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Michel DELATTRE

L’école permet-elle la réussite ?

Programme démocratisation

Analyse du sujet :

Il faut toujours être extrêmement attentif aux termes exacts du sujet, qui n’ont pas
été choisis au hasard par celui qui l’a formulé. Ici, comme on va voir c’est l’indétermination
(« l’école », sans autre précision) qui impose, tout en gardant la référence à l’Ecole
(l’institution), de déterminer le sens de ce mot, de même qu’il faudra s’interroger sur
d’autres formes de réussite que la réussite scolaire, ce qu’il faudra évidemment justifier en
introduction en se référant discrètement aux termes du sujet ; parfois, c’est au contraire
le(s) qualificatif(s) présent(s) dans le sujet qui impose(nt) de se restreindre à un champ
précis.

L’école dont il est question ici est l’institution scolaire. On note donc que l’absence de
qualification ne permet pas de décider de quelle école il s’agit : ni en termes de niveau (car la
réponse ne sera pas forcément la même selon qu’on parle de l’école primaire, secondaire,
supérieure, professionnelle, de l’université,… et elle ne sera pas la même si on parle de
l’école en général), ni en termes de détermination géographique ou historique.

Autrement-dit, à ce niveau, il y avait plusieurs questions à se poser, quitte à en éliminer


ensuite pour ne garder que ce qu’on juge essentiel :

L’école permet-elle à chacun de ses niveaux la réussite scolaire (et on voit qu’on pourra
à avoir à traiter séparément ce que beaucoup de systèmes scolaires étrangers appellent
1) « l’école fondamentale », - en général l’addition de notre école primaire et de notre collège
– école fondamentale obligatoire que la France s’efforce de construire depuis quelques
décennies sans y parvenir de façon satisfaisante ; 2) le lycée ; et 3) l’enseignement supérieur –
sachant que les orientations actuelles de politique publique visent à rapprocher le 2 & le 3).

Par ailleurs, cette absence de détermination, peut également conduire à répondre en


comparant des systèmes éducatifs différents : ainsi, le système scolaire français est réputé,
depuis l’existence des enquêtes PISA, être l’un des plus inégalitaires des pays de l’OCDE,
alors que par exemple les pays scandinaves parviendraient bien davantage à conjuguer la
réussite du plus grand nombre d’élèves avec des performances de leurs systèmes éducatifs les
plaçant en tête des classements internationaux. Et pourtant, si l’on s’en tient aux meilleurs
élèves, comme le disent Baudelot et Establet dans leur livre L’élitisme républicain : en
matière scolaire, « les élites françaises tutoient les élites finlandaises ». Donc, autre type de
questionnement : selon les systèmes scolaires qu’on examine, la question de savoir la réussite
de qui est permise par l’école ne conduira pas aux mêmes réponses.

Enfin, cette absence de détermination du mot « école » pourrait inciter à en parler de


façon abstraite : la question devient alors une question de principe, politique ou
philosophique, portant sur les finalités a priori de la scolarisation (l’école a t-elle pour finalité
L’école permet-elle la réussite ?
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de permettre la réussite ? Et qu’appelle-t-on ainsi ?). On pourra partir de cette question des
finalités de l’Ecole et de la question de savoir si elles sont atteintes, mais on perçoit bien
qu’on ne pourra pas réduire une dissertation de « Questions contemporaines » à cela.

On voit aussitôt que ce qu’il va absolument falloir également préciser, c’est la question
de savoir de quelle « réussite » on parle : réussite scolaire ? Réussite sociale ? Réussite
personnelle ? – et dans chacun de ces cas, qu’est-ce que réussir ? Or les correcteurs du
concours blancs reprochent à un très grand nombre de copies de ne pas s’être demandé ce
qu’il faut entendre par « réussite », comme si le sens de ce mot allait de soi (ce qui signifie
probablement qu’on construit sa dissertation sur la base d’un préjugé concernant la réussite.
Soit parce qu’en se limitant à la réussite scolaire, on préjuge que toutes les autres formes de
réussite s’y réduisent, soit en considérant que la seule réussite envisageable est la réussite
sociale et qu’au mieux la fonction de la réussite scolaire est d’y conduire - et souvent en ne se
posant pas la question de savoir s’il n’y a pas d’autres formes de réussite, individuelle ou
collective).
Car là encore, la notion de réussite appelle un autre complément : pas seulement la
réussite de quoi, mais la réussite de qui. Même si la référence à l’école impose de traiter de la
question de la réussite scolaire.
On voit cependant que, tel qu’il est formulé, le sujet impose dans tous les cas
d’interroger la question de la réussite dans son rapport à l’école, quitte à en arriver à affirmer
qu’il n’y a pas de rapport nécessaire. Une conclusion (il est vrai téméraire et qui exigerait un
solide travail d’argumentation) pourrait être que l’école ne permet pas la réussite, parce que la
question de la réussite se joue ailleurs. En revanche, il est très facilement soutenable que toute
forme de réussite ne se réduit pas à la réussite scolaire ni n’en est la conséquence nécessaire.

Le mot « réussite » suppose qu’un but, un objectif, a été atteint. Il peut désigner quelque
chose d’heureux, mais cette nuance n’est pas nécessaire (une expérience qui « a réussi »
signifie qu’on a obtenu les résultats attendus, mais ces résultats ne sont pas nécessairement
heureux, ils peuvent n’être qu’une simple vérification). Dans ces conditions, se demander si
l’Ecole permet la réussite peut renvoyer à au moins deux orientations : l’Ecole permet-elle à
ses élèves de réussir ? Ce qui peut soit vouloir dire « atteindre les buts que l’école a fixés »
soit, très différemment, « permettre à ses élèves de réaliser leurs propres objectifs ». On
pourra chercher à faire évoluer la réflexion entre ces deux questions dans la mesure où, s’il est
incontestable que ce ne sont pas les élèves qui décident d’aller à l’école, qui est obligatoire et
qui, même lorsqu’elle ne l’est plus officiellement est souvent vécue comme telle ; même si ce
ne sont pas les élèves qui fixent les objectifs scolaires (ce qui ne leur interdit pas de se les
approprier – c’est même sans doute souhaitable !), ce qui justifie cette obligation scolaire est
une fonction émancipatrice, visant à ce que les élèves deviennent autonomes, c’est-à-dire
capables de se fixer à eux-mêmes des objectifs qui leur permettent de devenir des hommes
accomplis et surtout de les atteindre.
Mais on peut aussi se demander si le système scolaire réussit : c’est-à-dire s’il atteint les
objectifs qui lui sont assignés de l’extérieur. C’est ce qu’on évoque lorsqu’on parle à son
propos d’ « obligation de résultats ». L’Ecole est une institution et à ce titre elle accomplit une
mission jugée d’intérêt général qu’elle n’est pas seule à définir. C’est du reste pourquoi, au
moins en France, elle est systématiquement qualifiée de « républicaine ». Reste à savoir
comment l’Ecole, c’est-à-dire ici ses publics et ses agents, reçoivent ces objectifs qui leur sont
plus ou moins assignés de l’extérieur.
Le contraire de la réussite, c’est l’échec. Et on pourra être conduit à expliciter la notion
d’ « échec scolaire », voire celle de système scolaire en échec.
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Enfin, le verbe « permettre » peut avoir au moins deux sens : autoriser ou rendre
possible. L’énoncé du sujet considéré dans son ensemble incite à privilégier le second sens,
qui est celui qui lui donne le plus d’intérêt, mais on pourra tout à fait se demander à un
moment ou un autre si tous les élèves sont vraiment « autorisés » à réussir – c’est-à-dire s’il
n’y en a pas pour qui cette réussite est interdite. L’interdiction désignant ici moins une
volonté de ne pas laisser ces élèves réussir, que plus faiblement et de façon plus crédible, un
comportement – un mode de fonctionnement - qui, sans être totalement volontaire ni
conscient, pourrait être interprété comme ne visant pas vraiment, ou prioritairement, leurs
réussites. Ainsi, une école qui s’impose(rait) une fonction de sélection est (serait) une école
qui ne se fixe(rait) pas pour objectif que tous réussissent – donc juge(rait) nécessaire, au
moins de façon implicite, que certains échouent. On sait que le fonctionnement de l’Ecole
française est souvent accusé de produire nécessairement une hiérarchie entre ses élèves, qui
conduirait à ce qu’il y ait nécessairement des « perdants ». C’est la raison que certain identifie
pour expliquer l’attachement aux notes, aux moyennes, voire aux classements, aux dépens
d’une volonté de renforcer l’attention due à ceux qui réussissent plus difficilement ou plus
lentement.

Tout ceci, qui constitue donc l’analyse préliminaire du sujet, ne doit évidemment pas
figurer tel quel sur la copie. C’est l’ensemble des questions qu’on doit se poser au départ face
au sujet pour en comprendre le sens et repérer les différentes pistes de réflexion possibles –
et l’on doit garder en tête cette analyse pour déterminer ensuite une problématique
pertinente, c’est-à-dire dont on puisse dire de façon crédible qu’elle conduit à discuter le
problème central posé par le sujet - ce qu’on verra plus tard dans ce corrigé. Evidemment une
telle analyse n’est possible que parce qu’on ne découvre pas tout cela le jour du concours. On
s’y est préparé.

Repérage des connaissances disponibles pour traiter le sujet :

Il faut ici distinguer entre ce qu’on peut considérer comme des références
incontournables et, d’autre part, des connaissances et exemples qui relèvent davantage d’un
choix, d’une culture, ou d’orientations personnelles qui vont apporter à la dissertation sa
dimension originale, mot qui doit être entendu en deux sens : - ce qui fait que cette
dissertation ne ressemble pas à une autre ; mais aussi, et c’est souvent lié, ce qui fait que je
suis personnellement et réellement engagé dans ce que j’écris. L’originalité n’est donc pas
l’excentricité (qui risque ici d’être tout simplement un hors sujet ou un écrit qui ne respecte
pas les codes de la dissertation), mais l’authenticité de la réflexion. Et elle n’interdit pas, au
contraire, de prendre appui sur des connaissances acquises, des théories, des illustrations
empruntées à différents domaines, etc. Mais elle gagne à trouver des illustrations personnelles
de ce que l’on soutient, et dans le cadre de cette épreuve de concours, il est bon que ces
illustrations soient tirées de l’actualité – en gardant à l’esprit qu’une illustration, un exemple,
ne peuvent pas se substituer à la réflexion demandée. Ils permettent de mieux montrer la
réalité de ce dont on parle. Par ailleurs, être original, c’est s’engager, en s’appuyant sur des
arguments.

En Histoire :

Quelques références à l’histoire de la scolarisation peuvent être intéressantes pour


montrer que l’école n’a pas toujours eu les mêmes missions et que donc la « réussite » liée à
l’Ecole a forcément changé de sens au cours du temps. Cela devrait être fait avec prudence
dans la mesure où on ne doit pas oublier, là encore, qu’il s’agit d’une épreuve de question
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contemporaine : les références historiques au passé doivent surtout avoir pour fonction de
relativiser certaines fausses évidences présentes qui méritent d’être mises à distance.
Par exemple on pourra signaler qu’au Moyen Âge et à la Renaissance, dans l’Ancien
régime et jusqu’à la Révolution Française, les enjeux de la scolarisation ont essentiellement
été des enjeux de formation religieuse ou de préparation à des fonctions administratives.
L’école ne concernait ni le peuple ni les nobles. Il est donc clair que pour la majorité, voire
pour tous, « réussir sa vie », si une telle préoccupation existait, ne passait pas par elle.

Deux tournants historiques intéressants de ce point de vue cependant :

- Au moment de la Réforme, le protestantisme, refusant que toute autorité


spirituelle s’exerce sur la conscience de l’individu, exige de celui-ci une
capacité de jugement personnel qui le rende responsable de sa vie spirituelle. À
partir de l’un de ses principes, scriptura sola (l’Écriture seule) qui exige que le
croyant se rapporte personnellement aux textes sacrés et en extraie lui-même le
sens, on comprend qu’un minimum d’instruction devient nécessaire pour
entretenir sa foi. Le protestantisme entraîne ainsi logiquement un
développement des écoles et le catholicisme réagira par la Contre-Réforme en
créant ses propres institutions scolaires. Le rapport avec le sujet est possible
dans la mesure où ce qui est ici en jeu à travers la scolarisation, ce n’est pas
seulement la formation de sujets respectueux de l’ordre social, c’est aussi
essentiellement le Salut, ce qui peut être considéré par un croyant comme la
forme suprême d’existence réussie. Ce pourrait être, à un moment de la
dissertation qui s’y prêterait, un moyen de montrer que la réussite
essentiellement visée par l’école n’a pas toujours été identique à la façon dont
nous la considérons aujourd’hui. On n’oubliera pas cependant que même si des
réseaux d’écoles populaires existaient sous l’Ancien Régime, ils étaient loin de
scolariser des masses…

- Un autre moment historique intéressant commence à l’époque de la Révolution


Française et se développe tout au long du XIXe siècle non seulement en France
mais dans de nombreux pays occidentaux. En France il aboutira aux lois Ferry
(1881–1882) qui instaurent la gratuité et l’obligation scolaires. Face à une école
qui a eu longtemps une fonction de formation morale et religieuse, même si elle
assumait également des missions d’instruction, se construit alors une nouvelle
école donc la mission essentielle sera de former des citoyens éclairés dans une
démocratie républicaine. D’où l’importance qu’y prendra la morale.
Dans la dissertation, cette référence historique peut présenter l’intérêt de
montrer que la réussite visée par l’école n’a pas toujours été, loin de là, de
préparer à la vie professionnelle, ni d’assurer une mobilité sociale. La plupart
des élèves de l’école de la Troisième République savent que leur naissance
décide pour l’essentiel de leur destin social et professionnel – et presque tout le
monde trouve cela normal. Cela se traduit par l’existence de deux systèmes
scolaires parallèles et relativement étanches : les petites classes du lycée, puis le
lycée et l’université pour les enfants des classes favorisées (environ 4% de la
population à l’époque) ; l’école primaire et le certificat de fin d’études, suivi
pour une petite minorité de l’Ecole primaire supérieure ou d’une école
professionnelle, pour les enfants de milieux modestes. Ce système scolaire,
parfois présenté aujourd’hui comme un modèle de réussite à reproduire, ne se
fixait donc pas pour objectif l’équité sociale, mais bien de former des citoyens
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éclairés. Quelques rares lauréats du concours des bourses parvenaient à passer


de l’école primaire aux classes de 6ème du lycée. On remarquera au passage que
la réussite de ce système scolaire de la IIIe République est assez limitée dans la
mesure où, par exemple dans les années 20, environ la moitié des élèves de
l’école primaire n’obtenaient pas leur certificat d’étude. Pourtant, si on repère
les élèves qui n’apprennent pas à l’école, les « cancres », les « inadaptés »,
qu’on place dans des classes spéciales, la notion d’ « échec scolaire » n’existe
pas à l’époque. Finalement, échouer à l’école n’est pas si grave. Au bout du
compte, une des réussites de l’école de Jules Ferry est d’avoir formé, au moins
jusqu’en 1914, des patriotes prêts à sacrifier leur vie pour la nation.
C’est à partir des Trente Glorieuses que l’école se voit peu à peu assignées de
nouvelles missions : la formation intellectuelle de futurs travailleurs adaptés aux
nouvelles exigences de l’économie moderne ; la mobilité sociale, rendue
possible par le développement économique et désormais considérée comme une
exigence d’équité sociale et d’égalité des chances. Dès lors, il existe un lien
étroit entre la réussite scolaire, la réussite professionnelle, et à certains égards la
réussite personnelle. Ce lien est plus ou moins marqué selon les contextes
nationaux, il reste très important dans un pays comme la France.

En Science Politique ou en philosophie politique :

- La question de l’école a toujours été une question politique, mais les éléments
historiques qui précèdent permettent donc de comprendre que ses enjeux
politiques ont changé de nature au cours du temps. Sous l’Ancien Régime, dans
le contexte d’une monarchie de droit divin, une école centrée sur l’éducation
religieuse avait aussi pour effet d’assurer la fidélité à ce régime. La querelle
scolaire qui oppose l’Église catholique aux Républicains tout au long du XIXe
siècle vise précisément à neutraliser les tendances restauratrices d’une grande
partie des autorités catholiques et de construire une Ecole qui consolide les
convictions républicaines des élèves qu’elle forme.

C’est ce qui explique ce qui a été dit précédemment : la principale mission de


l’école devient dans un premier temps de former des citoyens - et de ce point de
vue on peut admettre qu’elle a plutôt bien réussi, si on prend en considération
d’une part la durée de la IIIe République, d’autre part (si on excepte la
parenthèse vichyste, à laquelle d’ailleurs l’école a plutôt bien résisté) le fait que
depuis l’époque des lois Ferry c’est le régime républicain qui l’a emporté.

- Mais à partir des Trente Glorieuses, les enjeux politiques de la scolarisation


changent avec la transformation de ses missions : il ne s’agit plus seulement de
former des citoyens, mais d’assurer l’égalité républicaine (proclamée, mais peu
mise en place à la naissance de la Troisième République), qui passe de plus en
plus par un lien entre la réussite scolaire, inscrite dans une dynamique de
démocratisation de la scolarisation, et la réussite professionnelle et sociale. On
sait que de ce point de vue, au moins en France, l’atteinte de ces objectifs est
loin d’être assurée, et c’est ce que recouvrent les préoccupations liées à
« l’échec scolaire ». Non seulement les 150 000 élèves qui sortent chaque année
du système éducatif sans aucune qualification scolaire semblent socialement
condamnés à être marginalisés, mais la succession de crises économiques ne
permet plus d’assurer, par le moyen de la scolarisation, la poursuite des
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mécanismes d’ascenseur social auxquels on a pu assister entre le milieu des


années 40 et la fin des années 70. Paradoxalement, c’est au moment où l’école
parvient à élever de façon spectaculaire ses taux de scolarisation et de réussite
(par ex. de 16% d’une classe d’âge obtenant le baccalauréat à la fin des années
50 à environ 75% aujourd’hui, en passant par environ 35% en 1985 lorsque
l’objectif des 80% a été énoncé) et à assurer la poursuite, pour un plus grand
nombre, d’études plus longues, que la préoccupation liée à l’échec scolaire est
devenue de plus en plus lancinante. C’est que dans les sociétés modernes, en
particulier les plus industrialisées, celles où les secteurs tertiaire (services) et
quaternaire (haute technologie) sont les plus développés, l’insertion sociale
passe de plus en plus par la réussite scolaire. De ce fait l’école se voit accusée
d’échouer à assurer sa mission, comme si elle avait le pouvoir de transformer le
monde social et économique dans lequel s’inscrit.

En Sociologie :

La sociologie, de son côté, permet également d’alimenter la réflexion sur la question de


savoir si l’école permet la réussite.
Dans les années 60, précisément à un moment il est de plus en plus admis que l’école
est investie d’une mission de justice sociale, la sociologie établit de façon relativement
incontestable, que loin de permettre la mobilité sociale, l’école contribue à la reproduction des
inégalités de départ. Les statistiques montrent une très forte corrélation entre l’identité sociale
des élèves et les taux de réussite ou d’échec scolaires. Par ailleurs, ce qui était auparavant
inégalités d’accès aux scolarités longues s’est transformé, par le jeu des filières, en inégalités
d’accès aux filières prestigieuses, dans un système scolaire très hiérarchisé, voire en inégalité
d’accès à des établissements scolaires ou universitaires n’ayant pas la même valeur. Par
exemple dans le système français, ce qui n’est pas nécessairement le cas ailleurs, les filières
professionnelles, techniques, et générales, ne jouissent pas de la même considération et
surtout n’offrent pas les mêmes perspectives universitaires, professionnelles et sociales. De ce
fait, il devient significatif que, s’il est vrai que les taux d’accès au baccalauréat ont augmenté
de façon spectaculaire, 50 % des nouveaux bacheliers soient des bacheliers technologiques ou
professionnels. Mais, encore une fois, ce constat n’a pas la même signification dans des
contextes nationaux aussi différents que celui de la France ou des pays germaniques et
scandinaves.
Peux-t-on dans ces conditions, à partir de ces constats sociologiques, soutenir que
l’école permet la réussite ?
Il faut d’abord préciser que la sociologie montre tout aussi clairement que la réussite et
l’échec scolaires ne sont pas de la seule responsabilité de l’Ecole. Si l’on a longtemps
surestimé la responsabilité des familles en la matière, au point d’inventer un mythe de la
démission parentale que pratiquement toutes les écoles sociologiques dénoncent aujourd’hui,
il ne faut pas non plus sous-estimer le fait que les familles jouent un rôle important dans
l’implication scolaire de leurs enfants, mais pas forcément de la manière qu’on croit...
Les théories de la reproduction, dans le sillage de Bourdieu et Passeron, ont montré que,
par son fonctionnement même, l’Ecole avait une responsabilité essentielle dans cette
reproduction. Celle-ci s’expliquerait par le fait qu’elle exige de ses élèves le respect de codes
sociaux (façon de se présenter, de s’exprimer, de gérer ses relations à autrui, goûts, rapport au
langage, à l’abstraction,…) et de valeurs culturelles que seuls les enfants issus des milieux
sociaux dominant possèdent d’emblée, parce qu’ils les ont acquis dans leur milieu familial.
C’est la très connue théorie du capital culturel et de l’habitus (l’incorporation par
imprégnation quotidienne dans le milieu familial des codes, des références et des signes de
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« distinction »). L’école exigerait donc de ses élèves la maîtrise de choses qu’elle ne leur
transmettrait pas, mais qu’elle considèrerait comme des pré-requis jamais vraiment explicités,
sans lesquels la réussite scolaire n’est pas possible. De ce fait, elle ne permettrait la réussite
que des élèves maîtrisant par des voies extra-scolaires ces prérequis, la plupart des autres
étant promis à l’échec ou au moins à des difficultés. Les effets essentiels du fonctionnement
de l’institution scolaire consisteraient alors à donner le sentiment que des échecs et des
réussites en réalité plus ou moins déterminés à l’avance, donc injustes, seraient finalement
légitimes, en créant l’illusion que chacun a eu les mêmes chances au départ.
Ces analyses présentent l’intérêt de faire comprendre d’une part que les élèves ne
partent pas au départ avec les mêmes instruments de réussite scolaire, d’autre part que
l’égalité des chances passe par une plus grande attention à l’explicitation auprès des élèves de
ce qui leur est exactement demandé. Si l’école veut effectivement donner à tous ses élèves des
chances de réussir, il faut qu’elle fournisse à ceux qui ne les possèdent pas l’accès aux codes
et aux règles qu’ils ne peuvent pas acquérir dans l’espace privé. Il faut également que les
modalités d’enseignement ne présupposent pas que tous les élèves sont d’emblée en situation
de trouver de l’intérêt à ce qu’on leur enseigne. D’où le développement de préoccupations
pédagogiques plus soucieuses d’assurer cette égalité d’accès aux savoirs enseignés. Au final,
si l’école veut que tous ses élèves aient les mêmes chances de réussite, il faut qu’elle évite de
présupposer qu’il y a des pré-requis extrascolaires qui sont des conditions de cette réussite.
Moins convaincant est le second aspect des théories de la reproduction, lorsque celles-ci
donnent à penser que puisque les savoirs enseignés à l’école sont plus proches des références
culturelles des élèves issus des milieux socialement favorisés – et donc leur sont plus
facilement accessibles – ces savoirs sont des savoirs arbitraires, ce qui conduisit par exemple
Bourdieu et Passeron à décrire l’école comme un lieu de « transmission arbitraire d’un
arbitraire culturel ». Si l’on peut éventuellement soutenir que les enfants dotés d’un certain
capital culturel sont mieux préparés que d’autres à appréhender des démarches abstraites, ce
qui expliquerait qu’ils maîtrisent par exemple plus facilement les mathématiques, il devient
néanmoins contestable d’en tirer la conclusion que la procédure de résolution d’une équation
du second degré est du savoir bourgeois ! Et si la question ne se pose pas exactement de la
même façon dans le domaine de la littérature ou des sciences humaines, il n’en reste pas
moins qu’il est préférable de chercher à donner à tous la maîtrise et le goût de ces disciplines,
plutôt que de se résigner à ce qu’elles restent le privilège de quelques uns – ce qui n’a
d’ailleurs jamais été l’intention des théoriciens de la reproduction, mais que certains
contresens ont parfois induits. Enfin, comme on le verra, les théories de la reproduction laisse
inexpliqués les cas – pas forcément rares – de réussite scolaire d’enfants issus de milieux
populaires (dont Bourdieu lui-même était d’ailleurs l’illustration).
Parallèlement aux théories de la reproduction, la corrélation statistique entre les
inégalités de réussite scolaire et l’identité sociale des élèves a également été expliquée par une
autre démarche sociologique : la théorie de « l’individualisme méthodologique », initiée par
Raymond Boudon. Elle consiste à expliquer ces inégalités moins en termes de catégories
sociales, même si Boudon reconnaît bien, lui aussi, qu’il existe des corrélations entre identité
sociale et taux de réussite et d’échec scolaires, que par des stratégies individuelles. Boudon
s’intéresse particulièrement aux parcours d’élèves et aux mécanismes d’orientation. Il relève
que tous les mauvais élèves, quelle que soit leur origine sociale, sont dans les filières courtes
ou les voies scolaires les moins sélectives. De même, les meilleurs élèves sont en général
orientés dans les voies les plus prestigieuses, voire les plus longues, quelle que soit leur
origine sociale. La différence se joue donc au niveau des élèves moyens, qui sont en vérité les
plus nombreux. L’orientation relève alors d’un calcul confrontant l’investissement que
demanderait une filière plus longue ou plus prestigieuse aux chances de réussite et aux gains
attendus. Dans ce contexte, les familles de milieux plus modestes, souvent encouragées en
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cela par les enseignants, auraient tendance à faire des choix bien moins ambitieux que les
familles de milieu plus favorisé. Sans nier la nécessité d’expliciter auprès de tous les élèves
les exigences qui sont des conditions de la réussite scolaire, comme l’ont déjà signalé les
théories de la reproduction, Raymond Boudon considère que ces mécanismes d’orientation
relevant de stratégies individuelles sont les plus déterminants en matière d’inégalités de
réussite ou d’échec scolaires. Il déplore donc que ce ne soit pas les seuls résultats scolaires
des élèves qui servent de critères pour décider de leurs orientations. Convaincante sur ce
point, la théorie de l’individualisme méthodologique peut cependant être accusée de sous-
estimer le poids de ce que les théories de la reproduction appellent le capital culturel. S’il est
légitime d’exiger que le destin scolaire des élèves soit exclusivement déterminé par la réussite
scolaire antérieure, il est sans doute réducteur de croire que celle-ci dépend exclusivement de
facteurs internes à l’école.
Des courants sociologiques plus récents, sans forcément récuser les points essentiels des
analyses précédentes, ont jugé nécessaire de produire des analyses plus fines, inspirées par
des enquêtes de terrain beaucoup plus concrètes, attentives à la complexité des trajectoires
scolaires. Bernard Lahire, par exemple, dans son livre Tableaux de familles, étudie des élèves
de CE2 tous issus de milieux populaires, dont certains, au regard des évaluations nationales,
sont déclarés en réussite tandis que d’autres sont en échec. Il montre qu’en effet ce qui se
passe dans les familles entrave ou favorise la réussite scolaire, y compris au sein des mêmes
milieux sociaux (en l’occurrence populaires). La présence ou non de pratiques d’écriture
domestique (les petits mots qu’on s’écrit, les post-it qu’on place sur le réfrigérateur, les listes
de courses, la communication intra-familiale par la voie de l’écrit, les relations écrites ou non
avec les administrations,…) a ainsi des effets de familiarisation (ou non) avec la culture
écrite qui sera dominante à l’école – indépendamment de la pertinence et de l’efficacité
pratique de ces comportement. De même, le mode d’exercice de l’autorité parentale, au coup
par coup (où le mot « coup » peut être pris dans les deux sens…) qui consiste à frapper ou
crier ponctuellement, par opposition à une autorité qui renvoie à des règles stables et par là
responsabilise, sont en opposition ou au contraire en accord avec l’exigence d’autonomie qui
sera celle de l’école (les élèves derrière lesquels il n’est pas nécessaire d’intervenir en
permanence pour qu’ils fassent ce qu’on leur demande, qui ne sont pas toujours en train de
demander « ce qu’il faut faire après », qui – en matière de comportement comme en matière
d’apprentissages - comprennent les règles et les appliquent tout seuls…). Ou encore, le mode
de gestion du temps familial, improvisé ou au contraire planifié, sera plus ou moins
préparatoire au temps extrêmement régulé de l’école.
Lahire montre ainsi que ce qui se passe au quotidien dans les familles a bien des effets
qui favorisent ou entravent la réussite scolaire, mais que cela passe par des mécanismes
beaucoup plus subtils que la simple appartenance sociale et qui ont peu à voir avec une
prétendue démission des parents ou un manque d’ambition pour leurs enfants. Exemple de ce
père qui bat sa fille parce qu’elle ne réussit pas à l’école (ce qui n’est sans doute pas une
marque d’indifférence ou de démission, mais qui n’est pas non plus un mode d’exercice de
l’autorité initiant sa fille aux règles de l’école) et qui déclare par ailleurs qu’il ne lui achète
pas de livre, parce qu’il ne veut pas « qu’elle perde son temps à des conneries »… Comme le
soutient donc Lahire, les hommes du XXe sont « multiples », donc pas si facilement
assignables à une appartenance sociale. On peut être ouvrier et organiser sa vie quotidienne de
telle sorte que ses enfants héritent de codes et d’un rapport au monde qui faciliteront
l’insertion dans ce monde très particulier qu’est l’école.
D’autres sociologues (par exemple Bernard Charlot, Elisabeth Bauthier, Jean-Yves
Rochex) ont théorisé ce qu’ils ont appelé le « rapport au savoir » des élèves. Cela les conduit
à opposer deux grandes catégories d’élèves. Tous considèrent que l’école et la réussite
scolaire sont importantes. Mais lorsqu’on leur demande pourquoi, les premiers répondent
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systématiquement en donnant des justifications extérieures à ce qui s’apprend à l’école : faire


plaisir à ses parents ; avoir de bonnes notes ; avoir « sa moyenne » ; passer dans la classe
supérieure ; avoir un bon métier plus tard ; la plus belle réponse étant : « l’école c’est très
important, pour faire des études… plus tard ». A l’inverse, à la même question, les élèves de
la seconde catégorie fournissent des réponses qui visent surtout à montrer qu’ils ont le
sentiment que ce qu’ils apprennent à l’école les enrichit, leur permet de comprendre des
choses nouvelles, les rend plus intelligents, etc. Évidemment il est rare que tel élève illustre
exclusivement la première ou la seconde catégorie. Mais ce que ces sociologues veulent faire
comprendre, c’est que plus les élèves comprennent et éprouvent que ce qui se joue
essentiellement à l’école est leur formation – et non des objectifs extérieurs à l’école - mieux
ils réussissent. Ils insistent sur la nécessité de favoriser chez le plus grand nombre d’élèves
cette prise de conscience du fait que les activités scolaires, les notes, les relations entre élèves
ou entre élèves et professeurs, les classements, les passages dans la classe supérieure,
l’objectif d’avoir un bon métier plus tard, ne sont pas sans intérêt mais doivent passer derrière
l’essentiel : l’école est d’abord un lieu d’apprentissage (pas exclusivement, mais
essentiellement intellectuel) et de développement de soi. Et ces remarques visent autant les
enseignants que les familles. Jean-Yves Rochex par exemple, s’interrogeant sur les facteurs
qui permettent à un élève de milieux populaires de réussir à l’Ecole, relève que celle-ci doit
rendre possible cette réussite en évitant de mépriser systématiquement les références
familiales de l’élève, même lorsque celles-ci sont éloignées de la culture scolaire : un enfant à
qui on donne le sentiment qu’il doit choisir entre sa famille et l’Ecole aura vite fait son choix !
Inversement, Rochex montre que les enfants doivent avoir le sentiment qu’ils sont autorisés
par leur famille à réussir à l’école, ce qui ne se limite pas à leur dire qu’il faut « bien
travailler », mais consiste à accepter qu’ils entrent dans une culture nouvelle, la culture
scolaire, parfois très éloignée de leur quotidien familial. Il s’agit donc à la fois de ne pas
mettre les élèves en situation de renier leur culture familiale et de rendre possible l’acquisition
d’un système de valeurs et de références plus ou moins éloignés des références privées :
devenir bon élève tout en restant l’enfant de ses parents… Equation parfois difficile à
résoudre et qui exige une « autorisation » à la fois de l’Ecole et de la Famille.
Les analyses de Bernard Lahire aussi bien que celles des théoriciens du rapport au
savoir ont doonc le grand mérite de montrer que la réussite scolaire passe par une interaction
entre la famille et l’école. Nous verrons que c’est l’objet d’un certain nombre de politiques
publiques en matière scolaire.

En matière de politique publique :

Les pouvoirs publics ont de longue date, dans la plupart des pays, pris conscience de la
nécessité de mettre en place des politiques publiques pour favoriser la réussite d’un plus grand
nombre possible d’élèves.

- En France, un premier mouvement à consisté, à partir du premier tiers du XXe siècle, à


rapprocher les deux systèmes scolaires précédemment évoqués. Ainsi, le concours de bourses,
extrêmement sélectif, qui permettait à un nombre très restreint d’élèves du primaire de
rejoindre le lycée en 6ème, a été remplacé dans les années 30 par un examen d’entrée en 6ème,
les études au lycée devenant officiellement gratuites. Jean Zay, sous le Front populaire,
travaille à rapprocher les programmes de l’école primaire supérieure et des cours
complémentaires de ceux du premier cycle du lycée de façon a ne plus faire de la transition
primaire/secondaire un mur infranchissable. Le début de la Ve République, en élevant
l’obligation scolaire à l’âge de 16 ans, (réforme Berthoin du 7 janvier 1959) contribue à ce
L’école permet-elle la réussite ?
10

que la majorité des élèves suivent une forme ou une autre d’enseignement secondaire. En
1963-64, la réforme Fouchet-Capelle instaure l’école (primaire) unique et le CES (collège
d’enseignement secondaire, avec ses trois voies : général long préparant à l’entrée au lycée en
seconde ; général court préparant à la sortie du système scolaire ou à l’orientation en lycée
technique après le brevet ; transition-pratique, pour les élèves les plus en difficulté). En 1975,
la réforme Haby fusionne ces trois voies et crée le collège unique. Puis en 1985, le ministère
Chevènement énonce l’objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau du bac à l’horizon 2000
et crée le baccalauréat professionnel. La loi d’orientation dite Loi Jospin, en 1989, organise
les enseignements en cycles (de trois années en primaire) de façon à instaurer une souplesse
permettant à l’école de s’adapter aux rythmes d’apprentissage différents selon les élèves.
Surtout, elle tend à rapprocher les enseignants du secondaire et du primaire en imposant à tous
une formation universitaire, en créant les IUFM dont la mission est de dispenser une
formation en partie commune à tous les enseignants, et en créant un nouveau corps
d’enseignants pour le primaire : les professeurs des écoles, élevés même rang (catégorie A de
la fonction publique) que leurs collègues du secondaire et recrutés au même niveau
universitaire. La loi Jospin vise donc elle aussi à effacer - avec plus ou moins de succès - le
dualisme scolaire, mais cette fois au niveau des corps enseignants. Enfin, en 2004, la loi
d’orientation Fillon instaure au niveau du primaire et du collège un Socle commun de
connaissances et de compétences visant à garantir pour la totalité des élèves l’acquisition d’un
tronc commun, élément de réforme repris et restructuré en 2012 par le ministère Peillon sous
le nom de Socle commun de connaissances et de culture et par une redéfinition des cycles (le
cycle 3, réunissant CM1-CM-6ème, visant clairement à rapprocher le primaire et le collège).
Le mouvement historique ainsi restitué peut être interprété comme une volonté
d’assurer la réussite d’un maximum d’élèves en facilitant l’accès à l’enseignement secondaire,
et aujourd’hui à l’enseignement supérieur (objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau de la
licence). Cependant, la réussite incontestable de cette démocratisation de l’accès à
l’enseignement long n’assure pas, on l’a vu, une égale réussite scolaire. Forts de ce constat,
certains ont opposé la « démographisation » à la « démocratisation » de l’école.

Un second volet des politiques publiques a consisté, dans le sillage des enseignements de la
sociologie de l’éducation et des publics scolaires, à viser une adaptation des modalités
d’enseignement et de prise en charge des publics en difficultés afin de favoriser leur réussite.
Ces politiques ont pris plusieurs aspects.

- Les politiques d’éducation prioritaire, à partir de 1981, à la suite de l’élection de


François Mitterand à la Présidence de la République. Elles ont consisté à
identifier des territoires (urbains ou ruraux) dans lesquels on pouvait établir une
corrélation entre des critères objectifs de difficultés sociales et de difficultés
scolaires. Le slogan de la politique d’éducation prioritaire (« il faut donner plus
à ceux qui ont moins ») résume assez bien les intentions de cette politique
publique : remplacer une politique d’égal traitement par une politique d’équité,
prenant la forme de moyens supplémentaires dans les ZEP (réduction des
effectifs de classes, financements divers, primes aux enseignants) et d’incitation
à des pédagogies adaptées au public (autre slogan : « travailler autrement »).
Encourager une politique scolaire en cohérence avec celle de la ville.
Selon les convictions des ministères se succédant, la politique
d’éducation prioritaire à connu des hauts et des bas (mise en veille en 1985,
relance en 1989, mise en veille en 1995, etc.). Son évaluation sur le long terme a
révélé des résultats mitigés et différents selon les zones. D’une façon générale,
les ZEP n’ont pas toujours sensiblement amélioré la réussite de leurs élèves,
L’école permet-elle la réussite ?
11

mais elles ont peut-être limité la casse, dans un contexte de difficultés sociales
de plus en plus préoccupantes. Cette évaluation a conduit à un certain nombre de
préconisations en vue d’améliorer les résultats scolaires : se centrer sur les
apprentissages proprement scolaires en veillant au respect des programmes
nationaux, afin de ne pas créer une école de seconde zone ; assurer au niveau
des bassins scolaires une cohérence des trajectoires d’élèves et des politiques
d’établissements ; se centrer davantage sur les élèves en difficulté que sur les
stratégies globales, par exemple en assurant la prise en charge individualisée de
ces difficultés (aides aux élèves en difficultés, stages pendant les vacances,…)…

Parallèlement à ces politiques de zones, d’autres orientations sont empruntées


pour chercher à favoriser la réussite des élèves susceptibles d’être moins bien
préparés que d’autres à réussir à l’école :

- La prise en compte du rôle des familles dans la vie scolaire.

o Une légende veut, comme on l’a vu à travers les analyses sociologiques, que
les parents soient trop souvent « démissionnaires ». Il faut d’abord rappeler
que l’instauration de l’école obligatoire, si elle ne s’est certainement pas
faite contre les familles, présupposait que l’école pouvait assurer en matière
éducative un certain nombre de missions qu’on ne pouvait pas demander à
toutes les familles. Il faut donc garder à l’esprit qu’il serait contradictoire de
demander aux familles ce qui a précisément justifié, parce qu’elle ne pouvait
pas elle-même le garantir, qu’on leur impose d’envoyer leurs enfants à
l’école. Du reste, longtemps les familles ont été tenues à l’écart de l’école,
de ce qu’on y faisait et des décisions qu’on y prenait concernant leurs
enfants, dont elles étaient simplement informées. Ce n’est que plus
tardivement, à vrai dire après les mouvements de 1968, que le ministère a
peu à peu fait entrer les familles dans l’espace scolaire, d’abord par la voie
de représentants élus, puis en encourageant les rencontres régulières entre
parents et enseignants (par exemple, à l’école primaire, en organisant
systématiquement, dans chaque classe, une réunion obligatoire de début
d’année qui permet à l’enseignant(e) de présenter l’année scolaire, son
déroulement et ses enjeux ; d’expliquer ses méthodes, ses attentes).
Actuellement, la notion de « coéducation » (école/famille) est régulièrement
utilisée dans le cadre des politiques publiques pour inciter à un partenariat
plus collaboratif entre Ecole et Famille – étant entendu que chacun doit jouer
son rôle spécifique, mais dans la compréhension mutuelle. Et il est aussi
essentiel que les familles comprennent en quoi et comment, à leur place,
elles peuvent favoriser la réussite de leurs enfants que, d’autre part, les
enseignants perçoivent la nature des obstacles que leurs élèves ont à franchir.
Parallèlement, dans le cadre de la politique de la ville (sous la
responsabilité de l’Etat) et d’un certain nombre de politiques municipales, des
efforts sont faits pour aider les parents à comprendre comment ils peuvent
avoir un rôle positif dans la scolarité de leurs enfants, sans que pour autant
leur soit demandé de faire à la place de l’école ce qui lui revient. En
établissant un lien avec ce que les études sociologiques établissent en la
matière, on voit comment la question des relations avec les familles peut
contribuer à favoriser la réussite scolaire d’un plus grand nombre d’élèves :
inciter à la fréquentation de bibliothèques et de lieux culturels ; informer de
L’école permet-elle la réussite ?
12

l’importance de la régularité dans l’organisation de la vie quotidienne ;


réfléchir sur les moyens les plus efficaces d’exercer l’autorité ; mettre en
évidence les vrais enjeux de la scolarité, qui ne peuvent être réduits à « passer
dans la classe supérieure » ou « avoir un bon métier », etc.

o Autre objet récurrent des préoccupations des politiques publiques : la


question de la mixité sociale des établissements. Cette mixité, on le constate
chaque fois qu’elle existe, est toujours favorable à la réussite des élèves que
leur identité sociale pourrait fragiliser : le mélange des élèves issus de
milieux différents dans les mêmes établissements, et surtout dans les mêmes
classes, est un argument favorable à la crédibilité de l’égalité des chances de
réussite. Mais cette mixité est difficile à réaliser partout pour plusieurs
raisons. D’abord parce que les mesures prises dans le passé pour la garantir
ont eu au fil du temps des effets contraires à ceux qui étaient attendus :
l’instauration de la carte scolaire qui, présentée de façon simplifiée, avait
pour objectif d’assurer la mixité sociale, en imposant aux élèves de
fréquenter l’école ou l’établissement de leur quartier, a produit, en de
multiples secteurs, dès lors que les quartiers eux-mêmes étaient de moins en
moins socialement mixtes, des établissements socialement homogènes, qui
pouvaient donner à certains élèves un sentiment plus ou moins justifié de
relégation scolaire, peu propice à l’investissement dans les études. Mais on
doit également constater que toutes les initiatives publiques pour essayer de
lutter contre ces phénomènes se heurtent le plus souvent à une forte
résistance sociale, soit par crainte, dans certaines familles, que la mixité
sociale fasse obstacle à la réussite (voire à la sécurité) de leurs enfants ; soit
par simple confort incitant à préférer l’établissement de proximité. L’opinion
publique française, quelles que soient les valeurs dont elle se réclame, n’est
en fait guère favorable à la mixité sociale, et elle l’est de moins en moins…

o Enfin, la lutte contre l’échec scolaire oppose, parfois de façon très virulente,
des stratégies divergeantes, visant à réformer le système scolaire. Pour les
uns, la réussite passe par une modification profonde de l’organisation des
études et des méthodes pédagogiques, plus attentives à la diversité et aux
difficultés multiples des élèves. Pour les autres, elle passe au contraire par
une restauration de méthodes considérées comme traditionnelles et censées
avoir fait leur preuve dans le passé, quitte à restaurer des filières plus
étanches et/ou plus courtes, des orientations plus précoces vers les voies
professionnelles, voire vers l’apprentissage. Les querelles désormais
décennales entre « pédagogues » accusés d’être insuffisamment exigeants et
trop peu soucieux de la qualité des contenus enseignés et anti-pédagogues
(auto-proclamés « républicains ») défenseurs de la pureté et de la rigueur des
disciplines enseignées, sont assez bien illustrées actuellement, dans le cadre
de la réforme des collèges, par le clivage entre opposants et partisans des
enseignements pluridisciplinaires introduits par cette réforme : ces modalités
d’enseignements sont accusées de remplacer l’enseignement des
connaissances par des « activités » peu instructives selon les uns ; elles sont
présentées par les autres comme au contraire susceptibles de renforcer aux
yeux des élèves le sens et les enjeux de ce qu’on leur enseigne en montrant
comment la convergence des acquis disciplinaire permet de mieux
comprendre la réalité. La question est alors de savoir ce qui favorise le plus
L’école permet-elle la réussite ?
13

la réussite : l’enseignement le plus rigoureux possible de disciplines qui


demeurent cloisonnées, au risque qu’un nombre imprévisible d’élèves n’y
accèdent pas parce qu’ils les jugent trop abstraites, trop éloignées de leur
représentation de la réalité concrète, seule source de sens à leurs yeux ? Ou
bien une partie du temps scolaire consacrée à mettre en œuvre ces
enseignements en mobilisant ce qui est appris dans les cadres des disciplines
scolaires, pour étudier des domaines d’objets plus complexes ou réaliser des
projets plus concrets, dans le but de faciliter l’accès au sens de ce qu’on
enseigne ? (c’est le but déclaré des 20% du temps scolaire consacrés aux
enseignements pratiques interdisciplinaires instaurés par la réforme du
collège) ?
On le voit, derrière ces oppositions, ce qui se joue, ce sont des façons
différentes d’aborder la question du rapport au savoir des élèves. C’est
également une conception plus ou moins élitiste de l’Ecole (et quand elle est
élitiste, assumée comme telle, sous le nom d’ « élitisme républicain ») : pour
les uns, la réussite de tous passe par une transformation du fonctionnement de
l’Ecole ; pour les autres cette réussite de tous, à la limite, n’est qu’une
chimère – une utopie qui dessert les élèves les plus capables de réussite et qui
sont ralentis par les autres - et l’école doit assurer la réussite de ceux-là seuls
qui s’en donnent les moyens et qui le méritent.

On peut ici comparer le système français avec ce qui s’est fait ailleurs.
La Finlande par exemple, en tête et longtemps première dans les classements
internationaux (études PISA conduites par l’OCDE) doit son succès à un
certain nombre de mesures prises il y a déjà quelques décennies, au tournant
des années 60 et 70. La Finlande, qui éjectait jusqu’alors de son système
scolaire la moitié de ses élèves à l’âge de 11 ans, instaure une école
fondamentale unique de 6/7 à 14/15 ans, durant laquelle tous les élèves
suivent un cursus commun, sans redoublements ni notes, mais dans un cadre
éducatif extrêmement attentif au niveau, aux difficultés, et aux apprentissages
réels de chaque élève (ce qui conduit à renoncer au cadre de la classe et à
procéder à des redistributions régulières des répartitions d’élèves : non pas
des élèves qui, toujours dans la même classe, suivent les mêmes
enseignements, mais une recomposition du groupe selon les disciplines et le
niveau de chacun). S’ajoute à cela des occasions multiples de travail en petits
groupes, des dispositifs de soutien individuel aux élèves connaissant des
difficultés, une place importante laissée aux études pluridisciplinaires et… un
recrutement et une formation exigeants pour des enseignants accédant à un
métier très bien considéré et bien payé…
Sortis de cet enseignement fondamental obligatoire, la plupart des
élèves entrent alors dans une filière soit générale, soit professionnelle, les
deux filières offrant la possibilité des passerelles entre les deux, et la politique
éducative finlandaise visant à ce que la filière professionnelle conduise
comme la filière générale à des études et des diplômes d’enseignement
supérieur. La Finlande réussit ainsi non seulement à proposer l’un des
systèmes scolaires les plus performant en termes de résultats d’ensemble dans
les comparaisons internationales, mais également à ce que ce système soit le
moins inégalitaire : un de ceux qui ont le plus réduit l’écart entre les élèves
qui réussissent le mieux et ceux qui ont les moins bons résultats, et surtout un
L’école permet-elle la réussite ?
14

de ceux pour lesquels les inégalités sociales (il est vrai moins criantes
qu’ailleurs) se transforment le moins en inégalités scolaires.
L’Allemagne au contraire de la Finlande, propose dans un certain
nombre de Länder un système très cloisonné, puisque dès la sortie de l’école
primaire les élèves sont distribués entre trois types d’établissements très
distincts. Mais l’Allemagne a ceci de commun avec la plupart des pays
nordiques, d’une part que les voies professionnelles n’y sont pas des voies de
relégation, comme c’est trop souvent le cas en France : elles sont des voies de
réussite, moins prestigieuses que les voies générales, mais réelles. D’autre
part, les diplômes y jouent un rôle moins déterminant en matière de destin
professionnel et social que dans notre pays : on peut, en Allemagne, entrer
dans une entreprise à l’issue d’un diplôme professionnel et y gravir peu à peu
tous les échelons jusqu’à occuper des fonctions dirigeantes ; on doit souvent,
s’y on arrive diplômé du supérieur, faire ses preuves avant d’occuper ces
fonctions. La question de la réussite sociale et professionnelle y est donc
gérée autrement que dans le système français.
Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’il suffirait de clôner des
systèmes éducatifs étrangers pour assurer le succès du nôtre : les institutions
scolaires relèvent de facteurs et de traditions complexes et ne peuvent pas se
substituer les unes aux autres, voire du fait de leur différences, ne doivent pas
être comparées sans précautions. Reste qu’il n’est pas interdit de chercher ce
qui pourrait favoriser une meilleure réussite d’un plus grand nombre d’élèves.

Comment, muni de tout cela, construire une dissertation autour du sujet : « L’école
permet-elle la réussite ? ». Il va de soi que tout ce qui précède ne doit pas figurer dans une
dissertation rédigée en 3 heures ! Il s’agit là du fonds de connaissances à disposition du
candidat, fonds dans lequel il va puiser pour nourrir sa dissertation dans le cadre d’un tel
sujet.

On peut par exemple partir de l’indétermination de la notion de réussite en prenant


d’abord ce mot dans son sens le plus large. Constater que l’Ecole joue désormais un rôle
important dans la recherche de la réussite ; se demander lequel ; puis si elle y parvient ; et
enfin, revenant à l’articulation entre réussite scolaire et réussite extra-scolaire, élargir la
réflexion sur la réussite pour se demander dans quelle mesure, et comment, la réussite scolaire
favorise cette réussite en un sens plus large.
L’école permet-elle la réussite ?
15

L’école permet-elle la réussite ?


(Plan possible de dissertation)

Le philosophe Emmanuel Kant affirmait que « malgré le désir qu'a tout homme d'arriver
à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que
véritablement il désire et il veut ». On peut en dire autant de la réussite : rares sont ceux qui
ne la souhaitent pas mais, sauf à sombrer dans un conformisme irréfléchi, tout aussi rares
ceux qui peuvent la définir de façon incontestable, ce qu’il faudra pourtant essayer de faire.
Cependant, dans toute société, la réussite d’un homme passe par son éducation, et dans
les sociétés contemporaines, la scolarisation joue un rôle important dans cette éducation.
On se demandera donc si, et dans quelle mesure, les institutions scolaires permettent
cette réussite. Nous montrerons dans un premier temps, d’une part que la réussite, longtemps,
n’est pas passée par l’Ecole et que d’autre part, lorsqu’elle a joué un rôle dans cette quête de
« réussite », ce mot a pu désigner des objectifs très différents. Nous examinerons dans un
second temps les processus historiques qui ont conduit à ce que l’Ecole, aujourd’hui, même si
elle n’en a pas le monopole, joue désormais un rôle essentiel dans la réussite d’un individu.
Nous serons alors amenés à constater que la réussite scolaire elle-même n’est pas assurée pour
tous les élèves et cela nous conduira à examiner les mesures prises pour la favoriser.
I) Y a t-il un lien nécessaire entre école et réussite ?

A) La scolarisation de masse est un phénomène relativement récent dans l’histoire


B) La recherche du Salut par l’étude (l’école d’Ancien Régime, issue de la Réforme
protestante et de la Contre-Réforme catholique).
C) L’école, lieu de formation des citoyens dans les républiques démocratiques.

II) Le rôle de l’école dans les sociétés industrielles

D) D’une école formant des citoyens à une école chargée d’assurer l’intégration dans les
sociétés modernes.
E) Du dualisme scolaire à l’unification progressive du système scolaire.
F) Les nouvelles missions sociales de l’Ecole : la réussite scolaire, condition de la réussite
sociale ?

III) La démocratisation de l’Ecole, démocratisation de la réussite ?

G) Le constat des inégalités sociales devant la réussite scolaire


H) Les effets de l’échec et de la réussite scolaires sur le destin des individus
I) La lutte contre l’échec scolaire (dans le contexte français, mais aussi en procédant à des
comparaisons internationales)

L’Ecole du XXIème siècle joue donc désormais un rôle important dans la réussite des
individus, même si celle-ci ne se réduit pas à la réussite scolaire : bien d’autres facteurs, qui
tiennent à la façon dont chacun cherche à conduire sa propre vie, contribuent à la réussite – et
plus généralement au bonheur – de chacun. La réussite scolaire cependant, on l’a vu, dans la
mesure où dans de nombreux domaines (celui de la citoyenneté ; celui de l’insertion dans le
monde du travail et par là, dans une certaine mesure, de l’insertion et de l’identité sociales),
est devenue un facteur très important de réussite. C’est la raison pour laquelle elle est l’objet
de préoccupations très pressantes, de politiques publiques plus ou moins efficaces, mais qui
en font régulièrement l’une de leurs priorités. L’école a pour mission de contribuer à la
réussite de chacun, mais force est de constater qu’elle n’y parvient toujours pas pour tous.

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