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Apprendre sans réfléchir et vain. Réfléchir sans apprendre est dangereux.

Confucius

Résumé
Longtemps considéré comme l’épicentre du Vieux Monde, le bassin méditerranéen n’est
certes plus un pôle majeur de puissance. Depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869,
permettant aux Britanniques de consolider alors la primauté de leur réseau maritime. Elle se
poursuit aujourd’hui avec les flux conséquents qui relient par Suez et Gibraltar les façades
maritimes d’Asie orientale, d’Europe et d’Afrique. « Penser la Méditerranée » en Europe s’est
traduit par une approche résolument optimiste, partant du postulat que ces espaces avaient
vocation à s’intégrer à une dynamique européenne de développement en ne tenant pas
réellement compte des aspirations de la rive Sud de la Méditerranée.

1
Introduction

La Méditerranée a marqué l’histoire du monde en s’affirmant comme l’espace commun


aux trois continents qui lui sont riverains: l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Il s’est ainsi constitué
autour du mare nostrum1 une aire de symbiose et d’affrontements qui ont généré échanges de
culture mais aussi stratégies de défense, de conquête ou de victoire. Les fortifications et les
ensembles qu’elles enserrent apparaissent à la fois comme les signes de rivalités fructueuses
et d’échanges techniques paradoxaux qu’elles contribuent à générer. C’est sans doute au
Moyen et au Proche-Orient anciens que nous parvenons à saisir les prodromes2 d’une
architecture militaire et les formes urbanistiques naissantes que l’Asie lèguera au monde
méditerranéen.

Fernand Braudel3 disait : « La Méditerranée n’est pas une frontière, mais un lieu d’échange ».
La zone méditerranéenne, berceau de grandes civilisations et des trois religions monothéistes,
est le parfait témoin de plusieurs réalités universelles.
Penser la géopolitique de la Méditerranée, c’est en reconnaître la cohérence historique et
culturelle pour proposer une grille de lecture variable en fonction des échelles de plan (locale,
régionale, globale) et ainsi avoir conscience des lignes de divergences politiques,
démographiques ou culturelles. Des risques de confrontations aux perspectives économiques
en passant par l’analyse des modes de vie, la Méditerranée est à la fois porteuse d’un idéal
commun mais aussi de la peur de l’autre. Cette « mer au milieu des terres » ne représente pas
un espace cohérent et unitaire. Il est d’ailleurs difficile de la définir précisément. Elle peut se
caractériser comme une région du monde, que l’on pourrait nommer l’Europe du Sud,
l’Afrique du Nord, ou le Moyen-Orient. Quelle que soit sa dénomination, la Méditerranée est
considérée comme le berceau de la civilisation mondiale, un carrefour majeur d’échanges
économiques, diplomatiques, culturels et cultuels.

Dans le contexte mondial contemporain, la Méditerranée n’est plus au cœur d’enjeux


stratégiques majeurs et ce malgré quelques épisodes importants au XXe siècle, comme la crise
de Suez en 1956, la guerre d’Algérie, le conflit au Moyen-Orient, la guerre en Lybie en 2021.

1
Mare nostrum est une expression latine qui, traduite littéralement, signifie « notre mer » en évoquant la mer
Méditerranée.
2
Ce qui annonce un événement. Les prodromes d'une guerre.
3
Fernand Paul Achille Braudel, né le 24 août 1902 à Luméville-en-Ornois (Meuse) et mort
le 27 novembre 1985 à Cluses (Haute-Savoie), est un historien français

2
Elle demeure cependant un espace sous tension. Esquisser une géopolitique de la
Méditerranée n’est donc pas sans intérêt. Pour l’entreprendre, il faut renverser l’approche
classique, qui en faisait un centre, et interroger son caractère périphérique. La géopolitique de
la Méditerranée peut apparaître alors comme l’une des questions emblématiques d’une époque
où, pour comprendre le monde, il faut regarder du côté des espaces marginaux.

- La géopolitique méditerranéenne sous trois aspects

Les tensions historiques: l’histoire est souvent un écrit à sens unique. L’histoire des uns
n’est pas celle des autres. Ainsi l’histoire de Carthage est écrite par les Romains, celle des
« Berbères » est nommée par les Grecs (« barbaros » signifie qui ne parle pas grec) et
écrite par les Arabes puis les Ottomans, celle de la colonisation est écrite par les
Européens… Mais les mondes et l’écriture de ces mondes ont changé. L’illusion d’une
continuité des phénomènes peut amener à une lecture univoque ou erronée des enjeux
contemporains. Or en Méditerranée l’injonction historique est presque systématique, alors
qu’il ne faut pas toujours chercher des phénomènes très anciens pour expliquer des enjeux
actuels.

- Les tensions géographiques : une ou des Méditerranées ?

Il y a en effet une illusion géographique, qui est celle de la continuité maritime des
« mers » qui constituent l’ensemble méditerranéen. Or il n’y a pas une Méditerranée, mais
des « espaces maritimes » très différenciés, à commencer par trois grands bassins : la mer
Noire, le bassin oriental et le bassin occidental, avec des géographies et des histoires très
différentes. On trouve ensuite des mers dans ces bassins avec leurs propres relations,
comme celles de la mer Egée entre la Grèce et la Turquie. Il n’y a donc pas une, mais des
Méditerranées, et si l’on simplifie cet espace à l’excès, on ne peut pas l’interroger
correctement, ni le comprendre objectivement.

- Les tensions sémantiques : la Méditerranée, mer du milieu ou au milieu des terres ?

L’historien Fernand Braudel présente dans sa thèse de 1949 (remaniée en 1966) une théorie
d’unité des espaces et du temps autour de cette mer. Il en reprend le nom romain
(mediterraneus : « au milieu des terres ») et en fait un espace central (mer du milieu). Or
l’idée de Méditerranée comme « lac intérieur » et point de repère central, n’est que l’une des
formes et l’un des noms de cet espace complexe.

Pour les Égyptiens, la Méditerranée s’appelle la « grande verte », ou la « grande mer », et elle
constitue plus une limite qu’un centre. La Méditerranée s’appelle la mer de l’Ouest pour les
Grecs ou les Hébreux, la « mer Blanche » pour les Arabes puis pour les Turcs (à cause des
couleurs cardinales, le blanc représentant l’Ouest). Selon son nom, elle est un espace intérieur,

3
un espace de lien, une limite ou une zone de séparation, une frontière, un mythe ou peu de
chose. Cela signifie que nous ne pouvons pas utiliser comme seul paradigme la vision
romaine ou la thèse Braudélienne pour interroger cet espace, alors même que son nom nous y
invite en permanence. Nous devons plutôt la penser comme une limite, une périphérie et un
horizon4. La périphéricité n’est pas sans enjeu géopolitique, bien au contraire. Dans un espace
périphérique se nouent les questions majeures qui travaillent le monde contemporain: la
gestion de la marginalité et des asymétries, la délimitation et les métissages, c’est à dire les
intégrations et les identités des peuples.

Il est de ce fait important de mettre en exergue les différentes histoires de la méditerranée à


travers le temps, pour se faire nous allons dans un premier temps parlé de la méditerranée
comme un espace de conflits ancestraux(A), puis mettre en avant son caractère stratégique,
géopolitique (B), pour ensuite étudier la méditerranée d’aujourd’hui (C).

A) La Méditerranée : un espace de conflits ancestraux

« Si les gens savaient à propos de la guerre, elle serait arrêté de suite, mais les gens ne
savent pas et ne peuvent pas savoir5 »

L’espace méditerranéen fût pendant longtemps un lieu d’échange, depuis l’antiquité jusqu’au
grandes découvertes du 15ème siècle. Aujourd’hui, il y a une réelle fracture de la ligne Nord et
la rive Sud. La Méditerranée, c’est 21 pays riverains recensés sont : au Nord : l'Espagne, la
France, Monaco, l'Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro,
l'Albanie, la Grèce, la Turquie, Malte et Chypre ; au Sud : le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la
Libye, l'Égypte, Israël, la Palestine, le Liban et la Syrie.

Le monde méditerranéen est à la fois complexe et compliqué et traversé par de multiples


zones de fractures, politique, économique, sociale, culturelle et religieuse. Il s’agit de penser
la Méditerranée au cœur des Etats et des hommes, là où se nouent les mécanismes qui
produisent et nourrissent la violence. La question qui peut également se poser c’est : La
Méditerranée a-t-elle été une mer de paix ? Cette interrogation pose d’emblée la
problématique de l’existence d’un espace suffisamment homogène pour être désigné par le
terme de Méditerranée au singulier. Pourtant, lorsque la problématique des conflits et des
guerres rencontre le vocable de Méditerranée, les incertitudes sont multiples. De quelle

4
La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II est un ouvrage de l'historien
français Fernand Braudel, publié en 1949.
5
LLoyd Georges premier ministre du royaume uni de 1916 à 1922

4
Méditerranée parle-t-on ? A cette question, il semble qu’on ne puisse répondre qu’en prenant
acte d’une singulière complexité et d’une ambivalence fondamentale. Il faut d’abord définir
de quelle Méditerranée veut-on parler ? Nous pouvons distinguer trois formes de
Méditerranées. Il y a l’Afrique du Nord et le continent Européen. Il y a aussi la Méditerranée
que l’on nomme comme le pays des Balkans, puis, il y a le proche Orient.

Nous pouvons dès lors clairement constater qu’en fonction de la zone Méditerranéenne
choisit, l’histoire raconté ne sera pas du même acabit que des deux autres. la Méditerranée
est à la fois cette mer calme et cette mer des tempêtes, celle des flottes de guerre et des
combats. Ce balancement continu entre des extrêmes, entre douceur et violence, se retrouve
dans tous les domaines. «Exceptionnelle» pour Braudel, «pays de l’articulation» selon la
formule d’André Siegfried, la Méditerranée est aussi pour Edgar Morin «une ligne
sismique (qui), partant du Caucase et s’avançant en Méditerranée, concentre en elle de façon
virulente l’affrontement de tout ce qui s’oppose dans la planète : Occident et Orient, Nord et
Sud, islam et christianisme, laïcité et religion, archaïsme et modernisme, richesse et
pauvreté».

Certes, le constat doit être nuancé, mais la lumière et les couleurs, la vigne et l’olivier, la mer
turquoise et les villes chargées d’histoire, le brassage des populations et le métissage des
cultures ne font pas oublier que la Méditerranée est aussi une zone de tensions et
d’affrontements entre les hommes et les Etats. Elle est dans sa configuration géopolitique
passée et présente un espace déchiré, un foyer de multiples conflits, un miroir des inégalités
nord-sud, une frontière au statut incertain entre des hommes et des Etats qui tantôt s’affrontent
et tantôt s’ignorent.

1) Les différentes formes de conflits

Pendant longtemps, le monde s'organisait autour de la mer Méditerranée. Dans l'Antiquité, la


mer Méditerranée est un espace de navigation de biens et de personnes, de batailles navales,
d'exploration et de découvertes. Des peuples aux coutumes et organisations politiques
différentes vivent sur le pourtour méditerranéen, mais les contacts politiques et culturels sont
nombreux et vont en s'intensifiant au cours des siècles. L’unité du monde méditerranéen
prend fin au début du Moyen Âge6. Le monde romain se rétracte sur sa partie orientale et
prend le nom d’Empire byzantin, tandis que plusieurs royaumes catholiques naissent en
6
Elle débute en 476 avec la chute de l'Empire romain et prend fin en 1492, année de la découverte de l'Amérique
par Christophe Colomb.

5
Occident. À partir du VIIe siècle, les musulmans commencent la conquête des rives Sud et Est
de la Méditerranée. Pour accroître leur puissance ou pour des motifs religieux, les souverains
de ces trois grands ensembles luttent régulièrement pour le contrôle de la mer et de ses rives.
Malgré les tensions, les marchandises et les hommes circulent continuellement dans la
Méditerranée médiévale et, avec eux, les savoirs et les idées7.

- Les conflits religieux

Plusieurs conflits marquent l'espace méditerranéen médiéval. Certains sont internes aux
différentes religions. Ainsi, au sein de l'Islam, une fracture religieuse et politique intervient
dès 658 au sujet de la succession du Prophète en tant que calife. Après plusieurs batailles, un
schisme intervient entre les partisans d'Ali, gendre et cousin du Prophète, et ceux des
Omeyyades, les compagnons d'armes de Mohamed. Les premiers sont qualifiés de chiites 8, les
seconds de sunnites9. Si les califes omeyyades puis abbassides sont sunnites, on voit
apparaître ensuite certains États dirigés par les chiites, comme l'Égypte, où la dynastie
fatimide est au pouvoir de 969 à 1171.

La chrétienté d'Orient, quant à elle, est déchirée de 726 à 843 par la crise iconoclaste 10. Une
partie des orthodoxes considère en effet que le culte des images n'est pas fondé, alors que
pour une autre l'image est acceptée non comme une idole mais comme une icône, simple
reflet de la réalité spirituelle qu'elle représente. L'affaire devient politique et conduit à une
situation de guerre civile. La crise s'achève par la victoire des partisans des icônes.
e
En Occident, à partir du XII siècle, l'Église est confrontée à des hérésies, c'est-à-dire des
croyances différentes des siennes, comme celle des cathares dans le sud de la France, ou des
vaudois, dans la vallée du Rhône.

- Les conflits civilisationnels

Les conflits existent également entre civilisations. Entre chrétiens d'Orient et chrétiens
d'Occident, plusieurs facteurs de division existent. Les Byzantins ne reconnaissent pas le fait

7 La Méditerranée : L'espace et l'histoire de Fernand Braudel ; Catégorie: Sciences humaines

8
Les Chiites désignent Ali, gendre et cousin de Mahomet, au nom des liens du sang
9
Sunnites, majoritaires, choisissent Abou Bakr, un compagnon du prophète.
10
Qualifie une personne qui détruisait les images saintes au VIIIème siècle, qui pratiquait l'iconoclasme.

6
que le pape puisse nommer un empereur en Occident. En 1054, le schisme d'Orient
consomme la rupture entre l'Église orthodoxe et l'Église catholique.
Entre l'Islam et les deux civilisations chrétiennes, les conflits commencent avec la conquête
e
menée par Mohamed et ses successeurs. Dès le VII siècle, les musulmans, au nom de
la guerre sainte servant à propager l'islam, conquièrent de vastes territoires dépendant de
l'Empire byzantin, comme la Syrie et l'Égypte, et de la chrétienté occidentale, comme
l'Afrique du Nord, la Sicile et l'Espagne.

e
À partir de la fin du XI siècle, les croisades créent un nouveau type de conflit en
Méditerranée. En 1009, le calife Al-Hakim fait raser les églises de Jérusalem. En 1078, il est
interdit aux pèlerins chrétiens de venir se recueillir dans la ville, considérée comme sainte à la
fois par les juifs, les chrétiens et les musulmans. En Occident, en 1095, le pape Urbain II
prêche la croisade : une expédition militaire pour prendre Jérusalem, accordant la rémission
des péchés à ses participants, appelés « croisés ». En 1099, Jérusalem est prise. Les croisés
établissent sur les rives orientales de la Méditerranée des États latins, dirigés par des seigneurs
venus d'Occident et adoptant le système féodal. Huit croisades se succèdent jusqu'en 1270.
En 1147, la deuxième croisade est prêchée par Bernard de Clairvaux, un moine fondateur de
l'ordre cistercien, un des plus rigoureux et ascétique. Cette croisade est un échec, les croisés
ne parvenant pas à prendre Damas. En 1187, Jérusalem est reprise par les musulmans
commandés par Saladin11, mais les chrétiens obtiennent la garantie du libre accès au
pèlerinage sur les lieux saints. La dynamique des croisades nourrit également la reconquête de
l'Espagne entreprise par les États chrétiens du nord de la péninsule face aux États musulmans
e
installés au VIII siècle. En 1212, la bataille de Las Navas de Tolosa permet aux chrétiens de
e
l'emporter. Entre la fin du XIII siècle et 1492, un seul royaume musulman demeure en
Espagne, celui de Grenade12.

Les croisades ont également été marquées par des affrontements entre chrétiens. En effet,
avant la conquête musulmane, les territoires occupés par les États latins appartenaient à
l'Empire byzantin. L'empereur de Byzance se méfie des ambitions territoriales des chrétiens
d'Occident. En 1182, les Occidentaux présents à Constantinople sont massacrés lors d'une

11
Saladin, vizir d'Égypte de 1169 à 1193, est l'un des héros du monde arabe au Moyen Âge. La guerre
sainte qu'il mène contre les croisés pour rendre Jérusalem aux musulmans constitue l'apogée de son règne. Issu
d'une famille kurde, Saladin est le fils d'Ayyub, gouverneur de Tikrit.
12
Le royaume de Grenade est le dernier nom d'une entité territoriale espagnole fondée comme taïfa en 1073 par
une branche d'une dynastie berbère, les Zirides.

7
émeute. En 1204, la quatrième croisade, qui aurait dû aller reprendre Jérusalem aux
musulmans, pille Constantinople. Un empereur latin est installé sur le trône et la république
de Venise prend le contrôle économique de l'Empire. Toutefois, en 1261, les Byzantins 13
rétablissent un pouvoir orthodoxe. Mais l'Empire, affaibli, est désormais fragile face à la
menace turque.

2) Les fractures de l’Histoire

Les fractures héritées de l’histoire, les jeux des grandes puissances, l’enchevêtrement des
ethnies et des religions, les profondes disparités économiques, les déséquilibres
démographiques, les évolutions internes désastreuses des Etats Berbéro-romano-arabo-
méditerranéens, placent «la mère de la civilisation et des mondes14» au cœur des conflits et
des tensions géopolitiques les plus fortes.

A l’époque moderne, l’établissement de l’hégémonie ottomane sur la Méditerranée orientale,


la conquête du royaume Berbéro-arabe de Grenade par les Espagnols, la découverte des routes
océaniques vers les Amériques et les fabuleuses contrées à épices d’Extrême-Orient
bouleversent les relations politiques, économiques et culturelles entre les deux rives de la
Méditerranée. Celle-ci perd peu à peu son rôle de carrefour entre les mondes africain,
asiatique et européen. La Méditerranée devient alors un champ clos, où s’affrontent les
ambitions hégémoniques françaises et espagnoles et où se manifeste l’antagonisme exaspéré
entre une chrétienté menée par l’Espagne et l’Islam ottoman expansionniste. La bataille de
Lépante15, qui n’a pas pu arrêté la pénétration ottomane dans le sud-est de l’Europe, a permis
pour un temps de délimiter deux zones d’influences : la Méditerranée occidentale et
septentrionale est dominée par les Espagnols, tandis que la Méditerranée orientale et
méridionale est contrôlée par la Porte16 et ses vassaux. Dès lors, la Méditerranée est livrée aux

13
Empire romain d'Orient (fin ive s.-1453).
14
Le berceau de la civilisation est une expression faisant référence à des régions du monde où l'on considère que
les premières civilisations humaines virent le jour. La théorie dominante est qu'il n'y a pas qu'un seul berceau,
mais que plusieurs civilisations se sont développées de manière indépendante. Celles du Croissant fertile, de
la période d'Obeïd en Mésopotamie et de la culture de Nagada en Égypte, sont considérées comme les plus
anciennes
15
La bataille de Lépante est une bataille navale qui s'est déroulée le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras, sur la
côte occidentale de la Grèce
16
Fraternité Sacerdotale de l’Eglise d’Orient

8
corsaires barbaresques, aux galères de Malte ou aux escadres expédiées par l’Angleterre de
Cromwell17 et la France de Louis XIV.

Mais la décadence de la puissance espagnole, puis le déclin de l’Empire ottoman, l’intérêt


croissant de la Grande-Bretagne pour ce «ventre de l’Europe», et cet axe de transit entre
l’Océan Indien et les deux rives de l’Atlantique, font pénétrer la Méditerranée dans la trame
compliquée du grand jeu européen. La Grande-Bretagne élabore une politique
méditerranéenne qui, par Gibraltar, la conduira ensuite à Malte et jusqu’au Proche-Orient. La
France, de son côté, s’installe en Corse, contrôle l’Ordre de Malte et convoite de s’installer en
Egypte. Bonaparte réalisera pour un temps le projet. Enfin, l’Autriche et la Russie, deux
puissances déterminées et ambitieuses, rivalisent dans les Balkans et en Méditerranée
orientale.

A la fin du XVIIIème siècle, le poids économique et culturel de la Méditerranée est certes


inférieur à celui de la façade atlantique de l’Europe, mais l’espace méditerranéen
redevient «le pays de l’articulation». L’installation de l’Angleterre en Inde confère aux routes
qui y mènent une importance considérable. La Russie et l’Autriche s’étendent aux dépens de
l’Empire ottoman. D’où l’acuité croissante au XIXème siècle de la question d’Orient, du
problème de la Méditerranée orientale et de ses confins. La Méditerranée est alors une des
principales zones d’affrontement entre les impérialismes britannique et français, le centre des
rivalités internationales avec la montée des ambitions italiennes, la vocation maritime de
l’Autriche et la poussée de la Russie. Vient ensuite le temps du partage de l’Orient et de la
rive sud entre Anglais (Egypte, Malte), Français (Algérie, Tunisie, Maroc), Italiens (Libye,
Dodécanèse18) et Espagnols (Rif marocain). Et une fois, la menace allemande disparue, la
Russie écartée, l’antagonisme franco-britannique se ranime à propos de la dévolution des
possessions ottomanes. La Grande-Bretagne juge en effet indispensable de contrôler la
Méditerranée orientale pour assurer aussi bien la sécurité des liaisons dans l’empire
britannique que le ravitaillement en pétrole de sa flotte. Elle finit par laisser à la France le
mandat sur la Syrie et le Liban, mais s’assure celui de la Palestine, de la Transjordanie et de
l’Irak. La Méditerranée devient ainsi, notamment entre les deux guerres mondiales le
prolongement géopolitique de l’Europe.

17
Homme politique anglais, principal ministre du roi Henri VIII d'Angleterre de 1532 à 1540, et l'un des
principaux acteurs de la Réforme en Angleterre
18
Le Dodécanèse est un archipel de la mer Égée regroupant plus de 160 iles et ilots, pour la plupart inhabités.

9
B) La Méditerranée : Un espace stratégique.

La méditerranée a joué un rôle majeur durant des siècles et notamment durant les deux grands
conflits mondiaux du 20ème siècle, en fournissant des soldats pendant la 1ère et 2ème guerre
mondiale à la France et l’Angleterre notamment par le biais de leurs empires coloniaux. On
pourrait évoquer une sorte de continuité par la guerre dans le bassin méditerranéen, et ainsi
sous-entendre que la guerre serait ancrée dans cette région telle un mode de vie, en ferait un
composant d’une aire culturelle.

En somme, existerait-il une spécificité des guerres que l’on pourrait ramener à des sociétés
méditerranéennes et à une culture méditerranéenne qui leur serait associée et de quelles
guerres faut-il alors parler ?

Sur la liste des nombreuses guerres qui ont marqué le bassin méditerranéen au XX e siècle
(guerres balkaniques, guerre de 14-18, guerre 39-45, guerre gréco-turque, guerres coloniales,
la guerre d’Espagne. La guerre d’Algérie est sans doute l’une des guerres récentes qui évoque
le plus la barbarie, la « sale guerre », la pratique de masse de la torture, l’exode, les
exécutions sommaires. Elle n’est reconnue officiellement comme guerre que depuis 1999.
Auparavant, elle n’était qu’une opération de « maintien de l’ordre » ou bien était
nommée « les événements d’Algérie ». Néanmoins, en fixant au 5 décembre la date de
commémoration de cette guerre, date sans signification aucune, la France veut non pas
décréter l’amnistie ou l’oubli, mais de fait, efface la guerre puisqu’il n’y a plus de fin de
guerre, c’est-à-dire le cessez-le-feu du 19 mars 1962 conclu entre le GPRA 19 et la République
française. Certes, la France reconnaît qu’il y eut une guerre, mais la guerre n’est pas terminée
puisqu’on adjoint, de fait, d’autres événements (la question des Harkis et des rapatriés), sans
doute liés à la guerre mais pas aux opérations de guerre. Plus précisément, c’est la sortie de
guerre qui pose problème encore aujourd’hui. Précisons que la guerre d’Algérie a été la plus
longue guerre du 20ème siècle (1954-1962).

Toujours dans cette zone de grande tension où est localisé une autre guerre qui dure depuis
des décennies mais que beaucoup refuse de nommer, l’un des plus dangereux foyers de guerre
de la planète, où un territoire, la Palestine, celle d’avant 1947, a été l’exemple même d’une
partition réalisée sur des bases « ethniques » dans les années de « guerre froide »,
l’événement serait l’existence d’un processus démocratique conduisant à une « Palestine » où
19
Gouvernement provisoire de la république Algérienne

10
pourraient coexister pacifiquement Israéliens et Palestiniens. Une condition en serait que la
guerre, l’antagonisme porté à son extrême, ne soit plus conçu comme le centre de la politique.
Cela suppose de formuler une autre politique, plus juste et plus équitable. Une nouvelle vision
de la situation en tenant compte des injustices que subissent les palestiniens et en tenant
compte du droit d’un Etat israélien. Il faudrait mettre en place un vrai processus de paix et
non pas des solutions proposées qui comme tout le monde (acteurs en présence) sait, elles
sont vouées à l’échec avant même d’être proposées car trop injustes et ne tiennent
aucunement compte des accords précédents (historiques).

Au carrefour de trois continents, la Méditerranée est depuis toujours un espace sous tension,
qui a longtemps été investi d’enjeux stratégiques importants : confrontation entre les africains
du Nord et Européens, rivalité entre puissances, colonisation, contrôle des détroits et du canal
de Suez. Elle reste un espace de confrontation entre grandes puissances, on l’a vu avec la
question Palestinienne, Syrienne ou des puissances lointaines (États-Unis, Russie) continuent
de s’y investir, y compris de nouveaux venus comme la Chine. Ces nations veulent soi-disant
résoudre les conflits dans cette zone du monde sans tenir compte des acteurs sur place et en
voulant à tout prix mettre en avant d’abord leurs propres intérêts.

Prenons comme exemple, la question syrienne, en fonction des nations intervenant au sein de
ce conflit, les motivations sont totalement différentes, la France veut sauver les Kurdes, la
Russie veut soutenir le président Assad et tout le monde se bat contre Daech 20 en accusant
l’Iran. Ceux-ci en négligeant les pays de la région comme l’Afghanistan, le Pakistan, la
Turquie ou l’Irak, pour ne citer que les plus influents de la zone. C’est juste une mission qui
paraît impossible. C’est un non-sens de vouloir soi-disant y apporter la paix, sans consulter les
Etats principalement concernés.

3) La Méditerranée est-elle encore pour ces puissances un espace stratégique de premier


plan ?

Afin de répondre à cette question, il faut placer la Méditerranée dans le contexte mondial
actuel. En termes géostratégiques, les caractéristiques de la Méditerranée actuelle
s’approcheraient de celles d’un espace périphérique qu’on peut qualifier de complexe. On
peut d’abord le considérer comme un simple théâtre d’opération, dans un contexte où
aujourd’hui comme au temps de la Guerre froide, il est hors de question, pour des puissances
régionales de se heurter de front sur leur propre territoire. Mais cet espace est aussi un point
20
Organisation ultra-radicale sunnite, le groupe Daech ou État islamique (EI) a connu un essor fulgurant en
2014, proclamant un "califat", en Irak et en Syrie.

11
névralgique animé par des tensions locales dont l’impact est parfois mondial, notamment sous
la forme du terrorisme ou autour de « zones de tensions» géopolitiques comme au Proche-
Orient au sein du conflit Israël/Iran/Syrie ou Liban…

La multiplicité des enjeux et des représentations contribue ainsi à faire de la Méditerranée un


espace à part. C’est un axe de passage entre l’Orient et l’Occident, caractérisé par une
fragmentation économique, sociale et politique majeure, facteur de crises, de déstabilisations
régionales et de menaces transnationales (par une interpénétration des trafics mafieux comme
la drogue, l’argent, les commerces illicites d’armements, le terrorisme). Les puissances qui
interviennent dans la région le font via des États « clients », dont elles soutiennent la stabilité
politique ou qu’elles assistent militairement. L’intervention franco-britannique en Libye en
2011 a par exemple été un puissant facteur de déstabilisation de toute la zone.

Alors que l’affaire syrienne, dans sa confusion même, souligne plutôt un retour à la normalité
d’avant conflit, avec des Russes qui tiennent solidement la ligne traditionnelle (le soutien sans
faille à un client), des Américains qui ne s’engagent pas plus avant dans la confrontation, et
des Européens (Français et Britanniques au premier chef) incapables de jouer un rôle de
premier plan. En même temps comment peut-on demander à des pays qui sont membres du
conseil de sécurité et ayant déclenché la seconde guerre mondiale de pouvoir réguler l’avenir
du monde et de la vie internationale ?
Rappelons que l’une des causes principale de la seconde guerre mondiale est à chercher dans
le diktat imposé par le traité de Versailles de 1919. Les vainqueurs ont voulu humilier
l’Allemagne. Notamment à cause de l'expansionnisme de plus en plus affiché des puissances
de l'Axe (Allemagne, Italie et Japon) et l'échec de la Société des Nations sont les principales
causes de la seconde guerre mondiale. A cela, pouvait certainement s’ajouter, la coexistence
en Europe de pays aux régimes politiques très différents et antagonistes sur la géopolitique
mondiale à venir. Certains pays ou Empire comme la France et l’Angleterre ont beaucoup à
perdre politiquement, les autres nations comme l’Allemagne, l’Italie ou le Japon ont tout à
gagner tant sur le plan politique, économique ou territorial. Car, La présence à la tête de
l'Allemagne d'Adolf Hitler qui est arrivé au pouvoir démocratiquement, n’est nullement
anodine. C’est le résultat d’un échec de la classe dirigeante avant lui. Il suit un projet
territorial précis qui est la conquête d'un « espace vital » européen pour construire une
Europe allemande. Il veut aussi effacer toute trace du Traité de Versailles (1919).

12
Autre cause souvent oublier ou négliger volontairement ou par méconnaissance, ce sont les
accords Sykes-Picot de 1916. On ne peut comprendre la situation de la méditerranée
aujourd’hui si on refuse de prendre en compte cette vérité historique. Précisons que les
accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916, après négociation de
novembre 1915 et mars 1916, entre la France et le Royaume-Uni, prévoyant le partage du
Proche-Orient en catimini afin de dépecer l’Empire Ottoman 21 document qui va redéfinir les
frontières du Moyen-Orient actuel.

Malgré les promesses d’indépendance faites aux Etats de la région, la France et la Grande-
Bretagne découpent ainsi le Moyen-Orient : une zone rouge formée par la Mésopotamie 22 est
sous administration directe de la Grande-Bretagne tandis que la France s’approprie une zone
bleue comprenant le Mont-Liban, la côte syrienne et la Cilicie 23. La Palestine est pour sa part
internationalisée, Jérusalem étant une ville sainte pour les trois monothéismes. Pour le reste,
les Etats arabes indépendants gérés par les Hachémites24 sont partagés en deux zones
d’influence et de tutelle : la zone A au nord revient à la France et la zone B, au sud, à la
Grande-Bretagne. Cent ans plus tard, à l’exception de la Palestine et de la Transjordanie
devenue Jordanie (la déclaration Balfour de novembre 1917 prévoyant la création d’un Foyer
national juif), les lignes créées par les accords Sykes-Picot sont toujours en place, tant bien
que mal. Ces découpages territoriaux ont été d'une importance capitale puisqu'ils ont
déterminé arbitrairement pour chacun de ces Etats sa superficie, sa configuration
géographique, la structure de sa population, ses potentialités économiques, ses possibilités
d'accès à la mer, l'identité de ses voisins.

Un siècle plus tard, la région est plongée dans un chaos total, posant la question d’une refonte
des frontières devenues plus instables que jamais. Ces causes sont d'une grande diversité, et
ne sont pas à négliger dans la genèse de l'apparition d'une guerre : avantages géopolitiques,
protection de biens essentiels (pétroles, terres), expansion territoriale, accroissement ou
maintien du pouvoir en place, profit, problème démographiques, dégradation économique. Ce

21
A la fin du XIXe siècle, l'Empire ottoman turque capitale Constantinople comprend une partie de la péninsule
des Balkans, l'Anatolie, la Syrie et la Palestine, une partie de l'Arménie, le Kurdistan , l'Arabie et le Nord-Est de
l'Afrique.
22
La Mésopotamie est une région historique du Moyen-Orient située entre le Tigre et l'Euphrate. Elle correspond
pour sa plus grande part à l'Irak actuel.
23
La Cilicie est une région historique d'Anatolie méridionale et une ancienne province romaine située
aujourd'hui en Turquie
24
La famille dite des Hachémites, qui se réclame des Hachémite via Al-Hassan ibn Ali, a longtemps été la
gardienne de la ville sainte de La Mecque et est aujourd'hui la famille royale régnant en Jordanie, et a régné sur
le Royaume d'Irak jusqu'à la révolution républicaine de 1958.
13
sont les causes de la deuxième guerre mondiale. Le conflit de 1939-1945 amènera des
conséquences inattendues, comme l’émergence de deux puissances, les États-Unis et l'URSS,
ouvrant la voie à la guerre froide. L'Europe, largement détruite, est à genoux, et ses empires
coloniaux se délitent. Enfin, l'une des conséquences de la seconde guerre mondiale est la
tenue de procès soumis au droit international grâce à l'émergence de l'ONU.

4) Est-on sorti de la période postcoloniale ?

La Méditerranée véhicule un imaginaire puissant. De Casablanca à Istanbul en passant par


Barcelone, Marseille, Naples, Athènes, Alger, Tunis, Le Caire et Beyrouth des repères
communs, matériels et immatériels, font que celui qui voyage ne se sent jamais totalement
dépaysé. Au-delà des différences culturelles et religieuses, une grammaire commune,
construite au fil des échanges et des contacts des peuples, unifie les deux rives.

La fin de la colonisation et l’indépendance des États riverains de la Méditerranée, nord


africains obligent à penser un nouveau rôle pour la Méditerranée. Alors que la Guerre froide
trouve ses premiers terrains d’affrontement en Grèce et en Turquie en 1945, l’idée
méditerranéenne est abandonnée et emprisonnée dans la rivalité Est-Ouest. Des deux côtés,
les États doivent choisir leur camp.

La vision américaine de la Méditerranée apparaît dans les années 1960 et 1970, elle va
progressivement s’imposer à travers l’OTAN25 qui déploie dans le bassin la 6e flotte et
perçoit la stabilité de la mer et le contrôle de son accès comme un enjeu géostratégique pour
l’approvisionnement en matières premières, pour le commerce international mais aussi pour la
sécurité du jeune État d’Israël. Cette idée américaine se retrouvera par la suite dans le
discours de Georges W. Bush du « Greater Middle East 26 » allant de Casablanca à Kaboul,
dans la continuité de la théorie de S. Huntington du « choc des civilisations27 ».

- La Méditerranée, frontière Sud de l’Europe

La disparition de l’URSS va constituer un moment important de regain d’intérêt pour la


Méditerranée. L’Union européenne perçoit dans la fin du communisme le moment propice
pour influencer et diffuser des normes et des valeurs par le commerce et les coopérations

25
Organisation du traité de l’Atlantique Nord, créé le 4 avril 1949, le siège est à Bruxelles
26
Le grand Moyen-Orient
27
The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order ; 1996

14
économiques. Comme à l’Est, elle cherche à construire au Sud une zone de stabilité. Du point
de vue sécuritaire, l’OTAN développe une doctrine militaire pour le « flanc Sud » de
l’Alliance et définit les contours de la nouvelle menace terroriste. A l’initiative de l’Espagne
et de l’Italie tout d’abord, puis de la France, se mettent en place des espaces de discussions
multilatéraux comme le dialogue « 5+5 » institutionnalisé en 1990 pour la Méditerranée
occidentale28. En 1995, le processus de Barcelone aboutit à la signature du Partenariat Euro-
Méditerranéen. Le processus de Barcelone se fondait sur trois piliers: un espace de dialogue
pour la paix et la sécurité, des aides financières contre des réformes structurelles et un volet
sociétal de promotion des valeurs démocratiques et libérales. Le processus de Barcelone se
veut alors multilatéral, inclusif et équilibré entre l’Europe et les pays de la rive sud.

La décolonisation est inséparable de l’histoire globale, des deux guerres mondiales, de la


guerre froide. Les nationalismes qu’elle révèle, empruntent leurs discours et leurs formes aux
mouvements issu de la Révolution française mais aussi à la longe durée des antagonismes qui
ont fracturé et qui balafrent encore l’espace méditerranéen. Il y a de grandes incohérences
dans la posture européenne vis-à-vis de la Méditerranée, souvent brouillée par une lecture
historique ambivalente. Ainsi la Méditerranée est-elle vue comme un espace européen
symbolique (histoire), administratif (avec les archipels méditerranéens français, espagnols,
italiens, grecs), ou stratégique (Gibraltar, enclaves espagnoles au Maroc, partenariats et
alliances avec les anciennes colonies). Les Etats issus de la décolonisation sont de leur côté
marqués par leurs propres incohérences, entre réaffirmation de souveraineté et entretien de
liens de coopérations où affleure souvent une dimension néocoloniale. Au-delà des Etats les
populations, sur les deux rives, restent marquées par une histoire encore très présente avec
une certaine incompréhension des deux côtés de cette région du monde. La colonisation a créé
des liens paradoxaux d’amour, de haine, de passion, de fusion, de rejet, entre les différents
territoires de la méditerranée.

Le projet colonial a été fondé sur un système asymétrique multiple : asymétrie militaire,
technologique, économique, démographique et juridique. Après les guerres de
décolonisations, l’essentiel de cette asymétrie est encore en place, et avec elle, les symboles

28
Le Dialogue 5+5 est le plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen. Il regroupe les pays
de la Méditerranée occidentale, et a été instauré en 1990 à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires
étrangères tenue à Rome1, avec l'objectif d'engager un processus de coopération régionale en Méditerranée
occidentale entre les dix pays suivants : l'Italie, la France, l'Espagne, le Portugal ainsi que Malte pour la rive
Nord, et les cinq pays de l'Union du Maghreb arabe pour la rive sud.

15
ou les représentations de la période coloniale restent vivaces. Il y a un réel travail à faire des
deux côtés de la Méditerranée.

C) La méditerranée Aujourd’hui

Au XXIe siècle, les révolutions d’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Lybie, Egypte, Maroc)
et la percée des groupes terroristes au Sahel, rebattent les cartes de la géopolitique
méditerranéenne. De même, la dynamique internationale favorable à la reconnaissance de
l’État palestinien, l’accord sur le nucléaire iranien, il y a également la guerre en Syrie, la
Turquie, l’ex-yougoslavie ou guerre des Balkans (encore instable), le Liban. Tout ceci
témoigne d’un contexte en constante mutation, dont il faut tenir compte et saisir les évolutions
et la complexité. Pour comprendre cette géopolitique, on ne peut se limiter au seul cadre
méditerranéen. Il faut de ce fait prendre en compte les conflits qui se jouent autour de la
Méditerranée car ils débordent sur le continent européen et ont un impact jusqu’au niveau
mondial. Comme l’ont montré les évènements du 11 septembre de 2001, l’agenda sécuritaire
va prendre le dessus. L’objectif premier de l’Europe dans l’espace méditerranéen est d’assurer
la stabilité des régimes dans la lutte internationale contre le terrorisme et de favoriser
l’externalisation de ses frontières pour faire face aux flux migratoires en croissance. La
perspective d’un « choc des civilisations » couplée aux enjeux migratoires et terroristes vont
finir de transformer la Méditerranée en une frontière à surveiller et à fermer. Jamais dans
l’histoire le monde ne se sera autant rétréci, jamais les deux rives n’auront été aussi éloignées.

- La Méditerranée après 2011, un impensé politique majeur

Les révoltes en Afrique du Nord, au printemps 2011, constituent un tournant historique


majeur. Le paradigme de la « stabilité » des régimes autocratiques soutenus par les anciens
empires coloniaux pour certains d’entre eux, pouvant permettre d’assurer la sécurité et les
intérêts européens a volé en éclat. Ce que l’on appelle le néo-colonialisme 29 qui est totalement
différent du post-colonialisme30 n’est plus de mise. Certains conflits, comme entre Israël et la
Palestine, entre le Maroc et l’Algérie au sujet du Sahara, entre Chypre et la Turquie ont
considérablement freiné la possibilité d’accords régionaux d’envergure.

29
Le néocolonialisme décrit une politique impérialiste menée par une ancienne puissance coloniale vis-à-vis de
son ancienne colonie, utilisant diverses méthodes d'influence et de domination, à son propre intérêt ainsi que
celui de ses entreprises.
30
Le postcolonialisme ou études postcoloniales (de l'anglais postcolonial studies) est l’étude des théories
postcolonialistes qui naissent dans les années 1980 (aux États-Unis, bien plus tard en Europe) au sein du
discours postmoderne, en réaction à l’héritage culturel laissé par la colonisation. Les théories postcolonialistes
sont plus qu’une simple tentative historiographique et s’inscrivent dans une démarche critique.
16
5) Un méditerranée en pleine mutation

La Deuxième Guerre mondiale et ses conséquences modifient totalement les structures de la


Méditerranée. L’effacement des puissances européennes, l’installation en force de la
puissance américaine, puis de la flotte soviétique, l’indépendance des territoires coloniaux, la
montée de l’arabisme, les découvertes et l’exploitation des gisements pétroliers ont compliqué
les règles du jeu. C’est sur ce fond de transformations structurelles des sociétés et des
économies méditerranéennes que s’est inscrite la stratégie des puissances.

Aux graves distorsions entre Nord et Sud s’ajoutent les conflits hérités de l’histoire, aiguisés
jusqu’à une période récente par les affrontements idéologiques. De multiples conflits et
guerres civiles (Algérie) où s’entremêlent les questions ethniques et religieuses (les Balkans),
les intérêts stratégiques liés au pétrole et à l’eau, les problèmes de délimitation des frontières
(Maroc et Algérie) ont lourdement pesé sur les équilibres régionaux. Mais depuis les années
1990, la dislocation de l’Union Soviétique a posé en termes nouveaux les problèmes
méditerranéens. C’est désormais l’ordre américain qui s’impose comme «une forme régulée
du désordre» (R.Leveau31). La politique américaine a en effet défini les règles du jeu en
fonction de sa vision et de ses intérêts propres. Ce qui mobilise aussi l’intérêt américain, c’est
le rapport entre Israéliens et Palestiniens. Une terre pour deux peuples ramène à cette
pérennité de la Méditerranée, berceau de civilisations et des barbaries fratricides. C’est de
toute évidence le conflit le plus grave aujourd’hui. Parce que le conflit israélo-palestinien est
toujours une plaie ouverte, il continue à exacerber les antagonismes, à nourrir le ressentiment
et l’esprit de vengeance de part et d’autres.

La Méditerranée souffre de faiblesses de nature structurelle, reflétées par sa fragmentation,


ses différends et ses conflits qui l’agitent de manière chronique. Le nord comme le sud de la
Méditerranée sont fragmentés : au nord, l’Union européenne ne constitue pas un ensemble
uni, possédant les moyens de la puissance. On s’en rend compte chaque fois qu’un problème
grave apparaît, comme par exemple en ex-Yougoslavie: l’Union européenne a été incapable
d’intervenir seule sur ce problème européen, méditerranéen et l’aide des États-Unis a été
nécessaire (les accords ont même été signés à Dayton32). De même, l’affaire irakienne, en

31
Rémy Leveau. Spécialiste du monde arabe (1932-2005), il s'était fait connaître avec {Le Fellah marocain
défenseur du trône}
32
Dayton est une ville de l'État de l'Ohio, aux États-Unis. Elle est située dans le sud-ouest de l'État, dans le
comté de Montgomery,

17
2003, a mis en lumière l’absence de consensus, de politique étrangère commune, et
l’existence de contradictions entre les membres de l’Union Européenne.

Le sud est tout aussi fragmenté ; il est dans l’incapacité de se concerter et d’identifier des
intérêts communs. Les pays du sud sont incapables de développer des échanges transversaux.
Il existe entre eux un sentiment de méfiance, de rivalité. L’Union du Maghreb arabe est une
simple fiction. De plus, de nombreux conflits fragilisent la Méditerranée. Certains différends
sont circonscrits, comme celui concernant Chypre. D’autres ont été mis sous silence et sont
gelés, comme celui du Sahara occidental ou les conflits balkaniques, dont s’est ajouté le
problème du Kosovo. Il existe enfin des conflits ouverts non maîtrisés, dont le principal est
celui qui oppose Israël à la Palestine. Si on appliquait le droit international, on pourrait régler
ce problème rapidement. Mais ce droit est bafoué depuis soixante-dix ans notamment par
Israël, avec la passivité de la communauté (dite) internationale, qui est défaillante ou plutôt
pas objective. Il ne faut pas s’étonner dès lors que le recours à la violence apparaisse comme
la seule issue et sans justification abusive de celle-ci. Dans la région sud-méditerranéenne,
chaque personne vit le drame palestinien comme un drame personnel. Il existe une prise de
conscience de ces faiblesses structurelles, qui se traduit par un certain nombre d’initiatives,
notamment le partenariat euro-méditerranéen de Barcelone33.

Il convient aussi de citer également « l’initiative de coopération d’Istanbul » ; l’initiative «


Grand Moyen-Orient », dont l’approche géopolitique n’était d’ailleurs pas pertinente (le sud y
était considéré comme souffrant d’immobilisme, ce qui est totalement faux. Nous le voyons
aujourd’hui avec le mouvement algérien (le Hirak), la Tunisie, la Lybie, l’Egypte. Les
Américains considérant que l’absence de démocratie conduit au terrorisme, ce qui est inexact
et même absurde. La démocratie ne s’exporte pas, elle ne s’impose pas avec des chars et des
missiles, elle est un processus qui se fait dans le temps, à l’image des démocraties
Occidentales.

Si on analyse objectivement la région euro-méditerranéenne, nous constatons qu’il y a aussi


des points positifs concernant les pays du sud. Il n’y a aucun gouvernement en place qui ne se
déclare anti-occidental, et tous ces pays luttent contre le terrorisme, car ils sont les premiers
concernés dans ce combat et la coopération avec les pays du nord est très développée. Le
terrorisme est un symptôme qu’il faut interroger pour savoir quel est le vrai problème latent.

33
Le Partenariat Euromed, dit aussi Processus de Barcelone, a été institué en 1995 à Barcelone, à l'initiative de
l'Union européenne et de dix autres États riverains de la mer Méditerranée. L'Albanie et la Mauritanie sont
membres de l'Euromed depuis 2007.

18
Questionnons son efficacité : On peut supposer que sans les engagements des troupes
espagnoles et britanniques, il n’y aurait pas eu les attentats de Madrid et de Londres. Il faut
faire attention à ne pas instrumentaliser le terrorisme dans une stratégie de puissance. Le vrai
problème en Méditerranée n’est pas le terrorisme, c’est le développement. Les conflits et
tensions se sont intensifiés dans l’espace méditerranéen depuis le processus de Barcelone en
1995 entre le Maroc et l’Algérie, le Liban et la Syrie, et, bien sûr, Israël et les territoires
palestiniens. Les peuples sont souvent en révolte contre leurs propres gouvernements et
restent sceptiques devant les discours grandiloquents. Il n’y a pas d’unité méditerranéenne,
malgré, effectivement, un certain art de vivre partagé. Il suffit de regarder les écarts de
richesse entre les deux rives pour s’en convaincre. En outre, les deux rives ne se connaissent
pas bien, elles sont en contact et s’ignorent en même temps.

Les Européens parlent d’Arabes au sud, mais quid des chrétiens d’Orient, des Kabyles et
autres peuples berbères ayant une histoire propre et chrétiens à la base. On connaît d’ailleurs
plusieurs grandes figures de l’église africaine, comme Saint Augustin et sa mère Sainte
Monique ou encore Saint Cyprien, Alors qu’on voit souvent dans le catholicisme romain une
religion européenne, il n’est pas anodin de se souvenir que la fonction de pape, le plus haut
dignitaire de l’Église, a été occupée à trois reprises par des chrétiens d’Afrique du nord qui
sont africains, comme:

- Gélase Ier, également berbère, fut pape de 492 à 496


- Victor Ier, qui était berbère34, né dans l’actuelle Tunisie, il fut évêque de Rome et à

L’espaceceau
titre gouverna l’Église
Moyen-Orient romainede
est composé à partir
13 %de de189
nonetmusulmans.
ce durant uneIl dizaine d’années.
existe des fractures
entre- sunnites
Miltiadeet ou Mel chiade,
chiites, entre lenémonde
en Afrique
urbainduetnord, fut pape
le monde de 311
rural, à 314
entre classes instruites et
non instruites. Les peuples du sud demandent la reconnaissance de l’altérité, pas la tolérance,
terme éminemment condescendant. Concernant les relations Nord/Sud, il existe un besoin de
reconnaissance par le respect. Or, après avoir entendu les débats intra-européens qui ne
songent même pas à faire appel à l’opinion publique du Sud, on se dit que le respect n’est pas
apparent, voir inexistant.

34
Du peuple autochtone d'Afrique du Nord (ex. kabyle, touareg).

19
On ne peut ignorer l’histoire lorsqu’on évoque la politique étrangère européenne et de
certains pays comme l’Espagne qui fut le terrain de coexistence et de friction entre trois
religions (islam, judaïsme et chrétienté). Huit siècles de culture partagée dans l’Al Andalus 35
ont laissé des marques profondes et l’héritage culturel a été assimilé par la société espagnole
et une telle coexistence n’a jamais été répétée depuis. La Méditerranée est une priorité de la
politique étrangère espagnole. Le gouvernement accorde beaucoup d’importance à la
confiance mutuelle et à l’égalité avec le sud (Afrique du Nord). Ces principes ne sont pas que
des « paroles verbales », ils n’ont pas été oubliés dans les moments difficiles à la différence
d’autres pays européens et de la France en particulier.

Ainsi, après les attentats de Madrid de 2004, avec 191 morts et 2050 blessés, le dialogue a
perduré et il n’y a pas eu de poussée xénophobe au sein de la population, qui a su placer le
terrorisme à sa juste place et ne pas faire de confusion, malgré la peur. Enfin, le rôle de la
société civile est particulièrement important aux yeux des Espagnols, celui que joue par
exemple la fondation Anna Lindh36 à Alexandrie37. Il faudrait arrêter de parler de deux rives
et évoquer la Méditerranée comme un tout. Ré humaniser la méditerranée doit être au cœur
des débats d’aujourd’hui.

Dans un cadre de stabilisation, de coopération en Méditerranée, certains programmes peuvent


donner une impulsion à la coopération réciproque. Les volets sécuritaires et politiques sont
très importants et beaucoup a déjà été fait dans ce domaine, comme les coopérations
techniques entre forces armées, de police, et tant d’autres choses également. Ce qui a accru la
possibilité que les pays coopèrent entre eux. Il y a maintenant un véritable changement
structurel en Méditerranée, pour la première fois depuis treize siècles, la Méditerranée est à
peu près unifiée autour d’un projet européen, d’un projet riverain. Si on se confronte
réellement aux problèmes structurels, on aura peut-être la possibilité de bâtir une plus grande
unité politique au sein de cette zone du monde ou trois civilisations s’.

35
est le terme qui désigne l'ensemble des territoires de la péninsule Ibérique et certains du sud de la France qui
furent, à un moment ou un autre, sous domination musulmane entre 711 (premier débarquement) et 1492 (chute
de Grenade). L'Andalousie actuelle, qui en tire son nom, n'en constitua longtemps qu'une petite partie.
36
La Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures, ou Anna Lindh Foundation, instituée
par l'Union européenne et les pays du pourtour méditerranéen vise à rapprocher les individus et les organisations
des deux côtés de la Méditerranée grâce à des actions soutenues de dialogue et de refermer le fossé qui les
sépare. Elle rend hommage à Anna Lindh, ministre des Affaires étrangères suédoise poignardée par un
déséquilibré en 2003. Elle siège à Alexandrie, en Égypte.
37
Alexandrie est une ville portuaire égyptienne sur la Méditerranée

20
6) La méditerranée : Une région Hybride, complexe et méconnue

Le monde méditerranéen est à la fois complexe et compliqué, et traversé par de multiples


zones de fractures. Il n’y a d’ailleurs jamais une seule explication historique, plusieurs thèses
s’affrontent. Il s’agit de penser la Méditerranée au cœur des Etats et des hommes, là où se
nouent les mécanismes qui produisent et nourrissent la violence.

La Méditerranée a-t-elle déjà été une mer de paix ?

Cette interrogation pose d’emblée le problème de l’existence d’un espace suffisamment


homogène pour être désigné par le terme de Méditerranée au singulier. Il existe un seul terme,
qui est toujours en vigueur dans les discours, il persiste envers et contre tout, en dépit de la
multiplicité des réalités géopolitiques, c’est le mot paix. Pourtant, lorsque la problématique
des conflits et des guerres rencontre le vocable de Méditerranée, les incertitudes sont
multiples. Car, il faut préciser de quelle Méditerranée parle-t-on ?

La Méditerranée en effet ne relève plus seulement de la politique étrangère, de la France ou de


l'Europe. Une politique méditerranéenne, en effet, n'est pas la simple addition
de politiques bilatérales ou de mesures circonstancielles, mais doit définir une stratégie de
long terme. Les liens entre les Afriques méditerranéenne et subsaharienne sont anciens. Ces
dernières années, des dynamiques nouvelles, principalement économiques, se consolident
dans les espaces urbains et littoraux et participent à un renouveau des connexions entre
Méditerranée, Sahara et Sahel, en particulier dans la partie occidentale. Ces transformations
alimentent des phénomènes de régionalisation, fondés sur de grands programmes
d’infrastructures qui accompagnent l’essor des échanges maritimes, terrestres et aériens de
biens et de personnes entre les pays situés dans ce vaste espace ouest-africain38.

Longtemps considéré comme l’épicentre du Vieux Monde, le bassin méditerranéen n’est


certes plus un pôle majeur de puissance. Depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869,
permettant aux Britanniques de consolider alors la primauté de leur réseau maritime. Elle se
poursuit aujourd’hui avec les flux conséquents qui relient par Suez et Gibraltar les façades
maritimes d’Asie orientale, d’Europe et d’Amérique. « Penser la Méditerranée » en Europe

38
Bulletin de l’association des géographes français : Entre Afrique du Nord et de l’Ouest, les relations
transsahariennes à un moment charnière, Between north Africa and west Africa: trans-Saharan relations at a key
moment: Nora Mareï et Olivier Ninot ; p. 239-258

21
s’est traduit par une approche résolument optimiste, partant du postulat que ces espaces
avaient vocation à s’intégrer à une dynamique européenne de développement. La pertinence
d’un partenariat rénové entre l’Afrique et l’Europe consacrant la centralité de la Méditerranée,
à travers la construction d’une verticale Afrique – Méditerranée – Europe 39. Une sorte de
triangle stratégique afin d’avancer ensemble pour le bien être de cette zone du monde. La
dynamique de la mondialisation impose, aujourd’hui, la promotion de ce triangle. Elle sécrète,
en effet, la régionalisation, c’est-à-dire l’intégration des Etats-nations sur le plan économique
à des ensembles ou sous-ensembles régionaux, capables de répondre aux exigences de la
mondialisation40.

Finalement, la difficulté de « faire région », l’instabilité régionale, la question de l’adhésion


des populations africaines à de tels projets portés « par le haut » interrogent sur les modalités
d’un dépassement des frontières, des différences et des distances entre les deux rives. Si la
diversification des liens et des échanges régionaux permet à certains pays de la zone de
consolider un positionnement dans la mondialisation néolibérale, elle laisse encore de côté des
pans entiers des territoires et des populations, peu concernés, voire oubliés de ce vaste projet
politico-économique de facilitation des échanges intra-méditerranéens.

L'Union européenne doit cesser d'apparaître, aux yeux de ses interlocuteurs, comme une «
forteresse » économique et politique uniquement préoccupée de garantir sa sécurité vis-à-vis
d'un Sud travaillé par d’autres préoccupations, comme le développement. La proximité
géographique, l'importance des liens culturels et historiques sont autant de facteurs militant
pour une structuration de l'ensemble géopolitique euro-méditerranéen qui aille bien au-delà de
la conclusion de simples accords d'association à finalité libre-échangiste41.

L’espace méditerranéen est en cours de construction et la perspective d’un ensemble intégré


demeure lointaine. La prédominance des prismes (terroriste, migratoire…) fausse la
construction régionale et sacrifie le long terme sur l’autel du court et moyen termes. Certes, ce
cadre régional tend à se stabiliser, mais cela peut se révéler trompeur. Ce sont bien les
instabilités/insécurités moyen-orientales d’une part, et la question migratoire (criminelle et
terroriste) qui sont à l’origine d’un recentrage méditerranéen. Les acteurs en présence ont fui

39
AME : Afrique, Méditerranée, Europe

40 Fathallah Oualalou : La verticale Afrique - Méditerranée - Europe dans le Triangle Stratégique Afrique -
Europe -Amérique Latine, Policy center for the new south, May 28, 2018
41
Ibidem

2
le bourbier moyen-oriental et les voilà engloutis dans celui du Sahel. Comme si les
turbulences venues d’ailleurs priment sur la dynamique endogène. Une conviction Ouest-
méditerranéenne semble faire défaut. Le renforcement progressif du cadre 5+5 reflète une
reconsidération endogène de l’espace euro-nord-africain, mais il a besoin d’être approfondi.
Or, la Méditerranée occidentale n’est qu’une priorité régionale parmi tant d’autres pour les
pays sud-européens. Pour ceux-ci, la référence étant toujours l’Union Européenne, le système
originel. Le glissement sémantique mais hautement politique de l’Union Méditerranéenne
vers l’Union pour la Méditerranée montre à quel point la construction de la Méditerranée pose
problème pour certains pays européens comme si « faire » la Méditerranée
signifie « défaire » l’Europe42.

Conclusion

La crise de l’Etat se retrouve, sous une forme ou une autre, dans presque tous les pays
méditerranéens. Le symptôme le plus grave se manifeste dans le peu de crédit que la
population accorde aux institutions. Au fil des ans, elles ont perdu une grande part de leur
substance. La problématique de l’indépendance a eu pour effet pervers de bannir chez les
gouvernants les principes de l’Etat de droit, dont certains avaient été pourtant posés dans les
dernières décennies de l’époque ottomane. L’impuissance de l’Etat se double donc du déni
des libertés fondamentales. Non seulement les pouvoirs en place ne peuvent donner ou rendre
à leurs Etats une capacité d’initiative dans les relations internationales, mais ils interdisent à
leurs citoyens toute action susceptible de changer les pouvoirs. Les menaces extérieures sont
le prétexte à l’état d’urgence qui, mettant les lois entre parenthèses et parfois pour longtemps,
bannit les instruments de régulation du politique, les partis et les associations. Il n’y a plus dès
lors, que le recours à la spiritualité, pour canaliser la frustration et véhiculer la demande de
changement. L’affirmation de l’islam militant a d’abord été une conséquence des impasses
internes des Etats, elle ne saurait pourtant être une solution au malaise du monde berbéro-
romano-arabe, facteur de déstabilisation des équilibres géostratégiques en Méditerranée. Dans
le contexte actuel, la situation en Méditerranée brouille les perspectives. Au Sud et à l’Est, les
archaïsmes perdurent, les réformes tardent et les inégalités demeurent fortes. Alors comment
sortir du cycle de la violence et transformer la Méditerranée en un «lac de paix, de stabilité et

42
Abdennour Benantar : Complexe de sécurité ouest-méditerranéen : externalisation et sécurisation de la
migration ; West -Mediterranean regional security complex: outsourcing and securing migration; p. 57-75

2
de coopération», comme l’affirmait la résolution du sommet des Non-Alignés réuni à Alger
en 1973 ?

L’observation de la réalité ne laisse place, croirait-on parfois, qu’au désarroi. Mais celui-ci
n’est pas nécessairement l’antichambre du désespoir. Il porte aussi les hommes et les femmes
au rêve. Dans cette région du monde où l’Europe et l’Afrique se regardent sous les yeux de
l’Asie, sont nées les grandes civilisations et les religions monothéistes, qui ont rivalisé
d’influence et alimenté bien des fantasmes de domination et tant de guerres meurtrières. La
« mondialisation » bien loin d’effacer ces antagonismes, portant en elle le risque d’un monde
plus inégal que jamais, peut encore exacerber les tensions et les conflits notamment dans cette
zone du globe. Mais la Méditerranée, c’est aussi la «mère des mondes» où l’Orient et
l’Occident peuvent se rejoindre, se retrouver. Et malgré un contexte instable et un
environnement parfois hostile, on choisit, ici et là, en Méditerranée, de s’ouvrir aux idées
nouvelles et aux autres cultures, on aspire au respect des libertés fondamentales et des droits
humains, à la concorde, à la paix et à la prospérité43.

43
Samya El Mechat : La Méditerranée, « paix et guerre entre les nations », dans Cahier de la Méditerranée,
p. 1-7

2
Bibliographie

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-Yves Lacoste, Géopolitique de la Méditerranée, Paris, Armand Colin, 2008.

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-BENANTAR Abdennour, 2010, « Politique européenne de voisinage et le Maghreb » et


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-BALZACQ Thierry, 2007, « La politique européenne de voisinage, un complexe de sécurité à


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-GHEBALI Victor-Yves, 1996, L’OSCE dans l’Europe post-communiste 1990-1996 : vers une
identité paneuropéenne de sécurité, Bruxelles, Bruylant.

2
Titulaire d’un Doctorat en Droit public international, d’un Master 2 en Défense et Sécurité,
d’un diplôme de l’IHEDN de Paris, le Dr Farid ZAFRANE est actuellement fonctionnaire
d’État (Formateur en Défense et Sécurité) et chercheur en géopolitique. Il a reçu le Prix de
l’Académie des Sciences de l’Outre-Mer (Prix Robert Cornevin). Il poursuit des recherches
sur la Polémologie (science de la guerre), qui est une branche de la théorie des relations
internationales mettant l’accent sur la compréhension des conflits, leurs causes, leurs formes
et leurs effets sur le fonctionnement dans les relations internationales et africaines. En
coopération avec la faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales à l'Université
Cadi Ayyad Marrakech (Maroc). Il participe à NejMaroc (Centre de recherche sur la
Globalisation). Il collabore également à la revue de droit administratif pour le Tribunal
Administratif Tunisien.

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