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Modernité et postmodernité en architecture.

Jean-Louis Genard

Comme on le sait, c’est l’architecture qui a offert à la philosophie le concept de post-


modernité. Sa vocation au sein du champ architectural était, au départ du moins, tout à fait claire. Il
avait l’ambition de sonner le glas de la modernité architecturale, et, en particulier, de ses dérives
fonctionnalistes. Ce diagnostic a, je crois, été dramatisé avec le plus de force au début de l’ouvrage de
Ch. Jencks Le langage de l’architecture post-moderne (paru en 1979), dans cette phrase devenue
entretemps célèbre où Jencks écrit que « L’architecture moderne est morte à Saint-Louis, Missouri, le
15 juillet 1972, à 15h 32 », date du dynamitage de buildings fonctionnalistes. Toutefois, très
rapidement, cette profession de foi a excédé le champ de l’analyse architecturale de sorte que la
revendication postmoderniste s’est très vite présentée comme une critique radicale de la modernité, de
ses soubassements et de ses présupposés, répondant d’ailleurs ainsi à l’ambition englobante assumée
par le modernisme architectural dans ses diverses formes (Le Corbusier, Bauhaus,...).
Comme le soulignera Habermas, le postmodernisme prendra donc les traits d’un anti-
modernisme. Cela tout d’abord à un niveau interne au champ de l’architecture. C’est ainsi que Jencks
va par exemple procéder à l’inversion de toute une série de thèmes défendus par le modernisme,
exaltant à la fois l’ornement (qui n’est pas un crime), le vernaculaire, le traditionnel, l’éclectisme, le
symbolisme,… Toutefois, la critique de l’architecture moderniste ne se limitera nullement à la
dénonciation des erreurs de ses réalisations ou de ses insuffisances formelles. Au contraire, le
modernisme architectural va être présenté comme un des principaux symptômes des échecs, des
errances, de la mégalomanie,… de la modernité. La critique sera radicale en ce sens que les erreurs du
modernisme ne seront en rien imputées à des déficiences conjoncturelles mais bien à ses fondements
théoriques les plus profonds, et notamment à ses assises temporelles, en particulier à un progressisme,
le conduisant au mépris des acquis du passé et à des attitudes prométhéennes 1.
Au sein du champ philosophique, J. Habermas est sans doute l’auteur qui prendra avec le plus
de netteté le parti de défendre les idéaux de la modernité contre ses abandons post-modernes. Il le fera
tout à fait explicitement avec pour toile de fond la querelle autour du post-modernisme architectural.
Cette discussion sera notamment l’objet de deux articles intitulés Architecture moderne et
postmoderne et La modernité: un projet inachevé2.
Pour comprendre à la fois les insuffisances du postmodernisme architectural, mais aussi pour
saisir ce qu’il a pu apporter, je souhaiterais partir d’une brève discussion des thèses habermassiennes.

La thèse habermassienne et ses limites.

Dans le deuxième de ces articles, Habermas cherche à comprendre la spécificité du potentiel


émancipateur porté par la modernité esthétique. S’inspirant très largement de l’esthétique d’Adorno, et
subissant du même coup l’influence peu critique du poids de la sacralisation de l’art héritée du
romantisme, Habermas comprend avant tout l’expérience esthétique à partir de celle du « génie ».
C’est-à-dire à partir de cette capacité rare qu’ont certains artistes d’objectiver, de mettre en forme, la
richesse d’expériences subjectives qui ne se laissent pas enfermer dans les cadres de l’existence et des
modes de perception quotidiens. Comme Adorno, Habermas insiste sur les conditions qui ont autorisé
cette émancipation, à savoir le processus d’autonomisation de la sphère esthétique 3. Toutefois,
immédiatement, et toujours dans le droit fil des analyses de l’école de Francfort, Habermas croit
pouvoir déceler dans ce même processus d’autonomisation de la sphère esthétique (radicalisé dans la
1
Je me suis expliqué de manière détaillée sur cette critique des dimensions temporelles de la modernité dans un
article intitulé « Le temps de l’architecture », dans Documents d’architecture n°6, Actes du colloque organisé en
l’honneur de J. Aron sur le thème « La modernité: un projet inachevé », La cambre architecture, Bruxelles, 2000,
pp.
2
J. HABERMAS, « Architecture moderne et postmoderne », dans Ecrits politiques, Passages, Cerf, 1990, pp. 9-
24 et « La modernité: un projet inachevé » dans Critique, n° 413, octobre 1981, pp. 950-967.
3
p. 960.
revendication de l’art pour l’art), les risques de dérives dans lesquelles le potentiel émancipateur porté
par la modernité esthétique pourrait se perdre. Ce risque, c’est en fait celui de l’auto-référentialité de
l’art, celui d’un art devenu radicalement autonome, qui, tournant en quelque sorte à vide, ne
s’interroge plus que sur ses propres dimensions constitutives, comme sur sa propre autonomie. Ce sont
là clairement pour Habermas des impasses. A la fois donc lorsque l’art interroge ses propres
constituants (couleurs, lignes, mouvements, sons...), et lorsqu’il cherche à transgresser, mais en les
déniant simplement, les carcans de son autonomie. Ainsi écrit-il: « Toutes les tentatives pour combler
l’abîme qui sépare l’art de la vie, la fiction de la pratique, l’apparence de la réalité, toutes celles qui
veulent supprimer la différence entre l’artefact et l’objet utilitaire, entre ce qui est produit et ce qu’on
trouve dans la nature, entre la création qui donne forme et le mouvement spontané, celles qui
prétendent faire de l’art avec n’importe quoi et de chaque homme un artiste, abolir les critères,... toutes
ces démarches... se laissent analyser dans la catégorie du nonsense... »4. Et plus loin: « le sens
désublimé et la forme déstructurée ne laissent rien derrière eux, ils n’ont aucun effet libérateur »5. La
critique porte d’abord sur le surréalisme, mais comme les énumérations précédentes le laissent
clairement entendre, ce qui est visé va bien au-delà, et englobe potentiellement l’ensemble de ce que
Nathalie Heinich appelle l’art contemporain en opposant celui-ci à l’art moderne 6.
Cette critique, Habermas l’opère bien entendu contre les tentations auto-référentielles de l’art
contemporain, tout en admettant que des productions artistiques réussies nécessitent l’intégration
d’une culture spécialisée. C’est la raison pour laquelle il envisagerait sans doute comme simplement
démagogique le slogan selon lequel chacun est un artiste qui s’ignore. Mais, contre la tentation auto-
référentielle, il insiste surtout sur le fait que la réussite esthétique dépend fondamentalement de la
capacité de l’oeuvre à « explorer l’existence », à en (ré)organiser les significations, à enrichir les
structures du monde vécu. Dès lors, pour lui, la confrontation à une oeuvre d’art réussie est non
seulement susceptible de susciter une expérience esthétique, mais de réorienter aussi l’existence sur les
plans cognitifs et normatifs7. Il retrouve là une idée proche de celle associée généralement au concept
de souveraineté de l’art théorisé le plus clairement par G. Bataille, mais qui est également sous-jacent
au travail de Th. Adorno8.
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Or, ce concept de souveraineté de l’art est intéressant parce qu’en présupposant une puissance
déstructurante des productions artistiques sur des sphères d’activités non esthétiques, elle donne à l’art
un statut particulier qui l’éloigne de l’ambition moderniste. Celle-ci s’inscrivait en effet dans un projet
émancipateur global couplant l’émancipation artistique, avec les processus d’émancipation socio-
politique et les processus d’émancipation scientifique (les découvertes scientifiques du début du
siècle). Le concept de souveraineté de l’art libère au contraire potentiellement l’émancipation
esthétique de cette dépendance forte par rapport aux autres formes d’émancipation. Et donc, les
productions artistiques réussies, réellement émancipatrices, ne le sont pas parce qu’elles s’adjoignent
un discours politiquement émancipateur, mais parce qu’elles portent en elles un potentiel déstabilisant
susceptible d’obliger à un retour sur les cadres perceptuels et/ou cognitifs habituels, parce qu’elles
nous forcent à sortir des modes de compréhension communément à l’oeuvre. Cela n’excluant bien
entendu pas que cette déstabilisation puisse affecter aussi nos modes de compréhension sociaux ou
politiques.

Statut très ambivalent parce qu’un art qui peut se découpler de visées d’émancipation socio-
politique, peut évidemment aisément entrer dans un jeu de concessions à l’ordre établi. Mais en même
temps, on en peut plus a priori écarter une production artistique contemporaine simplement au nom de
son auto-référentialité dès lors que l’on admet qu’une oeuvre étayée sur l’autonomie de l’art peut aussi
4
p. 961.
5
p. 962.
6
N. HEINICH, Le triple jeu de l’art contemporain, Minuit, Paris,
7
en particulier pp. 964-965.
8
Sur ce poin, on peut se reporter à l’ouvrage de Ch. MENKE, La souveraineté de l’art,l’expérience esthétique
après Adorno et Derrida, Armand Colin, Paris, 1993.
bien affecter, en les déstabilisant, des représentations ou des états de choses non esthétiques et exercer
ainsi une puissance émancipatrice qui excède le seul champ esthétique.

Limiter l’analyse de l’art contemporain à l’auto-référentialité et rassembler le tout sous le


couvert du conservatisme est réducteur, en tout cas pour ce qui concerne mon propos, à savoir le
champ esthétique.

Si j’insiste sur cette proximité avec G. Bataille, c’est parce que c’est en fait au nom de cette
conception de l’esthétique que Habermas récusera à la fois le post-modernisme architectural qui est
l’occasion de son article, mais aussi ce qu’il appelle les trois conservatismes parmi lesquels il range
une filiation « bataillienne ».

Déceler une contradiction entre l’ambition prêtée à la sphère esthétique et la critique sévère
qu’il semble faire de la plupart des courants de l’art contemporain.

+++++++++++++++++++

L’analyse que Habermas propose de l’architecture contemporaine est en fait une analyse
tragique. D’une part, il demeure tendanciellement attaché à l’image de l’art héritée du romantisme, qui
associé celui-ci à l’idée de réconciliation. Ses analyses du modernisme architectural dissimulent mal
un enthousisame, avant tout lié au fait que le projet moderniste visait à « investir la totalité des
manifestations de la vie sociale »9. Mais, en même temps, et notamment parce qu’il s’agit d’un art qui
ne peut évidemment se libérer de ses exigences fonctionnelles, l’architecture aujourd’hui n’est plus
susceptible d’assumer un tel programme de réconciliation au sein de sociétés hautement différenciées.
Bref, la crise de l’architecture moderne est avant tout due au fait qu’elle a « complaisamment accepté
de répondre à des exigences qui la dépassent »10

C’est peut-être parce qu’il demeure prisonnier d’une conception exagérément exigeante de
l’art que Habermas ne se donne pas les moyens de comprendre et de saisir la portée potentiellement
émancipatrice des courants architecturaux contemporains, et que ses analyses demeurent imprégnées
d’une nostalgie en faveur d’un modernisme dont il reconnaît pourtant l’impuissance. Il est d’ailleurs
très significatif d’observer que cette vision nostalgique d’une architecture aux prétentions englobantes,
cherchant comme il le dit à articulier formes et fonctions, conduit Habermas à jeter un regard positif
sur un courant, représenté notamment par Lucien Kroll, dont l’intérêt réside essentiellement dans le
dialogue avec les futurs utilisateurs, de manière à imprégner les processus de conception architecturale
des contenus de sens propres au monde vécu, évitant ainsi les tendances au décrochement, comme les
tendances de l’architecture à se soumettre à des logiques propres aux sous-systèmes dont elle dépend
directement, les sous-systèmes économique et politique.

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Les arguments philosophiques que Habermas adresse à ce qu’il appelle les « jeunes
conservateurs » d’inspiration nietzschéenne sont généralement acceptables 11. Je crains par contre
qu’ils lui interdisent de saisir la richesse esthétique du post-modernisme esthétique qui s’en inspirera,
ou qui croira trouver chez ces auteurs des justifications théoriques satisfaisantes. En effet, dans le
champ architectural, la novation esthétique de ces dernières années est principalement venue
d’architectes qui ont fait un usage extraordinairement abondant de références philosophiques puisées
chez les théoriciens français de la déconstruction (Deleuze, Derrida, Baudrillard, Lyotard,...).
Autrement dit, ils ont alimenté leurs critiques qui étaient d’abord celles du modernisme
architectural, de critiques radicales des valeurs de la modernité, assumant par exemple, souvent avec
une grande naïveté, les thèmes de l’anti-humanisme, du différend, de la présence,... ou encore d’une
9
Architecture moderne et postmoderne, op. cit., p. 17.
10
Ibid., p. 20.
11
La formulation la plus systématisée de cette critique se trouve dans Le discours philosophique de la modernité.
critique radicale de la raison (identifiée à la seule raison instrumentale qu’aurait assumé le
modernisme architectural) qui les fait évidemment tomber sous l’argument habermassion de la
contradiction performative, à moins qu’il ne réfèrent la valorisation de l’esthétique à des concepts
réunificateurs comme ceux de volonté de puissance, d’être, de puissance vitale, de force dionysiaque...
Concepts qui ne peuvent être qu’invoqués, et qui font retomber l’argumentation sous le coup de la
critique de la métaphysique, et/ou sous l’argument habermassien selon lequel ils ne cherchent qu’à
procéder à une remythification du monde qui nous reporte en-deçà de la différenciation moderne des
sphères de représentation culturelles (Vrai, Bien et Beau)

L’art devient là l’activité salvatrice par excellence. Dans un monde désormais désenchanté, il reprend
en fait l’espace laissé vide par la religion. Cette voie, qui renoue avec les apories de la métaphysique,
tombe immédiatement sous le coup de l’argumentation habermassienne. La seconde est plus
intéressante parce qu’elle prête à l’art non plus une capacité de réunifier le monde, mais simplement
celle d’interroger, de faire entrer en crise nos représentations du monde, que ce soit celles liées aux
structures du monde vécu (nos modes habituels de perception par exemple,...), ou celles liées à des
formes spécialisées de rationalité (par exemple les dérives instrumentales de cette rationalité). La
meilleure attestation de cette seconde voie -qui n’implique en rien, contrairement au propos
romantique, une dédifférenciation des trois sphères de représentations culturelles)- se situe peut-être
dans le fait que la référence au beau n’exerce plus de monopole sur la production artistique
contemporaine. Une référence qui, interne à l’art, est impuissante à rendre compte de cette nouvelle
attente associée à l’art contemporain, et que cherche, je crois, à théoriser le concept de souveraineté.

La question essentielle est, à mon sens, de savoir si le potentiel émancipateur propre à la


modernité esthétique a de fait été renié par le postmodernisme artistique ou si, au contraire, on ne peut
pas légitimement percevoir dans celui-ci une reprise, voire certaines formes de réinterprétation ou
même de radicalisation de la modernité, et, en particulier de la modernité esthétique. Je crois par
exemple que l’accusation d’auto-référentialité que l’on porte si souvent à l’encontre de l’art
contemporain mérite d’être réfléchie plus en profondeur. Ainsi, l’expérience des ready made
(clairement visée dans l’énumération précédente de Habermas) est à la fois auto-référentielle
puisqu’elle se présente, on ne peut plus nettement, comme une interrogation sur les conditions de
possibilité de l’art, mais il est tout aussi incontestable qu’elle oblige à une réorganisation des structures
du monde vécu, de nos rapports aux catégories esthétiques, des modes d’imposition des valeurs
artistiques,... Qu’on apprécie ou non les expériences de l’art le plus contemporain, il me paraît
indéniable que sa faculté de subversion et de déstabilisation s’est exercée très largement (et pas
seulement sur les catégories de l’esthétique héritée), obligeant celui qui y est confronté à une
redistribution de ses catégories perceptuelles, émotionnelles ou cognitives.

++++++++++++++

Toutefois, pour affronter cette question, sans doute convient-il de distinguer différentes
réponses apportées à celle du « dépassement » de la modernité. Je les distinguerai à partir d’une
tentative de regroupement sur des critères essentiellement architecturaux. Ces distinctions sont des
types idéaux qui ne recouvrent pas exactement les identifications des personnes qui, elles, peuvent
parfaitement, dans leurs oeuvres, transgresser ces frontières.

Il s’agit ici à la fois de passer en revue différents courants qui se sont revendiqués avec plus ou
moins de virulence du postmodernisme, mais aussi de saisir quels sont les soubassements théoriques et
les ambitions esthétiques portés par ces différentes tendances. Comme on le verra, dans les deux
premiers cas, la revendication postmoderne ne me semble pas réellement honorée, soit que l’on
demeure dans le registre esthétique moderne tout en l’habillant d’une rhétorique postmoderne, soit
que, comme le remarque Habermas, l’ambition de dépassement ne couvre en réalité qu’une régression
conservatrice.

Le dépassement rhétorique.
J’évoquerai tout d’abord ce que j’appellerais volontiers un postmodernisme rhétorique. C’est-
à-dire un postmodernisme qui se revendique comme tel tout en demeurant manifestement attaché aux
formes héritées du modernisme architectural. Ce qui est frappant ici, c’est très clairement le fait que le
modernisme s’est imposé comme style, mais dans un contexte où la valorisation et la légitimation
esthétiques requièrent la référence à l’innovation, à la rupture. Bref, il s’agit ici de présenter dans le
registre de l’avant-gardisme des oeuvres qui, en réalité, s’inscrivent dans une filiation directe avec les
formes héritées du modernisme. A bien des égards, l’influence de Le Corbusier, du Bauhaus, du
mouvement De Stijl ou encore du constructivisme russe transparaît dans nombre de production qui se
revendiquent du postmodernisme. On peut ici citer un ensemble d’architectes que Charles Jencks, un
des théoriciens du postmodernisme passéiste, appelle les « modernes tardifs ». R. Meier,...
Ce qui est toutefois frappant dans cette version du posmodernisme, c’est l’abandon résolu des
ambitions sociopolitiques du modernisme initial. Le modernisme est devenu simplement un style
manié avec plus ou moins d’habileté.

Modernisme comme style. Abandon total du projet socio-politique conforme aux idéologies
postmodernes.

Le postmodernisme version passéiste.

Si on se limite au champ architectural, on peut suivre sans peine la critique de Habermas en ce


qui concerne son rejet du post-modernisme des « vieux conservateurs » qui en appellent, contre le
modernité, à la réhabilitation de traditions passéistes, et dont les oeuvres s’apparentent souvent à une
redécouverte de l’éclectisme, quand ce n’est pas à du kitsch, le cas échéant revendiqué positivement.
Nous sommes là dans une esthétique de l’agrément qui fait particulièrement bon ménage avec les
exigences du développement économique et, en particulier touristique.

Rhétorique de signes compatibles avec la tentation postmoderne à l’équivalence des discours, une
attitude propice à l’éclectisme.
Façadisme.
Ajouter disneyification....
Rejoins une tradition bien ancrée dans la réflexion architecturale, celle qui accorde un statut normatif,
exemplaire au passé (Sitte, Ruskin, Viollet Le Duc,...)

Les trois dernières formes décelables à l’intérieur du postmodernisme architectural sont bien
plus intéressantes. En particulier parce que toutes maintiennent et assument clairement l’ambition forte
de la créativité et de l’innovation architecturale, et cela sur base d’une critique de la modernité,
souvent d’ailleurs considérée comme n’ayant pas véritablement honoré ses ambitions.
S’il est un élément qui permet de les rassembler, peut-être le trouverait-on dans leur critique
commune de la raison, une critique qui, toutefois, s’opère dans des voies différentes.

Le postmodernisme, version déconstructiviste.

Le premier versant est celui qui assume le plus explicitement l’héritage de la déconstruction
philosophique.
Avec le déconstructivisme architectural, nous sommes en fait dans une toute autre
configuration intellectuelle. Loin de défendre un anti-modernisme qui se nourrit de références
passéistes, il s’agit ici, tout au contraire, d’assumer le dépassement radical des acquis du modernisme
architectural considéré comme un « nouveau classicisme »12. C’est l’héritage de ce nouveau
classicisme, devenu souvent « style » chez ses continuateurs contemporains, compromis dans ses
dérives fonctionnalistes,... qu’il s’agit d’interroger.
Le texte inaugural du courant déconstructiviste est peut-être l’article de Mark Wigley,
présentant l’exposition consacrée à la déconstruction, organisée en 1988 au MOMA (Museum of
modern art) de New-York, et dont le commissaire principal était Philip Johnson. Le travail analysé et
regroupé sous l’appellation déconstructivisme est celui de Frank Gehry, Daniel Libeskind, Rem
Koolhaas, Peter Eisenman, Zaha Hadid, Bernard Tschumi et, enfin, le collectif Coop Himmelblau.
L’ambition annoncée est celle de reprendre là où il avait été laissé (c’est-à-dire sans réalisation
concrète) le propos du constructivisme russe. Il s’agit de briser « the classical rules of composition, in
which the balanced, hierarchical relationship between formes creates a unified whole. Pure forms
were now used to produce « impure », skewed, geometric composition »13. Il ne s’agit donc pas là
d’abandonner le principe de la composition. Tout au contraire. Et c’est bien un des éléments qui
éloigne fortement cette tendance déconstructiviste de la tendance phénoménologique. Il s’agit au
contraire d’inventer à chaque fois de nouvelles formes de composition qui cherchent à perturber les
manières habituelles de nous rapporter à l’espace, en subvertissant ce qui paraît être la constante de
l’architecture classique et moderne, la recherche de la stabilité: « What is being disturbed is a set of
deeply entrenched cultural assomptions which underlie a certain view of architecture, assumptions
about order, harmony, stability and unity »14. Pour spécifier cette architecture, Wigley évoque les
termes « disruption, dislocation, deflection, deviation and distorsion », y compris par exemple avec le
contexte15.
Dans un texte intitulé .............. , Peter Eisenman dira de l’ambition déconstructiviste qu’elle ne
fait que rattraper un retard. Contrairement aux autres disciplines artistiques, l’architecture n’aurait en
effet, selon lui, pas opéré sa révolution intérieure, comme l’ont fait la littérature avec Joyce par
exemple, ou les arts plastiques avec Duchamp ou Beuys. Avec le modernisme architectural, c’est bien
plutôt à une soumission à la raison instrumentale, dans sa version fonctionnaliste, que l’on assiste.
L’esthétique du déconstructivisme apparaît clairement comme une esthétique de la négativité.
Il ne s’agit pas, contrairement au modernisme architectural, de promettre un nouveau style, une
nouvelle cohérence, encore moins de s’appuyer sur un projet social ou utopique. Le constat socio-
politique est bien celui de la fin des idéologies, tel que le théorisera Jean-François Lyotard. C’est
pourquoi le déconstructivisme refuse l’appellation avant-gardiste. « Even though it thratens this most
fundamental property of architectural objects, deconstructivist architecture does not constitute an
avant-garde. It is not a rhetoric of the new... It exploits the weaknesses in the tradition in order to
disturb rather than overthrow it. »16. On retrouve l’image de la déconstruction, telle que la théorisera
Derrida (références).
Le travail des déconstructivistes s’opérera ainsi autour d’une volonté de transgressions
systématiques des codes architecturaux qui ont fait le classicisme et le modernisme architectural:
centralité, hiérarchie, fonctionnalité (on connaît ainsi les piliers ou les escaliers non fonctionnels de
certaines maisons de Eisenman), symétrie, gravité,... La déconstruction ne se limitera d’ailleurs pas
aux ordres architecturaux, mais aussi à leur mode de composition. C’est ainsi que Derrida proposera
d’abandonner la référence à l’idée même de projet, liée selon lui à des résidus humanistes, à une
volonté de laîtrise bien caractérisitiques de l’humanisme occidental.

Celui-ci exercera d’ailleurs une influence considérable sur cette version du postmodernisme
architectural

Déconstruction qui n’est pas destruction (Matta Clarck). Mais qui n’offre pas l’espoir d’une
reconmposition. Esthétique de la négativité.

12
Selon l’expression de P. Eisenman
13
M. WIGLEY, « Deconstructivist architecture » dans Deconstrucivist architecture, The Museum of modern art,
New-york, 1988, p. 11.
14
Ibid., p. 19-20.
15
Ce qui annonce la phrase où Rem Koolhaas déclare « I fuck context ».
16
M. WIGLEY, op. cit., p. 18.
Le postmodernisme, version phénoménologique

Dans ce second courant, la critique de la rationalisation se fait au nom de l’ambition


phénoménologique de réhabilitation du corps et de la sensibilité. Bref, la critique est là que le
processus de rationalisation qui, depuis Descartes et Galilée, voire depuis la grande philosophie
grecque, a dominé la culture occidentale, s’est opéré au prix du refoulement, de l’oubli, de la réduction
de la sensibilité. C’est la pensée rationnelle, essentiellement mathématique qui a dominé la conception
architecturale. Le principal théoricien de ce courant est sans doute Arturo Perez-Gomez qui est entre
autres l’auteur d’un ouvrage, fortement inspiré de l’hypothèse heideggérienne d’un arraisonnement du
monde par la science et la technique, intitulé L’architecture et la crise de la science moderne, qui a
également participé à des revues d’architecture et notamment à un numéro de la revue japonaise a+u17
(Architecture et urbanisme) consacré au thème Questions of perception (sous-titré Phenomenology of
architecture) avec notamment l’architecte Steven Holl. L’hypothèse développée par Perez-Gomez
dans ses différents ouvrages est que la culture occidentale, et en particulier l’architecture occidentale, a
connu un tournant radical avec l’entrée dans la modernité, et notamment avec le processus de
mathématisation ou de géométrisation de l’espace. A l’expérience sensible d’un espace construit à
partir du corps, tel que l’illustre la chôra platonicienne ou telle que la met en évidence l’espace de la
danse lorsque celui-ci est engendré par le mouvement et les relations spatiales des danseurs, se
substitue progressivement une expérience formalisée et « dé-corporéisée » de l’espace. « Le fait de
supposer que que l’architecture puisse tirer sa signification du fonctionnalisme, d’un jeu de
combinaisons formelles, de la cohérence ou du rationalisme d’un style (compris comme langage
ornemental), ou de l’utilisation d’un type comme structure génératrice dans le processus
d’élaboration du projet, marque l’évolution de l’architecture occidentale pendant les deux cents
dernières années... La théorie, ainsi réduite à un système ayant ses propres références, dont les
éléments doivent être combinés au moyen de la logique mathématique, peut prétendre à ce que ses
valeurs et par conséquent sa signification, dérivent du système lui-même »18. Là trouve donc sa source
une théorie de l’architecture où l’expérience de l’espace semble déductible, théorisable et donc peut
être générée à partir d’un agencement de formes dont la raison est essentiellement mathématique. Bref,
l’architecture se déconnecte progressivement de l’expérience du corps. La conception architecturale
devient lentement une méthodologie. L’espace devient représentation et décor, soumis à des règles de
composition, à l’intérieur duquel viennent ensuite prendre place les activités. L’architecture devient
simplement un cadre. Ce qui se perd là c’est la capacité de l’architecture de signifier et de symboliser,
c’est sa dimension poétique.

Malgré une indéniable influence heidegérienne, Perez Gomez ne verse pas dans l’hypothèse
d’un arraisonnement sans reste. Au contraire, il décèle dans l’histoire de l’architecture un ensemble de
résistance. Piranèse, Lequeu, Gaudi, certaines oeuvres de Le Corbusier, Aalto, et aujourd’hui, des
architectes comme Daniel Libeskind, John Hedjuk ou Steven Holl.

Le postmodernisme version scientifique

Dans cette troisième version, le thème de la critique de la raison demeure toujours bien
présent, mais il prend une forme bien spécifique. Plutôt que d’une critique de la raison scientifique ou
fonctionnelle, il s’agit de mettre en question la dimension réductrice des formes de rationalisation qui
ont dominé la pensée occidentale, et en particulier des formes de rationalisation liées aux sciences
classiques, héritées du cartésianisme, voire des théories scientifiques du début de siècle. Bref, là
l’ambition est d’intégrer dans le processus de conception et de création architecturales les acquis des
sciences les plus contemporaines, et de se libérer parallèlement des présupposés et des implications
des sciences classiques, supposées correspondre à la fois à un état de développement des savoirs et à
Il s’agit du numéro spécial de juillet 1994.
17

A. PEREZ-GOMEZ, L’architecture et la crise de la science moderne, Architecture+recherches, Mardaga,


18

Bruxelles, 1987, p. 12.


un état des formes sociales et des dispositifs de représentation. Bref, la prétention est ici d’opérer une
« nouvelle révolution galiléenne », plutôt que d’échapper à ses présupposés logiques et perceptuels.
Comme les formes de la représentation classique sont dépendantes de la découverte de la perspective,
comme l’art moderne est incompréhensible sans la découverte de la quatrième dimension, il s’agit
maintenant de penser une architecture à la hauteur des théories de la complexité, du chaos, des
catastrophes, des flux, des processus, de la topologie plutôt que de la métrique,... Il s’agit aussi
d’adapter les modes de représentation à l’évolution des technologies de la communication, et de
penser la conception architecturale à l’aune des possibilités de l’informatique. Bref, de sonner le glas
des représentations perspectives ou axonométriques, ou encore des maquettes, pour tirer notamment
parti des possibilités du virtuel, mais pour inventorier une multiplicité de possibilités
représentationnelles de plus en plus attachées d’ailleurs à la conception même de l’oeuvre
architecturale, alors qu’auparavant les techniques de représentation jouissaient d’une autonomie
propre, dans laquelle venait, ensuite, s’inscrire le projet.
Il s’agit aussi de rompre le privilège de la seule géométrie sur la conception et la
représentation architecturale, mais de s’ouvrir aussi, à ce niveau, à des disciplines plus nombreuses et,
en particulier des disciplines de la vie (comme la biologie,...), fort de la conviction qu’entre disciplines
étudiant le vivant et le non vivant, l’humain et le non humain n’existent pas les solutions de continuité
instaurées, depuis Descartes, par la tradition moderne. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’ambition
« post-humaniste » de quelqu’un comme Gregg Lynn, un post-humanisme qui se nourrit, dans la
foulée -on ne peut plus problématique- de la sociobiologie, des travaux de Maynard Smith et de
Dawkins- sur la substitution de la référence au gène à celle, traditionnelle, dans l’architecture classique
aussi bien que moderne (pensons au modulor de Le Corbusier) privilégiant l’homme.

Gregg Lynn
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Avec ses prémisses, et parce qu’ils les condamne a priori philosophiquement, Habermas s’interdit de
saisir en quoi l’art contemporain qu’il rangerait sans doute dans le groupe « jeunes conservateurs » a
pu à la fois se nourrir de questionnements sur les structures héritées du monde vécu, s’appuyer sur les
transformations du monde vécu propre aux jeunes générations et à leur environnement spatial et, en
retour, enrichir le monde vécu en produisant des expériences novatrices de l’espace.

Ses critiques sont pertinentes si l’objet est le post-modernisme style Bofill, venturi,.... Son
raisonnement est que les dérives de la modernité esthétique ne peuvent que conduire à des tentatives
de réhabilitation et à des néo-conservatismes.

Dans ces textes, Habermas déplore avant tout l’abandon de la force émancipatrice que portait
la modernisation culturelle.

Habermas a raison de s’inquiéter de la dissociation de l’art d’avec l’expérience quotidienne, de la


désolidarisation de l’émancipation esthétique d’avec l’expérience morale ou politique. Et c’est
certainement une des questions qui doit être posée au post-modernisme architectural que d’avoir
largué le projet politique émancipateur du modernisme initial.

La critique que Habermas porte sur les différents conservatismes post-modernes, et en fait anti-
modernes se fait en réalité au nom d’un relatif conservatisme artistique, qui, à mon sens, lui interdit,
en quelque sorte a priori de saisir ce que peut avoir de riche le post-modernisme.

Eisenman: l’architecture n’a pas fait sa révolution comme les autres disciplines artistiques. Le
Corbusier et le Bauhaus demeurent somme toute des classiques et l’architecture se cherche en fait
encore ses James Joyce et ses Barnett Newman.

Spécifcité de l’architecture. Référence à l’Habiter et donc le statut d’autonomie de l’architecture ne


peut pas se poser comme celui des autres arts. Auto-référentialité dans les houses de Eisenman.

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