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ACADÉMIE DES SCIENCES DE BULGARIE

INSTITUT D’ÉTUDES BALKANIQUES


ÉTUDES BALKANIQUES, 2004, No 2

Spass TAŠEV (Centre de recherches démographiques


de l’Académie des Sciences de Bulgarie)

CARACTÉRISTIQUES DÉMOGRAPHIQUES SPÉCIFIQUES


DES DIFFÉRENTS GROUPES ETHNIQUES EN RÉPUBLIQUE
DE MACÉDOINE

Les manifestations de tension ethnique en Macédoine, ex-république you-


goslave, attirent depuis longtemps l’attention des spécialistes en matière des problè-
mes balkaniques. Et pourtant, ce n’est que dernièrement, en s’efforçant d’analyser
la crise existante et son évolution potentielle, qu’ils ont commencé à tenir également
compte des facteurs démographiques. Il convient de citer à cet égard l’article de
Lubčo Georgievski, ex-premier ministre de la République de Macédoine et ex-lea-
der de l’Organisation Révolutionnaire Intérieure Macédonienne – Parti démocrati-
que de l’Unité nationale macédonienne, paru sous le titre: Thèses relatives à la sur-
vie de la nation et de l’État macédoniens1 . Tout un chapitre de l’article en question
est consacré à la démographie, notamment: «Dans le contexte de notre responsabi-
lité à l’égard des générations à venir, nous commettrions le plus grave péché si nous
continuons à négliger le danger d’assimilation démographique du peuple macédo-
nien2 . Tous nos efforts dans le sens d’avoir beaucoup d’enfants vont en pure perte.
Les réalités sont implacables. Le problème ne vient pas seulement des 19% de popu-
lation albanaise, mais aussi du fait que le Traité d’Ohrid et les conditions qu’impli-
que son accomplissement, laissent les portes entièrement ouvertes à des immigra-
tions mécaniques de Kossovo et d’Albanie. Leur explosion démographique ne con-
naît pas de freins. L’information selon laquelle, de tous les enfants qui entrent pour
la première fois en classes en Macédoine, 33% sont d’origine albanaise, le fait que
dans les écoles secondaires à Skopje sont formées chaque année de six à sept classes

1
 ( j), le 18 avril 2003.
2
Sous la notion de peuple macédonien, L. Georgievski, ainsi que tous les politiciens actuels
en République de Macédoine, entendent uniquement les représentants de la population considérés
comme des Macédoniens ethniques, non pas les autres groupes ethniques de la République.

3
réservées strictement à des élèves albanais, sont autant de phénomènes inquiétants.
Aussi, ne pouvons-nous demeurer sourds et aveugles devant la réalité: notre nation3
est menacée d’extermination démographique.»
J’ai observé attentivement les réactions en Macédoine, soulevées par l’article
de L. Georgievski. Nous ne pouvons pas nier qu’à son idée consistant à ériger un
«Mur de Berlin» entre la population «macédonienne»4 et albanaise furent opposés
bon nombre d’arguments judicieux. Ce qui est à remarquer cependant c’est l’ab-
sence de toute analyse approfondie susceptible d’examiner les processus démogra-
phiques en cours au sein des différents groupes ethniques de la population de la
République de Macédoine.
Je ne me propose pas, en ma qualité de spécialiste en matière de démographie,
de donner des recettes sur le règlement de la question macédonienne. Le but de mon
étude est de révéler les tendances et l’ampleur du développement des processus
ethnodémographiques en Macédoine.
A première vue, cette tâche n’est pas tellement compliquée. Les éditions de
l’Institut national des statistiques en République de Macédoine contiennent une in-
formation abondante sur la structure de la population d’après l’âge et le sexe, sur le
nombre des mariages contractés, sur le taux de natalité et de mortalité5 . Sa page à
Internet peut également nous renseigner à ce sujet6 . Et pourtant, la faiblesse de tou-
tes ces éditions est de donner une information trop générale sur la population de la
République de Macédoine, sans présenter aucun tableau ou schéma susceptibles de
relever le facteur ethnique. Aussi, est-il extrêmement difficile de se faire une idée
des processus démographiques qui se déroulent au sein des différents groupes ethni-
ques en Macédoine, sans compter les difficultés d’ordre méthodologique. Ainsi, la
statistique en Macédoine n’évalue pas le nombre moyen de la population pour une
période déterminée, présentant les données statistiques sur le nombre de la popula-
tion au milieu de la période. C’est pourquoi, l’évaluation de certains coefficients
n’est pas toujours exacte. Des difficultés partielles surgissent quand il s’agit de dé-
terminer l’appartenance ethnique de personnes issues d’un mariage mixte. Dans
certains cas, on prend l’appartenance ethnique de la mère et, dans d’autres, du père.
Et pourtant, les difficultés que nous venons de mentionner n’ont pas de répercussion
essentielle sur les tendances générales de l’évolution démographique.
C’est le moment d’attirer l’attention sur le fait que les différences de compor-
tement des divers groupes ethniques peuplant la région géographique de Macédoine,
ne sont pas un phénomène nouveau. Certains chercheurs ont depuis longtemps cons-
taté que la natalité élevée de l’ethnie albanaise avait entraîné une pression démogra-

3
Là aussi, la notion traditionnelle de nation a un contenu ethnique, non pas politique.
4
Afin d’éviter toute polémique concernant l’appartenance ethnique de la majorité de la popu-
lation macédonienne, je me réfère à la thèse de l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences de
Bulgarie, selon laquelle «aujourd’hui deux tiers de la population de la Macédoine du Vardar sont
d’origine bulgare», sans que cela soit en rapport avec la conscience ethnique affichée actuellement.
Voir
     .  -     . , 1968, . 4.
5
Voir par exemple l’Annuaire statistique de la République de Macédoine (  
    
 j 2000.  j, 2000, . 607;      
  
 ja 2000.     .  j, 2000, . 124).
6
http://www.stat.gov.mk/index.htm

4
phique à la suite de laquelle, au cours des deux ou trois derniers siècles, la frontière
ethnographique bulgaro-albanaise ne cesse de se déplacer à l’Est7 .
Nous pouvons nous faire une idée générale du nombre des différents groupes
ethniques d’après l’information résultant des recensements effectués en République
de Macédoine, illustrée par le tableau 18 .
Tableau 1

Ethnie 1953 1961 1971 1981 1991 1994


Nombre 1,304,514 1,406,003 1,647,308 1,909,136 2,033,964 1,945,932
général
Macédoniens 860,699 1,000,854 1,142,375 1,279,323 1,328,187 1,295,964
Albanais 162,524 183,108 279,871 377,208 441,987 441,104
Turcs 203,938 131,481 108,552 86,591 77,080 78,019
Tsiganes 20,462 20,606 24,505 43,125 52,103 43,707
Serbes 35,112 42,728 46,465 44,468 42,775 40,228
Valaques 8,668 8,046 7,190 6,384 7,764 8,601
Musulmans 1,591 3,002 1,248 39,513 31,356 15,418
Autres 11,520 16,178 37,102 32,524 52,712 22,891

Je fais exprès de ne pas citer les données de 1948, qui risqueraient de nous
égarer, car une partie considérable des Albanais et des Macédoniens musulmans (les
Bulgares musulmans) figuraient dans les registres comme des Turcs. Certaines sources
de référence indiquent qu’à cette époque, en République de Macédoine vivaient
197,389 Albanais. Si nous évaluons les données de 1948 à 100%, nous pouvons
suivre l’augmentation de la population en général et de ses différents groupes ethni-
ques, illustrée dans le tableau 2.
Tableau 2

Ethnie 1948 1971 1994


Nombre général 100 143 169
Macédoniens 100 145 164
Albanais 100 142 223
Turcs 100 113 38
Tsiganes 100 126 224
Serbes 100 156 135
Valaques 100 76 90
Autres 100 329 203

7
, . .        . , 1931, . 70;
, .

 .       . – In: Idem. !  ! . II. , 1970, 379-
398;
          ". , 1945, 227-228;  , .   
    
     # !    !# ! XV  XIX
. –
    (), 1932, No 2-3, 63-118.
8
Les tableaux Nos 1-6 ont été publiés dans mon article
     !. – $
(), 2003, No 6, 16-18.

5
En analysant l’augmentation des différents groupes ethniques, nous devons
tenir compte du fait que la réduction de l’ethnie turque est due à son émigration en
Turquie et non pas à une dénatalité. Par conséquent, il devient évident que le princi-
pal élément ethnique en croissance est l’élément albanais. Mais là aussi, il ne faut
pas perdre de vue qu’en 1953, il marque une tendance à la baisse par rapport à 1948,
à cause du départ en Turquie d’Albanais ayant opté pour l’appartenance ethnique
turque. Pour la même raison, si en 1953, le nombre de la population albanaise s’élève
à 100%, en 1994, il a augmenté de 271%. En ce qui concerne la population alba-
naise en Macédoine, 1953 peut être considérée comme année de base, car à l’époque
postérieure, nous ne sommes pas en présence d’émigrations considérables.
A la suite des processus démographiques mentionnés, nous observons le rap-
port suivant en pourcentage entre les divers groupes ethniques par années, illustré
dans le tableau 3:
Tableau 3

Ethnie 1953 1961 1971 1981 1991 1994


Nombre général 100 100 100 100 100 100
Macédoniens 66 71,2 69,3 67,0 65,3 66,6
Albanais 12,5 13 17 19,8 21,7 22,7
Turcs 15,6 9,4 6,6 4,5 3,8 4
Tsiganes 1,6 1,5 1,5 2,3 2,6 2,2
Valaques 0,7 0,6 0,4 0,3 0,4 0,4
Serbes 2,7 3 2,8 2,3 2,1 2,1
Autres 1 1,4 2,3 3,8 4,1 2

L’information que nous venons d’exposer n’est pas surprenante en elle-même.


Il existe des pays dans le monde où le rapport population principale/minorités ethni-
ques est beaucoup plus nettement exprimé. Pour répondre à la question relative au
développement futur des processus ethno-démographiques en République de Macé-
doine, il importe de mieux connaître l’âge moyen non seulement de l’ensemble de
sa population, mais aussi des divers groupes ethniques. Malgré mes recherches mi-
nutieuses dans ce sens, les publications officielles à cet égard font défaut. On peut se
faire une idée de ce rapport, en observant le tableau 4, reflétant la répartition de la
population de la République de Macédoine d’âge jeune ou moyen en 1994, d’après
l’appartenance religieuse:

Tableau 4

Classe Nombre Religions


d’âge général
Orthodoxes % Musulmans % Autres %

0-4 151,287 79,929 53 66,004 44 5,354 4


5-9 162,672 92,989 57 63,732 39 5,951 4
10-14 166,993 99,940 60 60,815 36 6,238 4

6
15-19 161,947 97,235 60 58,996 36 5,716 4
20-24 152,720 92,057 60 55,447 36 5,216 3
25-29 150,545 93,668 62 51,774 34 5,103 3
30-34 147,733 97,292 66 45,205 31 5,236 4
35-39 145,144 104,029 72 35,740 24 5,375 4
40-44 136,590 102,903 75 28,313 21 5,374 4
45-49 109,351 82,066 75 23,314 21 3,971 4

Les données du tableau 4 indiquent clairement que dans le cas des classes
d’âge plus jeunes, la part relative des chrétiens diminue en faveur des musulmans.
Ce processus est l’expression de la natalité différente, caractéristique des deux grou-
pes religieux .
Pour que la situation devienne plus claire encore, je présenterai dans le ta-
bleau ci-dessous la répartition de la population de la République de Macédoine se-
lon l’appartenance ethnique et la confession en 1994 (le tableau n’inclut pas les
personnes sans religion déterminée, mais elles n’influent pratiquement pas sur le
rapport entre les différents groupes).

Tableau 5

Confession Total Orthodoxes Catholiques Musulmans Athées


Total 1,945,932 1,283,689 7,405 581,203 5,641
Macédoniens 1,295,964 1,229,147 4,144 15,139 4,330
Albanais 441,104 942 877 425,376 49
Turcs 78,019 – – 73,632 59
Tsiganes 43,707 805 15 40,040 30
Serbes 40,228 38,449 30 138 439
Musulmans 15,418 – – 15,105 20
Valaques 8,601 7,964 – – 59
Bosniaques 6,829 61 – 6,686 –
Égyptiens 3,080 43 – 2,947 –

Il devient évident des chiffres susmentionnés que 73,2% des musulmans sont
des Albanais, 12,7% en sont des Turcs et 6,8%, des Tsiganes. En ce qui concerne les
chrétiens (orthodoxes et catholiques), 95,5% en sont des Macédoniens. Et si nous
concrétisons ce pourcentage pour les chrétiens orthodoxes, nous voyons que 96,8%
d’entre eux sont des Macédoniens.
Sur la base de cette information, nous procéderons aux réévaluations indis-
pensables, qui nous permettront d’obtenir les résultats de la répartition ultérieure
des deux principales ethnies de la République de Macédoine, selon la classe d’âge,
illustrés dans le tableau 6.

7
Tableau 6

Classe Nombre Macédoniens Albanais


d’âge général
nombre % nombre %

0-4 151,233 77,370 51.1 48,320 31.9


5-9 162,675 90,010 55.3 46,650 28.7
10-14 167,097 96,740 57.9 44,520 26.7
15-19 162,159 94,120 58.1 43,190 26.7
20-24 153,447 89,110 58.3 40,590 26.6
25-29 151,927 90,670 60.2 37,900 25.2
30-34 148,793 94,180 63.7 33,090 22.4
35-39 145,590 100,700 69.4 26,160 18.0
40-44 137,279 99,610 72.9 20,730 15.2
45-49 109,858 79,440 72.6 17,070 15.6

Il devient évident qu’au milieu des années 1990, la natalité de l’ethnie macé-
donienne a diminué au point de ne la faire participer qu’à environ 50% à la repro-
duction de la population. Cette tendance inquiétante à la décroissance de la part
relative de la principale population parmi les nouveau-nés est présente aussi dans la
période postérieure. Ce processus se trouve visualisé dans le tableau 7, qui donne
une information sur les nouveau-nés par années et d’après l’appartenance ethnique
de leurs mères9 .

Tableau 7

Ethnie 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Nombre 34,830 33,238 32,374 33,487 32,154 31,403 29,478 29,244 27,309 29,308
général
Macédo- 18,012 17,380 16,666 16,704 15,853 15,315 14,290 14,004 13,308 13,791
niens
Albanais 11,813 11,479 11,353 12,010 11,670 11,409 10,491 10,641 9,383 10,075
Turcs 1,809 1,647 1,491 1,616 1,531 1,400 1,496 1,376 1,312 1,155
Tsiganes 1487 1,117 1,211 1,378 1,615 1,643 1,685 1,652 1,587 1,387
Valaques – 13 28 25 33 27 19 24 25 30
Serbes – – 363 403 331 301 246 252 197 301
Autres 1,709 1,602 1,262 1,351 1,184 1,308 1,251 1,295 1,042 2,569

9
Les données relatives à 1991/2 sont empruntées à        

 j 1995.  j, 1995, . 93; celles de 1993/9, à        

 j 2000.  j, 2000, . 115; celles de l’an 2000 à       
 
 ja 2000.     .  j, 2000, . 14.

8
Le pourcentage des nouveau-né déterminé d’après l’indice de l’appartenance
ethnique de leurs mères est illustré dans le tableau 810 .

Tableau 8

Ethnie 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Taux général 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Macédoniens 51.7 52.3 51.5 49.9 49.3 48.8 48.5 47.9 48.7 47.1
Albanais 33.9 34.5 35.1 35.9 36.1 36.3 35.6 36.4 36.0 34.4
Turcs 5.2 5.0 4.6 4.8 4.8 4.4 5.51 4.7 4.8 3.9
Tsiganes 4.3 3.4 3.7 4.1 5.0 5.2 5.7 5.6 5.8 4.7
Valaques – 0.0 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1
Serbes – – 1.1 1.2 1.0 1.0 0.8 0.9 0.7 1.0
Autres 4.9 4.8 3.9 4.0 3.7 4.2 4.2 4.4 3.8 8.8

Sur la base des données de 1994, j’ai calculé le coefficient brut général de
natalité de l’ensemble de la population, ainsi que les coefficients bruts de natalité
des différents groupes ethniques. Les indices sont illustrés dans le tableau 911 .

Tableau 9
Coefficient brut général de natalité (‰)
Ensemble de la population 17.2
Macédoniens 12.9
Albanais 27.2
Turcs 20.7
Tsiganes 31.5
Valaques 2.9
Serbes 10.0
Autres –

L’évaluation du coefficient brut général de toute la population et de celui des


différents groupes ethniques permet de se faire une idée visuelle des disproportions
au niveau de la natalité. Or, ces indices sont influencés par la structure d’âge de
l’ensemble de la population, qui n’est pas la même pour les mêmes classes d’âge
chez les différentes ethnies, ainsi que l’a démontré le tableau 6, ce qui donne une
idée incomplète de la situation. Pour éviter cet inconvénient, j’ai calculé les coeffi-
cients spécifiques de natalité de l’ensemble de la population et des différents grou-
pes ethniques, dans l’intervalle de 15 à 49 ans. Ce calcul nous donne une idée beau-

10
Là aussi les données relatives à 1991/2 sont empruntées au       -

 j 1995.  j, 1995, . 94; à 1993/9 au        

 j 2000.  j, 2000, . 116; celles de l’an 2000 sont calculées par l’auteur.
11
Les statistiques en Macédoine calculent cet indice sur le nombre d’habitants vers le milieu
de l’année. Ainsi, pour 1994, la valeur du coefficient brut général de natalité de l’ensemble de la
population est de 16.1‰. Pour ma part, je calcule ce coefficient à partir des résultats du recensement,
effectué la même année.

9
coup plus nette de la natalité de la population à l’âge actif12 en 1994. Les résultats
sont reflétés dans le tableau 10.
Tableau 10
Coefficient spécifique général de natalité, de 15 à 49 ans (‰)

Ensemble de la population 33.2


Macédoniens 25.8
Albanais 54.9

Cela signifie que pour 1,000 Macédoniens âgés de 15 à 49 ans sont nés 25.8
enfants, alors que pour 1,000 Albanais âgés de 15 à 49, les naissances sont au nom-
bre de 54.9.
Comment en est-on arrivé là? Dans les années 1970 et 1980, les démographes
macédoniens estiment que pour parvenir à une reproduction de la population et pour
conserver son nombre, il importe que chaque femme à l’âge actif mette au monde
2.15 enfants. Si l’on calcule le nombre des femmes en Macédoine qui participent
activement à la reproduction, on constatera que chacune d’entre elles, devra pendant
toute sa vie fertile, mettre au monde 2.53 enfants (descendance moyenne). Or, les
choses ne se présentent pas ainsi. En 1981, 47.67% des Macédoniennes ont donné
jour à un enfant, et 40.93%, à un deuxième. Seuls 8.27% des femmes en Macédoine
ont eu un troisième enfant et à peine 1.4%, un quatrième. De cette manière, une
mère macédonienne a 1.66 enfants en moyenne. La situation est bien différente en
ce qui concerne les Albanaises. Au cours de la même période, 19.02% des Albanai-
ses ont mis au monde un troisième enfant et 11.17%, un quatrième. Chez les fem-
mes turques, ces indices se présentent respectivement: 16.7% – un troisième enfant
et 9.34%, un quatrième enfant. Ainsi, une mère albanaise a 2.68 enfants en moyenne,
et une mère turque, 3.413 .
Naturellement, le taux de natalité se trouve également influencé par la culture
contraceptive de la population. Selon les résultats du sondage de «Brima Gallup»,
effectué au mois de mars 2003, 42% des femmes macédoniennes utilisent des con-
traceptifs. Chez les Albanaises, cet indice est de 21%. Il est curieux de noter que 5%
des femmes macédoniennes n’ont jamais entendu parler de moyens anticonception-
nels, alors que chez les Albanaises, ce taux est de 16%14 .
La dynamique des processus ethnodémographiques en République de Macé-
doine se répercute également sur d’autres indices démographiques. Un exemple élo-
quent en ce sens est le taux des mariages. Les données dont nous disposons, tout en
étant incomplètes, permettent de calculer les coefficients généraux bruts et les coef-
ficients spécifiques bruts de mariage. Le tableau 11 illustre les données pour 1999,
sur la base de l’appartenance ethnique du marié15 .
12
99.2% des naissances en 1994 sont le fait de mères âgées de 15 à 49 ans.
13
 , . %    !ja.  j, 1990, 20-21.
14
 ( j), le 17 mai 2003.
15
Le coefficient brut général de mariage de l’ensemble de la population est emprunté au
       
 j 2000.  j, 2000, . 100, alors que les coeffi-
cients bruts de mariage des différentes ethnies sont calculés par l’auteur. Comme le groupe désigné par
le terme «autres» ne cesse de changer, je n’ai pas évalué ses indices.

10
Tableau 11
Coefficient brut de mariage (‰)

Ensemble de la population 7.0


Macédoniens 5.8
Albanais 11.3
Turcs 7.7
Tsiganes 12.7
Valaques 2.0
Serbes 3.4
Autres –

Il est évident que le taux de mariages plus élevé que l’on observe chez les
Albanais, les Turcs, les Tsiganes et les autres (ce groupe est dominé par ceux qui se
sont définis comme musulmans) est une condition favorable au taux de natalité su-
périeur. Il importe de noter que le taux des mariages de la population macédonienne
est inférieure à la moyenne pour le pays.
En analysant les indices démographiques spécifiques pour les différents grou-
pes ethniques, peuplant la République de Macédoine, il faut accorder une attention
spéciale à la mortalité. Au cours de la période 1995-1999, le taux moyen du coeffi-
cient brut général de mortalité de l’ensemble de la population est de 8.3‰16 . Le
tableau 12 reflète le nombre des décès en l’an 200017 .

Tableau 12

Ethnies Décès/nombre
Total 17,253
Macédoniens 12,850
Albanais 2,635
Turcs 449
Tsiganes 410
Valaques 41
Serbes 389
Autres 479

A la base de ces indices, nous pouvons calculer le coefficient brut général de


mortalité de l’ensemble de la population et les coefficients bruts de mortalité des
différents groupes ethniques. Ils sont illustrés par le tableau 13.

16
       
 j 2000.  j, 2000, . 100.
17
        
 ja 2000, 80-81.

11
Tableau 13
Coefficient brut général de mortalité (‰)

Ensemble de la population 8.4


Macédoniens 9.9
Albanais 5.9
Turcs 5.8
Tsiganes 9.3
Valaques 4.8
Serbes 9.7
Autres –

La concrétisation ultérieure des données relatives à la composition ethnique


et au nombre de la population de la République de Macédoine apportera quelques
changements aux indices présentés, sans modifier sensiblement les tendances géné-
rales. Il est donc évident que le taux de mortalité des Macédoniens est plus élevé que
le taux de mortalité moyen de toute la population. D’autre part, chez les Albanais et
les Turcs, cet indice est moins élevé, ce qui est une expression de la tendance d’élé-
vation de leur nombre.
Les données statistiques que nous venons de présenter se répercutent en pra-
tique dans tous les domaines de la vie socio-politique de la République de Macé-
doine. C’est ce qui est constaté en partie par l’ex-premier ministre de Macédoine L.
Georgievski, selon lequel, à l’heure actuelle18 , 33% des enfants à l’âge d’aller à
l’école sont d’origine albanaise, sans compter que leur nombre ne cesse d’augmen-
ter. D’après une information du Ministère de l’Éducation et des Sciences à Skopje,
au cours de l’année scolaire 2003/4, le nombre des enfants albanais à l’âge d’aller en
classes s’est accru de 1,000 par rapport à 2002/319 . Dans ces conditions, il est parfai-
tement naturel de voir former, rien qu’à Skopje, de six à sept nouvelles classes alba-
naises par an. Ce phénomène est à observer dans d’autres villes, y compris à Ohrid.
Nous assistons également à une augmentation du nombre des classes où l’on ensei-
gne la langue turque, comme c’est le cas de Radoviš20 . Ces données correspondent
entièrement à l’information statistique. Compte tenu du fait qu’en Macédoine, l’âge
d’aller en classes est sept ans, on peut conclure que les 33% d’enfants albanais sont
nés vers 1995. Comme nous avons déjà constaté, en 1994, le taux des Albanais âgés
de 0 à 4 ans est 31.9% (avec une tendance à la hausse) du taux général des nouveau-
nés.
C’est le moment de noter que les résultats des statistiques démographiques
courantes et des recensements en République de Macédoine ne sont pas tout à fait
exacts. La raison principale en est le statut civil non réglementé d’une partie de la
population albanaise. Ainsi, selon Djezeir Shakiri, député au Parlement macédo-
nien, «à Tanuševci, il n’y a pas de service où l’on puisse se faire délivrer un acte de
naissance, une carte d’identité ou un passeport… 248 enfants de 6 mois à 6 ans ne

18
Il s’agit de l’année scolaire 2002/3.
19
 ( j), le 1er avril 2003.
20
Ibidem.

12
sont pas inscrits sur les registres et 39% de la population du village n’ont pas de
papiers d’identité.» Il en est de même dans les villages de Malino et de Brest. Leurs
habitants «se plaignent de ce que l’État ne leur permet pas de régulariser leur ci-
toyenneté»21 . Pour ces raisons justement, les statistiques démographiques courantes
ne donnent aucune information au sujet des naissances, des mariages et des décès au
sein de cette population. La situation est la même en ce qui concerne les résultats des
deux premiers recensements ayant suivi la proclamation de l’indépendance de la
République de Macédoine en 1991. «Ils ne sont pas entièrement légitimes en raison
du facteur ethnique: en 1991, les Albanais en Macédoine n’ont pas reconnu les
résultats du recensement, alors qu’en 1994, ils ont été boycottés par plus de 10,000
habitants de Debar et des environs, appartenant à la communauté ethnique alba-
naise.»22
Le problème de l’inexactitude des données relatives à la croissance de la po-
pulation se complique encore davantage par l’absence de renseignements exacts sur
les processus migratoires. Voici les renseignements fournis par les statistiques offi-
cielles au sujet des migrations en 1999, présentés dans le tableau 1423 .

Tableau 14

Appartenance Nombre des Nombre des Solde


ethnique immigrés émigrés migratoire
Nombre général 11,377 10,846 + 531
Macédoniens 7,784 7,591 + 193

Albanais 2,146 1,859 + 287


Turcs 451 433 + 287
Tsiganes 341 346 -5
Valaques 31 23 +8
Serbes 208 199 +9
Autres 416 395 + 21

Même des données officielles, il devient évident que la part la plus élevée de
l’accroissement migratoire revient aux Albanais (54%), suivis des Macédoniens
(36,3%).
Malheureusement, les statistiques ne donnent pas une idée objective des para-
mètres exacts du processus migratoire, incontrôlable dans une grande mesure. Le
nombre des Albanais s’accroît grâce à l’immigration en Macédoine d’habitants de
Kossovo et aussi, dernièrement, d’Albanie. Il est inutile de mentionner la période de
la crise de Kossovo, où la République de Macédoine a été littéralement submergée
par les Albanais de Kossovo, dont le nombre officiellement enregistré au 9 mai
1999 s’élevait à 230,000. Bien que la majorité d’entre eux aient réintégré leur patrie,
nous sommes informés qu’une partie des Albanais de Kossovo ont choisi de résider

21
%  ( j), le 14 avril 2003.
22
  ( j), No 209, 24 janvier 2003.
23
       
 j 2000.  j, 2000, 152-155.

13
ou continuent à s’installer en territoire macédonien. Le fait que de 1992 au début de
2003, la République de Macédoine a refusé la citoyenneté à 11,167 personnes, dont
50% d’Albanais, suivis par des immigrés qui se déclaraient musulmans24 , est signi-
ficatif des inconvénients du processus migratoire. La République de Macédoine est
devenue particulièrement attractive pour la population albanaise après l’entrée en
vigueur du Traité d’Ohrid de 2001, qui réglemente son statut. Ainsi, la mise en place
d’écoles ethniques mène à la perturbation du modèle traditionnel de cohabitation.
Dans les régions à population mixte, les parents des élèves macédoniens flairent «le
danger de la création d’un milieu ethniquement pur. On procéderait à l’albanisation
tacite de Kumanovo si l’on observait les décisions du Ministère de l’Éducation [de
la République de Macédoine, N. d. A.]. La décision de M. Položani [ministre de
l’Éducation de la République de Macédoine, N. d. A.] relative à la division ethnique
des élèves a mené à la formation d’un centre scolaire à l’intention des Albanais de
Preševo, de Medvedža et de Bujanovac.»25
Cet accroissement mécanique de la population a déjà abouti à l’augmentation
excessive des Albanais dans certaines localités. Ainsi, en 1971, le village d’Aračinovo
comptait 2,436 habitants, et en 1981, leur nombre est passé à 5,740; en 1971, le
quartier de Skopje Ilinden était habité par 2,495 personnes, dont le nombre est passé
à 4,077 en 1981; il en va de même pour Idrizovo, respectivement 1,562 et 2,292. Le
fait que ces 20 dernières années, il n’y a pas de cas enregistré de Macédonien qui ait
fait l’acquisition d’un patrimoine dans un village peuplé d’Albanais est particulière-
ment significatif, d’autant plus que les cas inverses se comptent par milliers. Ainsi
par exemple, en 1982, un Albanais vient s’installer au village de Badar et un autre,
au village de Blace (région de Katlanovo) pour y acquérir des terres. Le même pro-
cessus se poursuit en 1984, de sorte qu’en 1985, le nombre des Albanais nouvelle-
ment installés s’élève à 2226 . Ils sont pour la plupart des représentants de la jeune
génération, à la longue espérance de vie et, par conséquent, au potentiel élevé de
reproduction.
La migration de la population albanaise a amené à une extension considérable
du territoire habité par elle. Aujourd’hui, certains milieux continuent à prétendre
que seule la Macédoine Occidentale est peuplée d’Albanais. Or, les résultats du
recensement en 1994, montrent que cet état de choses a été modifié. Dans le tableau
15, je présente en pourcentage la répartition par communes de la population alba-
naise en République de Macédoine, d’après la division administrative au début de
200327 .
Tableau 15

Nombre des communes Population albanaise (%)


12 plus de 95
5 75-95
8 50-75

24
 ( j), le 17 mai 2003.
25
 ( j), le 31 mars 2003.
26
 , . Op. cit., 65-66.
27
Les données présentent une information abrégée de la page d’Internet de l’Institut national
des statistiques de la République de Macédoine.

14
10 25-50
7 15-25
10 5-15
29 0.01-5
42 moins de 0.01

Il est visible de ce tableau que de 123 communes en République de Macé-


doine, 81 sont peuplées d’Albanais (soit 65.9%). Il est important de noter que les
Albanais sont majoritaires dans 25 communes (ou dans 20,3% de toutes les commu-
nes), sans compter leur présence considérable dans 17 autres communes.
Un autre procédé permettant d’augmenter le nombre de la population alba-
naise est l’assimilation des autres groupes ethniques confessant l’islam. Il s’agit
surtout des Turcs, des Tsiganes et des Macédoniens musulmans. Il importe de noter
à cet égard, les combats livrés dans les communautés musulmanes entre les repré-
sentants des ethnies albanaise et turque au sujet de la langue dans laquelle doit être
effectuée la traduction de l’arabe pour la célébration de l’office. Voilà ce qu’écrit à
ce sujet Viktor Cvetanoski: «Au niveau de la foi, nous assistons à un conflit entre les
Albanais et les Turcs au sujet du droit de remplir la fonction de hodja à la mosquée,
ou de la langue dans laquelle doit être célébrée la messe.»28 Les Albanais l’empor-
tent presque partout et les autres musulmans sont obligés d’écouter les sermons en
albanais. Les directeurs de nombreuses écoles où prédominent les élèves du groupe
ethnique turc sont d’origine albanaise29 . Il est curieux de noter que les Tsiganes
d’Ohrid parlent couramment l’albanais. Dans le passé, la seule communauté musul-
mane qui représentait un certain obstacle à l’expansion albanaise était celle des
Macédoniens convertis à l’islam. A la suite de la politique non perspicace de l’État,
cette population a été abandonnée à son sort. Au début, c’est la commune de Mijačija
en Macédoine Occidentale qui a été dépeuplée, ensuite ce fut le tour de Dolna Reka.
Ainsi, dans la commune de Rostuše, des 10,366 habitants, 4,300 ont émigré en l’es-
pace des deux dernières années30 . A l’époque de la crise, à la suite des mauvais
traitements qui leur étaient infligés, le nombre des Bulgares de Kossovo est passé de
25,000 à 5,00031 . Quant aux Macédoniens musulmans, il y a lieu d’affirmer que leur
nombre dépasse de 3 à 4 fois les 15,139 personnes enregistrées officiellement dans
cette catégorie. Sans connaître l’albanais ni le turc, ils deviennent l’objet d’une assi-
milation délibérée, faisant augmenter encore davantage le groupe ethnique albanais
ou turc.
n examinant les processus ethniques qui se déroulent en République de
Macédoine, on arrive souvent à se demander s’il est possible de voir s’atténuer l’ac-
croissement de la population albanaise. Conformément à la théorie du passage dé-
mographique, celui-ci personnifie le passage de la population d’un taux élevé de
natalité et de mortalité à un taux réduit de natalité et de mortalité. Le passage démo-
graphique est lié ordinairement à des transformations socio-économiques et psy-

28
 , . Op. cit., 36.
29
 ( j), le 1er avril 2003; le 3 avril 2003.
30
 ( j), le 8 mai 2003.
31
Ibidem.

15
chologiques profondes. C’est à la suite du passage démographique qu’interviennent
de profonds bouleversements aussi bien à l’échelle régionale que mondiale. Ainsi,
dans les pays développés, le taux peu élevé de mortalité et l’espérance de vie pro-
longée, alliés à la dénatalité, ont abouti à l’instauration d’un équilibre démographi-
que fragile. Dans certains pays, la natalité est devenue inférieure à la mortalité, ce
qu’on désigne sous le terme de dépression démographique. Or, les populations des
pays en voie de développement n’étaient pas préparées à ces processus. Là, dans le
contexte d’une mortalité peu élevée, le taux de natalité a été maintenu à un niveau
assez haut, ce qui a eu pour conséquence l’explosion démographique. Des interdé-
pendances sont apparues entre les zones de dépression démographique et les zones
d’explosion démographique, qui s’exprimaient par une aspiration à une nouvelle
répartition interrégionale de la population et par les tendances globales de sa migra-
tion du Sud au Nord32 . Dans les zones de contact de ces deux groupes bien distincts,
on assiste parfois à la cohabitation de communautés ayant un comportement démo-
graphique différent, déterminé par les différences au niveau de leurs valeurs et par le
degré d’importance des changements socio-économiques et psychologiques.
Les théoriciens de la conception de la sécurité démographique et migratoire
ont analysé en détail les cas de pression démographique ou migratoire d’un État à
l’égard d’un autre. Mais personne jusqu’à présent n’a cherché à analyser le cas, où
dans le cadre du même pays, l’on assiste à une dépression démographique au sein
d’une partie de la population et à une explosion démographique au sein d’une autre
partie.
Le passage démographique se produit en République de Macédoine dans les
années 1960 et 1970. A cette époque, la longévité moyenne atteint 70 ans pour les
hommes et 75 ans pour les femmes33 . Il importe de noter que la longévité est la
même pour l’ethnie macédonienne et pour l’ethnie albanaise, ce qui est le résultat
direct des conditions socio-économiques identiques pour tous les citoyens de la
République de Macédoine, sans égard à leur appartenance ethnique. Il convient de
chercher d’ailleurs la raison de l’actuel déséquilibre ethnique dans le taux de natalité
modifié. Selon le connaisseur bulgare de l’ethnographie et de la statistique en Macé-
doine Vassil Kânčov, vers la fin du XIXe siècle, le taux de natalité chez les Bulgares
et les Albanais était à peu près identique. A cette époque, 3 ou 4 enfants revenaient
à une femme bulgare de la population urbaine et 4 ou 5, à une Bulgare de la popula-
tion rurale. A une Albanaise revenaient alors 3.5-4 enfants34 . Au début des années
50 (à la veille du passage démographique), une femme macédonienne (bulgare)
avait en moyenne 3.11 enfants, et une femme albanaise, 3.5235 . Nous assistons donc
à la modification du taux de natalité après le passage démographique. La natalité de
la population albanaise a baissé effectivement, mais à un degré bien inférieur que la
natalité de la population macédonienne. Pour le moment, nous n’assistons pas à des
changements considérables au niveau de la natalité de la population albanaise en
République de Macédoine36 .

32

 "  !     .
  & " ' .
  , 2000, 59-62.
33
2000 World Population Data Sheet of the Population Reference Bureau. Book Edition.
Washington, 2000, p. 9.
34

, . Op. cit., . 346.
35
 , . Op. cit., . 21.

16
Au milieu des années 1980, le Dr. Blaga Petrevska, démographe macédonien,
après avoir examiné le déplacement de la population, a formulé la conclusion rela-
tive à un double modèle de reproduction. D’un côté, nous sommes en présence d’une
natalité qui ne suffit pas à assurer la reproduction normale de la population et d’un
autre côté, nous assistons à une natalité, aboutissant à un accroissement de la popu-
lation, qui ne peut être assimilé par l’économie du pays. Sans s’appesantir sur les
aspects ethniques de son étude, B. Petrevska parvient à la conclusion que ce double
modèle de reproduction a le désavantage de retenir, voire d’exacerber les différen-
ces régionales, sociales et ethniques au niveau du développement démographique
en République de Macédoine37 . Il s’agit en pratique d’un modèle réduit de deux
territoires, nettement délimités par les processus de dépression démographique et
d’explosion démographique qui s’y déroulent. Il est évident qu’une nouvelle répar-
tition de la population y aura lieu, facilitée par le fait qu’il s’agit d’une migration
dans les confins du même pays.

* * *

Que résulte-t-il de tout ce qui vient d’être dit? Nous ne disposons pas de don-
nées objectives, permettant de procéder à des prévisions exactes, par années, au
sujet du développement futur des ethnies macédonienne et albanaise. Il ne faut pas
non plus fonder de grands espoirs sur les résultats du recensement de la population
en République de Macédoine, effectué en 2002. L’information recueillie a inévita-
blement été influencée par les conséquences du conflit ethnique armé, par l’absence
d’enregistrement d’une partie de la population albanaise, par l’omission d’inscrire
les nouveau-nés sur les registres civils, par l’absence de contrôle sur l’immigration,
etc. Aussi, avant même de proclamer les résultats, ceux-ci sont-ils devenus l’objet
d’interprétations politiques. On avait lancé l’affirmation que les Albanais en Répu-
blique de Macédoine n’étaient que 19%38 . A cette occasion, Ilyaz Halimi, vice-
président du Parti démocratique des Albanais a déclaré: «Il n’y a aucune logique
que les résultats soient inférieurs à ceux du recensement précédent. A en juger de la
natalité, le nombre doit être beaucoup plus élevé. En avançant des chiffres aussi bas,
quelqu’un cherche probablement à préparer le terrain pour un nombre définitif de
24 ou 25% et à apaiser de la sorte les Albanais. A mon avis, ce chiffre doit atteindre
réellement 30%.»39 Le fait qu’au début du mois d’avril, le gouvernement de la Ré-

36
Les Albanais en tant qu’ethnie accusent le taux de natalité le plus élevé en Europe. Il serait
pourtant erroné de transférer machinalement les indices de la natalité en Albanie à la natalité des
Albanais en République de Macédoine. Ainsi, jusqu’au début des années 1990, une mère en Albanie
avait en moyenne 3.02 enfants. Après les transformations démocratiques, à la suite de l’émigration
d’une partie considérable de la population en âge de se reproduire, on s’attend à voir baisser le taux de
natalité (Labour Market – Vocational Education and Training Assessment. Albania. Torino, 2001, p.
12). En revanche, les Albanais en République de Macédoine ne sont pas exposés à de tels change-
ments, du fait que depuis le début des années 1970, ils avaient la possibilité de se déplacer en toute
liberté. En outre, l’influence du facteur religieux en Albanie est beaucoup moins important.
37
Ibidem, p. 20.
38
Émission macédonienne de la radio Deutsche Welle, du 2 avril 2003;  ( j), le
3 avril 2003; %  ( j), le 3 avril 2003.
39
 ( j), le 4 avril 2003.

2, Études balkaniques 2 17
publique de Macédoine ait interrompu l’activité de la Commission nationale du
recensement, chargée d’organiser le recensement et d’en rendre publics les résultats
définitifs, est assez déconcertant40 .
Compte tenu des faits énoncés, on est en droit de se poser des questions sur
l’avenir démographique de la République de Macédoine. Je ne partage pourtant pas
l’opinion de L. Georgievski, selon lequel la nation macédonienne est menacée d’as-
similation. De nos jours, la notion de nation devrait être examinée comme une caté-
gorie politique et présenter l’addition de tous les citoyens (sujets) d’un État donné41 .
De ce point de vue, la République de Macédoine ne court pas le danger de se voir
dépeupler. Selon les prévisions des Nations-Unies, sa population doit compter en
2025 2,067,400 habitants, alors qu’en 2050, environ 1,893,700 habitants42 . Or, nous
ne sommes en présence jusqu’à ce moment d’aucune prévision sur le développe-
ment des différents groupes ethniques de sa population. Et pourtant, la statistique en
vigueur me permet de conclure que dans les quelques 20-30 années à venir, les
générations où les Macédoniens forment 65-75% quitteront la scène. Au bout de 10
ou 15 ans, la génération née au milieu des années 90 du XXe siècle sera à l’âge de
procréer, une génération où les Macédoniens forment déjà une minorité relative,
c’est-à-dire, au-dessous de 50%, suivis de l’ethnie albanaise (32-35%). Compte te-
nue de la natalité élevée de cette dernière, au bout de quelques 20-30-40 ans, les
Macédoniens se transformeront, de minorité relative en minorité absolue, dépassée
par l’ethnie albanaise qui, à condition de garder ses indices actuels de reproduction,
finira par former plus de 50% de la population.

40
 ( j), les 5-6 avril 2003.
41
Cette approche est formulée par la Convention européenne sur la citoyenneté. Son article 2
al. a) stipule que la notion de nationalité doit être interprétée comme une interrelation entre un individu
et un État, sans indiquer l’origine ethnique.
42
Department of Economic and Social Affairs. Population Division. World Population Ageing
1950-2050. United Nations. New York, 2002, p. 440.

18

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