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org/pumi/23526
Métailié, Jean-Paul
1L'histoire des catastrophes naturelles dans les Pyrénées et sur leur piémont fait
nécessairement la part belle aux inondations, appelées localement aygats. Elles
constituent incontestablement le type d'événement le plus souvent cité dans les
sources et très probablement le plus dommageable, quelle que soit la période
considérée. Des recherches menées sur ce sujet dès la seconde moitié du
XIXe siècle, on retiendra surtout l'établissement de longues chronologies non
dépourvues d'intérêt, mais dont la lecture se révèle assez fastidieuse. L'ouvrage
monumental de Maurice Champion, Les inondations en France depuis le
VIe siècle jusqu'à nos jours, paru en 1864, recense ainsi plusieurs dizaines de
crues de la Garonne, les plus anciennes remontant au XIIIe siècle. A Toulouse
comme à Perpignan, des émules de Champion s'attachaient à la même époque à
retrouver les traces d'anciennes crues de l'Ariège ou de la Têt (Guiraud de Saint-
Marsal, 1856). Les nouvelles perspectives de recherche ouvertes dans le domaine
de l'histoire de l'environnement – en particulier concernant l'histoire du climat –
invitent à réinterpréter les chronologies établies par ces auteurs et du même
coup à en réexaminer les sources. Plusieurs travaux ont été menés dans ce sens
au cours des dernières années, notamment à Toulouse au sein du laboratoire
GEODE (URA 366 CNRS)1.
4Courantes en Roussillon et dans les Corbières, plus rares en Val d'Ariège, les
crues méditerranéennes sont associées à des perturbations positionnées sur la
Méditerranée occidentale. Elles s'accompagnent habituellement de vents d'est à
sud-est sur les côtes du Golfe du Lion, provoquant parfois des échouages de
bateaux signalés par les textes2 Elles peuvent se produire durant toute la saison
fraîche, mais de préférence à l'automne : une rapide étude statistique montre
clairement qu'octobre et novembre sont leurs deux mois de prédilection. Leur
caractère de brutalité est bien connu, du à la violence et à l'abondance des
averses autant qu'au relief des régions concernées qui favorise le ruissellement et
la concentration rapide des eaux dans les talwegs. Aussi ne doit-on pas s'étonner
si au cours de l'histoire, certains de ces événements se soient montrés
particulièrement meurtriers.
6C'est ainsi que lors de l'inondation des 16 et 17 octobre 1763 furent sinistrées les
communautés roussillonnaises s'égrainant le long des deux vallées de la Têt et
du Tech. Les plus gros dommages furent enregistrés de part et d'autre du
Canigou, en Confient et en Vallespir. La plaine fut en revanche relativement
épargnée en dehors des localités situées à proximité immédiate des fleuves
précités (fig. 1). Cette distribution spatiale des dommages suggère un maximum
de pluies centré sur le haut-pays, et en particulier sur le Canigou, où ont leur
origine les principaux affluents de la Têt et du Tech. Les pluies durent être plus
modérées en plaine. Une telle répartition des précipitations correspond presque
exactement à celle relevée lors de l'aygat d'octobre 1940, la plus grave
inondation qu'ait connue au cours XXe siècle le département des Pyrénées-
Orientales (fig. l)(cf. M. Parde, 1941). Précisons en outre que les deux crues
furent meurtrières et que les victimes (plusieurs dizaines) ont été recensées dans
le même secteur : le Vallespir, c'est-à-dire la moyenne et haute vallée du Tech.
8Un autres cas de figure est représenté par l'inondation des 4 et 5 octobre 1766,
qui présente une extension nettement plus orientale que la précédente. La haute
montagne semble cette fois-ci épargnée, l'ensemble des dommages étant relevés
dans la plaine, en particulier au pied des petits massifs montagneux des Albères
et des Aspres (fig. 2). Le maximum de pluie dut se trouver à la fois sur ces
premiers reliefs et sur la plaine elle-même, faute de quoi on expliquerait mal les
dégâts importants subis par les communautés de la Salanque, au nord-est de
Perpignan. Cette répartition des précipitations est au demeurant assez proche de
celle relevée lors de l'inondation récente d'octobre 1986, provoquée par des
pluies d'une rare intensité (J.P. Vigneau, 1987). Seules les Aspres ne furent pas
touchées lors de ce dernier événement (fig. 2).
12En multipliant ces comparaisons de cartes, il apparaît bien que les aygats du
XVIIIe siècle ne présentent pas de configuration spatiale originale par rapport à
ceux observés au cours de l'époque contemporaine, tant que l'on se situe à
l’échelle valléenne. Plus singulière est en revanche leur répétition durant
certaines périodes : les inondations de 1763 et 1766 en Roussillon, toutes deux
très graves, connurent des répliques en 1765, 1772, 1777 et 1779. Les mêmes
« séries noires » courant sur plusieurs décennies peuvent être discernées dans le
Val d'Ariège, précédées et suivies de phases assez longues d'accalmie. Il reste
alors à essayer d'interpréter ces particularités de la chronologie des
phénomènes, par exemple en faisant référence à de subtils changements du
climat ou de la circulation atmosphérique sur l'Europe occidentale.
D'aygats en aygats
13Au-delà de l'analyse relativement fine que permet une approche locale ou
microrégionale, la synthèse des données monographiques permet d'élargir
l'interprétation spatio-temporelle des aygats du XVIIIe siècle dans les Pyrénées
et sur leur piémont. L'analyse des inondations dans un cadre pyrénéen ou
aquitain, ainsi que dans le contexte d'une ou plusieurs années caractéristiques,
met en évidence des années ou des événements caractérisés par des distributions
spatiales et des configurations météorologiques parfois familières, mais le plus
souvent exceptionnelles et « anormales » pour l'observateur du XXe siècle.
15De mai à décembre 1765 par exemple, cinq inondations sont signalées ici ou là
dans les Pyrénées, dont trois particulièrement dévastatrices (fig. 4). Si les crues
du 3 mai (Adour, Garonne et Ariège) et du 18 décembre (Bastan et Ariège) ne
présentent pas d'anomalie particulière, les trois autres sont remarquables à un
titre ou à un autre. La crue qui se développe les 19-20 juin est la plus importante
de l'année : dans le meilleur des cas, on ne déplore que des corrosions de berges
ou des terres engravées, mais nombreux sont les ponts et moulins à avoir été
détruits7 alors qu'une personne est emportée par les flots à Salies-du-Salat. Il est
vrai que c'est en mai-juin que surviennent les plus graves crues pyrénéennes, les
crues océaniques pyrénéennes des hydrologues (M. Pardé, 1953 ; SMEPAG,
1989). L'extension spatiale du phénomène sur tous les cours d'eau pyrénéens,
depuis le Gave de Pau jusqu'à la Méditerranée, est en revanche un cas unique
dans l'histoire8. Toutes aussi surprenantes sont les deux crues estivales des
19-20 juillet (HautAdour, Nestes d'Aure et du Louron, Arize, Ariège), et de début
août sur le Salat et la moyenne Garonne (soixante victimes lors du naufrage
d'une barque à Cazères). Pourtant, l'été n'est pas habituellement le siège de crues
importantes, que ce soit dans les Pyrénées Centrales ou dans les Pyrénées
méditerranéennes, alors que les cours d'eau connaissent un étiage accusé. C'est
d'autant plus vrai dans les basses-vallées, où même les orages localisés, toujours