Ses activités normales et le développement du mouvement constitué
autour de lui reprennent ensuite. Mais au début des années 1950, il doit
faire face à d’autres attaques, déclenchées cette fois par le Parti
communiste, alors dans sa phase dogmatique et stalinienne. Dans La
Nouvelle Critique, revue des intellectuels communistes, et dans L’École et
la Nation, revue plus spécialement destinée aux enseignants, Freinet est
identifié comme divergent et bientôt ennemi. L’offensive, qui n’est pas
exempte de rumeurs calomnieuses, se déroule jusqu’en 1954. Elle convoque
les plumes de Georges Snyders (alors jeune philosophe, qui donne le signal
préliminaire), puis de Georges Cogniot, de Roger Garaudy, et jusqu’à Henri
Wallon – qui se fait fort de réfuter les thèses psychologiques de Freinet.
Après avoir tenté de se justifier, Freinet se sépare du communisme (on ne
sait pas exactement quand il quitte le parti).
Dans le récit bucolique qu’a donné Élise Freinet de ces sorties scolaires,
qu’on appellera aussi des « sorties-enquêtes », on voit les élèves, munis de
carnets et d’ardoises, rendre visite au menuisier, au forgeron, au potier ou
au boulanger du village, on les voit s’intéresser à la cueillette des olives ou
des fleurs d’oranger, surprendre la faune, cueillir des végétaux ou ramasser
des pierres. De retour dans l’école, Freinet écrit au tableau un compte rendu
que les enfants lisent, recopient et illustrent, et qu’ils conservent comme
autant de souvenirs et d’impressions personnelles symbolisés. La démarche,
au fond, est assez proche d’une préconisation officielle quasi légendaire à
cette époque, la leçon de choses, fleuron de la modernité souhaitée par les
pédagogues de la République depuis l’époque de Jules Ferry et de
Ferdinand Buisson.
Quels que soient les intentions et les résultats de la promenade, Freinet
est donc confronté aux textes rédigés à la suite, et c’est la raison pour
laquelle il pense à l’imprimerie. « Je me disais alors, relate-t-il, si je
pouvais, par un matériel d’imprimerie adapté à ma classe, traduire le texte
vivant, expression de la promenade, en page scolaire remplaçant les pages
du manuel, nous retrouverions, pour la lecture imprimée, le même intérêt
profond et fonctionnel que pour la préparation du texte lui-même. C’était
simple et logique, si simple que je m’étonnais que nul n’ait pu y penser
avant moi4. » Or, il suffisait de poser le problème pour lui trouver une
solution. Freinet commande à un artisan une presse conçue pour l’usage
scolaire qu’il entrevoit ; ce sera la presse à main, dite la « Lino ». Et à la
rentrée de 1924, il introduit le nouvel outil, dont il assure qu’il soulève
aussitôt l’enthousiasme (ce qui peut se comprendre dans le contexte de
l’époque). Un peu plus tard, il a aussi l’idée de réunir les textes écrits et
imprimés (chaque jour) dans un Livre de vie, reprenant une suggestion
originale de Ferrière (qui avait parlé d’un « Cahier de vie »).
L’année suivante, 1925, alors que Freinet amène également la TSF5 dans
sa classe, il décide d’échanger les textes imprimés et le Livre de vie avec
d’autres classes et d’autres élèves, éventuellement lointains. C’est le début
de la correspondance interscolaire, inaugurée avec un instituteur de
Villeurbanne et poursuivie avec un collègue breton. « Faire connaître notre
pensée à des enfants qui vivent loin de nous, précise alors Freinet, c’est
donner à l’activité scolaire le même but que l’activité intellectuelle et
sociale : communiquer par l’écriture, par l’imprimerie, avec d’autres
hommes, connus ou inconnus6. » Dès ce moment, on le voit, les piliers du
système sont en place. À la fin de 1926, lorsque les PTT7 rechigneront à
accorder un tarif spécial à ces envois qui ne peuvent acquérir le statut de
périodiques, le Livre de vie sera tout simplement converti en un Journal,
déclaré à la préfecture pour une parution bimensuelle. Enfin, en 1927, les
extraits de journaux publiés par les classes associées sont réunis dans une
revue (une « co-revue ») intitulée La Gerbe, sorte d’anthologie dont le
premier numéro date du début 1927.
Les techniques de travail individualisé apparaîtront peu après dans le
sillage de l’imprimerie et du Journal. Freinet se rapporte aux expériences
américaines de Carlton Washburne à Winnetka, près de Chicago, d’une part,
et d’autre part au plan du collège de Dalton, dans le Massachusetts, de
Helen Parkhurst.
Pour ce qui tient à la postérité de Freinet, il est à noter que, au-delà de la
Seconde Guerre mondiale, seront surtout développées non pas les
techniques du premier niveau, didactique, mais celles du second,
psychosocial : ce sera l’apport de l’autre grande figure de la pédagogie du
XXe siècle français, Fernand Oury (voir p. 147), de tirer toutes les
conséquences et d’exploiter toutes les potentialités des institutions de la
démocratie enfantine, notamment du Conseil de coopérative. Ceci prendra
la forme de l’autogestion et de la « pédagogie institutionnelle », assignant
des fonctions nouvelles, thérapeutiques, au groupe classe (et aussi, de ce
fait, à l’expression libre et au journal scolaire).
La critique pédagogique
La critique sociale
L’émancipation de l’enfant
1 M. Freinet, Élise et Célestin Freinet. Souvenirs de notre vie, t. I 1896-1940, Stock, 1997.
2 Cité par M. Freinet, op. cit.
3 C. Freinet, Les Techniques Freinet de l’école moderne, 1964, rééd. Armand Colin, 1973.
4 Ibid. (également cité par M. Freinet, op. cit.).
5 Télégraphie sans fil, soit la radio.
6 Cité par M. Freinet, op. cit.
7 Poste et Télécommunications.
8 C. Freinet, « Le scolastisme », in L’Éducateur, n° 15, 20 février 1956 ; cité par G. Piaton, La
Pensée pédagogique de C. Freinet, Privat, 1974.
9 Cité par É. Freinet, L’Itinéraire de Célestin Freinet, Payot, 1977.
10 É. Freinet, Naissance d’une pédagogie populaire, Maspéro, 1949.
11 Voir sur ce point C. Freinet, Pour l’école du peuple, Maspéro, 1946.
12 Article republié in Partisans, Pédagogie : éducation ou mise en condition, Maspéro, 1971.
13 C. Freinet, L’Éducation du travail, Delachaux et Niestlé, 1946.
14 Ibid.
POINTS DE REPÈRE
Art. 4. – L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux
sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée
soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit
dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles par le père de
famille lui-même ou par toute personne qu’il aura choisie. Un règlement
déterminera les moyens d’assurer l’instruction primaire aux enfants
sourds-muets et aux aveugles.
Art. 7. – Le père, le tuteur, la personne qui a la garde de l’enfant, le
patron chez qui l’enfant est placé, devra, quinze jours au moins avant
l’époque de la rentrée des classes, faire savoir au maire de la commune
s’il entend faire donner à l’enfant l’instruction dans la famille ou dans
une école publique ou privée ; dans ces deux derniers cas, il indiquera
l’école choisie.
Art. 12. – Lorsqu’un enfant se sera absenté de l’école quatre fois dans le
mois, pendant au moins une demi-journée, sans justification admise par
la commission municipale scolaire, le père, le tuteur ou la personne
responsable sera invité, trois jours au moins à l’avance, à comparaître
dans la salle des actes de la mairie, devant ladite commission, qui lui
rappellera le texte de la loi et lui expliquera son devoir.
En cas de non-comparution, sans justification admise, la commission
appliquera la peine énoncée dans l’article suivant.
Art. 13. – En cas de récidive dans les douze mois qui suivront la
première infraction, la commission municipale scolaire ordonnera
l’inscription pendant quinze jours ou un mois, à la porte de la mairie, des
nom, prénoms et qualités de la personne responsable, avec indication du
fait relevé contre elle.
La même peine sera appliquée aux personnes qui n’auront pas
obtempéré aux prescriptions de l’article 9.
• La naissance du baccalauréat
L’EXPLOSION SCOLAIRE
Deux formules ont été abondamment employées pour qualifier les trois
décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale : les « trente
glorieuses », en raison de l’exceptionnelle croissance économique qui a
caractérisé cette période, et la « société de consommation », pour souligner
l’une des principales conséquences de cette croissance. Or, si croissance et
consommation ont transformé la vie quotidienne de la plupart d’entre nous,
elles ont aussi entraîné une nouvelle mutation du statut de la jeunesse.
Les jeunes ont en effet été très tôt une cible commerciale pour certains
des produits de la nouvelle société d’abondance. Dès les années 1950,
cinéma, tourne-disques, radio, presse spécialisée, cycles et motocycles, ou
encore nouvelles pratiques touristiques et sportives telles que le camping,
ont commencé à définir les contours d’une consommation et d’une
sociabilité spécifiques de la jeunesse. Le lancement d’Europe n° 1
en 1955 symbolise l’association de la culture populaire, de la musique des
« jeunes » et de la publicité. Dans les décennies suivantes, la culture de
masse s’enrichit de nouveaux produits : télévisions, automobiles,
vêtements, sports divers, jeux vidéo.
Une nouvelle figure sociale : le jeune
consommateur
Aucun de ces produits n’est spécifiquement réservé aux jeunes, mais les
jeunes se caractérisent par une surconsommation de ces produits et une
organisation de leur vie sociale et de leur identité autour de cette
consommation. La consommation collective de la culture de masse confère
ainsi à la sociabilité des jeunes une intensité nouvelle. C’est le temps des
copains, qui a fait notamment la fortune de Daniel Filipacchi et de sa
célèbre revue Salut les copains. Dans certains cas, les jeunes constituent
même des groupes (des « bandes ») centrés autour d’une consommation ou
d’une activité spécifique : style musical, sports de glisse, moto, etc. Les
sociologues soulignent unanimement ce développement d’une sociabilité
juvénile intense.
Cette consommation culturelle nouvelle touche en outre tous les milieux
sociaux. Des enquêtes menées en 1948 et en 1949 auprès des élèves de
l’enseignement technique, très majoritairement d’origine populaire,
montraient déjà clairement leur attirance pour la culture de masse : 85 %
des moins de seize ans voyaient alors entre 25 et 30 films par an, et plus
d’un tiers d’entre eux allaient au cinéma deux fois par semaine1. La
présence de l’armée américaine sur le territoire français était une source
supplémentaire d’attirance pour l’« american way of life », comme en
témoignent souvent les désormais vieux « rockers » de cette génération.
Apparaissent d’ailleurs dès cette époque de nouvelles formes de
délinquance directement liées à ces nouveaux modes de consommation :
entre 1950 et le début des années 1960, le nombre de vols de voitures a été
multiplié par quarante, alors que sur la même période le nombre de voitures
en circulation était multiplié par quatre. On vole donc dix fois plus de
voitures dans les années 1960 que dix ans auparavant. Plus tard ce sont les
autoradios qui seront l’objet de la convoitise des jeunes délinquants, avant
le temps des vêtements de marque et des téléphones portables. Les jeunes
les plus pauvres se procurent par le vol ce qu’ils ne peuvent s’acheter et qui
est devenu symbolique d’un nouveau mode de vie auquel tous les jeunes
sont désormais censés avoir accès. De même que ces jeunes pauvres
appartiennent parfois au début des années 1960 aux bandes de « blousons
noirs » (voir encadré ci-dessous) qui écument certaines banlieues et
provoquent des commentaires dans la presse très comparables à ceux qui
concernent aujourd’hui les « jeunes des quartiers ».
Mais cette évocation de la violence des jeunes en bande permet
également de mettre en évidence la complexité des nouveaux rôles sociaux
que joue la jeunesse dès lors qu’elle dispose d’une plus large autonomie.
Bandes de jeunes et rock’n’ roll
L’enfant au centre
Un hiatus majeur est donc progressivement apparu entre, d’une part, les
pratiques de consommation des jeunes, l’éducation qu’ils reçoivent dans
leurs familles, la liberté dont ils ont pris l’habitude, et d’autre part la culture
scolaire dominante. Ce hiatus s’avère d’autant plus important qu’à partir
de 1975, la totalité de la jeunesse française a été admise dans le même
établissement unique, le collège (voir p. 183 et 217).
En effet, les enseignants du collège ont continué à être majoritairement
formés selon les critères universitaires antérieurs. Ils sont restés
principalement orientés vers le savoir savant de leur discipline et son
découpage didactique. Le cours magistral, qui suppose l’adhésion du public
et supporte mal la discussion, est resté le mode de transmission dominant.
Certes, le modèle pédagogique traditionnel de l’enseignement secondaire a
été réformé dans ses contenus, les mathématiques prenant la place du latin
comme discipline d’excellence et de sélection. Mais les modes de définition
des savoirs et de leur transmission, initialement conçus à l’intention d’une
petite élite, sont restés les mêmes et ont été imposés à la totalité de la
population française entre 11 et 16 ans, voire 18. Dès lors, l’écart entre ce
que les sociologues appellent la culture sociale de la jeunesse et la culture
scolaire s’est inéluctablement manifesté avec vigueur. En effet, la lecture
des romans autobiographiques de Jules Vallès (1832-1885) ou des
mémoires de Jules Michelet (1798-1874) suffisent à nous rappeler que,
même pour la jeunesse sursélectionnée des lycées du XIXe siècle, les études
secondaires apparaissaient souvent comme une épreuve pénible,
contraignante et déconnectée de la réalité. L’émergence des pratiques de
consommation des loisirs de masse et la transformation des rapports
d’autorité dans la famille ont évidemment aggravé jusqu’à l’absurde ce
sentiment de décalage entre les vécus scolaires et extrascolaires.
Mai 1968 avec ses slogans hédonistes (« Sous les pavés, la plage… ») a de
ce point de vue été la première manifestation massive du refus de la culture
académique et des méthodes coercitives d’un enseignement secondaire
retranché derrière la certitude de l’« universalité » des savoirs qu’il
transmet. La culture scolaire traditionnelle suppose une forme d’ascétisme à
laquelle la culture sociale, de plus en plus centrée sur ce que Jean-Pierre
Rioux a appelé « l’éthique de loisirs7 », ne prépare plus.
En outre, l’entrée massive des publics populaires au collège puis au lycée
a exacerbé cette opposition. Le collège unique et le lycée ensuite ont en fait
subi deux chocs simultanés. D’une part, ils ont accueilli des publics peu
préparés, scolairement et socialement, aux études secondaires, tandis que la
transformation des pratiques éducatives familiales leur interdisait de
maintenir une imposition arbitraire de l’autorité des enseignants. D’autre
part, la massification a favorisé la circulation et l’extension de la
consommation d’une culture de masse commune à l’ensemble de la
jeunesse et porteuse d’une forte charge critique contre les pratiques
traditionnelles de l’enseignement secondaire. Paradoxes que le collège
contemporain a bien du mal à gérer. Les tentatives d’introduire dans la vie
scolaire des pratiques plus démocratiques (délégués d’élèves, délégués des
parents, projets collectifs…) n’ont pas pour l’instant réussi à construire la
« communauté éducative » que la loi Jospin appelait de ses vœux en 1989.
Comme l’a écrit François de Singly, la communauté familiale a de ce point
de vue évolué plus vite que l’école8. Alors que la culture scolaire demeurait
ancrée dans les logiques méritocratiques et sélectives de l’école
républicaine, les familles étaient déjà engagées dans des pratiques
éducatives libérales et permissives qui ne pouvaient qu’entrer en
contradiction avec les principes dominants à l’école.
Vincent Troger est maître de conférences en sciences de l’éducation à
l’IUFM de Versailles. Il est l’auteur avec P. Pelpel de Histoire de
l’enseignement technique, L’Harmattan, rééd. 2003 et avec J.-C. Ruano-
Borbalan de Histoire du système éducatif, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2005.
La question que nous abordons ici est précisément celle du rôle dévolu à
l’éducation dans ce contexte global, et des liens qui ont pu être établis entre
celle-ci et l’économie, tant à un niveau théorique que pratique, au cours
d’une période qui va de 1959 à 1966.
Entre janvier 1946, moment où de Gaulle quitte le pouvoir, et juin 1958,
moment où il y revient, pas moins de treize projets de réforme de
l’enseignement – incluant le célèbre plan Langevin-Wallon rendu public en
mai 1947 (voir p. 246) – ont vu le jour, émanant du gouvernement sous la
responsabilité de tel ou tel ministre de l’Éducation nationale7, et pour
quelques-uns de syndicats et de partis. Mais aucun n’a fait l’objet de la
moindre entrée en vigueur. Des analystes ont ainsi appliqué la notion de
« non-décision » à la réforme de l’enseignement en France8. Deux causes
sont souvent invoquées pour l’expliquer : l’instabilité ministérielle
caractéristique du régime et la neutralisation réciproque à laquelle se livrent
les deux principaux syndicats d’enseignants, celui du primaire (SNI) et
celui du secondaire (SNES), à propos de l’organisation du premier cycle du
secondaire (prolongement approfondi du primaire ou orientation de type
lycée dès la sixième). Pour autant, de même qu’il serait faux d’affirmer que
la IVe République aurait été dépourvue d’une quelconque efficacité en
matière de croissance économique (le PIB annuel en témoigne), il serait
erroné, et malveillant, de croire qu’elle aurait été affectée d’un total
immobilisme éducatif.
Même s’il s’est montré impuissant à faire la ou les réformes éducatives
importantes, l’État a au moins accompagné la croissance de la demande
sociale d’éducation et d’ouverture de l’accès au second degré, demande
suffisamment forte pour avoir été qualifiée de véritable « soif
d’enseignement9 ».
La période a effectivement connu une forte augmentation de la
scolarisation dans le premier cycle du secondaire. Le taux de scolarisation
de la population de 12 à 15 ans est ainsi passé de 20,5 % à la Libération
à 44 % en 1957-1958, gagnant 5 points entre 1945 et 1950 et 15 points
entre 1950 et 1956. À partir de 1951-1952, le nombre des élèves inscrits en
sixième s’est considérablement accru alors même qu’il s’agissait,
jusqu’en 1956-1957, d'enfants nés pendant la guerre, à un moment où le
taux de natalité était bas. Ce phénomène met donc en jeu avant tout un effet
de scolarisation, l’effet démographique (résultat du « baby-boom ») ne
s’étant manifesté que plus tardivement, au moment où les générations plus
nombreuses sont arrivées en âge scolaire. Si la courbe de natalité en hausse
dès la Libération est sensible dans le cycle primaire à partir de 1950, elle ne
peut avoir d’incidences dans le secondaire que vers 1956-1957. Comme le
remarquera Louis Cros, auteur d’un ouvrage au titre significatif10, « la
hausse de la natalité s’est ajoutée à l’expansion » plutôt qu’elle ne
l’explique directement.
Il faut d’autre part relever que la préscolarisation en maternelle a
augmenté de manière très importante et que, dans l’enseignement supérieur,
les effectifs sont passés de 123 300 étudiants en 1945-1946
à 240 000 en 1960. On assiste également à l’accroissement général de la
scolarisation dans le technique, public et privé (de 360 000 élèves
en 1944 à 500 000 dès 195111). Ce bref recensement des augmentations
d’effectifs scolaires au cours des années 1950 donne la mesure du choc qui
a alors ébranlé l’univers scolaire (voir p. 249 et 252).
Les gouvernements, malgré l’échec de tous leurs projets réformateurs
d’envergure, ont bien dû absorber ce choc. La prolongation de la scolarité
au-delà de 14 ans, âge légal de l’obligation scolaire depuis le Front
populaire, ayant ainsi commencé à s’inscrire dans les faits, cela a supposé
des places pour accueillir les jeunes et des enseignants pour les encadrer,
donc une politique et un budget. Le Deuxième Plan (1954-1958) a intégré
un « Plan d’équipement scolaire, universitaire, scientifique, artistique et
sportif ». L’évolution comparée du budget de l’Éducation nationale en
pourcentage du budget général de l’État montre une progression de 7,4 %
en 1952 à 10,2 % en 1958. Effort budgétaire non négligeable on le voit, qui
place la France parmi les pays occidentaux dont le taux de progression des
dépenses d’éducation est le plus fort. Cela se traduit entre autres par
l’augmentation des crédits consacrés aux constructions et aux équipements
scolaires, une commission spécialisée dans ce domaine ayant été installée
auprès du Commissariat au Plan à partir de 195112. Bref, un bilan certes
mitigé, mais non nul, loin de là.
La réforme de 1959
Le cycle commun à tous les élèves sera installé dans des établissements
demeurant différents aussi bien par leur appellation que par leur pédagogie,
leur clientèle et leur finalité sociale : ex-cours complémentaires (nouveaux
collèges d’enseignement général, CEG), premiers cycles des lycées,
collèges d’enseignement technique, mais aussi écoles primaires. Du fait du
maintien du cloisonnement entre les types d’établissements, le réformateur
prévoit le principe de « classes passerelles » destinées à offrir la possibilité
d’une circulation d’élèves d’un secteur d’enseignement à un autre.
L’objectif déclaré de ces mesures réformatrices vise d’abord à « assurer
une prospection aussi complète que possible de nos ressources juvéniles »,
c’est-à-dire à élargir très considérablement le vivier social des jeunes
susceptibles de recevoir une formation secondaire. Cet accroissement du
nombre des bénéficiaires d’un enseignement du second degré relève
prioritairement des besoins nouveaux de l’économie. Les mots clés de
l’exposé des motifs sont sans ambiguïté : « investissement éducatif,
ressources humaines, aptitudes, réserves d’aptitudes » ; on trouve même
comme titre d’un paragraphe : « Investir à plein profit ». Ces termes
ressortissent tous au vocabulaire du capital humain.
En même temps s’affirment, d’une manière très insistante, la volonté de
ne plus laisser à l’arbitraire individuel le choix des filières à suivre, en
redéfinissant les critères de l’excellence du côté des mathématiques, des
sciences et des techniques, d’une part, et la nécessité de pratiquer une
sélection impitoyable, d’autre part : « Nous ne pouvons plus maintenir une
organisation scolaire qui ne nous permet de former qu’un chercheur, un
ingénieur, un professeur quand il en faudrait deux, un technicien quand
trois seraient nécessaires tandis qu’à l’inverse, se presse dans nos
enseignements supérieurs des lettres, de la philosophie et du droit une foule
d’étudiants à qui nous n’avions pas préparé d’autre issue, et qui doivent
maintenant recourir à de tardives et difficiles reconversions. » En cela, les
dispositions de la réforme s’accordent parfaitement avec les
recommandations du Troisième Plan (1958-1961) qui, outre l’augmentation
nécessaire du nombre des OS et des ouvriers qualifiés, met l’accent sur les
besoins en ingénieurs, techniciens et cadres, dans la ligne même de la
théorie économique analysée plus haut.
On ne recense pas moins de 31 mentions de termes qui renvoient à la
notion d’« aptitude » dans les 15 colonnes qu’occupe au Journal officiel
du 7.01.1959 l’exposé des motifs du décret. De même, au seul
titre 2 intitulé « Du cycle d’observation », sur 21 courts articles et 70 lignes
au total, « aptitude » revient cinq fois. La psychologie à prétention
différentielle marque ainsi son entrée dans le discours officiel de l’école, en
relation avec la volonté d’élargir les bases sociales du recrutement
secondaire et, tout à la fois, celle de sélectionner sévèrement les élèves en
fonction des capacités de chaque filière, elles-mêmes déterminées par les
besoins économiques et les perspectives d’emplois. Le souci de ne pas
laisser détourner la réforme de tels objectifs est omniprésent : « Comment
accepter la perspective de lycées bientôt submergés par un million d’élèves,
dont la moitié sans doute n’y seraient entrés qu’en méconnaissant leurs
véritables aptitudes ? Le drame est là : nous retenons dans l’enseignement
théorique nombre de jeunes esprits qui trouveraient mieux leur voie dans
l’enseignement technique […]. »
La démocratisation de la sélection
Situation en 1975
En juin 1965, sont adoptées des mesures qui se présentent comme des
conséquences de la réforme du premier cycle, en vertu du principe
systémique selon lequel toute modification d’un élément entraîne
nécessairement la modification de tous les autres. Ainsi, logique de la
diversité des aptitudes oblige, les filières conduisant au baccalauréat se
spécialisent dès la classe de seconde pour les élèves rescapés des sections
longues du collège et sont définis cinq baccalauréats dits généraux (A, B, C,
D, T21). Parallèlement sont créés les baccalauréats de technicien qui
viennent ponctuer des formations spécifiques (séries F, G, H) et qui
s’adressent plutôt à des élèves issus de « moderne » long.
Pour les élèves issus du cycle court (sections II des CES), à côté des CAP
maintenus, on institue en 1966 un nouveau diplôme professionnel, le BEP,
qui se prépare dans les CET en deux ans après la troisième. Comme l’a
fortement demandé le patronat, ce nouveau diplôme est moins spécialisé
que le CAP et d’un niveau réputé supérieur. En outre, notamment pour les
élèves de la section III des CES, jugés incapables de poursuivre leur
scolarité dans le second degré, un certain nombre d’aménagements voient le
jour au cours de la période. Deux mesures adoptées en 1966, relatives à
l’orientation, complètent le dispositif mis en place par la réforme de 1959.
L’une institue des conseils d’orientation dans les CES en vue de rationaliser
la distribution des élèves vers les différentes voies possibles en fonction de
leurs aptitudes. L’autre crée l’Office national de l’orientation scolaire et
professionnelle (1966). Autrement dit, en même temps que la mise en
système, s’organise une véritable machine de distribution des flux d’élèves
dans différentes filières en fonction des besoins recensés, conformément
aux options issues de la théorie du capital humain.
Dans l’enseignement supérieur, C. Fouchet est confronté à un
accroissement des effectifs beaucoup plus important en lettres qu’en
sciences alors même que le pays manque de techniciens supérieurs. Il
décide donc (7.01.1966) de créer les IUT, instituts offrant une formation
technologique en deux ans aux titulaires du baccalauréat, notamment de
technicien, et, sous certaines conditions, à des non-bacheliers. Une
restructuration totale des études supérieures est par ailleurs entreprise
(décrets du 22.06.1966), redéfinissant les cycles. Le premier cycle
comportera désormais deux années au lieu d’une, précédemment appelée
« propédeutique » et sera ponctué par un DUEL ou DUES. Le deuxième
cycle devait donner le choix entre licence en un an et maîtrise en deux ans.
En principe, la première devait destiner à l’enseignement, la seconde à la
recherche mais en réalité, faute de débouchés autres que l’enseignement
dans beaucoup de disciplines, la licence fut appréhendée et pérennisée
comme une étape sur la voie de la maîtrise.
Si l’on considère l’ensemble de ces décisions, marquées par les idées
d’unification, de prolongation et de rationalisation de la scolarité, on a le
sentiment qu’une volonté, puisée à la même source politique et idéologique,
s’est efforcée de faire coïncider une mise en système ordonné de l’appareil
éducatif avec l’extension du service scolaire au plus grand nombre de
jeunes, dans des limites définies par les besoins et les possibilités de
l’appareil économique (« démocratisation de la sélection »). Pour autant,
aucun des textes décisionnels parus après le décret de 1959 portant réforme
de l’enseignement public n’a repris aussi explicitement une thématique
directement issue du capital humain et, comme cela a été montré22, ce n’est
pas sans dissensions à l’intérieur du pouvoir que les décisions ont
finalement été prises. En réalité, le discours du capital humain a eu
tendance à refluer dans le seul texte des Plans, comme s’il avait désormais
été incongru de le retrouver dans les documents officiels de l’Éducation
nationale.
La raison doit-elle en être cherchée dans le fait de l’opposition plus ou
moins larvée de C. Fouchet et de G. Pompidou à des mesures sélectives
autoritaires ? Sans doute, si l’on suit les analyses du témoin engagé, et
forcément partial, que fut Jacques Narbonne, conseiller du président pour
l’éducation de 1959 à 1968. Du verbatim de différents conseils restreints
intégralement restitués dans ses Mémoires23, il ressort que J. Narbonne lui-
même, Jean Capelle (jusqu’à sa démission, acceptée en décembre 1964) et
bien sûr de Gaulle ont tenu obstinément, quoique avec un succès partiel, le
discours du capital humain, combinant élargissement du recrutement social
du secondaire et sélection draconienne aux différents paliers du cursus. Ces
deux extraits en attestent. Le premier exprime l’opinion de J. Narbonne
(1963) : « L’idée essentielle d’un ajustement des formations à l’emploi par
une orientation planifiée et contraignante sera constamment discutée et
édulcorée. C. Fouchet, soutenu par le premier ministre, ne cessera
d’ajourner les textes qui lui seront demandés24. » Le second est un propos
du général de Gaulle rapporté au style indirect (1964, à propos de la
réforme du supérieur) : « Il déclare qu’on ne traite pas la question
essentielle, celle de la planification des flux et de la fermeté de
l’orientation. Il le rappelle à plusieurs reprises. » D’une certaine manière,
les fondements économiques de la politique de démocratisation ont ainsi été
effacés des mémoires, ce qui a sans doute contribué à brouiller la
compréhension de l’évolution postérieure vers le collège unique.
Autrement dit, au cours des années 1950, une dynamique de réseaux unit
des chercheurs en sciences humaines et des cadres qui participent ensemble
à la définition dans les entreprises de ce que L. Tanguy appelle « une
nouvelle activité spécifique : la formation ». Ce nouveau milieu
professionnel en constitution s’approprie les pratiques de formation issues
de la psychosociologie américaine, parfois en l’associant aux acquis de
l’entraînement mental, pour légitimer sa compétence. Les bases de la
culture d’un nouveau professionnel, le formateur d’adultes, sont établies, et
elles le distinguent très nettement du monde traditionnel de
l’enseignement : là où l’enseignant transmet, le formateur anime, là où
l’enseignant s’adresse à des individus, il s’implique dans un groupe, là où
l’enseignant parle, il écoute.
Lorsqu’à partir de 1958 le général de Gaulle et son entourage se
saisissent de la question de l’éducation et de la formation, et l’envisagent
comme un outil de modernisation de la France (voir p. 183), il existe donc
un premier noyau dur de professionnels qui sont prêts à répondre aux
sollicitations politiques dans le champ de la formation des adultes. Formés
pour un temps par l’entraînement mental, puis de plus en plus par la
psychosociologie, ces professionnels se vivent et se présentent comme les
« agents du changement » dans l’entreprise et ils vont profiter des nouveaux
modes d’action que le pouvoir gaulliste met en œuvre.
« Tous les enfants reçoivent dans les collèges une formation secondaire
[…]. Les collèges dispensent un enseignement commun, réparti sur quatre
niveaux successifs. » C’est en ces termes que la loi initiée par René Haby,
ministre de l’Éducation nationale de Valéry Giscard d’Estaing, donnait
naissance au collège unique le 11 juillet 1975 (voir p. 223). Après quarante
années de débats et quinze années de réformes, l’orientation définitive de
tous les enfants était ainsi reportée de onze à seize ans. Jusqu’en 1975, en
effet, certains élèves entraient encore directement au lycée en sixième,
d’autres devaient passer par des collèges d’enseignement général de niveau
moins élevé, et d’autres enfin étaient orientés dans des filières courtes ou
des classes de fin d’études qui conduisaient directement sur le marché du
travail ou à des formations professionnelles. En rompant avec ce mode de
sélection et en accueillant tous les élèves dans les mêmes classes de
sixième, le collège unique devenait le symbole de la démocratisation de
l’enseignement et de l’égalité des chances d’accès à l’université.
Trente ans plus tard, le « collège pour tous » semble pourtant mal en
point. Après les critiques furent d’abord venues de certains milieux
intellectuels et enseignants, des responsables politiques, souvent de droite
mais aussi de gauche, ont depuis quelques années rompu à leur tour
publiquement le tabou du collège unique.
Pour que le déclin d’une institution aussi fortement symbolique soit si
rapide, il faut qu’il ait des causes multiples, structurelles et anciennes. Avant
de les analyser, on doit s’interroger sur les raisons qui ont pu, dans un passé
récent, rendre possible l’émergence d’un discours politique publiquement
critique qui semblait encore tabou il y a quelques années. La première est
sans doute la banalisation, dans l’opinion publique, d’une information
initialement réservée aux spécialistes : le collège unique n’a jamais
vraiment existé. La vulgarisation des très nombreux travaux de sociologie
sur l’inégalité des chances a accompli en ce domaine son œuvre de
désenchantement. La totalité des enseignants, une large majorité des
familles de la classe moyenne et une partie significative des familles
populaires savent désormais que l’apparente uniformité du cursus scolaire,
de la sixième à la troisième, camoufle une disparité précoce entre des
parcours de réussite et des parcours d’échec. Ces disparités peuvent tenir
aux inégalités entre établissements, mais aussi aux pratiques de
discriminations internes que beaucoup de collèges mettent en œuvre,
parfois dès la sixième, pour gérer l’hétérogénéité des publics. Chacun sait
que les classes dites « allégées », « technologiques » ou « d’aide et de
soutien » constituent autant de dispositifs d’éviction de l’enseignement
général, même si le langage officiel dit le contraire. De même, une grande
partie de l’opinion publique sait désormais que l’allemand en première ou
deuxième langue, l’option latin ou les classes européennes servent
essentiellement à regrouper les meilleurs élèves, ou ceux dont les parents
souhaitent qu’ils le soient.
1 M.-F. Grospiron, M. Kherroubi, A.-D. Robert et A. van Zanten, Quand l’école se mobilise. Les
dynamiques professionnelles dans les établissements de banlieue, La Dispute, 2002.
2 F. de Singly (dir.), La Famille. L’état des savoirs, La Découverte, 1991.
3 P. Rayou, La Cité des lycéens, L’Harmattan, 1998.
4 F. Dubet, Les Lycéens, Seuil, 1991.
5 Entretien avec A. Prost, in « Mille ans d’école », L’Histoire, octobre 1999.
6 O. Galland, Sociologie de la jeunesse, Armand Colin, 1997, rééd. 2004.
7 B. Charlot, Du rapport au savoir, Anthropos, 1997.
8 A. Robert, Système éducatif et réformes. De 1944 à nos jours, Nathan, 1995, rééd. 1998.
9 A. Verger, « L’artiste saisi par l’école », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 42,
avril 1982.
10 G. Moreau (dir.), Les Patrons, l’État et la formation des jeunes, La Dispute. Ò
11 M. Ferrand, F. Imbert et C. Marry, L’Excellence scolaire : une affaire de famille. Le cas des
normaliennes et normaliens scientifiques, L’Harmattan, 1999.
ANDRÉ ROBERT
Qu’en est-il du côté des acteurs qui font le système au jour le jour, les
enseignants, et spécialement de leurs instances représentatives ? Sur le plan
syndical, alors que s’est produite en 1947 à l’intérieur de la CGT une
scission donnant naissance à deux confédérations distinctes, CGT d’un côté,
CGT-FO11 de l’autre, la Fédération de l’enseignement décide de se
transformer en fédération autonome après consultation de ses adhérents
(printemps 1948). Bien qu’officiellement organisée en tendances qui se
combattent en raison de leurs options politiques, cette Fédération de
l’Éducation nationale (FEN), qui a choisi l’autonomie, vit bon an mal an
une sorte d’unité conflictuelle interne, mais unité tout de même.
Le conflit interne est alimenté par un double clivage. Une opposition
politique d’abord, essentiellement entre socialistes et communistes, les
trotskistes venant jouer les trouble-fête. Une opposition culturelle ensuite,
essentiellement entre enseignants du primaire et enseignants du secondaire :
même si la FEN va regrouper dans les années 1960-1970 jusqu’à une
cinquantaine de syndicats, ce sont les deux syndicats enseignants primaire
et secondaire qui constituent le gros de ses troupes. L’unité formelle de la
FEN est favorisée par des faits objectifs et des artifices. Le SNI représente
les instituteurs-institutrices, personnels alors très largement majoritaires
dans la corporation enseignante (environ 300 000 à la fin des années 1960),
alors que le SNES est le syndicat des professeurs (qui ne sont que 30 000 au
début des années 1950 pour devenir près de 150 000 au début des
années 1970). Si les tendances sont autorisées par les statuts, et ne se
privent pas de faire entendre leurs différences, le bureau national de la
fédération doit obligatoirement être homogène, et c’est le SNI qui fournit la
majorité des dirigeants.
En 1989, Lionel Jospin promulgue une loi d’orientation qui tente de
concrétiser un argumentaire développé depuis de nombreuses années
par des pédagogues, des psychologues et des sociologues, et qui visait à
rompre avec certains aspects de la tradition scolaire républicaine. En
affirmant que « le service public de l’éducation est conçu et organisé en
fonction des élèves et des étudiants », ce qui sera résumé par la célèbre
formule : « L’élève est au centre du système éducatif », en incitant les
professeurs au travail en équipe, au soutien personnalisé des élèves en
difficulté, à la participation aux « projets d’établissement », à l’accueil
des parents d’élèves, la loi tentait d’orienter les pratiques enseignantes
vers un encadrement plus vigilant et plus collectif du travail et de
l'éducation des élèves, notamment des plus démunis. En échange, le
ministre et son conseiller Claude Allègre accordaient aux enseignants
une revalorisation significative des salaires et une nouvelle prime
censée rémunérer les effeorts que l'on attendait d'eux. Mais les syndicats
ont accepté le cadeau sans vraiment relayer auprès de leur base les
attentes du ministre. Lorsque huit ans plus tard Claude Allègre
reviendra à l'Éducation nationale en tant que ministre, il se souviendra
de ce qu'il avait vécu comme une ingratitude syndicale... V.T.
La loi Jospin du 10 juillet 1989 (extraits)
Article 1er
L’éducation est la première priorité nationale. Le service public de
l’éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants.
Il contribue à l’égalité des chances.
Article 3
(Le premier alinéa de cet article est obsolète et le deuxième a été abrogé
par l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000, qui lui substitue les
dispositions correspondantes du Code de l’éducation.)
La Nation se fixe comme objectif de conduire d’ici dix ans l’ensemble
d’une classe d’âge au minimum au niveau du certificat d’aptitude
professionnelle ou du brevet d’études professionnelles et 80 % au niveau
du baccalauréat.
Article 11
Les parents d’élèves sont membres de la communauté éducative.
Leur participation à la vie scolaire et le dialogue avec les enseignants et
les autres personnels sont assurés dans chaque école et dans chaque
établissement. Les parents d’élèves participent par leurs représentants
aux conseils d’école, aux conseils d’administration des établissements
scolaires et aux conseils de classe.
Article 14
Les enseignants sont responsables de l’ensemble des activités scolaires
des élèves. Ils travaillent au sein d’équipes pédagogiques ; celles-ci sont
constituées des enseignants
ayant en charge les mêmes classes ou groupes d’élèves ou exerçant dans
le même champ disciplinaire et des personnels spécialisés, notamment
les psychologues scolaires dans les écoles.
Les personnels d’éducation y sont associés.
Les enseignants apportent une aide au travail personnel des élèves et en
assurent le suivi. Ils procèdent à leur évaluation. Ils les conseillent dans
le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels
d’éducation et d’orientation. Ils participent aux actions de formation
continue des adultes.
Leur formation les prépare à l’ensemble de ces missions.
Article 17
Sera créé, dans chaque académie, à partir du 1er septembre 1990, un
institut universitaire de formation des maîtres, rattaché à une ou
plusieurs universités de l’académie […]
(Modifié par la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998.)
Les écoles, les collèges, les lycées d’enseignement général et
technologique et les lycées professionnels élaborent un projet
d’établissement.
Celui-ci définit les modalités particulières de mise en œuvre des
objectifs et des programmes nationaux. Il fait l’objet d’une évaluation. Il
précise les activités scolaires et périscolaires prévues à cette fin.
Il indique également les moyens particuliers mis en œuvre pour prendre
en charge les élèves issus des familles les plus défavorisées.
Source : Journal officiel.
Ainsi, l’idéologie portée par la FEN reflète majoritairement celle qui
s’est élaborée dans le milieu des instituteurs, au sein du SNI12. Le « grand
récit » de cette organisation partage la plupart des principes et des valeurs
que nous avons vus à l’œuvre au niveau de l’institution elle-même, ce qui
n’est pas très étonnant puisque l’appartenance syndicale constitue alors un
véritable réflexe des enseignants. Par-dessus tout, c’est le principe de la
laïcité, une laïcité militante et combattante refusant toute légitimité à
l’enseignement privé (fût-il contractualisé avec l’État), qui structure le récit
syndical. « À enseignement public, fonds publics, à enseignement privé,
fonds privés » exprime bien la posture de la FEN en la matière. Sur le plan
de la conception du rôle de l’école, on retrouve les mêmes héritages que
ceux définis ci-dessus : l’hebdomadaire du SNI, très prisé notamment pour
ses pages pédagogiques, mais qui intervient sur tous les grands sujets de la
vie scolaire, de la vie politique nationale et internationale, et de l’existence
en général, s’appelle significativement L’École libératrice13. Concernant la
pédagogie précisément, l’orientation est plutôt de type traditionnel, le refus
de suivre la dernière mode étant souvent affirmé, sans toutefois que soit
rejetée toute forme d’innovation, et surtout de réflexion pédagogique. La
manière de militer est à l’image de ce qui caractérise alors, selon Pierre
Rosanvallon, la « société militante », où l’engagement individuel est total et
complètement dévoué au collectif14.
Parallèlement à son appareillage idéologique, la FEN a constitué autour
d’elle tout un dispositif d’organisations satellites, la plupart de nature
mutualiste, destinées à prendre en charge l’ensemble des besoins de la
corporation enseignante : de la mutuelle d’assurance automobile (MAIF) à
la mutuelle maladie (MGEN) en passant par le tourisme (campings
autogérés, GCU) et même des services bancaires (CASDENBP), etc. Cela
lui vaut le surnom de « forteresse enseignante15 », ce qui renvoie d’abord à
l’idée de force, comme en témoigneront encore ses 550 000 adhérents
en 1978.
La loi propose trois statuts possibles aux établissements, dont deux sous
contrat. C’est le niveau de financement accordé par l’État qui distingue les
différents statuts : dans le contrat dit « d’association », les frais de
fonctionnement et le salaire des enseignants sont pris en charge par l’État ;
dans le contrat dit « simple », seuls les salaires des enseignants sont pris en
charge. Le contrôle de l’État varie en fonction de chaque statut :
Bien que Michel Debré ait eu l’habileté de faire préparer la loi par une
commission présidée par un ancien ministre socialiste, Pierre-Olivier Lapie,
sa promulgation a déclenché une vive opposition des milieux laïques. Le
Comité national d’action laïque (CNAL) a recueilli
en 1960 presque 11 millions de signatures dans une pétition contre la loi.
Une partie de la hiérarchie catholique s’est aussi dans un premier temps
opposée à la loi par crainte d’une forme de nationalisation.
Aujourd’hui, après quelques épisodes sporadiques de « guerre scolaire »
en 1984 (défense de l’enseignement privé) et en 1994 (refus laïque de
nouvelles subventions au privé), la loi Debré est un succès : 98,4 % des
élèves du primaire privé sont dans des établissements sous contrat (60 %
sous contrat d’association, le reste sous contrat simple) et 97,4 % des élèves
du secondaire privé sont dans des établissements sous contrat d’association.
C’est pourquoi on peut parler de « service privé d’intérêt public ».
La maternelle et le primaire
Depuis 1945, tous les niveaux du système scolaire ont connu une
croissance exceptionnelle de leurs effectifs.
• Plus d’autonomie
• Latin et démocratisation
E. Faure tente également de réformer les pratiques pédagogiques de
l’enseignement secondaire. Il impose en particulier la suppression du latin
en sixième, utilisant des arguments empruntés à une sociologie plutôt
marquée à gauche : « […] toutes les enquêtes démontrent que [le latin] n’est
aisément accessible qu’aux héritiers de la culture […]. Il n’est pas
contestable qu’il freine la démocratisation1. »
1 Cité par Fr. Waquet, Le Latin ou l’empire d’un signe, Albin Michel, 1999.
ANNEXES
La France à l’école
Yves Gaulupeau, Gallimard, 1992, rééd. 2004.
Du collège au lycée
Marie-Madeleine Compère, Gallimard, coll. « Archives », 1985.
La Leçon de choses
Pierre Kahn, Septentrion, 2002.
ABELARD Pierre : 15
AMPÈRE André-Marie : 92
ARIÈS Philippe : 176
BACON Roger : 19
BAUBÉROT Jean : 56, 106
BAYET Albert : 103
BERGER Ida : 232
BERT Paul : 100, 103
BERTHELOT Marcellin : 103
BERTHOIN Jean : 188, 251
BLOCH-LAINÉ François : 198
BOÈCE : 14
BUISSON Ferdinand : 50, 77, 103, 106, 107, 112, 114, 117
ELIAS Norbert : 28
ÉLIE Alain : 204
ENRIQUEZ Eugène : 203
LA CHALOTAIS Louis-René de : 61
LAMIRAND Georges : 165
LAMOIGNON Guillaume de : 62
LANGEVIN Paul : 246
LAOT Françoise : 209, 215
LA ROCHEFOUCAULD-LIANCOURT duc de : 92
LA SALLE Jean-Baptiste de : 26, 28, 32
LE CHAPELIER Isaac : 69, 71
LE GOFF Jacques : 16
LEGRAND Louis : 103
LELIÈVRE Claude : 131, 141
LIARD Louis : 101
LIVET Eugène : 78
LUTHER Martin : 24
MAGGIOLO : 30
MAISONNEUVE Jean : 203
MALLET Émilie : 126
MARTIN Jean-Paul : 55, 68
MAYEUR Françoise : 136
MEUNIER Louis-Arsène : 67
MONTESSORI Maria : 147
NAPOLÉON IER : 56, 62, 89
NAPOLÉON III : 59
NARBONNE Jacques : 196
NEILL Alexander S. : 147
SAY Jean-Baptiste : 92
SCHWARTZ Bertrand : 209
SÉE Camille : 100, 134
SIMON Jules : 107, 135
SINGLY François de : 181
SORBON Robert de : 19
STEEG Jules : 103
Patrick Cabanel
Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Toulouse-Le Mirail.
Jean-Michel Chapoulie
Professeur de sociologie à l’université Paris-I.
Marie-Madeleine Compère
Chercheuse au service d’histoire de l’éducation de l’Institut national de
recherches pédagogiques.
Renaud d’Enfert
Maître de conférences en histoire des sciences à l’IUFM de Versailles et
chercheur associé au service d’histoire de l’éducation de l’Institut national
de recherches pédagogiques.
Jean-Yves Dupont
Agrégé de mécanique, chercheur associé au service d’histoire de
l’éducation de l’Institut national de recherches pédagogiques.
François Jacquet-Francillon
Professeur de sciences de l’éducation à l’université Lille-III.
Pierre Kahn
Professeur de sciences de l’éducation à l’université de Caen.
Françoise Laot
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Paris-V,
CERLIS (Centre de recherche sur les liens sociaux).
Claude Lelièvre
Professeur émérite de l’université Paris-V.
Jean-Paul Martin
Agrégé d’histoire et maître de conférences en sciences de l’éducation à
l’université Lille-III.
André Robert
Professeur de sciences de l’éducation à l’université Lyon-II.
Vincent Troger
Maître de conférences en sciences de l’éducation à l’IUFM de Versailles.
Marc Venard
Professeur émérite d’histoire moderne de l’université Paris-X-Nanterre.
Ouvrages parus chez le même
éditeur
Ouvrages de synthèse
Les Sciences humaines. Panorama des connaissances, J.-F. Dortier,
1998.
L’Histoire aujourd’hui, J.-C. Ruano-Borbalan (coord.), 1999.
Philosophies de notre temps, J.-F. Dortier (coord.), 2000.
L’Économie repensée, P. Cabin (coord.), 2000.
La Sociologie : histoire et idées, P. Cabin et J.-F. Dortier (coord.),
2000.
Éduquer et Former. Les connaissances et les débats en éducation et en
formation, J.-
C. Ruano-Borbalan (coord.), 2001 (2e éd. refondue et actualisée).
Le Langage : nature, histoire et usage, J.-F. Dortier (coord.), 2001.
Le Pouvoir : des rapports individuels aux relations internationales, B.
Choc et J.-C.
Ruano-Borbalan (coord.), 2002.
Familles : permanence et métamorphoses, J.-F. Dortier (coord.), 2002.
La Culture : de l’universel au particulier, N. Journet (coord.), 2002.
Le Cerveau et la Pensée. La révolution des sciences cognitives, J.-F.
Dortier (coord.),
2003 (2e éd. actualisée et augmentée).
Le Moi : du normal au pathologique, G. Chapelle (coord.), 2004.
Identité(s) : l’individu, le groupe, la société, C. Halpern et J.-C.
Ruano-Borbalan (coord.), 2004.
La Communication : état des savoirs, P. Cabin et J.-F. Dortier (coord.),
2005 (2e éd. actualisée).
Les Organisations : état des savoirs, P. Cabin et B. Choc (coord.),
2005 (2e éd. actualisée).
La Religion. Unité et diversité, L. Testot et J.-F. Dortier (coord.), 2005.
L’Individu contemporain. Regards sociologiques, X. Molénat (coord.),
2006.
Hors collection
Le Dictionnaire des sciences humaines, J.-F. Dortier (dir.), 2004.
Une histoire des sciences humaines, J.-F. Dortier (dir.), 2006.
Essais
J.-F. Dortier, L’Homme, cet étrange animal… Aux origines du langage,
de la culture et de la pensée, 2004.
S. Brunel, La Planète disneylandisée. Chroniques d’un tour du monde,
2006.