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Topologie et mesure

par Gilles GODEFROY


Directeur de recherches
au Centre national de la recherche scientifique CNRS

1. Espaces métriques. Espaces complets .............................................. AF 99 – 2


2. Espaces compacts ................................................................................... — 3
3. Lemme de Baire dans les espaces métriques complets................ — 4
4. Théorie de la mesure et intégration ................................................... — 4
5. Espaces normés. Espaces de Banach ................................................. — 6

et article constitue un préliminaire à l’analyse fonctionnelle puisqu’il s’agit


C de l’étude de la topologie et de la mesure. Pour cela, il faut faire connais-
sance avec les concepts qui éclairent la formalisation : espaces métriques, espa-
ces complets, espaces compacts, espaces normés et espaces de Banach. Les
espaces normés de dimension finie, les espaces de Hilbert et les espaces de
Banach non euclidiens font l’objet de l’article suivant [AF 100].

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© Techniques de l’Ingénieur, traité Sciences fondamentales AF 99 − 1
TOPOLOGIE ET MESURE _________________________________________________________________________________________________________________

1. Espaces métriques. Il est utile de savoir que tout espace métrique peut-être complété :
étant donné ( E, d ) métrique, il existe un espace métrique complet
Espaces complets ( Eˆ , d̂ ) et une injection isométrique j : E → Eˆ telle que j ( E ) soit
dense dans Eˆ – c’est-à-dire que tout point de Eˆ est limite d’une
Soit E un ensemble. Une distance d sur E est une application : suite de points de j ( E ) . Cette propriété définit Eˆ à une isométrie

d : E × E → [0, + ∞ [ près et on l’appelle donc le complété de E.

qui vérifie les trois conditions suivantes : Exemple : le plus simple, c’est  ˆ =  ; cette équation répond au
problème de l’irrationalité mentionné dans l’historique. Les espaces
(i) d ( x, y ) = 0 ⇔ x = y. fonctionnels fournissent des exemples plus profonds, que nous ver-
rons par la suite.
(ii) d ( x, y ) = d ( y, x ) pour tous x et y.

(iii) d ( x, z )  d ( x, y ) + d ( y, z ) pour tous x, y et z. Une distance d sur un ensemble E munit cet ensemble d’une
topologie, en d’autres termes d’une collection de sous-ensembles
ouverts, suivant la définition suivante.
La quantité d ( x, y ) est appelée la distance entre x et y. Un espace
métrique est un couple ( E, d ) , où d est une distance sur E, c’est-à-
dire un ensemble E muni d’une métrique d. Définition : soit ( E, d ) un espace métrique. Un sous-ensem-
ble V de E est dit ouvert si pour tout x ∈ V , il existe ε > 0 tel que
la boule :
Exemples : Soit E =  ; d ( x, y ) = x – y est la distance ou métri-
que usuelle sur  . B ( x, ε ) = { y ∈ E, d ( x , y ) < ε }
n
Plus généralement, si E =  et x = ( x 1, x 2, …, x n ) , soit incluse dans V.
n
y = ( y 1, y 2, …, y n ) sont deux éléments de  , et si on pose :

Un sous-ensemble F de E est dit fermé si quand ( x n ) n  0 est une


n

∑ suite dans F qui converge vers x (on écrit alors x = lim ( x n ) ), on a


2
d 2 ( x, y ) = ( xi – yi )
n→∞
i=1 x ∈ F . Il est facile de voir que F est fermé si et seulement si son
n complémentaire ( E \ F ) est ouvert.
alors d 2 est la distance euclidienne sur  (cf. [AF 100, § 2]).
Une fonction f d’un espace métrique E dans un espace métrique F
est continue quand on a :
Il est clair qu’un sous-ensemble d’un espace métrique est un
espace métrique par restriction de la distance. lim ( x n ) = x ⇒ lim f ( x n ) = f ( x )
Soit ( x n ) n  0 une suite de points de E. On dit que ( x n ) n  0 n→∞ n→∞

converge vers x ∈ E si pour tout ε > 0 , il existe N ∈  tel que si On vérifie aisément que f est continue si et seulement si f
–1
(V)
n  N , alors : est ouvert dans E pour tout sous-ensemble ouvert V de F.
Remarquons que toute réunion d’ouverts est ouverte, et donc que
d ( x n, x ) < ε
toute intersection de fermés est fermée.
Cela permet de définir l’adhérence A d’un ensemble A comme le
On dit que la suite ( x n ) n  0 est de Cauchy si pour tout ε > 0 , il
plus petit fermé contenant A ; il est clair que A est aussi l’ensemble
existe N ∈  tel que si p  q  N , alors :
des limites de suites d’éléments de A.
Les distances permettent de formaliser, dans de nombreux cas, le
d ( x p, x q ) < ε
concept de limite. En toute généralité, elles ne suffisent cependant
pas.
C’est une conséquence facile de la propriété (iii) des distances
(l’« inégalité triangulaire ») que toute suite convergente est de
Cauchy. Exemple : une suite ( f n ) n  0 de fonctions de  dans  converge
simplement vers f si pour tout x ∈  :
La réciproque est vraie dans certains espaces métriques, mais pas
dans tous, d’où la définition suivante.
lim f n ( x ) = f ( x ) (1)
n→∞

Définition : un espace métrique ( E, d ) est complet si toute


On montre qu’il n’existe pas de distance d sur l’espace des fonc-
suite de Cauchy d’élément de E converge dans E.
tions de  dans  telle que l’équation (1) soit équivalente à
lim d ( f n, f ) = 0 . On peut cependant définir (et utiliser) la topologie de
Exemple :  est complet pour sa distance naturelle, mais l’ensem- la convergence simple. Mais cette notion importante dépasse le
ble  des rationnels ne l'est pas. cadre de cet exposé.

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Quelques éléments historiques 2. Espaces compacts


La topologie générale est une branche des mathématiques
qui s’est développée, et axiomatisée, au cours du vingtième siè- Une fonction bornée, définie sur un ensemble E et à valeurs réel-
cle. Son développement répondait à divers besoins de l’analyse les n’atteint pas en général ses bornes, ce qui oblige à manipuler des
« ε », c’est-à-dire des termes d’erreur, dans de nombreux calculs. La
et des fondements de la géométrie.
compacité d’un espace métrique permet d’éviter ce problème.
Esquissons brièvement quelques points d’histoire.
On peut considérer que le tout premier besoin de cet ordre s’est
manifesté lors de la découverte des nombres irrationnels par les Définition : soit ( E, d ) un espace métrique. L’espace ( E, d )
mathématiciens grecs. Cette découverte est impossible à dater est dit compact si lorsqu’on écrit E comme une réunion de sous-
avec précision, mais est certainement antérieure à Platon puis-
ensemble ouverts ( V i ) :
que les rapports incommensurables étaient explicitement étudiés
dans son École, en particulier par Théodore de Cyrène. L’irratio- E = ∪ Vi
i∈I
nalité a confronté les Anciens à un délicat problème d’existence,
puisque les rapports incommensurables pouvaient être approxi-
Il existe une sous-famille finie V i1, V i2, …, V in telle que :
més avec une précision arbitraire mais jamais parfaite.
L’analyse mathématique, au sens que nous donnons n
aujourd’hui à ce terme, n’existait pas alors. En géomètres et phi- E = ∪ Vi k
k=1
losophes, les Grecs ont répondu au défi de l’irrationalité en
ramenant les questions d’existence (et peut-être de calcul) des
rapports irrationnels aux constructions à la règle et au compas, En d’autres termes, de tout recouvrement ouvert on peut extraire
et en créant une théorie des grandeurs, attribuée à Eudoxe, dès un sous-recouvrement fini. Voici deux propriétés importantes de ces
la première moitié du quatrième siècle avant Jésus-Christ. espaces.
Les constructions géométriques se sont révélées insuffisantes
puisqu’elles ne permettent pas, par exemple, de construire deux
Proposition 1 : soit ( E, d ) un espace métrique compact. Si
segments de droite dont le rapport des longueurs soit égal à π .
C’est là une forme équivalente du problème de la quadrature du ( F n ) est une suite décroissante de sous-ensembles fermés non
cercle, mais il a fallu attendre 1882 pour que Lindemann prouve vides de E, alors ∩ F n ≠ ∅ . En particulier, tout espace compact
n0
(par des méthodes analytiques) l’impossibilité de cette quadra- est complet.
ture. La théorie des grandeurs d’Eudoxe s’est par contre montrée
remarquablement moderne, puisqu’elle a été reprise par Dede-
Preuve ♦
kind lorsqu’il a montré en 1858 comment construire la droite
réelle « standard » par la méthode des coupures. C’est cette L’ensemble Vn = E \ Fn est ouvert. Si ∩ Fn = ∅ , on a
droite réelle, munie de son caractère archimédien (nous E = ∪ Vn . n0
n0
devrions dire « eudoxéen » puisqu’Archimède lui-même faisait
Par compacité, on a donc :
référence à Eudoxe), qui sert de base à l’analyse moderne. Rap-
pelons en effet qu’Eudoxe énonce qu’« étant données deux E = V n1 ∪ V n2 ∪ … ∪ V nk
grandeurs non nulles, il y a toujours un multiple de la première
qui excède la deuxième » ; cet axiome interdit donc l’existence mais comme la suite ( Fn ) est décroissante, il s’ensuit que E = V  ,
de quantités infiniment petites ou infiniment grandes. La droite où  = max { n 1, n 2, …, n k } et cela contredit F  ≠ ∅ .
réelle archimédienne modélise, de façon satisfaisante pour Si ( x k ) k  0 est une suite de Cauchy, on considère :
l’intuition, le continu géométrique. Sa construction permet d’étu-
dier avec rigueur et précision la droite et ses sous-ensembles.
Fn = { x k ; k  n }
Les sous-ensembles du plan ou de l’espace sont plus difficiles
à étudier, d’un point de vue géométrique, que ceux de la droite.
Cette difficulté est apparue clairement lorsque les progrès de Il est clair que F n ≠ ∅ et que F n + 1 ⊆ F n , donc ∩ Fn ≠ ∅ .
n0
Soit
l’analyse ont amené les mathématiciens à considérer des fonc- x∈ ∩ Fn
n0
; pour tout n  0 et tout ε > 0 , il existe k > n tel que
tions de plus en plus générales, et les graphes correspondants.
Il a fallu alors définir formellement ce que c’est qu’une limite, d ( x, x k ) < ε . Comme la suite ( x k ) k  0 est de Cauchy, il s’ensuit faci-
qu’une fonction continue ou dérivable, et donner un (ou plutôt,
lement que x = lim ( x k ) . ♦
des) sens précis à la convergence d’une suite de fonctions vers k→∞
sa limite. Ces tentatives de formalisation ont commencé dès le
début du dix-neuvième siècle, en particulier dans le Cours écrit Proposition 2 : soit ( E, d ) et ( F, d′ ) deux espaces métriques,
par Cauchy pour l’École Polytechnique. Les exemples patholo-
et f : E → F une application continue. Si E est compact, alors
giques, comme la fonction continue nulle part dérivable décou-
verte par Weierstrass en 1872, ont souligné le caractère f ( E ) est une partie compacte de F.
indispensable de cette formalisation. De nos jours, les figures
fractales illustrent merveilleusement la complexité des ensem- Preuve ♦
bles plans homothétiques à l’une de leurs parties, que certains Soit ( V i ) i ∈ I une famille d’ouverts de F telle que :
mathématiciens (Poincaré, Julia, Sierpinski…) avaient conçus
dès le début du vingtième siècle, sans pouvoir les dessiner. Ces f(E) ⊆ ∪ Vi
i∈I
formes tourmentées nous montrent clairement que, par exem-
ple, la définition d’une fonction continue comme « fonction On a :
dont on peut tracer le graphe sans lever le crayon » est très
insuffisante.
E = ∪ f –1 ( V i )
i∈I

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εk – 1
On poursuit par récurrence en prenant x k ∈ V k ∩ B  x k – 1, ------------ et
–1
Comme f est continue, f ( V i ) est ouvert dans E. Par compacité,
 2 
il existe { i 1, i 2, …, i n } tels que : 1
ε k ∈ ] 0, -----k [ tels que l’équation (3) soit satisfaite pour tout k  1.
n 2
E = ∪ f –1 ( V i ) k
–n –k
On a clairement d ( x n, x n – 1 )  2 et donc d ( x n, x k )  2 si n > k ,
k=1
n par l’inégalité triangulaire. La suite ( x k ) est donc de Cauchy.
et on a donc f ( E ) ⊆ ∪ V ik . Nous avons montré que f ( E ) est
compact. k=1 ♦ Soit :
x = lim x k
La famille fondamentale des parties compactes nous est donnée k→∞
par un théorème montré par E. Borel et H. Lebesgue au début du
vingtième siècle : les parties compactes de  sont les parties fer- D’après l’équation (3) on a :
mées bornées. Avec la proposition 2 cela nous montre le corollaire x n ∈ B ( x k, ε k ⁄ 2 )
suivant.
pour tout n > k  0 , et donc :
Corollaire 1 : soit ( E, d ) un espace métrique compact. Toute x ∈ B ( x k, ε k ⁄ 2 ) ⊆ B ( x k, ε k )
fonction continue f : E →  est bornée et atteint ses bornes.
ce qui montre d’après les équations (2) et (3) que x ∈ B ( x, ε ) ∩ Ω , et
Si ( E 1, d 1 ), ( E 2, d 2 ), …, ( E n, d n ) sont des espaces métriques, le pro- donc que l’ensemble Ω est dense. ♦
duit E 1 × E 2 × … × E n est un espace métrique pour la distance : Le lemme 1 implique bien sûr que Ω est non vide, et c’est sou-
vent sous cette forme que le lemme de Baire est employé.
n
d  ( x i ), ( y i ) = ∑ d i ( x i, y i ) Ce lemme est très utile pour établir des propriétés d’uniformité ou
  de régularité cachées. Citons sans démonstration deux résultats élé-
i=1
mentaires de ce type :
Lorsque les E i sont tous égaux à  , on définit ainsi une distance
n Exemple 1 : soit f :  →  une fonction partout dérivable. Alors la
sur  , qui est équivalente à la distance euclidienne d 2 et qui définit
n dérivée f ′ est continue en tout point d’un sous-ensemble dense Ω de
la topologie naturelle de  .  . Donc, si la tangente à un graphe existe partout, il y a de nombreux
On montre qu’un produit d’espaces compacts est compact. Il points où cette tangente varie continuement.

s’ensuit que le théorème de Borel-Lebesgue s’étend ainsi : les par- Exemple 2 : soit f :  →  une fonction  telle que pour tout
n n(x)
ties compactes de  sont des parties fermées bornées. Nous ver- x ∈  , il existe n ( x ) ∈  tel que la dérivée ( f ) de f d’ordre n ( x )
rons que cet énoncé caractérise les espaces de dimensions finies (cf. s’annule en x. Alors f est une fonction polynomiale ; donc, il y a un
[AF 100, théorème 4]). entier n ∈  qui marche pour tous les points x ∈  .

3. Lemme de Baire dans les 4. Théorie de la mesure


espaces métriques et intégration
complets
Le calcul des surfaces, donc de la mesure de sous-ensembles sim-
ples du plan, est aussi ancien que l’agriculture et remonte donc aux
Le lemme suivant à été montré par R. Baire, dans le cadre des mathématiques les plus archaïques. Les parties du plan dont l’aire
n
espaces  , peu avant 1900. La démonstration de Baire s’étend est la plus facile à calculer sont les polygones ; il suffit en effet de les
sans peine au cas général. écrire comme réunion disjointe (aux côtés près) de triangles et de
faire la somme des aires de ces triangles. Lorsque l’on doit mesurer
Une partie D d’un espace métrique E est dense si D = E , ou de
des surfaces plus compliquées, il est naturel de les encadrer entre
façon équivalente si tout ouvert non vide de E rencontre D.
deux polygones « interne » et « externe » dont la différence des
aires est assez petite. C’est ainsi que procède Archimède pour calcu-
Lemme 1 : soit ( E, d ) un espace métrique complet. Soit ler l’aire du disque ou l’aire limitée par une parabole et une corde.
( V n ) n  0 une suite de sous-ensembles ouverts denses de E. Cette idée géométrique simple est à la base de la théorie de la
mesure, telle que H. Lebesgue et ses émules l’ont développée à par-
Alors Ω = ∩ V n est dense. tir de 1901. Il faut attribuer une « mesure » (longueur, surface,
n0 n
volume…) m n ( A ) à une partie A de  aussi générale que possible,
Preuve ♦ de façon à ce que les propriétés suivantes soient satisfaites :
Soient x ∈ E, ε > 0 et B ( x, ε ) la boule ouverte de centre x et de (i) si A⊆
n
est un pavé ouvert de la forme
rayon ε . On a V 0 ∩ B ( x, ε ) ≠ ∅ . Soit x 0 ∈ V 0 ∩ B ( x, ε ) et soit A = ]a 1, b 1 [ × ]a 2, b 2 [ × … × ]a n, b n [ , alors :
ε 0 ∈ ]0, 1[ tel que :
m n ( A ) = ( b 1 – a 1 ) ( b 2 – a 2 )… ( b n – a n )
B ( x 0, ε 0 ) ⊆ V 0 ∩ B ( x, ε ) (2)
(ii) si A et B sont deux parties mesurables disjointes, alors :
On a V 1 ∩ B ( x 0, ε 0 ⁄ 2 ) ≠ ∅ . Soit donc x 1 ∈ V 1 ∩ B ( x 0, ε 0 ⁄ 2 ) , et
1 mn ( A ∪ B ) = mn ( A ) + mn ( B )
ε 1 ∈ ] 0, --- [ tel que l’on ait pour k = 1 l’inclusion :
2
εk – 1
B ( x k, ε k ) ⊆ V k ∩ B  x k – 1, ------------
n
(3) (iii) si T est une isométrie de  , alors m n ( T ( A ) ) = m n ( A ) pour
 2  toute partie A mesurable.

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La condition (iii) exprime que le volume d’une partie « solide » de qui ne dépend que de g d’après les propriétés de m n . Une fonction
n n –1
 ne dépend pas de sa position. Les conditions (i) et (ii) sont les f :  →  est dite mesurable si f ( ]a, b[ ) ∈  n pour tout
2
propriétés naturelles d’une surface ou d’un volume. ( a, b ) ∈  .
Il n’existe pas de fonction d’ensemble définie sur toutes les par- Si f  0 est mesurable, on définit son intégrale ainsi :
3
ties de l’espace  qui vérifie les conditions (i), (ii) et (iii). On peut

∫ ∫
cependant attribuer une mesure à toutes les parties « concrètes »,  
f ( t ) dt = sup  g ( t ) dt ; 0  g  f, g étagée 
en un sens très large. 
n  
n 
Expliquons la construction dans le cas où n = 1. Un ouvert U de il se peut bien sûr que ce suprémum soit égal à +∞ . S’il est fini, on
 est une réunion disjointe d’intervalles ouverts : dira que f est intégrable.
U = ∪i ]ai, bi [ Si f mesurable est à valeurs réelles quelconques, on pose :
+ –
et cette représentation est unique. f = max ( f, 0 ) ; f = – min ( f, 0 ).
On définit alors : + –
les fonctions f et f
sont mesurables.
m(U) = ∑ ( bi – ai ) + –
On dit que f est intégrable si f et f le sont et on pose :
i

∫ ∫ ∫
+ –
Si E est une partie quelconque de  , on définit la mesure exté- f ( t ) dt = f ( t ) dt – f ( t ) dt
rieure m∗ ( E ) de E par la formule : 
n

n

n

m∗ ( E ) = inf { m ( U ) ; U ouvert, E ⊆ U } Notons que cette définition montre que f est intégrable si et seu-
lement si f est intégrable. On vérifie que l’intégrale ainsi définie est
Suivant Lebesgue, on dit qu’une partie E de [ a, b ] est mesurable linéaire en f, et à l’aide de la σ – additivité de la mesure, on montre
si : les très utiles théorèmes suivants.
m ∗ ( E ) + m ∗ ( [ a, b ] \ E ) = b – a

Cette dernière condition veut dire qu’un ensemble mesurable E Théorème 2 : soit ( f k ) une suite de fonctions mesurables de
n n
est contenu dans un ouvert U et contient un fermé F tels que U et  dans  , telle que lim f k ( x ) = f ( x ) pour tout x ∈  .
k→∞
F aient presque la même mesure. Après avoir étendu la définition de On suppose qu’il existe une fonction F intégrable telle que :
n
la mesurabilité aux parties non bornées de  , puis  , Lebesgue
fk ( x )  F ( x )
montre le théorème fondamental suivant.
n
pour tout k ∈  et tout x ∈  .
n
Théorème 1 : l’ensemble  n des parties mesurables de  Alors f est intégrable et l’on a :
contient les ouverts et est stable par réunion dénombrable,

∫ ∫
intersection dénombrable et passage au complémentaire. Il f ( x ) dx = lim f k ( x ) dx
existe une application : n k→∞ n
 
m n :  n → [ 0, +∞ ]

Qui vérifie (i), (ii), (iii), et qui est plus σ – additive, au sens sui- Ce « théorème de convergence dominée » énonce donc que sous
vant. une condition de domination, on peut intervertir la limite ponctuelle
(iv) Pour toute suite ( A k ) k  0 de parties mesurables disjoin- et l’intégrale.
tes, on a :
+∞ 2
Théorème 3 : soit f :  →  une fonction intégrable. On a
m n  ∪ A k = ∑ mn ( Ak )
k  0  l’égalité :
k=0

n
Toutes les parties de  que l‘on peut exhiber sans utiliser ∫ 
2
f ( t ) dt =
∫ ∫
 
f ( x, y ) dx dy =
∫ ∫ 
f ( x, y ) dy dx

l’axiome du choix appartiennent à l’ensemble  n des parties mesu-


rables au sens de Lebesgue. Le théorème 1 suffit donc à tous les Ce théorème dit « de Fubini » affirme qu’on peut calculer une inté-
besoins de l’analyse concrète. 2 n
grale dans  (ou  ) en effectuant les intégrations successives
La mesure m n permet de calculer l’intégrale de fonctions très dans un ordre arbitraire. Notons que l’on note traditionnellement
n
générales de  dans  : si A ∈  n , on note * A la fonction indica- 2 n
une intégrale sur  (ou  ) par une intégrale double (ou
trice de A, définie par : * A ( x ) = 1 si x ∈ A , * A ( x ) = 0 si x ∉ A . Une
n multiple) ; cette tradition, que nous ne suivons pas ici, ne facilite pas
fonction étagée g :  →  est une fonction de la forme :
les calculs.
N
g(x) = ∑ λk *A ( x ) k
(4) La puissance de la méthode d’intégration de Lebesgue s’explique
en partie par une idée simple : au lieu de diviser « verticalement »
k=1
n
comme dans la méthode de Riemann, on divise « horizontalement »
On définit son intégrale sur  par la formule : en exploitant le fait que l’on peut mesurer des ensembles très géné-
–1
N raux, donc en particulier les f ( ]a, b[ ) . Cette méthode, qui met

∫
n
g ( t ) dt =
k=1
∑ λk mn ( Ak ) (5) l’accent sur la distribution de la fonction f et fait disparaître la varia-
ble d’intégration, constitue le point de vue moderne sur l’intégration.

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n n
3) Soit  1 (  ) l’espace des fonctions intégrales de  dans  . On
5. Espaces normés. Espaces n
définit une relation d’équivalence  sur  1 (  ) par :
de Banach
En géométrie élémentaire, on définit la norme d’un vecteur
fg⇔
∫ 
n
f ( t ) – g ( t ) dt = 0

comme étant égale à sa longueur. Le calcul vectoriel s’étend sans n


On note L 1 (  ) l’espace quotient formé des classes d’équivalence.
difficulté à des espaces fonctionnels très généraux et il est utile de n
pouvoir utiliser la notion de norme d’une fonction, d’un opérateur, Si f ∈  1 (  ) , les éléments de la classe de f sont obtenus en modi-
d’une forme linéaire… La structure d’espace normé que nous défi- fiant f sur un ensemble de mesure nulle ; on considère le plus souvent
nissons maintenant est fondamentale lorsque l’on veut appliquer à les éléments de L 1 comme des fonctions, mais il faut comprendre que
l’analyse des idées géométriques. l’on ne change pas f en tant qu’élément de L 1 si on la modifie sur un
n
ensemble de mesure nulle. Pour f ∈ L 1 (  ) , on pose :
Définition 1 : soit E un espace vectoriel. Une norme N sur E


est une application N : E → [0, +∞[ qui vérifie les propriétés sui-
f 1 = f ( t ) dt
vantes : n


(i) N(x) = 0 ⇔ x = 0 . L’un des grands avantages de la théorie de Lebesgue est que
n
(ii) N ( λ x ) = λ N ( x ) pour tout x ∈ E et tout scalaire λ . l’espace L 1 (  ), . 1 est complet.
2 Si p ∈ [1, +∞[ , on définit :
(iii) N ( x + y )  N ( x ) + N ( y ) pour tout couple ( x, y ) ∈ E .
n  p n 
Lp (  ) =  f ; f ∈ L1 (  ) 
Un espace normé est un couple ( E, N ) , où N est une norme sur E.  
La notation x est souvent utilisée pour désigner la norme d’un
qui est complet pour la norme :
vecteur x.
1⁄p
 p 

Une norme N permet de définir une distance d sur E, par l’équa-
f p =  f ( t ) dt
tion :  n 

d ( x, y ) = N ( x – y )
Le cas p = 2 est particulièrement important puisqu’il définit
On peut donc parler de suite de Cauchy et de suites convergentes
dans un espace normé. La définition ci-après permet d’appliquer l’espace de Hilbert (cf. [AF 100], § 2). Enfin, on définit sur l’espace
n
aux espaces fonctionnels les idées topologiques décrites dans le L ∞ (  ) des classes de fonctions mesurables bornées la norme :
paragraphe 1.
f ∞ = sup { t > 0 ; m n ( { f > t } ) > 0 }
Définition 2 : un espace normé ( E, N ) est un espace de = inf { s > 0 ; m n ( { f > s } ) = 0 }
Banach s’il est complet pour la distance associée à N, donc si
n
toute suite de Cauchy d’éléments de E converge dans E. Une fonction f ∈ L ∞ (  ) peut être modifiée sur un ensemble de
mesure nulle pour être à valeurs dans [ – f ∞, f ∞ ]. L’espace
n
Exemples : ( L ∞ (  ), . ∞ ) est lui aussi complet.

n
1) Sur l’espace  , on peut considérer les normes suivantes. Si 4) Si 1  p < ∞ , l’espace  p (  ) est l’ensemble des suites ( x n ) n  0
n
v = ( x 1, x 2, …, x n ) ∈  , on pose : de nombres réels telles que :
n ∞ 1⁄p
v 1 = ∑ xi ( xn ) p
= ∑ xn
p
< +∞
i=1 n=0
v ∞ = sup xi
1in L’espace  p (  ) muni de la norme . p est un espace de Banach, qui
n 1⁄p n
 p constitue un analogue discret de l’espace L p (  ) . Nous verrons en
v =  ∑ xi  (1  p < ∞) n
p
i = 1  [AF 100, § 2] que lorsque p = 2 , les espaces  2 (  ) et L 2 (  ) sont
isométriques.
La norme euclidienne . 2 définit la longueur géométrique usuelle
du vecteur v (cf. [AF 100, § 1]). Toutes ces normes sont équivalentes et
n Nous avons présenté tous ces exemples dans le cadre des espa-
définissent la structure métrique produit usuelle sur  .
ces de Banach réels, c’est-à-dire sur le corps  . Le cas complexe
fournit des exemples complètement analogues. La considération
2) Soit K un espace compact et soit X =  ( K ) l’espace des fonc- des espaces de Banach sur le corps  des nombres complexes
tions continues de K de  . Si on pose : pose quelques petits problèmes géométriques (par exemple, il faut
préciser ce que l’on entend par « séparation » quand le corps de
f ∞ = sup { f ( x ) ; x ∈ K } base n’est pas ordonné ; cf. [AF 100, théorème 10]. Cependant, le
cadre complexe est beaucoup mieux adapté à l’analyse de Fourier, à
on fait de   ( K ), . ∞ un espace de Banach. La norme . est appe-
  ∞ la théorie spectrale, au calcul fonctionnel, etc. Nous considérerons
lée norme de la convergence uniforme sur K. donc souvent des espaces de Banach complexes.

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AF 99 − 6 © Techniques de l’Ingénieur, traité Sciences fondamentales

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