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Catteau Jacques. Freud et Dostoevskij : Vladimir Marinov, Figures du crime chez Dostoïevski. In: Revue des études slaves,
tome 63, fascicule 1, 1991. Rus´ de Kiev et Russie moscovite. pp. 261-264;
https://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1991_num_63_1_5967
FREUD ET DOSTOEVSKIJ
plus proche de Freud que Sophocle ou Shakespeare » (p. 299). Enfin, cette parenté
est plus connue, Dostoevskij par ses nombreux rêves qui sont autant de mises en
scène de ce que tait la conscience, par son rapport privilégié au monde de l'onirisme,
semble anticiper les découvertes de Freud dans Y Interprétation des rêves. Et,
précisément, le second mérite de Marinov est de mettre en rapport toute l'œuvre de Freud
avec la création dostoïevskienne, et en particulier, outre les textes déjà cités, Totem
et tabou (1913), l'Homme aux loups (1910-1914), Vue d'ensemble sur des
névroses de transfert (1915), le Tabou de la virginité (1917), Une névrose
démoniaque au XVIIe s. (1923), l'Aveu d'une illusion (1927) etc. L'A. apporte
même une information capitale pour Totem et tabou : « Le livre fut rédigé par Freud
dans l'exaltation du sentiment de faire une grande découverte... Nous irons ainsi
jusqu'à affirmer que le roman tragique de Dostoïevski [les Frères Karamazov] n'a
pas été sans influencer, d'une manière plus ou moins consciente, la construction de
la "tragédie préhistorique" de Freud. » (p., 224-225).
dans Totem et tabou et le roman. Ce qui n'était guère vraisemblable pour Crime et
châtiment le devient dans la mesure où les frères Karamazov, à eux tous,
représentent le sang Karamazov. Les glissements de l'un à l'autre ne sont pas seulement
possibles mais voulus par le romancier, ils entrent dans son dessein. La lignée des
trois frères, auxquels Smerdjakov et Цјиба sont judicieusement ajoutés est
admirablement analysée. Dmitrij est le primitif Dionysos et Demeter, Aleša le « Christ »,
Ivan le névrosé, Smerdjakov le bâtard criminel et Пјиба l'enfant sacrifié. L'A., dans
cette seconde partie, reprend l'audacieuse construction de Freud sur la mise à mort
du père de la horde préhistorique par les frères avec son scénario cynégétique, et la
met en parallèle avec le meurtre du père Karamazov. П va même plus loin que Freud
en rétablissant l'antériorité de l'infanticide sur le parricide qui serait alors un
« sacrifice après-coup ». Ce raisonnement résout nombre de questions sur
l'attitude, que d'aucuns ont dite sadique, de Dostoevskij envers l'infanticide et surtout
correspond parfaitement à la construction du roman qui se termine logiquement sur
les enfants réunis autour ď Aleša. Dans un chapitre important « Le statut épisté-
mologique du personnage dostoïevskien », dont nous ne partageons pas toutes les
conclusions, l'A. distingue quatre axes de l'écriture romanesque de Dostoevskij :
l'axe idéalisé, l'axe comique, l'axe compulsionnel, l'axe sacrificiel. Les trois
premiers sont explorés, l'apport de VI. Marinov concerne le quatrième, l'axe
sacrificiel, dont on pourrait approfondir l'analyse : le sacrifice ďlljuša au nom du père
ne serait-il pas la contre-partie du « sacrifice », de l'immolation du père par les fils
coalisés, la métaphysique contre la métapsychologie, l'exploit contre la nature ?
Jacques CATTEAU