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Philosophie

La science-fiction et la philosophie sont deux disciplines qu’on ne relient pas souvent de


prime abord. La science-fiction a pour objectif d’imaginer, de prévoir et de décrire les conséquence
d’un postulat de départ, basé sur les connaissances technologiques et scientifiques actuelles, dans un
futur plus ou moins lointain. Contrairement à la philosophie, la science-fiction utilise généralement
les sens, les émotions et l’expérience plutôt que la raison afin d’étayer une idée ou une critique.
Sachant cela, comment se fait-il que l’on puisse mettre en parallèle une œuvre de science-fiction
comme Matrix et un concept philosophie comme l’allégorie de la caverne de Platon ?
Pour répondre à cette question nous résumerons rapidement les deux œuvres et étudieront leurs
différences mais aussi et surtout leurs points communs.

L’allégorie de la caverne est une allégorie enoncée par Platon dans La République. Elle met
en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une grotte représentant le monde sensible. Les
prisonniers de la caverne ne peuvent pas accéder à la vérité et sont convaincus que les ombres qu’ils
voient sur les parois sont la seule réalité. Cette caverne s’oppose à l’extérieur, le monde réel, le
monde de la vérité, éclairé par le Soleil symbolisant le bien absolu. Par cette allégorie Platon
cherche à montrer à quel point notre vision de la réalité est subjective et soumise à nos sens. Platon
encourage donc à dépasser les apparences et à remettre en question la réalité sensible afin d’accéder
à la vérité, il incite les « prisonniers » à se libérer de leurs « chaînes », les sens, et à contempler le
« Soleil », le monde véritable et absolu auquel on parvient qu’à force de raisonnement.

Programmeur anonyme dans un service administratif le jour, Thomas Anderson devient Neo
la nuit venue. Sous ce pseudonyme, il est l'un des pirates les plus recherchés du cyber-espace. À
cheval entre deux mondes, Neo est assailli par d'étranges songes et des messages cryptés provenant
d'un certain Morpheus. Celui-ci l'exhorte à aller au-delà des apparences et à comprendre ce qu’est la
matrice. Neo découvre que son monde est une illusion, un ensemble de sensations inoculées à son
cerveau de force pour le maintenir dans une prison virtuelle crée par des intelligences artificielles
afin qu’elle puissent utiliser les humains comme source d’énergie. La Matrice est une prison
d’autant plus redoutable qu’elle n’est pas perçue comme telle par ceux qui y sont enfermés. Ne
pouvant pas se considérer comme à l’intérieur de la prison parce qu’ils n’en perçoivent pas les
murs, ils sont dépossédés de la faculté d’imaginer qu’un extérieur soit possible.

Les prisonniers de la Caverne prennent les ombres projetées sur le mur, ici la Matrice, pour
la réalité, et ignorent que le « monde réel » se trouve à l’extérieur. Pour eux la Caverne c’est le
monde et lorsqu’ils expérimentent la vérité, leur réalité illusoire s’écroule et avec elle toutes leurs
convictions. Notre premier réflexe est de refuser cette vérité, comme le fait Neo lorsqu’il sort de la
matrice, puisque la perspective d’avoir vécu dans le mensonge toute notre vie, pendant près de 30
ans pour Neo, est très effrayante et anéantit tout nos repères. C’est exactement ce que Platon
démontre avec le passage « il sera d’abord cruellement ébloui par une lumière qu’il n’a pas
l’habitude de supporter. Il souffrira de tous les changements. Il résistera et ne parviendra pas à
percevoir ce que l’on veut lui montrer. », le prisonnier sera aura toujours une réaction de déni et de
rejet face à la vérité.

Même libérés les personnages ont pourtant conscience que l’univers virtuel n’est pas si faux.
Parce que leurs actes y ont des conséquences bien réelles : tuer et se faire tuer, parce que leurs sens
et leurs cerveaux prennent la Matrice pour vraie. Les sens impose leurs vision du réel, malgré le fait
que la raison sache pertinemment qu’il s’agisse d’une supercherie. Tout nous sembles bien vrai
même si nous avons conscience que cela n’est pas le cas. La vraisemblance sensitive de la Matrice
prend le pas sur l’intellectualisation de sa fausseté. Ce que dit Cypher lors de son rendez vous avec
Smith nous permets d’encore mieux le comprendre. « Je sais que ce steak n’existe pas. Je sais que
quand je le mets dans ma bouche, la Matrice me dit qu’il est juteux et délicieux. Après neuf ans…
vous savez ce que j’ai réalisé ? Les ignorants sont bénis. »
Matrix pose la question de notre définition du réel et invite, comme Cypher, à remettre en question
la supériorité du réel. Même si le steak n’existe pas « pour de vrai », le fait de le manger produit
exactement tous les effets attendus : goût, texture, et peut-être même les effets nutritionnels via la
machine à l’extérieur. Idem pour les balles des armes à feu, qui tuent dans le « monde réel » des
corps qui n’ont pourtant pas reçu de projectile « pour de vrai », simplement en convaincant leur
cerveau que c’est le cas. Si les conséquences sont réelles, peut-on vraisemblablement dire que leur
cause ne l’est pas ? A la manière des prisonniers de la Caverne de Platon, les prisonniers de la
Matrice ignorent tout du monde extérieur. Leur réalité n’est pas la même que ceux qui s’en sont
extraits, mais elle est tout autant légitime. La réalité est un concept flou et complexe, dans la mesure
où nous n’avons aucune connaissance du monde en dehors de nos sens. On ne pourra jamais
prouver avec certitude que nous ne vivons pas dans une Matrice, comme le prouve expérience de
pensée du cerveau dans une cuve de Putnam. Ce qui fait de la Matrice une réalité aussi légitime que
le monde extérieur.

La création d'une cité juste est le but ultime de Platon dans la République, laquelle est elle-
même la condition de la justice entre les individus. Or, cela n'est possible que si les philosophes
prennent les rênes de l'État autrement dit, uniquement si les rois se font philosophes ou les
philosophes rois. Cette idée tient à ce que, selon Platon, seuls les philosophes disposent par leur
connaissance des Idées, et plus particulièrement de l'Idée de Bien, les compétences nécessaires pour
diriger la Cité. Ce concept de roi philosophe rappelle Neo, anagramme de (The) One, signifiant
l’élu, qui est selon Morpheus l’élu qui sauvera les humains des machines. Cette vision prophétique
d’un individu s’extirpant de la matrice pour apprendre la vérité puis y retournant afin de délivrer les
humains est la même que celle des rois philosophes devant s’extirper de la caverne afin de
découvrir le monde extérieur puis de retourner dans la caverne pour gouverner les prisonniers afin
de les aider à atteindre le bien absolu.

Les manipulateurs d’objets de la caverne sont les personnages tirant profit de la situation des
prisonniers afin de les tromper, ils n’ont pas d’intérêts à forger des images vraies, puisque forger des
images fausses leur profitent. Dans Matrix, les manipulateurs d’objets ont créer cettre prison afin de
contraindre les humains physiquement pour les exploiter en récoltant leurs énergie mais également
en aliénant leurs esprit, évitant toute rebellions. La Matrice est exactement cela : une prison
psychique, un moyen de contrôle, un procédé dont le but est de garder la population humaine
dominée sans qu’elle le sache. Chacun y fait ce qu’il veut tant qu’il reste dedans, inconscient des
murs qui l’enferment.

Pour conclure, Matrix est une illustration très réussie de l’allégorie de la caverne, utilisant
des moyens uniques qui sont propres à l’audiovisuel, au cinéma, à la science-fiction. Les deux
œuvres sont similaires car elles mettent en scènes plusieurs éléments communs : des prisonniers,
une caverne, des manipulateurs, un élu libérant les prisonniers. Cependant, là où la caverne est une
prison dont il faut s’échapper pour atteindre un monde meilleur, le monde de Matrix n’offre qu’« un
désert du réel » et où les humains ne sont libres que d’une chose, choisir entre la vérité pessimiste et
le mensonge réconfortant. Dans les deux cas, la caverne et la matrice sont universelle puisque
lorsque le spectateur où le lecteur projette un système illusoire bien précis sur cette allégorie, il se
projette lui-même, son passé, son vécu, ses idées. Cette allégorie est donc adaptable à toute les
situations possibles et imaginables. Elle est tout et rien à la fois.

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