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Corrigé de la dissertation 1

Sujet de Gaël Faye

« L’enfance m’a laissé des marques dont je ne sais que faire. […] Quand je suis au fond de ma
bouteille vide, j’y vois la cause de mon inadaptation au monde », Petit Pays, 2016.

« L’enfant est le père de l’homme », écrit William Wordsworth en 1802 dans son poème « Mon
cœur bondit ». Le poète espère qu’une fois adulte, il ressentira de nouveau des émotions d’enfant comme
le fait d’avoir le cœur qui bondit en apercevant un arc-en-ciel. Mais on peut aussi interpréter d’une autre
manière cette citation, en considérant que les expériences vécues dans l’enfance construisent le futur
adulte. Or, sur ce second point, dans son roman Petit pays, publié en 2016, Gaël Faye retient une leçon
douloureuse de sa propre enfance, notamment lorsqu’il a dû fuir le Burundi pour trouver refuge en France
dans une famille d’accueil : « L’enfance m’a laissé des marques dont je ne sais que faire. […] Quand je
suis au fond de ma bouteille vide, j’y vois la cause de mon inadaptation au monde ».
Gaël Faye analyse son enfance comme un ensemble de stigmates, « des marques », qui se révèlent
un fardeau dans sa vie d’adulte, un poids dont il ne peut se libérer et qu’il peine à comprendre : « dont je
ne sais que faire ». Ses empreintes de sa jeunesse l’empêchent de se confronter au monde, de s’y
épanouir : « j’y vois la cause de mon inadaptation au monde ». Les « marques » laissées par l’enfance sur
le psychisme ou le corps adulte peuvent être variées. Il peut s’agir en un sens concret de marques
physiques, ayant des répercussions psychologiques, telles des cicatrices, à la suite d’accidents ou de
maltraitances, mais aussi des marques seulement psychologiques, comme des traumatismes, des souvenirs
douloureux ayant entraîné des névroses, des frustrations, des phobies, qui entravent tout accomplissement
de soi. Cependant, Gaël Faye porte ce jugement sur son enfance quand il est d’humeur triste : « quand je
suis au fond de ma bouteille vide ». On peut donc supposer qu’avec une humeur joyeuse il verrait d’un
meilleur regard ses années de jeunesse. On peut en effet considérer que l’enfance est une période riche, de
laquelle on tire une force morale, une capacité de résister aux événements difficiles de l’existence mais
aussi une ouverture aux autres avec empathie, émotions. L’enfance peut donner un sens à l’existence du
futur adulte, en approfondissant sa sensibilité, en développant son imagination, en enrichissant ses goûts,
afin de lui donner les moyens de faire des choix et de construire son propre chemin. Mais puisque le
temps de la jeunesse est à la fois une source de cicatrices dont on ne sait que faire et une source de force
et d’ouverture au monde, comment sortir de cette ambivalence pour se réconcilier définitivement avec son
enfance et non la subir comme un fardeau incompréhensible ?
Après avoir constaté dans un premier temps que les traumatismes non surmontés de l’enfance
causent une « inadaptation au monde », nous verrons dans un second temps comment ces « marques »
peuvent orienter la vie de l’adulte de façon constructive puis nous nous interrogerons sur les moyens de
surmonter ces deux rapports à l’enfance. Nous mènerons cette réflexion à la lumière de trois œuvres : les
Contes de Hans Christian Andersen, l’œuvre philosophique Emile ou De l’éducation, publiée en 1762 par
Jean-Jacques Rousseau, et le roman Aké, les années d’enfance, publié en français en 1984.

I. Certes  : on prouve et on commente la citation en trouvant des idées et des exemples dans les œuvres du
programme

L’enfance laisse inévitablement des « marques », qu’elles soient physiques ou psychologiques :


blessures, cicatrices, impressions profondes, événements douloureux. Cet ensemble peut devenir un
fardeau lourd à porter, qui pèse dans la mémoire des enfants devenus adultes et qu’ils ne parviennent pas
à surmonter, causant leur « inadaptation au monde ».
Parmi ces marques pesantes ou ces blessures, on peut compter les châtiments corporels,
traumatisants à plus d’un titre. Dans le livre I de l’Emile ou de l’éducation, Jean-Jacques Rousseau dresse
un tableau accablant des mauvais traitements subis par les enfants au XVIIIe siècle, comme
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l’emmaillotage qui empêche le petit de se mouvoir. Il s’époumone et s’épuise pour retrouver sa liberté. La
nourrice suspend le nourrisson à un crochet pour pouvoir vaquer à d’autres tâches « Au moindre tracas
qui survient, on le suspend à un clou […] le malheureux reste ainsi crucifié (p. 70). La sensibilité de
l’enfant se construit dès cette période et elle se voit, dès le départ, entravée : « vous les contrariez dès leur
naissance ; les premiers dons qu’ils reçoivent de vous sont des chaînes ; les premiers traitements qu’ils
éprouvent sont des tourments » (p. 69). Rousseau décrit également une « éducation barbare » qui punit
l’enfant par des châtiments corporels, car elle considère que l’enfance est « le temps de corriger les
mauvaises inclinations de l’homme » (p. 150). Dans le conte d’Andersen « Tante Mal-aux-dents », un être
duel apparaît tantôt sous la forme d’une gentille tante distribuant compliments et confiseries et
encourageant le jeune homme à écrire ses pensées poétiques, tantôt en fée maléfique qui interdit au jeune
homme de versifier sous peine de graves et torturantes rages de dents. De même, dans le roman Aké, les
années d’enfance, le châtiment corporel semble une pratique partout répandue. La mère de Wole,
Chrétienne Sauvage, dont le surnom manifeste la violence, manie le bâton avec vigueur et régularité. Par
exemple, à l’époque où Wole prend la mauvaise habitude de se passer de l’eau sur ses lèvres gercées dès
qu’il est près du lave-mains, il reçoit un coup formidable sur la tête qui le projette jusqu’à la chaise
d’Essay. Mais l’enfant ignore d’abord pourquoi on le frappe : il se dit que sa mère le frappe parce qu’il a
mangé une miette d’akara, donc qu’elle le punit d’un péché de gourmandise. Mais il se montre à force
endurant à la douleur, ne gémissant pas lorsqu’elle lui écrase les doigts l’un contre l’autre jusqu’à ce
qu’ils lui fassent mal (p. 118). Comme Rousseau le démontre, le châtiment corporel pervertit l’enfant :
Wole, loin de se soumettre, multiplie les provocations, notamment lors de l’épisode du lait en poudre de
Dipo qu’il a pris l’habitude de voler en cachette. Il décide de s’enfuir de la maison et de renverser la boîte
de lait par terre en guise de dernière protestation. Mais sa mère le punit avant qu’il n’ait eu le temps de
s’échapper : « je me retrouvais dans la cour en train de sauter, essayant d’éviter des coups de poing et ses
coups de pied furieux ». Cependant, la nuit qui suit, il se remplit de nouveau la bouche de lait en poudre.
La punition n’a servi à rien : « Le lendemain matin je ne ressentais plus rien du pilonnage de la veille »
(p. 181). Wole n’a rien appris sur son acte, les coups de bâton ne l’ont pas rendu plus vertueux ni plus
enclin à respecter les règles de la maison, mais il retient la violence de sa mère.
Les blessures psychiques peuvent aussi marquer profondément l’enfance d’un individu. Selon
Rousseau, l’une des premières marques qu’imprime l’éducation traditionnelle sur le développement d’un
enfant est le fait d’être abandonné à une nourrice. De cet abandon initial contre-nature, Rousseau déroule
une chaîne de conséquences néfastes : l’absence de lien avec la mère biologique, puis le retour à la
maison de l’enfant à partir de sept ans auprès d’une mère qu’il ne connaît pas, ce qui empêche l’amour de
se développer entre les membres d’une famille. Les liens entre mari et femme, entre parents et enfants, se
distendent et conduisent les individus à se construire dans l’égoïsme, l’individualisme et l’ingratitude. Le
philosophe montre bien qu’une éducation sans amour ne peut que créer des adultes inadaptés, asociaux,
qui engendreront à leur tour une société dysfonctionnelle : « Tout vient successivement de cette première
dépravation : tout l’ordre moral s’altère ; le naturel s’éteint dans tous les cœurs » (p. 73). De simples
paroles peuvent même causer une forte impression sur un enfant, le détruire psychologiquement. Le conte
« Elle n’était bonne à rien » montre la cruauté incessante du maire, qui inculque au fils de la lavandière
une image dégradée et fausse de sa mère par la répétition de phrases méprisantes : « elle n’est bonne à
rien ! […] dis à ta mère qu’elle devrait avoir honte, quant à toi, ne deviens jamais ivrogne, mais c’est sans
doute ce qui va t’arriver ! (p. 263). La pauvre mère, qui se tue au travail dans l’eau glacée, est blessée de
ces paroles : « Ta mère n’est bonne à rien ! Il a peut-être raison, mais il ne devrait pas le dire à son
enfant ! » (p. 263). C’est Maren, son amie, qui lui rendra justice en plantant un petit rosier sur la tombe de
la mère décédée et en persuadant le petit garçon que sa mère n’était pas une bonne à rien car il commence
à en douter. Quant à Wole, il est confronté à des expériences d’injustice qui le blessent profondément et
laissent ses interrogations irrésolues. Au chapitre VII, la famille reçoit la visite de Monsieur et Madame
Odufawa, dont Wole est secrètement amoureux. Alors qu’ils se promènent dans le jardin et que Wole
essaie de faire valoir son intérêt pour les fleurs et les plantes, son frère Dipo vient le provoquer en faisant
le pitre. Joseph puis l’ensemble de la famille poussent les deux frères à se battre, sous prétexte que Wole
ne mériterait pas son surnom de « lagilagi » (fendeur de bûches) que lui a donné la belle madame
Odufawa. Wole ne comprend pas cette ligue qui se monte contre lui : « J’étais blessé. Qu’avais-je fait ?
Pourquoi essayait-on de me rabaisser aux yeux de ma future épouse ? » (p. 200). Piqué au vif, Wole se bat
avec son jeune frère mais il continue de le frapper alors que le petit est à terre et qu’il ne parvient plus à se
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défendre. Il est condamné par toute la famille, ce qu’il vit comme une injustice, considérant qu’il est lui-
même la victime : « Un seul fait m’écrasait : il n’y avait ni justice ni logique dans le monde des adultes »
(p. 204). Plus tard, lors d’une longue discussion à Isara, il évoquera avec son grand-père le caractère
illogique du monde des adultes, preuve que cet épisode l’a profondément marqué : « Père, ils ne savent
pas ce qu’ils veulent, tu ne trouves pas ? Ils nous punissent lorsque nous nous battons dehors, et puis ils
provoquent mon frère contre moi » (p. 271). Cependant, c’est l’épisode de la mort de la petite sœur
Folasade, qui constitue un des traumatismes les plus marquants. Elle est atteinte d’une maladie dont le
lecteur ne saura rien. Wole perçoit le drame de loin, à travers les changements de comportement de ses
parents et leurs allers-retours à l’hôpital. Tinu et Wole découvrent brutalement, un matin, la mort de
Folasade quand le menuisier vient apporter une petite caisse en bois. Le petit garçon éprouve une vive
douleur et une totale incompréhension. Il explose de rage : « Soudain tout se brisa en moi. […] les larmes
m’avaient envahi, je me sentais aspiré en un lieu de malheur dont la cause et les limites demeuraient
insaisissables » (p. 192). Les enfants ne sont ni informés ni rassurés par leurs parents qui vivent leur
chagrin dans l’intimité de leur couple. Le narrateur s’attend à voir un changement mais la vie reprend son
cours comme si le bébé n’avait jamais existé, ce qui le plonge dans un profond désarroi. « Cette normalité
était presque arrogante » (p. 192). Ainsi l’enfant a-t-il besoin d’être accompagné lors de ses expériences
du monde. Sinon, comme le suggère Gaël Faye, elles peuvent entraîner « son inadaptation au monde ».
Rousseau évoque cette inadaptation, conséquence d’une éducation contre-nature, dès le livre I de
l’Emile. Il existe un désaccord entre plusieurs principes éducatifs incompatibles, qui ne peuvent conduire
qu’à un piètre résultat. On veut éduquer l’enfant pour les autres, pour la société, en lui inculquant des
principes qu’il ne peut comprendre, au lieu que la nature cherche à développer l’enfant pour lui-même.
« au lieu d’élever un homme pour lui-même, on veut l’élever pour les autres » (p. 59). Or « il faut opter
entre faire un homme ou un citoyen car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre » (p. 59). On ne peut
déployer des efforts pour préserver et faire croître sa personne et en même temps être bon pour la société.
Le désaccord dans les objectifs éducatifs construit un être inadapté, incapable de décider quoi que ce soit.
On s’évertue ainsi à préparer les enfants à un rôle d’ordre social, à une fonction, à un métier alors qu’on
devrait seulement leur apprendre à être « homme » et cela se fait « moins en préceptes qu’en exercices »
(p. 65). Ainsi vouloir élever un enfant dans sa chambre pour le préserver et dans l’idée de conserver son
rang social est le contraire du bon sens : « peut-on concevoir une méthode plus insensée que d’élever un
enfant comme n’ayant jamais à sortir de sa chambre […] ? Si le malheureux fait un seul pas sur la terre,
s’il descend d’un seul degré, tout est perdu » (p.66). La première éducation décrite par Rousseau dure sept
à huit ans auprès de la mère ou de la nourrice qui charge la mémoire de l’enfant « de mots qu’il ne peut
entendre ou de choses qui ne sont bonnes à rien ». Puis l’enfant est confié à un précepteur qui lui apprend
à devenir « plein de science mais dépourvu de sens » donc il n’a pas appris l’essentiel « se connaître »,
« savoir vivre et se rendre heureux » (p. 80). Les parents qui, à l’inverse, laissent à l’enfant une totale
liberté en cédant à tous ses caprices ne le rendent pas plus heureux ni plus adaptés au monde. L’enfant
voudra d’abord votre canne, puis votre montre, puis un oiseau puis une étoile ! Ne comprenant pas votre
refus, il se mettra à hurler en vous croyant de mauvaise volonté ! Il n’est pas heureux et cette souffrance
augmentera quand il vivra en société : « Heureux, lui ! c’est un despote ; c’est à la fois le plus vil des
esclaves et la plus misérable des créatures » (p. 168). Dans Aké et les années d’enfance, la petite fille du
libraire et amie de Wole, Bukola, incarne la petite fille capricieuse. Elle fascine Wole et sa sœur Tinu car
elle est sujette à des crises d’épilepsie qu’on attribue à une faculté spirituelle supérieure : elle est une
abiku, un être capable de communiquer avec les esprits de l’au-delà. Mais elle avoue à Wole que ses
crises se produisent quand ses parents lui refusent quelque chose : « je vais partir, je vais partir si vous ne
faites pas ça et ça » (p. 42). Wole lui fait remarquer : « Mais il y a des choses qu’ils n’ont pas. Même un
roi ne peut pas tout avoir » et il se montre choqué par son attitude : « j’éprouvais une vague inquiétude à
la pensée qu’un enfant pût exercer un tel pouvoir sur ses parents » (p. 43). Mais sa propre éducation ne
l’aide pas non plus à affronter le monde. Il y a un conflit entre deux types d’éducation : celle chrétienne
de Essay et de Chrétienne Sauvage et celle plus traditionnelle de Père, le grand-père paternel de Wole. Au
chapitre IX, le grand-père manifeste des réticences envers l’éducation très livresque de Wole, qui est un
très bon élève, qui a de nombreuses connaissances, mais qui est mal préparé à affronter le monde hostile
du lycée, où ses camarades seront plus âgés que lui : « il veut envoyer son fils à la bataille et, crois-moi, le
monde des livres est un champ de bataille » (p. 274). En accord avec la pensée de Rousseau, Père
privilégierait une éducation plus « physique », une éducation du corps, en accord avec le monde réel, la
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nature et les facultés naturelles de l’enfant : « Ayo ne croit pas qu’il faille laisser les enfants mûrir dans
leur corps avant de forcer leur esprit » (p. 272). Entré au lycée, dans les premiers temps, Wole habitué à
penser que le péché n’existe pas et que tous les enfants sont aussi bien élevés que lui, ne prend pas garde
à ses affaires et se fait voler sa belle boîte de compas neuve dès le premier jour : il en sera profondément
blessé. Les enfants aux désirs excessifs ou inadaptés sont également nombreux dans les contes
d’Andersen, qu’ils figurent sous la forme d’enfants, de choses animées, de plantes ou d’adultes aux
attitudes enfantines. Le petit sapin du conte éponyme n’aspire qu’à grandir, croître, entrer prématurément
dans le monde des adultes. Il désire une vie qui n’est pas de son âge, négligeant le bonheur du temps de
l’enfance qu’il regrettera amèrement quand, une fois coupé et planté au milieu du salon pour le soir de
Noël, il se rendra compte du caractère éphémère d’une vie de sapin. La morale est très semblable pour le
crapaud qui n’écoute pas les conseils de sa mère, s’enfuit du puits pour découvrir le monde, partir à
l’aventure et aller toujours plus haut : il finit dans le gosier d’une cigogne. Ainsi, ne pas savoir adapter ses
désirs à ses possibilités, à la réalité de son action dans le monde, conduit au malheur, aux frustrations, au
désespoir. C’est la morale de plusieurs contes d’Andersen mais aussi la morale défendue par Rousseau :
« En quoi consiste la sagesse humaine ou la route du bonheur ? […] à diminuer l’excès des désirs sur les
facultés et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté ».
Au terme de cette première partie, l’enfance nous apparaît comme laissant des « marques » dans le
psychisme ou sur le corps de l’adulte, comme l’éprouve Gaël Faye. Ces marques plus ou moins
traumatiques peuvent engendrer une inadaptation au monde, dans la mesure où l’enfant, une fois adulte,
n’est pas armé pour affronter le monde qui l’entoure et n’est pas heureux car il n’a pas trouvé comment
s’accomplir, comment s’épanouir.

Saut de ligne

Mais Gaël Faye précise qu’il se trouve inadapté au monde qui l’entoure quand il est « au fond de
[s]a bouteille vide ». Qu’en est-il lorsque sa bouteille est pleine, donc lorsqu’il connaît des moments de
bonheur, qu’il se sent bien ? On peut en effet penser que l’enfance façonne positivement le futur adulte,
qu’elle peut être à l’origine de son adaptation au monde et de sa force d’âme, qu’il peut y puiser une
source de sensibilité, d’émotions, de créativité.

Saut de ligne

II. Mais  : on discute le sujet, on débat en développant les failles que l’on a suggérées en introduction.

L’enfance ne laisse pas seulement des « marques » dont on ne sait que faire. Lieu des premières
expériences, elle peut être une source de chagrins et de douleurs que l’on surmonte pour mieux se
connaître et mener sa vie adulte, ou une source de joies et de découvertes qui permet de s’adapter à toutes
les épreuves que l’on rencontrera.

1er argument :
Les accidents et blessures qui font partie des événements marquants de la vie d’un enfant sont des
étapes nécessaires à sa construction et son développement.

Aké et les années d’enfance :


Dans la culture traditionnelle nigériane, certains rites marquent le passage du petit garçon à un stade de
maturité plus avancé et l’introduisent dans le monde des hommes. Ainsi, lors d’un séjour à Isara, terre
ancestrale du côté paternel, Wole subit le rite initiatique de l’incision de ses chevilles et des poignets par
son grand-père. Ce dernier l’avertit que la douleur sera forte, mais il lui demande de ne pas pleurer pour
ne pas se couvrir de honte devant un autre garçon, un plus âgé que lui, présent dans la salle : « Ecarte
toujours de ton esprit des sources de douleur […] C’est à toi de décider si tu veux te couvrir de honte en
pleurant devant lui » (p. 279). Wole éprouve de terribles douleurs, mais il résiste et en éprouve une grande
fierté à la fin du rite. Il a passé avec succès l’épreuve initiatique. Son grand-père le félicite  : « Tu t’es
comporté comme un akin » (p. 282 : akin signifie l’homme). L’efficacité de cette inoculation de la
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douleur semble probante puisqu’au lycée, à l’occasion d’une punition infligée par le sévère Daodu pour
une pelouse mal entretenue, Wole affronte le châtiment en restant stoïque : « je pus en grande partie
détourner mon esprit de la douleur, sauf au premier coup, que je ressentis dans tout le corps » (p. 328).

D’autres expériences peuvent constituer des étapes essentielles, comme le fait de s’égarer. Au chapitre III
de Aké, le petit garçon de quatre ans et demi parvient à sortir de chez lui et suit un défilé de la fanfare de
la gendarmerie avec d’autres bandes d’enfants. Il découvre avec plaisir la ville, admire le boucher,
observe avec une fascination mêlée de terreur l’étal de « sorcières » qui vendent des potions et, même,
croit-il, des crânes de jeunes enfants. Il se retrouve perdu, à des kilomètres de sa maison, mais il est
ramené à bicyclette par un militaire. Epuisé, il sombre dans le sommeil, mais il a le sentiment d’avoir
grandi le lendemain : « j’avais le vague sentiment […] d’être maintenant tout différent de ce que j’étais
avant le défilé » (p. 103).

L’Emile :
Rousseau prône une éducation à la douleur : « n’est-ce pas sortir l’homme de sa constitution que de
vouloir l’exempter également de tous les maux de l’espèce ? […] pour sentir les grands biens, il faut qu’il
connaisse les petits maux ; telle est sa nature » (p. 118).

Epargner les douleurs de l’enfance est contre-productif car c’est reculer le temps de l’épreuve qui sera
encore plus difficile à franchir pour l’adulte. Surprotéger l’enfant ne conduit qu’à le rendre sensible,
délicat et incapable d’être armé pour s’adapter au monde : « vous leur préparez de grandes misères ; vous
les rendez délicats, sensibles » (p. 166).

Rousseau lie même blessure et joie : si l’enfant se blesse, c’est qu’on le laisse en liberté et cette liberté est
mille fois plus désirable que l’interdiction et la contrainte : « je serais fort fâché qu’il ne se blessât jamais
et qu’il grandit sans connaître la douleur. Souffrir est la première chose qu’il doit apprendre, et celle qu’il
aura le plus grand besoin de savoir » (p. 146). La blessure devient la condition du bonheur : « Mon élève
aura souvent des contusions, en revanche, il sera toujours gai » (p. 148).

Les Contes :
Les blessures qui marquent le passage de l’enfant à un stade supérieur de développement physique et
psychique sont nombreuses dans les contes. Elles montrent à l’enfant qu’il est normal de souffrir en se
confrontant au monde, que cela permet d’accéder à une vie épanouie. Le conte « La cloche » fait état
d’une mystérieuse cloche qu’on entend parfois, qui semble venir de la forêt, mais que l’on n’a jamais
réussi à trouver. Le jour de la confirmation des enfants, certains refusent de partir à la recherche de la
cloche, manifestant ainsi leur crainte et leur immaturité. Mais un garçon pauvre et le fils d’un roi
entreprennent le trajet initiatique. Chacun des deux garçons suit son propre trajet, plein d’épines et de
difficultés. En cours de route, le pauvre petit garçon n’a pas manqué de se blesser : « les épines
déchirèrent ses pauvres habits et écorchèrent son visage, ses mains et ses pieds » (p. 225). Mais chacun
des deux parvient au bout du trajet où ils se retrouvent dans une dernière étape de contemplation du
monde : « ils coururent l’un vers l’autre et se tinrent par la main dans la grande église de la nature et de la
poésie et au-dessus d’eux retentissait le son de la cloche sacrée invisible » (p. 227). Au terme de ce
parcours initiatique, fait de douleurs, ils ont gagné en maturité et se trouvent plus en harmonie avec le
monde qui les entoure.

Le fantasme de la persécution, voire de l’abandon par une méchante mère ou marâtre, constitue un motif
récurrent des contes. Dans « Le vilain petit canard », la mère cane défend son dernier œuf qui s’ouvre sur
un bébé laid et différent des autres. Mais comme les autres frères s’en prennent toujours à ce bébé laid et
que cela crée des disputes incessantes, elle finit par le rejeter. L’oiseau se retrouve seul, incompris et
rejeté par tous. Mais, une fois parvenu au terme de sa croissance, il trouvera enfin son identité : ce sera
une nouvelle naissance en tant que cygne et il pourra fonder sa propre famille. Ayant surmonté l’épreuve
difficile de son enfance et de son adolescence, il a réussi à s’adapter au monde.
Dans « Les cygnes sauvages », une méchante belle-mère épouse un roi veuf et persécute les enfants du
premier lit. Elle les prive de nourriture : au lieu de gâteaux et de pommes cuites au four, ils mangent du
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sable dans une tasse de thé. Elle fait abandonner Elisa, la seule fille du roi, de façon brutale ce qui
correspond à une vérité psychologique pour l’enfant qui grandit et vit le changement de sa mère au
moment où elle commence à le rendre plus autonome. Ce comportement, qui semble cruel, représente
symboliquement la période où les parents veulent que les enfants « quittent le nid familial » et deviennent
plus autonomes ce que le conteur prend le soin d’expliciter par une sentence de la reine : « Envolez-vous
de par le monde et tirez-vous d’affaire tout seuls ! » (p. 96).

2e argument :
Loin de nous affaiblir, les expériences de notre enfance peuvent également nous ouvrir aux autres
et ainsi constituer une force, nous rendant plus humains, plus aptes à vivre en société, et non inadaptés
comme le pense Gaël Faye.

L’Emile :
Rousseau semble indiquer que les légers maux de l’enfance sont l’occasion pour l’enfant de connaître
l’humanité, la sienne et celle des autres, de cultiver la compassion et la douceur : « L’homme qui ne
connaîtrait pas la douleur ne connaîtrait pas l’attendrissement de l’humanité, ni la douceur de la
commisération ; son cœur ne serait ému de rien, il ne serait pas sociable, il serait un monstre parmi ses
semblables » (p. 167).

Les Contes :
Ne se montrent humains, doués de compassion que les êtres qui ont souffert l’humiliation ou le manque
quand ils étaient petits. La bougie de suif dans le conte « Les bougies » se montre heureuse de son sort
humble parce qu’en définitive elle connaît ici la joie vraie du sourire d’un enfant qui mangera « des
pommes de terre chaudes », vrai repas de fête pour l’enfant pauvre.

Dans « les cygnes sauvages », Elisa, en quête de ses frères, se perd dans la forêt hostile, s’y endort, mais
sa foi en Dieu, son courage, son amour pour ses frères la guident et elle les retrouve. Cependant, la féé
Viviane lui inflige une épreuve, afin qu’elle puisse leur redonner une apparence humaine, les faire sortir
de leur monstruosité animale : la jeune fille devra supporter d’atroces douleurs en filant du lin à partir
d’orties afin de confectionner des cottes pour ses frères. Sa foi, sa sensibilité, son amour pour ses frères
lui permettent de réussir et son succès enseigne que, malgré la douleur, la jeune fille accède à une identité
plus riche et une vie plus satisfaisante. Elle gagne l’admiration de tout un peuple témoin de son courage,
l’union avec un beau prince qui l’aime, la compagnie de ses frères qui retrouvent forme humaine. Le plus
jeune, le plus aimé est son double, son jumeau. Il est donc logique qu’il garde une cicatrice de cette
épreuve, une « marque », une aile de cygne, trace que sa métamorphose en humain n’a pas réussi jusqu’au
bout. Cette « marque » est le signe restant de cette épreuve, qui se termine en la création d’une société
harmonieuse et non inadaptée.

Aké et les années d’enfance :


Wole ne supporte pas non plus l’humiliation des autres. Il trouve révoltante l’attitude de ses parents qui
prennent plaisir à humilier sa sœur, Tinu, plus âgée mais moins douée que lui à l’école : « mais l’humilier
devant ses étrangers, c’était le crime impardonnable » (p. 159).

Il évoque dans le chapitre VI sa déception de voir madame B., la femme du libraire, mère de substitution
qu’il adore, se livrer à des sévices corporels sur une jeune servante qui mouille encore sa natte la nuit. La
tradition, cruelle, veut que l’on promène la servante fautive dans toute la ville pour l’exposer à une
humiliation publique, qui ne lui donnera plus l’envie de recommencer et la rendra propre. L’enfant
mentionne le caractère traumatique de ce spectacle qu’il n’approuve pas. Mais cette « marque »
développe sa compassion, le rend plus humain et capable d’esprit critique par rapport à certains rites de sa
terre natale : « c’était une jeune femme qui était la victime misérable, humiliée et fatiguée de cette
pratique, et cela m’impressionnait » (p. 172).

6
3e argument :
A l’inverse, certaines « marques » sont la trace d’expériences positives, qui ont aiguisé la
sensibilité de l’enfant et l’ont rendu plus perméable à ce qui l’entoure, en l’aidant à s’adapter plus
facilement au monde.

Aké et les années d’enfance :


Wole investit certains lieux qui lui servent de terrain de jeux, de supports de rêverie. Ils lui permettent
d’atténuer ses souffrances, de développer son imagination puis, quand il devient adulte, ils constituent une
réserve de souvenirs qui le nourrissent et lui laissent des « marques » constructives.
Le rocher-baleine baptisé Jonas et le goyavier représentent ainsi des lieux intimes, privés, protecteurs.
Jonas, c’est un long rocher près de l’école sur lequel les écoliers font des modelages et des travaux
pratiques, mais que Wole s’est approprié puisqu’il vit dans la mission. La maîtresse du dimanche y fait
référence pour donner aux enfants une idée de la grosseur du poisson qu’avale Jonas dans la Bible. Cette
nomination fâche Wole car elle lui impose un sens biblique qu’il n’avait pas prêté à son rocher : « Jonas
était ma demeure personnelle et privée. Et voilà que la maîtresse d’école l’avait transformée en réalité
biblique. Son mystère se compliqua d’un monde d’histoires bibliques invraisemblables » (p. 129). Les
adultes avec leur culture classique imposent un sens autre, alors que l’enfant avait investi ce lieu d’une
signification propre qui le soutenait : « C’était pour moi la mort d’un confident incomparable, la perte
d’une présence débordante, enveloppante ». Le rocher était un soutien pour l’enfant. Une fois adulte, il
s’en souvient comme d’une « marque » positive, même si la maîtresse a brisé l’aide que lui fournissait ce
lieu.
Le goyavier, quant à lui, est un espace où il se replie sur lui-même pour mieux grandir : « sous les nuages
menaçants il réussissait le double exploit d’exister et de se retirer dans un monde intérieur d’esprits
bienveillants des feuillages […] Le goyavier possédait cette assurance indéfinissable d’avaler le temps,
d’en supprimer l’existence » (p. 130). Ces deux lieux sont donc à la fois des repaires de l’enfant, où il
vient jouer seul et se construire, et des repères, dont il se souvient une fois adulte comme des balises ayant
marqué son enfance et l’ayant soutenu dans son développement.

Son éducation le rend sensible à différentes cultures : le Christianisme de sa mère alimenté par les récits
bibliques du catéchisme du dimanche, mais aussi la culture traditionnelle nigériane comme les défilés de
masques ou les récits de Bukola capables de traverser le monde des morts ou ceux de son oncle Sanya,
« oro », qui le fascinent et le terrifient en même temps.
Quand il lui arrive des accidents sanglants, il a aussi recours aux croyances traditionnelles : en courant
après son ami Osiki dans la concession, il reçoit accidentellement un coup de machette au coin de l’œil.
Allongé sur une table d’école, il entend les adultes paniqués autour de lui. Mais il n’éprouve aucune peur
car il est convaincu qu’il se réincarnera bientôt sous la forme d’un masque « je me dis que cette fois-ci
j’allais peut-être vraiment mourir […] j’essayais de me rappeler si j’avais jamais vu un masque borgne
parmi les egungun que nous regardions par-dessus le mur » (p. 73).
Cette croyance le soutient dans ce moment de souffrance et d’angoisse, devenant un refuge, un repère ou
une source d’inspiration face aux difficultés qu’il peut rencontrer.

L’Emile :
Rousseau renverse les préjugés éducatifs en valorisant l’éducation des sens, du corps, plutôt que les
études abstraites. En effet, c’est en cultivant les forces du corps qu’on stimule le développement de ses
facultés intellectuelles. Cette éducation par le sensible et l’expérience rendra l’enfant plus robuste et sain.
Elle le guidera et lui apportera des « marques » constructives pour le reste de sa vie.

Le philosophe entreprend l’étude des cinq sens et établit une hiérarchie, certains étant plus intéressants à
solliciter en vue d’une éducation adaptée à la réalité du monde. Il privilégie le sens de la vue, car nous
vivons la moitié de notre vie aveugles puisque nous ne voyons pas la nuit. Il propose d’aiguiser ce sens,
de le renforcer afin d’éliminer la peur du noir qui est une crainte répandue chez l’enfant comme chez
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l’adulte. Sous forme de jeux nocturnes, il convient d’accoutumer les enfants dans la joie à ne plus
craindre le noir et à se libérer de cette angoisse. L’affermissement de l’usage de ce sens rend l’enfant plus
courageux, plus perméable à ce qui l’entoure, même la nuit, ce qui stimule sa connaissance rationnelle.

De façon plus générale, Rousseau invite le gouverneur idéal à éduquer Emile à la campagne car l’air y est
meilleur, les hommes et les mœurs plus simples et plus purs, l’apprentissage du langage plus évident, le
contact avec la nature plus propre à exercer les forces de l’enfant libre de mouvement, autant
d’expériences qui laisseront une empreinte, une « marque » positive sur l’enfant.

Les Contes :
Dans « Une histoire des dunes », le jeune Jorgen aurait dû grandir dans le faste de sa riche famille
d’origine, mais il est recueilli par un couple de pêcheurs après un naufrage qui coûte la vie à ses parents.
Il reçoit une éducation au plus près de la nature, trouvant sur la plage la matière première de ses jeux
apportés par la mer : « Toute la plage, sur des lieues, était remplie de jouets : une mosaïque de galets, […]
une carcasse de poisson desséchée, […] des algues […] tout était fait pour amuser et distraire l’œil et
l’esprit, et le garçon était un garçon éveillé ».
Le conteur insiste sur le caractère sain de son éducation et sur la force éternelle de ses souvenirs de jeux :
« L’enfance a pour tout le monde ses moments lumineux qui, par la suite, illuminent toute la vie  » (p.
294).

De même, la famille de Jorgen reçoit deux fois par an l’oncle maternel qui est marchand d’anguilles. Il
raconte toujours la même histoire qui reste dans la mémoire du jeune homme comme une « marque »
positive, qui oriente sa vie : « Et cette histoire devint le fil conducteur de la vie de Jorgen, ce qui
détermina son humeur », notamment son envie de voyager, de découvrir le monde (p. 297).

4e argument :
Mais afin de comprendre la portée de son enfance sur sa vie, il convient de mener un travail
d’introspection, à la manière de Gaël Faye. Ce retour en arrière, « j’y vois », élaboré par sa mémoire et
l’écriture de son roman, lui permet de mieux comprendre son sentiment d’inadaptation. Raconter son
enfance permet de l’organiser, de la réaménager, de lui donner du sens pour mieux cerner l’origine de sa
personnalité ou de ses idées.

L’Emile :
Rousseau raconte des épisodes de sa propre enfance auxquels il donne le sens qui lui convient, après tant
d’années, pour convaincre son lecteur du bien-fondé de sa méthode éducative : « En vieillissant, je
redeviens enfant, et je me rappelle plus volontiers ce que j’ai fait à dix ans qu’à trente. Lecteurs,
pardonnez-moi donc de tirer quelques fois mes exemples de moi-même ; car pour bien faire ce livre, il
faut que je le fasse avec plaisir » (p. 268).
Ainsi raconte-t-il l’épreuve à laquelle M. de Lambercier l’a soumis pour éprouver son courage quand il
était enfant : aller chercher de nuit une bible dans la chaire où on l’avait laissée. Il avoue sa terreur
nocturne : « la frayeur me reprit, mais si fortement, que je perdis la tête » (p. 269). Revenu à la maison
sans la bible, il entend M. de Lambercier s’apprêter à aller le chercher, escorté de son cousin qui aurait
alors reçu toutes les félicitations. Il repart en courant à l’église, prend la bible et la ramène, sans aucune
frayeur. Le philosophe se rappelle cet épisode pour aguerrir l’enfant à l’obscurité. Il recommande non pas
de le laisser seul dans la nuit, mais de lui faire affronter l’obscurité en petits groupes et avec des jeux.

Aké et les années d’enfance :


Par l’écriture de son roman, Soyinka retrouve l’Aké de son enfance. Il fait revivre le passé, les êtres
disparus, les odeurs, les lieux aimés dont il est nostalgique : « Il est arrivé malheur à la mission d’Aké.
[…] la carcasse de voiture n’a pas changé de place […] Mais ce n’est plus qu’une épave. […] Les
maisons qui survivent […] ne sont plus que des caisses d’emballage » (p. 16-17).
Il reconstruit ainsi les atmosphères qu’il aimait, expliquant à son lecteur d’où il vient et ce qui fonde sa
personnalité, notamment cette culture yoruba, qui peuple le monde d’esprits, au point qu’il pensait,
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enfant, que l’Anniversaire était une entité surnaturelle qui apparaissait toute seule le jour J. Ainsi invite-t-
il un groupe d’amis à venir fêter son anniversaire à la maison sans prévenir sa mère qui doit lui expliquer
qu’un anniversaire s’organise.
Soyinka parvient à mettre à distance sa déception d’enfant, qui perd sa croyance en un pouvoir magique
de l’anniversaire, pour livrer à son lecteur un récit amusé sur sa naïveté de petit garçon et en faire un
apprentissage qui doit le forcer à distinguer ce qui relève de la croyance et du réel : « l’Anniversaire ne
venait pas tout seul et il fallait lui rappeler de venir […] L’Anniversaire perdit beaucoup de son prestige
après cette aventure » (p. 67).

Les Contes :
Le conte « Ce qu’on peut inventer » met en scène un poète sans inspiration qui se désespère de son
époque sans poésie. La guérisseuse qu’il va consulter le gronde : « Il y a des quantités de choses de toutes
sortes sur lesquelles ont peut écrire et raconter des histoires, à condition qu’on sache les raconter ». Elle
l’invite à regarder le monde avec de nouveaux yeux, à retrouver la nature. Elle lui donne des lunettes et
un cornet acoustique à mettre sur son oreille. Elle lui place dans la main une pomme de terre qui émet un
chant avec des paroles. Or la pomme de terre raconte l’histoire de sa famille, donc son enfance. Aussi
faut-il retrouver un regard simple sur le monde et les choses, une certaine naïveté, son regard d’enfant
pour découvrir son origine dans ses souvenirs, et pour leur donner du sens.

Ainsi, par un travail de mémoire et de réécriture, les « marques » de l’enfance trouvent leur sens.
Ce ne sont plus des marques dont on ne sait que faire : elles expliquent un sentiment d’inadaptation, lui
donnent au moins une origine ou bien elles fondent, cette fois positivement, notre rapport au monde et nos
idées à l’âge adulte. Ces « marques » expliquent l’adulte que l’on est devenu, ou plutôt l’adulte s’explique
ce qu’il est ou ce qu’il ressent, en cherchant un sens à sa vie présente dans les souvenirs recomposés de
son enfance.

Saut de ligne

Conclusion  :

Nous avons pu prendre la mesure du rapport ambivalent que l’on entretient avec sa propre
enfance. Suspendu entre deux pays, deux cultures, Gaël Faye évoque sa difficulté à envisager de manière
apaisée son passé dont il tire une inadaptation au monde. Telle est bien l’enfance dans nos œuvres  : une
source de traumatismes, de blessures mal cicatrisées que l’adulte traîne comme un fardeau. Mais l’enfant
est aussi capable de surmonter ses expériences, aussi difficiles soient-elles, d’y puiser une force, une
créativité, une sensibilité, une vitalité. Et bien que Gaël Faye reconnaisse son inadaptation, il lui donne un
fondement par la recréation de son enfance dans son roman. L’enfance n’est qu’une interprétation de
l’adulte, selon le regard qu’il porte sur elle et le besoin de sens qu’il y cherche.
C’est ce qu’explique Gaston Bachelard, dans Poétique de la rêverie, en 1960 : « L’histoire de
notre enfance n’est pas psychiquement datée. Les dates, on les remet après coup ; elles viennent d’autrui,
d’ailleurs, d’un autre temps que le temps vécu. Les dates viennent du temps où précisément l’on
raconte  ».

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