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Transformer les quartiers défavorisés

Les enjeux des politiques publiques zonées


Catherine Baumont, Rachel Guillain
Dans Revue économique 2016/3 (Vol. 67), pages 391 à 414
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 0035-2764
ISBN 9782724634570
DOI 10.3917/reco.673.0391
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 29/04/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.244.88.1)

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Transformer les quartiers défavorisés
Les enjeux des politiques publiques zonées

Catherine Baumont*
Rachel Guillain*

Cet article analyse les politiques publiques urbaines en direction des quartiers
en difficulté à la lumière des théories de l’économie urbaine et de leurs ensei-
gnements sur l’organisation socioéconomique des villes. Si l’amélioration des
conditions d’habitat est effectivement un facteur d’accroissement du statut socio-
économique des quartiers, il agit par attraction de nouveaux habitants plus riches
et fuite des habitants pauvres. Nous soulignons que l’économie urbaine peine à
démontrer l’émergence de configurations urbaines mixtes stables. Il faut, pour cela,
soit considérer celles-ci comme des étapes transitoires entre deux équilibres de
ségrégation, soit viser à l’instauration d’interactions sociales durables et positives,
au sein des quartiers, entre les ménages favorisés et les ménages défavorisés.
Enfin, l’action publique en matière de renouvellement urbain, bien qu’assujettie
à des critères d’équité, produit une valorisation immobilière des quartiers et peut
rechercher des effets de levier du côté des acteurs privés. La question importante
nous semble bien être celle de la transformation globale de la ville : il n’est pas
pertinent de ne raisonner qu’à l’échelle des quartiers en difficulté comme s’ils
étaient isolés. L’enclavement géographique est un facteur de friction pour la réus-
site des politiques zonées. En retour, le désenclavement social n’est pas neutre
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géographiquement, car les politiques ne peuvent transformer que la géographie
de la ségrégation dans la ville.

TRANSFORMING DEPRIVED DISTRICTS:


THE CHALLENGES OF AREA-SPECIFIC PUBLIC POLICIES

This paper examines urban public policies for deprived areas in the light of
urban economics theories and their lessons for the socio-economic organization
of cities. While improving living conditions is indeed a factor in enhancing the
socio-economic standing of urban neighbourhoods, the process operates by
attracting wealthier new inhabitants and driving out the existing poorer ones. We
emphasize that urban economics struggles to demonstrate the emergence of stable

* Université de Bourgogne Franche-Comté, Laboratoire d’économie de Dijon, uMr cnrs 6307,


U 1200 Inserm. Correspondance : Pôle d’économie et de gestion, 2 boulevard Gabriel, 21000 Dijon,
France. Courriels : catherine.baumont@u-bourgogne.fr, rachel.guillain@u-bourgogne.fr
Cette recherche a bénéficié du soutien du Plan Urbanisme Construction Aménagement (puca)
dans le cadre du programme « Approches économiques des dynamiques urbaines » et du conseil ré-
gional de Bourgogne dans le cadre du programme de recherche pari sHs « Attractivité des territoires ».
Nous tenons à remercier les participants de la journée thématique « Les ségrégations urbaines », or-
ganisée à la MsH de l’université de Bourgogne le 16 décembre 2014 ainsi que les participants de la ses-
sion « Urban Organisation and Agglomeration Externalities » du congrès de l’afse (22-24 juin 2015,
Crem, Université de Rennes I) pour leurs commentaires. Nous remercions aussi les deux rapporteurs
anonymes de cet article pour leurs précieux conseils, remarques et recommandations.

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mixed urban patterns. Either such patterns must be considered as transitional


stages between two states of equilibrium in terms of segregation or attempts must
be made to establish sustainable positive social interaction between privileged
and deprived households within neighbourhoods. Lastly, public action to promote
urban regeneration, although subject to criteria of equity, enhances neighbourhood
property values and may seek out leverage effects from private actors. The final
question seems to be that of city-wide transformation: it is pointless reasoning
on the scale of deprived neighbourhoods as if they were isolated. Geographical
“lock-in” causes friction that detracts from the success of area-specific policies.
And conversely, social opening-up is not geographically neutral because policies
can only transform the geography of urban segregation.

Classification JEL : H31, R2, R31, R38, R58.

INTRODUCTION

Les politiques zonées sont appréciées des décideurs publics. Leur popularité
est certainement liée à leur simplicité d’exposition. Des budgets publics sont
alloués pour favoriser le développement économique de zones de pauvreté.
Les mesures prises veulent créer les conditions d’attractivité des firmes et des
emplois, et des conditions d’habitat favorables. Elles développent le dialogue
entre les acteurs publics et les habitants.
Cependant, alors que les politiques zonées sur les quartiers en difficulté sont
menées depuis plusieurs décennies, en France et dans de nombreux pays, un
sentiment domine : celui qu’il reste beaucoup à faire alors que beaucoup semble
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avoir été fait. Aussi, ces politiques sont légitimement questionnées sur leurs
résultats. À cet effet, un ensemble d’évaluations empiriques (Centre d’analyse
stratégique [2012]) se sont développées au cours des vingt dernières années
afin de mesurer leurs capacités à accroître le nombre d’emplois, à diminuer le
taux de chômage, à améliorer les conditions de logements, à diminuer le taux
de pauvreté, à susciter la diversité sociale… Les récentes avancées méthodo-
logiques contribuent à mieux apprécier leurs résultats sans pour autant pouvoir
les qualifier de probants.
Aussi, nous avons choisi d’élargir la problématique en posant la question :
que convient-il de faire pour transformer les quartiers défavorisés ? En effet,
lorsqu’on examine les effets des politiques zonées, il ne s’agit pas seulement de
savoir si les habitants sont mieux logés ou si les conditions d’insertion socio-
économiques se sont améliorées. Il s’agit également de pouvoir observer si,
d’une part, ces actions produisent des mécanismes permettant d’enrayer les
dynamiques de ségrégation liées à la concentration des populations pauvres et
à l’enclavement des quartiers et si, d’autre part, les quartiers sont plus attractifs
pour les entreprises, les emplois et les ménages.
Pour mener cette analyse, nous avons choisi de nous intéresser aux effets
des politiques zonées dédiées au renouvellement urbain en traitant plus parti-
culièrement l’espace résidentiel. Nous supposons que les changements sur les
conditions d’habitat sont, à terme, les plus susceptibles d’apporter une transfor-
mation, au sens le plus fort, des quartiers défavorisés. Notre analyse s’appuie pour
cela sur les enseignements des théories de l’économie urbaine. Notre réflexion

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s’articulera sur trois développements. Les enseignements des modèles de choix


de localisation résidentielle permettent, dans un premier temps, de souligner les
principales formes d’organisations socioéconomiques des espaces urbains et de
dégager les mécanismes qui agissent sur la transformation de cette organisation.
La qualité de l’habitat, d’une part, et la recherche de la mixité sociale, d’autre
part, au cœur des politiques publiques du renouvellement urbain, peuvent effecti-
vement être analysées par ces modèles. Nous nous intéresserons successivement
à ces deux aspects. Nous montrerons que les actions sur la qualité de l’habitat
conduisent à une amélioration du statut socioéconomique des quartiers. Cette
transformation masque cependant un effet de cycle urbain : les quartiers pauvres
deviennent des quartiers riches par renouvellement des habitants. Nous nous
interrogerons alors sur la réalité d’un modèle de mixité socioéconomique pour
les quartiers et sur les moyens d’y parvenir. Les effets positifs des politiques
de renouvellement urbain sont soulignés et l’analyse du rôle des interactions
sociales apparaît comme une voie de recherche à développer.

LES POLITIQUES ZONÉES EN PRATIQUE

Les politiques zonées consistent à cibler un ensemble d’actions ou de dispo-


sitifs sur un territoire identifié1. Elles se différencient des politiques d’aides aux
personnes (people-based policies) pour lesquelles les conditions d’éligibilité sont
associées à des caractéristiques individuelles, selon des conditions de revenu ou
d’emploi par exemple. Cette distinction peut se complexifier si un critère de
résidence est introduit dans une politique d’aide à la personne ou si des critères
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de caractéristiques individuelles s’ajoutent à une politique zonée. Nous retenons
ici, pour définir les politiques zonées, le ciblage d’une zone géographique et
nous nous intéressons aux politiques zonées urbaines spécifiquement dédiées
aux quartiers qui cumulent un ensemble de difficultés socioéconomiques.
Nous ne présentons pas un inventaire exhaustif des politiques zonées dédiées
aux quartiers en difficulté dans les pays développés. Ce serait fastidieux et surtout
vain, car il existe autant de types de politiques zonées que de lieux urbains qui
en bénéficient. Plus simplement, les grands traits liés aux programmes de déve-
loppement des poches urbaines en difficulté sont exposés ainsi que leurs enjeux.
Les pionniers de ces programmes sont le Royaume-Uni et les États-Unis avec
des politiques mises en place dès la fin des années 1970.
En France, dans les années 1980, les politiques zonées urbaines s’inscrivent
dans le cadre de la politique de la ville. Celle-ci sera suivie du Pacte de relance
pour la ville en 1996, avec l’identification des zones urbaines sensibles (zus),
puis du Programme national de rénovation urbaine (pnru) en 2003 (loi Borloo).
Selon ces dispositifs, les politiques zonées en milieu urbain sont de trois
grands types : les zus, les zones de redynamisation urbaines (zru) et les zones
franches urbaines (zfu). La distinction entre zones tient au niveau des difficultés

1. Les politiques zonées sont désignées par différents termes dans la littérature anglo-saxonne
parmi lesquels les plus couramment rencontrés sont : place-based policy, area-based policy, spatially
targeted policy ou geographically targeted policy.

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socioéconomiques, croissant des zus aux zru et aux zfu, et de l’application de


mesures supplémentaires pour les zru et les zus (Onzus [2013]). Sur les 751 zus,
416 sont qualifiées en zru et 100 en zfu. Le qualificatif zus confère à la zone un
signal de « quartier en difficulté » vers lequel des fonds spécifiques vont être
dédiés. Les zfu et les zru bénéficient en outre de déductions fiscales afin de
favoriser la création d’activités et d’emplois2.
Les zus sont liées à l’idée de renouvellement urbain avec une approche qui
combine habitat, éducation et emploi, afin d’améliorer de manière durable le
statut socioéconomique des quartiers et d’y promouvoir la mixité sociale. Ainsi,
des dispositifs sont consacrés au logement social. Plusieurs bilans récents ont
été effectués notamment avec la mise en place de l’Observatoire national des
zones urbaines sensibles (Onzus) qui permet de dresser un bilan du pnru, dans
une démarche évaluative, dix ans après son lancement (Onzus [2013]). Les
travaux du Centre d’analyse stratégique fournissent également l’état de l’art
des dispositifs visant à lutter contre la ségrégation urbaine (Centre d’analyse
stratégique [2011] ; Fitoussi, Laurent et Maurice [2004]) et présentent une
synthèse des évaluations menées tout en mettant en perspective les expériences
françaises avec les programmes établis dans les autres pays (Centre d’analyse
stratégique [2011], [2012]). En Angleterre, le New Deal for Communities (ndc)
instauré entre 1998 et 2011 poursuit le même objectif que le pnru à travers un
programme d’aides aux quartiers en difficulté mobilisant fortement les acteurs
locaux et les habitants. Aux États-Unis, les politiques de développement terri-
torialisées visant les quartiers en difficulté recouvrent divers dispositifs afin de
redynamiser les zones les plus dégradées et améliorer les conditions socioéco-
nomiques des personnes les plus en difficulté. Les dispositifs prennent la forme
de subventions globales associées aux initiatives communautaires (Community
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Development Grant Block) ou sont axés sur la rénovation urbaine à travers le
programme fédéral Hope vi (Housing Opportunities for People Everywhere).
L’accent est également mis sur l’implication des acteurs privés dans le renou-
vellement urbain par le biais d’instruments financiers et fiscaux destinés à les
inciter à investir dans les quartiers en difficulté (Low Income Housing Tax
(LiHtc), New Markets Tax Credit (nMtc)).
Les montants avancés pour le financement des politiques zonées présentent
une variabilité importante. Grâce à quelques chiffres tirés de la littérature sur
les zones franches urbaines et les Urban Enterprise Zones, Mayneris et Py
[2013] évaluent à 1 800 euros par travailleur et à 360 euros par résident les
dépenses dans les zfu en 2007. Pour le renouvellement urbain (Onzus [2013]),
l’engagement prévu au titre du pnru pour un montant de 45 milliards d’euros
sur dix ans concerne 594 quartiers et plus de 4 millions d’habitants. Soixante-
cinq pour cent de ce budget sont affectés à la réhabilitation, la démolition et la
reconstruction de logements avec au total plus de 600 000 logements concernés,
et 30 % le sont aux opérations d’amélioration du cadre de vie. Sur dix ans, c’est
ainsi en moyenne 1 125 euros par an et par habitant des quartiers qui ont été
injectés dans les quartiers sensibles visés. Au Royaume-Uni, les aires bénéfi-
ciant du programme Local Enterprise Growth Initiative reçoivent un montant de
90 euros par personne active. Les territoires classés ndc bénéficient en moyenne

2. Pour une synthèse des effets des zfu, le lecteur pourra consulter l’article de Clément
Malgouyres et Loriane Py dans ce même numéro.

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de 67 millions d’euros (Lawless [2006]). Les sommes sont de 200 euros par
travailleur en Californie (Enterprise Zone Policy) pour un programme d’État.
Les programmes fédéraux sont, quant à eux, estimés à 850 dollars par résident de
la zone (Neumark et Simpson [2015]). Entre 1993 et 2006, le Congrès des États-
Unis a consacré près de 6 milliards de dollars au programme Hope vi ciblant les
habitats sociaux les plus dégradés (6 % du total de l’habitat social) ; 446 projets
répartis dans 166 villes ont été subventionnés pour un total de 78 600 logements
publics démolis et 31 000 logements publics reconstruits (Oakley et Burchfield
[2009]).
Le sentiment dominant est que les aides globales sont importantes. Cepen-
dant, il serait plus approprié d’analyser la relation « coût-efficacité », c’est-à-
dire de mettre en regard les résultats et les moyens pour établir l’efficacité d’une
politique. Pour autant, cette analyse n’est que très peu abordée dans la littérature
et nous reviendrons plus loin sur ce point.
Après ce bref exposé de politiques zonées mises en œuvre dans différents
pays, nous proposons un rappel des effets attendus des politiques zonées portés
par le champ disciplinaire de l’économie urbaine.

LES EFFETS DES POLITIQUES ZONÉES


SUR L’ESPACE RÉSIDENTIEL :
LES ENSEIGNEMENTS DE L’ÉCONOMIE URBAINE
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L’économie urbaine est un champ disciplinaire qui analyse les mécanismes
économiques de la répartition des firmes et des ménages dans la ville. La confi-
guration urbaine d’équilibre résulte des interactions sur le marché du sol des
agents économiques aux choix de localisation interdépendants (Fujita [1989] ;
Fujita et Thisse [2013]). Les agents arbitrent entre les avantages et les incon-
vénients qu’ils retirent d’une localisation et proposent un prix maximum pour
occuper ce lieu. La fonction d’enchère foncière exprime, sur l’ensemble de la
ville, le prix maximum qu’un agent peut offrir pour une unité de sol. Sur le
marché du sol, les offres d’enchère des ménages et des firmes sont confron-
tées, ce qui conduit à définir des équilibres urbains de répartition entre espace
résidentiel et centres économiques. Lorsque l’analyse porte seulement sur l’es-
pace résidentiel, la concurrence entre les ménages conduit à une répartition
des ménages selon leurs offres d’enchères et donc en fonction des détermi-
nants de ces offres : les revenus, les coûts de transport domicile-travail et les
préférences. Quatre groupes de préférences sont analysés : les préférences pour
les logements, les préférences pour les agréments des lieux (les aménités), les
préférences pour les aménités sociales et enfin les préférences pour l’accessi-
bilité. À partir de ce cadre, l’analyse économique urbaine fournit un ensemble
de mécanismes théoriques qui permettent de comprendre, selon les différentes
interventions publiques touchant les déterminants des fonctions d’enchères des
ménages, les configurations spatiales qui peuvent en résulter.
Dans ces conditions, quels sont les enseignements théoriques que l’on peut
mettre en évidence lorsque l’on s’intéresse aux politiques urbaines en faveur
des quartiers en difficulté ?

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Le principe de la décroissance des prix


sur les marchés fonciers

Le modèle canonique de l’économie urbaine, appelé modèle monocentrique,


suppose des ménages aux préférences et aux revenus identiques et pose la ville
comme uniforme à l’exception d’un centre où tous les emplois sont situés.
Comme les coûts de déplacement domicile-travail sont croissants avec la
distance au centre d’emplois, à l’équilibre résidentiel pour un niveau d’utilité
donné, tout rapprochement marginal vers le centre pour un ménage entraîne une
baisse marginale de sa dépense en transport compensée par la hausse marginale
de sa dépense en sol. Ce principe conduit à la configuration typique de la ville
monocentrique avec des prix par unité de sol (ou par extension par unité de loge-
ment) et des densités de population qui décroissent du centre vers la périphérie.
Dans cette configuration, la rareté du sol a un rôle séparateur, le marché foncier
répartissant des ménages, identiques, dans l’espace urbain.

Le tri sociospatial des ménages :


accessibilité et aménités des lieux

Si l’on introduit des disparités entre les ménages, l’économie urbaine permet
d’étudier comment des revenus différents ou des préférences différentes influencent
l’arbitrage des résidents. En particulier, si les ménages sont plus sensibles aux
grandes disponibilités foncières des périphéries (préférence pour le logement)
qu’aux aménités des centres-villes historiques (préférence pour la centralité),
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alors les ménages aux revenus les plus élevés seront principalement localisés à
la périphérie des villes. Dans la situation contraire, les ménages se répartiront par
ordre décroissant de revenus du centre vers la périphérie. La ville type européenne
correspond au premier cas, la ville type américaine au second. La présence de
ménages aisés au centre et en périphérie peut alors être expliquée par une hétéro-
généité des préférences au sein de ces ménages. Ces principes de tri sociospatial
de l’espace urbain restent robustes aux évolutions telles que l’étalement des villes
et le développement d’autres centres d’emplois (Thisse, Wasmer et Zenou [2003]).
Brueckner, Thisse et Zenou [1999] ont montré que la préférence pour les aménités
centrales, qu’elles soient naturelles ou patrimoniales, explique la localisation des
ménages riches dans les quartiers centraux. En revanche, pour Glaeser, Kahn et
Rappaport [2008], la qualité et la nature des moyens de transport (individuels ou
collectifs) expliquent que les ménages aisés préfèrent les localisations périphé-
riques, tandis que la densité urbaine qui permet l’offre de transports collectifs est
plus attractive pour les ménages pauvres. La préférence pour l’accessibilité est alors
fonction des moyens de transport accessibles selon les conditions de ressources des
résidents. Wu, Adams et Plantinga [2004] considèrent que les aménités, plutôt
environnementales, et les projets urbains, qui agissent sur la densité du bâti,
influencent les choix résidentiels des ménages. Les choix résidentiels apparaissent
comme conflictuels dans la situation où les densités seraient considérées comme
un inconvénient, puisque les ménages plus riches valorisent les aménités et des
logements de plus grande taille, ce qui produit plus de projets urbains et donc
accroît la densité. Les préconisations pour les politiques de renouvellement urbain
sont donc de privilégier des projets qui n’accroissent pas la densité.

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La segmentation sociale des espaces urbains :


les caractéristiques des logements

Les vintage models et les modèles de cycles urbains (Brueckner [1980] ;


Brueckner et Rosenthal [2009] ; Rosenthal [2008]) insistent sur le rôle joué
par l’ancienneté des logements pour expliquer la répartition sociospatiale des
ménages et les phénomènes de gentrification observés dans les quartiers, initia-
lement dégradés et pauvres. Le service résidentiel procuré par le logement est un
bien normal et il diminue avec l’âge des logements. En appliquant une durée de
vie aux logements, au-delà de laquelle ils sont démolis et remplacés par des loge-
ments modernes, le modèle dynamique décrit le développement d’une ville dans
laquelle les projets de développement en périphérie poussent progressivement
les ménages aisés vers les lieux éloignés du centre tandis que la reconstruction
progressive de logements neufs dans les lieux centraux provoquera un retour des
ménages riches dans les quartiers centraux. Les ménages pauvres suivent une
dynamique contraire, si bien que les quartiers sont successivement occupés par
des populations riches ou pauvres. Pour les politiques de renouvellement urbain,
deux enseignements en découlent. Premièrement, les « générations de logements »
modulent la distribution sociospatiale des ménages dans la ville. Deuxièmement,
une répartition spatiale plus homogène de la distribution par âge des logements
conduirait alors à une réduction des disparités sociospatiales. Dans ces conditions,
une politique massive de rénovation ou de reconstruction des logements répartis
sur l’ensemble de la ville est effectivement susceptible de réduire les inégalités.
La question des générations de logements et de la concentration spatiale de
logements aux caractéristiques similaires interroge les opérations d’aménage-
ment. L’offre publique de logements sociaux est directement concernée, mais
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tout un pan de la littérature empirique consacrée à la diversification de l’habitat
et au logement social ne trouve pas de fondement théorique direct en économie
urbaine. En effet, l’offre de logements sociaux est économiquement associée à la
défaillance de l’offre privée et sera étudiée dans le cadre des politiques publiques
sans que les modèles urbains s’y intéressent directement (Flambard [2007]). Les
évaluations des effets des programmes de construction de logements sociaux sont
alors à rapprocher des externalités associées aux caractéristiques de ces logements
et de leurs habitants. Ces externalités sont considérées comme négatives. Ce sujet
devient alors proche des analyses théoriques sur les effets de voisinage (Manski
[1993]) et renvoie aux préférences des ménages pour les aménités sociales.

La ségrégation spatiale :
la préférence pour les aménités sociales

En 1976, Beckmann formalise la formation de l’espace résidentiel sous l’angle


de la seule préférence des ménages pour la vie sociale, c’est-à-dire en l’absence
de mobilités domicile-travail (Beckmann [1976]). Les bénéfices retirés des inter-
actions sociales poussent les ménages à se regrouper. L’accessibilité généralisée
aux autres ménages et la concurrence sur le marché du sol expliquent la forma-
tion d’une densité résidentielle décroissant du centre vers la périphérie. La « ville
sociale » est d’ailleurs à l’optimum plus dense que la ville monocentrique « du
travail » associée aux déplacements domicile-travail. Par extension, le statut

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social d’un quartier, lié aux caractéristiques socioéconomiques des habitants qui
y résident, permet de satisfaire la demande d’identification sociale des ménages
(Bajari et Kahn [2005]). Les effets des politiques zonées sont sans doute à ce
sujet les plus questionnés pour deux raisons. D’une part, en présence de deux
groupes ayant des préférences sociales différentes, la ville est ségréguée. Les
préférences des ménages pour les aménités sociales les poussent à valoriser
l’entre-soi. D’autre part, dès le départ, la grande majorité de la littérature sur
les neighborhood effects a supposé que les interactions sociales sont porteuses
d’effets de voisinages négatifs pour les résidents dans les quartiers défavorisés
(Vallet [2005]). Ce point de vue a amené les analyses théoriques à postuler
une préférence pour les aménités sociales liées aux ménages aisés. L’objectif
de transformation socioéconomique des quartiers en difficulté peut alors être
associé à la recherche d’une amélioration des conditions de revenu des ménages
afin de lutter contre les effets de voisinage négatifs. La mixité sociale devient
dans la plupart des politiques zonées l’objectif à atteindre et le moyen de lutte
contre les inégalités socioéconomiques.

La transformation socioéconomique des quartiers :


les équilibres urbains de mixité

Dans la littérature, un consensus s’établit sur la mixité sociale comme profil


à promouvoir pour les quartiers en difficulté. Les raisons du succès de ce profil
tiennent pour beaucoup au fait qu’il s’agit d’une notion malléable car non préci-
sément définie (Fitoussi, Laurent et Maurice [2004] ; Selod [2004]). Elle peut
être assimilée à un accroissement de la diversité comme énoncé par le Mixed-
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Income Research Design Group (Galster et al. [2008]).
Les formes de mixité sont multiples et donnent lieu à quatre entrées prin-
cipales dans les analyses empiriques. La mixité économique est associée aux
niveaux de revenus. La mixité sociale renvoie aux caractéristiques sociales et
culturelles des habitants. Ces deux formes sont en pratique réunies dans l’ap-
pellation « mixité socioéconomique » qui désigne la diversité socioéconomique
des quartiers habités par des populations de nationalités, de convictions philoso-
phiques et religieuses, de niveaux d’études et de richesses différents. La mixité
de l’habitat (collectif, individuel, social) permet quant à elle de caractériser
notamment les quartiers sociaux à la française, c’est-à-dire qui concentrent le
logement social. La mixité fonctionnelle, enfin, renvoie à un type d’aménage-
ment associant l’habitat et les activités économiques afin de ne pas spécialiser
les espaces, en zones résidentielles d’une part et en zones d’emplois d’autre part.
Les principes théoriques mobilisés en économie urbaine pour analyser les
équilibres urbains en termes de mixité font essentiellement appel aux aménités
sociales et rejoignent les analyses sur les interactions sociales. Les caracté-
ristiques sociales sont approximées par les revenus, et deux communautés,
l’une favorisée et l’autre défavorisée, sont considérées. On suppose que les
communautés tirent parti de localisations conjointes et deux hypothèses sont
généralement faites. La première est que les interactions sociales « désirées »
sont le plus souvent uniquement associées au groupe des individus favorisés
(Brueckner, Thisse et Zenou [1999] ; Tivadar [2010]). L’image de la mixité pour
les politiques publiques est donc associée aux bienfaits des quartiers favorisés
et amène soit à rendre attractifs des quartiers défavorisés pour des populations

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

aisées (area-based policies), soit à soutenir les mobilités sortantes des popula-
tions en difficulté (people-based policies). Si l’on relâche un peu la contrainte
précédente, la deuxième hypothèse souvent rencontrée pose que les aménités
endogènes interviennent quasi exclusivement au sein de groupes sociaux homo-
gènes. Les externalités sociales existent dans les différentes communautés mais
pas entre elles. Ces deux hypothèses ont en commun de renforcer les processus
ségrégatifs et renvoient à des asymétries de traitement des groupes sociaux. Elles
rendent méthodologiquement difficiles l’émergence d’équilibre de mixité.
Les modèles relatifs à cette question fournissent trois séries de résultats
(Galster [2007] ; Krupka [2008] ; Yinger [1992]). Tout d’abord, les structures
d’équilibre urbain sont multiples et ce sont plutôt des équilibres de ségréga-
tion. Ensuite, un équilibre de mixité peut émerger mais sur la base de condi-
tions souvent plus restrictives et les structures mixtes sont plutôt des équilibres
instables. Enfin, pour les modèles qui traitent la question de l’optimalité, on peut
mettre en évidence que les espaces mixtes sont meilleurs en termes de bien-être.
Comment peut-on alors concilier l’objectif de mixité et ces principes théo-
riques plutôt révélateurs de situations ségréguées ? Deux résultats théoriques
fondamentaux apparaissent incontournables pour répondre à cette question. Le
premier concerne le rôle des interactions sociales : les marges de manœuvre et les
leviers dont disposent les politiques zonées pour réduire les inégalités s’appuient
sur une analyse de la forme des interactions sociales et de la composition sociale
des quartiers (Galster [2007]). Le second porte sur les caractéristiques des équi-
libres de mixité : les conditions d’émergence et de stabilité restent fortement
contraintes et peuvent être transitoires (Krupka [2008]), ce qui peut conduire à
des erreurs de diagnostic dans l’évaluation des politiques urbaines en faveur des
quartiers en difficulté.
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L’économie urbaine apporte ainsi un ensemble d’éléments de compréhension
sur les effets des politiques zonées. Elle clarifie les mécanismes et les types
d’organisations socioéconomiques urbaines possibles, et amène à confronter les
attentes et les résultats des politiques zonées à ces enseignements.
Plus précisément, la question qui se pose est la suivante : les actions réalisées
sur l’habitat et sur l’économie sont-elles de nature à transformer l’environnement
socioéconomique des quartiers prioritaires ? Les études empiriques avancent
deux principales réponses. La première, celle d’un grand nombre de politiques,
place la transformation de l’habitat et de l’environnement urbain comme clé
d’entrée. La seconde précise que ces transformations attendues sont essentiel-
lement en termes de mixité socioéconomique. Nous allons étudier ces deux
points successivement.

LES POLITIQUES ZONÉES ET LA TRANSFORMATION


DES ESPACES RÉSIDENTIELS URBAINS

Les actions ciblées sur les espaces résidentiels urbains passent en premier
lieu par l’habitat. Il est possible d’intervenir sur la qualité de l’habitat ou, dans
le cadre d’une politique plus englobante, d’associer à cette qualité les caracté-
ristiques de la population résidentielle. L’action est alors sur le cycle urbain.
Ce sont ces dispositifs qui sont étudiés dans cette section.

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Revue économique

Agir sur le bâti comme clé d’entrée

Renouveler l’habitat représente l’essentiel des axes d’intervention des poli-


tiques de la ville. En Angleterre, Tyler et al. [2013] recensent que près de 64 %
des actions au titre des politiques de renouvellement urbain sur la période 2009-
2012 concernent l’habitat. En France, le pnru a mobilisé, entre 2003 et 2012,
45 milliards d’euros, dont 70 % des financements (31 milliards) concernaient le
logement et 27 % (12 milliards) des actions sur les espaces publics et la diver-
sification fonctionnelle économique et culturelle. Implicitement et quantitati-
vement, les projets d’urbanisme sont donc les moteurs du renouvellement des
quartiers défavorisés, afin de modifier leur image et de « conquérir de nouvelles
populations qui conforteront, à leur tour, son image et son attractivité. Cette
approche est supposée ainsi installer un cercle vertueux permettant de sortir des
spirales de dévalorisation » (Onzus [2013], p. 28).
Les enseignements de l’économie urbaine vont dans ce sens, car les logements
de meilleure qualité permettent effectivement de conquérir des populations plus
aisées que celles résidant dans les quartiers défavorisés. Par quels mécanismes
cependant peut-on sortir de la spirale de dévalorisation ? L’économie urbaine
stricto sensu s’intéresse aux conditions de l’offre de logements avec deux résul-
tats principaux. Le prix des logements est déterminé par les conditions de forma-
tion de la rente foncière qui, à l’équilibre urbain, est décroissante avec la distance
aux lieux d’emplois. L’offre de logements s’organise, à l’équilibre du producteur
des logements, selon une densité décroissante du bâti avec l’éloignement des
centres d’emplois. L’évaluation des effets des politiques de rénovation urbaine
consiste alors à mesurer si, et à quelle hauteur, les prix des logements capitalisent
de manière positive les évolutions apportées par les politiques afin d’évaluer le
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« retour sur investissement ».
Un ensemble de bénéfices peuvent alors être attendus des politiques de renou-
vellement urbain qui, au-delà de l’objectif premier de réduction des inégalités,
peuvent conforter les actions menées ou proposer des orientations futures de la
politique. La question est mise en débat par exemple, par rapport aux coûts d’op-
portunité de l’usage des moyens publics et par rapport au rôle des acteurs privés.
L’évaluation hédoniste de la disponibilité à payer pour les attributs des loge-
ments et de leur situation dans la ville est une manière usuelle d’estimer le prix
implicite de ces déterminants en fonction du prix du logement. Il est effecti-
vement montré que l’âge des logements, les agréments des quartiers centraux,
les caractéristiques socioéconomiques des habitants des quartiers ont les effets
attendus : leur amélioration accroît la valeur des logements3. Les quartiers affi-
chant en revanche une diversité socioprofessionnelle et de types d’habitats sont
dévalorisés par rapport à des quartiers plus homogènes (Baumont et Legros
[2013]). Accroître la valeur des logements et la qualité de vie dans les quar-
tiers peut alors permettre aux collectivités publiques de collecter plus de recettes
fiscales à travers les taxes sur l’habitat (Galster, Tatian et Accordino [2006]) et
par l’amélioration de la richesse des habitants.
Au-delà de cet effet de capitalisation pour les logements et les quartiers
ciblés par les politiques, la question réside dans la portée de ces évolutions

3. Pour un ensemble de résultats, on pourra consulter Baumont [2009] et Baumont et Legros


[2013].

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

et l’identification de leurs déterminants. En effet, la proximité aux quartiers


sensibles, qui sont emblématiques de la concentration spatiale des logements
sociaux, affecte négativement les valeurs immobilières dans les quartiers voisins
(Barthélémy, Michelangely et Trannoy [2007] ; Baumont [2009]). Des effets
positifs de la rénovation urbaine sur les quartiers voisins peuvent alors être
attendus.
L’évaluation permet d’estimer ces effets et d’identifier les opérations et les
sites qui ont le mieux réussi. Ces résultats sont importants pour guider les collec-
tivités dans leurs futures actions et dans le choix des sites potentiels. Il est montré
dans la littérature empirique que l’envergure du projet de renouvellement urbain
compte, notamment pour les programmes de logements sociaux et pour les quar-
tiers très dégradés. Dans le cas des programmes LiHtc (Low-Income Housing Tax
Credit) aux États-Unis par exemple, les travaux d’Edmiston [2015] montrent des
effets positifs sur les quartiers voisins dès lors que les projets de renouvellement
de l’habitat dans ces quartiers sensibles sont massifs et que les nouveaux types
d’habitats collectifs sont moins denses. Plus les quartiers sont dégradés et plus
les effets positifs d’une rénovation seront élevés. Pour les programmes LiHtc
comme pour les programmes Hope vi, les effets seront également plus importants
si le marché immobilier dans les quartiers voisins est plutôt dynamique, en phase
de gentrification (Deng [2011]). Bair et Fitzgerald [2005] estiment une hausse
de l’ordre de 8 à 10 % de la valeur des logements situés à un quart de mile des
sites rénovés.
Il convient cependant de préciser si ces effets positifs sont réellement liés
à la rénovation urbaine ou s’ils ne seraient pas concomitants à d’autres méca-
nismes. Schwarz et al. [2006] soulignent que comme les effets sont en partie
liés à la disparition d’aménités négatives, le choix de sites très dégradés faci-
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lite l’amélioration et la diffusion locale des effets positifs. Le dynamisme des
quartiers voisins peut également être le facteur déterminant. Enfin, en agissant
sur des zones de très forte concentration d’habitats dégradés, on améliore la
rentabilité du projet. Il serait plus coûteux de rénover des habitats disséminés
(Oakley et Burchfield [2009]). L’impact est également plus fort car l’amélio-
ration est immédiatement visible. De plus petits projets sont moins efficaces et
cela d’autant plus qu’ils sont entourés de quartiers également désavantagés. Il
apparaît, par ailleurs, que les nouveaux arrivants sont issus de catégories sociales
plus aisées. Les spillovers sont alors associés à la nouvelle identité du quartier
(Freedman [2012]), non pas du fait de l’amélioration de la situation des anciens
habitants mais par un effet de type cycle urbain.
Il existe enfin des externalités positives à l’intérieur du site rénové (Galster
et al. [2004] ; Galster, Tatian et Accordino [2006] ; Ioannides et Zabel [2003] ;
Schwartz et al. [2006]). Il s’agit, d’une part, d’aménités exogènes liées à la
nouvelle architecture ou à la modernité des logements et, d’autre part, d’amé-
nités endogènes sous la forme de spillovers, car le renouvellement des bâtiments
incite les habitants des bâtiments voisins à mieux entretenir leurs logements. Là
encore, un effet de masse renvoie de nouveau à l’envergure du projet et au fait
qu’agir sur un site concentré est plus efficace.
Ces résultats sont importants pour cibler les sites prioritaires et pour inciter les
acteurs privés à investir dans les opérations de renouvellement urbain.
L’évaluation des projets apporte en ce sens l’information nécessaire aux
acteurs privés quant à leurs implications (Lawless [2006]). En effet, en l’absence

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Revue économique – vol. 67, n° 3, mai 2016, p. 391-414


Revue économique

de signaux de rentabilité de leurs investissements, les acteurs privés ne s’engage-


ront pas, parce qu’ils ne peuvent prendre de risques ou parce qu’ils n’intègrent
pas les coûts sociaux. Sur le premier point, l’image d’un quartier peut être trop
dégradée et nécessiter, pour être modifiée, des investissements d’envergure et
dans la durée. Sur le second point, les comportements des habitants, notamment
des propriétaires, sont à prendre en compte. Ceux-ci peuvent ne pas rénover
ou ne pas entretenir leur logement et négliger la perte de valeur qu’ils occa-
sionnent aux propriétés voisines. Réciproquement, un propriétaire habitant un
quartier dégradé n’est pas incité à entretenir son logement et le risque de sous-
investissement résidentiel est alors réel dans les quartiers qui se dégradent. Le
taux de propriétaires résidents, la possibilité d’attirer des propriétaires aisés, etc.,
sont alors des déterminants des leviers de la rénovation urbaine et de l’implica-
tion des acteurs privés. Dans le cas contraire, des actions publiques seront plutôt
attendues pour aider les propriétaires ou pour procéder aux rénovations dans les
quartiers « de locataires ».
L’implication des acteurs privés semble alors cibler les meilleures alterna-
tives. Un biais dans le choix des sites est donc attendu. Les sites intrinsèquement
attractifs ou situés à proximité de quartiers attractifs seront privilégiés par les
acteurs privés pour investir dans les opérations de renouvellement urbain. Dans
ces conditions, l’intervention publique est la seule alternative pour les quartiers
les plus défavorisés, mais elle peut aussi être importante pour commencer à
restaurer l’image de ces quartiers et amorcer des initiatives privées futures.
Des effets indirects des projets sont ainsi évalués par l’effet multiplicateur
de l’investissement public sur l’investissement privé dans les initiatives de
renouvellement urbain (Freedman [2012]). Par ailleurs, Tyler et al. [2013] esti-
ment un ratio coût-bénéfice de l’ordre de 2,4 pour l’ensemble des actions des
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programmes de renouvellement urbain menées entre 2001 et 2009 en Angleterre.
Pour les actions sur le renouvellement de l’habitat, les ratios montent jusqu’à
3,9 alors qu’ils sont plus faibles pour les actions sur l’emploi : 1,1 à 1,6 pour le
retour à l’emploi.

Agir sur le cycle urbain

Les politiques de renouvellement urbain permettent donc effectivement


d’améliorer le statut économique des quartiers. Quelle analyse dynamique peut
être faite de cette transformation ? Est-ce que l’on construit des quartiers de
mixité socioéconomique ou est-ce qu’on a remplacé les populations défavorisées
par des populations aisées ? En d’autres termes, comment se placent les effets
des politiques urbaines zonées par rapport aux enseignements théoriques des
modèles de cycles urbains ?
Les modèles de cycles urbains associent la qualité de l’habitat et les caracté-
ristiques économiques des habitants afin de montrer une dynamique d’occupa-
tion alternative des quartiers par les populations riches, pauvres puis riches, au
cours du cycle de construction, de dégradation puis de reconstruction des loge-
ments. Plusieurs observations semblent en phase avec ces modèles. En France,
on peut constater un lien entre les zones d’habitats très dégradés et le statut socio-
économique des quartiers. Pour le pnru, les critères d’éligibilité aux actions de
renouvellement urbain (ru) portent en priorité sur des critères de dégradations

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Revue économique – vol. 67, n° 3, mai 2016, p. 391-414


Catherine Baumont, Rachel Guillain

fortes de l’urbanisme et de l’habitat. À la fin de l’année 2012, 594 quartiers


étaient concernés, pour 389 conventions de rénovation, et il s’agissait de quartiers
défavorisés classés en zus. Même si le lien entre le statut socioéconomique de ces
quartiers et la nature très dégradée de leur habitat apparaît ex post, on constate
cependant que les situations socioéconomiques des habitants dans les zus avec
ru sont effectivement moins bonnes que celles des zus sans ru, puisqu’on y
observe plus de ménages à très bas revenus, plus de jeunes non diplômés, de
plus faibles taux d’activité, etc. (Onzus [2013]). Sur 331 aires métropolitaines
américaines, Brueckner et Rosenthal [2009] confirment, pour les États-Unis,
non seulement que la distribution sociospatiale des ménages est liée à l’âge des
logements, mais ils montrent également que si l’on neutralise l’effet génération
des logements, alors les disparités spatiales de revenus diminuent de moitié entre
les quartiers centraux et les quartiers périphériques. Les projections à l’échelle de
vingt ans amènent cependant à nuancer ces enseignements. Si les phénomènes de
gentrification des quartiers centraux existent, ceux-ci demeurent encore relative-
ment pauvres par rapport aux quartiers riches des banlieues américaines, surtout
dans les petites aires urbaines.
Par ailleurs, est-il possible de mettre en évidence un cycle de déclin et de
renouvellement des quartiers dont les déterminants seraient liés au renouvel-
lement de l’habitat et aux arbitrages des ménages ? Boustan et Margo [2013]
montrent que la phase de suburbanisation des ménages blancs entre 1940 et
1980 aux États-Unis aurait été accompagnée d’un accroissement de 26 % de
la part des propriétaires afro-américains dans les quartiers centraux des villes.
L’accession à la propriété est facilitée à la fois parce que plus de logements sont
disponibles, qu’ils sont moins chers du fait de leur âge ou état de dégradation
et parce que les ménages afro-américains privilégient de rester dans les quar-
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tiers centraux à majorité afro-américaine plutôt que de migrer eux aussi vers
les banlieues. Tach [2009] montre que les nouvelles constructions de logements
et le statut de propriétaires sont des déterminants significatifs des trajectoires
ascendantes des quartiers urbains des grandes aires métropolitaines américaines,
observées sur la période 1970-2000. Rosenthal [2008] livre plusieurs résultats
sur la dynamique des quartiers de trente-cinq aires urbaines américaines sur la
période 1950-2000. D’abord, un grand nombre de quartiers changent effective-
ment de statut économique au cours de la période, notamment pour les quartiers
situés dans la moitié inférieure de la distribution des revenus qui connaissent un
mouvement ascendant et pour les quartiers situés dans la partie la plus riche de
la distribution qui suivent un mouvement descendant. Ensuite, un effet « géné-
ration des logements » est estimé et corrobore les hypothèses : une génération
de logements neufs ou une génération de logements âgés agit comme un facteur
attractif sur le quartier. Ces études montrent également qu’une génération de
logements « moyennement » âgés exerce plutôt un effet négatif sur l’attraction
du quartier.
Peu d’études existent sur ce sujet en France du fait de l’absence de séries
longues à l’échelle des quartiers. Clerval [2010] montre que pour la ville de
Paris, l’amélioration du parc des logements a été un marqueur du phénomène
de gentrification de certains quartiers entre 1982 et 1999. Les populations aisées
occupent une partie plus importante de l’est et du nord parisien, sous la poussée
notamment de nouveaux occupants qui viennent de banlieues et de province,
tandis que, dans le même temps, les parts des employés et des ouvriers reculent
dans ces parties de la ville.

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Revue économique – vol. 67, n° 3, mai 2016, p. 391-414


Revue économique

Ainsi, les politiques de rénovation urbaine qui améliorent la qualité de l’ha-


bitat peuvent induire des dynamiques de type cycles urbains dont l’aboutisse-
ment vers une transformation socioéconomique des quartiers en termes de mixité
doit être analysé.

LES POLITIQUES ZONÉES ET LA MIXITÉ SOCIOÉCONOMIQUE


DES QUARTIERS

Les principes théoriques de l’économie urbaine montrent que les équilibres


urbains penchent le plus fréquemment vers des situations de ségrégation. Cela
signifie que la mixité urbaine est théoriquement réalisée sur l’espace urbain
dans son ensemble comme une juxtaposition de quartiers riches et pauvres, mais
qu’elle n’est réalisée que rarement au sein d’un quartier. Comment peut-on alors
concilier ces enseignements théoriques et les objectifs des politiques zonées de
lutte contre les inégalités sociospatiales ? Comment peut-on effectivement agir
pour développer la mixité et est-ce un objectif durable ? Deux principes appa-
raissent importants pour répondre à ces questions : d’une part la compréhen-
sion de ce que peut masquer une situation observée de mixité socioéconomique,
d’autre part le rôle des interactions sociales dans l’émergence des équilibres
socioéconomiques urbains.

La mixité : une étape transitoire vers la ségrégation


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Si l’on admet ce principe, observer plus de mixité au sein d’un quartier peut
conduire à une erreur de diagnostic imputable à une mesure instantanée d’un
phénomène qui serait transitoire (Krupka [2008] ; McKinnish et White [2011] ;
Tach [2009]). Par exemple, partant d’une situation initiale de résidents pauvres, si
un mécanisme d’attractivité de populations aisées se met en place, de plus en plus
de ménages aisés s’installent tandis que les ménages pauvres s’en vont. Krupka
[2008] présente une explication : la transformation graduelle d’un quartier fournit
des signaux de plus en plus forts d’appauvrissement ou de gentrification. Si, par
exemple, la situation économique des ménages s’améliore, des signes extérieurs
modifient les caractéristiques des quartiers (modèles de voitures, entretien des
biens immobiliers, agrandissement des maisons…) et enclenchent des mobilités
entrantes pour les populations aisées et des mobilités sortantes pour les popu-
lations plus pauvres. Ces transformations ne sont visibles que dans la durée, au
contraire des caractéristiques ethniques, culturelles ou sociales emblématiques
de la ségrégation qui, elles, sont visibles immédiatement. Dès lors, si l’on observe
à un moment donné une mixité au sein d’un quartier, il s’agit vraisemblablement
d’une phase temporaire de cohabitations de ménages pauvres et riches – à moins
que la situation observée soit l’équilibre urbain de long terme. La situation de
mixité est instable mais les phases de mixité peuvent être longues. Pour apprécier
si l’objectif de mixité est atteint, il convient d’effectuer des mesures à plusieurs
dates et d’apprécier si les indicateurs pointent vers plus ou moins de diversité.
Tach [2009] s’intéresse aux trajectoires de 41 499 quartiers urbains aux États-
Unis au cours de la période 1970-2000 en étudiant plus précisément les quartiers

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

caractérisés par une diversité économique, mesurée par les revenus des habitants.
Cette étude montre qu’au cours de la période, ce type de quartiers tend à diminuer
(passant de 27 % en 1970 à 20 % en 2000) et qu’environ la moitié des quartiers
mixtes évoluent vers moins de diversité d’une décennie à l’autre. Finalement,
un quartier mixte en 1970 a 51 % de chance de le rester en 1980, 27 % de l’être
encore en 1990 et 15 % de l’être toujours en 2000. Deux profils caractérisent les
quartiers mixtes « survivants » : ils sont soit localisés en périphérie, avec une
population assez stable, des logements plus récents et un taux élevé de proprié-
taires, soit localisés dans les centres des villes avec une diversité ethnique et
raciale et un certain turnover des populations.
Krupka [2008] propose d’appréhender la mixité ou la ségrégation par la dyna-
mique d’évolution de la variance des revenus. La diminution de la variance
indique une marche vers la ségrégation. L’instabilité des équilibres mixtes est
révélée dans les espaces caractérisés par de fortes variations de revenus : ce
sont des quartiers dans lesquels on observe de la mixité et qui sont les meilleurs
candidats à une évolution rapide vers la ségrégation.

La mixité : un équilibre urbain sous conditions


d’interactions sociales

L’organisation des interactions associée à la ségrégation spatiale peut être


caractérisée par quatre principes (Baumont et Guillain [2013]) : un principe de
séparation selon lequel les interactions sont absentes ou très faibles entre les
groupes distincts ; un principe de concentration selon lequel les interactions
risquent d’être fréquentes et fortes au sein des communautés et dans leur quar-
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tier ; un principe de capitalisation par lequel les interactions sont porteuses
d’externalités, positives et négatives, dont les effets se sont capitalisés au sein
des groupes localisés ; enfin, un principe d’exclusion par lequel les interactions
renforcent les effets d’évitements et d’inégalités entre groupes localisés.
Pour trouver des organisations spatiales non ségréguées, il faut donc étudier
le rôle des interactions dans un cadre plus général en considérant des interac-
tions internes et externes aux groupes socioéconomiques. Par exemple, Miyao
[1978] propose d’étudier la stabilité de l’équilibre de mixité en considérant des
externalités négatives entre groupes et positives au sein des groupes. Dans le
cadre d’une ville monocentrique, alors que le résultat traditionnel est un équi-
libre ségrégué, l’équilibre mixte peut être stable ou instable du fait des externa-
lités sociales. En particulier, si les ménages sont plus sensibles à l’espace qu’ils
occupent (élasticité de l’utilité à la consommation de logements forte) qu’à la
taille d’un groupe (élasticité de l’utilité au nombre de ménages de son groupe
faible), alors l’équilibre mixte est stable.
Il est encore possible de caractériser plus finement les types d’interactions.
Les externalités intergroupes peuvent être positives (préférence pour la mixité)
ou négatives (préférence pour la ségrégation). Elles peuvent être asymétriques
lorsque, par exemple, les « Pauvres » ont une préférence pour la mixité mais
que les « Riches » veulent absolument éviter les « Pauvres » (Bartolomé
[1990]). Enfin, les externalités peuvent être d’ampleurs plus ou moins fortes ;
par exemple, un groupe préfère plus la mixité que l’autre, ou la préférence
pour l’entre-soi est plus forte dans un groupe que dans l’autre. Galster [2007]

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Revue économique – vol. 67, n° 3, mai 2016, p. 391-414


Revue économique

se place dans un tel contexte et il étudie la possibilité d’émergence de confi-


gurations mixtes, c’est-à-dire mélangeant des ménages favorisés de type A et
défavorisés de type D, et leur pertinence en termes d’efficacité parétienne ou
d’équité4. Une dizaine de cas de figure est envisagée selon des typologies d’ex-
ternalités de voisinage. Ainsi, les effets de voisinage sont différenciés selon
leur sens (positif, négatif ou nul) et leur forme (constante ou proportionnelle).
De plus, leurs effets sont étudiés selon leur mode de diffusion : les effets de
voisinage produits par une communauté peuvent profiter à l’ensemble de la
communauté ou à une partie seulement de celle-ci. Enfin, les effets de voisi-
nage peuvent dépendre d’un seuil d’occupation du quartier par une commu-
nauté (par exemple, les effets positifs émanant de la communauté A sur la
communauté D ne peuvent se produire que si le pourcentage de ménages de
type D est faible dans le quartier).
Quels sont les types d’équilibres urbains qui résultent de ces configurations et
quels enseignements pour les politiques zonées peut-on en tirer ? Premièrement,
l’analyse de Galster montre que les configurations d’équilibre mixte sont moins
fréquentes, mais lorsqu’elles émergent elles sont plus fréquemment équitables.
La mixité est bien un moyen d’atteindre l’objectif d’équité recherché dans les
politiques zonées en faveur de la lutte contre les inégalités. Deuxièmement, dès
lors qu’il existe des effets de seuil, les configurations d’équilibre mixtes émer-
gent plus difficilement, car elles sont assujetties à des seuils faibles de ménages
défavorisés ou à des seuils forts de ménages favorisés. Ce résultat soutient les
politiques qui visent à limiter la concentration spatiale des ménages défavorisés
ou celle des logements sociaux. Les nouvelles dispositions de la loi sru prises
en mars 2013, selon lesquelles il convient « de limiter la construction de loge-
ments sociaux dans les 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville,
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dès lors que le taux de logement social y dépassera 50 % », vont dans ce sens5,
mais la répartition des efforts des collectivités pour accueillir plus de logement
social reste toujours en question (Schone [2013]). Troisièmement, les configu-
rations mixtes ont d’autant plus de chances de se produire que des externalités
positives intergroupes existent et pour des seuils de présence de ménages défa-
vorisés faibles. Ce résultat est en faveur d’une politique de répartition spatiale
des ménages défavorisés sur toute la ville, mais à condition que les interactions
sociales soient valorisées. En effet, les situations de ségrégation perdurent si
chaque communauté exerce une influence négative sur l’autre ou si les commu-
nautés exercent des effets positifs sur elles-mêmes uniquement. Les interactions
positives et symétriques aboutissent en revanche à une configuration urbaine
totalement mixte.
En considérant deux catégories de ménages, Yinger [1992] estime direc-
tement que l’utilité d’un ménage va dépendre du ratio de ménages différents.
La politique à mettre en place revient pour un planificateur à déterminer la
proportion de ménages à localiser dans chaque quartier, de sorte que la mixité

4. Il s’agit pour Galster d’une configuration résidentielle dans laquelle le bien-être des popu-
lations défavorisées est avantagé, même au prix de sacrifices sur le bien-être des populations
favorisées.
5. Nouvelles dispositions du 6 mars 2013 de la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 portant à
25 % le quota minimum de logements sociaux initialement défini à 20 % dans l’article 55 de la
loi sru n° 2000-1208 du 13 décembre 2000. Ces obligations concernent les communes d’au moins
1 500 habitants en Île-de-France (3 500 dans les autres régions) situées dans une agglomération de
plus de 50 000 habitants, comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants.

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

soit Pareto efficiente par rapport à la ségrégation. L’équilibre de ségrégation est


dominant si les deux catégories de ménages ne sont pas favorables à la mixité. Si
l’une des deux catégories est favorable et l’autre défavorable, alors la mixité est
Pareto efficiente dès lors que les proportions d’individus favorables sont telles
que les gains à la mixité des uns font plus que compenser les pertes des autres.
Les mécanismes marchands ne permettent pas en revanche d’atteindre cette
situation faute de mécanismes sociaux de compensation. Ainsi, une situation
dans laquelle un petit nombre de ménages « blancs » intégreraient un quar-
tier majoritairement occupé par des ménages « noirs » serait Pareto efficiente
mais ne constitue pas un équilibre parce que les ménages « blancs » n’offrent
pas de rentes suffisamment élevées. Dans le cas inverse, un petit nombre de
ménages « noirs » peuvent intégrer une communauté majoritairement composée
de ménages « blancs » parce qu’ils sont disposés à en payer le prix par des rentes
offertes supérieures à celles des ménages « blancs ». L’efficience n’est donc
pas non plus atteinte.
Les interactions sociales et leurs caractéristiques constituent alors des
facteurs déterminants pour expliquer l’émergence d’équilibres de ségrégation
ou de mixité, pour montrer les situations Pareto efficientes des équilibres de
mixité et pour préciser les configurations socioéconomiques des quartiers, en
termes notamment de proportions de ménages dans chaque catégorie. Les trans-
formations socioéconomiques recherchées sont alors assujetties à l’effectivité
des interactions sociales et aux mobilités résidentielles, d’arrivée de nouveaux
résidents plus aisés ou de départ de résidents « pauvres ».

L’effet combiné des mobilités résidentielles


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et des interactions sociales

De manière générale, les arbitrages des ménages dans leur choix de mobilité
entre deux quartiers seront motivés, à conditions d’habitats équivalentes, en prio-
rité par la qualité des voisinages (c’est-à-dire les aménités exogènes en termes
d’habitats et de services), puis par la qualité des liens sociaux (Lawless [2006]).
Plusieurs synthèses, souvent issues de travaux sociologiques, livrent à ce sujet
quelques résultats généraux (Lelévrier [2008] ; Levy, McDade et Dumlao [2010]).
Les ménages les plus mobiles peuvent choisir leur environnement social, tandis
que des ménages bien insérés socialement dans leur quartier seront sensibles à
l’amélioration de leurs conditions résidentielles. Certains ménages, en revanche,
ne choisissent pas leur voisinage du fait de contraintes fortes sur la disponibilité
des logements. Enfin, lorsque les liens sociaux sont faibles, les effets de voisi-
nage négatifs motivent une grande majorité des départs. Par contre, en l’absence
d’observation des liens sociaux, on ne peut pas inférer que si les personnes sont
restées dans leur quartier c’est parce qu’elles le souhaitaient au vu de ce motif.
En effet, bien souvent, si la majorité des ménages sont relogés dans le quartier
ou dans la même commune (ce qui serait le cas pour 89 % des ménages selon
l’Onzus [2013]), c’est aussi parce que la coordination des bailleurs sociaux est
plus efficace sur la même commune.
Une importante synthèse de la littérature sur les interactions sociales dans
les quartiers aux États-Unis a été réalisée par Levy, McDade et Dumlao [2010].
Il s’agit d’observations recueillies, le plus souvent par des enquêtes, dans des

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Revue économique

quartiers ayant bénéficié des programmes Hope vi ou sur des individus ayant
bénéficié des actions Mto (Moving to Opportunity). Si l’on analyse de manière
précise la fréquence des échanges entre les individus au sein de leur quartier,
il ressort que les interactions sociales des ménages de même catégorie sociale
ou de même standing sont majoritairement présentes. Le fait de vivre dans des
quartiers mixtes ne modifie pas cette tendance. Les interactions entre les rési-
dents du secteur privé et les habitants du secteur public sont plutôt négatives.
Les ménages pauvres qui arrivent dans des quartiers de meilleur standing se
trouvent en fait isolés. Les ruptures des liens sociaux sont souvent rapportées
dans les différentes évaluations (Carlson et al. [2012] ; Lawless [2006] ; Oakley
et Burchfield [2009] ; Onzus [2013]), même lorsque les ménages ont bénéficié
d’une amélioration de leurs conditions d’habitat. Les barrières les plus fréquem-
ment citées sont culturelles et économiques. Cependant, les études insistent sur
le fait que les liens sociaux se développent avec le temps (Carlson et al. [2012]).
Le fait d’être propriétaire de son logement, par exemple, améliore le lien social
avec ses voisins propriétaires. Enfin, la présence de lieux publics ou de locaux
où les individus peuvent se rencontrer paraît être importante pour développer les
liens sociaux entre les personnes. Les auteurs retirent de leur synthèse qu’il faut
tempérer les bénéfices attendus de ces interactions pour les ménages à faibles
revenus. Un effet de seuil semble être mis en évidence : lorsque les relations
sociales n’arrivent pas à se développer entre les ménages de standings différents,
elles ont tendance à se détériorer au fil du temps.
En définitive, ces résultats semblent plutôt corroborer le rôle des interactions
sociales comme facteur de stabilité des habitants nouvellement installés dans les
quartiers, dans la mesure où les liens sociaux arrivent à se développer.
La situation des habitants les plus pauvres et les perspectives d’amélioration
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de leur statut sont surtout examinées en relation avec les quartiers de logements
sociaux et les politiques de mixité.

La mixité sociale, support d’une géographie sociale


moins inégalitaire

La concentration d’habitat social ou de logements publics est le fruit des poli-


tiques publiques afin de loger les populations les plus désavantagées. Trois caté-
gories principales d’études y sont consacrées. Tout d’abord, il s’agit d’estimer
si l’habitat « logement social » est en soi un déterminant d’effets de voisinage
négatifs, c’est-à-dire d’interdépendances sociales négatives. Quelques études
empiriques corroborent plutôt l’absence d’effets, une fois les problèmes d’endo-
généité traités : le fait d’habiter dans des quartiers d’habitat social, par exemple,
n’a pas d’effet propre sur la probabilité d’être au chômage (Dujardin et Goffette-
Nagot [2009]). Ensuite, on peut traiter les quartiers d’habitats sociaux comme des
sources de désagréments exogènes pour les quartiers voisins et en estimer l’effet
local sur les valeurs immobilières. Les études empiriques tendent à confirmer un
effet significatif et négatif qui dévalorise les logements situés dans ces quartiers
et à proximité immédiate (Baumont [2009]). Enfin, les programmes de réno-
vation urbaine ciblés exclusivement sur l’habitat social peuvent être évalués à
l’aune de leur capacité à casser la stigmatisation associée à ces quartiers pour en
améliorer l’attractivité.

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

Les principaux résultats concernant le logement social et ses habitants sont


les suivants. La seule rénovation des logements sociaux conduit à un bilan plutôt
négatif en matière d’amélioration du bien-être des habitants (Onzus [2013]) : les
programmes de renouvellement urbain se préoccupent alors plus globalement
de l’urbanisme et de l’aménagement économique et culturel dans les quartiers
défavorisés. Par ailleurs, l’efficience et l’efficacité des programmes d’habitats
collectifs pour les ménages défavorisés sont régulièrement interrogées parce
qu’une offre concentrée de ce type va impliquer automatiquement une concen-
tration de la pauvreté et soutenir mécaniquement la ségrégation.
Afin de déconcentrer la pauvreté, le renouvellement urbain doit donc s’orienter
vers une offre de logements sociaux moins importante dans les quartiers ciblés.
Cette offre réduite tend à élever les coûts résidentiels (Flambard [2007]). Des
impacts sur une dégradation des conditions résidentielles des habitants pauvres
sont possibles et doivent être évalués. En France, le rapport de l’Onzus [2013]
montre que, dans la majorité des cas, le renouvellement urbain a réussi à ne
pas aggraver l’équation « surface du logement – restant à charge » pour les
ménages. Les pnru satisfont ainsi l’attente la plus prioritaire des ménages, à
savoir celle de l’amélioration de leurs conditions résidentielles. S’agissant des
mobilités des ménages défavorisés, les relogements sont surtout effectués dans
des zones d’habitat social avec une « reconcentration » dans le même ensemble,
dans un ensemble proche ou plus éloigné. Dans ces cas, peu d’améliorations dans
la qualité du voisinage sont observées, que ce soit pour les programmes Hope vi
aux États-Unis (Oakley et Burchfield [2009]), pour les pnru en France (Onzus
[2013]) ou pour les New Deal for Communities en Angleterre (Lawless [2006]).
La mixité sociale est plus fréquemment observée lorsque les relocalisations se
font dans le parc privé, ce qui concerne plutôt les ménages les moins défavorisés
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et s’associe à une offre plus dispersée dans l’espace urbain. La mixité sociale est
en fait peu plébiscitée par les ménages les plus pauvres qui y voient une perte du
lien social ou ressentent plus fortement leur statut de défavorisés.

Politique zonée et économie urbaine :


quelle géographie de la ségrégation économique ?

Les modèles d’économie urbaine, sans négliger les possibilités d’équilibre


urbain de mixité sociale, produisent un ensemble de résultats en faveur des équi-
libres urbains ségrégués. Les choix résidentiels se régulent grâce au marché et
l’espace urbain est alloué selon un critère optimal au sens de Pareto. L’instau-
ration d’une politique zonée en faveur des quartiers en difficulté n’est donc pas
fondée sur des critères d’efficacité mais sur des objectifs d’équité, définis en
termes de développement économique de l’aire concernée et de réduction des
inégalités. Ces objectifs sont-ils pour autant atteints ? En d’autres termes, quels
sont les impacts d’une politique zonée pour les quartiers ciblés et relativement
aux déterminants des choix de localisation résidentielle ?
Si les ménages sont parfaitement mobiles et l’offre immobilière inélastique,
l’effet de la politique ne fera qu’enrichir les propriétaires fonciers. En effet, les
salaires plus élevés par le biais des subventions attirent les travailleurs dans la
zone aidée et l’arrivée de nouveaux résidents induit une hausse des prix immo-
biliers. Les déplacements vont se poursuivre jusqu’à l’égalisation des utilités

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Revue économique

de tous les résidents en tous points de la ville et les subventions ont alors pour
seul effet d’être capitalisées dans les prix du sol. Si les personnes ciblées par la
politique zonée sont propriétaires, elles tirent effectivement des bénéfices des
politiques zonées par la hausse du prix de leur bien foncier. Cependant, cette
hypothèse paraît peu réaliste et la politique zonée n’aide pas, dans ce cas, les
populations ciblées, c’est-à-dire les personnes en difficulté (Glaeser et Gottlieb
[2008] ; Moretti [2010]). Les conclusions de Glaeser et Gottlieb [2008] sont,
de ce point de vue, assez pessimistes : « […] the rationale for spending federal
dollars to try to encourage less advantaged people to stay in economically
weak places is itself extremely weak. » Lorsque les politiques en faveur des
quartiers en difficulté s’attachent par ailleurs à lutter contre les effets de la
concentration de la pauvreté, le renouvellement urbain s’accompagne souvent
de deux mesures-phares : une réduction de l’offre résidentielle dans les quar-
tiers ciblés et le relogement des habitants dans d’autres sites. Une tendance
à la gentrification des quartiers défavorisés est alors observée (McKinnish
et White [2011]), s’accompagnant d’une concentration de la pauvreté dans
d’autres lieux. Aux États-Unis par exemple, les programmes de renouvellement
urbain Hope vi apparaissent comme des outils de gentrification déguisés (Bair
et Fitzgerald [2005]) et l’amélioration du statut socioéconomique du quartier
comme un leurre à l’amélioration de la situation des personnes défavorisées
qui se reconcentreraient ailleurs (Oakley et Burchfield [2009]). L’efficience
des politiques est alors remise en question si l’on néglige d’analyser les effets à
l’échelle de l’agglomération, car la cartographie de la ségrégation change avec
les politiques zonées.
À l’opposé, Moretti [2010] et Kline et Moretti [2013] sont plus optimistes : il
existe une place pour les politiques zonées à condition que les décideurs publics
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prêtent attention aux mécanismes qui sous-tendent ces politiques, afin d’éviter
l’apparition d’effets contraires à ceux attendus. Les subventions d’une politique
zonée produisent leur niveau d’efficacité maximale en l’absence de réactions de
mobilité à la suite de la variation des prix. Ce sont des lieux à faibles mobilités
des facteurs de production et à fort taux de vacance immobilière (afin d’ab-
sorber une hausse de la demande sans engendrer une hausse du niveau de vie)
qui doivent être le réceptacle de telles politiques. L’attachement aux commu-
nautés locales, comme par exemple l’attachement à une communauté ethnique
(Kline et Moretti [2013]), peut encore expliquer que les résidents demeurent
dans les quartiers et bénéficient de l’amélioration produite par la politique.
Aux États-Unis, par exemple, à partir des années 1990, une gentrification des
quartiers les plus défavorisés à prédominance de populations afro-américaines
est observée après l’installation de ménages afro-américains issus des classes
moyennes (McKinnish et White [2011]). Les transformations des structures
urbaines ne sont donc pas seulement observées pour les ménages les plus aisés
et issus des classes sociales les plus favorisées. Une amélioration des conditions
économiques des ménages joue sur la composition des familles, avec notamment
des phénomènes de décohabitation des adultes, et les conditions résidentielles
s’améliorent avec des indices de peuplement plus faibles. Pour autant, si les
ménages plus aisés ne sont sensibles qu’aux caractéristiques de leurs logements
et non aux caractéristiques de voisinage, alors l’amélioration du voisinage ne
joue pas et ne peut être un facteur d’attractivité. Le développement et le maintien
d’interactions sociales positives dans les quartiers ciblés sont donc des éléments
importants pour les objectifs des politiques zonées.

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Catherine Baumont, Rachel Guillain

CONCLUSION

Pour la grande majorité des politiques zonées dédiées aux quartiers en diffi-
culté, l’amélioration des conditions résidentielles et économiques des habitants
est l’objectif dominant. Cependant, cet objectif s’insère dans un objectif plus
large, celui de la transformation des quartiers défavorisés, ce qui a retenu notre
attention. Il s’appuie sur la mise en place de mécanismes d’attractivité afin de
valoriser ces espaces dans la ville. Il vise aussi le développement d’un modèle de
mixité sociale à l’échelle des quartiers et de la ville afin de briser les externalités
négatives subies par les populations les plus défavorisée, externalités imputées
à la concentration géographique de ces mêmes populations dans les quartiers
sensibles.
Pour contribuer à cette réflexion, nous avons proposé d’analyser les politiques
publiques urbaines des quartiers en difficulté à la lumière des théories de l’éco-
nomie urbaine et de leurs enseignements sur l’organisation socioéconomique des
villes. Nous constatons, tout d’abord, que si l’amélioration des conditions d’ha-
bitat est effectivement un facteur d’accroissement du statut socioéconomique des
quartiers, ce facteur agit par attraction de nouveaux habitants plus riches et fuite
des habitants pauvres. Nous soulignons, ensuite, que l’économie urbaine peine
à démontrer l’émergence de configurations urbaines mixtes stables. Il faut pour
cela, soit considérer celles-ci comme des étapes transitoires entre deux équi-
libres de ségrégation, soit viser l’instauration d’interactions sociales durables
et positives, au sein des quartiers, entre les ménages favorisés et les ménages
défavorisés. Nous indiquons, enfin, que l’action publique en matière de renou-
vellement urbain, bien qu’assujettie à des critères d’équité, produit une valori-
sation immobilière des quartiers et peut rechercher des effets de leviers du côté
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des acteurs privés.
Au terme de notre analyse, il apparaît que l’enjeu à moyen et long terme des
politiques publiques zonées est celui de la transformation globale de la ville.
Nous pouvons en tirer deux principaux enseignements. L’un est relatif aux
méthodologies déployées pour l’évaluation des politiques publiques : il n’est
pas pertinent de raisonner à l’échelle d’un quartier en difficulté. Ces quartiers ne
peuvent être considérés comme des îlots dans la ville. L’impact des politiques
menées doit alors être analysé dans la perspective d’apprécier l’intégration des
quartiers dans la ville. L’autre enseignement est relatif à l’élaboration des poli-
tiques publiques en tant que telle. La connexion des quartiers à leur environne-
ment est à intégrer dans les programmes. À cet égard, il convient de souligner
que l’enclavement géographique est un facteur de friction pour la réussite des
politiques zonées, comme cela a pu être montré sur les zones franches urbaines
(Briant, Lafourcade et Schmutz [2015]). Cependant, le désenclavement social
peut présenter des limites : les politiques peuvent n’avoir comme seul impact
que de modifier la géographie de la ségrégation dans la ville. Cela renforce en
retour l’idée d’une évaluation des politiques à une échelle spatiale dépassant la
géographie des quartiers ciblés.
Reste un grand défi pour les politiques publiques et leur évaluation. L’ensemble
des habitants sont souvent considérés comme étant bénéficiaires, faute d’avoir
des observations précises sur les personnes réellement touchées. Les effets d’en-
traînement entre les habitants ne sont donc pas évalués (Manski [1993] ; Gutiérrez
Romero [2009]), ce qui peut conduire à une mauvaise estimation des résultats de

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Revue économique

la politique en négligeant les effets positifs des interactions sociales au sein des
quartiers. Plus globalement, les effets d’entraînement peuvent toucher l’ensemble
des quartiers au sein de la ville en considérant l’hétérogénéité socioéconomique
des interactions (Galster [2007]). Le développement de modèles d’estimation
prenant en compte ces effets (Ba et Baumont [2015] ; Soetevent [2006]) permet
de formaliser les effets multiplicateurs des interactions entre les individus et les
territoires et peut être appliqué, dans des recherches futures, à la question de la
mixité socioéconomique dans les espaces urbains.

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