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Programme démocratisation
Analyse du sujet :
Il faut toujours être extrêmement attentif aux termes exacts du sujet, qui n’ont pas
été choisis au hasard par celui qui l’a formulé. Ici, comme on va voir c’est l’indétermination
(« l’école », sans autre précision) qui impose, tout en gardant la référence à l’Ecole
(l’institution), de déterminer le sens de ce mot, de même qu’il faudra s’interroger sur
d’autres formes de réussite que la réussite scolaire, ce qu’il faudra évidemment justifier en
introduction en se référant discrètement aux termes du sujet ; parfois, c’est au contraire
le(s) qualificatif(s) présent(s) dans le sujet qui impose(nt) de se restreindre à un champ
précis.
L’école dont il est question ici est l’institution scolaire. On note donc que l’absence de
qualification ne permet pas de décider de quelle école il s’agit : ni en termes de niveau (car la
réponse ne sera pas forcément la même selon qu’on parle de l’école primaire, secondaire,
supérieure, professionnelle, de l’université,… et elle ne sera pas la même si on parle de
l’école en général), ni en termes de détermination géographique ou historique.
L’école permet-elle à chacun de ses niveaux la réussite scolaire (et on voit qu’on pourra
à avoir à traiter séparément ce que beaucoup de systèmes scolaires étrangers appellent
1) « l’école fondamentale », - en général l’addition de notre école primaire et de notre collège
– école fondamentale obligatoire que la France s’efforce de construire depuis quelques
décennies sans y parvenir de façon satisfaisante ; 2) le lycée ; et 3) l’enseignement supérieur –
sachant que les orientations actuelles de politique publique visent à rapprocher le 2 & le 3).
de permettre la réussite ? Et qu’appelle-t-on ainsi ?). On pourra partir de cette question des
finalités de l’Ecole et de la question de savoir si elles sont atteintes, mais on perçoit bien
qu’on ne pourra pas réduire une dissertation de « Questions contemporaines » à cela.
On voit aussitôt que ce qu’il va absolument falloir également préciser, c’est la question
de savoir de quelle « réussite » on parle : réussite scolaire ? Réussite sociale ? Réussite
personnelle ? – et dans chacun de ces cas, qu’est-ce que réussir ? Or les correcteurs du
concours blancs reprochent à un très grand nombre de copies de ne pas s’être demandé ce
qu’il faut entendre par « réussite », comme si le sens de ce mot allait de soi (ce qui signifie
probablement qu’on construit sa dissertation sur la base d’un préjugé concernant la réussite.
Soit parce qu’en se limitant à la réussite scolaire, on préjuge que toutes les autres formes de
réussite s’y réduisent, soit en considérant que la seule réussite envisageable est la réussite
sociale et qu’au mieux la fonction de la réussite scolaire est d’y conduire - et souvent en ne se
posant pas la question de savoir s’il n’y a pas d’autres formes de réussite, individuelle ou
collective).
Car là encore, la notion de réussite appelle un autre complément : pas seulement la
réussite de quoi, mais la réussite de qui. Même si la référence à l’école impose de traiter de la
question de la réussite scolaire.
On voit cependant que, tel qu’il est formulé, le sujet impose dans tous les cas
d’interroger la question de la réussite dans son rapport à l’école, quitte à en arriver à affirmer
qu’il n’y a pas de rapport nécessaire. Une conclusion (il est vrai téméraire et qui exigerait un
solide travail d’argumentation) pourrait être que l’école ne permet pas la réussite, parce que la
question de la réussite se joue ailleurs. En revanche, il est très facilement soutenable que toute
forme de réussite ne se réduit pas à la réussite scolaire ni n’en est la conséquence nécessaire.
Le mot « réussite » suppose qu’un but, un objectif, a été atteint. Il peut désigner quelque
chose d’heureux, mais cette nuance n’est pas nécessaire (une expérience qui « a réussi »
signifie qu’on a obtenu les résultats attendus, mais ces résultats ne sont pas nécessairement
heureux, ils peuvent n’être qu’une simple vérification). Dans ces conditions, se demander si
l’Ecole permet la réussite peut renvoyer à au moins deux orientations : l’Ecole permet-elle à
ses élèves de réussir ? Ce qui peut soit vouloir dire « atteindre les buts que l’école a fixés »
soit, très différemment, « permettre à ses élèves de réaliser leurs propres objectifs ». On
pourra chercher à faire évoluer la réflexion entre ces deux questions dans la mesure où, s’il est
incontestable que ce ne sont pas les élèves qui décident d’aller à l’école, qui est obligatoire et
qui, même lorsqu’elle ne l’est plus officiellement est souvent vécue comme telle ; même si ce
ne sont pas les élèves qui fixent les objectifs scolaires (ce qui ne leur interdit pas de se les
approprier – c’est même sans doute souhaitable !), ce qui justifie cette obligation scolaire est
une fonction émancipatrice, visant à ce que les élèves deviennent autonomes, c’est-à-dire
capables de se fixer à eux-mêmes des objectifs qui leur permettent de devenir des hommes
accomplis et surtout de les atteindre.
Mais on peut aussi se demander si le système scolaire réussit : c’est-à-dire s’il atteint les
objectifs qui lui sont assignés de l’extérieur. C’est ce qu’on évoque lorsqu’on parle à son
propos d’ « obligation de résultats ». L’Ecole est une institution et à ce titre elle accomplit une
mission jugée d’intérêt général qu’elle n’est pas seule à définir. C’est du reste pourquoi, au
moins en France, elle est systématiquement qualifiée de « républicaine ». Reste à savoir
comment l’Ecole, c’est-à-dire ici ses publics et ses agents, reçoivent ces objectifs qui leur sont
plus ou moins assignés de l’extérieur.
Le contraire de la réussite, c’est l’échec. Et on pourra être conduit à expliciter la notion
d’ « échec scolaire », voire celle de système scolaire en échec.
L’école permet-elle la réussite ?
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Enfin, le verbe « permettre » peut avoir au moins deux sens : autoriser ou rendre
possible. L’énoncé du sujet considéré dans son ensemble incite à privilégier le second sens,
qui est celui qui lui donne le plus d’intérêt, mais on pourra tout à fait se demander à un
moment ou un autre si tous les élèves sont vraiment « autorisés » à réussir – c’est-à-dire s’il
n’y en a pas pour qui cette réussite est interdite. L’interdiction désignant ici moins une
volonté de ne pas laisser ces élèves réussir, que plus faiblement et de façon plus crédible, un
comportement – un mode de fonctionnement - qui, sans être totalement volontaire ni
conscient, pourrait être interprété comme ne visant pas vraiment, ou prioritairement, leurs
réussites. Ainsi, une école qui s’impose(rait) une fonction de sélection est (serait) une école
qui ne se fixe(rait) pas pour objectif que tous réussissent – donc juge(rait) nécessaire, au
moins de façon implicite, que certains échouent. On sait que le fonctionnement de l’Ecole
française est souvent accusé de produire nécessairement une hiérarchie entre ses élèves, qui
conduirait à ce qu’il y ait nécessairement des « perdants ». C’est la raison que certain identifie
pour expliquer l’attachement aux notes, aux moyennes, voire aux classements, aux dépens
d’une volonté de renforcer l’attention due à ceux qui réussissent plus difficilement ou plus
lentement.
Tout ceci, qui constitue donc l’analyse préliminaire du sujet, ne doit évidemment pas
figurer tel quel sur la copie. C’est l’ensemble des questions qu’on doit se poser au départ face
au sujet pour en comprendre le sens et repérer les différentes pistes de réflexion possibles –
et l’on doit garder en tête cette analyse pour déterminer ensuite une problématique
pertinente, c’est-à-dire dont on puisse dire de façon crédible qu’elle conduit à discuter le
problème central posé par le sujet - ce qu’on verra plus tard dans ce corrigé. Evidemment une
telle analyse n’est possible que parce qu’on ne découvre pas tout cela le jour du concours. On
s’y est préparé.
Il faut ici distinguer entre ce qu’on peut considérer comme des références
incontournables et, d’autre part, des connaissances et exemples qui relèvent davantage d’un
choix, d’une culture, ou d’orientations personnelles qui vont apporter à la dissertation sa
dimension originale, mot qui doit être entendu en deux sens : - ce qui fait que cette
dissertation ne ressemble pas à une autre ; mais aussi, et c’est souvent lié, ce qui fait que je
suis personnellement et réellement engagé dans ce que j’écris. L’originalité n’est donc pas
l’excentricité (qui risque ici d’être tout simplement un hors sujet ou un écrit qui ne respecte
pas les codes de la dissertation), mais l’authenticité de la réflexion. Et elle n’interdit pas, au
contraire, de prendre appui sur des connaissances acquises, des théories, des illustrations
empruntées à différents domaines, etc. Mais elle gagne à trouver des illustrations personnelles
de ce que l’on soutient, et dans le cadre de cette épreuve de concours, il est bon que ces
illustrations soient tirées de l’actualité – en gardant à l’esprit qu’une illustration, un exemple,
ne peuvent pas se substituer à la réflexion demandée. Ils permettent de mieux montrer la
réalité de ce dont on parle. Par ailleurs, être original, c’est s’engager, en s’appuyant sur des
arguments.
En Histoire :
contemporaine : les références historiques au passé doivent surtout avoir pour fonction de
relativiser certaines fausses évidences présentes qui méritent d’être mises à distance.
Par exemple on pourra signaler qu’au Moyen Âge et à la Renaissance, dans l’Ancien
régime et jusqu’à la Révolution Française, les enjeux de la scolarisation ont essentiellement
été des enjeux de formation religieuse ou de préparation à des fonctions administratives.
L’école ne concernait ni le peuple ni les nobles. Il est donc clair que pour la majorité, voire
pour tous, « réussir sa vie », si une telle préoccupation existait, ne passait pas par elle.
- La question de l’école a toujours été une question politique, mais les éléments
historiques qui précèdent permettent donc de comprendre que ses enjeux
politiques ont changé de nature au cours du temps. Sous l’Ancien Régime, dans
le contexte d’une monarchie de droit divin, une école centrée sur l’éducation
religieuse avait aussi pour effet d’assurer la fidélité à ce régime. La querelle
scolaire qui oppose l’Église catholique aux Républicains tout au long du XIXe
siècle vise précisément à neutraliser les tendances restauratrices d’une grande
partie des autorités catholiques et de construire une Ecole qui consolide les
convictions républicaines des élèves qu’elle forme.
En Sociologie :
« distinction »). L’école exigerait donc de ses élèves la maîtrise de choses qu’elle ne leur
transmettrait pas, mais qu’elle considèrerait comme des pré-requis jamais vraiment explicités,
sans lesquels la réussite scolaire n’est pas possible. De ce fait, elle ne permettrait la réussite
que des élèves maîtrisant par des voies extra-scolaires ces prérequis, la plupart des autres
étant promis à l’échec ou au moins à des difficultés. Les effets essentiels du fonctionnement
de l’institution scolaire consisteraient alors à donner le sentiment que des échecs et des
réussites en réalité plus ou moins déterminés à l’avance, donc injustes, seraient finalement
légitimes, en créant l’illusion que chacun a eu les mêmes chances au départ.
Ces analyses présentent l’intérêt de faire comprendre d’une part que les élèves ne
partent pas au départ avec les mêmes instruments de réussite scolaire, d’autre part que
l’égalité des chances passe par une plus grande attention à l’explicitation auprès des élèves de
ce qui leur est exactement demandé. Si l’école veut effectivement donner à tous ses élèves des
chances de réussir, il faut qu’elle fournisse à ceux qui ne les possèdent pas l’accès aux codes
et aux règles qu’ils ne peuvent pas acquérir dans l’espace privé. Il faut également que les
modalités d’enseignement ne présupposent pas que tous les élèves sont d’emblée en situation
de trouver de l’intérêt à ce qu’on leur enseigne. D’où le développement de préoccupations
pédagogiques plus soucieuses d’assurer cette égalité d’accès aux savoirs enseignés. Au final,
si l’école veut que tous ses élèves aient les mêmes chances de réussite, il faut qu’elle évite de
présupposer qu’il y a des pré-requis extrascolaires qui sont des conditions de cette réussite.
Moins convaincant est le second aspect des théories de la reproduction, lorsque celles-ci
donnent à penser que puisque les savoirs enseignés à l’école sont plus proches des références
culturelles des élèves issus des milieux socialement favorisés – et donc leur sont plus
facilement accessibles – ces savoirs sont des savoirs arbitraires, ce qui conduisit par exemple
Bourdieu et Passeron à décrire l’école comme un lieu de « transmission arbitraire d’un
arbitraire culturel ». Si l’on peut éventuellement soutenir que les enfants dotés d’un certain
capital culturel sont mieux préparés que d’autres à appréhender des démarches abstraites, ce
qui expliquerait qu’ils maîtrisent par exemple plus facilement les mathématiques, il devient
néanmoins contestable d’en tirer la conclusion que la procédure de résolution d’une équation
du second degré est du savoir bourgeois ! Et si la question ne se pose pas exactement de la
même façon dans le domaine de la littérature ou des sciences humaines, il n’en reste pas
moins qu’il est préférable de chercher à donner à tous la maîtrise et le goût de ces disciplines,
plutôt que de se résigner à ce qu’elles restent le privilège de quelques uns – ce qui n’a
d’ailleurs jamais été l’intention des théoriciens de la reproduction, mais que certains
contresens ont parfois induits. Enfin, comme on le verra, les théories de la reproduction laisse
inexpliqués les cas – pas forcément rares – de réussite scolaire d’enfants issus de milieux
populaires (dont Bourdieu lui-même était d’ailleurs l’illustration).
Parallèlement aux théories de la reproduction, la corrélation statistique entre les
inégalités de réussite scolaire et l’identité sociale des élèves a également été expliquée par une
autre démarche sociologique : la théorie de « l’individualisme méthodologique », initiée par
Raymond Boudon. Elle consiste à expliquer ces inégalités moins en termes de catégories
sociales, même si Boudon reconnaît bien, lui aussi, qu’il existe des corrélations entre identité
sociale et taux de réussite et d’échec scolaires, que par des stratégies individuelles. Boudon
s’intéresse particulièrement aux parcours d’élèves et aux mécanismes d’orientation. Il relève
que tous les mauvais élèves, quelle que soit leur origine sociale, sont dans les filières courtes
ou les voies scolaires les moins sélectives. De même, les meilleurs élèves sont en général
orientés dans les voies les plus prestigieuses, voire les plus longues, quelle que soit leur
origine sociale. La différence se joue donc au niveau des élèves moyens, qui sont en vérité les
plus nombreux. L’orientation relève alors d’un calcul confrontant l’investissement que
demanderait une filière plus longue ou plus prestigieuse aux chances de réussite et aux gains
attendus. Dans ce contexte, les familles de milieux plus modestes, souvent encouragées en
L’école permet-elle la réussite ?
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cela par les enseignants, auraient tendance à faire des choix bien moins ambitieux que les
familles de milieu plus favorisé. Sans nier la nécessité d’expliciter auprès de tous les élèves
les exigences qui sont des conditions de la réussite scolaire, comme l’ont déjà signalé les
théories de la reproduction, Raymond Boudon considère que ces mécanismes d’orientation
relevant de stratégies individuelles sont les plus déterminants en matière d’inégalités de
réussite ou d’échec scolaires. Il déplore donc que ce ne soit pas les seuls résultats scolaires
des élèves qui servent de critères pour décider de leurs orientations. Convaincante sur ce
point, la théorie de l’individualisme méthodologique peut cependant être accusée de sous-
estimer le poids de ce que les théories de la reproduction appellent le capital culturel. S’il est
légitime d’exiger que le destin scolaire des élèves soit exclusivement déterminé par la réussite
scolaire antérieure, il est sans doute réducteur de croire que celle-ci dépend exclusivement de
facteurs internes à l’école.
Des courants sociologiques plus récents, sans forcément récuser les points essentiels des
analyses précédentes, ont jugé nécessaire de produire des analyses plus fines, inspirées par
des enquêtes de terrain beaucoup plus concrètes, attentives à la complexité des trajectoires
scolaires. Bernard Lahire, par exemple, dans son livre Tableaux de familles, étudie des élèves
de CE2 tous issus de milieux populaires, dont certains, au regard des évaluations nationales,
sont déclarés en réussite tandis que d’autres sont en échec. Il montre qu’en effet ce qui se
passe dans les familles entrave ou favorise la réussite scolaire, y compris au sein des mêmes
milieux sociaux (en l’occurrence populaires). La présence ou non de pratiques d’écriture
domestique (les petits mots qu’on s’écrit, les post-it qu’on place sur le réfrigérateur, les listes
de courses, la communication intra-familiale par la voie de l’écrit, les relations écrites ou non
avec les administrations,…) a ainsi des effets de familiarisation (ou non) avec la culture
écrite qui sera dominante à l’école – indépendamment de la pertinence et de l’efficacité
pratique de ces comportement. De même, le mode d’exercice de l’autorité parentale, au coup
par coup (où le mot « coup » peut être pris dans les deux sens…) qui consiste à frapper ou
crier ponctuellement, par opposition à une autorité qui renvoie à des règles stables et par là
responsabilise, sont en opposition ou au contraire en accord avec l’exigence d’autonomie qui
sera celle de l’école (les élèves derrière lesquels il n’est pas nécessaire d’intervenir en
permanence pour qu’ils fassent ce qu’on leur demande, qui ne sont pas toujours en train de
demander « ce qu’il faut faire après », qui – en matière de comportement comme en matière
d’apprentissages - comprennent les règles et les appliquent tout seuls…). Ou encore, le mode
de gestion du temps familial, improvisé ou au contraire planifié, sera plus ou moins
préparatoire au temps extrêmement régulé de l’école.
Lahire montre ainsi que ce qui se passe au quotidien dans les familles a bien des effets
qui favorisent ou entravent la réussite scolaire, mais que cela passe par des mécanismes
beaucoup plus subtils que la simple appartenance sociale et qui ont peu à voir avec une
prétendue démission des parents ou un manque d’ambition pour leurs enfants. Exemple de ce
père qui bat sa fille parce qu’elle ne réussit pas à l’école (ce qui n’est sans doute pas une
marque d’indifférence ou de démission, mais qui n’est pas non plus un mode d’exercice de
l’autorité initiant sa fille aux règles de l’école) et qui déclare par ailleurs qu’il ne lui achète
pas de livre, parce qu’il ne veut pas « qu’elle perde son temps à des conneries »… Comme le
soutient donc Lahire, les hommes du XXe sont « multiples », donc pas si facilement
assignables à une appartenance sociale. On peut être ouvrier et organiser sa vie quotidienne de
telle sorte que ses enfants héritent de codes et d’un rapport au monde qui faciliteront
l’insertion dans ce monde très particulier qu’est l’école.
D’autres sociologues (par exemple Bernard Charlot, Elisabeth Bauthier, Jean-Yves
Rochex) ont théorisé ce qu’ils ont appelé le « rapport au savoir » des élèves. Cela les conduit
à opposer deux grandes catégories d’élèves. Tous considèrent que l’école et la réussite
scolaire sont importantes. Mais lorsqu’on leur demande pourquoi, les premiers répondent
L’école permet-elle la réussite ?
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Les pouvoirs publics ont de longue date, dans la plupart des pays, pris conscience de la
nécessité de mettre en place des politiques publiques pour favoriser la réussite d’un plus grand
nombre possible d’élèves.
que la majorité des élèves suivent une forme ou une autre d’enseignement secondaire. En
1963-64, la réforme Fouchet-Capelle instaure l’école (primaire) unique et le CES (collège
d’enseignement secondaire, avec ses trois voies : général long préparant à l’entrée au lycée en
seconde ; général court préparant à la sortie du système scolaire ou à l’orientation en lycée
technique après le brevet ; transition-pratique, pour les élèves les plus en difficulté). En 1975,
la réforme Haby fusionne ces trois voies et crée le collège unique. Puis en 1985, le ministère
Chevènement énonce l’objectif de 80% d’une classe d’âge au niveau du bac à l’horizon 2000
et crée le baccalauréat professionnel. La loi d’orientation dite Loi Jospin, en 1989, organise
les enseignements en cycles (de trois années en primaire) de façon à instaurer une souplesse
permettant à l’école de s’adapter aux rythmes d’apprentissage différents selon les élèves.
Surtout, elle tend à rapprocher les enseignants du secondaire et du primaire en imposant à tous
une formation universitaire, en créant les IUFM dont la mission est de dispenser une
formation en partie commune à tous les enseignants, et en créant un nouveau corps
d’enseignants pour le primaire : les professeurs des écoles, élevés même rang (catégorie A de
la fonction publique) que leurs collègues du secondaire et recrutés au même niveau
universitaire. La loi Jospin vise donc elle aussi à effacer - avec plus ou moins de succès - le
dualisme scolaire, mais cette fois au niveau des corps enseignants. Enfin, en 2004, la loi
d’orientation Fillon instaure au niveau du primaire et du collège un Socle commun de
connaissances et de compétences visant à garantir pour la totalité des élèves l’acquisition d’un
tronc commun, élément de réforme repris et restructuré en 2012 par le ministère Peillon sous
le nom de Socle commun de connaissances et de culture et par une redéfinition des cycles (le
cycle 3, réunissant CM1-CM-6ème, visant clairement à rapprocher le primaire et le collège).
Le mouvement historique ainsi restitué peut être interprété comme une volonté
d’assurer la réussite d’un maximum d’élèves en facilitant l’accès à l’enseignement secondaire,
et aujourd’hui à l’enseignement supérieur (objectif de 50% d’une classe d’âge au niveau de la
licence). Cependant, la réussite incontestable de cette démocratisation de l’accès à
l’enseignement long n’assure pas, on l’a vu, une égale réussite scolaire. Forts de ce constat,
certains ont opposé la « démographisation » à la « démocratisation » de l’école.
Un second volet des politiques publiques a consisté, dans le sillage des enseignements de la
sociologie de l’éducation et des publics scolaires, à viser une adaptation des modalités
d’enseignement et de prise en charge des publics en difficultés afin de favoriser leur réussite.
Ces politiques ont pris plusieurs aspects.
mais elles ont peut-être limité la casse, dans un contexte de difficultés sociales
de plus en plus préoccupantes. Cette évaluation a conduit à un certain nombre de
préconisations en vue d’améliorer les résultats scolaires : se centrer sur les
apprentissages proprement scolaires en veillant au respect des programmes
nationaux, afin de ne pas créer une école de seconde zone ; assurer au niveau
des bassins scolaires une cohérence des trajectoires d’élèves et des politiques
d’établissements ; se centrer davantage sur les élèves en difficulté que sur les
stratégies globales, par exemple en assurant la prise en charge individualisée de
ces difficultés (aides aux élèves en difficultés, stages pendant les vacances,…)…
o Une légende veut, comme on l’a vu à travers les analyses sociologiques, que
les parents soient trop souvent « démissionnaires ». Il faut d’abord rappeler
que l’instauration de l’école obligatoire, si elle ne s’est certainement pas
faite contre les familles, présupposait que l’école pouvait assurer en matière
éducative un certain nombre de missions qu’on ne pouvait pas demander à
toutes les familles. Il faut donc garder à l’esprit qu’il serait contradictoire de
demander aux familles ce qui a précisément justifié, parce qu’elle ne pouvait
pas elle-même le garantir, qu’on leur impose d’envoyer leurs enfants à
l’école. Du reste, longtemps les familles ont été tenues à l’écart de l’école,
de ce qu’on y faisait et des décisions qu’on y prenait concernant leurs
enfants, dont elles étaient simplement informées. Ce n’est que plus
tardivement, à vrai dire après les mouvements de 1968, que le ministère a
peu à peu fait entrer les familles dans l’espace scolaire, d’abord par la voie
de représentants élus, puis en encourageant les rencontres régulières entre
parents et enseignants (par exemple, à l’école primaire, en organisant
systématiquement, dans chaque classe, une réunion obligatoire de début
d’année qui permet à l’enseignant(e) de présenter l’année scolaire, son
déroulement et ses enjeux ; d’expliquer ses méthodes, ses attentes).
Actuellement, la notion de « coéducation » (école/famille) est régulièrement
utilisée dans le cadre des politiques publiques pour inciter à un partenariat
plus collaboratif entre Ecole et Famille – étant entendu que chacun doit jouer
son rôle spécifique, mais dans la compréhension mutuelle. Et il est aussi
essentiel que les familles comprennent en quoi et comment, à leur place,
elles peuvent favoriser la réussite de leurs enfants que, d’autre part, les
enseignants perçoivent la nature des obstacles que leurs élèves ont à franchir.
Parallèlement, dans le cadre de la politique de la ville (sous la
responsabilité de l’Etat) et d’un certain nombre de politiques municipales, des
efforts sont faits pour aider les parents à comprendre comment ils peuvent
avoir un rôle positif dans la scolarité de leurs enfants, sans que pour autant
leur soit demandé de faire à la place de l’école ce qui lui revient. En
établissant un lien avec ce que les études sociologiques établissent en la
matière, on voit comment la question des relations avec les familles peut
contribuer à favoriser la réussite scolaire d’un plus grand nombre d’élèves :
inciter à la fréquentation de bibliothèques et de lieux culturels ; informer de
L’école permet-elle la réussite ?
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o Enfin, la lutte contre l’échec scolaire oppose, parfois de façon très virulente,
des stratégies divergeantes, visant à réformer le système scolaire. Pour les
uns, la réussite passe par une modification profonde de l’organisation des
études et des méthodes pédagogiques, plus attentives à la diversité et aux
difficultés multiples des élèves. Pour les autres, elle passe au contraire par
une restauration de méthodes considérées comme traditionnelles et censées
avoir fait leur preuve dans le passé, quitte à restaurer des filières plus
étanches et/ou plus courtes, des orientations plus précoces vers les voies
professionnelles, voire vers l’apprentissage. Les querelles désormais
décennales entre « pédagogues » accusés d’être insuffisamment exigeants et
trop peu soucieux de la qualité des contenus enseignés et anti-pédagogues
(auto-proclamés « républicains ») défenseurs de la pureté et de la rigueur des
disciplines enseignées, sont assez bien illustrées actuellement, dans le cadre
de la réforme des collèges, par le clivage entre opposants et partisans des
enseignements pluridisciplinaires introduits par cette réforme : ces modalités
d’enseignements sont accusées de remplacer l’enseignement des
connaissances par des « activités » peu instructives selon les uns ; elles sont
présentées par les autres comme au contraire susceptibles de renforcer aux
yeux des élèves le sens et les enjeux de ce qu’on leur enseigne en montrant
comment la convergence des acquis disciplinaire permet de mieux
comprendre la réalité. La question est alors de savoir ce qui favorise le plus
L’école permet-elle la réussite ?
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On peut ici comparer le système français avec ce qui s’est fait ailleurs.
La Finlande par exemple, en tête et longtemps première dans les classements
internationaux (études PISA conduites par l’OCDE) doit son succès à un
certain nombre de mesures prises il y a déjà quelques décennies, au tournant
des années 60 et 70. La Finlande, qui éjectait jusqu’alors de son système
scolaire la moitié de ses élèves à l’âge de 11 ans, instaure une école
fondamentale unique de 6/7 à 14/15 ans, durant laquelle tous les élèves
suivent un cursus commun, sans redoublements ni notes, mais dans un cadre
éducatif extrêmement attentif au niveau, aux difficultés, et aux apprentissages
réels de chaque élève (ce qui conduit à renoncer au cadre de la classe et à
procéder à des redistributions régulières des répartitions d’élèves : non pas
des élèves qui, toujours dans la même classe, suivent les mêmes
enseignements, mais une recomposition du groupe selon les disciplines et le
niveau de chacun). S’ajoute à cela des occasions multiples de travail en petits
groupes, des dispositifs de soutien individuel aux élèves connaissant des
difficultés, une place importante laissée aux études pluridisciplinaires et… un
recrutement et une formation exigeants pour des enseignants accédant à un
métier très bien considéré et bien payé…
Sortis de cet enseignement fondamental obligatoire, la plupart des
élèves entrent alors dans une filière soit générale, soit professionnelle, les
deux filières offrant la possibilité des passerelles entre les deux, et la politique
éducative finlandaise visant à ce que la filière professionnelle conduise
comme la filière générale à des études et des diplômes d’enseignement
supérieur. La Finlande réussit ainsi non seulement à proposer l’un des
systèmes scolaires les plus performant en termes de résultats d’ensemble dans
les comparaisons internationales, mais également à ce que ce système soit le
moins inégalitaire : un de ceux qui ont le plus réduit l’écart entre les élèves
qui réussissent le mieux et ceux qui ont les moins bons résultats, et surtout un
L’école permet-elle la réussite ?
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de ceux pour lesquels les inégalités sociales (il est vrai moins criantes
qu’ailleurs) se transforment le moins en inégalités scolaires.
L’Allemagne au contraire de la Finlande, propose dans un certain
nombre de Länder un système très cloisonné, puisque dès la sortie de l’école
primaire les élèves sont distribués entre trois types d’établissements très
distincts. Mais l’Allemagne a ceci de commun avec la plupart des pays
nordiques, d’une part que les voies professionnelles n’y sont pas des voies de
relégation, comme c’est trop souvent le cas en France : elles sont des voies de
réussite, moins prestigieuses que les voies générales, mais réelles. D’autre
part, les diplômes y jouent un rôle moins déterminant en matière de destin
professionnel et social que dans notre pays : on peut, en Allemagne, entrer
dans une entreprise à l’issue d’un diplôme professionnel et y gravir peu à peu
tous les échelons jusqu’à occuper des fonctions dirigeantes ; on doit souvent,
s’y on arrive diplômé du supérieur, faire ses preuves avant d’occuper ces
fonctions. La question de la réussite sociale et professionnelle y est donc
gérée autrement que dans le système français.
Il ne s’agit évidemment pas de dire qu’il suffirait de clôner des
systèmes éducatifs étrangers pour assurer le succès du nôtre : les institutions
scolaires relèvent de facteurs et de traditions complexes et ne peuvent pas se
substituer les unes aux autres, voire du fait de leur différences, ne doivent pas
être comparées sans précautions. Reste qu’il n’est pas interdit de chercher ce
qui pourrait favoriser une meilleure réussite d’un plus grand nombre d’élèves.
Comment, muni de tout cela, construire une dissertation autour du sujet : « L’école
permet-elle la réussite ? ». Il va de soi que tout ce qui précède ne doit pas figurer dans une
dissertation rédigée en 3 heures ! Il s’agit là du fonds de connaissances à disposition du
candidat, fonds dans lequel il va puiser pour nourrir sa dissertation dans le cadre d’un tel
sujet.
Le philosophe Emmanuel Kant affirmait que « malgré le désir qu'a tout homme d'arriver
à être heureux, personne ne peut jamais dire en termes précis et cohérents ce que
véritablement il désire et il veut ». On peut en dire autant de la réussite : rares sont ceux qui
ne la souhaitent pas mais, sauf à sombrer dans un conformisme irréfléchi, tout aussi rares
ceux qui peuvent la définir de façon incontestable, ce qu’il faudra pourtant essayer de faire.
Cependant, dans toute société, la réussite d’un homme passe par son éducation, et dans
les sociétés contemporaines, la scolarisation joue un rôle important dans cette éducation.
On se demandera donc si, et dans quelle mesure, les institutions scolaires permettent
cette réussite. Nous montrerons dans un premier temps, d’une part que la réussite, longtemps,
n’est pas passée par l’Ecole et que d’autre part, lorsqu’elle a joué un rôle dans cette quête de
« réussite », ce mot a pu désigner des objectifs très différents. Nous examinerons dans un
second temps les processus historiques qui ont conduit à ce que l’Ecole, aujourd’hui, même si
elle n’en a pas le monopole, joue désormais un rôle essentiel dans la réussite d’un individu.
Nous serons alors amenés à constater que la réussite scolaire elle-même n’est pas assurée pour
tous les élèves et cela nous conduira à examiner les mesures prises pour la favoriser.
I) Y a t-il un lien nécessaire entre école et réussite ?
D) D’une école formant des citoyens à une école chargée d’assurer l’intégration dans les
sociétés modernes.
E) Du dualisme scolaire à l’unification progressive du système scolaire.
F) Les nouvelles missions sociales de l’Ecole : la réussite scolaire, condition de la réussite
sociale ?
L’Ecole du XXIème siècle joue donc désormais un rôle important dans la réussite des
individus, même si celle-ci ne se réduit pas à la réussite scolaire : bien d’autres facteurs, qui
tiennent à la façon dont chacun cherche à conduire sa propre vie, contribuent à la réussite – et
plus généralement au bonheur – de chacun. La réussite scolaire cependant, on l’a vu, dans la
mesure où dans de nombreux domaines (celui de la citoyenneté ; celui de l’insertion dans le
monde du travail et par là, dans une certaine mesure, de l’insertion et de l’identité sociales),
est devenue un facteur très important de réussite. C’est la raison pour laquelle elle est l’objet
de préoccupations très pressantes, de politiques publiques plus ou moins efficaces, mais qui
en font régulièrement l’une de leurs priorités. L’école a pour mission de contribuer à la
réussite de chacun, mais force est de constater qu’elle n’y parvient toujours pas pour tous.