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Le mot de la rédactrice en chef

par MariFrance Charette, directrice, Fédération Histoire Québec

Chaque congrès est différent. L’élaboration des thèmes, L’apport des communautés ethniques à Montréal se
la conférence d’ouverture, la recherche du bon conféren- devait de paraître dans nos pages. Jeannine Ouellet,
cier et les formations pertinentes à offrir semblent par- lauréate cette année du prix commémoratif Gordon
fois des évidences, parfois des casse-tête. Chaque région Atkinson remis par la St. Andrew’s Society of Montreal
est aussi différente. Les sociétés participantes, l’équipe et Milady du 78e Régiment Fraser Highlander, retrace
de bénévoles en place, les installations hôtelières, la l’histoire des Écossais de Montréal. Laurent Busseau
structure économique régionale représentent autant nous propose pour sa part un texte sur la mythologie
d’éléments dont il faut tenir compte pour assurer la réus- gréco-romaine dans l’œuvre profane de Guido Nincheri,
site tant populaire que financière de l’événement. Mais cet artiste florentin qui a introduit l’art de la fresque en
quand il s’agit d’un congrès à Montréal, on a affaire à Amérique du Nord et qui a trouvé refuge à Montréal
une bête étrange. La Fédération y avait tenu un congrès dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.
en 2011 ayant pour thème « L’Amérique française ». On
s’en rappelle encore… Qu’est-ce que la toponymie nous raconte de l’histoire de
Montréal? Diane Archambault-Malouin a lu pour nous
À la fois ville et région avec ses 19 arrondissements ces milliers d’affichettes qui parsèment la ville. Lumière
sous la gouverne d’autant de maires ou mairesses et sur la vie de quartier à Montréal, un portrait de Pointe-
son organisation aux allures de labyrinthe, Montréal Saint-Charles vers 1930, un texte de Gilles Lauzon.
donne l’impression que tout est possible et il arrive que Rappel d’une pratique toujours actuelle, « L’œuvre de
ce soit vrai. Avec 48 sociétés membres de la Fédération la Soupe », de Rose-Hélène Coulombe et Michel Jutras.
sur son territoire, Montréal peut aspirer à devenir une Et finalement, pour souligner l’entrée de Montréal dans
ville où l’implication citoyenne contribuera de façon le monde et la modernité, deux propositions, soit « De
remarquable à la préservation de son patrimoine cultu- la coupe à glace au réfrigérateur », d’André Laniel et
rel. Nous y veillons. « Expo 67 », de Michel Pratt.

Ce numéro présente, comme à l’habitude, le contenu Vous retrouvez nos chroniques habituelles d’Histoire de
de quelques-unes des conférences données lors du con- lire, en images et sur Internet.
grès de mai dernier. L’histoire de Montréal vous y est
offerte sous différents thèmes débutant dès sa fondation Bonne lecture!
avec des textes portant sur les Montréalistes, de Marcel
Fournier; la triste histoire de la maison LaFontaine-
Baldwin, de Michael Fish; et les tanneries de Saint-Henri,
de Guy Giasson.

THÉMATIQUES Collaboration spéciale avec l’Institut du patrimoine de l’Université


DES PROCHAINS du Québec à Montréal – Date de tombée : 15 août 2017, parution octobre 2017.

NUMÉROS : Dossier sur les « Histoires de familles » – Date de tombée : 15 octobre 2017,
parution en janvier 2018.

Vous pouvez soumettre en tout temps des textes pour parution dans le magazine.
Consultez le guide rédactionnel au www.histoirequebec.qc.ca,
sous l’onglet MAGAZINE HQ. Contactez-nous! ehq@histoirequebec.qc.ca

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Les engagés de la Société de Notre-Dame de Montréal
et la fondation de Ville-Marie1
par Marcel Fournier

Historien, auteur, conférencier et généalogiste émérite, Marcel Fournier est l’auteur d’une trentaine de publications et d’une
centaine­d’articles­en­histoire­et­en­généalogie.­Membre­titulaire­de­l’Académie­internationale­de­généalogie­et­offi­cier­de­l’Ordre­
des arts et des lettres de la République française, il a reçu de nombreux prix et distinctions pour l’ensemble de son œuvre. Il est
le coauteur du livre sur l’histoire du régiment de Carignan-Salières publié aux Éditions Histoire Québec en 2014.

Le projet de la fondation interdisait à la Société de concéder Compagnie auraient encore de la


de Montréal des terres à des colons établis dans place. Les associés de Montréal
La Société de Notre-Dame de la colonie avant 1641, une règle devaient veiller à tenir leurs
Montréal, fondée à Paris en février qui n’a pas été respectée. Un docu- hommes et leurs marchandises
ou en mars 1639, à l’initiative de ment, annexé à l’acte de concession, prêts à l’embarquement pour le
Jérôme Le Royer de La Dauversière, stipulait les conditions exigées par la départ des vaisseaux. […]. Pour
s’était donné pour mission de fon- Compagnie des Cent-Associés pour les 1642 et 1643, la Compagnie offrait
der une colonie missionnaire en premiers embarquements. À ce sujet, à nouveau le passage gratuit,
Nouvelle-France dont les objectifs Gervais Carpin écrit ce qui suit dans mais pour seulement 10 hommes
étaient la conversion des sauvages son ouvrage Le Réseau du Canada3 : et 10 tonneaux de marchandises
et la création d’une cité sur l’île par année.
de Montréal où les Français et les Pour l’embarquement de 1641, la
Amérindiens vivraient en harmonie. Compagnie de la Nouvelle-France Les engagés de l’année 1641
De plus, les fondateurs de Montréal [Cent-Associés] offrait le passage Afin de répondre aux exigences de la
se proposaient d’établir trois gratuit à 30 hommes et 30 ton- Compagnie des Cent-Associés, Jérôme
communautés à Ville-Marie, l’une neaux de fret. La nourriture des Le Royer de La Dauversière et Pierre
d’ecclésiastiques séculiers, l’autre passagers était aux frais de la Chevrier, baron de Fancamp, se ren-
de sœurs vouées à l’instruction de Société de Montréal, ainsi que le dront à La Rochelle dès le printemps
la jeunesse et la troisième d’hospi- coût du passage des hommes et 1641 pour procéder à l’engage-
talières de Saint-Joseph pour l’assis- des marchandises supplémen- ment de soldats, d’artisans et d’ou-
tance aux malades2. taires, au cas où les navires de la vriers choisis parmi les chercheurs

Pour réaliser leur projet, les direc-


teurs de la Société de Notre-Dame de
Montréal ont entrepris, dès 1639, des
démarches auprès de Jean de Lauzon,
intendant du Dauphiné, membre de
la Compagnie des Cent-Associés,
propriétaire de l’île de Montréal en
vertu d’un acte de concession du
15 janvier 1636, dans le but d’acqué-
rir la seigneurie. Après quatre années
de négociations, Lauzon acceptait
de céder la seigneurie de l’île de
Montréal à la Société de Notre-Dame
de Montréal.

L’acte de concession, daté du


17 décembre 1640, contenait deux
exigences concernant le peuplement
de la nouvelle colonie. Les directeurs L’arrivée à Ville-Marie de Paul de Chomedey de Maisonneuve le 17 mai 1642. On
de la Société devaient faire passer un reconnaît sur l’illustration Paul de Chomedey de Maisonneuve au centre. Le gouverneur
certain nombre d’hommes dès l’em- Charles Huault de Montmagny à gauche, Pierre de Puiseaux, Jeanne Mance et Catherine
Lezeau à droite. (Source : La fondation de Montréal /Donald Kenneth Anderson, vers
barquement de 1641. L’autre clause
1967, Montréal, Musée McCord, M976.179.3, don de la Confederation Live Association)

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d’emplois qui fréquentaient le port pour la Compagnie générale; et femmes, établis à Québec depuis
de La Rochelle à cette époque. Paul Maisonneuve prit place sur quelques années, se sont joints à
de Chomedey de Maisonneuve, qui un navire avec 25 hommes, et Paul Chomedey de Maisonneuve et
venait d’être nommé à la direction Jeanne Mance sur l’autre avec Jeanne Mance pour aller fonder Ville-
de l’expédition, ira rejoindre les deux 12 hommes. D’autres engagés Marie. Le groupe, qui était composé
fondateurs de la Société à La Rochelle. [12 personnes] pour Montréal, de 66 personnes, a quitté Québec le
recrutés par des agents de la 8 mai 1642 pour arriver à Ville-Marie
À ce propos, François Dollier de Casson Société, dont deux artisans et leurs le 16 mai. Montréal a été officielle-
écrit dans son Histoire du Montréal4 : familles, s’étaient embarqués à ment fondée lorsque le gouverneur
Dieppe sur un troisième navire de Charles Huault de Montmagny remet
Ces trois messieurs ne furent pas la Compagnie. officiellement l’acte de concession
plutôt arrivés à La Rochelle qu’ils de la seigneurie de l’île de Montréal
cherchèrent encore, de toute part, Ces précieux renseignements, tirés à Maisonneuve.
du monde propre à bien soutenir de l’Histoire du Montréal de François
ce poste. Ils ne choisirent pour Dollier de Casson, ont permis d’éta- Aux 66 colons des années 1641 et
cet effet que de bons hommes, blir que pour l’année 1641, 37 per- 1642 se sont ajoutés 12 autres pion-
[...]. Outre cette levée de soldats, sonnes ont été engagées à La Rochelle niers arrivés au cours de l’été 1642,
ils firent de grandes dépenses et 12 autres l’ont été à Dieppe, ce qui puis 10 recrues en 1643. À la fin de
pour avoir les denrées, outils et porte à 49 le nombre des engagés, soit l’année 1643, les Montréalistes étaient
marchandises nécessaires à un 43 hommes, 4 femmes et 2 jeunes. au nombre de 88 personnes, tous
établissement de la conséquence engagées par la Société de Notre-
de celui-ci. La traversée et l’escale forcée Dame de Montréal.
de Québec
Comme les contrats d’engagement Les deux navires affrétés par la Les premières familles pionnières
de 1641 n’ont pas été trouvés dans Compagnie de la Nouvelle-France, de Montréal
les archives françaises malgré des le Gaston et le René, ont quitté le port Peu de colons se sont établis en per-
recherches intensives, on ne connaît de La Rochelle le même jour, soit manence à Montréal dans les années
guère les noms de tous ceux qui le 9 mai 1641. Le navire sur lequel qui ont suivi la fondation de la cité.
se sont engagés envers la Société a voyagé Maisonneuve avec ses Sur les 88 pionniers arrivés en 1642
de Notre-Dame de Montréal. Le 25 engagés a connu des difficultés et en 1643, seulement 18 se sont éta-
généalogiste Archange Godbout, au cours de la traversée. Il est arrivé blis en permanence ou sont décédés
qui a séjourné à La Rochelle en 1932, à Tadoussac le 18 septembre puis à Montréal. De ce groupe, sept ont
avait tenté sans succès de retracer a atteint Québec le 20. Le navire de laissé une descendance jusqu’à nos
ces contrats. Jeanne Mance a connu une meilleure jours6. Il s’agit de :
traversée. Jeanne Mance, sa dame de
Malgré l’absence des minutes compagnie, Catherine Lezeau, et ses Gilbert Barbier dit Minime,
notariales, on sait toutefois que les 12 recrues sont arrivées à Québec après baptisé le 13 janvier 1617 à
engagements ont été faits par Jérôme une escale à Tadoussac le 8 août 1641, l’église Saint-Aré, ville de Decize
Le Royer de La Dauversière, à titre de plus d’un mois avant Maisonneuve. (Nièvre). Il est arrivé au Canada
directeur de la Société de Notre-Dame en août 1642 comme menuisier. Il
de Montréal. Ils ont probablement été Comme la saison était trop avan- a épousé, à Montréal le 14 novem-
rédigés par le notaire Pierre Teuleron cée pour entreprendre la remontée bre 1650, Catherine Lavau ou
de La Rochelle qui, dès janvier 1638, du fleuve Saint-Laurent vers l’île Delavaux, née vers 1620 à Delme
rédigeait les contrats d’engagement de Montréal, le groupe a été forcé (Moselle). Agriculteur, menuisier
pour l’île du Cap-Breton. de séjourner à Sillery, où il a été et maçon, il est décédé à Pointe-
accueilli par Pierre de Puiseaux de aux-Trembles de Montréal, où il a
Pour l’année 1641, on peut estimer Montrenault, seigneur de Sainte- été inhumé le 15 novembre 1693 à
le nombre d’engagements par les Foy, qui a offert l’hospitalité à l’âge de 69 ans. Il a laissé une des-
embarquements au départ de Dieppe Maisonneuve jusqu’au printemps cendance par ses filles Adrienne
(avril 1641) et La Rochelle (mai 1641). 1642. Pendant l’hiver, les engagés et Barbe. Il est l’ancêtre maternel
À ce propos, Gervais Carpin écrit5 : de la Société de Notre-Dame en ont des familles Beaudry et Trudeau
profité pour construire les chaloupes de la région de Montréal.
En 1641, les hommes et les et les autres effets nécessaires à
femmes engagés par la Société l’établissement de Montréal. Jean Descaries ou Descary dit
s’embarquèrent sur deux navires Lehoux, né vers 1617, peut-être
à La Rochelle : le Gaston et le René En plus des engagés venus directe- en Picardie où ce patronyme est
affrétés par Antoine Cheffault ment de France en 1641, 30 hommes fréquent. Il est arrivé au Canada

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en août 1643 comme engagé de Canada en juillet 1637 comme 65 ans, selon le registre. Il a laissé
la Société de Notre-Dame de soldat pour la garnison de une descendance patronymique
Montréal. Il a épousé, à Québec Québec. En 1642, il s’est joint jusqu’à nos jours dans la région
le 5 octobre 1654, Michelle aux recrues pour Montréal. Il est de Montréal. Il est l’ancêtre de
Artus, née en 1623 à Noyen- rentré en France en 1645 où il a Marcel Prudhomme, ancien
sur-Sarthe (Sarthe). Agriculteur épousé, à Paris le 13 janvier 1646, député fédéral décédé récemment.
et charbonnier, il est décédé à Adrienne Duvivier, originaire
Montréal, où il a été inhumé le de Corbeny (Aisne). Leur fille C’est donc à ces premières familles
10 janvier 1687 à l’âge d’environ Jeanne a été baptisée à l’église que l’on doit, en partie, la fonda-
70 ans. Il a laissé une descendance Saint-Barthélemy de Paris. tion de Montréal. À celles-ci se sont
patronymique jusqu’à nos jours Augustin Hébert, charpentier de ajoutés les pionniers de la Grande
par ses fils Paul et Jean-Charles. grosses œuvres, est de retour au Recrue de 1653 et ceux de 1659 qui
Il est l’ancêtre de Guy Descary, Canada avec sa famille en 1647 et ont assuré la survie de l’établisse-
ancien maire de Lachine. s’établit de nouveau à Montréal. ment montréalais.
Il a été tué par les Iroquois le
Pierre Gadois, né vers 1594 à 19 novembre 1653. Il laisse une
Saint-Martin-d’Igé (Orne). Il a descendance patronymique jus-
épousé, dans son village natal qu’à nos jours dont Jacques
avant 1636, Louise Mauger, ori- Hébert, de Saint-Hyacinthe.
ginaire de la même paroisse. Il
est arrivé au Canada avec son Jean-Baptiste Le Gardeur de
épouse et leurs enfants en 1636 Repentigny, né vers 1632 à
et Robert Giffard, seigneur de Thury-Harcourt (Calvados). Il est
Beauport. Il était à Montréal dès arrivé au Canada en 1636 en com-
1647 comme agent de la Société pagnie de ses parents. Il s’est joint
de Notre-Dame. Pierre Gadois aux recrues pour Montréal en
est décédé à Montréal, où il a mai 1642, alors qu’il était âgé seu-
été inhumé le 20 octobre 1667. lement de 10 ans. À compter de Notes
Sa descendance patronymique a 1645, il a fait plusieurs voyages
été assurée, jusqu’à nos jours, par en France avec ses parents. Il a 1 Le texte de cet article a été rédigé
son fils Jean-Baptiste Gadois, né épousé à Québec, le 9 juillet 1656, à partir du livre Les Premiers
à Québec en 1641. Il est l’ancêtre Marguerite Nicolet, née en 1642 ­Montréalistes­ 1642-1643.­ Les­ ­Origines­
du comédien Daniel Gadouas. à Trois-Rivières. Il s’est établi à de Montréal de Marcel Fournier
(Montréal, Archiv-Histo, 2013, 166).
Montréal au début des années
Le texte du livre est disponible gratui-
Nicolas Godé, né vers 1589 1670. Jean-Baptiste Le Gardeur tement sur le site Internet du Musée
dans la commune d’Igé (Orne). de Repentigny est décédé à Pointe-à-Callière. https://pacmusee.
Il a épousé, vers 1620 dans la Montréal le 8 septembre 1709 à qc.ca/fr/boutique/produits/les-pre-
paroisse de Saint-Martin-d’Igé, l’âge de 80 ans selon le registre. miers-montrealistes-1642-1643/.
Françoise Gadois, née vers 1693, C’est par l’union libre de son fils 2 Jean-Jacques OLIER, Les véritables
sœur du pionnier Pierre Gadois. Pierre avec Marie Cadieux qu’il motifs de messieurs et dames de la Société
Menuisier, il est arrivé au laisse une descendance jusqu’à de Notre-Dame de Montréal, Montréal,
Canada en 1641 avec sa femme et nos jours sous le patronyme De Berthiaume et Sabourin, 1880, 94 p.
leurs quatre enfants. Il a été tué Repentigny dont le journaliste 3 Gervais CARPIN, Le Réseau du
lors d’une attaque des Iroquois le Alain de Repentigny. Canada. Étude sur le mode migratoire
25 octobre 1657 et il a été inhumé de la France vers la Nouvelle-France,
le même jour dans le cimetière Louis Prud’homme, né vers 1608 Québec, Septentrion, 2001, 552 p.
de Ville-Marie à l’âge de 74 ans, à Pomponne (Seine-et-Marne). Il 4 François DOLLIER DE CASSON,
selon le registre. Il a laissé une est arrivé au Canada en août 1642 Histoire du Montréal, Nouvelle édition
descendance jusqu’à nos jours comme recrue pour Montréal. Il critique par Marcel Trudel et Marie
par des descendants autres que est rentré en France en 1649 et il Baboyant, Ville LaSalle, Hurtubise,
son propre patronyme. Il est l’an- est revenu au pays en 1650. Il a 1992, 342 p.
cêtre d’Hillary Clinton, ancienne épousé, à Montréal, le 30 novem- 5 CARPIN, op cit.
secrétaire d’État des États-Unis. bre 1650, Roberte Gadois, née en 6 PRDH, Programme de recherche en
1628 à Igé (Orne). Agriculteur, démographie historique, Université
Augustin Hébert dit Jolicoeur, brasseur et capitaine de milice, il de Montréal, site Internet : http://
né vers 1620 dans la ville de est décédé à Montréal, où il a été www.genealogie.umontreal.ca/fr/
Caen (Calvados). Il est arrivé au inhumé le 2 juillet 1671 à l’âge de accueil.

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Des Écossais à Montréal, aux XVIIIe et XIXe siècles
par Jeannine Ouellet, historienne, maître généalogiste agréée
et gouverneure de la Fédération Histoire Québec

Historienne et maître généalogiste agréée, auteure de plusieurs essais et d’innombrables articles publiés dans diverses revues
québécoises­accessibles­sur­Érudit,­Jeannine­Ouellet­est­aussi­conférencière­en­Amérique­et­en­Europe.­Depuis­de­­nombreuses­
années, elle œuvre auprès d’organismes nationaux voués à l’histoire, à la généalogie et aux archives à titre de présidente,
vice-présidente­ et­ secrétaire-trésorière.­ Parmi­ les­ nombreux­ prix­ et­ distinctions­ qu’elle­ a­ reçus,­ notons­ l’Ordre­ des­ franco-
phones d’Amérique et les titres de milady du régiment historique 78e Fraser Highlanders et de gouverneure de la Fédération
Histoire Québec.

Dès le début du XVIIe siècle, quelques Les trafiquants et les marchands conservant le nom de la Compagnie
Écossais arrivent au Canada. Au fil de fourrure de la Baie d’Hudson, le gouverneur
des ans, ils s’installent autant dans Dès leur arrivée en Nouvelle-France, Sir George Simpson est de nationalité
les Maritimes que dans l’Ouest et les premiers Européens s’intéressent écossaise. Le dernier des gouverneurs
au Québec. Des marchands écossais à la lucrative traite des fourrures. impériaux de la compagnie, l’Écossais
prennent en main l’économie et le En 1682, la Compagnie de la Baie Donald Alexander Smith, y a consacré
commerce de la fourrure. Pendant du Nord souhaite commercer dans 75 années, un record. En tant que
la première moitié du XIXe siècle, la baie d’Hudson sur le modèle de fonctionnaire supérieur, il a dû trans-
des immigrants loyalistes écossais ce que les Anglais ont créé en 1670, former celle-ci en une société d’exploi-
s’ajoutent à la population canadienne la Compagnie de la Baie d’Hudson, tation foncière et de colonisation.
française. Amorcée vers 1840, une composée majoritairement d’Écossais
bourgeoisie, majoritairement anglo- audacieux. Entre-temps, d’autres, seuls Comme en Écosse, les affaires sont
écossaise, vivant dans les somptueuses ou en sociétés, font la traite. fondées sur l’organisation familiale,
demeures de Montréal, devient l’élite plusieurs trafiquants écossais se
économique du Canada. Majoritai- Fondée en 1779, la Compagnie lancent dans la traite des fourrures
rement anglophone jusqu’en 1866, du Nord-Ouest est administrée à avec un parent. C’est le cas, entre
Montréal compte 2 795 Écossais en Montréal par des négociants d’origine autres, pour les McDougall, Ellice,
1901 et 94 705 en 2001. Qui sont ces écossaise et, dans les postes éloignés, McTavish, Robertson, Sutherland.
Écossais qui ont contribué au déve- par des Écossais et des Anglais. En En 130 ans, 22 hommes du nom de
loppement de Montréal? Faisons leur 1821, quand le gouvernement bri- Mackay et bon nombre de McKenzie
connaissance ainsi que celle des sec- tannique force les deux compa- font preuve d’esprit combatif dans
teurs d’activité qu’ils ont privilégiés. gnies concurrentes à fusionner en le secteur de la traite des fourrures.
En 1783, les effectifs engagés dans le
commerce des pelleteries atteignent
3 069 hommes. En 1795, on évalue
la main-d’œuvre à 2 540 hommes,
soit 40 guides, 1 100 hivernants et
1 400 engagés, parmi lesquels se
trouvent des autochtones et des
engagés canadiens-français dont
un certain nombre s’intéressent de
plus en plus à l’industrie du bois et
à l’agriculture.

Des marchands écossais sont les


champions des investissements,
notamment James McGill, Alexander
Ellice et Daniel Sutherland. Tout en
réalisant la plus grande partie de leur
fortune, ils contribuent à l’économie
des deux Canada.

Poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson. (Source : BAnQ, 1996830)

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Quelques hommes d’affaires lits, tables, chaises, sofas, tabourets fondateurs de la Société canadienne
Outre les grands marchands de de piano et modèles à la mode, qu’il des ingénieurs civils, place des tur-
fourrures écossais qui dominent reproduit dans son atelier. bines le long du canal Lachine, prin-
largement le groupe des hommes cipal centre industriel du Canada. Ses
d’affaires de Montréal, d’autres Montréal compte 30 000 habitants services seront requis par les entre-
entrepreneurs consacrent leurs éner- en 1832. Robert Anderson s’établit prises textiles dans les années 1880.
gies à différents secteurs. comme marchand de porcelaine. Hugh McLennan et son frère John
Charles Alexander est le premier fondent une compagnie de céréales
En 1771, Thomas McCord distille à ouvrir une salle à manger où l’on et de transport qui sera l’une des plus
et vend de l’alcool. Après 1834, la ne sert pas de boissons alcooliques grandes entreprises de transport de
William Dow and Company devient et un salon où l’on consomme de la Montréal. John Redpath construit
l’une des principales concurrentes crème glacée. Il est l’un des premiers la première raffinerie de sucre du
de la brasserie Molson. Les entre- traiteurs de la ville. Son entreprise est Canada, plus importante que la
pôts de la rue Saint-Paul consti- la meilleure du genre à Montréal. En vingtaine d’établissements érigés le
tuent le cœur de l’empire de James 1853, Henry Morgan met sur pied le long du canal. Les imposantes che-
McGill qui, avec d’autres marchands, plus grand magasin de marchandises minées de son usine de sept étages
assure à Montréal sa suprématie sèches, de robes et d’articles de mode. deviennent une des caractéristiques
de métropole. McGill donne son La firme familiale sera vendue à la de la ville.
domaine de Burnside pour qu’y soit Compagnie de la Baie d’Hudson en
construite l’université qui porte son 1960. De son côté, Hugh Allan inves- Début des années 1850, Sir John Rose
nom. Robert Cruickshank vend des tit dans la laine, la chaussure, le fer et fonde une étude de droit commer-
pièces d’orfèvrerie, des horloges, des l’acier, le tabac, la pulpe et le papier, cial, le plus gros bureau d’avocats
bijoux, des bibelots, de la quincaille- le caoutchouc et le coton. de la ville. Constatant la croissance
rie. John Torrance offre de l’épicerie, de l’urbanisation, James Robertson
des spiritueux et du thé de Chine Autres métiers et professions offre des produits reliés aux équipe-
et d’Inde. James Ferrier ouvre un au XIXe siècle ments d’aqueduc et d’alimentation
magasin rue Notre-Dame, lieu rési- En 1817, Montréal compte 21 méde- en gaz. James Barnston devient le
dentiel qui sera bientôt intégré au cins pour une population d’environ premier professeur de botanique du
centre commercial de la ville. 20 000 habitants. Charlotte Whitehead McGill College pendant que William
Ross, épouse d’un Écossais, devient Christopher Macdonald/McDonald
En 1801, James Brown vend des la première femme médecin de ouvre la première manufacture de
volumes en anglais et en français, des Montréal en 1876. tabac, rue Water/de la Commune,
articles de bureau et des marchan- puis en bâtit une autre en 1875 dans
dises diverses : bas, mitaines, bar- Au cours des années 1840, Dugald/ l’est, la plus grande usine au pays.
riques de charbon, lunettes et brosses Donald Lorn MacDougall fonde
à plancher. Il imprime des livres le premier bureau de courtage en Duncan McNab McEachran établit la
religieux, politiques et historiques, valeurs mobilières. Robert Walter première école de médecine vétéri-
des grammaires, des règlements Stuart Mackay compile une profu- naire, la troisième en Amérique. À la
de police et des calendriers. Robert sion de travaux statistiques et publie même époque, l’entreprise de George
Armour est imprimeur du roi. Ils des répertoires annuels chez l’éditeur Stephen vend et fabrique des lainages
sont les « ancêtres de la profession » John Lovell. Le Montreal directory est et autres étoffes.
à Montréal. encore utile pour des recherches his-
toriques. William Sawyer ouvre un Hugh Allan bâtit la plus importante
Situé près du canal de Lachine, le studio de peinture et de photographie compagnie de navigation à vapeur au
moulin de John Watson devient l’une pendant qu’Alexander Henderson Canada. Dès 1809, l’Accommodation
des premières industries de Montréal publie deux petits recueils de vues de effectue le trajet Montréal-Québec. La
à utiliser l’énergie hydraulique. La Montréal. En 1858, William Notman flotte fluviale et océanique d’Hugh
firme de son neveu Ogilvie sera la photographie les différentes étapes et d’Andrew Allan atteint la plus
plus grande entreprise meunière de la construction du pont Victoria, grande capacité de chargement de
du Dominion et lui assurera une une merveille du génie civil, qui per- toutes les entreprises montréalaises
renommée mondiale pour la qualité mettra la circulation directe de trains et devient « l’une des plus prospères
de sa farine. En 1867, la fabrication entre le Haut-Canada et Portland, de la province ». Début des années
des farines est devenue l’une des au Maine. Les photos font connaître 1870, Allan devient l’entrepreneur
principales industries de la ville. Notman dans le monde entier. de chemins de fer le plus en vue
du Canada.
En 1816, James Rollo vend du mobi- Montréal s’industrialise rapidement.
lier d’acajou de fabrication anglaise : Thomas Pringle, un des membres

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et sont membres fondateurs de la Andrew Thomas Taylor est le plus
Société canadienne des ingénieurs important architecte à travailler pour
civils. Grand personnage du secteur la McGill University au XIXe siècle :
bancaire et du secteur ferroviaire, construction de la Redpath Library et
Richard Bladworth Angus est honoré des trois pavillons de science financés
par la Compagnie du chemin de fer par William Christopher Macdonald.
canadien du Pacifique, qui donne le Il rénove le siège social de la Banque
nom d’Ateliers Angus à son complexe de Montréal et construit le premier
de réparations pendant que William crématorium au Canada, situé au
Brymner, influent professeur d’art, cimetière du Mont-Royal. Taylor est
est reconnu comme l’un des meilleurs l’un des fondateurs et premiers prési-
peintres canadiens de figures et de dents de l’Association des architectes
paysages de sa génération. du Québec.
Christie’s biscuit wagon, Montreal, QC,
1904, Wm Notman Sons.
(Source : Wikimedia Commons, Des édifices et des institutions Pour sa part, Edward Maxwell des-
original.335) De nombreux hommes d’affaires sine des plans de maisons du Mille
participent à l’administration d’éta- carré et de Westmount en plus de
blissements scolaires, religieux et la gare Windsor et de l’édifice Birks.
Un consortium crée la Compagnie sociaux. Ils construisent des hôpi- Avec son frère William Sutherland
d’assurance mutuelle sur la vie, taux, des écoles, des banques, dont Maxwell, il conçoit des maisons de
de Montréal, dite du Soleil (plus la Banque de Montréal, plus impor- villégiature qui comptent parmi
tard, la Sun Life). En 1881, la com- tante institution financière du temps, les plus somptueux domaines
pagnie de William Cassils est liée et autres édifices. Bâtir amène aussi à champêtres du Canada. Le cabinet
à la Compagnie du télégraphe de démolir les vieux murs de Montréal, Maxwell atteint la première place, en
Montréal. Fondée en 1888, la Federal dès 1802, et à dessiner les plans de matière de taille et de réussite, dans
Telephone Company exploite le ser- nouvelles rues. les débuts du XXe siècle.
vice téléphonique à Montréal jusqu’à
sa vente en 1891 à la Compagnie Les Écossais habitent surtout dans Des divertissements pour
canadienne de téléphone Bell. des maisons en pierre, rue Saint- les Écossais
Jacques ou dans le quartier commer- Certains s’intéressent à la politique,
Au rang des premiers syndics offi- cial, rue Saint-Paul, rue Saint-Pierre, devenant maires, députés, conseillers
ciels, le bureau de Philip Simpson rue Saint-Antoine, quartier Mont- exécutifs, conseillers législatifs et
Ross devient l’un des plus impor- Royal. Certaines de leurs demeures, même sénateurs. Certains autres sont
tants du Canada quand trois de les plus prestigieuses, ont pour nom nommés juges de paix. La plupart
ses fils s’associent à lui. En 1880, Belmont Hall, Rosemount, Pine Bluff, font partie de la milice.
Ross obtient une charte provinciale transformée en une maison de style
constituant l’Association des comp- néo-Tudor, Ravenscrag. Le manoir Les Écossais savent aussi s’amuser.
tables de Montréal qui deviendra, en de George Stephen deviendra le Ils fondent divers clubs et socié-
1978, l’Ordre des comptables agréés Mount Stephen Club en 1926. tés : Société d’agriculture, Montreal
du Québec. Curling Club, le plus ancien de
Vers 1840, la ville connaît un essor et l’Amérique du Nord, St Andrew’s
Dans les années 1880, William Mellis une croissance sans précédent et subit, Society, Beaver Club, le prestigieux
Christie ouvre un bureau de ventes à au même moment, l’influence britan- Club St James, Club des patineurs
Montréal, offrant plus de 400 varié- nique sur le plan de l’architecture de Montréal, Montreal Hunt Club,
tés de gâteaux et de biscuits, la et de l’urbanisme. Hector Munro/ la société littéraire, la société du
plus grande entreprise du genre au Monro répare le marché Bonsecours. Théatre Royal, la Société d’horticul-
Canada. Son fils la vend à Nabisco John Smith Archibald et associés ture de Montréal, l’Association des
Brands Limited qui l’exploite sous son conçoit l’école technique ainsi que des beaux-arts de Montréal, les loges
nom d’origine. James Ross compte douzaines d’édifices qui embellissent des francs-maçons. En résumé, la
parmi les grands entrepreneurs fer- encore les rues et constituent l’héri- vie culturelle, artistique, religieuse
roviaires de son temps et devient tage d’un homme qui a joué un rôle et scientifique de Montréal est bien
chef de file dans la construction de important dans le développement de amorcée grâce aux résidents écossais.
ponts et de structures d’acier pour la profession d’architecte au Québec
gros immeubles. Thomas Pringle et et au Canada. James Shearer invente
son fils David Alexander forment un toit concave à système d’égoutte-
le noyau de la plus ancienne firme ment. L’hôtel Windsor est le premier
d’ingénieurs-conseils au Canada immeuble à en être doté.

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En un mot
Les Écossais ont participé concrète-
ment à la vie de leur terre d’adoption.
Ils ont fondé des écoles, des hôpitaux,
des églises... La majorité ont réussi
en affaires et se sont engagés pour le
bien de leurs concitoyens. De façon
exceptionnelle, ils ont contribué au
développement social, économique
et culturel de Montréal.

Note
Le Dictionnaire biographique du Canada,
de même que les archives de l’état civil,
recèlent une multitude de détails relatant
les faits et gestes des premiers Écossais.

Ravenscrag, Sir Hugh Allan. (Source : BAnQ 52327/2070733, original.1299)

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 11


Les tanneries de Saint-Henri : de Jean-Talon à l’échangeur Turcot
par Guy Giasson, président, Société historique de Saint-Henri

Natif et toujours résident de Saint-Henri, à Montréal, Guy Giasson assume les fonctions de président de la Société historique
de Saint-Henri depuis 1995.

Durant sa carrière de journaliste et rédacteur en chef de magazines de construction, il a reçu 13 prix de journalisme spécialisé.
Communicateur et bénévole impliqué, il siège notamment aux comités consultatif d’urbanisme, des demandes de démolition
et­ de­ toponymie­ de­ l’arrondissement­ Le­ Sud-Ouest,­ à­ Montréal,­ depuis­ 2002.­ Il­ y­ défend­ avec­ acharnement­ la­ conservation­
du­­patrimoine­de­son­quartier.­Il­a­reçu­le­prestigieux­prix­d’excellence­de­l’Opération­patrimoine­architectural­de­Montréal­
en 2004.

Plusieurs textes situent à 1686 la date 1665 et 1672. Il persiste donc un écart paroisse Saint-Henri des Tanneries.
de l’établissement de la première de plusieurs années entre le départ de L’auteur cite comme source l’archi-
tannerie de l’île de Montréal, soit Talon et l’implantation de la tannerie viste Édouard-Zotique Massicotte
sur le territoire de l’actuel quartier à Saint-Henri. D’autant plus qu’il qui disait :
Saint-Henri. Mais à la lumière de est connu que l’établissement d’une
quelques vérifications, nous devons première tannerie en Nouvelle- « Un document judiciaire, du 27 novem-
aujourd’hui revoir cette date. France s’est fait à la Pointe-Lévy bre 1686, nous apprend que, à cette date,
(Lévis) en 1668. “il y avait une manufacture ou tanne-
On a toujours admis que celle-ci rie de cuir sur le bord du coteau de la
fut la deuxième tannerie établie en Pourquoi alors parler de 1686 comme rivière Saint-Pierre”, c’est-à-dire là où
Nouvelle-France, sous l’instigation la date de l’installation de cette tan- sont situées les paroisses Saint-Henri,
de l’intendant Jean Talon, qui voulait nerie? L’explication provient d’un Saint-Zotique et Sainte-Clotilde. »
augmenter l’autonomie de la colonie. ouvrage écrit en 1942 par l’abbé
Or, Jean Talon a été intendant entre J.-Élie Auclair sur l’histoire de la Cet extrait nous apprend donc que
la tannerie existait AVANT 1686.
Il devient plausible d’affirmer que
la tannerie a été établie pendant le
passage de Jean Talon en Nouvelle-
France. Comme il a quitté définiti-
vement en 1672, on peut croire que
la tannerie de cuir du coteau Saint-
Pierre date de bien avant 1686. Sur-
tout que Jean Talon raconte lui-même
en 1671 qu’il a pu se vêtir de la tête
aux pieds de produits du Canada.
La tannerie du cuir est d’ailleurs
l’une des rares industries à survivre
au départ de Talon vers la France
en 1672. Ces faits nous portent donc
à dater la création de cette tannerie
vers 1670.

Pourquoi à Saint-Henri?
Nous devons aussi nous demander
pourquoi la tannerie a été établie à
La plus ancienne image de Saint-Henri date de 1839. Cette aquarelle de James Duncan l’endroit qui deviendra Saint-Henri.
est faite du haut du chemin du coteau Saint-Pierre, aujourd’hui le chemin Upper
Lachine. On y voit en bas de la côte le village des tanneries, s’étendant de l’actuelle
Trois raisons militent en faveur du
rue Saint-Rémi à la rue De Courcelle. L’église qu’on y voit a été construite en 1810.
À gauche, le bâtiment est la taverne First and Last Chance, qui a survécu jusqu’en
site. Premièrement, un édit royal
1971. Les maisons sont celles dont les fondations ont été mises au jour lors des interdisait l’établissement des tanne-
fouilles de 2015. (Photo : Bibliothèque municipale de Montréal, collection Viger) ries à l’intérieur des murs fortifiés,

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Photo d’Alexander Henderson montrant le village des tanneries de Saint-Henri en 1859. (Collection Musée McCord)

en raison des fortes odeurs qui se Les Lenoir dit Rolland Il a obtenu une concession à l’ouest
dégagent du tannage des peaux. Le La tannerie du coteau Saint- de Lachine en 1669 et y a construit
lieu choisi du coteau Saint-Pierre Pierre sera revendue en 1695 à un le Fort Rolland. L’histoire a retenu
était donc situé suffisamment loin marchand de cuir de la rue Saint- plusieurs anecdotes judiciaires à son
de Ville-Marie pour se conformer Paul, Charles de Launay, associé au sujet parce qu’il a trafiqué avec les
à l’édit. tanneur Gérard Barsalou. En 1706, le « indiens », et les payait en alcool,
duo se sépare et un jeune apprenti malgré une interdiction du clergé. Il
Deuxièmement, l’endroit choisi se âgé de 18 ans entre au service de la a aussi accompagné d’autres explora-
trouvait sur la route des fourrures tannerie : Gabriel Lenoir dit Rolland. teurs, probablement pour l’appât du
entre Ville-Marie et Lachine, qui a été Comme son père trafiquait les four- gain de la vente des fourrures.
fondé en 1667. Cette route en ligne rures, il était fort probablement en
droite contournait le lac aux loutres contact avec ce riche marchand de Ce trafiquant de fourrures a épousé
et grimpait en haut du coteau Saint- cuir. Gabriel, né en 1688, est le plus Marie-Magdeleine Charbonnier, une
Pierre, où elle a pris plus tard le nom jeune enfant de François Lenoir et « fille du Roy » envoyée par Louis XIV
de Upper Lachine Road. Marie-Magdeleine Charbonnier. à la demande de l’intendant Talon
afin de peupler la jeune colonie.
Troisièmement, la transformation Son père était un soldat du régi- Les origines de Saint-Henri doivent
des peaux en cuir exige beaucoup ment de Carignan-Salières venu donc beaucoup à Jean Talon. En plus
d’eau. Or le site est traversé par un défendre la colonie à la demande de d’avoir suscité l’installation d’une
important ruisseau descendant du l’intendant Talon. Ce soldat arrivé tannerie, on lui doit la venue des
Mont-Royal vers le lac aux loutres en 1665 est resté au Canada comme deux parents de Gabriel Lenoir dit
et la rivière Saint-Pierre. On situe 400 autres soldats une fois leur mis- Rolland, le premier apprenti tanneur
aujourd’hui l’endroit au coin des rues sion terminée en 1667. Il s’est alors né en Nouvelle-France.
Saint-Jacques et De Courcelle. converti en trafiquant de fourrures.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 13


La jeune colonie française est peu Pour les amateurs de généalogie, le Ce nom provient du saint patronyme
peuplée. Tout le monde se connaît. patronyme « dit Rolland » viendrait du supérieur général des Sulpiciens,
C’est chez le marchand De Launay du père de François, qui se nom- l’abbé Jean-Henry-Auguste Roux,
que l’explorateur et coureur des bois mait Rolland Lenoir. C’est d’ailleurs qui est aussi le curé de la paroisse
DuLuth vint vivre et mourut en 1710. le patronyme de Rolland qui sera Notre-Dame, dont le territoire cou-
Ce personnage avait fondé un poste accolé aux tanneries plutôt que celui vrait toute l’île de Montréal.
de traite des fourrures à la pointe du de Lenoir.
lac Supérieur. Une ville y porte son En 1825, le petit bourg est devenu
nom au Minnesota. Les enfants de Le village des tanneries des un important centre de production
Charles de Launay héritèrent d’une Rolland devient Saint-Henri du cuir et réunit 466 personnes. On y
partie des biens et des possessions de Un recensement de 1781 relève la recense 12 tanneurs, 13 cordonniers-
DuLuth. C’est important de le noter, présence de onze maisons au pied du tanneurs, un cordonnier-sellier, 17 sel-
car au printemps de 1713, l’apprenti coteau Saint-Pierre. On y trouve huit liers et 24 apprentis. En tout, 63 % des
Gabriel Lenoir dit Rolland devient tanneries dont six appartiennent à occupations du village de Saint-Henri
maître-tanneur, pour ensuite épou- des Rolland, tous de la descendance sont reliées aux métiers du cuir.
ser Marie De Launay, la fille de son de Gabriel. On compte déjà dans le
patron, en 1714, et ainsi devenir l’as- bourg des tanneurs quelques ate- La route qui relie Montréal à Lachine
socié de son beau-père. liers reliés au travail du cuir : cor- continue de passer par Saint-Henri.
donniers, selliers et couturières. Le On creuse le canal de Lachine cette
Est-ce que Gabriel Lenoir dit Rolland village, éloigné des fortifications de même année et celui-ci contribue à
a profité de l’héritage de Duluth pour la ville, obtient en 1810 la construc- l’asséchement du lac aux loutres.
prospérer dans sa tannerie de cuir? tion d’une chapelle pour assurer les Ceci permettra le passage du premier
L’histoire ne le dit pas. Mais elle nous services religieux en tant que des- chemin de fer de l’île de Montréal
dit que le couple eut de nombreux serte de la paroisse Notre-Dame de en 1847. D’autant plus qu’on utilise
enfants qui peuplèrent tellement le Montréal. Une école est logée dans les déblais du canal pour construire
coteau des tanneries qu’on nomma le même bâtiment et on lui accole le l’assise du rail qui mènera le train
l’endroit les tanneries des Rolland. nom de Saint-Henri-des-Tanneries. vers le traversier qui relie Lachine
à Laprairie.

L’arrivée de ces deux moyens de


transport marque le début du déclin
des ateliers artisanaux du village
des tanneries. En effet, la révolution
industrielle attirera les manufactures
en bordure du canal de Lachine. La
première à s’installer est une tannerie
industrielle, la Moseley & Ricker. Elle
choisira le meilleur emplacement :
l’intersection du canal et du chemin
de fer. Elle profite aussi de la présence
des artisans du cuir à proximité pour
recruter ses employés. Le village des
tanneurs cesse peu à peu ses activités.
Mais en contrepartie, c’est le boum
industriel qui se prépare. Saint-Henri
devient d’abord une paroisse auto-
nome en 1867, puis obtient sa charte
municipale en 1875. Cette étape favo-
risera l’arrivée de nombreux établis-
sements industriels. En 30 ans la ville
décuplera sa population. De 2467 en
1871 à 24 165 en 1905. On lui attribue
Fondations des maisons et des tanneries de Saint-Henri mises au jour en 2015 lors des
le rang de troisième ville en impor-
travaux de reconstruction de l’échangeur Turcot. Seules quelques pierres ont été
préservées pour composer un éventuel site commémoratif. Tout a été détruit pour le tance au Québec. Plus de 20 impor-
passage de l’autoroute. Plus de 150 caisses contenant 28 000 artefacts sont en tantes usines se sont installées dans la
traitement au Centre de conservation du Québec. La Société historique de Saint-Henri ville au cours de cette période.
attend le retour de ces pièces dans un musée permanent. (Photo de Guy Giasson)

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En 1905, Saint-Henri, presque en La Société historique de Saint-Henri
faillite en raison de son urbanisation collabore au projet et souhaite qu’une
trop rapide, est annexé à Montréal. partie des artefacts lui soit confiée
afin de monter une exposition per-
Au 20e siècle, un quartier industriel manente pour le futur. Mais c’est
Le vieux village des tanneurs s’est plus qu’une exposition qu’il faut
transformé en un petit quartier obtenir : un musée doit être créé pour
agréable à habiter. Agréable? Pas souligner l’importance du lieu dans
tant que cela : l’industrialisation mas- l’histoire non seulement locale, mais
sive offre beaucoup d’emplois, mais aussi nationale. La richesse de l’his-
offre aussi un milieu de vie difficile. toire de Saint-Henri est suffisante
L’énorme quantité de fumée déga- pour le justifier.
gée par les locomotives et les usines
lui donne le surnom de « Smoking
Valley ». La situation s’améliore
dans les années 1950 alors que les
locomotives passent du charbon au
diesel. La haute densité du quartier
empêche l’agrandissement des usines
et celles-ci déménagent les unes après
les autres. La navigation du canal
de Lachine est détournée après la
construction de la voie maritime du
Saint-Laurent en 1959, puis définiti-
vement interrompue en 1970.

C’est aussi au cours de la décennie


1970 que le ministère des Transports
construit l’échangeur Turcot. Et ce
chantier provoque la démolition des
maisons construites sur les fonda-
tions des tanneries du 19e siècle.

En 2015, la reconstruction de l’échan-


geur met au jour les fondations d’un
immense secteur grand de plusieurs
terrains de football. Il s’agit des fon-
dations des tanneries qui ont consti-
tué les origines de Saint-Henri.
Malgré que le potentiel archéolo-
gique de l’endroit ait été bien connu,
c’est l’ampleur des découvertes qui
s’avère exceptionnelle. Les archéo-
logues ont retiré de ce chantier plus
de 150 caisses d’artefacts contenant
28 000 objets.

Qu’arrivera-t-il de tout ce trésor


archéologique? Les pierres des
fondations ont été détruites. Pas
seulement enterrées : complètement
détruites! Les artefacts vont-ils reve-
nir à Saint-Henri? Aucune certitude
n’a été donnée. Un projet d’exposi-
tion temporaire est en préparation
pour l’automne de 2017, dans le cadre
du 375e anniversaire de Montréal.

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L’Œuvre de la Soupe : une œuvre d’hier toujours actuelle
par Rose-Hélène Coulombe et Michel Jutras

Rose-Hélène Coulombe est experte-conseil en agroalimentaire et en tourisme gourmand. Michel Jutras est expert-conseil en
gestion culturelle et touristique. Les deux auteurs sont des coauteurs d’une collection de trois livres édités par GID. La trilogie
comprend : Femmes engagées à nourrir le Québec, 2012, Histoires de gourmands / Culture culinaire, 2014, ainsi que
Histoires de gourmands / Des produits et des hommes (titre provisoire) dont la parution devrait avoir lieu en mai 2017.

Les­auteurs­ont­tiré­le­texte­de­cet­article­du­premier­livre­de­leur­trilogie­et­sont­fi­ers­de­contribuer­à­préserver­et­à­faire­rayonner­
le patrimoine agricole, alimentaire et culinaire du Québec, ainsi que leurs artisans!

Marie-Charles Le Moyne, Baronne raison de l’hiver très rude qui sévit de viande et de pommes de terre.
de Longueuil, est l’instigatrice de cette année-là. Dès 1830, Émilie Les Sœurs de la Providence y pos-
l’Œuvre de la Soupe. Elle est la Gamelin et ses Dames de la charité sèdent aussi un dépôt où elles don-
fille du baron Charles-Jacques Le hébergent l’organisme dans leur nent des vêtements, des chaussures
Moyne, dernier baron de la lignée refuge d’indigents pour finalement et des emplois pour « les chômeurs de
ayant vécu sous le régime français. l’installer dans les nouveaux bâti- bonne volonté ».
Sa mère, Marie-Anne-Catherine ments de l’Asile de la Providence
Fleury Deschambault, déjà veuve à en 1843. Parmi les sœurs de la congrégation
la naissance de sa fille en 1755, se qui se sont investies dans cette œuvre,
remarie en secret avec William En 1889, de 100 à 200 pauvres par on reconnaît le travail exceptionnel
Grant, homme d’affaires écossais. jour utilisent les services de l’Œuvre de sœur Jean-du-Crucifix (Augustine
Cette union permet d’assurer la de la Soupe. En 1927, plus de Blagdon). Elle en est la directrice pen-
descendance du titre à sa fille sous 45 000 repas sont offerts dans l’année. dant 32 ans, de 1931 à 1963. Fille de
le nouveau régime anglais. Marie- Le journal montréalais La Minerve du médecin, bien éduquée, Augustine
Charles épouse à son tour, en 1781, 29 octobre 1832 nous renseigne sur entre chez les Sœurs de la Providence
David Alexander Grant, neveu de les quantités de produits nécessaires en 1915. Elle enseigne à l’Institution
son beau-père. Elle sera la seule chaque jour : 200 livres de bœuf, des Sourdes-Muettes, s’occupe des
femme à porter le titre de la baronnie 6 pains, 2 minots de pois et 200 gallons finances de certains établissements de
de Longueuil. Aujourd’hui, leurs d’eau. On dépense 25 « cheling » par la congrégation ainsi que des quêtes
descendants, aînés de famille, jour pour les provisions, le combus- pour les œuvres des Sœurs, puis fait
portent toujours le titre de Baron tible et le salaire des domestiques. La les visites à domicile aux pauvres et
de Longueuil. soupe a toujours été servie à tous, sept aux malades. Elle travaille aussi, dès
jours sur sept, sans discrimination de 1927, pour l’œuvre des camps d’été
Très impliquée dans les œuvres race ou de religion. Chaque personne pour enfants défavorisés et, après
de charité, Marie-Charles fonde a droit à une pinte de soupe par jour, 1963, pour l’œuvre des Foyers pour
l’Œuvre de la Soupe en 1827 en trois fois par semaine, accompagnée personnes âgées nécessiteuses.

Les installations de l’Œuvre de la


Soupe rue Saint-Hubert, près de la
rue Sainte-Catherine, ferment leurs
portes en 1963 avec la fermeture
de l’Asile de la Providence. Les
bâtiments sont tous démolis pour
permettre la construction de la
station de métro Berri-de Montigny
(Berri-UQAM) en prévision de la
grande exposition internationale
Expo 67. Aujourd’hui, les œuvres de
soupe populaire existent sous plu-
sieurs formes et dans plusieurs pays.
À la place Émilie-Gamelin, sur l’an-
File de gens à l’entrée de l’Œuvre de la soupe populaire, rue Saint-Hubert, coin cien site de l’Œuvre de la Soupe, les
Sainte-Catherine, Montréal, année inconnue. (Photo : Archives Providence Montréal) itinérants sont toujours présents.

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Montréal, par rues et par ruelles
par Diane Archambault-Malouin, M.A.

Diane Archambault-Malouin détient une maîtrise en études des arts de l’Université du Québec à Montréal. Consultante en
patrimoine bâti et en histoire sociale, elle a réalisé des études et collaboré à diverses publications. Spécialiste de la toponymie
montréalaise, elle est l’auteure principale de l’ouvrage Les rues de Montréal, répertoire historique paru aux Éditions du
Méridien en collaboration avec la Ville de Montréal.

À l’occasion du 350e anniversaire de Montréal, elle a présenté des causeries publiques sur ce sujet et rédigé des chroniques pour
le quotidien La Presse. Parallèlement, elle poursuivit une carrière dans le milieu muséal montréalais à titre d’éducatrice et de
commissaire­d’expositions.­Elle­est­la­présidente­fondatrice­de­la­Société­d’histoire­du­Domaine-de-Saint-Sulpice.

Montréal, par rues et par ruelles1 principale ainsi placée sous la protec- puis, en « avenue du Parc », un peu
reprend le titre de causeries que j’ai tion de la Vierge Marie, la patronne plus loin encore en montant vers le
présentées à l’occasion du 350e anni- de la ville. nord de la ville.
versaire de Montréal, il y a déjà
vingt-cinq ans. J’invitais alors ainsi À ces premières rues s’en ajouteront En 1832, la Ville de Montréal obtient
les Montréalais de tous âges à lever d’autres, tant à l’intérieur des murs de son incorporation. Pour marquer la
la tête et à retrouver leur histoire fortifications que dans les faubourgs. toute première élection d’un maire et
en interrogeant les mots posés sur Elles aussi seront dénommées des de conseillers, le 3 juin 1833, Louis-
les plaques de rues, de parcs et de saints patrons des personnalités de Benjamin Berthelet (1796-1847) intè-
ruelles. Aujourd’hui, cette invitation l’époque. Les plaques des rues du gre les rues « Mayor » et « Conseillers
tient toujours. Cette causerie présente Vieux-Montréal d’aujourd’hui, beau- de Ville » au plan du lotissement de
quelques clés pour décoder ce patri- coup plus vaste que le Ville-Marie son terrain. C’est l’usage de l’an-
moine collectif que sont les noms des d’alors, témoignent de cet univers glais au comité exécutif qui avec le
rues, ruelles et parcs de Montréal, religieux tout en payant tribut aux temps a transformé ce toponyme en
car les toponymes font bien plus que premiers grands personnages de « City Councillors ».
nous orienter dans l’espace, ils com- Montréal.
mémorent notre histoire2.
Avant la fin du XVIIIe siècle, les limites
L’aventure toponymique de Montréal de la ville sont étendues vers le nord
commence officiellement en juillet jusqu’à la rue Duluth et la ville est
1672, trente ans après la fondation de divisée en deux quartiers, est et
la ville. Depuis 10 ans, les Messieurs ouest, de part et d’autre du boule-
de Saint-Sulpice sont les seigneurs de vard Saint-Laurent. Là donc où se
l’Île de Montréal. La ville se nomme trouve l’origine de la mention « Est »
toujours « Ville-Marie en l’isle de et « Ouest » de nombreuses voies
Montréal » quand le supérieur, actuelles traversant cet axe.
Monsieur François Dollier de Casson
(1636-1701), entreprend de la doter À compter de 1801, on amorce le
d’un plan d’urbanisme. Il opte pour démantèlement des murs de fortifi-
un plan orthogonal de 10 rues à par- cations de pierres qui avaient rem-
tir du sentier quelque peu sinueux placé les structures de bois en 1740.
existant entre les quelques maison- En 1817, la démolition complétée,
nettes et l’hôpital construit par made- la ville compte 132 voies dont la
moiselle Jeanne Mance (1601-1673). Il « ruelle des fortifications » qui
nomme ce sentier « rue Saint-Paul », marque l’emplacement de l’ancienne
d’après le saint patron du premier enceinte. Plusieurs des rues « hors
gouverneur de la colonie, Paul les murs » sont alignées en conti- Depuis le 19 septembre 2001, un parc du
Chomedey, Sieur de Maisonneuve nuité avec les rues de l’ancienne Vieux-Montréal dans l’arrondissement
(1612-1676). Il fait de même pour ville. De cette expansion, nous avons Ville-Marie rend hommage à François
l’ensemble des rues, rendant ainsi hérité du pittoresque changement Dollier de Casson, qui a dessiné le
hommage aux fondateurs. Enfin, il de « rue Saint-Pierre » en « rue de premier plan des rues de la ville.
nomme « rue Notre-Dame » la rue Bleury », au-delà du mur d’enceinte (Photo : Diane Archambault-Malouin)

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 17


l’évolution et la multiplicité des
mentalités plutôt que des périodes
très précises.

Les toponymes utilisant des noms


de saints, les hagionymes, sont nom-
breux à Montréal. Contrairement
à ce qu’on pourrait croire, ils ne
datent pas tous de la même période.
Outre les hagionymes du XVIIe siècle
présents dans le Vieux-Montréal,
d’autres sont du XVIIIe siècle. Ces
noms ont été choisis par certains
cessionnaires pieux, comme Philippe
Turcot (1791-1861) et son épouse,
Marguerite Arcouet (1790?-1864), qui
ont laissé les rues Saint-Philippe et
Sainte-Marguerite dans l’arrondisse-
ment Saint-Henri. Certains autres
viennent du XIXe siècle et témoi-
gnent du morcellement en 1854 de la
En 1672, le notaire et arpenteur Bénigne Basset, sieur des Lauriers dressait ce plan paroisse Notre-Dame fondée en 1657,
des rues projetées. « Plan de Ville-Marie et des premières rues projetées de la puisqu’ils sont ceux des patrons des
Haute-Ville. » (Source : Archives de la Ville de Montréal CA M001VM066-1-P014) églises catholiques qu’ils jouxtent.

À cette période, plusieurs villages se On entreprend alors de démocra- Les noms propres sont cependant
créent en marge de la grande ville. tiser l’exercice toponymique, ce qui les plus nombreux. Pour la plupart,
C’est l’occasion pour quelques pro- conduira ultimement aux comités ces dénominations rappellent, on le
priétaires fonciers de faire leur entrée de toponymie d’aujourd’hui. Des devine, de grands personnages de
dans la toponymie. Lotissant leurs citoyens sont choisis pour statuer l’histoire. Noms d’hommes, pour la
terrains à des fins résidentielles, ils y sur l’ouverture, la fermeture ou la plupart, grands hommes politiques,
ouvrent des voies de communication dénomination de nouvelles voies écrivains, musiciens célèbres, héros de
qu’ils cèdent ensuite à la Ville à la et places publiques. Le travail leur temps. Ces personnages qui ont fait
condition qu’elles soient dénommées ne manque pas lorsqu’au début l’objet de dénominations politiques,
de leur propres noms. On assiste à du XXe siècle Montréal procède à commémoratives voire éducatives ne
une laïcisation des toponymes et à l’annexion de nombreux villages se trouvent cependant pas toujours
une appropriation personnelle de la et municipalités de l’île, soit qua- en lien avec l’histoire montréalaise,
toponymie. De cette époque, nous tre avant 1900 et 24 avant 1910. Ces québécoise ou même canadienne. Ces
conservons de petits ensembles annexions conduisent à des change- dénominations qui n’utilisent sou-
familiaux comme autant de fiefs des ments de noms afin d’éviter la vent que le seul nom de famille sont
familles Aird et Bennet, Casgrain et confusion et faciliter l’orientation. difficiles à dater, puisqu’elles peuvent
Beaubien, ou encore les dénomina- avoir été adoptées lors d’un décès,
tions de Rachel, Napoléon, Roy et L’expansion de Montréal et les d’un anniversaire ou encore exprimer
Cadieux par la succession du notaire annexions se poursuivent et condui- l’estime de la population ou de l’élite
Jean-Marie Cadieux au moment du sent à un total de quelque 2 200 odo- envers un personnage marquant. Elles
lotissement du terrain en 1834. nymes à la fin du XXe siècle. En 2006, ont parfois lieu en cours même d’un
la fusion d’une centaine de munici- mandat public. C’est le cas du topo-
En 1850, Montréal compte 200 rues palités du Québec dont 19 sur l’île nyme Sherbrooke apparu vers 1817
et un peu moins de 58 000 habi- de Montréal porte ce nombre à plus durant le mandat à titre de gouver-
tants. Dix ans plus tard, les voies de 6000 toponymes. Le grand séisme neur en chef de l’Amérique du Nord
et parcs sont au nombre de 300. La toponymique appréhendé n’a pas britannique du très apprécié Sir John
ville s’étend alors au nord jusqu’au eu lieu et la toponymie montréalaise Coape Sherbrooke (1764-1830). Ces
nouvel Hôtel-Dieu sur l’avenue des compte toujours plusieurs doublons. toponymes avec seul patronyme sont
Pins, à l’ouest du chemin de la Côte- généralement antérieurs au XXe siècle,
des-Neiges et à l’est jusqu’à la rue On le voit, Montréal compte plusieurs puisqu’il est maintenant d’usage de
Parthenais. En 1871, la population types de toponymes, adoptés au dénommer du nom complet, prénom
dépasse 107 000 habitants. fil du temps. Cette variété reflète et nom.

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D’autres toponymes empruntent
des noms communs. Des toponymes
comme « parc du Lac-à-la-Loutre »,
« rue des Éclusiers » ou encore « parc
de l’Ukraine » rendent compte de la
volonté des décideurs d’évoquer une
histoire plus modeste en insistant
sur des réalités à garder en mémoire.
Ces dénominations, généralement
plus récentes, présentent également
l’intérêt d’un lien de proximité avec
l’histoire du lieu.

Outre les noms propres et les noms


communs, la toponymie montréalaise
compte aussi depuis peu des dates.
En 1998, on a ainsi introduit le topo-
nyme « Place du 6-décembre-1989 »
à proximité de l’École Polytechnique
afin de souligner, dans un esprit de
non-violence, la tragédie survenue
près de dix ans auparavant.

D’autres tendances sont également


apparues récemment. On constate
l’attention portée aux toponymes
d’origine autochtone, à ceux liés à
l’histoire des Noirs, à l’histoire du
sport, aux champions olympiques
ou encore aux créateurs de toutes En mai 1917, le journal La Presse publiait une reproduction de ce « Plan de Montréal
disciplines. C’est là une belle façon en 1760 » créé le 12 mai 1917 par l’archiviste de la Ville, Conrad Archambault,
pour souligner le 275e anniversaire de Montréal.
de mettre en lumière ce patrimoine
(Source : Archives de la Ville de Montréal CA M001VM066-2-P003)
humain tout aussi essentiel à notre
identité que les grands héros des
livres d’histoire.

Depuis 2010, les femmes sont,


elles aussi, plus présentes dans la
toponymie montréalaise. Certaines
y étaient déjà invisibles, anonymes
presque sous un prénom ou un nom citoyens et de représentants d’orga- Notes
de famille. Les dénominations actu- nismes. Parmi ces organismes, les
elles avec prénom et nom les tirent sociétés d’histoire figurent en très 1 Sauf mention contraire, les infor-
de l’ombre. Le 2 mars 2016, la Ville a bonne place et avec raison. mations contenues dans ce texte
de plus créé une nouvelle banque de sont tirées de l’ouvrage Les rues de
noms exclusivement féminine nom- Beaucoup reste à dire et à écrire sur Montréal, répertoire historique, Ville de
mée « Toponym’Elles ». Elle a invité Montréal, Éditions du Méridien, 1995,
la toponymie montréalaise, car elle
la population à collaborer à l’atteinte 547 p. et du répertoire historique en
témoigne de notre héritage tant bri-
de l’objectif de 375 noms de femmes ligne à villedemontréal.qc.ca.
tannique que français comme de
destiné à souligner le 375e anniver- notre ouverture sur le monde. Mieux 2 Voir à ce sujet le « Patrimoine topo-
saire de Montréal3. connaître ce patrimoine, se l’appro- nymique », Continuité, hiver 2017,
numéro 151.
prier, c’est assurer un legs précieux
Les arrondissements ont aussi acquis aux générations futures, ce qui 3 Ville de Montréal, communiqué en
de nouveaux pouvoirs en termes de s’avère une de nos missions comme date du 2 mars 2016.
dénominations de lieux. Plusieurs citoyens et encore plus comme mem-
ont déjà mis en place des comités bres de sociétés d’histoire.
consultatifs locaux constitués de

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 19


De la coupe à glace au réfrigérateur
par André Laniel

André Laniel a pratiqué le journalisme durant une quarantaine d’années au sein de la presse locale tout en exploitant une
entreprise. Ses parents, issus de familles souches de la côte Sainte-Geneviève, ont tissé sa toile de fond de connaissances sur son
patelin.­Il­se­voue­à­plein­temps­à­l’histoire­depuis­qu’il­est­à­la­retraite.­En­2016,­il­a­suivi­­avec­succès­le­cours­«­Introduction­à­
l’histoire politique du Québec » offert par l’Université TÉLUQ et donné par l’historien Éric Bédard. Depuis quelques années, il
incarne­le­«­conteux­du­village­».­En­sa­compagnie,­l’histoire,­les­personnalités­et­les­anecdotes­prennent­une­tout­autre­allure.­

De nos jours, il s’agit d’ouvrir la porte Un marché à exploiter et jusqu’à la fin mars pour autant que
du réfrigérateur pour se prendre un En Europe, le goût pour les boissons la surface des cours d’eau atteigne
petit boire ou pour choisir les denrées froides et les friandises glacées incite au moins l’épaisseur de 20 pouces
nécessaires pour la préparation d’un la population à se procurer de la (50 cm). La surface glacée doit
succulent repas. Et peut-être d’ouvrir neige et de la glace dans les régions supporter au moins le poids des
le compartiment du congélateur pour nordiques. Mais il faut trouver des chevaux, la charge des traîneaux et
prendre un glaçon afin de rafraichir manières de faire pour transporter des hommes.
sa limonade préférée. Et de surcroit, il et conserver ces matériaux frileux
y a des appareils qui fabriquent auto- devant la chaleur. Avec le temps, des La coupe
matiquement de ces glaçons lorsque entrepreneurs découvrent qu’il y a là Un des hommes du village prend la
nous présentons notre contenant. une bonne affaire. tâche de déterminer le secteur de la
C’est donc merveilleux. coupe sur l’étendue d’eau. Durant les
C’est un dénommé Frédéric Tudor, semaines précédentes, on fait l’entre-
Mais au début du siècle dernier, c’était un Américain, qui se lance dans tien de cet espace balisé de sapins ou
une toute autre histoire, surtout pour l’aventure de ce commerce au de piquets afin de sécuriser les lieux.
les ménagères, de pouvoir conserver début du XIXe siècle. Il développe sa Pour épaissir la glace et en amélio-
les denrées au frais. Les appareils clientèle dans l’élite de l’Europe, rer la qualité, la surface est dénei-
étaient modestes et singuliers. La gla- la Martinique, Cuba, l’Inde, l’Aus- gée à l’aide d’une gratte tirée par les
cière domestique était un meuble de tralie et le sud des États-Unis. Avec chevaux et on y creuse des trous à
bois placé de préférence près de la le temps, il construit des glacières quelques endroits pour faire monter
porte donnant sur la galerie arrière. géantes dans les pays et les régions l’eau à la surface. On enlève la neige
Le livreur avait moins de pas à fran- où il s’implante. Ses bateaux à vapeur parce que c’est un isolant. En faisant
chir dans la cuisine avec ses grosses transportent à chacun des voyages monter l’eau à la surface, ça permet
bottes sales. de retour des fruits et légumes exo- d’égaliser la glace et de lui donner de
tiques. Les Américains ont alors accès la consistance.
Je vous invite un instant à reculer à de nouvelles denrées.
dans le temps... Un ancien âgé de plus de 90 ans,
Une première glacière monsieur Latour, raconte : « Un bon
En Nouvelle-France, une première matin que le fret a ben fait son tra-
glacière est construite au château vail, on s’amène avec les chevaux et
Saint-Louis sous le gouverneur géné- nos outils. Il faut s’habiller ben chau-
ral Louis Buade, comte de Frontenac. dement, à savoir un gros capot, des
La glace sert essentiellement à rafrai- chandails, des chaussons de laine, de
chir les boissons des convives lors bonnes mitaines en cuir doublées en
des grandes réceptions mondaines. laine, eh ben oui, un casque avec des
Au long des années, les habitants de oreilles. Un fret de -30° et des fois de
la colonie découvrent les bienfaits -40° ne doit pas nous empêcher de
du froid pour la conservation des travailler, et surtout avec les grands
aliments. Alors, nos braves ancêtres vents du nord. Aujourd’hui, vous
s’aventurent sur les rivières, les lacs dites l’effet éolien. Le travail com-
et le fleuve pour y extraire de beaux mençait à la barre de la journée pour
blocs de glace. se terminer à la brunante. Le midi,
on arrêtait un moment pour manger
La petite histoire de Lachine, La coupe de la glace s’effectue et surtout pour boire quelque chose
hiver 1991-1992.
quelques jours après la fête des Rois de chaud. »

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Tout au long de la journée, les double paroi sont isolés de bran de Le livreur effectue son travail avec
hommes utilisent de longues scies scie (sciure de bois). On met aussi du de grosses pinces et un pic à glace.
pour couper des blocs d’environ bran de scie entre les blocs et sur le Le pic sert à tailler le bloc au format
4 pieds (120 cm) de long par 2 pieds dessus afin de pouvoir les conserver désiré par la cliente. Protéger d’un
(60 cm) de large et d’autant en épais- jusqu’à la prochaine saison. long tablier de cuir, il porte le bloc sur
seur. Dans une journée, un bon scieur son épaule recouverte d’une vieille
sort en moyenne 300 blocs. Il y a tou- La « run » de glace poche en jute. Il le dépose dans le
jours un petit concours pour détermi- Sur le territoire de Montréal, les compartiment du haut de la glacière
ner le meilleur coupeur de la journée. glacières sont réparties à plusieurs domestique. La pinte de lait le côtoie
Ce qui met un peu d’ambiance. endroits. Ce qui écourte la dis- pour une meilleure conservation. Des
tance entre le dépôt et les « runs » clientes préfèrent que le livreur laisse
Une fois coupé, on déplace, à l’aide de livraison. De cette manière, il y a le bloc dans la cuvette placée sur la
d’une gaffe, le bloc dans le canal déjà moins de perte de volume du bloc de galerie pour qu’un homme de la mai-
dépecé pour l’amener au bord de la glace durant la période chaude. son exécute la manœuvre avec soin
rive, pour finalement l’embarquer pour ne pas salir le plancher.
sur la sleigh ou traîneau en le glissant
sur la rampe qui est à la bonne hau-
teur. Ou bien on fait les manœuvres
directement sur l’étang afin de sauver
du temps. Un bloc peut peser entre
300 et 400 livres (135 à 180 kg), du
temps que les opérations sont faites
manuellement à l’aide de grosses
pinces. La mécanisation des opéra-
tions permettra plus tard d’augmen-
ter le poids des blocs à la satisfaction
des bouchers, des laitiers et des
industries en général.

Règlementation à Montréal
À Montréal, la première compagnie
à s’aventurer dans le domaine est la
Lamplough & Campbell, en 1859. Les
gens en ville ont besoin que l’entre-
prise de la coupe et de la distribution
de la glace soit organisée étant donné
que les hommes sont occupés dans
les usines.

En 1889, la Ville de Montréal a


adopté la loi no 176 sous l’appellation
« Règlement concernant la coupe
ou prise de la glace pour l’usage
de la cité de Montréal ». L’inspec-
teur détermine l’emplacement de la
coupe où l’hygiène n’est pas mise en
cause. Par cette règlementation, seule
la glace coupée sur le fleuve par un
détenteur d’un permis délivré par la
Ville peut faire l’objet de commerce
sur le territoire. Une amende de 40 $
ou à défaut, le contrevenant est pas-
sible d’un emprisonnement maxi-
mum de deux mois.

Les entrepreneurs logent les blocs


dans des bâtiments dont les murs à « On va vous le montrer que nous sommes capables. » (Photo : Richard St-Pierre)

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 21


Le samedi, la ménagère entreprend le Elle me mentionne que le bon livreur
lavage et le cirage de son plancher de du Faubourg à m’lasse lui faisait tou-
cuisine après la livraison. À l’époque, jours de mauvais yeux pour l’apeurer
on respecte le jour du Seigneur. Donc durant un instant, mais il la laissait
il n’y a pas de livraison le dimanche. partir avec un petit sourire en coin.

Le livreur sait la grosseur du bloc L’électrification de la ville de


qu’il doit livrer par l’affiche installée Montréal a favorisé l’introduction
dans la fenêtre ou sur un poteau de la graduelle des réfrigérateurs dans les
galerie. Les deux formats sont le 25 lb foyers. Mais ce gros appareil a gagné
et le 50 lb. Durant les années 1940, le la faveur des ménages surtout après
prix d’un 25 lb est de 0,15 $ et celui la Deuxième Guerre mondiale. Les
d’un 50 lb est de 0,25 $. Le gouver- conditions économiques sont favo-
nement fédéral parle de légiférer les rables et les prix sont plus abordables.
prix. Ce qui devrait atténuer l’ambi- Généralement, c’est le premier appa-
tion des commerçants qui profitent reil que les familles se procurent une
de la période chaude pour augmen- fois qu’elles sont branchées au réseau
ter d’un gros 0,05 $. électrique.

Un vol Les familles Legault, Bélanger,


Je me souviens de la petite Lucie Carignan, Richer, Gendron, Rousse,
qui courait à l’arrière de la grosse Boire, Paquette, Laurin, Brunelle,
voiture pour « voler » un petit mor- Hébert et Thibault, entre autres, « ont
ceau de glace qu’elle se mettait à fait de la glace » durant plusieurs
Carte indiquant la grosseur du bloc de sucer en riant. Pour elle, c’était un années sur l’île de Montréal. Les dires
glace. (Photo : Gabriel Deschambault) bon moment. Aujourd’hui, celle qui de ces « gences » nourrissent encore
dépasse les 70 ans m’en parle encore. nos souvenances sur le sujet.

Sources
Archives municipalité de Montréal
BEAUDET, Pierre (dir.). Les Dessous de la terrasse à Québec, Septentrion, 1990.
BIZIER, Hélène-Andrée. À chacun son métier, Fides, 2010.
FOURNIER, Martin. Jardins et potagers en Nouvelle-France, Septentrion, 2004.
« Le commerce de la glace », Magazine Harper’s Weekly, 30 août 1884.

GAËTANE BRETON–chanteuse, comédienne et auteure


SPECTACLES, ATELIERS ET CONFÉRENCES HISTORIQUES
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Vivre dans un quartier ouvrier de Montréal vers 1930
par Gilles Lauzon, de la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles

Gilles Lauzon, titulaire d’un baccalauréat en architecture et d’une maîtrise en histoire, travaille depuis de nombreuses années
dans le domaine du patrimoine. De 1997 à 2007 il a coordonné un projet de recherche et de diffusion sur le Vieux-Montréal, ce
qui a notamment donné lieu à la création d’un site Web et à la publication en 2004 de l’ouvrage L’histoire du Vieux-Montréal
à travers son patrimoine.­Chercheur­indépendant­depuis­2007,­il­a­réalisé­des­études­patrimoniales­portant­sur­divers­édifi­ces­
et sites paysagers de Montréal. Il s’intéresse aussi depuis longtemps aux quartiers ouvriers. Son mémoire de maîtrise portait
sur Saint-Henri au XIXe siècle et il est l’auteur de Pointe-Saint-Charles : l’urbanisation d’un quartier ouvrier de Montréal,
1840-1930, réalisé en lien étroit avec la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles.

On évoque généralement les quar- Les Turnbull entier, et en 1889, un duplex contigu
tiers ouvriers de Montréal comme David Turnbull et Jane Neilson, à celle-ci, dont les deux logements
ayant été des lieux de pauvreté, voire mariés en 1854, sont arrivés à sont bientôt occupés par un de leur
de misère. On parle le plus souvent Montréal peu après, David ayant fils et une fille mariés.
de maisons mal construites et de été vraisemblablement recruté par
logements surpeuplés et insalubres. la compagnie ferroviaire du Grand Les Turnbull ont l’eau courante dès
On associe par ailleurs tout particu- Tronc pour travailler sur les trains de la construction, mais en 1872, suivant
lièrement les francophones et des son réseau, dont le cœur est à Pointe- un document municipal, ils n’ont
catholiques d’origine irlandaise à Saint-Charles. Le jeune ménage loue pas encore de cabinet de toilette à
cette pauvreté ouvrière, par opposi- successivement plusieurs logements, chasse d’eau; ils en feront certaine-
tion aux protestants, que l’on associe puis achète un terrain en 1871. Il y fait ment installer un avant longtemps.
plutôt à la bourgeoisie. À notre avis, construire la même année une mai- La présence de water closets dans les
cette vision doit être grandement son de deux étages qu’il occupera en maisons et logements semble encore
nuancée, voire franchement corri-
gée, sans nier que la misère ait été
présente dans les quartiers ouvriers.
Bien au contraire.

Trois familles de Pointe-Saint-


Charles, un quartier ouvrier du sud-
ouest de Montréal, nous serviront
de guides. Ce sont des Turnbull,
protestants originaires d’Écosse; des
Mullins, nés en Irlande et mariés à
Montréal; ainsi que des Galarneau,
nés et mariés dans la région de
L’Assomption, non loin de Montréal.
Nous nous attarderons à leur situa-
tion en 1891, puis nous visiterons
le quartier en 1921 en profitant des
riches données du recensement.

Les faits exposés dans cet article


proviennent du livre Pointe-Saint-
Charles : l’urbanisation d’un quartier
ouvrier de Montréal, 1840-1930, publié
chez Septentrion. On peut y trouver
plus de détails sur les sujets abordés
Les deux maisons Turnbull-Neilson, rue Sainte-Madeleine, celle de gauche bâtie
ici et sur les sources.
vers 1870-71, le duplex à droite construit en 1889 de concert avec William Maver,
propriétaire de l’autre duplex semblable, plus à droite. Au cours des années 1890,
les jeunes Turnbull occupent des logements dans ces deux duplex,
celui de la famille et celui des Maver.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 23


considérée comme un luxe à Montréal doute plus d’une et la seule fille non d’une chambre pour les parents,
au début des années 1870; l’usage mariée a certainement la sienne, ce d’une pour les filles, d’une autre pour
s’en répand dans les années 1880 et qui laisse encore la possibilité d’une les garçons et d’une pièce de séjour
on voit de plus en plus cet équipe- pièce consacrée aux repas et d’un supplémentaire (pour les repas quo-
ment comme une nécessité dans les salon de réception. tidiens ou pour recevoir); en somme,
années 1890. des logements de cinq pièces pour
Dans leur proche voisinage (ména- des familles comprenant filles et
En 1891, le ménage compte encore ges sur sept pages de recensement), garçons. Nous sommes là en milieu
huit personnes, de grands enfants essentiellement anglophone, très ouvrier relativement à l’aise. Ajou-
ayant quitté après s’être mariés. Leur majoritairement protestant et lié de tons que quelque 80 % des ménages
maison construite en 1871 comprend près aux ateliers les plus payants du sont locataires.
sept pièces. Nous ne connaissons Grand Tronc, la moitié des ménages
pas les usages de chacune, mais les ont ce genre de marge de manœuvre, Le fait que deux, trois ou quatre filles
parents ont forcément une chambre, tandis que tous les autres dispose- ou garçons se partagent une même
les cinq garçons en occupent sans raient potentiellement d’une cuisine, chambre semble courant. Comme
le fait que six ou sept personnes
vivent dans cinq pièces (soit 1,2 ou
1,4 personne/pièce), ce que certains
voient encore aujourd’hui comme
un indicateur de surpeuplement. Les
standards de 1891 n’étaient pas ceux
de 2017.

Les Mullins
Arrivés d’Irlande séparément,
Patrick Mullins et Catherine Tolan se
sont mariés dans la paroisse Sainte-
Anne. Comme les Turnbull, ils ont
loué plusieurs logements au fil des
années, jusqu’à ce qu’ils achètent un
lot en 1882. Ils ont fait bâtir en 1884
un duplex comprenant deux loge-
ments superposés de quatre pièces
chacun, disposant de l’eau courante
et de water closets. La famille occupe
un des deux logements et met l’au-
tre en location. Patrick, d’abord
journalier pour le Grand Tronc, est
devenu inspecteur de wagons. Après
le décès de Catherine en 1887, il a
épousé sa sœur Margaret Tolan, avec
qui il a d’autres enfants.

En 1891, la maisonnée comprend


huit personnes alors que la fille aînée
a quitté. Comme ils occupent qua-
tre pièces, on peut déduire qu’en
plus de la cuisine, ils ont une cham-
bre pour les parents, une pour les
deux filles et une pour les quatre
garçons. Dans le voisinage immé-
diat des Mullins (34 ménages sur sept
pages de recensement), le quart des
ménages occupent leur logement de
La maison Mullins-Tolan, construite en 1884, rue Charon. Jusqu’en 1893, les Mullins façon similaire : cuisine et chambres,
occupent un des deux logements et mettent l’autre en location. Ensuite, ils occupent sans plus. Les autres, c’est-à-dire la
toute la maison. À gauche, il n’y a toujours eu qu’une maison en fond de lot. plupart, disposent cependant d’au

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moins une pièce de plus. À l’opposé, canal de Lachine, ils se sont déplacés « taxe d’eau » pour l’eau courante
2 des 34 ménages semblent carrément ensuite à Pointe-Saint-Charles où, dès leur arrivée et, selon toute vrai-
manquer d’espace au point de devoir comme les Turnbull et les Mullins, ils semblance, ils disposent d’un cabinet
faire coucher des enfants dans la cui- ont occupé successivement plusieurs de toilette à chasse d’eau.
sine. Ces deux ménages sont pauvres logements. Onésime travaille lui
suivant les critères de leur époque, à aussi pour le Grand Tronc, comme En 1891, une de leurs filles s’étant
n’en pas douter. menuisier, dans l’atelier des wagons. mariée et ayant quitté, le ménage des
Contrairement aux deux autres cou- Galarneau comprend sept personnes,
Les Mullins, qui ont eu un autre ples, les Galarneau ne deviennent avec trois filles et deux garçons. On
enfant en 1891, occupent toute la mai- jamais propriétaires. peut supposer qu’ils utilisent trois
son à compter de 1893 et disposent pièces comme chambres, la cui-
désormais de huit pièces (on fera plus En 1889, ils s’installent dans un loge- sine servant de pièce collective. Ce
tard mention de sept pièces, ce qui ment de quatre pièces où ils habite- mode d’occupation du logement
suggère un certain réaménagement). ront pendant cinq ans. Ils habitent au (cuisine-chambres), que nous avons
La maison est alors toute payée. rez-de-chaussée d’un immeuble tout déjà rencontré chez les Mullins,
récent de trois étages qui comprend constitue dans le voisinage immédiat
Les Galarneau sept logements en tout, dont trois des Galarneau le mode d’occupa-
Onésime Galarneau et Estelle Raymond plus petits que les autres à l’étage tion le plus courant. C’est le cas de la
se sont mariés à L’Assomption en supérieur, accessibles par l’arrière moitié de la trentaine de voisins les
1861. Installés à Montréal, au nord du seulement. Les Galarneau paient la plus proches. Un peu moins du quart

Immeuble de la rue de Châteauguay où habite la famille Galarneau de 1890 à 1894, en bas, à droite. Il a été construit en 1885-1886
par François-Xavier Berthiaume, épicier prospère de la paroisse Saint-Gabriel. Sitôt après la construction et dans les années qui ont
suivi, on y trouve des hommes de métier et des journaliers francophones.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 25


(7/31) disposent par ailleurs d’au Les modes d’occupation des loge- Pour le premier groupe (5 %), on
moins une pièce supplémentaire. ments, tels que décrits précédem- peut sans risque parler de pau-
ment, se répartissent comme suit. vreté, voire de misère. Quant aux
En revanche, et cela est ici très frap- Parmi les ménages de ce quartier 21 % des ménages vivant en mode
pant, près du tiers des ménages de ouvrier, 41 % connaissent une cer- cuisine-chambres en 1921, on peut
ce voisinage semblent carrément taine marge de manœuvre – quant supposer des budgets très serrés
manquer d’espace de vie, parents, aux pièces disponibles –, comparable (s’ils avaient plus d’argent, ils occu-
filles et garçons devant par exemple à celle des Turnbull en 1891 ou des peraient sans doute des logements
se contenter d’un trois pièces. Pour Mullins après 1893. Près du tiers des plus grands), mais à une époque où
les Galarneau, qui vivent à sept dans ménages (31 %) disposent par ail- la vie de famille se passe encore beau-
leur quatre, ces voisins paraissent leurs d’une cuisine, d’une chambre coup autour de la table, ce n’est pas
sans doute en difficulté, tandis que pour les parents, d’une pour les filles, nécessairement perçu négativement.
leur propre situation paraît normale. d’une pour les garçons, et d’une pièce
Pas idéale, d’autres ont mieux, mais supplémentaire (« salon » ou autre). Nous avons déjà souligné que le tiers
normale. Le tiers des ménages du En combinant ces deux groupes, il des ménages autour des Galarneau,
secteur qui doivent se contenter de appert que 72 % des ménages de tout un secteur très francophone, étaient
trop petits logements en souffrent le quartier connaissent à cet égard en 1891 en manque flagrant d’espace
certainement, et tout permet de pen- une situation semblable à celle déjà suivant les standards du quartier à
ser que leur budget pour la nourri- connue par tous en 1891 dans le cette époque. Un réexamen du même
ture est tout aussi inadéquat. secteur protestant proche du Grand secteur montre en 1921 une situation
Tronc. Il y a par ailleurs en 1921, dans radicalement changée. Cela transpa-
Changements entre 1891 et 1921 tout le quartier, 21 % des ménages raît dans la situation des franco-
Entre 1891 et 1921, la communauté qui s’en tiennent encore à un mode phones dans tout le quartier en cette
protestante gagne en importance et la cuisine-chambres, sans plus. Enfin, même année : 1 % [--], 17 % [-], 45 %
francophone se consolide, mais, éton- 5 % des ménages se situent sous ce [+], 36 % [++]. Les cas très flagrants
namment, la communauté catholique standard, en manque flagrant d’espace. de manque d’espace ont pour ainsi
irlandaise connaît un déclin relatif dire disparu, passant de 29 % à 1 %.
dans le quartier tandis qu’arrivent Pour résumer les choses simplement,
au début du XXe siècle de nombreux reprenons en ordre croissant les Soulignons que les francophones
immigrants d’Europe de l’Est. En pourcentages qui correspondent aux et les catholiques irlandais présen-
1921, suivant un échantillonnage quatre modes d’occupation allant tent en 1921 des portraits relative-
systématique à l’échelle du quartier, d’un évident entassement jusqu’à une ment semblables. Les protestants,
42 % des ménages sont composés de évidente marge de manœuvre selon présents dans toutes les catégories,
protestants, 31 % de francophones, les normes du temps, en passant par sont surreprésentés parmi les plus
11 % de catholiques irlandais, 11 % les intermédiaires cuisine-chambres à l’aise en matière d’espace (57 %
de nouveaux immigrants, tandis que (tout court) et cuisine-chambres-séjour : par rapport à 41 %, toutes commu-
5 % des ménages sont mixtes, le père 5 % [--], 21 % [-], 31 % [+], 41 % [++]. nautés confondues). À l’opposé, les
et la mère étant d’origine différente. nouveaux immigrants présentent le

ÉCHELLE SOCIO-ÉCONOMIQUE À POINTE-SAINT-CHARLES, 1921 (par échantillonnage)

Protestants Catholiques Francophones Nouveaux


irlandais immigrants

Nombre de cas 278 116 31 (+ 31 = 62)* 86 28

Les 25% + serrés 25% 14% 26% 24% 68%

Niveau moyen-bas 25% 17% 29% 31% 21%

Niveau moyen-haut 25% 33% 26% 26% 7%

Les 25% + à l’aise 25% 36% 19% 19% 4%

* 31 ménages irlandais dans l’échantillon de base, plus 31 ménages ajoutés à des fins d’analyse du sous-groupe.

PAGE 26 - HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1


profil suivant en 1921 : 29 % [--], 46 % de réel confort relatif, toujours pour Le suivi de ménages individuels,
[-], 21 % [+], 4 % [++]. Un profil qui l’époque, parmi les ménages ouvriers dont les Turnbull, les Mullins et les
ressemble étrangement à celui des les plus à l’aise du quartier. Galarneau de deuxième et troisième
francophones autour des Galarneau génération, nous permet d’affirmer
en 1891. Les Irlandais étaient pour la La comparaison des quatre grands qu’il serait totalement abusif et
plupart arrivés à la Pointe quelques groupes culturels évoqués précé- scientifiquement incorrect de
décennies plus tôt que les franco- demment ajoute par ailleurs une considérer les ménages ouvriers de
phones et n’étaient donc déjà plus des dimension supplémentaire à cette la Pointe comme étant généralement
« nouveaux immigrants » en 1891. échelle comparative. pauvres en 1921 et vivant dans des
logements insalubres et surpeuplés.
Disparités et communautés Les francophones et les catholiques Il serait tout aussi incorrect d’af-
culturelles en 1921 irlandais se répartissent de façon plus firmer que les protestants étaient
En combinant les données fournies ou moins uniforme dans les quatre à l’aise dans leur ensemble tandis
par le recensement de 1921 sur les niveaux, à l’exception d’une légère que les « Canadiens français » et les
conditions de logement (incluant les sous-représentation parmi les plus « Irlandais » auraient été générale-
loyers) ainsi que sur les revenus et à l’aise au profit des protestants. Un ment pauvres. Les difficultés liées à
le chômage, nous avons établi une peu plus du tiers de ces derniers se l’immigration paraissent beaucoup
échelle comparative comprenant retrouvent à ce niveau. Il faut néan- plus significatives.
quatre sous-groupes de taille égale : moins souligner que les protestants
les 25 % les plus serrés, les 25 % entre sont représentés aux quatre niveaux, À voir de la misère partout dans le
les plus serrés et une médiane cen- 14 % d’entre eux se retrouvant parmi monde ouvrier de la grande époque
trale, les 25 % entre cette médiane le quart des ménages du quartier industrielle montréalaise, on finit par
et les plus à l’aise, les 25 % les plus subissant les conditions les plus dif- banaliser la misère très réelle qu’on
à l’aise. Il serait difficile de situer un ficiles. Il ressort par ailleurs que les pouvait y trouver.
seuil de pauvreté en fonction des nouveaux immigrants, provenant
standards de l’époque, très différents alors majoritairement d’Europe de À généraliser à outrance les clivages
des nôtres. Une chose est certaine, l’Est (Hongrois, Polonais, Russes, sociocommunautaires, on alimente
nous avons vu des ménages très pau- etc.), sont largement surreprésentés les préjugés. Ce n’est pas qu’une
vres, voire miséreux, parmi les plus parmi les ménages plus serrés et, question de nuances.
serrés, et des ménages en situation plus généralement, sous la médiane.

Métropole
Découvrir la

par ses quartiers


Forum d’histoire et de patrimoine de Montréal
26, 27 et 28 octobre 2017
forummontreal2017.uqam.ca

LHPM
Laboratoire d’histoire et
de patrimoine de Montréal

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 27


Expo 67 : ouverture et modernité
par Michel Pratt

Michel Pratt est un historien spécialisé sur l’histoire de la Rive-Sud (Montréal). Il a enseigné l’histoire au niveau universitaire
et collégial. Il a écrit une vingtaine d’ouvrages dont certains ont été primés. Il est le président fondateur (2002) des Éditions
Histoire Québec et le secrétaire général de la Fédération Histoire Québec depuis 1999. Il est médaillé de l’Assemblée nationale
du Québec et a remporté le prix Dollard-Morin (2001) et le prix d’excellence Honorius-Provost (2004).

Jusqu’aux années 1950, le Québec très tendu de la guerre froide, l’URSS Le logo
vivait en vase clos. La censure se retira, laissant la porte grande Le logo fut conçu par le Montréalais
régnait dans les bibliothèques, le ouverte au Canada. L’Exposition Julien Hébert, à la suite d’un concours.
clergé catholique avait la mainmise aurait lieu à Montréal. Le dessin part avec le pictogramme
sur l’éducation et une bonne par- déjà existant depuis l’Antiquité et
tie des affaires sociales. À la fin des Le site qui représente l’homme avec les bras
années 1950, on sentait qu’un mouve- Après avoir envisagé différents sites élevés. Il en joint deux qui symbo-
ment de renouveau prenait place. comme les quartiers de Pointe-Saint- lisent alors la thèse de la solidarité
Charles et de Maisonneuve, c’est et de l’amitié, puis il en dispose huit
L’Exposition universelle de 1967 sur l’île Sainte-Hélène qu’on arrêta dans un axe circulaire suggérant la
s’inscrit parfaitement dans le contexte le choix. Il fallut cependant la relier forme de la terre. Son logo remporta
de la Révolution tranquille. à l’île Ronde. On décida également le concours et devint celui qui figura
de construire de toutes pièces l’île sur presque tous les objets reliés à
La candidature Notre-Dame sur la minuscule base l’événement : cartes postales, com-
C’est en 1958, année de l’Exposition de l’île Moffat également connue muniqués, etc.
universelle de Bruxelles, que le séna- sous les noms d’île Molson et d’île à
teur Mark Drouin déposa la candi- la Pierre. La chanson
dature du Canada pour l’année 1967; La chanson Un jour, un jour, fut com-
cette activité devait s’inscrire dans le Les transports posée par Stéphane Venne à la suite
cadre des festivités du centenaire de la Les autorités politiques accélérèrent d’un concours et elle fut interprétée
création de la fédération canadienne. les projets de construction de par Donald Lautrec, Michèle Richard
l’autoroute 20, de l’autoroute 132 et les Cailloux. En anglais, la chanson
Deux ans plus tard, le vote résulta (aujourd’hui l’autoroute René- s’intitule Hey Friend, Say Friend, come
dans l’égalité entre l’Union sovié- Lévesque), du boulevard Décarie on over. Soulignons que le maire de
tique et le Canada, soit 15-15. Lors et l’échangeur Turcot, du tunnel Montréal, Jean Drapeau, n’apprécia
d’un second vote, la Grèce changea Hippolyte-LaFontaine, et on ajouta la pas outre mesure la chanson, car elle
son vote, ce qui permit à l’Union construction du pont de la Concorde. ne faisait pas mention de Montréal.
soviétique de remporter la mise. Les stations de métro de l’île
Sainte-Hélène et de Longueuil virent
Cependant, en 1962, dans le contexte Les passeports
le jour principalement pour répondre
Les organisateurs ont eu l’idée
aux besoins de l’accessibilité au site
géniale de considérer les pavillons
de l’Expo.
comme des ambassades et de déli-
vrer des passeports dans lesquels on
Le nom estampillait le sigle approprié lors de
L’Exposition porta le nom d’Expo 67 l’entrée dans un pavillon.
malgré la résistance de certains anglo-
phones qui faisaient valoir qu’en Il y avait un passeport de couleur
anglais on parlait d’Exhibition. rouge, à 35 $, qui couvrait l’ensemble
de la saison et un bleu à 12 $ (adultes)
Le thème retenu fut celui de Terre et 6 $ (enfants) pour une durée de
des Hommes, inspiré de l’œuvre sept jours consécutifs. Il y avait aussi
d’Antoine de Saint-Exupéry et, en un passeport d’une journée, à 2,50 $,
anglais, Man and His World. et ceux de couleur blanche pour les
enfants, à 1,25 $.

PAGE 28 - HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1


Les hôtesses et guides Le Vaporetto faisait la navette sur Claude Gauthier, les Cailloux, Renée
L’organisation choisit 235 hôtesses les canaux de l’île Notre-Dame ; Claude, Michel Conte, Donald
et 25 guides parmi 1 445 candida- il en coûtait 50 cents par adulte. Lautrec et Gilles Vigneault. Des
tures. Ils avaient comme mission de L’Hovercraft était un bateau de type artistes de renommée internationale
bien informer les visiteurs. À cela aéroglisseur faisant la navette entre la comme Marlene Dietrich, Maurice
s’ajoutèrent 1 500 hôtesses et guides Cité du Havre et la Ronde. Certains Chevalier, Mireille Mathieu, Luciano
pour les pavillons. Le styliste Michel transports plus marginaux comme Pavarotti, Harry Belafonte, Dave
Robichaud avait conçu les costumes. le PediCab ou les gondoles motori- Brubeck Quintet, Muddy Waters et
sées offraient des promenades plus Oscar Peterson firent également une
L’ouverture officielle que personnalisées. prestation. La populaire émission
Le lancement officiel eut lieu le américaine The­ Ed­ Sullivan­ Show
27 avril en présence de tous les pre- Spectacles enregistra deux émissions sur place et
miers ministres, les commissaires Une programmation très relevée présenta Petula Clark et The Supremes.
des pavillons, les hôtesses… L’ou- offrait des spectacles au Jardin des
verture au public se fit le lendemain. Étoiles, sur la Ronde. Muriel Millard La Corporation de l’Expo 67 loua
Le dimanche 30 avril, 570 000 entrées y performa du 1er mai au 24 juin. les salles de la Place des Arts pour y
furent comptabilisées portant déjà à Lors de la semaine de la chanson, du tenir le Festival mondial des arts et y
un million le nombre de spectateurs. 14 au 19 mai, l’Expo-théâtre présenta présenter des opéras, des orchestres
Pauline Julien, Louise Forestier, symphoniques, du ballet.
Habitat 67
Habitat 67 constitua le legs perma-
nent de cette Exposition universelle.
Des cubes de béton intelligemment
disposés procuraient une nouvelle
dimension par rapport aux loge-
ments conventionnels. Chaque loge-
ment avait son jardin-terrasse. Au
10e étage, il y avait une passerelle
vitrée qui offrait le fleuve Saint-
Laurent en spectacle. Cette œuvre
de l’architecte montréalais Moshe
Safdie, d’origine israélienne, com-
portait 12 étages. On avait meublé
38 logements (sur les 158) que les
gens pouvaient visiter.

Les transports internes


L’Expo Express constituait le moyen
le plus efficace de se déplacer. Il
avait une capacité de déplacement
de 30 000 personnes à l’heure et rou-
lait sur un trajet de 5,7 kilomètres.
Il y avait huit trains de six wagons
chacun et il y avait un départ aux
cinq minutes.

Le Minirail était un moyen de trans-


port presque fantaisiste qui passait
même à travers les pavillons des
États-Unis et de l’Ontario. Il roulait la
plupart du temps à six mètres du sol,
mais parfois il rasait les cours d’eau.
Il circulait à une vitesse variant de
8 à 12 km à l’heure. La Balade trans-
portait les gens de la station de métro
jusqu’à la Ronde et un peu partout sur
le site, y compris à la Cité du Havre. Source : BAnQ­Québec­(E6,­S7,­SS1,­P6711100)

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 29


Les sculptures pouvaient se voir en se parlant, une Les visiteurs de marque
Les sculptures étaient nombreuses et invention commercialisée 40 ans plus Parmi les visiteurs prestigieux, souli-
permirent à certains artistes de lancer tard par Apple avec son iPhone. gnons le président américain Lyndon
leur carrière. On put y admirer des B. Johnson, le président de la France,
œuvres d’Alexander Calder, Man; Le pavillon de l’Union soviétique mit Charles de Gaulle, l’empereur de
de Giacomo Manzu, Les amants; beaucoup l’accent sur sa domination l’Éthiopie, Haïlé Sélassié Ier , la reine
d’Armand Vaillancourt, Présence; de spatiale. Le pavillon de la France Élisabeth II, la princesse de Monaco,
Louis Archambault, Grand couple; de en mit plein la vue et son voisin du Grace Kelly, et Jackie Kennedy.
Charles Daudelin, Polypède. Québec est aujourd’hui devenu le
Casino de Montréal.
Les pavillons L’héritage
L’essentiel des visites de l’Expo se Les pavillons relevant de pays pos- Plus de 50 millions d’entrées furent
faisait dans les pavillons. Ceux-ci sédaient, pour la plupart, un restau- enregistrées, dépassant de très loin
représentaient non seulement des rant et quelques fois une minisalle toute projection et cela malgré une
pays, mais aussi des provinces cana- de cinéma. Les visiteurs purent donc grève, déclenchée le 21 septembre
diennes, des États américains, des déguster des mets authentiques de et qui dura un mois, des employés
compagnies privées, des thématiques. nombreux pays. de la Commission des transports
de Montréal.
Le dôme géodésique conçu par le La Ronde
réputé architecte Richard Buckminster Après une journée de visites souvent L’Expo 67 aura permis aux Québécois
Fuller (1895-1983) constitua l’icône épuisantes, il fallait se divertir. La de s’ouvrir sur le monde, d’entrer
par excellence de l’Expo 67. Ronde était l’endroit de prédilection. dans la modernité et de fraterniser
Les enfants comptaient sur une sec- avec les différentes communautés
Le pavillon du Canada, le Katimavik, tion, le Monde des petits, fort diver- culturelles. Elle aura permis l’accélé-
une pyramide inversée, avec son tissante et qui leur était réservée. Les ration de la mise en place d’infrastruc-
centre d’observation, en impres- ados pouvaient compter sur un mini- tures routières majeures et l’ajout du
sionna plus d’un. zoo et faire des promenades sur un pont de la Concorde, des stations de
dromadaire ou sur un éléphant. métro de l’île Sainte-Hélène et de
Le pavillon circulaire du téléphone Longueuil, la création de l’île Notre-
fut l’un des plus fréquentés. Il y pré- La pitoune, le Gyrotron, l’Aquarium Dame et le réaménagement complet
senta un film en 360 degrés, consti- et le cirque marin avec ses spectacles de l’île Ronde en parc d’attractions.
tuant l’ancêtre des cinémas de type de dauphins et les spectacles nau- Les anciens pavillons des États-Unis,
IMAX. Il permit aussi de prendre tiques sur le Lac des dauphins furent de la France et du Québec demeurent
connaissance d’un téléphone avec très sollicités. et quelques sculptures agrémentent
écran avec lequel les interlocuteurs encore les lieux. Cela fit oublier assez
facilement le déficit d’exploitation de
plus de 200 millions de dollars et les
insuccès de Logexpo chargée de gérer
dans la controverse l’accessibilité à
des logements pour les touristes.

Bibliographie sommaire
Compagnie Canadienne de l’Exposition
Universelle de 1967. Expo­67­:­guide­­offi­ciel.
Montréal, Maclean-Hunter Limitée, 1967,
350 p.
JASMIN, Yves.­La­petite­histoire­­d’Expo­67­:­
l’Expo­67­comme­vous­ne­l’avez­jamais­vue,
Montréal, Éditions Québec/Amérique,
1997, 461 p.
La Patrie 1967
Le Petit journal 1967
Photo 003_P123_1P029 archives Ville de Montréal.

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La mythologie gréco-romaine dans l’œuvre profane
de Guido Nincheri (1920-1930)
par Laurent Busseau

Historien consultant sous le label Historien sans Frontière, Laurent Busseau possède une maîtrise en histoire et un certi-
fi­cat­ en­ journalisme­ (Université­ de­ Montréal).­ Il­ est­ conférencier­ auprès­ des­ Belles­ Soirées­ de­ l’Université­ de­ Montréal­ et­
présente Histoire des Cantons-de-l’Est et Histoire du lac Champlain à l’UTA de l’Université de Sherbrooke. Il a publié
récemment­en­collaboration­avec­la­Société­d’histoire­de­Missisquoi­(Stanbridge­East)­aux­Éditions­Histoire­Québec,­un­livre­
historique sur les invasions irlandaises féniennes entre 1866 et 1870 au Québec. Passionné par la culture amérindienne, il
présente l’histoire iroquoise en conférence sous l’angle diplomatique et anecdotique.

Les commémorations du 375e anni- Nincheri a négocié un mécénat sous concurrence, la déesse Aphrodite
versaire de la création de Montréal forme de donation immobilière des provoque le destin de son fils, le
(1642-2017) s’avèrent l’occasion de frères Dufresne pour créer le Studio dieu grec Éros (Cupidon chez les
rappeler que la métropole était une Nincheri, son futur atelier de travail Romains) en l’envoyant décocher une
cité d’art et d’histoire québécoise proche de leur résidence familiale flèche magique à Psyché pour qu’elle
bien avant la Révolution tranquille. dans Hochelaga-Maisonneuve, entre tombe amoureuse d’une créature
Principalement reconnu pour son art 1920 et 19382, en échange d’un contrat misérable sur terre. Voyant la beauté
religieux au Québec, le maître-verrier de décor intérieur peint pour celle-ci. pure de Psyché, le divin Éros tombe
et artiste peintre Guido Nincheri amoureux et décide de trahir sa mère
(1885-1973) a également produit La légende de Psyché et du en prenant secrètement la jeune fille
un art profane (non religieux), avec dieu Éros : la mutation de l’âme pour la posséder lors de noces noc-
plusieurs murales et vitraux liés à par le désir turnes sans pour autant lui révéler sa
la mythologie gréco-romaine. C’est Aujourd’hui, le château Dufresne véritable identité.
durant la décennie 1920, période possède dans ses murs et ses pla-
de la prohibition américaine, que fonds une composition de l’artiste De son côté, Psyché est devenue
Nincheri va concevoir plusieurs florentin, exposant la légende des amoureuse de l’inconnu qui la
peintures murales à Montréal, ayant noces secrètes de Psyché3 (« L’âme visite chaque nuit dans l’obscurité.
parfois des caractéristiques érotiques, humaine » chez les Grecs antiques) Curieuse et intriguée, elle décide
montrant une nudité féminine dans et du dieu grec Éros (« L’amour » lié d’éclairer le visage de son amant à
des thèmes très particuliers de la au désir sexuel). La narration de cette l’aide d’une lampe à huile5 provo-
mythologie antique. légende symbolise l’union de l’âme quant son réveil par accident, en lui
humaine avec les désirs humains. brûlant l’épaule avec l’huile. Éros, se
Artiste verrier et peintre décora- sentant trahi dans son amour et dans
teur à Montréal depuis 1914, Guido Le sujet est tiré du récit du philosophe sa chair, maudit Psyché et retourne
Nincheri a obtenu plusieurs com- platonicien romain Apulée4 (IIe siècle vers l’Olympe, où sa mère Aphrodite
mandes de décors muraux pour des après J.-C.) dans L’Âne d’or évoquant découvre à la fois la trahison du fils et
lieux privés et publics montréalais, l’histoire de Psyché qui, séduite par le crime de Psyché. Aphrodite-Vénus
comme le cinéma du Belmont Palace le dieu Éros, doit passer par bien des décide de faire de la jeune fille son
ou le restaurant Venus Sweets de la épreuves imposées par Aphrodite esclave, mais l’amour profond d’Éros
rue Sainte-Catherine Ouest, malheu- (Vénus chez les Romains), jalouse pour Psyché touche les autres dieux
reusement disparu aujourd’hui1. de sa beauté, pour rejoindre son bien- de l’Olympe, qui décident de trans-
L’une des rares murales profanes aimé. Hymne à la beauté féminine former (métamorphoser) Psyché
ayant survécu à la destruction des de l’âme, cette fable connue depuis en véritable divinité pour qu’elle
projets immobiliers de Montréal l’Antiquité n’a cessé d’inspirer de nom- puisse épouser son amour Éros. De
est la commande de décoration breux artistes musiciens, sculpteurs ou cette union mythologique est née
intérieure faite par les frères Oscar et peintres comme Guido Nincheri. leur fille Hédona, soit « volupté », si
Marius Dufresne, hommes d’affaires chère aux hédonistes. (Belfiore, Grand
de l’élite canadienne française de la En résumé, la princesse humaine Dictionnaire de la mythologie grecque et
Ville de Montréal. Psyché avait une grande beauté si romaine, p. 541-542)
parfaite que les hommes l’admiraient
sans vouloir l’épouser. Jalouse de cette

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 31


la propriété Dufresne, ou en d’autres Sur commande Raphaël a conçu
lieux disparus, comme les Bacchantes d’immortaliser le triomphe de
peintes dans le restaurant Venus l’amour sur toutes les différences
Sweets, sont des figures féminines sociales : « Un cycle de fresques sur le
drapées à l’antique symbolisant la thème de la fable de l’Amour et Psyché,
beauté de l’âme humaine à travers la d’après L’Âne d’or d’Apulée, fut peint
nudité des corps. dans la Loggia d’entrée. Le thème choisi
illustre la manière dont Chigi concevait
La principale scénographie évoquant son rôle d’époux (…) attendant le prince
Psyché se trouve peinte sur le pla- qui va l’élever jusqu’à lui, Mercure,
fond du petit salon de la partie ouest dieu des marchands conduit Psyché sur
du Château Dufresne. Elle symbolise l’Olympe­ où­ elle­ est­ admise­ à­ la­ table­
la montée de la jeune fille mortelle des Immortels. » (Raphael THOENES,
vers l’Olympe des dieux grecs, avec 1483-1520, 2005, p.71).
le dieu Mercure sur son char tiré par
le cheval ailé Pégase. Psyché en jeune Coïncidence ? Raphaël a régulière-
femme nue sur un lit de roses évoque ment été une source d’inspiration
le lieu magique où Éros venait pour pour Guido Nincheri. Comme Chigi
leurs noces secrètes, sous le regard au XVIe siècle, Oscar Dufresne est un
des Trois Grâces qui représentent homme d’affaires sous la protection
un hymne à la vie et au plaisir ter- de Mercure, dieu du commerce. Il
restre dans la mythologie grecque. s’est marié à Alexandrine Pelletier
Enfin, l’ensemble des personnages se (? - 1935) en 1899, avec qui il adopte
retrouvent dans un ciel qui s’éclaircit la jeune Laurette Normandin,
sous la gouverne de la divine Diane née en 1908. Issus de la bourgeoi-
(Artémis chez les Grecs), reconnais- sie canadienne-française, Oscar et
Psyché éclairant la chambre nuptiale sable à son arc, déesse du jour qui Marius Dufresne appartenaient à une
de son amant Éros peint par Guido
chasse Aurore6, symbolisée par une classe sociale dominante du XXe siècle
Nincheri sur le plafond de la chambre
sud-ouest des appartements d’Oscar femme tombant du ciel à la renverse. naissant, un « Olympe » idéal de réus-
Dufresne. (Photo : MarieAlways-octobre Cette chute d’Aurore pourrait être site économique du temps. Le thème
2014 : Sous la licence Créative Commons reliée au tableau qui se trouvait dans de Psyché est situé dans le salon privé
Attribution-Share Alike 4.0 Interna- le grand salon de Marius Dufresne d’Alexandrine, est-ce un hasard?
tional-Auteur : MarieAlways- maison – une copie de la fresque du palais
Oscar-Dufresne (Château Dufresne) Pallavicini Rospigliosi, à Rome, peinte Plus que le dévoilement du corps
Montréal, Québec. par Guido Reni dit Le Guide (1575- féminin au regard du spectateur ou
https://fr.wikipedia.org/wiki/ 1642), Le Char de l’Aurore – tableau de la spectatrice privé(e), l’artiste flo-
Château_Dufresne?uselang=fr#/media/
situé au-dessus de la cheminée. rentin provoque une émotion dans
File:Chambre_sud-ouest_
(Maison_Oscar-Dufresne,_Château_ une mise en scène précise du cycle
Dufresne)_05.jpg) Si aucune documentation ou devis ne mythologique d’Éros (Amour) et de
semble indiquer les détails techniques Psyché (Âme). Comme Raphaël en
de la mise en œuvre de cette décora- son temps, Nincheri utilise le réalisme
tion mythologique, il est cependant de la nudité des déesses et mythes
certain que le choix iconographique féminins pour exprimer la perfection
et thématique du synopsis pictural et la fragilité de notre Humanité.
Entre érotisme mythologique et revient à l’artiste lui-même. Nincheri
nudité artistique : l’art profane a sans aucun doute proposé ce sujet en
chez Nincheri lien avec la culture et la personnalité
Cette « mythologie païenne » de de son mécène. On note dans ce choix
l’amour profane liée au désir terrestre, particulier du mythe de Psyché, une
condamnée par l’Église catholique source d’inspiration chez le peintre
depuis le Moyen-Âge, se retrouve de la Renaissance Raffaelo Sanzio dit
dans l’œuvre picturale composée à Raphaël (1483-1520), qui a peint un
partir de 1922 dans les appartements important programme mural dans
privés d’Oscar Dufresne (1883-1945). la villa Farnésina, à Rome, notam-
D’une perfection divine et d’une ment la Loggia de Psyché en 1519 pour
sensualité bien terrestre, les jeunes le mécène, marchand et banquier
femmes peintes dans les murales de Agostino Chigi (1466-1520).

PAGE 32 - HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1


« Psyché menée vers l’Olympe », thème de la murale peint par Guido Nincheri sur le plafond du petit salon dans la résidence
d’Oscar Dufresne Château Dufresne. (Photo : Thomas 1313 sous la licence
Créative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International)

Bibliographie et ouvrages de référence


BELFIORE, Jean-Claude. Grand Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Larousse, Paris, 2010.
LABONNE, Paul. Guido­Nincheri,­un­artiste­fl­orentin­en­Amérique, Atelier d’Histoire Hochelaga-Maisonneuve & Château Dufresne,
Montréal, 2001.
Sous la direction de NITTI, Patricia. Raphaël : Grâce et Beauté, catalogue exposition du Sénat (France), Paris, Imprimerie nationale, 2001.
THOENES, Christof. Raphaël (1483-1520), Taschen, Koln, 2005.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Château_Dufresne – https://fr.wikipedia.org/wiki/Oscar_Dufresne

Notes
1 Le restaurant Venus Sweets était situé au 440-442 de la rue Saint-Catherine Ouest. Il est disparu en 1940, mais il en subsiste
quelques illustrations colorisées sous forme de cartes postales publicitaires datant de 1922 à 1925, qui permettent de retrouver
quelques œuvres de Guido Nincheri, thème d’une prochaine étude historique sur le sujet.
2 Cette résidence construite entre 1915 et 1918 est aujourd’hui le musée du Château Dufresne-Nincheri qui a intégré en 2012 l’an-
cien atelier de vitrail de Guido Nincheri, le « Studio Nincheri » du 1832 boulevard Pie-IX à Montréal. (Paul LABONNE, Guido
Nincheri,­un­artiste­fl­orentin, 2001). Pour connaître les détails historiques du Château Dufresne : https://fr.wikipedia.org/wiki/
Château_Dufresne
3 En grec antique Psukhê signifie à la fois « l’âme » et « le papillon », symbole de l’immortalité de l’âme humaine qui doit surmonter
des épreuves pour atteindre le bonheur.
4 De son vrai nom latin Lucius Apuleius, Apulée est né vers 123 après J.-C. à Madaure, en Afrique du Nord, près de l’ancienne
cité de Carthage, où il décède vers 170 après J.-C. Le mythe de la princesse Psyché (l’âme humaine) et du dieu Éros (l’amour au
sens de désir sexuel) a été connu depuis l’Antiquité par le chef-d’œuvre littéraire d’Apulée, le roman L’Âne d’or (en latin Asinus
aureus), plus connu sous le titre original « Onze livres de métamorphoses » (Metamorphoseon libri XI) ou les « Métamorphoses ».
5 Dans une chambre sud-ouest située dans les appartements d’Oscar Dufresne, on trouve une peinture sur toile marouflée peinte
par Nincheri sur le plafond, représentant Psyché tenant la lampe à huile antique, simplement vêtue d’une robe voilant légère-
ment une transparence du corps dans la lumière qui rayonne toute la scène.
6 Aurore est la déesse romaine équivalente à la déesse grecque Éos qui est dépeinte entourée d’un voile flottant en arrière, symbole
de la nuit fuyante, car Aurore ouvre les portes du jour, après avoir attelé les chevaux au char du soleil Hélios. Éos était condam-
née par Aphrodite (Vénus) à connaître de multiples amours sans rencontrer l’âme sœur, symbolisant les amours infidèles.

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 33


The LaFontaine House, a presentation about a thirty year
campaign (to date) to acquire the LaFontaine House in Montreal
so that could become a National Monument in Canada
(Abstract - Résumé)
by Michael Fish

Michael Fish graduated from McGill’s school of architecture in 1956. He ran a general practice for thirty-seven years under his
own name. He became involved with social and historical preservation issues in the late sixties and remains committed to their
causes. He retired from the profession in 1993 to take up a career as a volunteer builder and developer of important buildings.
He­helped­found­and­administer­several­preservation­institutions­and­has­served­on­several­offi­cial­development­committees.­­
He is presently helping to stop a Skytrain public transit project in Montreal. He has been awarded enough distinctions to last
a lifetime.

Continuous efforts to have the of this effort in the city, province and building is situated on a large city
Federal Government acquire the across the country over many years, block that had been collected by spe-
LaFontaine House in Montreal Canada has always refused to do its culators for a large multi-skyscraper
have lasted since 1985. Despite that evident duty. This will be examined residential and commercial develop-
it is the most important monument by this conferencee. ment. Efforts to save some of the
to Canada’s nineteenth century older sound buildings on the site that
political, social and constitutional Discovery and early efforts had undeniable economic, social and
history and the right place to com- The 1986 announcement that a grey heritage values were finally defeated
memorate our country’s unique stone building on a quiet street in after fierce resistance by the specula-
spirit as a sharing caring nation of downtown Montreal had been, tor owners. This happened despite
many peoples, religions, and ide- for about fifteen years, during the agreements between the city and the
als. It is also the right place to com- mid-nineteenth century, the home of owners, after socio-environmental
memorate the preservation of the Louis Hippolyte LaFontaine, the first hearings, that the older buildings
French language in North America, Prime Minister of United Canada, would be preserved and incorpora-
and second languages everywhere. was a big surprise to history minded ted into the new plans for the block,
Despite unanimous massive support people across Canada in 1986. The and that particular attention would
be paid to the LaFontaine house’s
important heritage status.

However, these agreements were


broken by the owners of the site,
who slowly, illegally demolished all
but the LaFontaine House. It’s inte-
rior, however, was unofficially allo-
wed to be demolished as well. The
obvious intention of this was that it
would fall down by itself. For the next
twenty-five years from 1990, various
efforts by conservationists and acti-
vists also failed to move any govern-
ment or administration to acquire the
building. In 2014, the whole block
was sold to Asiatic developers and
a comprehensive plan was presen-
ted to have the federal government
acquire the house as a condo on the
site, rather than as a house on a sub-
divided lot, separate from the very
The LaFontaine House in 1987. Photo: Michael Fish. large, very expensive whole block.

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The value of such an acquisition without damaging the profits that But in May of 2016, the owners of
would be minimal, because its floor would be made with the surroun- the development of the block put
areas as a fraction of the permitted ding skyscrapers. At one time, every the building up for sale to anyone as
total floor areas to be developed in city news paper printed editorials in a condo on the block. This was the
the huge buildings on the block, support of the house’s important exact situation that conservationists
would be very small. The value of a future, urging federal authorities had urged the authorities to purchase
subdivided lot with the building on it to act at least for the case of the over twenty-five years. The Feds
would be ten times this figure. Those LaFontaine House. Stories from now had no excuse. The constitution
of us presenting the plan felt that such media across the country all suppor- could no longer be used as an excuse
a proposition could not be refused by ted its future as an important monu- to do nothing. Long story short, two
any authorities which had an honest ment for our country. federal ministers, after a few months,
program to protect the nation’s his- simply, blandly, refused to act. The
toric or environmental properties. Refusals house will be renovated from its
The basis of the refusals by the suc- ruined state and sold to someone
LaFontaine and Baldwin cession of Federal (and Municipal) on the open market. Arguably the
Many authors over the last 150 years, authorities over the years had always physical embodiment of the dramatic
have written biographies that prove been based on a constitutional claim origin of our country will become just
the importance of LaFontaine to that only the provincial government another upscale address on a short,
the origins of the Canadian cons- could purchase private property from minor street in a North American
titution’s political, financial and an unwilling owner. The Province metropolis. For one reputable con-
social development. Apart from and the City, when approached, servationist who had made efforts to
being important for world history, always retorted that any monu- have the house saved, it was a ‘partial
much ignored in our day, the events ment on the site, had overwhelming victory’. “At least the house would be
which made up the LaFontaine Federal importance. there……” Well…..
story were shared with the perso-
nality of Robert Baldwin of Upper Moreover, LaFontaine had many
Canada, an equivalent hero of the monuments in Quebec and Montreal.
turbulent times from 1835 to 1854. They had done enough. The ball was
He also had a close association with in the federal court. They would act,
the Montreal property. or the property would have only
minor local heritage protection.
He stayed often at the home of his
French speaking counterpart when
he came to Montreal. The close per-
sonal bond which they forged was
the key to the enduring of Union of
Upper and Lower Canada and was
essential to understanding the fact
that both the Union and Responsi-
ble government were not reversed
in the few years that followed, which
was the case with every one of the
other efforts around the world which
overthrew autocratic regimes. If only
that the Canadian is a Hell of a Good
Yarn, the house deserves to become a
national museum monument.

Media attitudes over the period merit


mention. With few exceptions, print
and electronic media supported the
side of the activists. At the beginning,
the war was waged on the social
basis that low income people lived in
all the buildings and they proved that
their buildings could be saved with
minimal investment as social housing The House in 2015.

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Baldwin-LaFontaine Monument Parliament Hill.

For those of us familiar with what It will celebrate their personal friend- be better armed to work better in
all countries do to develop a sense ship and kindnesses, their political the future, based on what has to be
of the history of their countries, the visions. We will examine the fight seen as this signal failure in Canadian
refusal of Canada in this case, was to preserve French as an official social and historical preservation.
simply devastating. Mr. Fish will language of the country after the
expand on the failure of this most Durham Report, the story of the Lastly, the speaker will also address
recent effort, the heavy support that Rebellion Losses Bill, the burning of some shortcomings : in the efforts of
it had, and criticize his own part in Parliament, and the subsequent riots both himself and the local conserva-
this failure. He will also speak to including the critical standoff of the tion community over the last forty
the importance of LaFontaine for Chateau de Ramezay. The character years. There were two main efforts
the fact that French has survived in of the Union which LaFontaine and made. One was social in character,
Canada as an official language and Baldwin accepted and managed will to save good buildings that housed
the suggestion that a museum of be outlined. Its development and suc- people of limited means who had
the French Language had been an cess will be shown in simple terms rights in Canadian law to go on
integral part of the several recent that reverberate today, unfortunately living in their homes. The other to
efforts to have the house in Federal in too few of the world’s nations. save what was left on the block which
Hands as an important Federal his- had a high Heritage value. Both were
toric monument. This conference will refer to some insufficiently promoted in the cir-
other actions of recent Canadian cumstances. Not for a lifetime will
This conference will illustrate the governments that speak to endemic the LaFontain-Baldwin house pro-
relationship between LaFontaine and problems confronting the heritage perly honoured.
Baldwin and the events which they movement in our country in the hope
affected both separately and together. that professionals and activists will

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HISTOIRE DE LIRE
par Anne-Marie Charuest

FLEURDELISÉ PLUS DE 100 ANS AU MANOIR


AIGLON 1628-1665 MAUVIDE-GENEST À SAINT-
J.A. Pachès JEAN-DE-L’ÎLE-D’ORLÉANS
Éditions Les Ailes du temps Guy Turcotte
2016 Éditions GID
2016
Voici le premier volet d’une œuvre
littéraire de fiction à caractère histo- Lorsqu’on roule le long des
rique, qui en contiendra dix! L’au- « 42 milles de choses tranquilles »
teur Jacky Albert Pachès s’est donné autour de l’île d’Orléans, on ne peut
le mandat d’illustrer une parcelle s’empêcher de ralentir devant le
de l’histoire internationale – dont le majestueux manoir Mauvide-Genest,
point de départ est sa région situé dans la paroisse Saint-Jean.
d’origine, les Cévennes, en France – Pour les adeptes de patrimoine bâti
à l’époque du roi Louis XIII. Le (et j’en suis), on sait que l’édifice
premier tome nous introduit au a été restauré par le juge Joseph-
personnage prénommé Aiglon, Camille Pouliot, à compter de 1927,
dont le père fera une carrière mili- y ajoutant même une chapelle per-
taire remarquable, ayant même le sonnelle. L’ouvrage de Guy Turcotte
privilège de côtoyer le cardinal de vient combler une lacune dans un
Richelieu durant une campagne. aspect que les précédentes publica-
Après quelques mésaventures, tions avaient un peu négligé, soit la
Aiglon et sa petite famille feront le généalogie de la famille Genest; l’au-
« grand voyage » qui les mènera en teur en est d’ailleurs un descendant
Nouvelle-France, au moment même puisque la « troisième » Marie-Anne
où le régiment de Carignan-Salières Genest dit LaBarre épouse François
s’y installe. Le style d’écriture de Turcote en 1831. Abondamment
l’auteur est relativement accessible illustré de photographies anciennes
et on comprend rapidement que des différentes générations de
la narration se déroule à travers le Turcotte, on en apprend aussi sur
regard du personnage principal, les autres habitants du manoir, dont
malgré que ses propos contempo- Hubert LaRue, qui deviendra un
rains soient parfois anachroniques. médecin et écrivain réputé au XIXe siè-
Il faut s’adresser directement à l’au- cle. Une partie du livre est également
teur, qui fréquente assidûment les consacrée aux notaires Joseph Sylvio
salons du livre, pour se procurer ce Narcisse et Jean-Joseph Turcotte,
premier volet d’une longue épopée respectivement grand-père et père de
qui promet. l’auteur. Malgré quelques coquilles
et redondances, il s’agit d’une œuvre
généalogique pertinente, dont l’au-
par Anne-Marie Charuest
teur a bien raison d’être fier.

par Anne-Marie Charuest

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34,95 $ • 168 pages • 978-2-89634-333-1
MCMASTERVILLE
100 ANS D’HISTOIRE!
Pierre Lambert
Éditions Histoire Québec
Collection Société d’histoire de
Belœil – Mont-Saint-Hilaire
2017

C’est lors d’une cérémonie haute en En annexe, on retrouve un intéres-


couleur et en costumes d’époque sant recensement biographique
que la municipalité de McMaster- des premiers signataires de la
ville a souligné son 100e anniversaire pétition réclamant la création de
en mars 2017, profitant de l’occasion McMasterville en 1917, ainsi qu’une
pour lancer le plus récent ouvrage chronologie détaillée qui recule

19,95 $ • 124 pages • 978-2-89634-325-6


illustré de la Société d’histoire de quand même jusqu’en 1760. Riche-
Belœil – Mont-Saint-Hilaire. Fruit ment illustré et grâce à une info-
d’un travail de collaboration, le livre graphie remarquable, ce livre est un
se présente non pas sous la forme témoin exceptionnel de l’évolution
d’une chronologie, mais plutôt selon d’une municipalité qui a su belle-
des thèmes liés à l’histoire du déve- ment grandir.
loppement de ce quartier ferroviaire
(Beloeil-Station), devenu village de par Anne-Marie Charuest
compagnie, puis municipalité rési-
dentielle à caractère familial. D’ail-
leurs, même si l’industrie chimique,
qui porta les noms de Poudrière,
C.I.L. puis I.C.I, est complètement

34,95 $ • 208 pages • 978-2-89634-332-4


disparue du paysage mcmastervil-
lois depuis sa fermeture en 1999, la
toponymie et un parc commémoratif
en soulignent l’influence.

19,95 $ • 210 pages • 978-2-89634-326-3

Tél. : 418 877-3110


editions@leseditionsgid.com
leseditionsgid.com

HISTOIRE QUÉBEC VOLUME 23 NUMÉRO 1 - PAGE 39


L’HISTOIRE EN IMAGES
par Anne-Marie Charuest, membre du C.A. de la Fédération Histoire Québec

L’édifice Masonic Memorial Temple de Montréal


Nous savons que la franc-maçonnerie se trouve présente en Nouvelle-France, mais c’est lors de l’installation des
Britanniques à la fin du XVIIIe siècle qu’on voit apparaître le premier édifice officiel d’une loge maçonnique à Québec, en
1787, à l’Hôtel du Chien d’or. À Montréal, plusieurs loges sont formées dès 1760, mais aucune ne possède un lieu dédié.
Il faut attendre l’initiative de John Molson, qui construit le Masonic Hall Hotel, sur la rue Saint-Paul en 1824. L’édifice
qui nous intéresse est situé au coin des rues Sherbrooke Ouest et Saint-Marc. Il fut construit en 1928-1929 pour recevoir
la Grande Loge du Québec, et pour honorer la mémoire des membres décédés à la Grande Guerre de 1914-1918. Conçu
par l’architecte écossais John S. Archibald (1872-1934), l’édifice est si remarquable qu’Archibald gagnera le premier prix
de l’Institut d’architecture du Canada. Le site est prestigieux, mais certains y voient une situation particulière, puisqu’il
est situé directement en face du Grand Séminaire des Sulpiciens, qui n’ont pas nécessairement d’atomes crochus avec la
franc-maçonnerie. En 1951, pour honorer la mémoire de ceux qui périrent à la Seconde Guerre mondiale, on réaménage
le hall commémoratif. L’édifice à la structure imposante n’a subi aucune autre modification majeure et constitue un
exemple authentique de solidité et de sobriété.

Source : L’édifi­ce­Masonic­Memorial­Temple.­Histoire­et­architecture­maçonniques, par Gilles Lauzon, MCCQ, 2010.

Vue de la façade et du mur ouest du Masonic Memorial Temple en 2012.


(Photographe : Marie-Ève Bonenfant pour le ministère de la Culture et des Communications du Québec,
tiré du Registre du patrimoine culturel du Québec, consulté le 21 avril 2017)

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Marché Maisonneuve – Montréal
Ce monumental édifice, qui sert encore de nos jours de marché public, est un autre exemple architectural de l’œuvre
de Marius Dufresne, qui a supervisé ce projet de construction autant à titre d’architecte que d’ingénieur pour la Ville
de Maisonneuve. Inauguré en 1914, il constitue une des rares constructions dont les quatre côtés sont en pierre grise
de Montréal. Plusieurs éléments architecturaux sont notables, dont le dôme en verre, les quatre tourelles ornementées
d’un balcon et, à l’intérieur, de hauts plafonds de 18 et 15 pieds (5,5 et 4,5 mètres) ainsi qu’un escalier de marbre accom-
pagné d’une rampe en laiton. Le projet initialement présenté en 1899 avait été refusé, mais l’implication de Dufresne
dans le dossier a permis de concrétiser le tout de façon majestueuse. De 1932 à 1967, des abris extérieurs sont présents
à l’avant, mais le marché public ferme ses portes en 1962, victime des nouveaux concepts de supermarchés commer-
ciaux. Heureusement, il est de nouveau fonctionnel depuis 1995. On note également sur l’esplanade devant l’édifice
une superbe fontaine intitulée La fermière, composée de plusieurs éléments sculptés par l’artiste Alfred Laliberté (non
visible sur la photographie). L’œuvre magistrale constitue la première réalisation coulée en bronze de cette ampleur au
Canada. Un lieu incontournable de l’est de la ville, où les bancs publics extérieurs sont invitants.

Source : Héritage Montréal et Guy PINARD, Montréal, son histoire, son architecture, Tome 2, Éditions du Méridien, Montréal, 1988,
pages 350 à 356.

Marché Maisonneuve (4375, rue Ontario Est, face au boulevard Morgan), vers 1936.
(Source : Archives de la Ville de Montréal – VM94,SY,SS1,SSS17,D100)

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L’HISTOIRE SUR INTERNET
Montréal : les sites du 375e anniversaire
par François Gloutnay, journaliste et chroniqueur Web auprès de plusieurs médias,
membre de la Société d’histoire de la Seigneurie de Chambly.

Pour faire connaître un événement, on a longtemps eu boutiques, salles sportives et églises de la ville. Une
recours à la criée sur les perrons d’église. Depuis 1960 et application pour tablette et téléphone intelligent doit
jusqu’en l’an 2000, ce sont des poteaux d’Hydro-Québec forcément avoir été créée afin de proposer des éphémé-
et des palissades de bois installées devant les chantiers rides et rappeler les événements qui ont profondément
de construction qui ont accueilli d’innombrables affi- marqué l’histoire montréalaise.
chettes de spectacles, de manifestations et de célébra-
tions de toutes sortes. Disons-le tout de suite. On a déniché moins de sites Web
que le nombre de chandelles qui seront déposées sur le
Aujourd’hui, c’est sur le Web qu’on affiche ses primeurs. gâteau d’anniversaire de Montréal. Beaucoup moins.
Une adresse, souvent simple à retenir, fait obligatoire-
ment partie des outils promotionnels déployés par les Les passionnés d’histoire apprécieront par contre ces
promoteurs d’un nouveau film. Préoccupation environ- trois adresses. D’abord celle de la Société des célébra-
nementale aidant, on ne feuillette plus la programma- tions du 375e anniversaire de Montréal (www.375mtl.
tion des festivals. On la consulte dorénavant en ligne. com) qui offre une liste - non exhaustive - d’activités
à ne pas manquer. Sa section « Célébrer l’histoire » se
Voici que Montréal célèbre cette année son 375e anniver- nourrit toutefois d’éléments tirés de deux autres sites,
saire. On imagine déjà le grand nombre de sites, vitrines Montréal en Histoires (www.montrealenhistoires.com)
et applications qui ont été planifiés, dessinés et bâtis au et Archives de Montréal (archivesdemontreal.com).
cours des derniers mois. Dans ce dernier site, ouvrez rapidement le « Catalogue
en ligne » puis cliquez sur le bouton « Documents numé-
Une adresse doit bien avoir été réservée afin de rendre riques ». Voilà Montréal en 80 000 photos et 14 000 docu-
hommage à quelque 375 hommes et femmes qui ont ments et rapports. Vous n’aurez pas le temps, d’ici la fin
marqué l’histoire de cette municipalité. Un autre des célébrations du 375e anniversaire, de tous les admi-
site Web doit sans doute nous permettre de pénétrer rer et les feuilleter.
virtuellement à l’intérieur des 375 plus belles demeures,

Feuillet électoral pour Idola Saint-Jean.


Archives de Montréal, Pièce - Dossier D14 - Visite de Constantin, roi de Grèce, le 5 septembre
Campagne électorale fédérale de 1930. 1967. Archives de Montréal, Pièce - VM94-X051-025.

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