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2012

HEG-GE
Master ID

Christophe Bezençon
Jasmin Hügi
Aurélie Roulet
Aurélie Vieux

[FICHE DE LECTURE]
M1C1 - Economie de l’information - Benoît Epron
SALAÜN, Jean-Michel. Vu, lu, su: les architectes de l'information face à l'oligopole du Web. Paris:
La Découverte, 2012. 151p.
Table des matières
Présentation de l’auteur...................................................................................................................... 2
Bibliographie sélective de l’auteur :................................................................................................ 2
Origine, parution et réception de l’œuvre............................................................................................ 2
Résumé du contenu........................................................................................................................... 4
Introduction..................................................................................................................................... 4
Chapitre 1 : Au commencement, la bibliothèque............................................................................5
Chapitre 2 : Les mutations du document........................................................................................ 6
Chapitre 3 : les réingénieries documentaires..................................................................................7
Chapitre 4 : L’économie du document............................................................................................9
Chapitre 5 : À la recherche du néodocument...............................................................................12
Conclusion : Architectes et archithèques......................................................................................13
Commentaire critique....................................................................................................................... 13

1
Présentation de l’auteur 
Jean-Michel Salaün est chercheur et professeur en sciences de l’information. Il est actuellement
responsable du nouveau Master Architecture de l’information de l’Ecole normale supérieure (ENS) de
Lyon. Auparavant, il a été professeur à l’ENSSIB et a coordonné de 2002 à 2005 le réseau thématique
pluridisciplinaire du CNRS « Document et contenus : création, indexation, navigation » (RTP-DOC,
réseau réunissant plus de 100 chercheurs qui publient sous le pseudonyme commun Roger T.
Pédauque). De 2005 à 2010, il a été directeur de l’Ecole de bibliothéconomie et des sciences de
l’information (EBSI) de l’Université de Montréal où il a développé un cours et un blog 1 sur l’économie
du document.

Jean-Michel Salaün est détenteur d’un doctorat d’État en sciences de l’information et de la


communication. Sa thèse intitulée La production de la télévision  : structuration du secteur privé de
l'audiovisuel et ses conséquences a été présentée en 1987 à l’Université Stendhal de Grenoble.

Bibliographie sélective de l’auteur :


SALAÜN, Jean-Michel, ARSENAULT, Clément (dir.), 2010. Introduction aux sciences de l’information.
Paris : La Découverte. Grands repères. Manuels. 235 p.

PÉDAUQUE, Roger T., 2006. Le document à la lumière du numérique: [forme, texte, médium:
comprendre le rôle du document numérique dans l’émergence d’une nouvelle modernité]. Caen : C&F
éd. 218 p.

MUET, Florence et SALAÜN, Jean-Michel, 2001. Stratégie marketing des services d’information:
bibliothèques et centres de documentation. Paris : Ed. du Cercle de la librairie. Bibliothèques. 221 p.

SALAÜN, Jean-Michel, 1992. Marketing des bibliothèques et des centres de documentation. Paris :
Ed. du Cercle de la Librairie. Bibliothèques. 132 p.

SALAÜN, Jean-Michel, 1989. A qui appartient la télévision? Paris : Aubier. Res. Babel. 239 p.

Origine, parution et réception de l’œuvre


Le livre « Vu, lu, su » de Jean-Michel Salaün a été publié en février 2012 par la maison d'édition «  La
Découverte », dans la collection « Cahiers libres ». Les éditions « La Découverte » sont décrites
comme ayant une orientation politique à gauche (Wikipédia, 05.12.2012). Leur ligne éditoriale
comprend des documents qui servent la formation professionnelle ou, plus largement, à s'informer
« pour lutter efficacement » contre les maux de notre société, et d'agir en conséquence (Wikipédia,
05.12.2012). Pour soutenir sa mission, cette maison d'édition publie des réflexions de chercheurs,
journalistes ou autres acteurs de « terrain ».

La maison d'édition propose des collections diverses dont les « Cahiers libres » dans laquelle le livre
« Vu, lu, su » a été publié. Cette collection propose des essais sur les grandes questions de notre
société, en France et à l'étranger, des outils de référence sur les problèmes sociétaux ainsi que des
témoignages.

Sur le site Web de la maison d'édition, le livre est classé sous l'onglet « Communication ». Dans la
même collection et sous la même catégorie ont été publiés des titres tels que: « Argumenter en
situation difficile », « Johnny, sociologie d'un rocker », « La pensée PowerPoint » et « La géopolitique
d'Internet ».

1
Salaün, Jean-Michel. Economie du document (Bloc-notes de Jean-Michel Salaün) [en ligne].
blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/ (consulté le 10.12.2012)

2
En 2010 déjà, Jean-Michel Salaün a publié, le livre « Introduction aux sciences de l'information » en
collaboration avec Clément Arsenault chez La Découverte dans la collection « Grands repères
manuels ».

En ce qui concerne le type d'ouvrage, il s'agit d'un essai qui relate une réflexion intellectuelle sur une
nouvelle perspective apportée à l'interprétation du Web.

En 2006, après la fin du travail collaboratif du réseau RTP-DOC, Jean-Michel Salaün a ouvert son
blog à l’EBSI. Sur ce blog, il continue les réflexions développées au sein du réseau de chercheurs du
CNRS. Il y introduit sa propre perspective sur le Web et publie plusieurs billets sur la théorie du
document, le modèle de la bibliothèque et le Web en tant que document. C'est sur cette base que le
livre « Vu, lu, su » tire ses racines. Actuellement, cet outil de publication lui permet de mettre à jour au
fur et à mesure certaines notions et réflexions. Pour ce faire, il met chaque billet en lien avec un
chapitre ou sous-chapitre paru dans son livre.

Il faut également noter que Jean-Michel Salaün a ouvert le Master Architecture de l'information à
l'ENS de Lyon pour former des professionnels avec des compétences mises en avant dans la
conclusion de son livre « Vu, lu, su ». Le but cette nouvelle formation est de transposer les
compétences bibliothéconomiques classiques dans un environnement numérique, interactif et mobile 2.

La théorie de Jean-Michel Salaün est le résultat de plusieurs années de recherche et d'une réflexion
continue. En effet, on trouve pour la première fois « Vu, lu, su » sur son blog, le 14 août 2007. En
parallèle, il a également donné plusieurs conférences qui lui ont permis de faire connaître sa théorie,
lui conférant ainsi un écho médiatique important. Par ailleurs, c’est surtout à travers les blogs d'autres
professionnels de l'information3 que l’on peut mesurer le retentissement de son livre.

Jean-Michel Salaün a investi beaucoup d'efforts dans la promotion de son livre. À titre d’exemple, on
peut énumérer ici la vidéo produite par le Collegium de Lyon qui a été publiée sur Youtube 4 le 22 juin
2011 ou encore la participation de l’auteur à l'émission « Place de la toile » sur France Culture, le 21
avril 20125.

Plusieurs critiques de cet ouvrage sont parues dans des revues, des sites web ou des blogs. Nous
résumons ici les avis des principaux commentateurs.

http://lectures.revues.org/9766
Auteur: Philippe Chavernac (Professeur documentaliste, LP Gustave Ferrié, Paris)
Date: inconnu (2012)
Revue: Lectures

Publié dans la revue électronique "Lectures" qui accueille des comptes rendus d’ouvrages récents
dans les différents domaines des sciences sociales, ce commentaire se contente de faire un résumé
du livre, sans apporter une véritable critique.

http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2012-03-0099-002
Auteur: Yves Desrichard (rédacteur en chef du BBF)
Date: 2012 (BBF 2012 - t. 57, n° 3)
Revue : Bulletin des Bibliothèques de France

2
ENS de Lyon. Master Architecture de l'information [en ligne]. http://archinfo.ens-lyon.fr/master-
architecture-de-l-information-153486.kjsp?RH=ARCHINFO_PRES (consulté le 10.12.2012)
3
Par exemple: http://cursus.edu/dossiers-articles/articles/10074/web-documentaire-web-des-affaires/
4
IEAcollegiumdelyon. Jean-Michel Salaün - Une approche documentaire du Web [en ligne].
http://www.youtube.com/watch?v=5ICyFJouHv4 (consulté le 10.12.2012)
5
De la Porte, Xavier. Le web comme bibliothèque. Dans: Place de la toile, France Culture [en ligne].
Publié 21.04.2012, 18:10. http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-le-web-comme-
bibliotheque-2012-04-21(consulté le 10.12.2012)

3
L’auteur résume brièvement le livre en apportant une critique plutôt positive. Seule, la partie
consacrée à Apple, Google et Facebook lui semble peu convaincante, voire un peu vaine puisqu'elle
est en décalage avec les propos des chapitres précédents.

http://www.adbs.fr/vu-lu-su-les-architectes-de-l-information-face-a-l-oligopole-du-Web-jean-michel-
salaun-122167.htm?RH=1336038719710
Auteur: Joachim Schöpfel (professeur en Sciences de l’information et de la documentation à
l’Université de Lille 3)
Date: 26.09.2012
Site: Site web de l'association des professionnels de l'information et de la documentation

Ce compte rendu résume le livre et propose également une critique. Selon l'auteur, cet ouvrage a des
limites propres à la forme de l’essai, puisqu’il contient des propositions qui peuvent conduire à des
approximations et/ou des interprétations rapides. Néanmoins, il pense que la pensée de Salaün
marquera les sciences de l'information.

Puisqu’il ne s’agit pas d’un livre scientifique mais d’un essai, ce livre est assez peu cité par d’autres
publications scientifiques. D’ailleurs, une recherche effectuée en Web of Science a montré que le livre
n'y est même pas recensé. Grâce à l'outil Publish or Perish, trois publications citant l’ouvrage ont pu
être identifiées :

Le Crosnier, Hervé. « Sources et ressources ». Dans: Documentaliste-Sciences de l'Information


3/2011 (Vol. 48), p. 60-61. URL: www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2011-
3-page-60.htm. DOI : 10.3917/docsi.483.0060.

Assouline, Pierre. « La métamorphose du lecteur ». Dans: Le débat 2012/3 (n° 170), p. 78-89. DOI :
10.3917/deba.170.0078.

Salaün, Jean-Michel. « Du document à la donnée et retour. La fourmilière ou les Lumières. » Dans: Le
document numérique à l’heure du Web de données, séminaire INRIA, 1er au 5 octobre 2012, Carnac.
Paris, ADBS Éditions, 2012.

Résumé du contenu

Introduction
Dans cet essai, l’auteur propose d’approcher le Web sous un angle inhabituel, celui du document. En
inscrivant ainsi le Web dans une histoire longue – celle des bibliothèques, des centres d’archives, de
l’imprimerie, de l’édition, de la presse, de la radio-télévision – il prend le contrepied de la plupart des
commentateurs et des penseurs du Web qui développent leurs réflexions de manière collective et
immédiate. Ces derniers constituent ainsi un « forum permanent » qui, selon Salaün a tendance à
orienter la pensée vers le dogme, sans favoriser l’analyse véritable.

Les sources de réflexions de l’auteur sont multiples :

 Ses recherches personnelles et ses enseignements sur les industries culturelles et l’économie
du document
 Son implication dans le réseau thématique pluridisciplinaire RTP-DOC
 Plusieurs blogueurs francophones
 Les rencontres de la « Document Academy » animées par Niels W. Lund et Michael Buckland

4
Chapitre 1 : Au commencement, la bibliothèque
Dans ce premier chapitre, Salaün commence par une description du modèle de la bibliothèque. Il
insiste notamment sur le fait que la bibliothèque n'est pas juste une version non-commerciale d'une
librairie. D’ailleurs, elles ont existé bien avant l'émergence des libraires. Une bibliothèque doit plutôt
être vue comme un média classique au même titre que la radio, la télévision ou la presse.

Les services d'une bibliothèque comprennent deux moments : celui de la constitution de la collection
(back office ou base arrière) et celui de la mise en accès de cette dernière (front office ou face avant).
Par son principe de partage avec les lecteurs ou avec d’autres bibliothèques, ce modèle ne peut pas
avoir un but commercial et nécessite de ce fait des subventions. La bibliothèque représente alors un
écosystème autonome et original puisqu'elle devient propriétaire de sa collection et ainsi, elle retire les
documents du système commercial pour les intégrer dans le sien.

Les premières traces des bibliothèques remontent à l'Antiquité en Assyrie, Egypte, Grèce et en Chine.
Elles étaient alors un lieu de conservation, de reproduction et de production intellectuelle. L'invention
de l'imprimerie à caractères mobiles externalise la fonction de reproduction de la bibliothèque. La
production et la diffusion deviennent une activité économique, prise en charge, dans un premier
temps, par des imprimeurs-libraires, puis, à partir du 18ème siècle par les éditeurs. Les bibliothèques
perdent alors le monopole de la production et de la diffusion.

L'arrivée des nouveaux supports n'a jamais changé le modèle de la bibliothèque qui les a toujours
intégrés dans sa collection sans que cela ne change leur rôle. Dans le contexte actuel de
surabondance de l’information, les bibliothèques conservent leur importance : on y va pour trouver de
l'information utile, trop souvent perdue dans le chaos général. Elles ont toujours su s’adapter à
l’arrivée de nouveaux média, sans précipitation, ce qui constitue selon l’auteur leur grande force.

Cependant, face à l’avènement du Web, les bibliothèques doivent parfois justifier leur pertinence.
L'auteur cite trois valeurs ajoutées de la bibliothèque :

1) La mutualisation des documents. Grâce à la bibliothèque, un même livre peut être lu par
plusieurs personnes. Néanmoins, ceci représente un avantage relatif puisque seul un petit
nombre de documents sont très demandés. Dès lors, pour satisfaire ses usagers, une
bibliothèque est forcée d'acheter plusieurs exemplaires du même document.

2) Un gain d'opportunité. La bibliothèque permet de trouver rapidement et facilement un


document, et grâce à la sérendipité, un usager peut découvrir un document pertinent qu'il
n'a pas cherché.

3) Un gain de potentialité. Grâce à la conservation des documents, la bibliothèque augmente


la chance qu'un document soit utile pour quelqu'un, même plusieurs années après sa
production.

L’auteur présente l'apport du modèle bibliothéconomique à trois niveaux dans un tableau qui reprend
les deux moments de la production de la bibliothèque (back office et front office).

Destinataire Base arrière Face avant Produit


Individu Collection Accès Mémoire
Collectivité Information Action Capital
Société Patrimoine Transmission Empreinte

L’apport de la bibliothèque à un usager individuel est représenté par la constitution de la collection en


back office, puis la mise à disposition des documents en front office. Le produit offert est une mémoire
externe des connaissances qu'un lecteur peut exploiter.

5
Le rôle d’une bibliothèque est aussi de servir une collectivité. Ce service est constitué de la collecte
d'informations qui soutiennent la réalisation des objectifs de cette même collectivité. Le produit fourni
est alors un capital informationnel nécessaire à son fonctionnement.

La bibliothèque peut également être considérée du point de vue de la société entière. Dans cette
perspective, la bibliothèque est gardienne d'un patrimoine qu'il faut transmettre. Ce patrimoine
représente une empreinte informationnelle de la société.

Chapitre 2 : Les mutations du document


Dans le deuxième chapitre, Salaün retrace l'histoire du document et regrette qu'il n'existe aucune
théorie opérationnelle pour cette notion. Souvent, le terme « document » est utilisé pour décrire une
information qui est consignée sur un objet (matériel ou électronique). En anglais, on emploie dans ce
sens le mot « record », c’est-à-dire enregistrement pour ceci. Le terme « enregistrement » met
l'accent sur le support. Le contenu est intrinsèquement lié à son support. C'est autour de cette notion
que les archives et les bibliothèques se sont organisées autour de la gestion de différents objets
informationnels. L’arrivée du numérique a remis en cause cette organisation puisque le contenu peut
désormais être séparé de son support. Ainsi, la priorité est désormais mise sur l'information et non
plus sur l'objet informationnel.

Quand le terme « document » est apparu pour la première fois de façon épisodique au 17 ème siècle, il
englobait deux aspects principaux : celui de transmettre et celui de prouver. Cette division peut bien
être observée dans les métiers touchés par le document : pour la transmission des connaissances, ce
sont des professeurs et scientifiques qui produisent le document et ce sont des bibliothécaires qui
prennent en charge la gestion de ces documents. Pour le document en tant que preuve, ce sont les
notaires qui les créent et les archivistes qui s'occupent de leur gestion.

L'histoire du document a eu une influence fondamentale sur la notion d’auteur. Avant l'invention de
l'imprimerie à caractères mobiles, les scribes copiaient des manuscrits à la bibliothèque et les
commentaient pour les améliorer. Avec l'arrivé de l'imprimerie, ce système a été chamboulé puisque
pour la première fois, une œuvre textuelle a pu clairement être attribuée à une personne spécifique.
On assiste alors à la naissance de la notion d’auteur et, parallèlement, à celle du droit d’auteur

Ce n'est qu'au 19ème siècle que le terme « document » prend de l'ampleur. Les documents concernent
tous les aspects de la société, de l'administration à la culture, de la science au commerce
L'émergence de la science expérimentale nécessite un nouveau type de document, l’article
scientifique, dont le but est de transmettre en prouvant. L’article scientifique réalise ainsi la fusion des
deux fonctions du document.

Alors que le document gagne en importance, il devient aussi un objet d’étude. Le Belge Paul Otlet
(1868-1944) effectue la première tentative de définition systématique du terme. Il le caractérise sous
deux aspects : c'est le résultat d'un travail intellectuel, et en plusieurs exemplaires, il représente un
objet qui est fait par une civilisation et agit sur elle. Par la suite, Suzanne Briet a approfondi la réflexion
et définit le document comme « tout objet qui est porteur d'information ». Cette définition va donc au-
delà de l'information textuelle.

L’auteur se base ensuite sur les travaux effectués par le réseau de chercheurs connu sous le
pseudonyme RTP-DOC qui a définit trois dimensions caractérisent un document : sa forme, son
contenu et son médium. Jean-Michel Salaün propose, pour des raisons mnémotechniques, d’attribuer
à ses trois aspects les participes passés : vu, lu, su.

Le vu (la forme) caractérise l'aspect du document qui peut être expérimenté et qui permet de
reconnaître un document en tant que tel.

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Le lu (le contenu) représente le travail intellectuel que doit fournir le lecteur : le déchiffrage des signes
et leur interprétation. Donc, le document doit pouvoir être compris.

Le su (le médium) représente la fonction sociale du document. Chaque document sert de médium
pour transmettre de l'information, de l'auteur au lecteur. Le document est donc un objet qui diffuse de
l'information, un objet mémoriel.

Un document doit intégrer et coordonner ces trois dimensions afin d'être efficient.

Salaün propose ensuite une définition du document :

«un protodocument est une trace permettant d'interpréter un événement passé à partir d'un
contrat de lecture. Un document est la représentation d'un protodocument sur un support,
pour une manipulation physique facile, un transport dans l'espace et une préservation dans le
temps. » p. 60

Il sépare l'œuvre de son support en le qualifiant de protodocument. C'est l'information en elle-même,


sans être fixée sur un support spécifique. Ce n’est qu'avec la consignation sur un support que le
protodocument devient un document – un exemplaire de l’œuvre – qui peut être vu, lu et su.

Chapitre 3 : les réingénieries documentaires


Toujours à travers le prisme du document, l’auteur montre comment la réingénierie documentaire qui
se construit actuellement suite à l’arrivée du Web, s’inscrit dans la continuité des raisonnements et
éléments de systématisation qui ont été mis en place dès la fin du 19 ème siècle par les bibliothécaires
en vue de créer un ordre dans le chaos informationnel. Avec l'arrivée du numérique et du Web, cet
ordre documentaire hiérarchique et systématique est amené à se renouveler avec pour conséquence,
la modification du document dans ses trois dimensions.

Dans une perspective chronologique, l’auteur commence par retracer l’historique des sciences
documentaires et met en lumière les différents éléments constitutifs de cette première période
d’organisation des savoirs qui sont principalement fondés sur la dimension du « lu ». À travers ce
retour aux fondateurs de la bibliothéconomie et à leurs travaux respectifs ; la classification pour M.
Dewey, le répertoire bibliographique universel pour P. Otlet, il montre combien ce raisonnement
documentaire est marqué par le modèle hiérarchique issu de la division du travail née à cette époque.

Plus tard, au 20ème siècle, après avoir fait face à l’explosion documentaire, les bibliothécaires et
documentalistes doivent désormais mettre au point des « produits documentaires » pour répondre aux
exigences de la communauté scientifique qui doit publier, échanger et accéder à l'information
scientifique rapidement. Après la classification et la création des notices bibliographiques, est créé un
nouveau mode d’accès au savoir, la littérature secondaire, visant à faciliter le repérage des
publications dans un domaine.

Initiée par le Memex de Vannevar Bush, la première bascule de cet ordre documentaire s’effectue
avec l'invention de l'hypertexte, qui prendra toute son ampleur après l'informatisation des systèmes
documentaires. Désormais, des liens directs sont établis entre les éléments textuels contenus dans
les documents numériques. Via une citation ou une note, ces liens permettent de passer d'un
document à un autre en un seul clic, conférant au document un rôle nouveau. Il devient ce que
l’auteur appelle une « tête de réseau ».

Le second renouveau de cet ordre documentaire s’effectue avec l'arrivée du Web, inventé en 1989
par Tim Berners-Lee. Basé sur un protocole de transfert (HTTP), un système d'identifiant et
d'adressage unique (URI) pour chaque document et la compatibilité des formats (HTML), le Web met
en réseau les documents, qui, gérés comme des objets, peuvent être facilement retrouvés. Dès lors,

7
sous l’égide de son inventeur et du consortium W3C, une normalisation s’effectue sur le Web, à
l’image de l’ordre documentaire précédant, sauf que cette fois-ci, les bibliothécaires ne sont pas
associés à ce basculement. Le renouveau documentaire qui s’opère alors, place rapidement le Web
en tant que média privilégié de la publication et de la diffusion documentaire.

Dans la perspective d’illustrer cette réingénierie documentaire, l’auteur oppose le schéma


d’organisation documentaire de Paul Otlet à celui du Web sémantique. Du point de vue documentaire,
Salaün constate que le processus de publication s’inverse. En effet, le bon fonctionnement du premier
système documentaire était garanti par un processus de production en plusieurs étapes ; d’abord, la
création et la publication des documents par les auteurs, ensuite, la collecte, l’indexation et le
catalogage par les bibliothécaires. À la différence de ce modèle de publication, sur le Web, ces deux
moments se confondent, si bien que cela entraine des problèmes de dysfonctionnement, car les
producteurs de documents n’ont pas tous pris conscience de ce changement dans les procédures. En
effet, les étapes d’indexation ou de catalogage, dorénavant appelées métadonnées, doivent être
effectuées conjointement au dépôt du document sur le Web.

Il reprend ensuite l'analogie des trois dimensions du document qu'il applique au Web sémantique.
Dans la construction du document par un navigateur, on retrouve la dimension du «  vu », c'est-à-dire
la forme, ou la fonction de repérage dans les systèmes d'adressage et de formats des documents
(URL/URI, XML, RDF), celle du « lu » avec la représentation des connaissances, la recherche et
l'indexation, réalisée à partir du traitement du texte et le « su » avec sa fonction de médium et de
preuve. Il constate que le contrat de lecture permettant l'identification du document sur le Web n'est
plus valable.

La dimension du « vu », sa forme stable et universellement reconnaissable a disparu sur le Web,


engloutie dans la diversité des formes des sites Web. En effet, les sites sont multiformes : l'intégrité et
la traçabilité des documents ne sont pas toujours garanties et ne peuvent pas toujours être vérifiées.
La dimension du « lu » est également remise en question par la difficulté de distinguer les différents
types de documents qui coexistent sur le Web (documents numériques natifs, document issu de la
numérisation, reproduction homothétique, etc.). L'enjeu du néodocument consiste désormais en la
détermination de sa valeur de preuve. Quant à la fonction de transmission, le « su », elle est aussi
remise en question puisque l'originalité du Web tient moins dans les possibilités de nouvelles
expressions directes que dans la prise en compte des actions et réactions de l'internaute par sa
traçabilité. Dès lors, les traces laissées par les utilisateurs ouvrent la voie à une nouvelle hiérarchie du
document.

À l’image de la précédente, la réingénierie documentaire qui se construit actuellement se veut le reflet


de notre rapport à un monde qui a changé, ce qui implique une refonte des politiques documentaires,
notamment en ce qui concerne les valeurs documentaires établies. Illustré à travers l'exemple de la
rédaction journalistique, l’auteur constate qu'on ne se base plus sur des faits vérifiés pour établir la
vérité, mais sur les données les plus échangées au sein des communautés d'internautes. La valeur
d'objectivité consistant à définir ce qui est vrai par la recherche de faits avérés, s'est vue remplacée
sur le Web par le critère de réflexivité. Ainsi, une information se construit aujourd'hui davantage sur sa
popularité et sa rapidité à être échangée que sur sa véritable existence.

Dès lors, si le Web a l'ambition de devenir le principal canal d'accès au savoir, pour s'assurer de
refléter la vérité, il doit mettre à disposition tous les points de vue, répondant ainsi à un désir de
transparence et de neutralité. L’auteur fait ce constat inquiétant : la représentation objective du monde
et de la société n'est plus basée sur des objets analysés par les sciences, mais sur la superposition
de documents auxquels chacun peut se référer.

Le 3ème changement du nouvel ordre documentaire qui est présenté par l’auteur, illustre une nouvelle
problématique. Il s’agit de la documentarisation des individus. En effet, initié par l’utilisation massive
des blogs et des réseaux sociaux, l’internaute crée des dossiers documentaires sur lui, dessinant ainsi

8
les contours de ce qu’on peut appeler son « double numérique » ou avatar. La gestion de cette
« identité numérique » implique des responsabilités, puisque ce « je-document » joue désormais un
rôle dans la société, qui dépasse celui du virtuel et de la toile. En outre, l’auteur nous rend attentif au
risque de rendre accessibles des informations privées. En effet, le fait de devenir nous-même des
objets documentaires sur le Web, implique la possibilité d’être manipulés.

Salaün termine ce chapitre sur une note plus positive en citant deux constats fait par Yoshaï Benkler 6 :
l’économie en réseau supplante l’économie de l’information industrielle et la production d’information
hors marché occupe désormais une place grandissante, ce qui favorise l’échange de documents à
grande échelle.

Chapitre 4 : L’économie du document


Ce chapitre traite des caractéristiques économiques du document qui sont, selon Salaün, souvent
sous-estimées.

Selon lui, les bibliothèques et le Web ont leur place dans les 3 modèles de valorisation du document
qu’il décline à partir des 3 dimensions déjà présentées dans les chapitres précédents :

 L’édition (vu). Un objet unique (œuvre) que l’on peut reproduire (exemplaires). La fragilité du
protodocument que l’on peut facilement reproduire est une question qui existe depuis
l’invention de l’imprimerie et que le droit d’auteur règle dès le 18 ème siècle. À ce moment, les
produits de l’édition deviennent des biens rivaux, c’est-à-dire que la consommation du bien (le
livre, par exemple) empêche une consommation par quelqu’un d’autre en dehors du cercle
privé, les copies non payées devenant illégales. L’auteur relève ici le fait que le marché de
l’édition fonctionne sur deux modèles économiques différents selon qu’il traite avec les
auteurs (acquisition d’un objet unique, d’une œuvre) ou avec les lecteurs (diffusion de
reproductions de cette œuvre, les exemplaires). Il note également que l’édition est le modèle
le plus récent de l’économie de la publication après l’imprimerie.
 La bibliothèque (lu). La bibliothèque cherche à développer la non-rivalité du document qui
fonde son modèle. Ce qui est « vendu » n’est pas un objet mais le processus de lecture. Cet
« écosystème » est créé à l’écart du marché traditionnel. Dans ce cas, un exemplaire est
extrait du marché pour constituer un bien commun. Contrairement à l’édition, le modèle de la
bibliothèque n’est pas basé sur la gestion de la création, mais sur la gestion de la mémoire.
 Le spectacle, le dialogue (su). C’est l’idée de la transmission de l’information. Dans les
spectacles, le spectateur paie pour être captivé, de même que pour la radio et la télévision.
Dans ce modèle, où l’émission peut être considérée comme document, c’est donc l’attention
du spectateur qui est au cœur du marché. L’économie radio-télévision est, comme l’édition, un
marché biface : il faut traiter d’un côté avec les spectateurs et de l’autre, avec les annonceurs.
Ces 2 côtés s’adressent à des clients différents, mais l’un influe sur l’autre. L’attention est un
bien immatériel limité (donc rival, une attention captée ne sera plus disponible). La rareté n’est
donc plus aujourd’hui dans l’information disponible mais dans notre capacité à la traiter. Ce
3ème modèle, celui de la transmission, est fondé sur l’économie de l’attention. Il va être
fortement chamboulé par le Web car mis dans une logique documentaire. En effet, sur le Web
tout est enregistré, contrairement à la radio ou au téléphone, on se rapproche donc du modèle
de l’édition.

L’auteur s’attarde ensuite sur la question de la gestion de l’attention du consommateur où l’enjeu est
de mieux percevoir comment chacun gère son espace-temps.

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« La Richesse des réseaux : marchés et libertés à l’heure du partage social », Presses universitaires de Lyon,
2009

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Le modèle éditorial nécessite pour le consommateur de faire la démarche d’acheter, mais une fois
qu’on l’a acquis, le bien peut être consommé quand et où on le désire. Alors que pour la radio-
télévision, le temps est continu (industrie du flot), la consommation du bien ne peut pas être reportée.
Toujours dans cette logique, la presse est plus contrainte que l’édition mais moins que la radio-
télévision, un report de la consommation est imaginable mais pour un temps limité à la durée de vie
de l’information que contient le bien. La bibliothèque est dans un tout autre rapport à l’espace-temps
car dans ce modèle, le lecteur co-produit le service avec la bibliothèque.

Dans l’économie du document sur le Web, on retrouve les 3 marchés présentés : la vente de biens (e-
books, matériel, etc. i.e. modèle « vu »), la vente d’accès (abo, licences, etc. i.e. modèle « lu ») et la
vente d’attention (pub en ligne, i.e. modèle « su »). Il n’y a donc pas de nouveaux marchés. Le
caractère non rival d’une œuvre, normalement limité par la notion d’exemplaire difficilement
transférable au numérique et au Web, se voit restreint par les droits d’accès qui deviennent l’enjeu
économique. Toutefois, le média Web est hybride et s’inscrit entre la bibliothèque et le spectacle. Le
Web concurrence doublement les autres modèles en s’appuyant sur un accès aux documents (payant
ou gratuit) et en accaparant l’attention du consommateur. Le modèle de la presse papier perd donc de
sa valeur par le fait que les informations qui y sont publiées sont les informations de la veille qui ont
déjà été lues en ligne. Ainsi, si l’édition (vu) et la radio-télévision (su) diffusent leurs contenus sur le
Web, les bibliothèques (lu) voient le Web commercialiser des services de recherche et d’accès au
document. Ainsi, on peut dire que le Web « documentarise » les médias traditionnels et commercialise
la bibliothèque, tous sont devenus une « industrie de la mémoire ».

L’auteur décrit ensuite les 5 « industries de la mémoire » qu’il identifie : édition, presse,
flot/broadcasting, Web, bibliothèque. Dans ces 5 industries, le Web permet non seulement de
renouveler les anciens modèles mais aussi d’en construire un nouveau dans chacune d’entre elles. Le
Web peut représenter aussi bien une possibilité de développement qu’une concurrence pour ces
industries.

Il est difficile de décrire les limites du marché du document étant donné que ce dernier (et le
protodocument) ont des frontières difficiles à définir. L’auteur propose un découpage en
secteurs selon le modèle du découpage culturel et créatif définit par des experts européens:

Secteur culturel et créatif Secteur documentaire


Cœur Champs des arts (arts visuels, vivants, Protodocuments (art visuel, spectacle,
patrimoine) patrimoine)
Cercle 1 Industries culturelles (film, tv, jeux vidéos, Industries de la mémoire (livres, film, presse,
musique) Web-média, bibliothèques)
Cercle 2 Activités industries créatives (design, Gestion des connaissances (éducation,
architecture, pub) administration)
Cercle 3 Industries associées (fabricants Industrie du contenant (équipements
d’ordinateurs, mp3) électroniques, télécommunications,
informatique)

Dans ce modèle, la bibliothéconomie est l’organisation rationnelle et industrielle d’un service d’accès
aux documents.

Pour terminer ce chapitre, les caractéristiques économiques du document sont décrites. Dans sa
première dimension, le document est une promesse. Sans connaître son contenu, nous savons que
c’est un document et nous pressentons qu’il sera utile. Un document a une plasticité, il est concret, on
peut le modifier, il est fini. La deuxième dimension est la variabilité de la valeur d’un document en
fonction de son contenu, de son interprétation et de son contexte. Dans sa troisième dimension, le
document est portable, il est lié aux autres par des citations ou des références. Il y a des effets de
résonance entre les documents et entre leurs lecteurs.

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Chapitre 5 : À la recherche du néodocument
Suivant toujours son fil d’Ariane de l’histoire longue du document et de ses trois dimensions, l’auteur
propose des pistes d’analyse de ce qu’il appelle le « néodocument », soit le document numérique
créé et échangé sur le Web.

Pour ce faire, il met en avant plusieurs paradoxes liés au néodocument.

 Propriété et partage : Un document numérique peut être échangé à loisir sans subir de
dégradation : il a donc le potentiel d’un bien public ce qui contredit la logique du modèle de
l’édition, celle de la non-rivalité des exemplaires induites par les droits patrimoniaux. Les
creatives commons inventées par Lawrence Lessig contredisent ce modèle et favorisent le
partage. Le statut de l’auteur romantique se trouve également bouleversé et un nouvel acteur
émerge, nommé héraut par Salaün. Ce médiateur, que d’autres nomment curateur, relaie
l’information, la commente et prend une place prépondérante dans les échanges sur le Web,
se profilant comme un leader d’opinion, capable de capter l’attention des foules, et donc
d’éveiller l’intérêt des annonceurs.
 Lecture et calcul : Le Web favorise à la fois la lecture linéaire de documents par un grand
nombre de personnes et les interventions des machines sur les données brutes pour générer
de nouveaux documents à la demande. Les possibilités de calculs sur les documents
bouleversent l’ordre documentaire permettant à la fois de fournir des réponses immédiates
aux questions mais aussi de générer de nouvelles représentations de phénomènes (schémas,
infographies générés à partir de données brutes).
 Conversation et traces : Le Web, et en particulier le Web 2.0, favorise les échanges
spontanés entre les individus et les fixe sur un support. Ce qui relevait de la sphère privée se
retrouve, dans le nouvel ordre documentaire, enregistré sur un support public et exposé aux
yeux de tous.
 Mémoire et oubli : Le Web est une formidable machine à enregistrer mais il a aussi la
propension à perdre l’information consignée que ce soit pour des raisons mécaniques, par la
multiplicité des variantes d’un document ou par la réactualisation en continu du contenu des
sites. Cela représente un immense défi pour les archivistes.

L’auteur se penche ensuite sur le modèle commercial du Web et, reprenant son analyse
tridimensionnelle du document, met en évidence les logiques de trois grands acteurs du Web,
représentatives selon lui de chacun des trois niveaux : Apple (pour le lu), Google (pour le su) et
Facebook (pour le vu).

Apple propose des contenus organisés et accessibles via sa plateforme iTunes. Mais ce qu’Apple
maîtrise mieux que ces concurrents c’est le design, soit la forme des terminaux (ordinateurs,
smartphones, tablettes), éléments indispensables des documents numériques. L’auteur compare
l’avantage concurrentiel de la firme à la pomme avec celui que possédait au début de l’imprimerie les
imprimeurs-libraires avant de céder la place aux éditeurs.

Google quant à lui, s’est spécialisé dans le traitement du contenu (le lu) des documents par la
« lecture industrielle » (la formule est d’Alan Giffard) effectuée par des robots. Cette stratégie a permis
au moteur de recherche de se profiler sur le marché publicitaire en proposant aux annonceurs
d’acheter des mots-clés, puis via Adsense en plaçant des espaces publicités sur des sites tiers.
Aujourd’hui, 97% des revenus de la firme proviennent de la publicité.

Facebook enfin privilégie le rôle de lien, le rôle social (le su) du document. C’est aussi sur cette
plateforme que s’épanouit le « je-document » à travers les pages personnelles. La firme mise sur la
publicité ciblée et la revente de données comportementales pour valoriser son activité avec un succès
pour l’instant bien inférieur à Apple ou Google.

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Si ces trois firmes se sont développées principalement autour d’une seule dimension du document, la
tendance actuelle est à l’intégration des autres dimensions. Ainsi, Google tente de se déployer en
direction du « vu » par le rachat de Motorola et du « su » avec son réseau social Google +.

Conclusion : Architectes et archithèques


L’auteur plaide pour la mise en place de formations susceptibles de fournir aux nouvelles
infrastructures documentaires – bibliothèques numériques, cyberinfrastructures, qu’il propose de
nommer « archithèques » – des professionnels compétents. Ces nouveaux professionnels de
l’information devraient maîtriser les savoirs documentaires traditionnels aussi bien que les
développements informatiques du Web, tout en conservant une éthique affirmée. Aux Etats-Unis, les
iSchools forment depuis plusieurs années déjà, ces nouveaux professionnels appelés « information
architect » qui maîtrisent le design et la conception d’interfaces intuitives.

Commentaire critique
Tout d’abord, il faut préciser que ce livre est un essai et que, comme le relève l’auteur dans son
introduction, « il en a les limites, les développements sont plus des propositions que des résultats à la
méthodologie sans faille ». Cet ouvrage ne peut donc pas être évalué selon les critères de validité
scientifique qui s’appliqueraient à un compte rendu de recherches. Nous nous attacherons plutôt à
commenter ici la cohérence des propos et leur portée explicative.

Cet ouvrage repose sur les réflexions que l’auteur a menées sur plusieurs années et qu’il a
consignées sur son blog. Prenant comme grille d’analyse les trois dimensions du document, il
construit une réflexion originale et parfois audacieuse mais toujours claire et facile à suivre. Son but,
énoncé dans l’introduction, est d’ « observer le Web sous un angle jusqu’ici non considéré et
d’essayer d’en tirer un maximum de leçons ». Il y parvient très largement et fournit de nombreuses
pistes intéressantes : la bibliothèque comme un écosystème à part, basée sur le partage (p. 18), la
mutation du rôle de l’auteur - d’abord mal défini (p. 41) puis « héro» avec l’invention de l’imprimerie
pour devenir « héraut » à l’heure du numérique (p. 121) - pour n’en citer que quelques-unes.

En revanche, il ne nous convainc pas entièrement dans sa tentative de « placer le Web comme un
moment d’une histoire plus longue et méconnue, celle du document » qui soulève plusieurs
questionnements. Tout au long du texte, il tente de démontrer que le Web, initié par la création de
l’hyperlien (p. 71) constitue une bascule de l’ordre documentaire et non une rupture. Pourtant, il est
obligé de concéder que ce changement profond, il parle même de « changement radical » (p. 80)
donne naissance à un « néodocument » dont il a bien du mal à définir les contours. Il se contente
d’ailleurs d’en relever les paradoxes, reconnaissant qu’une définition plus complète nécessiterait « les
lumières d’un ensemble coordonné d’experts de différentes disciplines de sciences humaines et
sociales et de plusieurs spécialités de l’informatique et des télécommunications » (p. 119).

Nous nous interrogeons également sur le rapprochement entre les quatre premiers chapitres traitant
de l’économie du document et le dernier qui traite des oligopoles du Web, mentionnées dans le sous-
titre de l’ouvrage. Même si l’analogie avec les trois dimensions du document fonctionne plutôt bien, on
peut se demander si ce n’est pas la pousser un peu loin. Selon Salaün, l’analyse tridimensionnelle du
document est une grille intéressante pour analyser les stratégies des principales firmes sur le Web.
Toutefois, le choix de ces firmes n’est pas dû au hasard et, s’il permet de bien illustrer le propos, on
peut se demander pourquoi un acteur tel que Microsoft a été écarté et surtout à quelle dimension il
aurait été rattaché. Il est donc légitime de se poser la question de la validité de cette théorie lorsqu’elle
est appliquée aux oligopoles du Web.

Il nous semble également que la bibliothèque a une place très (trop ?) importante dans l’économie du
document telle que décrite dans ce livre. Elle est placée au même niveau que l’industrie de l’édition,
du spectacle ou de la radio-télévision. Il ne fait pas de doute qu’elle se situe en dehors du marché

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traditionnel, qu’elle a une place à part, mais ne devrait-on pas la considérer au même niveau que
l’exception du droit de copie accordée dans le cadre du cercle familial ? À savoir, plutôt comme une
exception dans l’économie du document, que comme un de ses modèles (le « lu »)?

Le dernier point qui peut être soulevé est celui de la nécessité de former des nouveaux professionnels
capables de prendre en charge le néodocument et le nouvel ordre documentaire. Si ce besoin ne fait
pas de doute et que l’on souscrit aux propos de l’auteur selon lesquels «  les bibliothécaires, à l’origine
de l’ordre documentaire précédent n’ont pas été associés à cette bascule [l’émergence du numérique
à partir des années 1970] » (p. 72), nous ne sommes pas certains que l’architecture de l’information –
c’est-à-dire le design et la conception d’interfaces intuitives – soit la réponse appropriée aux défis du
nouvel ordre documentaire. Il nous semble que cela ne peut constituer qu’une solution très partielle et
que de nombreux autres problèmes sont à résoudre, en particulier celui de la pérennité et de la
fiabilité des documents.

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