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Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

L'antinomie de l'autonomie: Benjamin, Adorno et les enjeux d'une esthétique critique


Author(s): JACQUES-OLIVIER BÉGOT
Source: Archives de Philosophie, Vol. 80, No. 2, L'esthétique, tout simplement (AVRIL-JUIN
2017), pp. 231-245
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44840387
Accessed: 31-12-2022 07:52 UTC

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Archives de Philosophie 80, 2017, 231-245

L'antinomie de l'autonomie
Benjamin, Adorno et les enjeux d'une esthétique critique

JACQUES-OLIVIER BÉGOT
Université Paris Diderot - Paris VII

Dans les nombreux textes qu'ils consacrent aux arts dans les années
1930, Benjamin et Adorno mettent en œuvre deux des orientations que
Horkheimer définit comme caractéristiques de la « théorie critique » : à la
différence de la « théorie traditionnelle », la théorie critique doit avoir
conscience de son historicité et se savoir guidée par un intérêt à l'émancipa-
tion. Transposées dans le champ de l'esthétique, ces deux exigences impli-
quent d'une part de réviser de fond en comble les catégories traditionnelles
afin de mieux prendre en compte les bouleversements des pratiques artis-
tiques introduits par les avant-gardes, d'autre part de déterminer quelles
œuvres demeurent encore fidèles à cette promesse d'émancipation dont la
réalisation à l'échelle de la société paraît toujours plus gravement menacée.
Partant de ces présupposés communs, Benjamin et Adorno en viennent
pourtant à des conclusions très différentes : tandis que le premier décèle dans
l'évolution des techniques de reproduction des œuvres un potentiel révolu-
tionnaire susceptible de faire pièce à « l'esthétisation de la politique » prati-
quée par le fascisme, le second diagnostique dans les nouvelles formes musi-
cales telles que le jazz et la musique « légère », ainsi que dans la diffusion du
répertoire classique à la radio, la source d'une « régression de l'écoute » aux
conséquences politiques ruineuses. Dans ce débat qui engage à la fois la défi-
nition de l'œuvre d'art et la nature de la relation esthétique, l'idée d'auto-
nomie devient un enjeu stratégique crucial : faut-il prôner, comme le fait
Benjamin en conclusion de « L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité
technique », une « politisation de l'art » qui ne peut qu'abolir l'existence
d'une sphère artistique séparée du reste des pratiques sociales? Ou bien faut-
il, à l'inverse, préserver cette autonomie comme ultime refuge et unique
levier d'une résistance au règne sans partage de la forme-marchandise? Entre
ces deux pensées critiques si étroitement liées par ailleurs, cette probléma-
tique marque donc une cassure profonde dont les traces persistent jusque
dans les derniers textes d'Adorno, y compris la Théorie esthétique . Est-ce à
dire qu'il faille déclarer définitivement inconciliables les positions respectives

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de Benjamin et d'Adorno et s'empresser de prendre parti?


plus juste la portée de ce différend et ses conséquences 1, il
de repartir de l'expression du désaccord le plus flagrant et d
les présupposés, pour finir par reconnaître l'existence d'un p
les positions de l'un et de l'autre se recoupent.
* *

Dans une longue lettre datée du 18 mars 1


cussion serrée les thèses développées par
l'époque de sa reproductibilité technique
diagnostic demeuré célèbre d'un « déclin de
possibilités techniques de reproduction d
n'existent plus sous forme d'objets uniqu
hic et nunc qui garantit leur authenticité, m
culent en d'innombrables exemplaires qu
œuvres perdent l'aura qui les entourait
revue de l'Institut de recherche sociale d
Benjamin ne se présente pas simplement com
de fond, mais se veut également, en 1936, u
mique dans un contexte idéologique et po
publication initiale que sa redécouverte
également sur un double registre, la disc

1. Tranchant sur l'ordinaire des prises de parti pr


minutieuse de la controverse proposée par R. Wolin m
Wolin, Walter Benjamin. An Aesthetic of Redemp
Press, 1982, chap. 6, « The Adorno-Benjamin Dispute
Birgit Recki, Aura und Autonomie. Zur Subjektiv
Theodor W. Adorno , Würzburg, Königshausen u. N
de Burkhardt Lindner, « Kritik und Weiterarbeit. Z
in M. Quent et E. Lindner éd., Das Versprechen de
ästhetischer Theorie , Berlin/Vienne, Turia + Kant,
2. Sur ces questions, il faut désormais se reporte
Lindner dans le cadre de la nouvelle édition critique
Benjamin (cf. Werke und Nachlaß. Kritische Gesam
Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit , éd
particulier p. 319-375 [désormais noté WuN, 16, suiv
Adorno à Benjamin se réfère à la « troisième version
n'existe pas, à ce jour, de traduction proprement dit
la Zeitschrift für Sozialforschung , fruit du travail
l'auteur et des modifications imposées par Horkheim
sion. Du point de vue de l'histoire de la réception, c'e
Benjamin) qui a joué un rôle déterminant (cf. « L'œu
technique », trad. M. de Gandillac, revue par R. Roch
Gallimard, « Folio-essais », 2000, p. 269-316).

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Benjamin, Adorno : les enjeux d'une esthétique critique 233

situe pas uniquement sur le plan théorique, mais comporte des résonances
politiques elles-mêmes surdéterminées par des questions plus personnelles
qui trouvent à se cristalliser autour du nom de Brecht. A maints égards, cette
lettre peut être considérée sinon comme le point de départ, du moins comme
la matrice de toute la critique de ce qu'Adorno va finir par appeler « l'indus-
trie culturelle ».

Si cette critique creuse l'écart avec les positions défendues par Benjamin,
il faut toutefois commencer par rappeler que, dans ce débat, les points d'ac-
cord ne sont pas complètement absents. Comme le reconnaît Adorno lui-
même, ses objections ne peuvent se formuler qu'à partir de présupposés par-
tagés, notamment la nécessité de terrasser ce que Benjamin avait surnommé,
dans un article antérieur, « l'hydre de l'esthétique scolaire [...] avec ses sept
têtes : créativité, empathie, intemporalité, re-création, participation, illusion
et jouissance artistique3 ». Qualifiant même le travail de Benjamin d'« extra-
ordinaire », Adorno y voit se poursuivre une double délimitation décisive :
« Dans ceux de vos écrits dont la grande continuité me semble intégrer ce
dernier travail, vous avez disjoint le concept de l'œuvre d'art, en tant que
création [ Gebilde' , tant du symbole de la théologie que du tabou magique4. »
A ses yeux, les réflexions sur l'œuvre d'art approfondissent la révision de la
terminologie esthétique engagée notamment dans le livre consacré au
Trauerspiel.
Ces éloges ne tardent cependant pas à céder la place à une critique sévère
qui s'organise autour de deux points principaux : d'une part, Adorno refuse
de partager les espoirs que Benjamin place dans les œuvres produites grâce
aux nouveaux procédés de reproductibilité technique. D'autre part, il ne
peut accepter que, sans introduire la moindre nuance, Benjamin rejette tout
art autonome comme étant par définition contre-révolutionnaire et aille
jusqu'à affirmer une continuité entre l'art pour l'art et le fascisme.
D'une formule dont il souligne lui-même la valeur synthétique, Adorno
désigne le foyer de la controverse : « Vous sous-estimez la technicité de l'art
autonome et surestimez celle de l'art dépendant ; ce serait peut-être là, ron-
dement dit, mon objection principale5. » Cette divergence d'appréciation,
qui entend prendre doublement en défaut les critères d'évaluation mobilisés

3. Walter Benjamin, « Histoire littéraire et science de la littérature » (1931), trad. P. Rusch,


in Œuvres , t. II, Paris, Gallimard (Folio-essais), 2000, p. 278; Gesammelte Schriften , éd.
R. Tiedemann et H. Schweppenhausen t. III, Kritiken und Rezensionen , Francfort-sur-le-Main,
Suhrkamp, 1972, p. 286 (désormais noté GS , III, 286).
4. Theodor W. Adorno - Walter Benjamin, Correspondance 1928-1940 , éd. H. Lonitz,
trad. Ph. Ivernel, Paris, La Fabrique, 2002, p. 147; Briefwechsel 1928-1940 , Francfort-sur-le-
Main, Suhrkamp, 1994, p. 169.
5. Ibid., p. 151 ; Briefwechsel , p. 173.

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par Benjamin (sous-estimation d'un côté, surestimation de


elle-même à un problème plus fondamental, dont l'évoca
revient à maintes reprises dans les lettres adressées par Ad
tout au long des années 19306: ces réflexions sur l'œuvre d
manque de dialectique. « Ce que je postulerais, ce serait do
dialectique [ein Mehr an Dialektik]. D'un côté, dialectisat
bout de l'œuvre d'art "autonome" [...]; de l'autre côté, dial
plus forte de l'art utilitaire dans sa négativité7. » Dans cette d
tion où l'expression du regret se mue en une exhortation
difficile de ne pas entendre l'écho de l'une des critiques ré
sées par Hegel, au nom de la pensée spéculative, à toutes l
tendement : en posant une opposition figée et trop tranc
terme) entre un art dominé par l'aura et un art enfin libéré d
Benjamin ne peut que développer une argumentation « uni
tive seulement à l'un des aspects de son objet. Du côté des œuv
tibles, Adorno déplore que Benjamin, succombant aux sirènes
tisme anarchiste », ne prenne pas suffisamment en compte le
négativité, aussi bien du côté du médium lui-même que du
contrairement au pronostic révolutionnaire enthousia
Benjamin, ne faut-il pas commencer par constater que, da
les techniques de reproduction mécanique se prêtent au contr
pération aux fins de la domination et que de nombreux fi
flatter les goûts les plus conservateurs et stéréotypés du pub
l'art autonome, c'est au contraire le moment de la positiv
regrette l'absence, Benjamin prononçant une condamnatio
l'aura qui s'étend à l'ensemble des œuvres « autonomes »
refuser à ces dernières toute contribution à un éventuel prog
Cette démarche « unilatérale » ne peut, selon Adorno, q
Benjamin à simplifier excessivement les caractéristiques d
d'arts. Ce défaut est particulièrement net dans le cas de l'art
Adorno considère que son évolution le conduit à déployer
les œuvres reproductibles, une « technologie » propre, aux ter
ces œuvres peuvent se transformer en œuvres « planifiées [ge
jectif, dans ce contexte, fait signe vers Schönberg, et A
Benjamin à son propre article publié en 1934, à l'occasion

6. Voir notamment la longue lettre d'août 1935 au sujet du premier « Ex


le projet des Passages , ou encore la lettre du 10 novembre 1938 à propos d
Empire chez Baudelaire » ( ibid ., p. 118-133 et p. 320-330; Briefwechsel ,
376).
7. Ibid., p. 150; Briefwechsel , p. 173.
8. Ibid.

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Benjamin, Adorno : les enjeux d9une esthétique critique 235

anniversaire du compositeur, sous le titre « Le compositeur dialectique ».


Contrairement à la thèse trop massive que défend Benjamin, Adorno estime
qu'une telle technicité coupe les œuvres « planifiées » de leur fondement
rituel et les soumet à une rationalité qui n'a plus rien de commun avec les
séductions douteuses de l'aura : « A coup sûr, la musique de Schönberg n'est
pas auratique9. » Du côté du cinéma, Adorno reproche à Benjamin de ne pas
suffisamment prendre en compte les risques de régression qu'il comporte et
de formuler ses réserves en recourant à des catégories bien trop abstraites,
par exemple lorsqu'il dénonce dans le culte des stars une persistance ana-
chronique de l'aura ou lorsqu'il explique les limites de la production ciné-
matographique occidentale par l'emprise du « capital filmique ». Mais sur-
tout, Adorno s'inquiète de voir Benjamin reprendre, dans ce qui lui apparaît
comme un phénomène caractérisé d'« identification à l'agresseur », des caté-
gories qui portent les stigmates de l'exploitation capitaliste : pourquoi, par
exemple, décrire le comportement de l'acteur face à la caméra comme un
« test » qui transforme la nature même de son jeu? Sans nommer Benjamin,
l'analyse de la « régression de l'écoute » dont la « musique de masse » est le
véhicule pointe le risque inhérent à toute « fétichisation » de la technique :

La technicisation en tant que telle peut entrer au service de la réaction la plus


grossière dès qu'elle s'établit comme un fétiche et qu'elle donne l'impression,
par sa perfection, que la perfection qui a été manquee dans la société a déjà
été réalisée. C'est la raison pour laquelle toutes les tentatives pour changer la
fonction de la musique de masse ainsi que de l'écoute régressive sur la base
de ce qui existe déjà ont échoué 10.

Ce verdict sans appel n'est pas seulement prononcé à l'encontre de Brecht,


à qui Adorno emprunte ici le verbe umfunktionieren , il vise tout autant
Benjamin qui, en se l'appropriant, avait fait sienne une telle stratégie.
Contrastant avec ce ton péremptoire et avec la brusquerie qui caractérise
certains passages de cette lettre, une nuance mérite néanmoins de retenir
l'attention : les objections formulées par Adorno ne se situent pas exacte-
ment sur le même plan, selon qu'elles concernent l'art « autonome » ou l'art
« dépendant ». Contre le second, Adorno fait appel à des observations qui
sont essentiellement de l'ordre du fait : ainsi, alors que Benjamin croyait pou-
voir déceler, dans une certaine veine burlesque du cinéma de divertissement
(on pense à Buster Keaton), un salutaire potentiel cathartique, Adorno

9. Ibid.

10. Theodor W. Adorno, Le Caractère fétiche dans la musique et la régression de l' éco
(1938), trad. Ch. David, Paris, Allia, 2001, p. 78 (trad, modifiée) ; Gesammelte Schriften , v
Dissonanzen. Einleitung in die Musiksoziologie , éd. R. Tiedemann, Francfort-sur-le-
Suhrkamp, 1973, p. 47 (désormais noté GS , 14, 47).

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réplique, en invoquant le témoignage de Horkheimer : «


teurs de cinéma - j'en ai déjà parlé avec Max, qui vous l
dit - n'a rien de bon ni de révolutionnaire, il est rempli du
geois11. » Le même argument est mobilisé contre Chap
peut se résoudre à rattacher aux artistes d'avant-garde, « m
après Les Temps modernes » : « Il suffit d'avoir entendu
film pour savoir ce qu'il en est 12. » Ou encore, pour faire r
des procédés techniques mis en œuvre par l'industrie ci
Adorno évoque le souvenir d'une visite dans les studios
« Lorsqu'il y a deux ans j'ai passé une journée dans les st
berg, ce qui m'a frappé le plus, c'est de voir combien peu d
lement imposé, du montage et de tout le progrès que vous
partout au contraire, la réalité est édifiée mimétiqueme
rile [infantil], et ensuite "photographiée"13. » En revan
le jugement qu'il porte sur l'art autonome, Adorno, tout
propre expérience musicale, recourt finalement à des term
une détermination d'essence, valable sur le plan du dro
bien plus que des faits : « je crois avec vous que le caractère
vre d'art est en voie de disparition [...]. Mais l'autonomi
[...] n'est pas identique à l'élément magique en elle14. »
Benjamin, de façon réductrice, unilatérale et simplificat
tonomie de l'œuvre à son fondement rituel et magique, Ad
mettre en évidence une dualité qui interdit toute critiqu
Cette nécessaire « dialectisation » qu'Adorno appelle de
toutefois menée jusqu'à son terme? Même s'il faut
contraintes qu'impose la forme épistolaire, il est perm
effet, tout semble se passer comme si, au bout du compte,
par proposer une distinction entre trois types d 'œuvres, l
de dialectisation aurait dû le conduire à envisager quat
Autant, en effet, Adorno s'efforce de dialectiser l'art auto
que dans les œuvres les plus avancées, chez un Schönberg
retourne contre son propre fondement magique et, en
faire critique de son propre mythe, autant il reste disc
émancipateur de l'art de masse. À l'inverse de Benjamin, Ad
en définitive, surestimé la technicité de l'art autonome

11. Theodor W. Adorno - Walter Benjamin, Correspondance 1928-


Briefwechsel , p. 171 sq.
12. Ibid., p. 150; Briefwechsel, p. 172.
13. Ibid. ; Briefwechsel, p. 173.
14. Ibid., p. 148-149; Briefwechsel, p. 171.

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Benjamin, Adorno : les enjeux d'une esthétique critique 237

de l'art dépendant? Ou du moins, n'a-t-il pas surévalué à son tour le poten-


tiel critique de l'art autonome et systématiquement sous-évalué les chances
de l'art reproductible ?
* *

Souvent, ces questions ont servi de point de


cer le prétendu « élitisme » d'Adorno et son
de masse » - comme s'il n'avait jamais entrep
de l'industrie culturelle n'avaient de « popul
tique ne se formulait pas au contraire au no
du « haut » et du « bas » aurait perdu toute
méritaient pourtant mieux, et elles auraient
luer la nature et la portée exactes du geste d
nome. En toute rigueur, dans les différente
l'époque de sa reproductibilité technique »
matiquement figure d'hapax puisque, de faç
dans le paragraphe où Benjamin explicite
de fonction » de l'art en évoquant les débats
tographie : « Une fois que l'art avait été aff
reproductibilité technique, il perdait à ja
[erlosch auf immer der Schein ihrer Autono
un verdict qui paraît sans appel, puisqu'il
lution historique qui est posée comme irr
dans l'autonomie un « semblant », autrem
vouée à disparaître sans retour. Le choix du
tuit, comme le confirme son retour en c
Benjamin tire les conséquences de cette é
montre mieux que l'art a quitté le doma
passé si longtemps pour le seul où il pût pro
Bien que le terme d'autonomie n'y soit
de l'article permettent de préciser l'arrièr
sentence qui sonne le glas de l'esthétique
la Klassik . Dans un paragraphe qui tire

15. Le travail réalisé par B. Lindner a permis d'ex


texte, qui n'avait jamais été publiée dans les éditions
sion française, seule publiée du vivant de Benjamin
cinq versions successives de « L'œuvre d'art à l'époq
16. Walter Benjamin, « L'œuvre d'art à l'époque d
nière version, § VII), Œuvres , t. III, op. cit., p. 287 ;
17. Ibid. (§ IX), p. 293; WuN, 16, 230.

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« déclin de l'aura » diagnostiqué d'emblée, Benjamin dé


traits le bouleversement que connaît la « fonction sociale d
à cette conclusion non moins lapidaire : « Au lieu de repose
se fonde désormais sur une autre pratique: la politique 1
cale, une telle conclusion ne surgit pas sans avoir été pré
de repères. La première partie de la thèse de Benjamin,
l'enracinement de l'œuvre dans des pratiques rituelles,
implique une certaine interprétation de l'histoire de l'ar
ce que suggère la notion d'autonomie (et c'est peut-être
le désaccord avec Adorno est le plus tranché), les pratiqu
sont jamais véritablement affranchies de leur origine da
plus ce fondement se manifeste-t-il sous des formes de plu
tisées » au cours de l'histoire, mais il ne disparaît en auc

la valeur unique de l'œuvre d'art " authentique" se fonde sur


sa valeur d'usage originelle et première. Aussi indirect [
puisse être, ce fondement est encore reconnaissable, comme
risé, jusque dans les formes les plus profanes du culte de la

Confronté à la menace que représentent les nouvelles te


duction, ce « culte profane de la beauté », dont Benjami
à la Renaissance, en vient à se radicaliser, et c'est ainsi que
ment « la doctrine de l'art pour l'art, qui n'est autre qu'une
C'est d'elle qu'est né ce qu'il faut appeler une théologie
forme de l'idée d'un art "pur", qui refuse non seuleme
sociale, mais encore toute évocation d'un sujet concret20
fin du XIXe siècle, un seul et même paradigme se maint
des formes toujours plus paradoxales, jusqu'à ce que son
contraigne à céder la place au nouveau modèle appelé p
techniques de reproduction.
Aussi fragile que soit une telle reconstruction « à l'éc
universelle 21 », elle laisse subsister une nuance dans l'in

18. Ibid. (§ IV), p. 282 (souligné par Benjamin) ; WuN, 16, 219.
19. Ibid., p. 280 (souligné par Benjamin) ; WuN, 16, 216 sq.
20. Ibid., p. 281 (l'expression « l'art pour l'art » est en français dans l
217.

21. Telle est l'expression que Benjamin lui-même emploie au début


esquisse à très grands traits une sorte d'« histoire universelle » des tec
(cf. ibid. [§ I], p. 272; WuN, 16, 209).
22. Voir à ce sujet le texte stimulant de George Markus, « Benjamin's
Autonomy », in Walter Benjamin and the Architecture of Modernity,
Rice, Melbourne, re.press, 2009, p. 111-127.

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Benjamin , Adorno : les enjeux d'une esthétique critique 239

verdict énoncé par Benjamin au sujet de l'autonomie : alors que les derniers
mots du paragraphe expriment un geste de pure et simple liquidation qui
fait basculer l'art du côté de la politique, les développements qui les précè-
dent prennent plutôt la forme d'une sorte de relativisation historique,
comme si la croyance en une autonomie de l'art, aussi illusoire soit-elle pour
le regard rétrospectif, avait constitué une étape nécessaire dans l'histoire des
transformations que connaît un paradigme initial, « magico-religieux »,
jusqu'à ce que la mise au point de nouvelles techniques de reproduction le
condamne à céder la place à une autre pratique fondatrice.
* *

A défaut de constituer ne serait-ce qu'une


l'art autonome, une telle distinction déb
la problématique de l'autonomie qui red
tions défendues respectivement par Benj
lum vitae rédigé en 1928, l'année où para
drame baroque allemand et Sens unique ,
générale de ses recherches en soulignant
efforts ont tendu jusqu'à maintenant à fra
en ruinant la doctrine de l'art comme do
les contours d'une telle approche, qui ne
d'autonomie, Benjamin invoque la conce
son travail sur le Trauerspiel , modèle d
reconnaisse en celle-ci une expression co
métaphysiques, politiques et économiqu
sous aucun de ses aspects réduire à la no
soient les déplacements qui affectent le res
la fin des années 1920 et le milieu des an
dologique présente une constance remarq
La surprise est ailleurs : dans le même
critique des Affinités électives , qu'il pré
« l'idée d'éclairer une œuvre entièremen
durchaus aus sich selbst heraus zu erleuc
pas pour rien l'idée d'autonomie dans sa
puisqu'elle reprend presque littéralemen
Schlegel lui-même, dans sa célèbre critiq
Wilhelm Meister publiée en 1798 dans Y

23. Walter Benjamin, Écrits autobiographiques , tra


Christian Bourgois, 1994, p. 31 ; GS , VI, 218-219.
24. Ibid. ; GS, VI, 218.

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autre roman de Goethe comme « le livre absolument no


ne puisse se comprendre qu'à partir de lui-même [diese
und einzige Buch , welches man nur aus sich selbst
kann ] 25 ». Dans quelle mesure ces deux démarches sont
Un passage de la préface du livre consacré au Trauerspiel fo
un début de réponse : évoquant la réception très lacuna
chez les historiens de la littérature allemande, Benjamin
des causes dans l'absence d'une « analyse de la forme » et
la forme » suffisantes26. N'est-ce pas dire que la critiqu
l'approche de l'œuvre d'art comme « expression » ne so
d'une attention à la forme qu'il faut se garder de confo
conque formalisme? Tel est, de fait, le défi qu'entr
Benjamin dans son analyse du Trauerspiel , qu'il comme
de cette autre forme théâtrale à laquelle il a souvent été
savoir la tragédie grecque. Mais ce sont surtout les dév
seconde partie qui montrent, sur l'exemple de l'allégor
cette articulation entre analyse formelle rigoureuse et i
œuvre (ou, en l'occurrence, d'une « forme » telle que le Tra
rence à un ensemble de « tendances » dont le foyer se situe
dans la situation à la fois historique et théologiqu
l'Allemagne luthérienne à l'époque de la guerre de Tren
limitée à cet ouvrage, une telle démarche caractérise en
Baudelaire qu'entreprend Benjamin dans la seconde moit
Certes, à la différence du travail consacré au Trauerspie
désormais se situer dans une filiation « matérialiste » qui a
de toute « doctrine de l'art comme domaine spécifique », m
tation de Baudelaire en « poète lyrique à l'apogée du capi
éloignée de l'ordinaire de l'orthodoxie marxiste. Lis
Baudelaire, Benjamin n'entend pas les réduire simplem
tions matérielles de production, mais s'efforce de montrer
la teneur sociale de cette œuvre poétique trouve à s'ex
toutes les corrélations qu'il est possible de retracer en t
n'est autre que la forme. Si Baudelaire est bien le poète

25. Friedrich Schlegel, « Über Goethes Meister », in Kritische Friedr


vol. II, « Charakteristiken und Kritiken I (1796-1801) », éd. H. Eichne
Vienne, F. Schöningh, 1967, p. 133. Ce passage est cité par Benjamin
tique esthétique dans le romantisme allemand , trad. Ph. Lacoue-Labart
Flammarion, 1986, p. 115 (cf. GS , 1/1, 72).
26. C'est bien de Formanalysis et de Formgeschichte que parle Benjam
duction en conséquence (cf. Origine du drame baroque allemand [1928
le concours d'A. Hirt, Paris, Flammarion, 1985, p. 48; GS , 1/1, 230).

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Benjamin, Adorno : les enjeux d9une esthétique critique 241

modernité capitaliste du XIXe siècle dont Paris est la « capitale », ce n'est pas
seulement parce qu'il introduit dans les sonnets des Fleurs du mal des
termes comme « omnibus », « quinquet » ou « wagon », mais parce qu'il par-
vient à inscrire dans la facture même de ses vers cette expérience du choc
qui est le lot de l'homme des foules.
* *

Si tel est bien l'horizon sur lequel dé


Benjamin, l'écart avec Adorno n'est peut-
rend au sujet de l'autonomie esthétiq
Apparaissant dès l'ouverture de la Théori
blée dans un mouvement de « dialectisation
mier ni le dernier mot de l'ensemble. L'a
d'abord, au sens le plus général, l'auton
dépendance à l'égard du culte. Présuppo
cependant tout sauf un acquis, et le célèb
rappelle à quel point cette idée d'autonom
ce qui concerne l'art, ni en lui-même ni d
de soi, pas même son droit à l'existence27
pales, qu'Adorno évoque aussitôt : non se
est menacé, pour ainsi dire de l'extérieu
nique de l'industrie culturelle, mais c'est
autrement dit de l'intérieur, que l'art en
question en tant que « domaine séparé »,
mentations des avant-gardes et leur quêt
de la vie.

Cette double contestation, avec l'urgence


doute le relief singulier que prend, dans la
l'autonomie. Dans un monde où, comme
que pour autre chose 28 », la simple existen
de valoir pour elles-mêmes suffit à ouvr
dominante de l'échange. L'originalité de l
sion dialectique qu'il imprime à ce motif, lo
séparation d'avec la réalité sociale, cet « asp
d'insertion de l'art au sein de la société, c
L'autonomie, autrement dit, se renverse en

27. Theodor W. Adorno, Théorie esthétique , tra


corrigée, Paris, Klincksieck, 1995, p. 15 ; GS , 7, 9 (
tournure négative de l'original).
28. Ibid., p. 312; GS, 7, 335.

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242 Jacques-Olivier Bēgot

plus intimement lié à la société que lorsqu'il revendique


ment son indépendance. Les deux faces de l'art, « fait socia
doivent donc se corriger mutuellement, de manière à empê
verser dans une approche que l'on pourrait qualifier, en rep
hégélienne, d'« unilatérale ». C'est dire également que l'i
doit pas conduire à hypostasier l'art comme sphère sép
atteintes de la production marchande et domaine réserv
ses propres lois (cela reviendrait, en somme, à faire de l'art
fétiche ou, comme le dit Adorno, à succomber au « fétichis
« la notion d'oeuvre pure se suffisant à elle-même29 »). Au
loppement (dialectique) du motif de l'autonomie souligne
résistance à la société que l'art prend toute sa valeur de
le dit d'abord négativement Adorno, ce qui rattache l'art à
son appartenance (toujours complexe mais inaliénable) à
duction (toute œuvre, à sa manière et malgré qu'elle en ait,
un produit), ni « l'origine sociale de son contenu théma
plutôt « la position antagoniste qu'il adopte vis-à-vis de
encore : « Ce qui est social en art, c'est son mouvement i
société et non pas sa prise de position manifeste31. » Le rap
la société n'est donc pas à comprendre sur le modèle d
traite, mais bien plutôt comme une négation détermin
comme une négation dont la force de rupture est insé
qu'elle exerce sur ce qu'elle nie.
La dialectique de l'autonomie permet également de cor
lité des interprétations qui soulignent l'ancrage de l'art dan
tions sociales, quand elles ne vont pas jusqu'à en faire, p
des métaphores les plus ressassées dans la tradition mar
se sépare radicalement sur ce point, le « reflet » des condit
tantes. Que ce soit dans sa polémique avec la conception
par Lukàcs dans ses textes de la maturité ou dans son jug
tre brechtien, Adorno ne cesse de souligner, contre ce q
tiers le « marxisme vulgaire », combien il est réducteu
œuvre à partir de ses seules intentions idéologiques ou
déclarée, quelle que soit la noblesse de la cause en faveur de
gage. De telles approches pèchent pour ainsi dire
puisqu'elles court-circuitent la série des médiations qui r
société et oublient un point essentiel : « Aucun élément soc

29. Ibid., p. 314; GS, 1, 337.


30. Ibid., p. 312; GS, 7, 335.
31. Ibid., p. 314; GS, 7, 336.

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Benjamin, Adorno : les enjeux d'une esthétique critique 243

tel immédiatement, même lorsque celui-ci en a l'ambition32. » Ce faisant, de


telles esthétiques, qui donnent le primat au contenu expressif des œuvres,
oublient tout simplement l'importance du travail de configuration, et elles
s'empêchent ainsi de comprendre dans toute sa complexité la logique des
œuvres.

L'opérateur théorique qui permet à Adorno de me


tique n'est autre qu'une certaine conception de la forme
est cette instance qui fait d'une œuvre autre chose q
ou une chose parmi les choses : agissant « comme un aim
suggestive choisie par Adorno, autrement dit dans u
plus que comme un cadre statique, la forme exerce, sur
lité empirique que l'œuvre agence, une attraction qui le
usage social habituel. Le moment de vérité qu'il est
reconnaître à tous les formalismes est à situer dans
effet de défamiliarisation, bref dans cette distance que
rement par rapport à la société dominée par la loi d
tre part, cet écart qu'introduit par définition le travail
hypostasié, puisqu'il est ce qui condamne les œuvres
autonome, par son refus de la société qui équivaut à la s
de la forme, s'offre aussi comme le véhicule de l'idéolo
il laisse également intacte la société dont il a horreur34
En somme, il importe de tenir ensemble, dialectiquem
que sont l'autonomie et l'aspect social de l'art, comm
souvent citée : « l'art est l'antithèse sociale de la société35 ». Sans doute choi-
sie pour réintroduire la dimension de négativité qui avait tout simplement
disparu dans le terme de reflet, la notion d'antithèse doit aussitôt être com-
plétée et corrigée par l'épithète « sociale », pour prévenir toute hypostase de
l'art comme critique abstraite de la société. Il s'agit donc de concevoir la rela-
tion entre les œuvres et la société dans toute la complexité de ses médiations,
au lieu de vouloir affirmer leur séparation ou leur identité immédiate, deux
positions apparemment opposées mais qui, du fait de leur caractère unilaté-
ral, reviennent finalement au même. Quitte à se confondre avec le geste à la
fois dérisoire et désespéré du baron de Münchhausen qu'évoque un apho-
risme des Minima moralia , la position effectivement « critique » se situe
donc à la fois « dedans » et « dehors », à distance d'un pur formalisme comme
d'un pur matérialisme.

32. Ibid., p. 313; GS, 7, 336.


33. Ibid.

34. Ibid., p. 312; GS, 7, 335.


35. Ibid., p. 24; GS, 7, 19.

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244 Jacques-Olivier Bégot

* *

Dans le lexique kantien, la notion d'antinom


conflits où la raison s'embarrasse lorsqu'elle se ri
l'expérience et exige l'inconditionné. La résolu
déploie la Critique de la raison pure montre qu'e
binaire du vrai et du faux, puisqu'il peut arriver
deux propositions qui s'opposent comme la th
fausses, ou bien, à l'inverse, qu'elles soient vraie
tion de faire varier le point de vue à partir duquel
Cette question du point de vue est tout sauf
oppose Benjamin et Adorno. De fait, lorsqu'ils ab
reproduction et de la technique, Benjamin et Adorn
tement sur le même socle : alors que la thèse de Ben
ment sur la confrontation de ces deux paradigm
tableau et le film, c'est à partir d'oeuvres music
propre « théorie de la reproduction 36 », dont le no
sée de l'interprétation musicale. La notion, au fond,
la même valeur pour chacun d'eux, du fait mêm
médiums concernés.

D'autre part, le conflit entre Benjamin et Adorno illustre exemplaire-


ment la structure caractéristique de l'antinomie, puisqu'il paraît tout aussi
impossible d'accepter avec toutes ses implications l'idée d'autonomie que
d'y renoncer complètement. La dialectisation de l'autonomie débouche,
même chez Adorno, sur ce qui ressemble à s'y méprendre à une aporie :
poussé à la limite, le maintien de l'autonomie conduit à un aveu d'impuis-
sance, tandis que l'abandon de l'autonomie, sa « liquidation », revient à
anéantir toute possibilité de résistance. Dans ces conditions, vouloir lever
l'antinomie de l'autonomie par les seules ressources de la théorie, fût-ce une
théorie esthétique critique, serait faire preuve d'un idéalisme dont Benjamin
et Adorno ont très tôt reconnu la faillite. En d'autres termes, l'antinomie de
l'autonomie n'est pas forcément due à une élaboration insuffisante des argu-
ments en présence, mais renvoie à une contradiction objective qui traverse

36. Dans un volume qui reste, à ce jour, inédit en français, H. Lonitz a rassemblé l'ensem-
ble des matériaux relatifs à ce projet de livre demeuré inachevé : cf. Theodor W. Adorno, Zu
einer Theorie der musikalischen Reproduktion. Aufzeichnungen , ein Entwurf und zwei
Schemata , éd. H. Lonitz, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 2001. Si, dans ce contexte, Adorno
se réfère à plusieurs reprises à Benjamin, ce n'est jamais à « L'œuvre d'art à l'époque de sa repro-
ductibilité technique » ; il emprunte en revanche à « La tâche du traducteur » l'idée que la repro-
duction, de même que la traduction selon Benjamin, est une forme à part entière.

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Benjamin, Adorno : les enjeux ďune esthétique critique 245

la réalité sociale, historique et politique elle-même. Tel est peut-être le sens


de l'image que risque Adorno pour illustrer la topographie du différend qui
l'oppose à Benjamin : au fond, pour peu qu'ils soient pensés dans la radica-
lité de leur antinomie, l'art autonome et l'art reproductible ne sont-ils pas
« les moitiés disjointes de la liberté pleine et entière, qu'on ne saurait pour-
tant restituer par addition des deux37 »? A la question de savoir comment
résoudre une telle équation qui défie les lois de l'arithmétique, seule pour-
rait répondre une société réconciliée, dont rien n'indique qu'elle soit en
passe de voir le jour.

Résumé: Partant d'une reconstruction détaillée du débat au sujet de l'œuvre d'art qui , dans
la seconde moitié des années 1930 , oppose Adorno et Benjamin , l'article montre que la
profondeur du désaccord entre leurs positions respectives , notamment à propos de l'aura et
de la reproductibilité technique , n'exclut pas certains recoupements. En particulier ēt
Benjamin et Adorno se montrent attachés à une conception originale de la forme qui les
situe à égale distance du formalisme et d'un matérialisme « vulgaire » : pour l'un comme
pour l'autre , la forme est à la fois le lieu de l'invention proprement artistique et l'instance
où la société fait irruption au sein des œuvres.
Mots-clés : Benjamin (Walter). Adorno (Theodor W.). Autonomie. Autonomie esthétique. Aura.
Forme. Matérialisme.

Abstract: Based on a detailed reconstruction of the debate about the artwork carried out bet-
ween Adorno and Benjamin in the mid-1930s , this article shows that no matter how deep
their disagreement may have been ( especially concerning the aura or mechanical repro-
duction) , both theorists share common presuppositions and come to similar conclusions on
certain issues. In particular , Benjamin and Adorno both end up being committed to a
conception of form that is at odds with formalism as well as "vulgar" materialism: accor-
ding to them, form is not only the site of artistic invention properly speaking, but also the
locus where society makes itself manifest in the artworks.
Keywords: Benjamin (Walter). Adorno (Theodor W.). Autonomy. Aesthetic autonomy. Aura.
Form. Materialism.

37. Die auseinandergerissenen Hälften der ganzen Freiheit, die doch aus ihnen nicht sich
zusammenaddieren läßt (Theodor W. Adorno - Walter Benjamin, Correspondance 1928-
1940, op. cit., p. 149; Briefwechsel, p. 171).

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