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1
( j), le 18 avril 2003.
2
Sous la notion de peuple macédonien, L. Georgievski, ainsi que tous les politiciens actuels
en République de Macédoine, entendent uniquement les représentants de la population considérés
comme des Macédoniens ethniques, non pas les autres groupes ethniques de la République.
3
réservées strictement à des élèves albanais, sont autant de phénomènes inquiétants.
Aussi, ne pouvons-nous demeurer sourds et aveugles devant la réalité: notre nation3
est menacée d’extermination démographique.»
J’ai observé attentivement les réactions en Macédoine, soulevées par l’article
de L. Georgievski. Nous ne pouvons pas nier qu’à son idée consistant à ériger un
«Mur de Berlin» entre la population «macédonienne»4 et albanaise furent opposés
bon nombre d’arguments judicieux. Ce qui est à remarquer cependant c’est l’ab-
sence de toute analyse approfondie susceptible d’examiner les processus démogra-
phiques en cours au sein des différents groupes ethniques de la population de la
République de Macédoine.
Je ne me propose pas, en ma qualité de spécialiste en matière de démographie,
de donner des recettes sur le règlement de la question macédonienne. Le but de mon
étude est de révéler les tendances et l’ampleur du développement des processus
ethnodémographiques en Macédoine.
A première vue, cette tâche n’est pas tellement compliquée. Les éditions de
l’Institut national des statistiques en République de Macédoine contiennent une in-
formation abondante sur la structure de la population d’après l’âge et le sexe, sur le
nombre des mariages contractés, sur le taux de natalité et de mortalité5 . Sa page à
Internet peut également nous renseigner à ce sujet6 . Et pourtant, la faiblesse de tou-
tes ces éditions est de donner une information trop générale sur la population de la
République de Macédoine, sans présenter aucun tableau ou schéma susceptibles de
relever le facteur ethnique. Aussi, est-il extrêmement difficile de se faire une idée
des processus démographiques qui se déroulent au sein des différents groupes ethni-
ques en Macédoine, sans compter les difficultés d’ordre méthodologique. Ainsi, la
statistique en Macédoine n’évalue pas le nombre moyen de la population pour une
période déterminée, présentant les données statistiques sur le nombre de la popula-
tion au milieu de la période. C’est pourquoi, l’évaluation de certains coefficients
n’est pas toujours exacte. Des difficultés partielles surgissent quand il s’agit de dé-
terminer l’appartenance ethnique de personnes issues d’un mariage mixte. Dans
certains cas, on prend l’appartenance ethnique de la mère et, dans d’autres, du père.
Et pourtant, les difficultés que nous venons de mentionner n’ont pas de répercussion
essentielle sur les tendances générales de l’évolution démographique.
C’est le moment d’attirer l’attention sur le fait que les différences de compor-
tement des divers groupes ethniques peuplant la région géographique de Macédoine,
ne sont pas un phénomène nouveau. Certains chercheurs ont depuis longtemps cons-
taté que la natalité élevée de l’ethnie albanaise avait entraîné une pression démogra-
3
Là aussi, la notion traditionnelle de nation a un contenu ethnique, non pas politique.
4
Afin d’éviter toute polémique concernant l’appartenance ethnique de la majorité de la popu-
lation macédonienne, je me réfère à la thèse de l’Institut d’Histoire de l’Académie des Sciences de
Bulgarie, selon laquelle «aujourd’hui deux tiers de la population de la Macédoine du Vardar sont
d’origine bulgare», sans que cela soit en rapport avec la conscience ethnique affichée actuellement.
Voir
.
-
. , 1968,
. 4.
5
Voir par exemple l’Annuaire statistique de la République de Macédoine (
j 2000. j, 2000,
. 607;
ja 2000.
. j, 2000,
. 124).
6
http://www.stat.gov.mk/index.htm
4
phique à la suite de laquelle, au cours des deux ou trois derniers siècles, la frontière
ethnographique bulgaro-albanaise ne cesse de se déplacer à l’Est7 .
Nous pouvons nous faire une idée générale du nombre des différents groupes
ethniques d’après l’information résultant des recensements effectués en République
de Macédoine, illustrée par le tableau 18 .
Tableau 1
Je fais exprès de ne pas citer les données de 1948, qui risqueraient de nous
égarer, car une partie considérable des Albanais et des Macédoniens musulmans (les
Bulgares musulmans) figuraient dans les registres comme des Turcs. Certaines sources
de référence indiquent qu’à cette époque, en République de Macédoine vivaient
197,389 Albanais. Si nous évaluons les données de 1948 à 100%, nous pouvons
suivre l’augmentation de la population en général et de ses différents groupes ethni-
ques, illustrée dans le tableau 2.
Tableau 2
7
, . .
. , 1931,
. 70;
, .
.
. – In: Idem. ! !. II. , 1970, 379-
398;
". , 1945, 227-228;
, .
# !
!# ! XV XIX
. –
(), 1932, No 2-3, 63-118.
8
Les tableaux Nos 1-6 ont été publiés dans mon article
!. – $
(), 2003, No 6, 16-18.
5
En analysant l’augmentation des différents groupes ethniques, nous devons
tenir compte du fait que la réduction de l’ethnie turque est due à son émigration en
Turquie et non pas à une dénatalité. Par conséquent, il devient évident que le princi-
pal élément ethnique en croissance est l’élément albanais. Mais là aussi, il ne faut
pas perdre de vue qu’en 1953, il marque une tendance à la baisse par rapport à 1948,
à cause du départ en Turquie d’Albanais ayant opté pour l’appartenance ethnique
turque. Pour la même raison, si en 1953, le nombre de la population albanaise s’élève
à 100%, en 1994, il a augmenté de 271%. En ce qui concerne la population alba-
naise en Macédoine, 1953 peut être considérée comme année de base, car à l’époque
postérieure, nous ne sommes pas en présence d’émigrations considérables.
A la suite des processus démographiques mentionnés, nous observons le rap-
port suivant en pourcentage entre les divers groupes ethniques par années, illustré
dans le tableau 3:
Tableau 3
Tableau 4
6
15-19 161,947 97,235 60 58,996 36 5,716 4
20-24 152,720 92,057 60 55,447 36 5,216 3
25-29 150,545 93,668 62 51,774 34 5,103 3
30-34 147,733 97,292 66 45,205 31 5,236 4
35-39 145,144 104,029 72 35,740 24 5,375 4
40-44 136,590 102,903 75 28,313 21 5,374 4
45-49 109,351 82,066 75 23,314 21 3,971 4
Les données du tableau 4 indiquent clairement que dans le cas des classes
d’âge plus jeunes, la part relative des chrétiens diminue en faveur des musulmans.
Ce processus est l’expression de la natalité différente, caractéristique des deux grou-
pes religieux .
Pour que la situation devienne plus claire encore, je présenterai dans le ta-
bleau ci-dessous la répartition de la population de la République de Macédoine se-
lon l’appartenance ethnique et la confession en 1994 (le tableau n’inclut pas les
personnes sans religion déterminée, mais elles n’influent pratiquement pas sur le
rapport entre les différents groupes).
Tableau 5
Il devient évident des chiffres susmentionnés que 73,2% des musulmans sont
des Albanais, 12,7% en sont des Turcs et 6,8%, des Tsiganes. En ce qui concerne les
chrétiens (orthodoxes et catholiques), 95,5% en sont des Macédoniens. Et si nous
concrétisons ce pourcentage pour les chrétiens orthodoxes, nous voyons que 96,8%
d’entre eux sont des Macédoniens.
Sur la base de cette information, nous procéderons aux réévaluations indis-
pensables, qui nous permettront d’obtenir les résultats de la répartition ultérieure
des deux principales ethnies de la République de Macédoine, selon la classe d’âge,
illustrés dans le tableau 6.
7
Tableau 6
Il devient évident qu’au milieu des années 1990, la natalité de l’ethnie macé-
donienne a diminué au point de ne la faire participer qu’à environ 50% à la repro-
duction de la population. Cette tendance inquiétante à la décroissance de la part
relative de la principale population parmi les nouveau-nés est présente aussi dans la
période postérieure. Ce processus se trouve visualisé dans le tableau 7, qui donne
une information sur les nouveau-nés par années et d’après l’appartenance ethnique
de leurs mères9 .
Tableau 7
Ethnie 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Nombre 34,830 33,238 32,374 33,487 32,154 31,403 29,478 29,244 27,309 29,308
général
Macédo- 18,012 17,380 16,666 16,704 15,853 15,315 14,290 14,004 13,308 13,791
niens
Albanais 11,813 11,479 11,353 12,010 11,670 11,409 10,491 10,641 9,383 10,075
Turcs 1,809 1,647 1,491 1,616 1,531 1,400 1,496 1,376 1,312 1,155
Tsiganes 1487 1,117 1,211 1,378 1,615 1,643 1,685 1,652 1,587 1,387
Valaques – 13 28 25 33 27 19 24 25 30
Serbes – – 363 403 331 301 246 252 197 301
Autres 1,709 1,602 1,262 1,351 1,184 1,308 1,251 1,295 1,042 2,569
9
Les données relatives à 1991/2 sont empruntées à
j 1995. j, 1995, . 93; celles de 1993/9, à
j 2000. j, 2000,
. 115; celles de l’an 2000 à
ja 2000.
. j, 2000,
. 14.
8
Le pourcentage des nouveau-né déterminé d’après l’indice de l’appartenance
ethnique de leurs mères est illustré dans le tableau 810 .
Tableau 8
Ethnie 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000
Taux général 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Macédoniens 51.7 52.3 51.5 49.9 49.3 48.8 48.5 47.9 48.7 47.1
Albanais 33.9 34.5 35.1 35.9 36.1 36.3 35.6 36.4 36.0 34.4
Turcs 5.2 5.0 4.6 4.8 4.8 4.4 5.51 4.7 4.8 3.9
Tsiganes 4.3 3.4 3.7 4.1 5.0 5.2 5.7 5.6 5.8 4.7
Valaques – 0.0 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1 0.1
Serbes – – 1.1 1.2 1.0 1.0 0.8 0.9 0.7 1.0
Autres 4.9 4.8 3.9 4.0 3.7 4.2 4.2 4.4 3.8 8.8
Sur la base des données de 1994, j’ai calculé le coefficient brut général de
natalité de l’ensemble de la population, ainsi que les coefficients bruts de natalité
des différents groupes ethniques. Les indices sont illustrés dans le tableau 911 .
Tableau 9
Coefficient brut général de natalité (‰)
Ensemble de la population 17.2
Macédoniens 12.9
Albanais 27.2
Turcs 20.7
Tsiganes 31.5
Valaques 2.9
Serbes 10.0
Autres –
10
Là aussi les données relatives à 1991/2 sont empruntées au
-
j 1995. j, 1995,
. 94; à 1993/9 au
j 2000. j, 2000,
. 116; celles de l’an 2000 sont calculées par l’auteur.
11
Les statistiques en Macédoine calculent cet indice sur le nombre d’habitants vers le milieu
de l’année. Ainsi, pour 1994, la valeur du coefficient brut général de natalité de l’ensemble de la
population est de 16.1‰. Pour ma part, je calcule ce coefficient à partir des résultats du recensement,
effectué la même année.
9
coup plus nette de la natalité de la population à l’âge actif12 en 1994. Les résultats
sont reflétés dans le tableau 10.
Tableau 10
Coefficient spécifique général de natalité, de 15 à 49 ans (‰)
Cela signifie que pour 1,000 Macédoniens âgés de 15 à 49 ans sont nés 25.8
enfants, alors que pour 1,000 Albanais âgés de 15 à 49, les naissances sont au nom-
bre de 54.9.
Comment en est-on arrivé là? Dans les années 1970 et 1980, les démographes
macédoniens estiment que pour parvenir à une reproduction de la population et pour
conserver son nombre, il importe que chaque femme à l’âge actif mette au monde
2.15 enfants. Si l’on calcule le nombre des femmes en Macédoine qui participent
activement à la reproduction, on constatera que chacune d’entre elles, devra pendant
toute sa vie fertile, mettre au monde 2.53 enfants (descendance moyenne). Or, les
choses ne se présentent pas ainsi. En 1981, 47.67% des Macédoniennes ont donné
jour à un enfant, et 40.93%, à un deuxième. Seuls 8.27% des femmes en Macédoine
ont eu un troisième enfant et à peine 1.4%, un quatrième. De cette manière, une
mère macédonienne a 1.66 enfants en moyenne. La situation est bien différente en
ce qui concerne les Albanaises. Au cours de la même période, 19.02% des Albanai-
ses ont mis au monde un troisième enfant et 11.17%, un quatrième. Chez les fem-
mes turques, ces indices se présentent respectivement: 16.7% – un troisième enfant
et 9.34%, un quatrième enfant. Ainsi, une mère albanaise a 2.68 enfants en moyenne,
et une mère turque, 3.413 .
Naturellement, le taux de natalité se trouve également influencé par la culture
contraceptive de la population. Selon les résultats du sondage de «Brima Gallup»,
effectué au mois de mars 2003, 42% des femmes macédoniennes utilisent des con-
traceptifs. Chez les Albanaises, cet indice est de 21%. Il est curieux de noter que 5%
des femmes macédoniennes n’ont jamais entendu parler de moyens anticonception-
nels, alors que chez les Albanaises, ce taux est de 16%14 .
La dynamique des processus ethnodémographiques en République de Macé-
doine se répercute également sur d’autres indices démographiques. Un exemple élo-
quent en ce sens est le taux des mariages. Les données dont nous disposons, tout en
étant incomplètes, permettent de calculer les coefficients généraux bruts et les coef-
ficients spécifiques bruts de mariage. Le tableau 11 illustre les données pour 1999,
sur la base de l’appartenance ethnique du marié15 .
12
99.2% des naissances en 1994 sont le fait de mères âgées de 15 à 49 ans.
13
, . %
!ja. j, 1990, 20-21.
14
( j), le 17 mai 2003.
15
Le coefficient brut général de mariage de l’ensemble de la population est emprunté au
j 2000. j, 2000,
. 100, alors que les coeffi-
cients bruts de mariage des différentes ethnies sont calculés par l’auteur. Comme le groupe désigné par
le terme «autres» ne cesse de changer, je n’ai pas évalué ses indices.
10
Tableau 11
Coefficient brut de mariage (‰)
Il est évident que le taux de mariages plus élevé que l’on observe chez les
Albanais, les Turcs, les Tsiganes et les autres (ce groupe est dominé par ceux qui se
sont définis comme musulmans) est une condition favorable au taux de natalité su-
périeur. Il importe de noter que le taux des mariages de la population macédonienne
est inférieure à la moyenne pour le pays.
En analysant les indices démographiques spécifiques pour les différents grou-
pes ethniques, peuplant la République de Macédoine, il faut accorder une attention
spéciale à la mortalité. Au cours de la période 1995-1999, le taux moyen du coeffi-
cient brut général de mortalité de l’ensemble de la population est de 8.3‰16 . Le
tableau 12 reflète le nombre des décès en l’an 200017 .
Tableau 12
Ethnies Décès/nombre
Total 17,253
Macédoniens 12,850
Albanais 2,635
Turcs 449
Tsiganes 410
Valaques 41
Serbes 389
Autres 479
16
j 2000. j, 2000,
. 100.
17
ja 2000, 80-81.
11
Tableau 13
Coefficient brut général de mortalité (‰)
18
Il s’agit de l’année scolaire 2002/3.
19
( j), le 1er avril 2003.
20
Ibidem.
12
sont pas inscrits sur les registres et 39% de la population du village n’ont pas de
papiers d’identité.» Il en est de même dans les villages de Malino et de Brest. Leurs
habitants «se plaignent de ce que l’État ne leur permet pas de régulariser leur ci-
toyenneté»21 . Pour ces raisons justement, les statistiques démographiques courantes
ne donnent aucune information au sujet des naissances, des mariages et des décès au
sein de cette population. La situation est la même en ce qui concerne les résultats des
deux premiers recensements ayant suivi la proclamation de l’indépendance de la
République de Macédoine en 1991. «Ils ne sont pas entièrement légitimes en raison
du facteur ethnique: en 1991, les Albanais en Macédoine n’ont pas reconnu les
résultats du recensement, alors qu’en 1994, ils ont été boycottés par plus de 10,000
habitants de Debar et des environs, appartenant à la communauté ethnique alba-
naise.»22
Le problème de l’inexactitude des données relatives à la croissance de la po-
pulation se complique encore davantage par l’absence de renseignements exacts sur
les processus migratoires. Voici les renseignements fournis par les statistiques offi-
cielles au sujet des migrations en 1999, présentés dans le tableau 1423 .
Tableau 14
Même des données officielles, il devient évident que la part la plus élevée de
l’accroissement migratoire revient aux Albanais (54%), suivis des Macédoniens
(36,3%).
Malheureusement, les statistiques ne donnent pas une idée objective des para-
mètres exacts du processus migratoire, incontrôlable dans une grande mesure. Le
nombre des Albanais s’accroît grâce à l’immigration en Macédoine d’habitants de
Kossovo et aussi, dernièrement, d’Albanie. Il est inutile de mentionner la période de
la crise de Kossovo, où la République de Macédoine a été littéralement submergée
par les Albanais de Kossovo, dont le nombre officiellement enregistré au 9 mai
1999 s’élevait à 230,000. Bien que la majorité d’entre eux aient réintégré leur patrie,
nous sommes informés qu’une partie des Albanais de Kossovo ont choisi de résider
21
%
( j), le 14 avril 2003.
22
( j), No 209, 24 janvier 2003.
23
j 2000. j, 2000, 152-155.
13
ou continuent à s’installer en territoire macédonien. Le fait que de 1992 au début de
2003, la République de Macédoine a refusé la citoyenneté à 11,167 personnes, dont
50% d’Albanais, suivis par des immigrés qui se déclaraient musulmans24 , est signi-
ficatif des inconvénients du processus migratoire. La République de Macédoine est
devenue particulièrement attractive pour la population albanaise après l’entrée en
vigueur du Traité d’Ohrid de 2001, qui réglemente son statut. Ainsi, la mise en place
d’écoles ethniques mène à la perturbation du modèle traditionnel de cohabitation.
Dans les régions à population mixte, les parents des élèves macédoniens flairent «le
danger de la création d’un milieu ethniquement pur. On procéderait à l’albanisation
tacite de Kumanovo si l’on observait les décisions du Ministère de l’Éducation [de
la République de Macédoine, N. d. A.]. La décision de M. Položani [ministre de
l’Éducation de la République de Macédoine, N. d. A.] relative à la division ethnique
des élèves a mené à la formation d’un centre scolaire à l’intention des Albanais de
Preševo, de Medvedža et de Bujanovac.»25
Cet accroissement mécanique de la population a déjà abouti à l’augmentation
excessive des Albanais dans certaines localités. Ainsi, en 1971, le village d’Aračinovo
comptait 2,436 habitants, et en 1981, leur nombre est passé à 5,740; en 1971, le
quartier de Skopje Ilinden était habité par 2,495 personnes, dont le nombre est passé
à 4,077 en 1981; il en va de même pour Idrizovo, respectivement 1,562 et 2,292. Le
fait que ces 20 dernières années, il n’y a pas de cas enregistré de Macédonien qui ait
fait l’acquisition d’un patrimoine dans un village peuplé d’Albanais est particulière-
ment significatif, d’autant plus que les cas inverses se comptent par milliers. Ainsi
par exemple, en 1982, un Albanais vient s’installer au village de Badar et un autre,
au village de Blace (région de Katlanovo) pour y acquérir des terres. Le même pro-
cessus se poursuit en 1984, de sorte qu’en 1985, le nombre des Albanais nouvelle-
ment installés s’élève à 2226 . Ils sont pour la plupart des représentants de la jeune
génération, à la longue espérance de vie et, par conséquent, au potentiel élevé de
reproduction.
La migration de la population albanaise a amené à une extension considérable
du territoire habité par elle. Aujourd’hui, certains milieux continuent à prétendre
que seule la Macédoine Occidentale est peuplée d’Albanais. Or, les résultats du
recensement en 1994, montrent que cet état de choses a été modifié. Dans le tableau
15, je présente en pourcentage la répartition par communes de la population alba-
naise en République de Macédoine, d’après la division administrative au début de
200327 .
Tableau 15
24
( j), le 17 mai 2003.
25
( j), le 31 mars 2003.
26
, . Op. cit., 65-66.
27
Les données présentent une information abrégée de la page d’Internet de l’Institut national
des statistiques de la République de Macédoine.
14
10 25-50
7 15-25
10 5-15
29 0.01-5
42 moins de 0.01
28
, . Op. cit., 36.
29
( j), le 1er avril 2003; le 3 avril 2003.
30
( j), le 8 mai 2003.
31
Ibidem.
15
chologiques profondes. C’est à la suite du passage démographique qu’interviennent
de profonds bouleversements aussi bien à l’échelle régionale que mondiale. Ainsi,
dans les pays développés, le taux peu élevé de mortalité et l’espérance de vie pro-
longée, alliés à la dénatalité, ont abouti à l’instauration d’un équilibre démographi-
que fragile. Dans certains pays, la natalité est devenue inférieure à la mortalité, ce
qu’on désigne sous le terme de dépression démographique. Or, les populations des
pays en voie de développement n’étaient pas préparées à ces processus. Là, dans le
contexte d’une mortalité peu élevée, le taux de natalité a été maintenu à un niveau
assez haut, ce qui a eu pour conséquence l’explosion démographique. Des interdé-
pendances sont apparues entre les zones de dépression démographique et les zones
d’explosion démographique, qui s’exprimaient par une aspiration à une nouvelle
répartition interrégionale de la population et par les tendances globales de sa migra-
tion du Sud au Nord32 . Dans les zones de contact de ces deux groupes bien distincts,
on assiste parfois à la cohabitation de communautés ayant un comportement démo-
graphique différent, déterminé par les différences au niveau de leurs valeurs et par le
degré d’importance des changements socio-économiques et psychologiques.
Les théoriciens de la conception de la sécurité démographique et migratoire
ont analysé en détail les cas de pression démographique ou migratoire d’un État à
l’égard d’un autre. Mais personne jusqu’à présent n’a cherché à analyser le cas, où
dans le cadre du même pays, l’on assiste à une dépression démographique au sein
d’une partie de la population et à une explosion démographique au sein d’une autre
partie.
Le passage démographique se produit en République de Macédoine dans les
années 1960 et 1970. A cette époque, la longévité moyenne atteint 70 ans pour les
hommes et 75 ans pour les femmes33 . Il importe de noter que la longévité est la
même pour l’ethnie macédonienne et pour l’ethnie albanaise, ce qui est le résultat
direct des conditions socio-économiques identiques pour tous les citoyens de la
République de Macédoine, sans égard à leur appartenance ethnique. Il convient de
chercher d’ailleurs la raison de l’actuel déséquilibre ethnique dans le taux de natalité
modifié. Selon le connaisseur bulgare de l’ethnographie et de la statistique en Macé-
doine Vassil Kânčov, vers la fin du XIXe siècle, le taux de natalité chez les Bulgares
et les Albanais était à peu près identique. A cette époque, 3 ou 4 enfants revenaient
à une femme bulgare de la population urbaine et 4 ou 5, à une Bulgare de la popula-
tion rurale. A une Albanaise revenaient alors 3.5-4 enfants34 . Au début des années
50 (à la veille du passage démographique), une femme macédonienne (bulgare)
avait en moyenne 3.11 enfants, et une femme albanaise, 3.5235 . Nous assistons donc
à la modification du taux de natalité après le passage démographique. La natalité de
la population albanaise a baissé effectivement, mais à un degré bien inférieur que la
natalité de la population macédonienne. Pour le moment, nous n’assistons pas à des
changements considérables au niveau de la natalité de la population albanaise en
République de Macédoine36 .
32
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.
& " '.
, 2000, 59-62.
33
2000 World Population Data Sheet of the Population Reference Bureau. Book Edition.
Washington, 2000, p. 9.
34
, . Op. cit.,
. 346.
35
, . Op. cit.,
. 21.
16
Au milieu des années 1980, le Dr. Blaga Petrevska, démographe macédonien,
après avoir examiné le déplacement de la population, a formulé la conclusion rela-
tive à un double modèle de reproduction. D’un côté, nous sommes en présence d’une
natalité qui ne suffit pas à assurer la reproduction normale de la population et d’un
autre côté, nous assistons à une natalité, aboutissant à un accroissement de la popu-
lation, qui ne peut être assimilé par l’économie du pays. Sans s’appesantir sur les
aspects ethniques de son étude, B. Petrevska parvient à la conclusion que ce double
modèle de reproduction a le désavantage de retenir, voire d’exacerber les différen-
ces régionales, sociales et ethniques au niveau du développement démographique
en République de Macédoine37 . Il s’agit en pratique d’un modèle réduit de deux
territoires, nettement délimités par les processus de dépression démographique et
d’explosion démographique qui s’y déroulent. Il est évident qu’une nouvelle répar-
tition de la population y aura lieu, facilitée par le fait qu’il s’agit d’une migration
dans les confins du même pays.
* * *
Que résulte-t-il de tout ce qui vient d’être dit? Nous ne disposons pas de don-
nées objectives, permettant de procéder à des prévisions exactes, par années, au
sujet du développement futur des ethnies macédonienne et albanaise. Il ne faut pas
non plus fonder de grands espoirs sur les résultats du recensement de la population
en République de Macédoine, effectué en 2002. L’information recueillie a inévita-
blement été influencée par les conséquences du conflit ethnique armé, par l’absence
d’enregistrement d’une partie de la population albanaise, par l’omission d’inscrire
les nouveau-nés sur les registres civils, par l’absence de contrôle sur l’immigration,
etc. Aussi, avant même de proclamer les résultats, ceux-ci sont-ils devenus l’objet
d’interprétations politiques. On avait lancé l’affirmation que les Albanais en Répu-
blique de Macédoine n’étaient que 19%38 . A cette occasion, Ilyaz Halimi, vice-
président du Parti démocratique des Albanais a déclaré: «Il n’y a aucune logique
que les résultats soient inférieurs à ceux du recensement précédent. A en juger de la
natalité, le nombre doit être beaucoup plus élevé. En avançant des chiffres aussi bas,
quelqu’un cherche probablement à préparer le terrain pour un nombre définitif de
24 ou 25% et à apaiser de la sorte les Albanais. A mon avis, ce chiffre doit atteindre
réellement 30%.»39 Le fait qu’au début du mois d’avril, le gouvernement de la Ré-
36
Les Albanais en tant qu’ethnie accusent le taux de natalité le plus élevé en Europe. Il serait
pourtant erroné de transférer machinalement les indices de la natalité en Albanie à la natalité des
Albanais en République de Macédoine. Ainsi, jusqu’au début des années 1990, une mère en Albanie
avait en moyenne 3.02 enfants. Après les transformations démocratiques, à la suite de l’émigration
d’une partie considérable de la population en âge de se reproduire, on s’attend à voir baisser le taux de
natalité (Labour Market – Vocational Education and Training Assessment. Albania. Torino, 2001, p.
12). En revanche, les Albanais en République de Macédoine ne sont pas exposés à de tels change-
ments, du fait que depuis le début des années 1970, ils avaient la possibilité de se déplacer en toute
liberté. En outre, l’influence du facteur religieux en Albanie est beaucoup moins important.
37
Ibidem, p. 20.
38
Émission macédonienne de la radio Deutsche Welle, du 2 avril 2003; ( j), le
3 avril 2003; %
( j), le 3 avril 2003.
39
( j), le 4 avril 2003.
2, Études balkaniques 2 17
publique de Macédoine ait interrompu l’activité de la Commission nationale du
recensement, chargée d’organiser le recensement et d’en rendre publics les résultats
définitifs, est assez déconcertant40 .
Compte tenu des faits énoncés, on est en droit de se poser des questions sur
l’avenir démographique de la République de Macédoine. Je ne partage pourtant pas
l’opinion de L. Georgievski, selon lequel la nation macédonienne est menacée d’as-
similation. De nos jours, la notion de nation devrait être examinée comme une caté-
gorie politique et présenter l’addition de tous les citoyens (sujets) d’un État donné41 .
De ce point de vue, la République de Macédoine ne court pas le danger de se voir
dépeupler. Selon les prévisions des Nations-Unies, sa population doit compter en
2025 2,067,400 habitants, alors qu’en 2050, environ 1,893,700 habitants42 . Or, nous
ne sommes en présence jusqu’à ce moment d’aucune prévision sur le développe-
ment des différents groupes ethniques de sa population. Et pourtant, la statistique en
vigueur me permet de conclure que dans les quelques 20-30 années à venir, les
générations où les Macédoniens forment 65-75% quitteront la scène. Au bout de 10
ou 15 ans, la génération née au milieu des années 90 du XXe siècle sera à l’âge de
procréer, une génération où les Macédoniens forment déjà une minorité relative,
c’est-à-dire, au-dessous de 50%, suivis de l’ethnie albanaise (32-35%). Compte te-
nue de la natalité élevée de cette dernière, au bout de quelques 20-30-40 ans, les
Macédoniens se transformeront, de minorité relative en minorité absolue, dépassée
par l’ethnie albanaise qui, à condition de garder ses indices actuels de reproduction,
finira par former plus de 50% de la population.
40
( j), les 5-6 avril 2003.
41
Cette approche est formulée par la Convention européenne sur la citoyenneté. Son article 2
al. a) stipule que la notion de nationalité doit être interprétée comme une interrelation entre un individu
et un État, sans indiquer l’origine ethnique.
42
Department of Economic and Social Affairs. Population Division. World Population Ageing
1950-2050. United Nations. New York, 2002, p. 440.
18