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Licence 2 – Semestre 1 Université Toulouse 2 Jean Jaurès

UE HI00302T
HISTOIRE DE LA FRANCE MODERNE

FASCICULE DES DOCUMENTS ETUDIES EN TD


Groupe 2, Mardi (14h-18h)

Laura GARET
laura.garet@univ-tlse2.fr

Année 2022-2023
Sujet 1. Les manouvriers selon Vauban

Parmy le même Peuple, notamment celuy de la Campagne, il y a un trés-grand nombre de


gens qui ne faisant profession d'aucun Métier en particulier, ne laissent pas d'en faire plusieurs trés-
nécessaires, et dont on ne sçauroit se passer. Tels sont ceux que nous appellons Manoeuvriers,
dont la plûpart n'ayant que leurs bras, ou fort peu de choses au-delà, travaillent à la journée, ou par
entreprise, pour qui les veut employer. Ce sont eux qui font toutes les grosses besognes, comme
de faucher, moissonner, battre à la Grange, couper les Bois, labourer la Terre et les Vignes,
défricher, boucher les Heritages, faire ou relever les Fossez, porter de la terre dans les Vignes et
ailleurs, servir les Maçons, et faire plusieurs autres Ouvrages qui sont tous rudes et penibles. Ces
gens peuvent bien trouver à s'employer de la sorte une partie de l'année, et il est vray que pendant
la Fauchaison, la Moisson et les Vendanges, ils gagnent pour l'ordinaire d'assez bonnes journées ;
mais il n'en est pas de même le reste de l'année. Et c'est encore ce qu'il faut examiner avec
beaucoup de soin et de patience, afin de bien démêler les forts des foibles, et toûjours avec cet
esprit de justice et de charité si necessaire en pareil cas, pour ne pas achever la ruine de tant de
pauvres gens, qui en sont déjà si prés, que la moindre surcharge au-delà de ce qu'ils peuvent
porter, acheveroit de les accabler.
Or la Dixme de ceux-cy ne sera pas plus difficile à régler que celle du Tisserand, pourvû
qu'on s'en veüille bien donner la peine, en observant de ne les cottiser qu'au trentiéme, tant par les
raisons déduites en parlant du Tisserand qui conviennent à ceux-cy, qu'à cause du chommage
fréquent ausquels ces pauvres Manoeuvriers sont sujets, et des grandes peines qu'ils ont à
supporter. Car on doit prendre garde sur toutes choses à ménager le menu Peuple, afin qu'il
s'accroisse, et qu'il puisse trouver dans son travail de quoy soûtenir sa vie, et se vêtir avec quelque
commodité. Comme il est beaucoup diminué dans ces derniers temps par la Guerre, les maladies,
et la misere des cheres années, qui en ont fait mourir de faim un grand nombre, et réduit beaucoup
d'autres à la mendicité, il est bon de faire tout ce qu'on pourra pour le rétablir ; d'autant plus que la
plûpart n'ayant que leurs bras affoiblis par la mauvaise nourriture, la moindre maladie ou le
moindre accident qui leur arrive, les fait manquer de pain, si la charité des Seigneurs des lieux et
des Curez, ne les soûtient.
C'est pourquoy, comme j'ay fait un détail de ce que peut gagner un Tisserand, et de ce qu'il
peut payer de Dixme Royale et de Sel, il ne sera pas hors de propos d'en faire autant pour le
Manouvrier de la Campagne.
Je suppose que des trois cens soixante-cinq jours qui font l'année, il en puisse travailler
utilement cent quatre vingt, et qu'il puisse gagner neuf sols par jour. C'est beaucoup, car il est
certain, qu'excepté le temps de la Moisson et des Vendanges, la plûpart ne gagnent pas plus de
huit sols par jour l'un portant l'autre ; mais passons neuf sols, ce seroit donc quatre-vingt-cinq livres
dix sols, passon quatre-vingt-dix livres ; desquelles il faut ôter ce qu'il doit payer, suivant la derniere
ou plus forte Augmentation, dans les temps que l'Etat sera dans un grand besoin, c'est-à-dire le
trentiéme de son gain, qui est trois livres, ce qui doublé fera six livres, et pour le Sel de quatre
personnes, dont je suppose sa famille composée, comme celle du Tisserand, sur le pied de trente
livres le Minot, huit livres seize sols, ces deux sommes ensemble porteront celle de quatorze livres
seize sols, laquelle ôtée de quatre-vingt-dix livres, restera soixante et quinze livres quatre sols.

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Comme je suppose cette famille, ainsi que celle du Tisserand, composée de quatre
personnes, il ne faut pas moins de dix septiers de Bled mesure de Paris pour leur nourriture. Ce
bled, moitié froment, moitié seigle, le froment estimé à sept livres, et le seigle à cinq livres par
commune année, viendra pour prix commun à six livres le septier mêlé de l'un et l'autre, lequel
multiplié par dix, fera soixante livres, qui ôtez de soixante-quinze livres quatre sols, restera quinze
livres quatre sols ; sur quoy il faut que ce Manoeuvrier paye le loüage, ou les réparations de sa
maison, l'achat de quelques meubles, quand ce ne seroit que de quelques écuelles de terre ; des
habits et du linge ; et qu'il fournisse à tous les besoins de sa famille pendant une année.
Mais ces quinze livres quatre sols ne le meneront pas fort loin, à moins que son industrie, ou
quelque Commerce particulier, ne remplisse les vuides du temps qu'il ne travaillera pas ; et que sa
famme ne contribuë de quelque chose à la dépense, par le travail de sa Quenoüille, par la Coûture,
par le Tricotage de quelque paire de Bas, ou par la façon d'un peu de Dentelle selon le Païs ; par la
culture aussi d'un petit Jardin ; par la nourriture de quelques Volailles, et peut-être d'une Vache,
d'un Cochon, ou d'une Chévre pour les plus accommodez, qui donneront un peu de lait ; au
moyen de quoy il puisse acheter quelque morceau de lard, et un peu de beurre ou d'huile pour se
faire du potage. Et si on n'y ajoûte la culture de quelque petite piece de terre, il sera difficile qu'il
puisse subsister ; ou du moins il sera réduit luy et sa famille à faire une trés-miserable chere. Et si au
lieu de deux enfants il en a quatre, ce sera encore pis jusqu'à ce qu'ils soient en âge de gagner leur
vie. Ainsi de quelque façon qu'on prenne la chose, il est certain qu'il aura toûjours bien de la peine
à attraper le bout de son année. D'où il est manifeste que pour peu qu'il soit surchargé, il faut qu'il
succombe : ce qui fait voir combien il est important de le ménager.

Source : Sébastien LE PRESTRE DE VAUBAN, La dîme royale, Présentation par Emmanuel LE ROY
LADURIE, Paris, Imprimerie nationale, coll. Acteurs de l’histoire, 1992, p. 127-131.

Bibliographie : Pierre GOUBERT, Cent mille provinciaux au XVIIe siècle. Beauvais et le Beauvaisis de
1600 à 1730, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1977 ; Pierre GOUBERT, La vie quotidienne des
paysans français au XVIIe siècle, Paris, Hachette, 1982 ; Marcel LACHIVER, Les années de misère. La
famine au temps du Grand roi, Paris, Fayard, 1991 ; Roland MOUSNIER, La Dîme de Vauban, Paris,
CDU, 1968 ; M. PARENT, Vauban. Un Encyclopédiste avant l’heure, Paris, Berger-Levrault, 1982 ;
Michèle VIROL éd., Les oisivetés de Monsieur de Vauban, Seyssel, Champ Vallon, 2007.

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Sujet 2. L’industrie textile en Normandie et l’apparition
de la « spinning-jenny » par un inspecteur des manufactures (1787)

La Normandie est la province du royaume la plus riche et la plus abondante par ses
différentes productions. Des trois généralités qu’elle renferme, Rouen l’emporte beaucoup sur les
deux autres par la quantité de ses fabriques en différents genres. La plus considérable est celle de
la toilerie. Elle est partagée en deux, savoir la fabrique de la ville et banlieue, et la fabrique de la
campagne. La plupart des fabricants de la ville ont leurs métiers à la campagne jusqu’à 8 et 10
lieues à la ronde.
On ne peut savoir positivement ce que chaque fabricant a de métiers battants. La majeure
partie désire qu’on ignore l’état de leur commerce, dans la crainte d’être augmentés à la capitation,
à l’industrie [taxe sur les revenus industriels et commerciaux, appelée le vingtième d’industrie], ou
qu’on ne leur impose une nouvelle charge. Le droit modique qui a été mis il y a quelques années
de 2 sols par pièce de toile pour la marque à l’inspection, et de 3 sols par pièce de draperie et de
toile peinte, a excité et excite même encore souvent les plaintes des fabriques et du commerce. Les
opérations de la toilerie de Rouen sont répandues non seulement dans la ville et les campagnes de
la généralité, mais même dans une partie des autres généralités de cette province, où l’on file du
lin et des cotons pour en venir vendre les fils dans les différents marchés de cette généralité et
servir d’aliment à nos manufactures. En fait de toiles, toileries et des étoffes de coton, la main-
d’œuvre est très chère dans les marchandises fines et surpasse le prix de la matière première, telle
chère qu’elle puisse être aujourd’hui. Cela rend ces manufactures d’autant plus précieuses pour
l’Etat qu’elles occupent un grand nombre de personnes de tout âge et de tout sexe, et qu’elles
consomment les productions de notre cru et de nos colonies.
On compte aujourd’hui dans la ville, faubourgs et banlieue de Rouen, 973 maîtres toiliers et
277 passementiers, ce qui fait 1250 maîtres. Dans ce nombre, il peut se trouver au moins 200
maîtres qui, n’ayant point le moyen de faire fabriquer pour leur compte, travaillent pour celui
d’autres maîtres […]. La fabrique de la campagne est répandue de 12 à 15 lieues à la ronde dans
cette généralité. Elle est encore plus considérable que celle de la ville. Il n’y a ni communautés ni
maîtrises pour les fabricants des campagnes. Il serait des plus difficile, pour ne pas dire impossible,
d’avoir le dénombrement des fabricants, des métiers et des ouvriers qui sont répandus dans les
bourgs, villages et hameaux de cette généralité […]. Le commerce des toileries monte aujourd’hui
à près de 50 millions par an (pour 417 788 pièces), et celui des draperies à plus de 18 millions
(pour 54 643 pièces).
La plupart des fabricants de la campagne font valoir des fermes dont ils sont ou propriétaires
ou locataires. Dans le temps des travaux de la campagne, surtout dans celui de la moisson,
beaucoup d’ouvriers quittent leurs métiers, et les fileuses interrompent leur filature. La main-
d’œuvre a beaucoup renchéri tant à la ville qu’à la campagne. La cherté excessive des denrées de
première nécessité a nécessité cette augmentation. […].
Il s’établit journellement tant à Rouen que dans différents endroits de la généralité des
mécaniques particulières nommées « jennys », avec lesquelles une fileuse file de 40 à 48 fils de
coton à la foi. Il convient de les multiplier le plus qu’il sera possible pour diminuer le prix de la
main-d’œuvre et soutenir la concurrence avec l’Angleterre. On sait par des relations fréquentes
avec l’inspecteur de la province du Dauphiné que les mécaniques à filer le coton commencent à

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prendre faveur dans cette province. On commence à y adopter les mécaniques à carder et filer la
laine. On s’y sert avec succès de celles à filer la laine pour la trame.
On ne doit pas craindre aujourd’hui d’occuper moins d’ouvriers à nos manufactures parce
que nous ne pourrons, dans la plupart des étoffes, obtenir la concurrence avec l’Angleterre qu’en
diminuant le prix de la main-d’œuvre pour pouvoir baisser celui des marchandises. Ces choses se
faisant par gradation, les ouvriers qui seront de trop pourront être occupés utilement à d’autres
ouvrages, aux progrès de l’agriculture, au défrichement des terres. Lorsqu’on a voulu établir en
France les métiers à [tricoter les] bas, il y eut dans le temps les plus fortes réclamations à cause de
la quantité de personnes occupées à ce travail qui ne se faisait qu’à la main. La suite a prouvé que
ces plaintes étaient vaines.

Source : Jacques Nicolas GOY, « Mémoire général sur les bureaux de visite et de marque établis
dans la ville et généralité de Rouen, sur des différentes fabriques », Rouen, 15 décembre 1787
(Archives nationales, F 12 1365).

Bibliographie : Jean-Pierre BARDET, Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les mutations d'un espace
social, Paris, CDU-SEDES, 1983 ; Alain BECCHIA, La draperie en Normandie du XIIIe au XXe siècle,
St-Aignan, 2004 ; Serge CHASSAGNE, Le coton et ses patrons, Paris, EHESS, 1991, P. DELSALLE, La
France industrielle aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles, Gap, Editions Ophrys, 1993 ; Gérard GAYOT, Les
draps de Sedan, 1648-1870, Paris, EHESS, 1998 ; Liliane HILAIRE-PEREZ, « Les échanges techniques
entre la France et l’Angleterre au XVIIIe siècle : la révolution industrielle en question », in
Beaurepaire P.-Y., Pourchasse P. (dir.), Les circulations internationales en Europe années 1680–
années 1780, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 197-211 ; Philippe MINARD, La
fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998 ; D.
WORONOFF, Histoire de l’industrie en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, 1994.

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Sujet 3. La révolte des « nouveaux Croquants » du Quercy (1624)

Le roi ayant créé des élections au pays du Haut et Bas Quercy, où auparavant on procédait à
l'assiette des tailles et départements d'icelles sur les paroisses de ladite province par assemblées
des états du pays, il y eut quelques esprits remuants qui firent passer secrètement des avis de
paroisse en paroisse, et disaient que le clergé, la noblesse et le tiers état tiendraient la main en
faveur du peuple si on voulait prendre les armes et s'assembler pour abolir ces nouvelles élections,
qu'on représentait devoir être la ruine du pays.
Après donc que ces nouveaux offices d'élus en Quercy furent levés, et que les pourvus se
voulurent installer, un nommé Douat, natif de Quercy, [...] ayant de paroisse en paroisse
secrètement pratiqué la populace, se mit premièrement aux champs avec cinq mille hommes, tant
paysans qu'autres fainéants qui avaient été congédiés des compagnies depuis la paix.
Ceux-ci n'eurent plutôt commencé le soulèvement que plusieurs autres en diverses paroisses
firent de même ; tellement qu'en moins de quatre jours sur la fin du mois de mai leur assemblée fut
de huit mille hommes. [...]
Ces huit mille hommes donc ainsi soulevés (qui se firent appeler les nouveaux Croquants)
s'étant chacun d'eux pourvu de vivres pour trois jours, et de l'argent pour en acheter d'autres après
avoir dépensé leur provision, sans autrement fouler, ni faire aucun ravage, s'acheminèrent vers les
maisons de quelques particuliers qui avaient acheté lesdits offices d'élus, où les pensant
surprendre en personne pour en faire leur volonté et ne les trouvant point ils abattirent leurs
maisons jusques aux fondements, brûlèrent leurs meubles et métairies, arrachèrent les vignes,
piochèrent les prés et coupèrent les blés étant encore en fleur ; enfin ils exercèrent tout ce qui se
pouvait imaginer d'indignités sur les biens de ces nouveaux élus.
Un nommé Barrau, natif de Gramat en Quercy, qui avait été nourri et élevé parmi la noblesse
dudit pays, et qui avait porté les armes ès derniers troubles au siège de Montauban, ayant
assemblé plusieurs autres troupes de paysans et fainéants, il s'alla joindre à celles de Douat, et se
trouvèrent lors être au nombre de seize mille hommes, armés la plus grande part de faux
emmanchées à rebours, de bâtons à deux bouts et autres longs bois ; quelques-uns avaient des
mousquets et des piques.
Ayant dressé par compagnies et en corps d'armée toutes leurs troupes, et mis parmi eux
quelque ordre pour attaquer et se défendre, ils envoyèrent à Cahors et à Figeac demander aux
magistrats qu'on eût à leur envoyer et livrer entre leurs mains les nouveaux élus, ou qu'ils eussent à
laisser les portes desdites villes ouvertes afin qu'ils y pussent entrer et les prendre ; à faute de ce
faire, qu'ils s'iraient loger aux environs desdites villes où ils feraient un dégât général.
Sur cela aucuns dans Cahors et dans Figeac voulurent aussi courir aux armes pour en
favoriser l'entrée à ces prétendus supprimeurs d'élus, disant tout haut qu'il valait mieux perdre ces
nouveaux élus que souffrir le dégât de leurs domaines et dépéritions de leurs maisons champêtres.
Mais le Conseil de la Maison de ville de Cahors y remédia, envoyant avertir en diligence le
maréchal de Thémines, gouverneur du Quercy, de tout ce soulèvement, lequel s'y achemina
aussitôt avec ce qu'il put assembler des siens. [...]
Sans donner loisir à ces soulevés de se reconnaître, ledit sieur maréchal n'ayant qu'un bâton
à la main les fit charger avec si grande promptitude, qu'eux ayant pris l'épouvante se laissaient tuer
comme bêtes sans se défendre ; ce que voyant ledit sieur maréchal, il commanda qu'on n'en tuât

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plus, mais qu'on eût à crier vie sauve, pourvu qu'on lui livrât en vie les deux chefs, Douat et Barrau.
Enfin lui ayant été menés prisonniers, il fit désarmer les restes de toute cette Croquanerie,
qu'il renvoya dans leurs maisons, avec injonction de s'y rendre promptement sous peine d'être
pendus. [...]
Le lendemain huitième juin ledit sieur maréchal ayant fait conduire Douat et Barrau à Figeac
pour leur être fait leur procès, le prévôt condamna Douat d'avoir la tête coupée, son corps mis en
quatre quartiers et sa tête fichée sur un poteau à Figeac, et que ses quatre quartiers seraient portés
et pendus aux quatre des principales villes du Quercy ; ce qui fut exécuté le même jour.
Quant à Barrau, il fut pendu le lundi dixième dudit mois de juin à Gramat, lieu de sa
naissance.
Voilà quelle fut la triste fin du soulèvement des Croquants du Quercy.

Source : Le Mercure françois, A Paris, chez Jean et Estienne Richer, 1625, p. 473-478.

Bibliographie : Yves-Marie BERCE, Histoire des Croquants, Genève, Droz, 1974 ; Yves-Marie
BERCE, Croquants et Nu-Pieds. Les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris,
Gallimard-Julliard, 1974 ; Jean LARTIGAUT dir., Histoire du Quercy, Toulouse, Privat, 1993.

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Sujet 4 : L’approvisionnement de Paris au XVIIIe siècle

Tous les almanachs vous disent qu'il se consomme par an quinze cent mille muids de blé,
quatre cent cinquante mille muids de vin, non compris la bière, le cidre, l'eau-de-vie ; cent mille
boeufs, quatre cent quatre-vingt mille moutons, trente mille veaux, cent quarante mille porcs, cinq
cent mille voies de bois, dix millions deux cents bottes de foin et de paille, cinq millions quatre
mille livres de suif, quarante-deux mille muids de charbon, etc.
Ces sortes d'états ont des différences assez considérables selon les années : il est presque
impossible d'avoir des certificats qui aient une certaine justesse, parce que ceux qui perçoivent les
droits sur ces consommations ont intérêt de déguiser ce qu'ils reçoivent.
On peut dire que le Parisien en général est sobre forcément, se nourrit très mal par pauvreté,
et économise toujours sur sa table, pour donner au tailleur, ou à la marchande de bonnets. Mais
trente mille riches, d'un autre côté, gaspillent ce qui nourrirait deux cent mille pauvres.
Paris aspire toutes les denrées, et met tout le royaume à contribution. L'on ne s'y ressent pas
des calamités qui affligent quelquefois les campagnes et les provinces, parce que les cris du besoin
seraient là plus dangereux qu'ailleurs, et donneraient un exemple fatal et contagieux. On fait
honneur de ces approvisionnements au zèle infatigable des magistrats ; il mérite des louanges.
Mais considérons en même temps que, placé au milieu de l'Ile-de-France, entre la
Normandie, la Picardie et la Flandre, ayant cinq rivières navigables, la Seine, la Marne, l'Yonne,
l'Aisne et l'Oise (sans parler des canaux de Briare, d'Orléans et de Picardie), les greniers de la
Beauce presque à ses portes, une rivière qui, en sortant, serpente par des contours presque de
cent lieues, comme pour donner aux marchandises et denrées la facilité de remonter, Paris d'après
ces avantages que la nature lui a accordés jouit par lui-même de la situation la plus heureuse et la
plus propre à voir l'abondance dans ses murailles.
Le commerce de cette ville n'est presque qu'un commerce de consommation, excepté
quelque objets de goût et de luxe ; mais ces consommations sont considérables.
Il tire de toutes les manufactures du royaume ; mais il a peu de fabriques, à cause de la
cherté de la main-d'oeuvre. Il fait des expéditions pour les pays les plus éloignés. Les marchandes
de modes, ainsi que les bijoutiers, en font le principal commerce, parce que la main de l'ouvrier
l'emporte toujours sur la richesse de la matière.
Tout ce qui entre à Paris n'est donc pas pour y rester. Les matières y viennent pour être
façonnées ; puis elles en sortent embellies de ce goût exquis qui leur donne à toutes une forme
nouvelle [...].
Paris consomme plus de deux millions de septiers de blé par an. Voilà ce qui est sûr, et ce
que ne disent point les almanachs nouveaux. La banlieue renferme quatre cent quarante-deux
paroisses et quarante-sept mille six cent quatre-vingt-cinq feux. Les limites de la ville se sont
étendues. Le Gros-Caillou est devenu un faubourg considérable ; tous les marais ont été ornés de
maisons. M. de Vauban, en 1694, détermine la population à sept cent vingt mille personnes. Nous
estimons donc que Paris renferme aujourd'hui neuf cent mille âmes environ ; et la banlieue près de
deux cent mille. Les calculs de M. de Buffon et ceux de M. d'Expilly paraissent également fautifs. Il
ne faut que des yeux pour voir que, depuis vingt-cinq ans, la population est partout plus
considérable.

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Source: Louis-Sébastien MERCIER, Tableau de Paris, éd. Jeffry Kaplow, Paris, 1985, p. 56-59.

Bibliographie : Reynald ABAD, Le Grand marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous


l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002 ; J. CHAGNIOT, Paris au XVIIIe siècle, coll. « Nouvelle histoire
de Paris », Paris, 1988 ; S. L. KAPLAN, Les ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la
France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 ; Marcel LACHIVER, « L’approvisionnement de Paris en
viande au XVIIIe siècle », dans La France d’Ancien Régime. Etudes réunies en l’honneur de Pierre
Goubert, Toulouse, 1984, t. I, p. 345-354 ; R. PHILIPPE, « L’alimentation à Paris au XVIIIe siècle »,
Annales E.S.C., 1974, p. 60-67 ; L’approvisionnement des villes de l’Europe occidentale au Moyen
Age et aux Temps modernes, Ve Journées internationales d’histoire de Flaran, septembre 1983,
Auch, 1985.

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Sujet 5. Le commerce des Juifs avignonnais à Bordeaux (1749)

Du 11 février 1749
En marge : Juifs avignonois
Sont entrés Messieurs Brunaud, Vignes, Billatte, P. Dubergier, Combelle, Elias Brunaud, et
Baujeon
Il a été fait lecture d’une lettre de M. de Tourny en datte du 6 de ce mois par la quelle il dit
que les Srs Jacob et E[m]manuel Dalpuget juifs avignonois ont fait presenter a la Cour un placet
tendant a ce qu’il soit accordé a leurs familles les lettres patentes samblables a celles qu’obtinrent
en 1723 les Juifs portugais a l’effet d’etre authorisés a continuer leur séjour et leur commerce dans
la ville de bordeaux nonobstant l’arret du conseil du 21 janvier 1734 qui en a [exclu, surcharge
noircie] expulcé ceux de leur nation, et comme le ministre en luy adressant le placet l’a chargé de le
communiquer a la chambre pour l’entendre sur les avantages ou inconveniens qui pourroint
resulter de cette grace il le luy remet avec les pieces dont il est accompagné affin de la mettre en
etat d’y fournir les observations qu’elle jugera a propos d’y faire et les lui remettre incessament, il a
eté deliberé que l’avis de la chambre cy apres transcrit sera remis par extrait a Mr de Tourny par Mrs
Brunaud juge et Billatte dememe que le placet desd. Srs Dalpuget avec toutes les pieces qui y soint
jointes.
Les directeurs du commerce de guienne quy ont vû le placet presenté a sa majesté par les
sieurs dalpuget beaupère et gendre[,] leur memoire contenant leurs raisons justifficatives pour etre
dispensés d’etre compris dans la disposition de l’arret de 1734 concernant les juifs avignonois[,]
tudesques ou allemants dont lecture a eté faite, les differents certifficats par eux raportés, ensemble
la lettre a eux ecritte par Mr de Tourny pour leur demander leur avis sur les avantages ou
inconvenients qui pourroint resulter de la grace demandée au roy par lesd. Dalpuget[,] estiment
qu’attendu la preuve par eux raportée de leur longue residence de pere en fils en cette ville, il ne
seauroit y avoir le moindre inconvenient a ce qu’il plut a sa majesté leur accorder les lettres
patentes qu’ils sollicitent tant pour eux que pour leurs descendans en ligne directe soit pour les
exempter de la disposition de l’arret de 1734[,] soit pour les maintenir dans une paisible residence
en cette ville en les faisant jouir des memes franchises et prerogatives dont jouissent les Juifs soit
disant portugais ou nouveaux cretiens[,] sous la condition cependant qu’il ne leur sera plus permis
de reprendre le meme commerce de draperie ou soirie qu’ils ont fait cy devant en gros ny en detail
et sous quelque pretexte que ce soit, non plus qu’a leurs descendants, et qu’ils se borneront
uniquement au commerce de la Banque[,] de La merique ou autre maritime qu’ils ont fait depuis un
certain nombre d’années et qu’ils continueront de l’exercer avec la meme candeur, probité et
legalité, que le gros des negotians a remarqué en eux depuis qu’ils l’ont entrepris, etant de l’interet
des droits du roy et de la province de favoriser autant qu’il est possible le commerce maritime et
surtout celluy des Isles francoises de l’amerique.
Signé : Vignes, Brunaud, Billatte, P. Dubergier, Combelle, Brunaud, Beaujon.

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Source : Archives départementales de la Gironde [AD 33], C 4255, 1747-1756, Chambre de
commerce de Bordeaux, folios 58-59. En ligne sur https://archives.gironde.fr, vues 116 et 117 sur
569, consultées le 27/08/2021. Orthographe et ponctuation d’origine, à l’exception des
apostrophes.

Bibliographie : BUTEL Paul, Les négociants bordelais, l’Europe et les Îles au XVIIIe siècle, Paris,
Éditions Aubier Montaigne, 1974 ; GALLINATO Bernard, Les corporations à Bordeaux à la fin de
l’Ancien Régime. Vie et mort d’un mode d’organisation du travail, Talence, Presses Universitaires de
Bordeaux, 1992 ; BUTEL Paul, Vivre à Bordeaux sous l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 1999.

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Sujet 6. Deux procédures contre des vagabonds au XVIIIe siècle

A) Procédure contre Louise Nély


Du cinq septembre mil sept cent soixante-neuf, en la Chambre criminelle du Palais de
cette ville de Riom.
Par nous, Antoine Ganat de la Ribbe-Hautte, écuyer conseiller du roy, capitaine lieutenant
en la maréchaussée générale d’Auvergne à la résidence de cette de Riom, assisté d’Antoine
Philibée, notre greffier, a été procédé à l’interrogatoire de Louise Nély, arrêtée comme mendiante
[…].
Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure […] ;
[Louise Nély prête serment de dire la vérité]
A dit avoir nom et surnom Louise Nély, veuve de Simon Mollette, charron, habitant le
village de Foumour, paroisse de Ferrières1, près la ville de Rie, demeure au village de Foumour et
est âgée de quarante-huit ans.
Interrogée pourquoi elle a quitté le village de Foumour ;
A répondu qu’il y a quinze jours qu’elle quitta le village avec sa fille pour se rendre en la
ville de Thiers.
Interrogée ce qu’elle alloit faire en la d[ite] ville de Thiers ;
A répondu qu’elle alla à Thiers avec sa fille pour se procurer du secours à cause de la
maladie dont elle est atteinte depuis trois ans.
Interrogée s’il n’est pas vrai qu’elle et sa fille ont mendié en la ville de Thiers ;
A répondu qu’elle et sa fille n’ont pas demandé l’aumône en la ville de Thiers, qu’il est vrai
que pour se soulager elle a demandé un peu de soupe et de lait dans les villages où elle a passé.
Interrogée du nom des personnes par lesquelles elle peut se faire avouer et se faire
certifier de ses bonnes vie et mœurs ;
A répondu que le sieur curé Antoine Moulette et Antoine Faure attesteront la répondante
et la certifieront de ses bonnes vie et mœurs.
Qui sont toutes ses confessions et dénégations, lecture faite à la répondante. De par son
interrogatoire, elle a dit ses réponses contenir vérité, ni vouloir augmenter ni diminuer, et a persisté
et déclaré ne [pas] savoir signer […].
Signé Ganat de la Ribbe-Haute et Philibée.

B) Procédure contre Claude Chabrolle


Du seize avril, mil sept cent soixante-neuf, en la Chambre criminelle du Palais de cette ville
de Riom.
Par nous, Antoine Ganat de la Ribbe-Hautte, écuyer conseiller du roy, capitaine lieutenant
en la maréchaussée générale d’Auvergne à la résidence de cette de Riom, assisté d’Antoine
Philibée, notre greffier, a été procédé à l’interrogatoire de Claude Chabrolle, arrêté comme
mendiant […].
Interrogée de son nom, surnom, âge qualité et demeure […] ;
[Claude Chabrolle prête serment de dire la vérité]

1
Probablement l’actuelle commune de Ferrières-sur-Fichon, dans l’Allier.

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A dit avoir nom et surnom Claude Chabrolle, fils du défunt Antoine Chabrolle, peigneur
de chanvre, habitant du village de Rangoux, paroisse de Fugières, près de Sauxillanges2, être natif
du village de Rangoux, être scieur de long au village et être âgé de vingt ans.
Interrogé s’il y a longtemps qu’il a quitté le village de Rangoux ;
A répondu qu’il partit du d[it] village environ le jour des fêtes de la Saint-Michel de l’année
dernière pour aller en Normandie travailler de sa profession de scieur de long et qu’en revenant de
Normandie après les fêtes de Noël dernier pour se rendre dans le lieu de sa naissance, il tomba
malade et fut reçu à l’hôpital de Blois.
Interrogé s’il n’est pas vrai que pendant sa route il a demandé l’aumône ;
A répondu qu’ayant dépensé tout l’argent qu’il avoit gagné, il a été contraint de mendier
pour subsister.
Interrogé s’il n’est pas vrai que le vingt-cinq mars dernier, il n’a pas été arrêté en la ville de
Thiers parce qu’il demandoit l’aumône.
A répondu que les cavaliers de la maréchaussée arrêtèrent le répondant sous la halle du
marché au bled, et qu’il n’a point demandé l’aumône en la ville de Thiers.
Interrogé s’il séjourna longtemps dans la ville de Thiers ;
A répondu qu’il y a séjourné pendant trois jours et qu’il y a vécu par son travail.
Interrogé quelles sont personnes par lesquelles il peut se faire avouer et se faire certifier
de ses bonnes vie et mœurs ;
A répondu que le sieur de Bosredon, seigneur de Fugières, et le sieur Broquin, curé de
Fugières, connoissent le répondant et certifieront de ses bonnes vie et mœurs.
Interrogé s’il n’a pas été repris de justice et [a] servi dans les troupes de sa Majesté ;
A dit que non.
Interrogé s’il a quelque bien pour subsister ;
A répondu qu’Antoine [et] autre Antoine, Anne Chabrolles, ses frères et sœurs, et le
répondant ont le labourage d’une paire de vaches dans le village de Rangoux.
Qui sont toutes ses confessions et dénégations, lecture faite au répondant du présent
interrogatoire. Il a dit ses réponses contenir vérité, ni vouloir augmenter ni diminuer, et a persisté et
déclaré ne [pas] savoir signer […]
Signé Ganat de la Ribbe-Haute et Philibée.

Source : Archives départementales du Puy-de-Dôme. 1C1257.

Bibliographie : Jean-Pierre GUTTON, La société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon,


1534-1789, Paris, PUF, 1971 ; L’État et la mendicité dans la première moitié du XVIIIe siècle,
Auvergne, Beaujolais, Forez, Lyonnais, Lyon, Centre d’Études foréziennes, 1973 ; La société et les
pauvres en Europe (XVIe-XVIIIe siècles), Paris, PUF, 1974 ; Arlette FARGE, « Marginaux », in André
BURGUIÈRE (dir. de), Dictionnaire des Sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 436-438 ; Robert
CASTEL, « Les marginaux dans l’histoire », in Serge Paugam (dir.), L’exclusion, l’état des savoirs,
Paris, La Découverte, 1996, p. 32-41 ; Jean-Claude SCHMITT, « L’histoire des marginaux », in
Jacques Le Goff (dir.), La Nouvelle Histoire, Bruxelles, Éditions Complexe, 2006, p. 344-369.

2
Trois communes du Puy-de-Dôme.

13
Sujet 7. Un prélat réformateur : Alain de Solminihac, évêque de Cahors

Il accepta l'Evesché comme une grande charge, plutost que comme une grande dignité. Il
se consacra de nouveau au service de l'Église, dans un si haut ministère. [...] Saint Charles fut le
modèle qu'il se proposa d'imiter en sa vie particulière, et en sa vie publique. Il estoit déjà pénitent
comme luy. Il régla sa conduite épiscopale sur la sienne. [...] C'estoit se proposer un grand
exemple, et s'obliger à une étrange rigueur. [...]
Aussi-tost qu'il eut pris possession de son Evesché, il s'appliqua à le gouverner. Il
commença par le règlement de sa famille, qui fut un prélude de la réforme qu'il vouloit faire des
autres. Il avoit auprès de luy huit de ses Religieux, et un prêtre qui luy servoit d'Aumônier. [...] Il eut
peu d'autres domestiques. [...] Il dressa des règlemens pour les heures du lever, et du coucher, des
repas, des habits, des conversations, de la fréquentation des Sacremens, de la prière du soir, et du
matin, de la méditation, et des exhortations domestiques. Il n'en dispensa jamais personne. Il ne
souffrit jamais aucun scandale, il estoit inflexible en ce sujet. [...]
Son diocèse ne pouvoit estre en plus mauvais état. L'hérésie qui avoit dans le siècle passé
désolé la Guyenne et le Languedoc, y avoit fait des ravages déplorables. Les Églises estoient
presque toutes abatües. Celles qui restoient debout, manquoient d'ornemens, de calices, de
ciboires, et de tabernacles, qui fussent propres pour loger et consacrer le corps du Seigneur. Les
Curez estoient, ou très-ignorans ou très-vicieux. Les Pasteurs ne savoient pas se conduire eux-
mesmes. Ils estoient aussi malades que leurs brebis. Il n'y avoit aucun désordre en la vie des
séculiers, qui ne se trouvast en la leur. [...] Il commença incontinent à visiter son diocèse. Il trouva
mille sortes d'abus à corriger. Il suspendit les Curez vicieux. Il fit venir les ignorans dans sa maison
pour les instruire. [...] Il établit les Congrégations des Vicaires forains, et dressa des règles pour les
rendre fructueuses. Il assembla son Synode. Il proposa les Statuts qu'il avoit dressez ; il parla avec
tant de force des obligations des Pasteurs, et de la sainteté de la vie qu'ils devoient mener, que
tous ceux qui l'ouïrent en furent convaincus. [...] Il établit un séminaire ; et après l'avoir gouverné
luy-mesme durant quelques années, il le remit aux Prestres Missionnaires de la Congrégation de
Saint-Lazare de Paris. [...] Tous ceux qui aspiroient aux Ordres sacrez estoient obligés de demeurer
dans ce lieu d'épreuve ; et personne n'en estoit dispensé. On les instruisoit sur la nature de l'Ordre
qu'ils vouloient prendre, sur ses fonctions, et sur l'esprit avec lequel il devoit estre exercé. On leur
apprenoit à faire l'oraison mentale. On les dressoit au chant, et aux cérémonies de l'Église. Enfin,
on en faisoit des hommes nouveaux, qui retenoient toute leur vie les impressions de piété qu'on
leur avoit données. [...]
Il y en eut beaucoup qui ne voulurent pas se servir de ce remède. Nostre Evesque en
suspendit, en fit mettre en prison, et en condanma à des grosses amendes. Ce traitement juste, et
tout à fait nécessaire, les mit en telle fureur, que pour se venger, et pour rendre inutiles les
règlemens qu'il avoit faits pour la réformation de leur vie, ils formèrent un Syndicat de cinquante ou
soixante Curez, Vicaires, et autres Ecclésiastiques, qui appelèrent comme d'abus de ces
Ordonnances, et se portèrent à des insolences inouïes. [...]
Nostre bon prélat durant cette tempeste demeura toujours attaché au gouvernail. Il ne
cessa jamais ses courses dans son diocèse. Il fit plusieurs fois la visite de ses paroisses, qui ne sont
pas moins que de sept cens. Mais de quelle façon faisoit-il ces visites ? Comme un Juge très-sévère,

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et comme un Père très-bénin. Il châtioit le vice partout où il le trouvoit. Il ne respectoit point la
qualité des Gentilshommes, ny des Seigneurs. S'ils menoient une vie scandaleuse, il les prioit, il les
conjuroit de s'amander. S'ils continuoient dans leurs désordres, il les retranchoit de l'Église par
l'excommunication. Cette conduite en offença beaucoup. Ils se plaignirent de sa dureté. Ils le
calomnièrent. Ils luy firent mille niches. Mais à tout cela il opposa un courage inflexible. Il en eut
pitié comme de malades tombez en frénésie, qui disoient des injures à leur médecin. Il les lassa par
sa patience. Il les guérit malgré eux.
Il estoit mal-aisé de comprendre comment, ne mangeant qu'un peu d'herbes, ou de
légumes sur le soir, et ne beuvant que de l'eau, ou fort peu de vin sur ses dernières années, il
pouvoit sufire au travail de ses Visites et de ses Missions. Il dormoit sur la paille, et sans se
déshabiller. Quelquefois il se couchoit sur un banc, ou sous un arbre à la campagne. Il prenoit très
souvent la discipline, et se mettoit tout en sang. Il portoit le cilice, ou la haire. Cependant il
prêchoit, il confessoit, il administroit le Sacrement de Confirmation. Il consacroit les Églises. Il
bénissoit les cimetières. Il accordoit les procès. On voyait par expérience en luy, que l'homme ne vit
pas du seul pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Source : Antoine GODEAU, Éloge des évesques qui dans tous les siècles de l'Église ont fleury en
doctrine et sainteté, Paris, 1665, p. 745-751.

Bibliographie : Étienne BAUX et Lucien LACHIÈZE-REY, Alain de Solminihac, évêque de Cahors


(1636-1659). La réforme d'un diocèse au XVIIe siècle, Cahors, Archives départementales du Lot,
1980 ; Jacques LE GOFF et René RÉMOND (dir.), Histoire de la France religieuse. T. 2, Du
christianisme flamboyant à l'aube des Lumières, Paris, Seuil, 1988 : Patrick PETOT, Alain de
Solminihac, 1593-1659, prélat réformateur, Turnhout, Brepols, 2009.

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Sujet 8. L’édit de Fontainebleau du 22 octobre 1685

Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut. Le
Roi Henri le Grand, notre aïeul de glorieuse mémoire, voulant empêcher que la paix qu’il avait
procurée à ses sujets après les grandes pertes qu’ils avaient souffertes par la durée des guerres
civiles et étrangères ne fut troublée à l’occasion de la Religion prétendue réformée, comme il était
arrivé sous les règnes des rois ses prédécesseurs, aurait par son Édit donné à Nantes au mois d’avril
1598, réglé la conduite qui serait à tenir à l’égard de ceux de la dite religion, les lieux dans lesquels
ils pourraient en faire l’exercice […] et enfin pourvu […] à tout ce qu’il aurait jugé nécessaire pour
maintenir la paix dans son royaume et pour diminuer l’aversion qui était entre ceux de l’une et de
l’autre religion, afin d’être en état de travailler, comme il avait résolu de la faire, pour réunir à
l’Église ceux qui s’en était si facilement éloignés. Et comme l’intention du Roi notre dit aïeul ne put
être effectuée à cause de sa mort précipitée, et que l’exécution dudit Édit fut même interrompue
pendant la minorité du feu Roi notre très honorable […] père, par de nouvelles entreprises desdits
de la Religion prétendue réformée, elles donnèrent occasion à les priver de divers avantages […].
Néanmoins le Roi notre […] père, usant de sa clémence ordinaire, leur accorda encore un nouvel
Édit à Nîmes […] au moyen duquel la tranquillité ayant été de nouveau rétablie, le dit feu Roi,
animé du même esprit et du même zèle pour la religion que le Roi notre dit aïeul, avait résolu de
profiter de ce repos pour essayer de mettre son pieux dessein à exécution ; mais les guerres avec
les étrangers étant survenues peu d’années après, en sorte que depuis 1635 jusqu’à la trêve
conclue en l’année 1684 avec les princes de l’Europe, le royaume ayant été peu de temps sans
agitation, il n’a pas été possible de faire autre chose pour l’avantage de la religion, que de diminuer
le nombre des exercices de la Religion prétendue réformée […]. Dieu ayant enfin permis que nos
peuples jouissent d’un parfait repos […] nous voyons que […] la meilleure et la plus grande partie
de nos sujets de la dite Religion prétendue réformée ont embrassé la catholique […]. Aussi nous
avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux, pour effacer entièrement de la mémoire des
troubles […], que de révoquer entièrement ledit Édit de Nantes, et les Édits particuliers qui ont été
accordés en suite d’icelui, et tout ce qui aura été fait depuis en faveur de la dite Religion.
Savoir faisons, que nous […] avons par ce présent Édit perpétuel et irrévocable, supprimé et
révoqué, supprimons et révoquons l’Édit du Roi notre aïeul, donné à Nantes en toute son étendue
[…] ensemble toutes les concessions faites […] par d’autres Édits, déclarations et arrêts, aux gens
de la dite Religion prétendue réformée […] ; et en conséquence, voulons et nous plaît que tous les
temples de ceux de la dite Religion réformée situés dans notre royaume […] soient incessamment
démolis.
Défendons à nos dits sujets de la RPR de plus s’assembler pour faire l’exercice de la dite
religion, en aucun lieu ou maison particulière, sous quelque prétexte que ce puisse être […].
Défendons pareillement à tous seigneurs, de quelque condition qu’ils soient, de faire
l’exercice dans leurs maisons et fiefs, de quelque qualité que soient lesdits fiefs, le tout à peine
contre tous nos dits sujets qui feraient ledit exercice, de confiscation de corps et de biens.
Enjoignons à tous les ministres de la dite RPR qui ne voudront pas se convertir et embrasser
la Religion catholique, apostolique et romaine, de sortir de notre royaume […] quinze jours après la

16
publication de notre présent édit, sans pouvoir séjourner au-delà, ni pendant le dit temps de
quinzaine faire aucun prêche, exhortation, ni autre fonction, à peine des galères […].
À l’égard des enfants qui naîtront de ceux de la dite RPR, nous voulons qu’ils soient baptisés
par les curés des paroisses. Enjoignons aux pères et aux mères de les envoyer aux églises à cet
effet là, à peine de 500 livres d’amende, et de plus grande s’il y échet ; et seront ensuite les enfants
élevés en la Religion catholique, apostolique et romaine, à quoi nous enjoignons bien
expressément aux juges des lieux de tenir la main […].
Faisons très expresse et itérative défenses à tous nos sujets de la RPR de sortir, eux, leurs
femmes et enfants, de notre dit royaume […] ni d’en transporter leurs biens et effets, sous peine,
pour les hommes, des galères, et de confiscation de corps et de bien pour les femmes […].
Pourront au surplus les dits de la RPR, en attendant qu’il plaise à Dieu les éclairer comme les
autres, demeurer dans les villes et lieux de notre royaume […] et y continuer leur commerce et jouir
de leurs biens, sans pouvoir être troublés ni empêchés sous prétexte de la dite RPR, à condition,
comme dit est, de ne point faire d’exercice, ni de s’assembler sous prétexte de prières ou de culte
de la dite religion, de quelque nature qu’il soit, sous les peines ci-dessus, de corps et de biens […].

Source : Édit portant révocation de l’Édit de Nantes, (ou Édit de Fontainebleau) enregistré le 22
octobre 1685. Extrait de A. ISAMBERT et alii, Recueil des anciennes lois française, Paris, Belin, 1829,
T. XIX, p. 530-534.

Bibliographie : Gilles DEREGNAUCOURT, Didier POTON, La vie religieuse en France aux XVIe-
XVIIe-XVIIIe siècles, Gap, Ophrys, 1994 ; Jeanine GARRISSON, L’Édit de Nantes et sa révocation.
Histoire d’une intolérance, Paris, Le Seuil, 1985 ; Élisabeth LABROUSSE, Une foi, une loi, un roi ? la
révocation de l’Édit de Nantes, Paris, Payot/Labor et Fides, 1985 ; Michel RICHARD, La vie
quotidienne des protestants sous l’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1966 ; Histoire des protestants
de France. De la Réforme à la Révolution, dir. Philippe WOLFF, Toulouse, Privat, 1977, rééd. 2001 ;
La Révocation de l’Édit de Nantes et le protestantisme français en 1685, Actes du colloque de Paris
(15-19 octobre 1985) réunis par Roger ZUIBERT et Laurent THEIS, BSHPF, 1986 (voir en particulier
l’article de Robert POUJOL, « Le rôle des intendants dans les préliminaires de la Révocation »,
p. 87-112).

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Sujet 9. Déclaration du Roi portant établissement de la capitation

Louis, etc. Depuis que la gloire de nostre Estat et les prospérités dont le ciel a béni nostre
règne ont excité contre nous l’envie d’une partie des puissances de l’Europe et les ont engagées à
se liguer entre elles pour nous faire injustement la guerre, la sincérité de nos intentions et les
avantages que nous avons remportés d’année en année nous faisant toujours espérer une paix
prochaine, nous avons tasché de n’employer, pour nous mettre en estat de repousser les efforts
des Estats ligués contre nous, que les moyens qui estoient le moins à charges à nos sujets. […]
Mais, l’endurcissement de nos ennemis… nous faisant prévoir la continuation de la guerre et nous
obligeant à nous y préparer, nous espérons faire connoistre à toute l’Europe que les forces de la
France sont inépuisables, quand elles sont bien ménagées, et que nous avons des ressources
certaines dans le cœur de nos sujets et dans le zèle qu’ils ont pour le service de leur Roy et pour la
gloire de la nation françoise. Dans cette confiance, nous avons résolu, pour nous mettre en estat de
soutenir les dépenses de la guerre aussy longtemps que l’aveuglement de nos ennemis les portera
à refuser la paix, d’établir une capitation générale, payable pendant le temps de la guerre
seulement, par tous nos sujets, sans aucune distinction, par feux ou par familles ; et nous avons lieu
de juger ce moyen d’autant plus sûr et plus efficace, que les plus zélés et les plus éclairés de nos
sujets des trois ordres qui composent cet Estat semblent avoir prévenu notre résolution, et que
mesme les Estats de Languedoc, se trouvant assemblés suivant l’usage ordinaire, après avoir
accordé le Don gratuit de 3 000 000 de livres que nous avons demandé, et pourvu aux autres
charges ordinaires, que la guerre a considérablement augmentées, par une délibération expresse
de leur assemblée, du mois de décembre dernier, portant leur prévoyance et les témoignages de
leur zèle et de leur affection au-delà de tout ce que nous pouvons en attendre, nous ont proposé
ce secours et marqué les raisons qui doivent le faire préférer à tous les autres moyens
extraordinaires que nous pourrions pratiquer dans la suite. […].
A ces causes […], voulons et nous plaist qu’à compter du premier jour de ce mois, il soit
établi, imposé et levé, dans toute l’étendue de nostre royaume… une capitation générale par feux
ou familles, payable d’année en année, pendant la durée de la présente guerre, qu’à cet effet il soit
arresté par les intendans et commissaires départis dans chacune des généralités, provinces, pays et
départemens, par les syndics des diocèses et des Estats, et par les gentilshommes qui doivent agir
conjointement avec lesdits intendans…, des rôles de répartition de ladite capitation, conformément
au tarif arresté en nostre Conseil, contenant la distribution de nos sujets en vingt-deux classes […].
Voulons qu’aucun de nos sujets, de quelque qualité et condition qu’il puisse estre,
ecclésiastique séculier ou régulier, noble, militaire ou autre, ne soit exempt de ladite capitation,
hors nos sujets taillables cotisés à la taille ou autres impositions ordinaires au-dessous de 40 sols,
les ordres mendians et les pauvres mendians, dont les curés des paroisses donneront des rôles
signés et certifiés d’eux, de quoy nous chargeons leur honneur et leur conscience. Nous sommes
persuadés que les ecclésiastiques se soumettront d’autant plus volontiers à cette contribution,
qu’outre que l’intérest de la religion et le zèle qu’ils ont toujours fait paroistre pour nostre service
les y engagent, leur profession les empeschant de nous servir dans nos armées, où la plupart
seroient appelés par leur naissance, ils ne peuvent que par cette voie contribuer, en cette occasion,
à la défense de l’Estat, dont ils composent le premier corps. Mais, d’autant que l’assemblée

18
générale du clergé de nostre royaume se doit tenir en cette année, que les témoignages que nous
avons toujours reçus du zèle de ce corps nous font présumer qu’il continuera à nous en donner des
marques, en nous accordant par un Don gratuit des secours proportionnés aux besoins de l’Estat,
et qu’il ne seroit pas juste qu’il se trouvast en mesme temps chargé de contribuer à la capitation,
voulons que, quant à présent, le clergé et les membres en dépendans ne soient point compris dans
le tarif qui sera arresté en nostre Conseil, ni dans les rôles qui seront arrestés par les intendans pour
le recouvrement des taxes de la présente année. Nous ne doutons pas aussy que la noblesse de
nostre royaume, qui expose tous les jours sa vie et qui verse si généreusement son sang pour
nostre service et pour le soutien de l’Estat, ne sacrifie avec le mesme dévouement une aussy légère
portion de ses revenus que celle à laquelle la taxe des gentilshommes sera réglée. […]
Déclarons que, par ces présentes et par l’établissement de ladite capitation, nous n’avons
entendu et n’entendons déroger aux privilèges, prérogatives et droits d’aucun des ordres de
nostre royaume, que nous voulons maintenir et entretenir ;
Si donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers les gens tenans nostre Cour de
parlement, Chambre des comptes et Cour des Aydes à Paris, que ces présentes ils ayent à faire lire,
publier et registrer, et le contenu en icelles garder et exécuter soigneusement et exactement, selon
leur forme et teneur, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens à ce contraire. […]
Donné à Versailles, le dix-huitième du mois de janvier, l’an de grâce mil six cent quatre-vingt
quinze.

Source : Recueil des édits, déclarations et ordonnances du roi, arrêts du conseil, du parlement de
Toulouse et autres cours, &c, Tome 2 : Concernant l'ordre judiciaire, et les matières publiques les
plus importantes, 1782-1785, p. 290-294 [consultable sur Gallica].

Bibliographie : François LEBRUN, Nouvelle Histoire de la France moderne, t. 4 : La puissance et la


guerre 1661-1715, Paris, Le Seuil, 1997 (Collection Points Histoire) ; François BLUCHE et Jean-
François SOLNON, La véritable hiérarchie sociale de l’ancienne France. Le tarif de la première
capitation (1695), Genève, Droz, 1983 ; Alain GUERY, « État, classification sociale et compromis
sous Louis XIV : la capitation de 1695 », Annales. Histoires, Sciences Sociales, 1986, vol. 41, n° 5,
p. 1041-1060.

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Sujet 10. Le clergé à la veille de la Révolution

Le Souverain législateur a dit aux Lévites : "Vous n'aurez aucune part dans les terres que les
enfants d'Israël posséderont. Je serai votre part et votre héritage au milieu d'eux", et pour leur
subsistance il leur a donné les prémices du sanctuaire, les dîmes des possessions d'Israël ; mais ils
devaient offrir au Seigneur la dixième partie de ce qu'ils recevaient ; au moyen de quoi, et n'ayant
point de propriétés, ils étaient exempts des charges publiques ; mais quelle comparaison des
Lévites au clergé ! Les Lévites n'avaient pour tout partage qu'une dîme ; encore était-elle diminuée
par la dîme qu'ils payaient eux-mêmes au Seigneur et que recevait le grand-prêtre. Les Lévites
avaient donc la dîme à titre onéreux, et ils n'avaient aucune propriété. Le Clergé possède des
terres, des fiefs, des immeubles, des droits utiles.
Pourquoi dans ce moment-ci où les besoins de l'Etat sont pressants, pourquoi même en tout
autre temps prétendrait-il des exemptions ? Les ecclésiastiques sont sujets du Roi ; ils doivent payer
des impôts !
Pleurs (Bailliage de Sézanne, actuel département de la Marne)

Nous disons que le premier Ordre du royaume offre au premier coup d'oeil des richesses
extraordinaires presque toujours employées à des dépenses d'ostentation, qui peuvent tout à la
fois suffire à l'acquit des dettes de l'Etat et à leur honnête entretien. Pour poursuivre ce but, il faut
réduire tout le Haut-Clergé au tiers de leur revenu, fixé par les baux à ferme de leurs fruits
décimaux, et tout le bas clergé régulier ou séculier, à 1500 livres de pension, ce qui continuera
d'être exécuté jusqu'à l'entier acquit des dettes de l'Etat.
Le Burgaud (Pays de Rivière-Verdun, actuel département de la Haute-Garonne)

Quoique la piété de nos pères ait doté avec une sainte profusion tous les établissements qui
de leur temps contribuaient à faire fleurir la religion et à soulager les malheureux, il est arrivé,
contre leurs intentions, que ces grands biens sont devenus le partage de quelques cénobites
séquestrés de la société, tandis que les vrais ministres des autels, qui supportent le poids du jour et
de la chaleur, sont réduits à un état de détresse qui ne leur permet pas d'exercer la charité envers
les pauvres, et les expose à voir périr sous leurs yeux des malades qui n'auraient besoin que de
secours, tandis que les églises paroissiales tombent de vétusté et menacent d'ensevelir sous leurs
ruines des infortunés qui aiment mieux courir ce danger que de se charger d'une dépense qui
passerait leurs forces, tandis enfin qu'un grand nombre de villages très peuplés n'ont ni maîtres ni
maîtresses d'école pour apprendre à lire à leurs enfants, parce que leurs fabriques ne peuvent
fournir à ce besoin de première nécessité.
Bougival (Bailliage de Versailles, actuel département des Yvelines)

Nous avons dans les campagnes beaucoup de curés mal rétribués ; personne n'ignore que la
plupart sont à portion congrue ; d'ailleurs il y a beaucoup de villages sans curé et même sans
prêtre résidant, à raison de la dureté de certains gros décimateurs qui exposent les ministres à une
indigence personnelle, à être témoins de la misère de leur peuple et qui, dans ces scènes
affligeantes, n'ont que des larmes impuissantes à leur offrir ; encore si le malheureux rendait justice

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aux sentiments de son pasteur ! mais non : dans son abandon, il l'accuse souvent de dureté et
d'avarice.
Clergé du Bassigny (Champagne)

Que toutes les fois que dans les assemblées nationales ou provinciales il ne s'agira que d'y
vérifier et discuter des affaires temporelles auxquelles le clergé ne peut avoir intérêt, aucun
membre du clergé n'y soit admis, par la réciprocité de raison que les autres ordres ne sont jamais
admis dans les assemblées du clergé ; ce sera d'ailleurs ramener les ecclésiastiques à leur vraie
institution qui les écarte des affaires temporelles.
Ste-Foy-de-Peyrolières (Pays de Rivière-Verdun, actuel département de la Haute-Garonne)

Source : Cahiers de doléances.

Bibliographie : 1789. Les Français ont la parole. Cahiers de doléances des Etats généraux,
présentés par Pierre GOUBERT et Michel DENIS, Paris, Julliard, 1964 ; Ph. GRATEAU, Les cahiers de
doléances. Une relecture culturelle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001 ; Bernard
PLONGERON, La vie quotidienne du clergé français au XVIIIe siècle, Paris, Hachette, 1974 ; Pierre
SERNA, Que demande le peuple ? Les cahiers de doléances de 1789, Paris, Textuel, 2019 ; Timothy
TACKETT, La Révolution, l'Eglise, la France, le serment de 1791, Paris, Cerf, 1986 ; Michel VOVELLE,
La chute de la monarchie, 1787-1792, "Nouvelle histoire de la France contemporaine", Paris, Le
Seuil, collection Points Histoire, 1972.

21
Sujet 11. L’art de gouverner d’Henri IV : séduction et autoritarisme

Le jeudi 7e de ce mois [janvier 1599], le roi manda ses gens du Parlement au Louvre pour la
vérification de l'Édit de ceux de la religion, auxquels il parla en roi et en termes exquis et choisis,
qui depuis ont été imprimés [...].
Sa Majesté leur dit ce qui s'ensuit : « Vous me voyez en mon cabinet, où je viens parler à
vous, non point en habit royal, comme mes prédécesseurs, ni avec l'épée et la cape, ni comme un
prince qui vient parler aux ambassadeurs étrangers, mais vêtu comme un père de famille, en
pourpoint, pour parler franchement à ses enfants. Ce que j'ai à vous dire est que je vous prie de
vérifier l'Édit que j'ai accordé à ceux de la religion. Ce que j'en ai fait est pour le bien de la paix. Je
l'ai faite au dehors, je la veux au dedans. Vous me devez obéir, quand il n'y aurait autre
considération que de ma qualité et de l'obligation que m'ont tous mes sujets, et particulièrement
vous tous de mon Parlement. J'ai remis les uns en leurs maisons, dont ils étaient bannis ; les autres
en la foi, qu'ils n'avaient plus. Si l'obéissance était due à mes prédécesseurs, il m'est dû autant ou
plus de dévotion, d'autant que j'ai établi l'État, Dieu m'ayant choisi pour me mettre au royaume, qui
est mien par héritage et par acquisition. Les gens de mon Parlement ne seraient en leur siège sans
moi. Je ne me veux vanter, mais si veux-je bien dire que je n'ai exemple d'autre à imiter que de
moi-même. Je sais bien qu'on a fait des brigues au Parlement, que l'on a suscité des prédicateurs
séditieux, mais je donnerai bien ordre contre ces gens-là et ne m'en attendrai pas à vous. C'est le
chemin qu'on prit pour faire les Barricades et venir par degrés à l'assassinat du feu roi. Je me
garderai bien de tout cela : je couperai la racine à toutes factions, à toutes prédications séditieuses,
et je ferai accourcir tous ceux qui les susciteront. J'ai sauté sur des murailles de villes : je sauterai
bien sur des barricades, qui ne sont pas si hautes. Ne m'alléguez point la religion catholique. Je
l'aime plus que vous, je suis plus catholique que vous : je suis fils aîné de l'Église. Vous vous abusez
si vous pensez être bien avec le Pape. J'y suis mieux que vous. Vous avez beau faire, je sais tout ce
que vous faites, je sais tout ce que vous dites. J'ai un petit démon qui me le révèle. Ceux qui ne
voudraient que mon Édit passe veulent la guerre : je la déclarerai à ceux de la religion, mais je ne la
ferai pas. Vous irez la faire, vous, avec vos robes, et ressemblerez à la procession des Capucins qui
portaient le mousquet sur leurs habits. Il vous fera bon voir ! Quand vous ne voudrez passer l'Édit,
vous me ferez aller au Parlement. Vous serez ingrats quand vous m'aurez créé cet ennui. [...] La
nécessité me fit faire cet Édit. Par la même nécessité, j'ai fait autres fois le soldat. On en a parlé, et
n'en ai pas fait le semblant. Je suis roi maintenant, et parle en roi, et veux être obéi ! A la vérité la
Justice est mon bras droit ; mais si la gangrène s'y prend, le gauche le doit couper. Quand mes
régiments ne me servent pas, je les casse. Que gagnerez-vous ? Quand vous ne voudrez vérifier
l'Édit, aussi bien le ferai-je passer. [...]
« Donnez à mes prières ce que ne voudriez donner aux menaces. Vous n'en aurez point de
moi. Faites seulement ce que je vous demande, ou plutôt dont je vous prie. Vous ne ferez pas
seulement pour moi, mais aussi pour vous et pour le bien de la paix. »

Source : Pierre de L'ESTOILE, Journal pour le règne de Henri IV. T. 1, 1589-1600, texte intégral
présenté et annoté par Louis-Raymond LEFÈVRE, Paris, Gallimard, 1948, p. 555-558.

22
Bibliographie : Jean-Pierre BABELON, Henri IV, Paris, Fayard, 1982 ; Janine GARRISSON, L'Édit de
Nantes et sa révocation. Histoire d'une intolérance, Paris, Seuil, 1985 ; Emmanuel LE ROY LADURIE,
Henri IV ou l'Ouverture, Paris, Bayard, coll. « Les grands hommes d'État », Paris, BnF, 2005 ; Jean-
Marie CONSTANT, Henri IV, roi d'aventure, Paris, Perrin, 2010 ; Joël CORNETTE, Henri IV à Saint-
Denis. De l'abjuration à la profanation, Paris, Belin, 2010.

23
Sujet 12. Gaston d’Orléans dénonce la tyrannie de Richelieu (1631)

Il y a longtemps que le cardinal de Richelieu a dessein formé de se rendre souverain de cette


monarchie, sous le titre de ministre du royaume, et, encore qu'il vous laisse le nom et la figure de
roi pour un temps, il veut pourtant vous mettre en sa dépendance de gré ou de force, et après
s'être défait de vous et de moi, finalement demeurer le maître.
Pour mettre son plan en œuvre, il a jugé nécessaire d'avoir en même temps trois choses en
sa puissance : la première est la force du royaume, la seconde votre conduite, et la troisième votre
personne, celle de la reine Madame ma mère, et la mienne conjointement en sa possession.
Quant aux deux premières, il n'a plus rien à souhaiter, car pour l'une, il tient en sa main
toutes les forces de la France, soit par les places fortes ou importantes où il commande, soit par
l'autorité qu'il a sur les gens de guerre ; la disposition de votre artillerie et de tout ce qui en
dépend, ayant destitué l'officier de la couronne qui en avait la charge ; l'empire et l'établissement
indépendant sur la mer ; l'administration des finances par une de ses créatures ; la plus grande
partie de l'argent comptant du royaume qu'il a fait retirer dans ses places ; la faculté de distribuer
seul les bienfaits, d'accorder les grâces, d'infliger les peines ; bref, par la créance empreinte dans
tous les esprits que le bien et le mal dépendent de sa volonté, seule toute puissante et sans
contredit.
Et quand à la seconde, il est aujourd'hui maître absolu de votre conduite, non seulement par
l'entière créance que vous avez en lui, mais encore parce qu'il a tellement occupé les avenues de
votre secret et dominé si puissamment sur tout ce qui vous environne qu'à présent la reine
Madame ma mère ne pouvant vous approcher, un seul organe n'agit plus auprès de vous que par
son mouvement et que tous les sons que vous entendez ne sont que des échos qui résonnent par
sa voix, en sorte qu'il est vrai, Monseigneur, que vous n'avez pu éviter jusqu'ici, quelques lumières
d'esprit que vous ayez (lesquelles je reconnais être très grandes), que vos volontés et vos actions
ne soient tombées en sa dépendance.
Et pour le regard de la troisième, il est bien constant qu'il tient votre personne couvertement
aussi bien que celle de la reine Madame ma mère ouvertement en sa puissance, et qu'il ne lui
manque de ce dernier point que de tenir la mienne conjointement avec celles de Vos Majestés
pour consommer entièrement son dessein. [...]
Il est encore à remarquer [...] que la dissipation de vos finances, telle pourtant qu'elle a réduit
votre peuple à une extrême nécessité, ne vient pas seulement de la mauvaise administration ni des
dépenses faites en la guerre, et spécialement en celle d'Italie qui a coûté plus de cinquante
millions, laquelle il a entreprise pour sa vanité, son ambition et son intérêt au détriment de la
France, [...] mais elle provient aussi de ce qu'il a voulu exprès appauvrir l'Etat par tributs, impôts et
dépenses excessives d'un côté, et de l'autre se rendre puissant par l'amas qu'il fait de tout l'argent,
afin qu'au point de l'exécution de son entreprise tout soit tellement abattu, et lui si fort, que rien ne
soit capable de lui contredire. [...]
Seulement je vous dirai ce que j'ai vu. C'est qu'il n'y a pas un tiers de vos sujets dans la
campagne qui mange du pain ordinaire, l'autre tiers ne vit que de pain d'avoine, et l'autre tiers
n'est pas seulement réduit à la mendicité, mais languit dans une nécessité si lamentable qu'une
partie meurt effectivement de faim, l'autre ne se sustente que de glands, d'herbes et choses

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semblables, comme les bêtes. Et les moins à plaindre de ceux-ci ne mangent que du son et du
sang qu'ils ramassent dans les ruisseaux des boucheries. J'ai vu ces misères de mes yeux en divers
endroits depuis mon partement de Paris.

Source : Lettre écrite au roi par Gaston d'Orléans, de Nancy, le 30 mai 1631, citée dans Georges
MONGREDIEN, 10 novembre 1630. La Journée des Dupes, Paris, Gallimard, 1961, p. 215-218.

Bibliographie : Christian BOUYER, Gaston d'Orléans, Paris, Pygmalion, 1999 ; Georges DETHAN,
Gaston d'Orléans, conspirateur et prince charmant, Paris, Fayard, 1959 ; Françoise HILDESHEIMER,
Richelieu, Paris, Flammarion, 2004.

25
Sujet 13. Le gouvernement personnel de Louis XIV

Quant aux personnes qui devaient seconder mon travail, je résolus sur toutes choses de ne
point prendre de premier ministre ; et si vous m'en croyez, mon fils, et tous vos successeurs après
vous, le nom en sera pour jamais aboli en France, rien n'étant plus indigne que de voir d'un côté
toutes les fonctions, et de l'autre le seul titre de roi.
Pour cela, il était nécessaire de partager ma confiance et l'exécution de mes ordres, sans la
donner tout entière à pas un, appliquant ces diverses personnes à diverses choses selon leurs
divers talents, qui est peut-être le premier et le plus grand talent des princes. [...]
Dans les intérêts les plus importants de l'Etat, et les affaires secrètes, où le petit nombre de
têtes est à désirer autant qu'autre chose, et qui seules demandaient plus de temps et plus
d'application que toutes les autres ensemble, ne voulant pas les confier à un seul ministre, les trois
que je crus y pouvoir servir le plus utilement furent Le Tellier, Fouquet et Lionne. [...]
J'aurais pu sans doute jeter les yeux sur des gens de plus haute considération ; mais non pas
qui eussent eu plus de capacité que ces trois ; et ce petit nombre, comme je vous l'ai déjà dit, me
paraissait meilleur qu'un plus grand.
Pour vous découvrir même toute ma pensée, il n'était pas de mon intérêt de prendre des
sujets d'une qualité plus éminente. Il fallait, avant toutes choses, établir ma propre réputation, et
faire connaître au public, par le rang même d'où je les prenais, que mon intention n'était pas de
partager mon autorité avec eux. [...]
Plusieurs se persuadaient que dans peu quelqu'un de ceux qui m'approchaient s'emparerait
de mon esprit et de mes affaires. La plupart regardaient l'assiduité de mon travail comme une
chaleur qui devait bientôt se ralentir ; et ceux qui voulaient en juger plus favorablement attendaient
à se déterminer par les suites.
Le temps a fait voir ce qu'il en fallait croire, et c'est ici la dixième année que je marche,
comme il me semble, assez constamment dans la même route, ne relâchant rien de mon
application ; informé de tout ; écoutant mes moindres sujets ; sachant à toute heure le nombre et la
qualité de mes troupes, et l'état de mes places ; donnant incessamment mes ordres pour tous leurs
besoins ; traitant immédiatement avec les ministres étrangers ; recevant et lisant les dépêches ;
faisant moi-même une partie des réponses, et donnant à mes secrétaires la substance des autres ;
réglant la recette et la dépense de mon Etat ; me faisant rendre compte directement par ceux que
je mets dans les emplois importants ; tenant mes affaires aussi secrètes qu'aucun autre l'ait fait
avant moi ; distribuant les grâces par mon propre choix, et retenant, si je ne me trompe, ceux qui
me servent, quoique comblés de bienfaits pour eux-mêmes et pour les leurs, dans une modestie
fort éloignée de l'élévation et du pouvoir des premiers ministres.

Source : Louis XIV, Mémoires pour l'instruction du Dauphin, édités par Pierre Goubert, Paris,
Imprimerie nationale, 1991, p. 53-58.

Bibliographie : Yves-Marie BERCE, Louis XIV, Paris, Cavalier Bleu, « Idées reçues », 2005 ; François
BLUCHE, Louis XIV, Paris, Fayard, 1986 ; Olivier CHALINE, Le Règne de Louis XIV, Paris,
Flammarion, 2005 ; Joël CORNETTE dir., La monarchie entre Renaissance et Révolution, 1515-1792,
Paris, Seuil, 2000.

26
Sujet 14. Une commission d’intendant

Du trentième octobre mil sept cens dix-huit.


Louis par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre à notre amé féal conseiller en nos
Conseils, maître des requêtes ordinaire de notre hôtel le sieur de Lesseville, Salut, étant satisfait
des services que vous nous avez rendus en qualité d’intendant de justice, police et finances en la
Généralité de Limoges et désirant que vous nous les continuiez en la même qualité dans celles de
Béarn et d’Auch, à la place du sieur Le Gendre aussi conseiller en nos Conseils, Maître des requêtes
ordinaire de notre hôtel, que nous envoyons dans la Généralité de Tours, à ces causes et autres, à
ce Nous mouvant de l’avis de notre très cher et très aimé oncle le duc d’Orléans régent.
Nous vous avons commis et député, commettons et députons par ces présentes signées de
notre main pour vous transporter dans lesdites généralités, avec pouvoir de vous trouver et assister
aux Conseils qui seront tenus par nos Gouverneurs et nos Lieutenants en icelles pour nos plus
importantes affaires, leur donner votre avis, conférer avec eux selon que le bien de notre service le
requerra.
Informer de tous désordres, pratiques et menées secrètes qui se pourraient faire contre
notredit service, de tous ports d’armes et assemblées illicites, levées de gens de guerre sans notre
ordre, déportements, façons de nuire, délits et abus de ceux qui pourraient passer ou être en
garnison dans lesdites généralités, vous donnant pouvoir de faire et parfaire le procès à tous gens
de guerre coupables et à tous ceux qui commettront des rébellions, empêcheront ou s’opposeront
directement ou indirectement à la levée de nos deniers, jusques à jugement définitif et exécution
d’icelui inclusivement et en dernier ressort, appeler avec vous le nombre de juges ou gradués des
lieux portés par nos ordonnances, tenir la main à ce que les gens de guerre suivent leur route et
gardent en tout la discipline militaire suivant nos ordonnances et règlements.
Vérifier les dettes des communautés, juger de la validité ou invalidité d’icelles, ensemble les
procès émeus et à mouvoir pour raison desdites dettes et de leurs cautions et coobligés dont elles
sont garantes et leur accorder les délais et surséances que nous estimons nécessaires.
Vous faire représenter les comptes de ceux qui ont eu le maniement des deniers communs et
d’octroi desdites villes, ensemble les pièces justificatives d’icelles, vous en attribuant à cette fin
toute juridiction et connaissance, sauf l’appel en notre Conseil et icelle interdisons à tous autres
juges.
Connaître des impositions qui se feront dans lesdites généralités, vous faire aussi représenter
le département des rôles des tailles et de l’impôt du sel, vous transporter dans toutes les paroisses
pour examiner et connaître si lesdits rôles ont été bien et demeurent faits suivant nos ordonnances
et règlements.
Informer pareillement des abus et malversations qui pourraient avoir été faits dans lesdites
départements des tailles et du sel, […] et généralement de tous les abus et désordres qui se
peuvent commettre dans les départements, assiettes et recouvrement desdites tailles et impôts du
sel et tous autres empêchements qui pourraient être apportés à la perception d’iceux directement
ou indirectement et par quelque personne que ce puisse être de quelque état et condition qu’elle
soit, décréter contre les coupables et renvoyer au Conseil lesdits décrets et informations pour y
être pourvu.

27
Exciter la vigilance desdites officiers des élections et greniers à sel pour la conservation de
nos Droits et s’il advient qu’ils manquent aux devoirs de leurs charges nous en donner avis.
Décerner toutes ordonnances et même toutes contraintes nécessaires pour le recouvrement
de nosdits deniers, même faire compter par devant vous tous les receveurs généraux et particuliers
de nos finances et autres qui ont eu le maniement de nosdits deniers.
Assister et présider au département d’iceux tant au Bureau des Trésoriers de France, qu’aux
élections dans lesquelles votre voix prévaudra.
Réformer les abus qui pourront avoir été commis auxdits départements […].
Tenir la main à ce que nos droits d’aides se lèvent dans lesdites généralités suivant la forme
prescrite par les édits et déclarations, règlements et baux […].
Ouïr les plaintes et doléances de nos sujets.
Entrer et présider aux assemblées des villes lorsque besoin sera, même lors des élections
des échevins et autres charges municipales pour y faire observer l’ordre requis.
Entrer et présider aussi aux Présidiaux et Sièges royaux toutes fois et quantes vous le jugerez
à propos.
Informer de tous les abus qui se peuvent commettre en l’administration de la justice, soit en
matière civile […] comme aussi des abus qui se rencontrent au fait de la justice, de tous crimes qui
seront demeurés impunis, des raisons et fauteurs de cette impunité, exciter même et provoquer sur
ce sujet, suivant nos ordonnances et règlements, les plaintes de ceux qui, par quelque
considération que ce soit, n’ont osé et n’osent pas se plaindre jusqu’à présent.
Informer d’office et décréter contre ceux qui se trouveront coupables et contre lesquels les
juges ordinaires des lieux ne procéderaient pas selon le devoir de leurs charges et envoyer vos
informations et décrets à notre Cour de Parlement ou autrement ainsi que nous jugerons
raisonnable.
Vous faire représenter par les prévôts des maréchaux, vice-baillifs, vice-maréchaux et leurs
lieutenants tous les procès-verbaux de chevauchée par eux faits, même faire en votre présence, si
bon vous semble, la revue de leurs officiers et archers pour connaître s’ils sont équipés et armés
comme ils le doivent être pour le bien de notre service […].
Voulons et entendons que vous puissiez pourvoir à tout ce qui regarde le bien de notredit
service, l’observation de nos ordonnances touchant la justice, police et finances et le bien et le
devoir de nos sujets dans toute l’étendue desdites Généralités. […]
Et seront nos ordonnances et tout ce qui sera par vous et vos subdélégués, décerné, exécuté
nonobstant oppositions ou appellations quelconques, dont si aucunes interviennent, Nous avons
décerné la connaissance à Nous et à Notre Conseil, et icelle interdite et défendue à tous autres
juges.
Et jouir par vous de ladite charge d’Intendant de Justice, Police et finances dans lesdites
Généralités de Béarn et d’Auch, aux honneurs, pouvoirs, prééminences, prérogatives et
appointements qui y appartiennent, tous ainsi qu’a fait ledit sieur Le Gendre, de ce faire vous
donnons pouvoir, commission et mandement spécial par cesdites présentes.
Mandons au Gouverneur et nos lieutenants dans cesdites Généralités et tous Gouverneurs
des villes et places, Capitaines, Chefs et Conducteurs de nos gens de guerre, allant et retournant
dans lesdites Généralités, officiers de justice et de finances et à tous autres qu’il appartiendra qu’en
tout ce qui dépendra de l’exécution de la présente commission ils aient chacun en droit soit à vous
reconnaître, obéir et faire obéir à vos ordonnances et mandements, et donner toute assistance et

28
main-forte selon qu’ils en seront par vous requis. Car tel est notre plaisir. Donné à Paris le huitième
jour de mars, l’an de grâce mil sept cent dix-huit et de notre règne le troisième.
LOUIS

Source : Archives départementales du Gers, C 430. Publié par M. BORDES, L’administration


provinciale et municipale en France au XVIIIe siècle, Paris, 1972.

Bibliographie : Michel ANTOINE, Le gouvernement sous Louis XV. Dictionnaire biographique,


Paris, 1978 ; Bernard BARBICHE, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne,
XVIe-XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1999 ; François BLUCHE (dir.), Dictionnaire du Grand Siècle, Paris,
Fayard, 1990 ; François-Xavier EMMANUELLI, L’intendance du milieu du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe
siècle. France, Espagne, Amérique. Un mythe de l’absolutisme bourbonien, Aix-en-Provence,
Université de Provence, 1981 ; Annette SMEDLEY-WEILL, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard,
1995.

29
Sujet 15. Un projet de règlement de collège à Lyon (1540)

Premièrement, soit ordonné par dessus tous un principal, homme de bonnes mœurs, ayant
un sens commun et jugement sans suivre ses privées affections, qui soit aussi de bonnes lettres
pour savoir discerner la qualité de ses régents et le devoir qu'ils font vers leurs disciples ; lequel
étant aussi docte, sera plus révéré, craint et aimé tant de ses régents que des écoliers que s'il est
inférieur à eux ès choses susdites.
Item qu'il aie autorité laquelle en partie lui peut être donnée par messieurs les collateurs du
collège qui sont Messeigneurs les consuls de la ville. En partie, il peut l'avoir en composant son état
et maintien selon la charge publique a lui donnée, car icelle, ajoutée à l'autorite y accorde avec
gravité, laquelle sans autorité est ridicule, voire détestée. Le principal, quant au fait de l'institution
littéraire de la jeunesse à lui commise, aie quatre bons régents tant en mœurs qu'en doctrine,
desquels le premier et le second soient gens éloquents et savants en deux langues, grecque et
latine, en dialectique des mathématiques et autre à ce requis, interprétation des auteurs et
hommes de bonne tradition et bons jugements. Le tiers soit savant et propre en langue latine, bon
grammairien pour fonder les enfants montant de classe en autre tous les ans, au jour de la Saint-
Rémy, selon la coutume parisienne, avec l'avis du principal, jugeant du profit et de l'avancement
d'iceulx par compositions et interrogatoires, soient bien préparés par leurs premiers fondateurs à
monter aux édificateurs. Le quatrième régent que l’on dit ici bachelier ne soit pas ignorant mais
surtout bien accentuant et prononçant bien distinctement pour la bonne lecture, accent et
prononciation, pour accoutumer dès le premier commencement qui tient à jamais la langue
formable des enfants, pour laquelle chose faire plus commodément attendu que [...] la plus grande
partie des écoliers lyonnais est de cette basse classe. II semble bon que tous les petits enfants
fussent apprenant avec des Heures ABCZ de même usage et semblablement ABCZ et livres en
français de même histoire, les instruisant par telle manière que point ils ne vinssent réciter leur
leçon l’un après l’autre à l'oreille du bachelier comme la coutume est, où souvent le maître dort,
mais sans bouger de leur place, répétant à claire et haute voix distincte et articulée leur leçon, tous
les autres écoutant en grand silence ; et sera permis aux autres de la même leçon, écoutant le
récitant, le reprendre s'il le faut, et par icelle répréhension leur sera quelque petite gloire adjugée
par le précepteur, de laquelle ces petits esprits juvéniles excités seront plus attentifs à leurs leçons
et mieux connaissant leurs fautes, toujours sous le jugement du précepteur. Ainsi ils répéteront
tous l'un après l'autre une brève leçon mais bien entendue, tant que durera une bonne heure à
chaque entrée de classe. L'ordre des leçons sera tel que à la généralité universelle des allants et
venants [les externes], sera lu ou répété quatre fois le jour, chacune fois une bonne heure sans les
questions où assisteront les régents jugeant des controverses de leurs disciplines, aux portionnistes
[les internes] seront faites deux répétitions supplémentaires, après dîner et après souper.
Item, une fois la semaine qui sera le samedi, seront mises conclusions et disputes faites
classe contre classe, prix proposés aux vainqueurs. Item, au lieu de jouer le mardi, qui serait jeu
trop fréquent, ils composeront toute l’après-dîner et rendront leurs compositions [...] et les petits
copieront des modèles. Le jeudi, après dîner, auront depuis la répétition jusqu'a la dernière leçon,
l'espace de trois heures, qu'ils emploieront en toutes manières de jeux libéraux que leur
prescriront même leurs maîtres et régents comme à jeux de pelote et balles, à jeux de nombres, à

30
chanter en musique, à certains jets de pierres ou pièces de bois ou seront entaillées les lettres
grecques et latines, bataillant les unes contre les autres [...] en ôtant tous vilains jeux de canaille. Et
parfois seront menés aux champs par beau temps. Item, tant en jeu que hors jeu, ne sera parlé
autre langue que grecque ou latine sauf pour les petits enfants lesquels vaut mieux qu'ils parlent
bon lyonnais que de s'accoutumer à mauvais et barbare latin. Aux autres qui pourront et sauront
parler latin ou grec, sera ordonnée règle non seulement de latinité ou grécisme mais aussi de plus
éloquemment parler l'un et l'autre. Et aussi des mœurs comme du jurement, injure, défaut et
semblables. En laquelle règle seront notables et comptables par censure scolastique. Le principal
ne fera point de leçon certaine, mais tous les jours en fera telle qu'il voudra choisir, une fois la
grande, une fois la moindre, une fois la moyenne, selon son choix, en renvoyant le régent duquel il
fera la leçon ; car en faisant cela, il tiendra ses disciples de crainte révérentielle et les régents en
leur devoir, craignant qu'à l'improviste, ils ne soient surpris malversans en leur office. Aussi pourra
faire le principal les jours de fêtes, une leçon publique de quelque bon auteur. [...] Quant a
l'intendance et nourriture des enfants, ils seront nourris suffisamment et plus honnêtement que
superfluement. [...] N'y aura point de femme. Car c'est une peste en un collège, mais un bon
proviseur ou dispenseur, un cuisinier net et ras de tout poil et deux marmitons à faire les lits, servir
à table et laver la vaisselle. Item, un portier garde une seule porte qui sera la porte moyenne de
l'année vers rue Neuve, auquel lieu faudra édifier une petite loge au portier à la mode de Paris par
les fenêtres de la première classe. Et aussi voir les allants et venants.
Aux actes publics, comme en allant à la messe, au sermon, en procession, mettra le principal
si bon ordre avec ses régents que les disciples étant exposés aux yeux du public ne causeront ni
scandale ni déshonneur. A l'aide de Dieu, donateur de toutes les grâces.

Source : B. BIOIT, “ Un projet innovant pour un collège humaniste ”, Bibliothèque d'Humanisme et


Renaissance, 1994, p. 447-450.

Bibliographie : R. CHARTIER, D. JULIA, M.-M. COMPERE, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe


siècle, Paris, SEDES, 1976 ; A. JOUANNA, P. HAMON, D. BILOGHI, G. LE THIEC, La France de la
Renaissance. Histoire et dictionnaire, Paris, Laffont, 2001 ; D. JULIA et M.-M. COMPERE, Les collèges
français, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, INRP, 1984-1988.

31
Sujet 16.
Octobre 1787 : Paris et la « fermentation française » selon Arthur Young

13 octobre. - Traversé Paris pour aller rue des Blancs-Manteaux, voir M. Broussonnet,
secrétaire de la Société d’Agriculture ; il est en Bourgogne. […] Il y a eu beaucoup de pluie toute la
journée et, pour qui est accoutumé à Londres, c’est presque incroyable à quel point les rues sont
sales et quelle horrible incommodité et quel danger il y a à se promener sans trottoir. Nous
dînâmes en nombreuse compagnie ; dans le nombre, on comptait des hommes politiques, et il y
eut une intéressante conversation sur l’état actuel de la France. Le sentiment général semble être
que l’archevêque ne sera nullement capable de décharger l’Etat de l’écrasante situation qui pèse à
présent sur lui. […]
14 octobre. - Eté à l’abbaye bénédictine de Saint-Germain pour voir les piliers de marbre
d’Afrique, etc. C’est la plus riche abbaye de France : l’abbé a 300 000 livres par an. Je perds
patience, quand je vois de pareils revenus ainsi attribués ; cela convient à l’esprit du Xe siècle, mais
non à celui du XVIIIe. Quelle belle ferme on pourrait créer avec ce revenu ! Quels navets ! Quels
choux ! Quelles pommes de terre ! Quelle luzerne ! Quelle laine ! Tout cela ne vaudrait-il pas mieux
que d’engraisser un ecclésiastique ? Si un habile cultivateur anglais montait en croupe derrière cet
abbé, je pense qu’il ferait beaucoup plus de bien à la France avec la moitié de ce revenu que tous
les abbés du royaume avec leurs revenus tout entiers […]. Par les boulevards, à la place Louis-XV,
qui n’est pas à proprement parler une promenade, mais l’entrée grandiose d’une grande ville. Les
façades des deux bâtiments qu’on y a élevés sont très imposantes. La jonction de la place Louis-XV
avec les Champs-Elysées, les jardins des Tuileries et la Seine constituent quelque chose d’ouvert,
d’aéré, d’élégant, de superbe ; c’est le quartier de Paris le plus agréable et le mieux bâti ; là, on
peut être propre et respirer librement.
[…] Le soir, à la Comédie-Italienne, qui est un bel édifice ; tout le quartier est régulier et bien
construit ; c’est une spéculation privée du duc de Choiseul. […]
16 octobre. - Au rendez-vous de M. Lavoisier, Mme Lavoisier, une femme pleine de vie, de
sens, de savoir, avait préparé un déjeuner anglais, avec du thé et du café […]. Cet appartement, les
expériences qu’on y fait et qui l’ont rendu si intéressant pour le monde des physiciens, j’ai eu plaisir
à le voir. Dans l’appareil destiné aux expériences sur l’air, rien ne fait autant d’impression que la
machine pour brûler l’air inflammable et vital, pour faire ou condenser l’eau ; c’est un splendide
instrument. […]
17 octobre. - […] Dîné aujourd’hui avec une société dont la conversation fut entièrement
politique. La Requête au Roi, de M. de Calonne, a paru, et tout le monde en parle et discute à son
sujet. Cependant, on semble, en général, tomber d’accord que, sans se décharger de l’accusation
d’agiotage, il a jeté une charge assez lourde sur les épaules de l’archevêque de Toulouse,
actuellement Premier ministre, qui sera embarrassé de repousser l’attaque. Mais ces deux ministres
sont condamnés par tout le monde en bloc, comme étant absolument incapables de faire face aux
difficultés d’une période si difficile. Une opinion prévalait dans tout ce cercle, c’est qu’on était à
l’aurore d’une grande révolution dans le gouvernement ; que tout le montre : la grande confusion
dans les finances, avec un déficit impossible à combler sans les États généraux du royaume ;
aucune idée sur ce que pourrait être le résultat de leur assemblée ; aucun ministre, personne au

32
pouvoir ou hors du gouvernement, qui ait des talents assez marqués pour trouver d’autres remèdes
que des palliatifs ; sur le trône, un prince animé d’excellentes intentions, mais n’ayant pas des
ressources d’intelligence suffisantes pour gouverner en un tel moment sans ministres ; une cour
ensevelie dans le plaisir et la dissipation, et aggravant la détresse, au lieu de se dévouer à
rechercher une situation plus indépendante ; une grande fermentation dans tous les rangs de la
société, désireuse de changement, sans savoir que chercher ou que désirer ; un grand levain de
liberté, croissant à chaque heure depuis la Révolution américaine ; le tout forme une combinaison
de circonstances qui annoncent une grande fermentation et agitation, si quelque homme
supérieur, de très grand talent et d’un inflexible courage, ne se trouve pas au gouvernail pour
guider les événements, au lieu d’être emporté par eux. Il est très remarquable que jamais une
pareille conversation n’a eu lieu sans que la banqueroute ne vienne sur le tapis. A propos d’elle, on
se pose cette curieuse question : une banqueroute occasionnerait-elle une guerre civile et une
totale subversion du gouvernement ? Les réponses que l’on m’a faites à cette question me
paraissent justes : une telle mesure, conduite par un homme capable, vigoureux et ferme ne
produirait certainement ni l’une ni l’autre. Mais cette mesure, tentée par un homme d’un caractère
différent, pourrait avoir ces deux conséquences. Tous s’accordent à dire que les États du royaume
ne peuvent s’assembler sans qu’une plus grande liberté n’en soit la conséquence ; mais, parmi les
hommes que je rencontre, il en est si peu qui aient des idées justes sur la liberté que je ne sais de
quelle espèce serait cette nouvelle liberté, qui naîtrait. Ils ne savent pas comment évaluer les
privilèges du peuple ; quant à la noblesse et au clergé, si une révolution augmentait encore
quelque peu leur situation, je pense qu’il en résulterait plus de mal que de bien.

Source : A. YOUNG, Voyages en France en 1787, 1788 et 1789 (Londres, 1792), H. SEE éd., Paris,
Colin, 1931, rééd. 1976, t. I, p. 184-194.

Bibliographie : J.-P. BERTAUD, Les causes de la Révolution française, Paris, Colin, 1992 ; R.
CHARTIER, Les origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990 ; J. CORNETTE dir.,
La monarchie entre Renaissance et Révolution, 1515-1792, Paris, Seuil, 2000 ; M. COTTRET, Culture
et politique dans la France des Lumières (1715-1792), Paris, Colin, 2002 ; J. EGRET, La Pré-
Révolution française (1787-1788), Paris, PUF, 1962 ; Jean-Christian PETITFILS, Louis XVI, Paris,
Perrin, 2005 ; D. POULOT, Les Lumières, Paris, PUF, 2000 ; M. VOVELLE, La chute de la monarchie
(1787-1792), Paris, Seuil, 1971 ; M. VOVELLE, L’homme des Lumières, Paris, Seuil, 1996 ; M.
WINOCK, 1789, l’année sans pareille, Paris, Perrin, 1988.

33
Sujet 17. La monarchie face à l’opposition parlementaire

Ce qui s’est passé dans mes parlements de Pau et de Rennes, ne regarde pas mes autres
parlements ; j’en ai usé à l’égard de ces deux cours, comme il importait à mon autorité, et je n’en
dois compte à personne.
Je n’aurais pas d’autre réponse à faire à tant de remontrances qui m’ont été faites à ce sujet,
si leur réunion, l’indécence du style, la témérité des principes les plus erronés et l’affectation
d’expressions nouvelles pour les caractériser, ne manifestaient les conséquences pernicieuses de
ce système d’unité, que j’ai déjà proscrit, et qu’on voudrait établir en principe, en même temps
qu’on ose le mettre en pratique.
Je ne souffrirai pas qu’il se forme dans mon royaume une association qui ferait dégénérer en
une confédération de résistance le lien naturel des mêmes devoirs et des obligations communes ;
ni qu’il s’introduise dans une monarchie un corps imaginaire, qui ne pourrait qu’en troubler
l’harmonie. La magistrature ne forme point un corps, ni un ordre séparé des trois ordres du
royaume : les magistrats sont mes officiers, chargés de m’acquitter du devoir vraiment royal de
rendre la justice à mes sujets ; fonction qui les attache à ma personne, et qui les rendra toujours
recommandables à mes yeux. Je connais l’importance de leurs services ; c’est donc une illusion qui
ne tend qu’à ébranler la confiance, par des fausses alarmes, que d’imaginer un projet formé
d’anéantir la magistrature, et de lui supposer des ennemis auprès du trône. Ses seuls, ses vrais
ennemis sont ceux qui, dans son propre sein, lui font tenir un langage opposé à ses principes ; qui
lui font dire :
Que tous les parlements ne forment qu’un seul et même corps, distribué en plusieurs
classes ; que ce corps nécessairement indivisible, est de l’essence de la monarchie, et qu’il lui sert
de base ; qu’il est le siège, le tribunal, l’organe de la nation ; qu’il est le protecteur et le dépositaire
essentiel de sa liberté, de ses intérêts, de ses droits ; qu’il lui répond de ce dépôt, et serait criminel
envers elle, s’il l’abandonnait ; qu’il est comptable de toutes les parties du bien public, non
seulement au roi, mais aussi à la nation ; qu’il est juge entre le roi et son peuple : que gardien du
lien respectif, il maintient l’équilibre du gouvernement, en réprimant également l’excès de la liberté
et l’abus du pouvoir ; que les parlements coopèrent avec la puissance souveraine dans
l’établissement des lois ; qu’ils peuvent quelquefois, par leur seul effort, s’affranchir d’une loi
enregistrée, et la regarder à juste titre comme non existante ; qu’ils doivent opposer une barrière
insurmontable aux décisions qu’ils attribuent à l’autorité arbitraire, et qu’ils appellent des actes
illégaux, ainsi qu’aux ordres qu’ils prétendent surpris3 ; et que, s’il en résulte un combat d’autorités,
il est de leur devoir d’abandonner leurs fonctions et de se démettre de leurs offices, sans que leurs
démissions puissent être reçues.
Entreprendre d’ériger en principes des nouveautés si pernicieuses, c’est faire injure à la
magistrature, démentir son institution, trahir ses intérêts, et méconnaître les véritables lois
fondamentales de l’État. Comme s’il était permis d’oublier, que c’est en ma personne seule, que
réside la puissance souveraine dont le caractère propre est l’esprit de conseil, de justice et de
raison ; que c’est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ; que la
plénitude de cette autorité, qu’elles n’exercent qu’en mon nom, demeure toujours en moi, et que

3
Passés par surprise, par tromperie.

34
l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi ; que c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir
législatif sans dépendance et sans partage ; que c’est par ma seule autorité que les officiers de mes
cours procèdent, non à la formation, mais à l’enregistrement, à la publication et à l’exécution de la
loi et qu’il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de bons et fidèles conseillers ; que
l’ordre public, tout entier, émane de moi ; que j’en suis le gardien suprême ; que mon peuple n’est
qu’un avec moi ; et que les droits et intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du
monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains.
Je suis persuadé que les officiers de mes cours ne perdront jamais de vue ces maximes
sacrées et immuables, qui sont gravées dans le cœur de tout sujet fidèle ; et qu’ils désavoueront
ces impressions étrangères, cet esprit d’indépendance et ces erreurs, dont ils ne sauraient
envisager les conséquences, sans que leur fidélité en soit effrayée.
Leurs remontrances seront toujours reçues favorablement, quand elles ne respireront que
cette modération qui fait le caractère du magistrat et de la vérité ; quand le secret en conservera la
décence et l’utilité […].
Mais si après que j’ai examiné ces remontrances, et qu’en pleine connaissance de cause, j’ai
persisté dans mes volontés, mes cours persévéreraient dans le refus de s’y soumettre au lieu
d’enregistrer du très-exprès commandement du Roi, formule usitée pour exprime le devoir
d’obéissance […], ce spectacle scandaleux, d’une contradiction rivale de ma puissance souveraine,
me réduirait à la triste nécessité d’employer tout le pouvoir que j’ai reçu de Dieu, pour préserver
mes peuples des suites funestes de telles entreprises.
Que les officiers de mes cours pèsent donc avec attention, ce que ma bonté veut bien encore
leur rappeler.

Source : Procès-verbal de la séance royale du parlement de Paris du 3 mars 1766, dite séance de la
Flagellation, dans Jules FLAMMERMONT, Remontrances du parlement de Paris au XVIIIe siècle, t. 2,
1755-1768, Paris, Imprimerie nationale, 1895, p. 555-558.

Bibliographie : Michel ANTOINE, Louis XV, Paris, Fayard, 1989 ; Jean EGRET, Louis XV et
l’opposition parlementaire, 1715-1774, Paris, Armand Colin, 1970.

35
Sujet 18. La guerre des farines à Paris, vue par le lieutenant général de police

Ce fut vers le mois de May [1775] que commencèrent dans quelques Provinces et dans
quelques villes et villages à peu de distance de Paris les émotions à l’occasion de la disette des
grains et de la cherté du pain. Paris était peu approvisionné de farines, les moyens qui devaient
procurer à cette ville une plus grande quantité de subsistances avaient été interrompus. Je ne
pouvais employer que ceux dont l’usage ne m’avait pas été interdit. Ils avaient encore pu suffire, si
je n’eusse pas été traversé. Mais déjà la fermentation s’approchait de la Capitale, il y avait eu de la
rumeur dans les marchés principaux qui fournissaient ces danrées : j’avais adressé en quatre ou
cinq jours de tems jusqu’à neuf lettres à M. Turgot, on doit penser qu’elles étaient allarmantes et
pressantes, mais toutes étaient demeurées sans réponse. Ce Ministre jugeait sans doute que je
n’avais rien à faire, que je ne devais me mêler de rien, que je devais laisser toute liberté au
commerce qui portait là où le besoin l’appelait. J’avais connaissance que des juges et des officiers
de Police d’une ville de Bourgogne avaient été repris pour s’être montrés sur la place publique où
le Peuple menasait de piller les grains, et d’ailleurs M. Turgot m’avait notifié une décision du Roi
portant que sa Majesté entendait que je ne suivisse pour les subsistances de Paris que les opinions
et les ordres de son ministre.
[…] Le 2 may 1775 il y eut à Versailles un grand soulèvement au sujet de la cherté du pain. Le
soir du jour de cette émeute, M. Turgot vint à Paris, je me transportai chez ce Ministre, j’y trouvai M.
du Sauzay major du régiment des Gardes. J’ai ignoré ce que M. Turgot et M. du Sauzay purent alors
concerter pour la sûreté de Paris, à mon égard le Ministre m’ordonna seulement de veiller et
d’avertir le guet. J’avais déjà fait plusieurs démarches de prévoyance. J’avais vu les commandans
des mousquetaires, j’avais averti les principaux officiers de la Garde de Paris. Tous avaient des
ordres et j’avais pris la précaution de faire enjoindre aux commis des fermes aux Barrières de
donner promptement avis s’ils appercevaient des gens de la campagne entrer en foulles dans la
ville et par attroupement.
Le 3 May 1775 entre sept et huit heures du matin j’eus le premier avis qu’on avait vu passer
aux barrières un assez grand nombre de paysans, mais que presque tous chargés de légumes et
d’asperges semblaient n’avoir d’autres desseins que de venir vendre leurs marchandises. Un autre
avis me fut donné d’une rumeur qui avait commencé à éclater à la halle au pain. J’envoyai
promptement M. Puissant chez M. le Maréchal de Biron pour demander mainforte. M. Du Sauzay
major du régiment des Gardes y était avec les grenadiers et plusieures compagnies rassemblées
pour aller à Notre-Dame faire bénir les drapeaux. M. le Maréchal de Biron me fit dire que pour faire
marcher le régiment qu’il commandait il avait besoin d’un ordre exprès et positif de la main du Roi,
M. du Sauzay ajouta qu’il avait prévenu la veille M. Turgot de le demander à Sa Majesté, ce que M.
Turgot ne fit que le lendemain. La populace s’attroupait vers la halle aux farines ; je parvins à sauver
le pillage de cette halle.
[…] Il était neuf heures du Matin ; la garde ou le guet de Paris devait prendre l’ordre chez le
commandant à pareille heure suivant son service réglé. Le peuple s’était déjà rendu chez les
boulangers et y pillait le pain trouvé dans les boutiques. Ce pillage avait un caractère assez
extraordinaire. Le peuple s’y portait sans grande violence et on a remarqué que les boutiques des
pâtissiers restèrent ouvertes et que leurs pâtisseries exposées pendant toute cette journée furent

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respectées. Le pillage général des boutiques de boulangers fut fait en deux heures de tems. Les
comissaires et officiers de Police n’avaient pas manqué à leur devoir ; avant la fin du jour le pillage
avait été réprimé et trente ou quarante de ceux qui s’y étaient livré avaient été arrêtés et conduits
sans aucune résistance dans les prisons.
Vers les onze heures du matin, le tumulte avait paru appaisé, mais la fermentation ne l’était
pas. J’allai à l’hôtel du Contrôle général. Le ministre y conférait sur les mesures à prendre dans la
circonstance. M. de Malesherbes était avec lui, il était encore premier président de la Cour des
Aides. Je me souviens que vers Midy, j’allai avec ce Magistrat du côté de la place des Victoires et
dans plusieures rues de Paris où ne nous remarquâmes qu’un air général d’étonnement. Suite
naturelle d’une émotion qui avait dû agiter les esprits. J’allai après chez M. le Duc de la Vrillère
ministre du département de Paris pour lui rendre compte et prendre ses ordres. Il me dit que c’était
à M. le Contrôleur Général qu’il appartenait d’en donner.
À quatre heures de l’après-dîner, je me transportai de nouveau chez M. Turgot qui ne me
donna aucun ordre particulier. Le calme semblait rétabli ; le trouble pouvait renaître. Toutes les
forces dont la Police pouvait disposer, et qui le matin avaient été insuffisantes, étaient sur pied.
À cinq heures, M. le Maréchal de Biron vint me trouver. Je lui témoignai ma peine de ce qu’il
n’avait pas fait marcher son régiment ou le détachement rassemblé en son hôtel. Il me répéta ce
qu’il avait dit le matin à M. Puissant et il m’ajouta ces paroles : “ Il n’y a pas de mal à cela, le Turgot
le sentira, c’est sa faute ”.
[…] La nuit à deux heures du matin et quoique ma démission fut arrêtée, je reçus un courrier
porteur d’une lettre de M. Turgot. Il me chargeait d’envoyer auprès de tous les corps, couvents et
communautés pour qu’ils eussent à faire fabriquer de grandes quantités de pain nécessaire à la
subsistance des “ gens de la ville ” : expressions de sa lettre. L’intention était louable sans doute,
mais l’exécution était en partie impossible, puisque la plupart des communautés envoyaient
chercher leur pain au marché et chez les boulangers.
[…] Je remarquerai ici que déjà une ancienne institution d’après laquelle les corps et
chapitres possédans des terres dans les environs de Paris, étaient obligés de toujours conserver
dans leurs greniers les quantités de bleds nécessaires à la consommation de plusieures années,
était mal observée. Mr. Turgot ne pouvait compter sur cette ressource, elle avait été fort affaiblie
par le sistème de la liberté indéfinie.
Dans le court intervalle de ma première retraite j’eus lieu de méditer que la classe ditte
communément Peuple de Paris est une machine capable de touttes formes et de se plier en tous
les sens ; que dès les indices d’une émotion, il faut s’opposer aux principes que si l’on manque le
moment de la raison et de la force, arrive bientôt celui où l’on n’a plus que le choix des fautes. Le
Peuple doit être retenu par des moyens propres à lui en imposer, puisqu’il ne peut connaître ceux
par lesquels il est entraîné aux excès. J’eus aussi l’occasion de m’appesentir sur la nécessité des
précautions à l’effet d’assurer l’abondance nécessaires des comestibles. Je fus enfin à portée de
réfléchir sur la légéreté avec laquelle les Economistes criaient contre les malversations des
administrateurs et contre les acapareurs lorsqu’ils refusaient d’admettre toutes dispositions
réglementaires qui eussent entravé selon eux toute liberté dans le commerce, lorsqu’enfin ils ne
veulent ni greniers d’abondance ni magazins publics, ce qui pourtant doit contribuer à empêcher
les accaparemens.
[…] Le public a vu toutes les forces extraordinaires qu’il a fallu employer et l’armée qu’il a
fallu tenir sur pied pendant longtems aux environs de la Capitale. Indépendament des dépenses

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considérables que de tels mouvemens ont du coûter à l’Etat mes yeux ont depuis eu cette preuve
que pour avoir fait vivre Paris pendant un seul mois et fait venir à cet effet des bleds et farines, il en
a coûté par l’entremise de l’administration de la Police sous M. Albert jusqu’à cinq millions.
Ayant repris de nouveau la direction de cette grande machine qui avait été fortement agitée
et retrouvant dans le Ministère de M. le Comte de Maurepas qui après avoir eu peu de part à ma
disgrâce, avait appuyé mon retour, je demandai à ce Ministre Chef du Conseil de me prescrire la
ligne que je devais suivre par rapport aux subsistances et approvisionemens de Paris. M. de
Maurepas ne différa pas de me passer une autre décision de Sa Majesté. Elle portait que je suivrais
les anciens erremens de la Police et rendrais exactement compte au conseil du Roi de toute ma
gestion en cette partie. On se persuadera aisément que par la retraite de M. Turgot l’opinion ne fut
plus la même.

Source : J.-Ch. LENOIR, Police de Paris, tome I, titre quatrième. Les vivres, dans V. S. LJUBLINSKI, La
guerre des farines. Contributions à l’histoire des luttes des classes en France à la veille de la
Révolution, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1979, p. 355-365.

Bibliographie : C. BOUTON, « Les mouvements de subsistances et le problème de l’économie


morale sous l’Ancien Régime et la Révolution », Annales historiques de la Révolution française,
janvier-mars 2000, p. 71-100 ; S. KAPLAN, Le pain, le peuple et le roi. La bataille du libéralisme sous
Louis XV, Paris, Perrin, 1986 ; S. KAPLAN, Les ventres de Paris : pouvoir et approvisionnement dans
la France d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988 ; Jean NICOLAS, La rébellion française. Mouvements
populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Seuil, 2002 ; E. P. THOMPSON et alii, La guerre
du blé au XVIIIe siècle. La critique populaire contre le libéralisme économique, Paris, Editions de la
Passion, 1988 ; Ch. TILLY, La France conteste, Paris, Fayard, 1986.

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Sujet 19. La nuit du 4 août

Motion sur les privilèges particuliers et sur les droits féodaux et seigneuriaux

Présentée par le duc d’Aiguillon,


Député de la noblesse de la sénéchaussée d’Agen
4 août 1789

Messieurs, il n’est personne qui ne gémisse des scènes d’horreur dont la France offre le
spectacle. Cette effervescence des peuples, qui a affermi la liberté lorsque des ministres coupables
voulaient nous la ravir, est un obstacle à cette même liberté dans le moment présent, où les vues du
gouvernement semblent s’accorder avec nos désirs pour le bonheur public.
Ce ne sont point seulement des brigands qui, à main armée veulent s’enrichir dans le sein
des calamités : dans plusieurs provinces, le peuple tout entier forme une espèce de ligue pour
détruire les châteaux, pour ravager les terres, et surtout pour s’emparer des chartriers, où les titres
de propriétés féodales sont en dépôt. Il cherche à secouer enfin un joug qui depuis tant de siècles
pèse sur sa tête ; et il faut l’avouer, Messieurs, cette insurrection, quoique coupable (car toute
agression violente l’est), peut trouver son excuse dans les vexations dont il est la victime. Les
propriétaires des fiefs, des terres seigneuriales, ne sont, il faut l’avouer, que bien rarement
coupables des excès dont se plaignent leurs vassaux ; mais leurs gens d’affaires sont souvent sans
pitié, et le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales qui subsistent encore
en France, gémit de la contrainte dont il est la victime. Ces droits, on ne peut se le dissimuler, sont
une propriété, et toute propriété est sacrée ; mais ils sont onéreux aux peuples, et tout le monde
convient de la gêne continuelle qu’ils leur imposent.
Dans ce siècle de lumières, où la saine philosophie a repris son empire, à cette époque
fortunée où, réunis pour le bonheur public, et dégagés de tout intérêt personnel, nous allons
travailler à la régénération de l’Etat, il me semble, Messieurs, qu’il faudrait, avant d’établir cette
constitution si désirée que la nation attend, il faudrait, dis-je, prouver à tous les citoyens que notre
intention, notre vœu est d’aller au-devant de leurs désirs, d’établir le plus promptement possible
cette égalité de droits qui doit exister entre tous les hommes, et qui peut seule assurer leur liberté.
Je ne doute pas que les propriétaires de fiefs, les seigneurs de terres, loin de se refuser à cette
vérité, ne soient disposés à faire à la justice le sacrifice de leurs droits. Ils ont déjà renoncé à leurs
privilèges, à leurs exemptions pécuniaires ; et dans ce moment, on ne peut pas demander la
renonciation pure et simple à leurs droits féodaux.
Ces droits sont leur propriété. Ils sont la seule fortune de plusieurs particuliers ; et l’équité
défend d’exiger l’abandon d’aucune propriété sans accorder une juste indemnité au propriétaire,
qui cède l’agrément de sa convenance à l’avantage public.
D’après ces puissantes considérations, Messieurs, et pour faire sentir aux peuples que vous
vous occupez efficacement de leurs plus chers intérêts, mon vœu serait que l’Assemblée nationale
déclarât que les impôts seront supportés également par tous les citoyens, en proportion de leurs
facultés, et que désormais tous les droits féodaux des fiefs et terres seigneuriales seront rachetés
par les vassaux de ces mêmes fiefs et terres, s’ils le désirent ; que le remboursement sera porté au

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denier fixé par l’Assemblée ; et j’estime, dans mon opinion, que ce doit être au denier 30, à cause
de l’indemnité à accorder.
C’est d’après ces principes, Messieurs, que j’ai rédigé l’arrêté suivant, que j’ai l’honneur de
soumettre à votre sagesse, et que je vous prie de prendre en considération :
« L’Assemblé nationale, considérant que le premier et le plus sacré de ses devoirs est de faire
céder les intérêts particuliers et personnels à l’intérêt général ;
Que les impôts seraient beaucoup moins onéreux pour les peuples, s’ils étaient répartis
également sur tous les citoyens, en raison de leurs facultés ;
Que la justice exige que cette exacte proportion soit observée :
Arrête que les corps, villes, communautés et individus qui ont joui jusqu’à présent de
privilèges particuliers, d’exemptions personnelles, supporteront à l’avenir tous les subsides, toutes
les charges publiques, sans aucune distinction, soit pour la quotité des impositions, soit pour la
forme de leurs perceptions.
L’Assemblée nationale, considérant en outre que les droits féodaux et seigneuriaux sont
aussi une espèce de tribut onéreux, qui nuit à l’agriculture, et désole les campagnes ;
Ne pouvant se dissimuler néanmoins que ces droits sont une véritable propriété, et que
toute propriété est inviolable ;
Arrête que ces droits seront à l’avenir remboursables, à la volonté des redevables, au denier
30, ou à tel autre denier qui, dans chaque province, sera jugé plus équitable par l’Assemblée
nationale, d’après les tarifs qui lui seront présentés.
Ordonne enfin, l’Assemblée nationale, que tous ces droits seront exactement perçus et
maintenus comme par le passé, jusqu’à leur parfait remboursement. »

Source : François FURET et Ran HALEVI (éd.), Orateurs de la Révolution française, t. 1, Les
Constituants, Gallimard, La Pléiade, 1989.

Bibliographie : J.P. HIRSCH, La nuit du 4 août, Paris, Gallimard-Julliard, « Archives », 1978 ; E. H.


LEMAY, Dictionnaire des Constituants. 1789-1791, Oxford-Paris, 1991 ; M. VOVELLE, La chute de la
monarchie, 1787-1792, Paris, Seuil, 1972 ; M. WINOCK, 1789, l’année sans pareille, Paris, Perrin,
1988.

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Sujet 20. Déclaration du roi adressée à tous les Français à sa sortie de Paris

À Paris, le 20 juin 1791


Tant que le roi a pu espérer voir renaître l'ordre et le bonheur du royaume par les moyens
employés par l'Assemblée nationale, et par sa résidence auprès de cette Assemblée dans la
capitale du royaume, aucun sacrifice personnel ne lui a coûté ; il n’aurait pas même argué de la
nullité dont le défaut absolu de liberté entache toutes les démarches qu'il a faites depuis le mois
d'octobre 1789, si cet espoir eût été rempli : mais aujourd'hui que la seule récompense de tant de
sacrifices est de voir la destruction de la royauté, de voir tous les pouvoirs méconnus, les propriétés
violées, la sûreté des personnes mise partout en danger, et une anarchie complète s'établir au-
dessus des lois, sans que l'apparence d'autorité que lui donne la nouvelle Constitution soit
suffisante pour réparer un seul des maux qui affligent le royaume : le roi, après avoir
solennellement protesté contre tous les actes émanés de lui pendant sa captivité, croit devoir
mettre sous les yeux de tout l'univers le tableau de sa conduite, et celui du gouvernement qui s'est
établi dans le royaume.
[…] Au mois d'octobre [de 1789], le roi prévenu depuis longtemps des mouvements que les
factieux cherchaient à exciter dans la journée du 5, fut averti assez à temps pour pouvoir se retirer
où il l’eût voulu ; mais il craignit qu'on ne se servît de cette démarche pour allumer la guerre civile,
et il aima mieux se sacrifier personnellement, et, ce qui était plus déchirant pour son cœur, mettre
en danger la vie des personnes qui lui sont les plus chères. Tout le monde sait les événements
depuis la nuit du 6 octobre, et l'impunité qui les couvre depuis près de deux ans. Dieu seul a
empêché l'exécution de plus grands crimes, et a détourné de la nation française une tache qui
aurait été ineffaçable.
[…] C’est aux soldats [des gardes françaises] devenus troupe soldée par la ville de Paris, et
aux gardes nationaux volontaires de cette même ville, que la garde du roi a été confiée. Ces
troupes sont entièrement sous les ordres de la municipalité de Paris, dont le commandement
général relève. Le roi, gardé ainsi, s'est vu par là prisonnier dans ses propres Etats ; car comment
peut-on appeler autrement l'état d'un roi qui ne commande que pour les choses de parade à sa
garde, qui ne nomme à aucune des places, et qui est entouré de plusieurs personnes dont il
connaît les mauvaises intentions pour lui et pour sa famille ?
[…] Lorsque les Etats généraux, s'étant donné le nom d'Assemblée nationale, ont commencé
à s'occuper de la Constitution du royaume, qu'on se rappelle les mémoires que les factieux ont eu
l'adresse de faire venir de plusieurs provinces, et les mouvements de Paris pour faire manquer les
députés à une des principales clauses portées dans tous leurs cahiers [de doléances], qui portaient
que la confection des lois se ferait de concert avec le roi. Au mépris de cette clause, l’Assemblée a
mis le roi tout à fait hors de la Constitution, en lui refusant le droit d'accorder ou de refuser sa
sanction aux articles qu'elle regarde comme constitutionnels, en se réservant le droit de ranger
dans cette classe ceux qu'elle juge à propos, et en restreignant sur ceux réputés purement
législatifs la prérogative royale à un droit de suspension jusqu'à la troisième législature ; droit
purement illusoire, comme tant d'exemples ne le prouvent que trop. Que reste-t-il au roi que le
vain simulacre de la royauté ? [...]

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1. L’Assemblée, par le moyen de ses comités, excède à tout moment les bornes qu'elle s'est
prescrites ; elle s'occupe d'affaires qui tiennent à l’administration intérieure du royaume, et à celle
de la justice et cumule ainsi tous les pouvoirs ; elle exerce même, par son comité des recherches,
un véritable despotisme, plus barbare et plus insupportable qu'aucun de ceux dont l'histoire ait
jamais fait mention.
2. Il s'est établi, dans presque toutes les villes, et même dans plusieurs bourgs et villages du
royaume, des associations connues sous le nom des Amis de la Constitution : contre la teneur des
décrets, elles n'en souffrent aucune qui ne soient affiliées avec elles ; ce qui forme une immense
corporation, plus dangereuse qu'aucune de celles qui existaient auparavant. Sans y être autorisées,
mais au mépris de tous les décrets, elles délibèrent sur toutes les parties du gouvernement,
correspondent entre elles sur tous les objets, font et reçoivent des dénonciations, affichent des
arrêtés, et ont pris une telle prépondérance, que tous les corps administratifs et judiciaires, sans en
excepter l'Assemblée nationale elle-même, obéissent presque toujours à leurs ordres. L’esprit des
clubs domine et envahit tout ; les mille journaux et pamphlets calomniateurs et incendiaires, qui se
répandent journellement, ne sont que leurs échos, et préparent les esprits de la manière dont ils
veulent les conduire.
Français, est-ce là ce que vous entendiez en envoyant vos représentants à l'Assemblée
nationale ? Désiriez-vous que l'anarchie et le despotisme des clubs remplacent le gouvernement
monarchique sous lequel la nation a prospéré pendant 1 400 ans ? Désiriez-vous voir votre roi
comblé d'outrages, et privé de sa liberté, pendant qu'il ne s'occupait que d'établir la vôtre ?

Source : Marcel REINHARD, La chute de la royauté, Paris, Gallimard, 1969, p. 437-450.

Bibliographie : J. CORNETTE dir., La monarchie entre Renaissance et Révolution, 1515-1792, Paris,


Seuil, 2000 ; M. COTTRET, Culture et politique dans la France des Lumières (1715-1792), Paris,
Colin, 2002 ; J. GODECHOT, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF,
1951 ; E. LEVER, Louis XVI, Paris, Fayard, 1985 ; M. OZOUF, Varennes. La mort de la royauté, Paris,
Gallimard, 2005 ; T. TACKETT, Le roi s’enfuit. Varennes et les origines de la Terreur, Paris, La
Découverte, 2004.

42
TABLE DES MATIERES

Sujet 1. Les manouvriers selon Vauban _____________________________________________________ 2


Sujet 2. L’industrie textile en Normandie et l’apparition de la « spinning-jenny » par un inspecteur
des manufactures (1787) _________________________________________________________________ 4
Sujet 3. La révolte des « nouveaux Croquants » du Quercy (1624) ______________________________ 6
Sujet 4 : L’approvisionnement de Paris au XVIIIe siècle ________________________________________ 8
Sujet 5. Le commerce des Juifs avignonnais à Bordeaux (1749) ______________________________ 10
Sujet 6. Deux procédures contre des vagabonds au XVIIIe siècle _____________________________ 12
Sujet 7. Un prélat réformateur : Alain de Solminihac, évêque de Cahors _______________________ 14
Sujet 8. L’édit de Fontainebleau du 22 octobre 1685 ________________________________________ 16
Sujet 9. Déclaration du Roi portant établissement de la capitation ____________________________ 18
Sujet 10. Le clergé à la veille de la Révolution ______________________________________________ 20
Sujet 11. L’art de gouverner d’Henri IV : séduction et autoritarisme ___________________________ 22
Sujet 12. Gaston d’Orléans dénonce la tyrannie de Richelieu (1631) __________________________ 24
Sujet 13. Le gouvernement personnel de Louis XIV _________________________________________ 26
Sujet 14. Une commission d’intendant ____________________________________________________ 27
Sujet 15. Un projet de règlement de collège à Lyon (1540) __________________________________ 30
Sujet 16. Octobre 1787 : Paris et la « fermentation française » selon Arthur Young ______________ 32
Sujet 17. La monarchie face à l’opposition parlementaire ____________________________________ 34
Sujet 18. La guerre des farines à Paris, vue par le lieutenant général de police _________________ 36
Sujet 19. La nuit du 4 août _______________________________________________________________ 39
Sujet 20. Déclaration du roi adressée à tous les Français à sa sortie de Paris ___________________ 41

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