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Ingestion accidentelle
Points essentiels
Correspondance : Danièle Van der Roost, Infirmière pédiatrique SISU, Urgences CUB Erasme,
808, route de Lennik, 1070 Bruxelles, Belgique. Tél. : + 32 2 555 34 00– Fax : + 32 2 555 45 00.
E-mail : daniele.vanderroost@erasme.ulb.ac.be
INGESTION ACCIDENTELLE 1
1. Introduction
La multiplicité des ingestions potentielles est immense, plusieurs classes de
produits peuvent être ingérées simultanément notamment en cas d’autolyse chez
l’adolescent. L’article ne peut donc être exhaustif et rappelle les grands classiques
ainsi que quelques intoxications émergentes. La situation type en pédiatrie est une
ingestion accidentelle d’une petite quantité par un enfant âgé de 1 à 4 ans. La
gravité sera dépendante de la fréquence d’ingestion et/ou de la dose ingérée et de
la classe de produits dont malheureusement pour certains, la dose toxique peut
être minime (principe du « one pill killer » (Tableau I (1)). La majorité des
ingestions accidentelles sont médicamenteuses suite à un comportement
exploratoire du jeune enfant et l’erreur thérapeutique (identifiée) par surdosage,
mauvaise voie d’administration, péremption dépassée, confusion de produit ou
prescription inadéquate ne représente que 4 % des appels au Centre Anti Poison
belge (CAP) et concerne une orientation sur dix vers un hôpital (2).
Tableau 1 – Principaux produits à toxicité élevée pour un jeune enfant (liste non
exhaustive).
Plantes hautement Ricin, colchique, muguet, digitale, azalée, rhododendron, aconits, vérâtre
toxiques blanc, cytise, datura, violette, laurier rose, brugmansia, genêt, ifs, noyaux
mâchés (cerises, abricot, prune, pêche, poire, pomme), …
Sources :
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Glodfrank’s Toxicologic Emergencies – McGraw-Hill Companies Ed., 9th ed, 2007.
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4. Nouveaux produits à l’origine d’intoxication
Lessives liquides : Ces nouvelles dosettes tout-en-un attirent particulièrement
l’attention des enfants par leur aspect coloré et leur texture ludique. Entre 2005 et
2012, 1,3 % des 7 562 expositions rapportées en France a été considéré comme
grave. Le nombre de cas est deux fois supérieur à celui par exposition aux lessives
classiques en poudre, cette augmentation est à mettre en relation avec le
développement du marché des dosettes pour lave-linge. Leur concentration en
agents tensio-actifs est trois fois plus importante et les rend agressives pour les
muqueuses, les cas graves sont d’ailleurs trois fois plus fréquents avec ces
dosettes. (5) Leur enveloppe se dissout dès 30° et au contact de l’eau ou même
par simple contact avec des mains mouillées ou de la salive. Lors de l’ingestion
(86 % des expositions), l’effet irritant se traduit par des nausées et des
vomissements mais si l’enfant mord la capsule, la pression interne de la dosette
favorise un jet de liquide qui peut atteindre l’arrière-gorge et provoquer jusqu’à un
syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) nécessitant intubation et
ventilation (5). La zone lésée doit être rincée abondamment car le liquide possède
une viscosité importante et, si l’état de l’enfant le permet, on lui donne un corps
gras à manger (pain abondamment beurré) ou un aliment qui puisse tapisser la
muqueuse digestive (compote, crème dessert) puis de l’eau à boire deux heures
plus tard (6).
Recharge pour cigarette électronique : l’engouement pour le « vapotage » et
l’explosion du marché des cigarettes électroniques a démarré aux États-Unis et
généré une augmentation de 1 à 215 appels par mois pour exposition accidentelle
entre 2010 et 2014, essentiellement pour ingestion accidentelle du liquide de
recharge. La moitié des situations concerne un enfant de moins de 5 ans (7).
L’Europe a désormais limité la teneur en nicotine à 20 mg/ml mais l’Association
Française de Normalisation (AFNor) n’avait pas encore établi, en décembre 2014,
de normes de sécurité concernant les dispositifs de cigarette électronique.
La composition des liquides de recharge est variable ; la viscosité résulte du
polyéthylène glycol (PG) ou de la glycérine végétale, le taux de nicotine est compris
entre 0 et 20 mg/ml (contre 16 mg pour une cigarette classique) et y sont encore
rajoutés des arômes, des colorants et de l’alcool ou de l’eau. Les enfants sont
particulièrement attirés par les colorations intenses des liquides de recharge et si
le bouchon a déjà été dévissé, ils ont facilement accès au contenu.
L’intoxication sera liée à l’absorption de nicotine (8) et/ou d’alcool. Les signes de
l’intoxication nicotinique constituent un syndrome muscarinique (nausées,
vomissements, hypersécrétions) auquel se rajoute des fasciculations, des
convulsions, une paralysie. Le traitement comprend de l’atropine titrée, un
contrôle des convulsions par des benzodiazépines et des mesures supportives.
Solutions hydroalcooliques : Si on trouve de l’alcool dans les recharges de
vapoteuse, il est également présent dans un grand nombre d’autre produits : gel
désinfectant, préparation antitussive, lotions après rasage, parfum. C’est dans les
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n’ont pas été mortels, c’est grâce à la réactivité des parents qui connaissaient les
risques encourus et à une prise en charge hospitalière rapide. L’intoxication aux
opiacés (sirop, gélule ou patch) fait partie de la liste des intoxications dangereuses
sur ingestion d’une faible dose (Tableau I). Le pic d’effet de la morphine ingérée
est situé entre 4 et 6 heures pour la méthadone et peut durer jusqu’à 48 h (13).
Lors de l’accueil de l’enfant, doivent être recherchés le myosis, la diminution de
l’état de conscience et de la fréquence respiratoire. Au niveau cardiaque, une
bradycardie peu être présente avec allongement du QT et arythmie létale, surtout
en cas d’ingestion de méthadone (14). Les opiacés se lient facilement au charbon
activé qui doit être administré dans l’heure suivant l’ingestion pour être efficace
(1 g/kg). L’adjonction de sorbitol pour « lisser » la préparation de charbon activé
et accélérer le transit intestinal n’est recommandée qu’en dose unique (15).
L’enfant doit éventuellement être ventilé à 100 % d’oxygène avant
l’administration d’antidote. La naloxone est la plus connue des antagonistes des
opiacés, son pic d’effet intraveineux est atteint en une minute mais ses effets
cliniques ne durent que 45 à 70 minutes. Des doses répétées et/ou titrées en
perfusion continues peuvent s’avérer nécessaires. Hors nouveau-nés de mère
toxicomane, la dose pour les enfants de moins de 20 kg est de 0,1 mg/kg iv et les
enfants plus grands peuvent recevoir 0,2 mg/kg de naloxone. Au-delà d’une dose
totale de 10 mg sans effets, l’intoxication aux opiacés est exclue. Toutes les voies
d’administration sont efficaces mais l’intraveineuse ou l’intraosseuse sont
préférables car plus rapides (16).
Fréquents dans les pharmacies familiales et sur les tables de nuit, les
benzodiazépines et les hypnotiques provoquent des intoxications a priori moins
dangereuses mais la multitude des préparations commerciales peut rendre la
tâche d’identification du produit plus difficile. Leurs pics d’action varie d’une
demi-heure (Valium®) à une heure (Alprazolam®, Rohypnol®) avec une demie-vie
assez longue. Le signe principal de ce type d’intoxication est la somnolence sans
perturbation des signes vitaux et sans dépression respiratoire à condition qu’il n’y
ait pas eu de coingestion. Seuls les métabolites de certaines benzodiazépines
peuvent être détectés dans les urines. À cause de la diminution de l’état de
conscience, l’administration de charbon activé est évitée mais un antidote existe :
le flumazénil (Annexate ® ). Son administration permet le diagnostic de
l’intoxication et ainsi d’éviter des procédures invasives. La dose pédiatrique est de
0,01 mg/kg éventuellement répétée quatre fois avec une dose totale de
0,05 mg/kg (17). La perfusion continue en cas d’intoxication grave est également
envisageable.
B bloquants : la toxicité se manifeste dans les deux heures suivant l’ingestion des
formes non retard. La bradycardie et l’hypotension sont les signes habituels de
l’intoxication mais la diminution de l’état de conscience, les convulsions,
l’hypoglycémie et un bronchospasme peuvent également être constatés.
L’hypoglycémie est courante chez les enfants intoxiqués aux bêta bloquants (19).
L’atropine (0,5 à 1 mg/kg), le remplissage et le charbon activé sont les éléments de
choix du traitement de cette intoxication. Des thérapies plus invasives doivent
parfois être mises en œuvre dans les cas graves : glucagon (50 mcg/kg), chlorure
ou gluconate de calcium, vasopresseurs, insuline et glucose, émulsion de lipides
pour TPN (à cause du caractère lipophile des bêtabloquants), hémodialyse, pacing.
INGESTION ACCIDENTELLE 7
Paracétamol : chez les enfants, la mortalité est plus rare suite à une intoxication au
paracétamol car en dehors des suicides chez les adolescents, la dose ingérée est
trop faible que pour être toxique. L’intoxication survient lors
d’épisodes exploratoires de l’enfant, par erreur d’administration (confusion de la
dose en mg avec des ml) ou par méconnaissance des composants de diverses
préparations utilisées conjointement sans prescription. Pour rappel,
l’administration de N-acétylcystéine (NAC) en antidote doit se faire dans les 8 à
10 heures suivant l’ingestion, sur base d’un taux sérique prélevé à 4 h de
l’ingestion afin de correspondre à une zone interprétable du nomogramme (22).
Les enfants de moins de 6 ans semblent moins pré disposés à l’hépatotoxicité suite
à un surdosage de paracétamol sans doute en partie de par leur métabolisme et
parce qu’ils vomissent plus fréquemment (23). La dose toxique en intoxication
aiguë pour un enfant est de 150 mg/kg (soit 10 fois la dose thérapeutique pour
une prise) (24). Une prise de 200 mg/kg sur 24 h est corrélée avec un risque
toxique (25, 26). Quatre stades d’intoxication sont distingués en cas de surdosage
aigu, en fonction du délai de présentation et de la symptomatologie. Plusieurs
algorithmes de traitement par NAC existent, sur base d’un nomogramme dont le
plus couramment utilisé est celui de Rumack-Matthew. Les doses pédiatriques
sont les mêmes que chez l‘adulte mais le volume de dilution est adapté : 3 ml/kg
pour la dose de charge, 7 ml/kg les 4 heures suivantes et 14 ml/kg les 16 h
suivantes (26, 27, 28). Pour les plus petits, une administration orale de NAC peut
être envisagée (29). Un guide de bonne pratique a été édicté par l’Association
américaine des centres antipoisons et permet de détecter rapidement les enfants
à risque de surdosage sur base du délai de présentation, de la dose, du contexte
de prise et des signes de toxicité (30). La problématique du surdosage chronique,
par maltraitance ou méconnaissance, est plus complexe, les signes d’insuffisance
hépatique seront alors recherchés.
Anti Inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS) : le métabolisme des AINS passe par le
foie et les métabolites sont excrétés par les reins. La dose thérapeutique
antipyrétique et anti-inflammatoire chez un enfant de plus de 6 mois est de
maximum 50 mg/kg par jour. Les symptômes en cas d’intoxication aiguë sont
rares tant que la dose n’atteint pas 100 mg/kg et le risque létal est considéré pour
des doses supérieures à 400 mg/kg (31, 32). Le dosage sanguin des AINS
demande du temps et n’est pas vraiment corrélable avec la toxicité ou l’issue (33).
Les soins sont supportifs et veillent à maintenir la filtration rénale. Le charbon
activé peut être administré si l’enfant se présente dans l’heure de l’ingestion.
Produits caustiques : ils entrent dans la composition de toute une série de produits
ménagers. Chez les enfants, la quantité ingérée est généralement faible de par
son caractère accidentel et les lésions sont donc situées principalement dans la
bouche et l’œsophage (18 à 46 % des brûlures par caustiques) mais les lèvres
voire le menton peuvent être lésés par écoulement ainsi que l’oropharynx et les
voies respiratoires supérieures (35). Les signes précoces peuvent ne pas être
prédictifs de la sévérité ; dans la moitié des cas une brûlure œsophagienne était
présente sans lésion buccale (36). Les symptômes principaux sont la dysphagie et
des signes digestifs classiques (douleur, nausées, vomissements,…) (37). Outre la
surveillance des signes vitaux, la gestion aux urgences requiert une endoscopie
précoce pour déterminer la gravité des brûlures et permettre le traitement
ultérieur, notamment les corticostéroïdes en cas de lésions profondes ou
circonférentielles mais dont l’effet ne semble pas toujours améliorer le pronostic
lésionnel (35, 38, 39). Sont contre-indiqués : l’induction de vomissement,
l’utilisation d’agents diluants, l’administration de charbon activé.
Méthanol et éthylène glycol (EG) : ces deux produits sont trouvés dans les liquides
antigel, les solvants et certains produits industriels. L’ingestion d’un gramme par
kilo peut être létale en l’absence de traitement. Tout va donc dépendre de la
concentration en EG, on peut retenir qu’une solution à 50 % contient
approximativement 0,6 mg d’éthylène glycol. Pour rappel, l’intoxication à l’EG
génère des métabolites et présente des risques semblables à celle par méthanol :
cécité irréversible, insuffisance rénale, sédation ; une lactatémie élevée, et ce
partiellement par artéfact, et une acidose métabolique sont typiques de ces deux
intoxications (40). La formation de cristaux d’oxalate n’est pas spécifique à
l’ingestion d’EG et ne contribue donc pas au diagnostic (41). Un taux sérique de
méthanol supérieur à 6,2 mmol/L ou d’éthylène glycol supérieur à 3,2mmol/L
requiert un traitement agressif. En plus des thérapeutiques supportives et de la
correction de l’acidose, l’administration de fomepizole (15 mg/kg en charge puis
10 mg/kg par 12 heures) va jouer le rôle d’antidote de manière plus efficace que
l’éthanol, dont la titration et le calcul de dose est complexe (42, 43, 44).
L’administration de thiamine, acide folique et pyridoxine constitue l’adjuvant au
traitement par fomepizole.
INGESTION ACCIDENTELLE 9
Cosmétiques, savons, huiles essentielles : Les huiles essentielles sont
disponibles dans le commerce sans aucun avertissement écrit et pourtant leurs
composants peuvent occasionner des effets indésirables. Le Centre de
Pharmacovigilance belge a ainsi émis un avertissement en 2008 sur certains
produits contenant de l’eucalyptol et du menthol : l’ingestion peut provoquer des
vomissements, des convulsions, un coma, un collapsus tandis que l’inhalation par
de très jeunes enfants peut induire laryngospasme ou coma (45). Une solution à
usage dentaire contient, elle, de l’eugénol, de l’hydrate de chloral et du
chloroforme dont l’ingestion a des effets sur le système nerveux central et des
effets respiratoires graves. L’eugénol ingéré en petite quantité (moins de 10 ml)
peut provoquer une hépatotoxicité qui répond bien au traitement par NAC (46).
Certaines huiles essentielles peuvent révéler une concentration élevée d’un
principe médicamenteux précis, telle l’huile de wintergreen dont 5 ml contiennent
l’équivalent de 7 g d’aspirine… (47)
6. Prise en charge
La notion d’ingestion accidentelle d’un petit volume d’un produit unique identifié
sans haute toxicité est généralement synonyme d’enfant asymptomatique ne
nécessitant pas d’hospitalisation ou de surveillance prolongée aux urgences. Dans
certains cas, suivant la toxicité, le volume suspecté ou la clinique de l’enfant, un
contrôle du pH, de la glycémie et de l’ionogramme peuvent être requis. Le contact
avec le CAPTV et le respect des priorités de prise en charge (dégagement des voies
respiratoires et maintien des fonctions vitales) sont de règle. Une surveillance de
4 à 8 h selon la toxicité potentielle est prudente.
Les traitements médicamenteux de première ligne sont la naloxone en cas
d’intoxication aux opiacés et dépression respiratoire, les benzodiazépines en cas
de convulsions ou d’agitation sévère, le glucose en situation
d’hypoglycémie (54, 55). L’administration d’antidotes spécifiques est rare. Le
charbon activé possède la meilleure efficacité et plus de 90 % de substance
toxique sont adsorbés si le ratio est de 10 pour 1 (soit 10 g de charbon pour 1g de
toxique) (56) ; il est habituel de plutôt calculer la dose en 1 g de charbon pour 1
kg de poids corporel. Certaines intoxications par des comprimés à effet retard
peuvent nécessiter plusieurs doses de 0,5 g/kg de charbon activé. Les contre-
indications du charbon activé sont son inefficacité sur certaines substances, un
risque de vomissement sur produits corrosifs ou hydrocarbures, une obstruction
ou une perforation intestinales, un manque de protection des voies aériennes en
cas de diminution de l’état de conscience (56).
INGESTION ACCIDENTELLE 11
Figure 1 – Algorithme de prise en charge par l’IOA en cas d’ingestion accidentelle chez
l’enfant.
Ingestion accidentelle ?
oui non
Identification du produit (risque accru)
(CAPTV)
Coingestion ?
Peu de
risque
toxique Risque toxique
Quantité inconnue
ou élevée Petite quantité
Symptomatique Asymptomatique
8. Conclusions
L’ingestion accidentelle chez l’enfant concerne généralement une faible quantité
d’un produit unique peu toxique et son issue est donc bénigne moyennant
contact avec le CAPTV, avis médical et visite aux urgences. Cependant certaines
faibles quantités de produits hautement toxiques peuvent occasionner une
morbidité et/ou une mortalité élevée dans de rares cas. Les ingestions non
accidentelles et multiples en sont les plus représentatives. La multiplicité des
produits à l’origine d’intoxication est telle que la prudence et le recours à l’avis
d’expert en toxicologie sont de mise lorsque l’anamnèse est floue, les
circonstances peu claires et/ou la toxicité potentielle élevée. L’administration
d’antidote appartient à la phase de stabilisation après évaluation des paramètres
et maintien des fonctions vitales.
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