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Le péril asiatique

 Bouc émissaire en période de crise

MOURREGOT Marie-France, L’islam à l’île de la Réunion, L’Harmattan, 2010

« Une levée de bouclier s’en est suivie dans les journaux qui titrent en 1898 : « Le péril asiatique » affirmant même
que : « L’Arabe procède à La Réunion comme le Juif en France »105. « L’intérêt de la Réunion est de mettre les
Arabes dehors. […] Ce qu’il faut, c’est leur rendre la vie tellement impossible qu’ils partent d’eux-mêmes »

« Les Gujaratis sont vilipendés par les Créoles comme concurrents. C’est comme commerçants qu’ils sont craints, et,
si ce n’est l’hostilité du clergé local, leur appartenance religieuse n’intéresse et n’inquiète personne. En ce temps-là,
l’islam ne faisait pas peur… Ils ont d’ailleurs obtenu sans aucune difficulté l’autorisation d’édifier une mosquée110.
La mosquée Noor-EIslam, Lumière de l’Islam, ouvrira ses portes à Saint-Denis, le 28 novembre 1905 et pourra se
prévaloir du titre de première mosquée de France. »

« Lorsqu’en 1900, un fait divers dramatique défraye la chronique, mettant en scène un commerçant musulman de
Saint-Paul assassiné par l’un de ses commis, aucun des journalistes prompts à dégainer contre les Zarabes, ne
souligne l’évènement pour mettre en garde contre les mœurs cruelles de « ces gens-là ! » Seul le mobile du crime, le
vol, est évoqué. De même, lorsque l’exécution capitale du meurtrier est relatée dans la presse, il n’est fait aucune
mention de l’identité indienne et musulmane du condamné. C’est seulement un voleur et un assassin qui a payé
pour son crime. Aucune flèche n’est décochée contre les Indo-musulmans. En 1903, les nécessités budgétaires de la
colonie. »

« En 1903, les nécessités budgétaires de la colonie incitent le Conseil général à voter une augmentation de la taxe de
séjour de 100 %112, motivée par les déclarations xénophobes de l’auteur de l’amendement : « Cette augmentation
de taxe est légale à tous égards et se justifie par des considérations qui démontrent amplement que les Asiatiques
paient beaucoup moins d’impôt que nous. Les droits sur les spiritueux, les vins, les liqueurs constituent une grosse
partie de notre budget ; ils les dédaignent de par les prescriptions de Mahomet. Ils n’ont pas les mêmes besoins que
nous ; ils n’ont, ni société, ni famille ; leur genre d’alimentation et la nuance de leurs mœurs font qu’ils ne
consomment rien de ce qui contribue à former l’impôt chez nous » .

La même année, le Conseil général se plaint que les Asiatiques : « Echappent le plus souvent aux droits
d’enregistrement-les fonds de commerce changent de propriétaires sans qu’aucun acte soit dressé, sans qu’aucune
déclaration soit faite-il est presque impossible de savoir si celui qui gère un magasin en est propriétaire, s’il est le
mandataire ou l’employé d’un tiers. Parmi les diverses situations juridiques auxquelles il peut prétendre, l’étranger
choisira vis-à-vis de la loi française celle qui l’exposera aux moindres frais. La situation réelle ne sera connue que de
ses coreligionnaires »

« Le gouverneur qui écrit au ministre des Colonies en 1922 déplore qu’aucun impôt de mutation ne soit versé et
ajoute que la fortune des étrangers, surtout mobilière, est facilement dissimulable. Il conclut : « Ces deux groupes,
Chinois, et Indiens de Bombay vivent sur le pays, mais entièrement en dehors de lui».

« Les choses vont s’envenimer au début de la première guerre mondiale alors que la situation est difficile. Les
tensions sont palpables et une campagne particulièrement violente se déchaîne dans les journaux contre les
Asiatiques. Ces journaux sont La Patrie créole qui a pour devise « Bourbon aux Bourbonnais » et La Bataille sociale
qui affirme que : « L’Asiatique est bien l’ennemi du Créole, comme la bourgeoisie capitaliste ». »

« L’offensive enfle lorsqu’en raison de leur appartenance à l’islam, les Zarabes sont accusés de se ranger aux côtés
de la Turquie, donc de l’Allemagne ; des affiches injurieuses sont placardées pour les diffamer. Dans la ville de Saint-
Paul, les choses se gâtent, des bruits courent que les magasins des Zarabes vont être saccagés. Les manifestants leur
reprochent d’avoir indûment augmenté le prix du riz. Les Indo-musulmans, contre lesquels les journaux continuent
d’instiller la haine, pour la première fois ont peur et ne se sentent plus en sécurité. Les troubles les plus sérieux ont
lieu le 29 novembre 1915 à Saint-Joseph où la majorité des commerces est tenue par des Français et où n’existent
que deux magasins zarabes et six magasins chinois. Des groupes de mécontents ont sommé le maire d’exiger du
gouverneur la taxation des prix

La réponse n’étant pas arrivée, les manifestants envahissent le magasin Omarjee Hassen, et vident le coffre- fort. Ils
s’en prennent ensuite au magasin de Sulliman Cochery qu’ils vident de ses marchandises. A la suite de la plainte
déposée par ces commerçants, La Patrie créole continue de jeter de l’huile sur le feu traitant les Zarabes de « Boches
locaux » et se demandant « si les juges sont prêts à faire de La Réunion la chose des mercantis de Bombay ». Les
musulmans se sentent tellement menacés qu’ils demandent la protection du consul britannique. La presse se tait
quelque temps et le climat d’insécurité et de xénophobie cesse. »

« Dans les années 1930, la conjoncture n’est pas bonne ; la Réunion subit une grave crise de l’agriculture. C’est le
moment de jeter l’anathème sur les étrangers qui prennent le pain des Créoles. La presse reparle du péril asiatique.
En 1932 sont promulguées des lois interdisant aux étrangers certaines activités, politiques et professionnelles. Ils ont
désormais l’obligation de verser un dépôt de garantie à leur arrivée, de posséder une carte d’identité, de s’acquitter
du paiement d’une taxe mensuelle et de tenir les livres de comptes en français. »

« Dès que les Indo-musulmans et les Chinois ont commencé à faire du commerce de manière significative à La
Réunion, les commerçants créoles, jusqu’alors seuls maîtres du jeu, se sont sentis menacés. Les Asiatiques
dérangent. Ce que l’étranger gagne, l’homme du cru ne le gagne pas. Aussi, pour enrayer la progression des
Asiatiques, une taxe sur les marchandises étrangères a-t-elle été instaurée en 1892. Celle-ci n’a manifestement pas
eu l’effet dissuasif escompté car, une trentaine d’années après leur installation dans l’île, la presse se fait l’écho d’un
malaise. Le 21 septembre 1894, Le Petit Journal pousse un cri d’alarme371 .

« Nous les voyons (Chinois et Indiens de Bombay) s’attaquer peu à peu à toutes les branches du commerce et de
l’industrie, éliminant chaque jour l’élément créole qui finira par lâcher pied complètement. Il y a vingt ans, il n’y avait
dans le commerce qu’un gros marchand indien et un chinois, et encore ne faisaientils le commerce que de seconde
main ».

En 1898, deux commerçants zarabes s’entendent pour baisser le prix du riz. Les consommateurs apprécient  ; la seule
parade que trouvent les commerçants créoles, c’est la critique et l’invective. Le 1er Novembre, le journal Le
Ralliement enfonce le clou : L’Asiatique à la Réunion.

« Demain, ces Arabes peuvent jeter sur notre marché sans perte, à 2 fr. au-dessous du cours, une partie des stocks
d’autrefois. Leur but est de s’emparer par cette manœuvre du commerce du riz à la Réunion. Quand les Arabes
auront pris possession du marché, ils rétabliront les anciens prix et ruineront ceux-là mêmes qu’ils semblent
protéger aujourd’hui »372 .

En réalité, les commerçants créoles ne se mobilisent pas pour mettre en place une riposte commerciale  ; ils estiment
que c’est à l’Administration de résoudre leur problème.

Dans un article intitulé : « Le péril asiatique », daté du 25 novembre 1898, le journal Le Ralliement se fait l’écho de
leur position :

« L’intérêt de la Réunion est de mettre les Arabes dehors. Il ne s’agit plus de la crise des riz qui suivra son cours fatal.
C’est d’ailleurs à l’Administration de prendre ses responsabilités pour résoudre cette question. Le mieux pour les
Créoles est de ne pas perdre leur temps en inutiles gémissements et jérémiades et de chercher autre chose comme
solution, c’est à dire le moyen honnête et légal de rejeter hors de notre communauté tous les individus qui la
troublent et en violent, vicient la marche régulière. Or, ce moyen existe, très simple, très pratique. C’est
l’établissement d’un droit d’entrée sur les denrées étrangères, l’établissement d’une taxe aussi élevée que possible
sur les Asiatiques qui viennent s’établir à la Réunion, l’entente entre les propriétaires ruraux et les propriétaires de la
place, sauf asiatiques, pour l’introduction dans le pays de toutes les denrées et l’engagement formel de ne s’adresser
jamais qu’à ces négociants pour tarir la source des revenus des Asiatiques et les contraindre à la retraite » 373 .

Le 3 juillet 1901 est publiée dans La Patrie créole la lettre d’un lecteur :

« Tout pour eux, rien que pour eux. La monopolisation du commerce entier de l’île grandit tous les jours. […] Ces
Asiatiques trouvent chez nos gros commerçants toutes les facilités de crédit possible pour mener à bien et dans un
délai rapide l’œuvre d’absorption »374 .

Les Asiatiques gagnent du terrain. Les raisons de leur succès sont liées à des choix commerciaux judicieux, mais aussi
à une certaine éthique du commerce. Ils se distinguent des Créoles par la modestie de leur train de vie. Ils ont une
seule maison, travaillent en famille, prennent leurs repas ensemble, ne font aucune dépense superflue, réduisent au
maximum les frais généraux. Ils ne prennent que deux jours de congé par an, à l’occasion des fêtes musulmanes.
Dans ces conditions, leur réussite est rapide et ne passe pas inaperçue.

Pour augmenter leurs chances, les Indo-musulmans conjuguent leurs moyens pour acquérir les commerces des
Créoles, et s’entraident en cas de difficultés. C’est le constat que fait le Journal de l’île de la Réunion, daté du 9 Août
1905 :

« Alors que nos commerçants n’ont jamais pu s’entendre, eux trouvent toujours le moyen de s’entraider et de
soutenir le compatriote qui a subi des revers. Il existe chez eux une mutualité qui n’est pas un vain mot. Que
d’exemples n’avons nous pas eus de commerçants indiens garantissant ceux des leurs qui sont gênés pour faire face
à leurs engagements, pour leur permettre de se retourner. […] Vous remarquerez que, petit à petit, ils ont pris et
prennent toutes les situations commerciales ils considèrent une place commerciale comme un vrai champ de bataille
dont il faut occuper les points stratégiques. Ils ont mille fois raison. Ils ont d’abord occupé la rue du Grand Chemin,
l’artère principale de la ville, arrêtant là la clientèle qui devait descendre. La rue du Barachois qui était occupée par
des magasins créoles est aujourd’hui à eux- il y en a même un qui y construit un fort beau magasin. […] Ils ne tardent
pas à ouvrir des petits magasins partout, des succursales dans les quartiers où préside la plus stricte économie -
deuxième qualité maîtresse. Pourvu que ces petites boites ou ces succursales fassent leurs frais, c’est tout ce qu’il
faut. Le peu qu’elles vendent, c’est autant d’enlevé au concurrent créole. Dans un quartier, la succursale laisse-t-elle
de la perte ? Le propriétaire jette un cri d’alarme, aussitôt vous voyez un ou deux congénères s’associer à lui, la perte
ainsi partagée devient insignifiante pour chacun des associés. Progressivement, la succursale voit sa clientèle
augmenter, au détriment du commerçant voisin… C’est ainsi qu’ils sont arrivés à prendre position dans toute l’île
»375 .

En 1905, en l’espace de deux mois, les « Arabes » de la place ont acquis ou sont sur le point d’acquérir trois magasins
de Saint-Denis appartenant et tenus par des commerçants créoles. Le moment ne semble pourtant pas très
favorable. C’est ce que montre le rapport de la Chambre de commerce376 sur la situation commerciale de La
Réunion. Pendant la période 1906-1907, dans toutes les branches du commerce et dans toutes les localités de l’île,
qu’il s’agisse de négociants en gros, en demi-gros ou de petits détaillants, c’est le marasme dans les affaires.
Quelques gros négociants étrangers ont été mis en faillite et ont dû quitter l’île.

Le 20 décembre 1908, le rédacteur du Journal de l’île s’inquiète :

« Nous n’avons plus de petits commerçants créoles. […] Les Chinois et les Arabes nous ont délogés avec impudence
».

Les Créoles accusent les étrangers d’être responsables de leurs difficultés. Leur présence est dénoncée pour être à
l’origine des maux qui empêchent le bon fonctionnement de la société, et leur réussite, attribuée à des pratiques
illicites. On affirme donc qu’ils fraudent et qu’avec eux, la concurrence est impossible. On déplore que les banques et
les Gros-Blancs favorisent les Asiatiques. Pour dissuader les étrangers de s’installer et de commercer à La Réunion,
en 1904 les autorités décident le renforcement des taxes professionnelles qu’ils doivent acquitter.

Pour les commerçants créoles, la lutte est rude. D’autant plus que les Indo-musulmans de La Réunion sont associés
aux Indo-musulmans de Maurice pour la conquête du marché réunionnais. Si les Indo-musulmans s’étaient
contentés de vendre des tissus, la société créole les aurait sans doute tolérés, mais peu à peu, ils ont diversifié leur
offre et ont pris une place beaucoup trop importante. C’est ce que laisse entendre le chef de la Sûreté, dans une
lettre adressée au gouverneur de La Réunion, le 7 mai 1915 : « Si certains n’étalent que des coupons de cotonnades
venus de France ou de l’Inde, la plupart vendent de la confection, des souliers, des chapeaux, des casques, de la
lingerie, des sous vêtements »378 .

Des plaintes contre les Asiatiques sont enregistrées, sous un prétexte ou sous un autre, dès lors que leurs affaires
portent préjudice à celles des commerçants créoles. La similitude de leurs prénoms et patronymes peut favoriser les
entorses à la législation coloniale. En 1922, le gouverneur de l’île écrit au ministre des Colonies  : « Ainsi, on voit
aisément que nul créole ne peut résister à la concurrence que ces Asiatiques font partout où ils s’implantent. […] Les
fonds de commerce changent de propriétaires sans qu’aucun acte soit dressé, sans qu’aucune déclaration soit faite il
- est presque impossible de savoir si celui qui gère le magasin en est propriétaire, s’il est le mandataire ou l’employé
d’un tiers. Parmi les différentes situations juridiques auxquelles il peut prétendre, l’étranger choisira vis-à-vis de la loi
française celle qui l’exposera aux moindres frais. La situation réelle ne sera connue que de ses coreligionnaires »379 .

1914-1918 : la première guerre mondiale

Ne pas être français représente un avantage pour les étrangers. Ils ne sont pas tenus au service national et donc pas
obligés d’abandonner leur gagnepain pour partir « sous les drapeaux ». Ceci est mal vécu par les Créoles qui les
accusent de profiter de la situation pour s’enrichir, de spéculer sur le dos des Réunionnais. Ils ne sont pourtant pas
très nombreux puisqu’en 1915, ils sont 74 patentés de 1re, 2e et 3e classe sur un total de 1033, mais ils représentent
manifestement un pouvoir économique important puisqu’ils inquiètent380

En 1915 débute une violente campagne anti-asiatique qui va se poursuivre en 1916 et qui est orchestrée par la
presse. La Patrie créole et La Bataille sociale se déchaînent : « L’Arabe […] est le maître incontesté du marché
commercial et le client recherché, protégé et adulé de la Banque de La Réunion. Nous n’en voulons pour preuve que
les traites que ces « Arabes » souscrivent et qui sont acceptées sans aucune difficulté par nos banquiers »383 .

Le climat est tendu. Le 7 novembre 1915, une manifestation populaire a lieu à Saint-Paul organisée pour protester
contre la vie chère et surtout contre les magasins zarabes qui ont augmenté le prix du riz. Son prix a triplé, et même
à ce prix, on n’en trouve pas toujours. Le même jour, un employé de commerce d’Ismaël Mamode Omarjee, à Saint-
Paul, est formellement accusé par deux clients d’avoir exprimé des sentiments hostiles à la France et à ses alliés.

Etablie à Saint-Paul depuis trente ans, la maison Ismaël Mamode Omarjee est une entreprise prospère qui attire les
convoitises et qui pourrait bien avoir été prise pour cible dans le but de lui porter préjudice. Les commerçants
asiatiques sont accusés de frauder, de tricher sur les poids et sur les prix. Les gendarmes sont chargés de contrôles.
L’incitation à la haine de l’Asiatique sera suivie d’actes xénophobes. A Saint- Joseph, le 29 novembre 1915, les
magasins de Hassen Omarjee et de Sulliman Amode Cochery sont pillés.

Dans le climat délétère qui règne, Chinois et Zarabes sont accusés d’être malhonnêtes et de profiter de la situation
pour s’enrichir385 .

Après l’année 1932, au cours de laquelle un cyclone a fait 41.000 sinistrés et 100 millions de dégâts, l’année 1934 a
été très moyenne sur le plan agricole. Les planteurs, privés de substantielles rentrées d’argent liées à la vente du
sucre, ne dépensent que pour acquérir de la terre ou pour entretenir leurs cultures. Le commerce souffre de la
frilosité des consommateurs. Le 23 janvier 1935, le tribunal de commerce de SaintDenis a jugé et mis en faillite six
maisons de commerce de la place. Une vague anti-asiatique se répand dans les journaux locaux en même temps que
des mesures protectionnistes sont prises pour favoriser les commerçants français. Le 15 février 1935, dans l’éditorial
intitulé « Tenir ferme » du Journal de l’île, Ch. Cazal écrit : « Ceux qui ont facilité l’envahissement du pays par des
étrangers, qui ont compromis notre commerce et refoulé toute une corporation d’employés de commerce créoles
vers un chômage menaçant, ceux-là commencent à ouvrir les yeux. […] Il reste à se demander si avec l’état du
marasme du commerce […] la colonie peut encore espérer un avenir quelconque à la jeunesse qu’elle instruit ?».

Les commerçants asiatiques en difficulté essaient de sauver ce qu’ils peuvent mais les procédés qu’ils emploient les
livrent à la vindicte populaire. Le Journal de l’île, daté du 5 Mars 1935, rapporte sous le titre :

« Voilà comment ils procèdent !». « Hier, un commerçant arabe qui possède un magasin à Saint Denis voyageait
chargé d’une valise. En allant prendre le train de la partie sous le vent, le hasard fit que dans son empressement, il se
trompa de colis. Un autre voyageur, reconnaissant que la valise laissée dans la salle d’attente de la gare n’était pas sa
propriété alla la déposer à la gendarmerie. Cette valise contenait de la soierie d’une valeur de 1.000 francs environ.
On reconnut que l’arabe se rendant chez son frère commerçant à Saint-Gilles, apportait à ce dernier, en douceur,
des marchandises de son magasin de Saint-Denis quand il est à la veille de déposer son bilan. Même jeu : un Chinois
a été surpris transportant des marchandises de sa boutique de Saint Denis en déconfiture à Bras-Panon chez son
congénère de mèche avec lui. La valeur de ces marchandises peut s’élever à la somme de 450 francs cette fois. […]
Les deux Asiatiques ont été arrêtés par la gendarmerie. Qu’ils veillent nos braves gendarmes ! Ils en trouveront
d’autres, c’en est la saison … Que fera-t-on de ces fraudeurs après leurs démêlés avec la justice ? ».

FOULON Alain, Le renouveau, religions à la Réunion, Orphie, 1989


P 102-105 : « Quand et pourquoi viennent-ils à La Réunion, ces Indo-musulmans ? D'abord pour des motifs
économiques, dès la seconde moitié du XIXe siècle. Agriculteurs d'origine, les premiers arrivants se lancent dans le
commerce. C'est un secteur qui offre certains débouchés, alors que la production agricole se trouve en pleine
régression. Ils ne sont encore qu'une poignée dans les années 1880. On en comptabilise exactement 401 en situation
régulière au début du XXe siècle (4). Mais ils sont déjà redoutés des Créoles qui les voient s'installer et reprendre des
magasins. La colonie a d'ailleurs institué une taxe de séjour pour les étrangers-dès 1887. Un article, à la fois ironique
et lucide, paru dans le Journal de l'île de La Réunion du 8 août 1905, retrace l'expansion des commerçants indo-
musulmans : « En 1882, l'élément indien de Bombay fait son apparition. Un Arabe, comme on l'appelle à tort, vient
tâter le terrain. Un ballot de cotonnade sur la tête d'un journalier, il va, de porte à porte, offrir sa marchandise et,
quoi qu’atteint de strabisme, s’aperçoit bien vite que la place est bonne. Il fait signe aux compatriotes qui arrivent
sur nos bords hospitaliers et s'installent petitement d'abord. Ils ont choisi les tissus, plus tard les grains et en vingt
ans ils ont presque accaparé ces branches commerciales. Les chettys ont dû fermer les uns après les autres, les
détails de tissus également... ». La débâcle des sucres de canne en 1883 et 1884, l'installation du port et du chemin
de fer, à la même époque, ont révolutionné le commerce qui reste l'un des rares moyens de gagner de l'argent assez
vite sans gros investissement. Un deuxième article du Journal de l'île, paru le 9 août 1905 et faisant suite à celui cité
ci-dessus, explique la stratégie commerciale des Indo-musulmans : ... « Alors que nos commerçants n'ont jamais pu
s'entendre, eux trouvent toujours le moyen de s'entraider et de soutenir le compatriote qui a subi des revers. Il
existe chez eux une mutualité qui n'est pas un vain mot. Que d'exemples n'avons-nous pas eus de commerçants
indiens garantissant ceux des leurs qui sont gênés pour faire face à leurs engagements, pour leur permettre de se
retourner. Il est certain que pas mal d'entre eux ont failli; c'était dans la période des tâtonnements - vous ne verrez
plus çes faits se produire, ou bien rarement, aujourd'hui qu'ils sont définitivement ancrés sur notre place et qu'un
certain nombre a réussi et a pu amasser... Vous remarquerez que petit à petit ils ont pris et prennent toutes les
situations commerciales - ils considèrent une place commerciale comme un vrai champ de bataille dont il faut
occuper les points stratégiques. Ils ont mille fois raison. Ils ont d'abord occupé la rue du Grand Chemin, l'artère
principale de la ville (actuelle rue Maréchal Leclerc), arrêtant là la clientèle qui devait descendre. La rue du Barachois
qui était occupée par les magasins créoles est aujourd'hui à eux - il y en a même un qui y construit un fort beau
magasin. Et comment arrivent-ils à les avoir ces situations commerciales ? En séchant les sources qui les alimentent,
si nous pouvons nous exprimer ainsi. Ils ne regardent pas à ouvrir des petits magasins partout, des succursales dans
les quartiers, où préside la plus stricte économie - deuxième qualité maîtresse. Pourvu que ces petites boites ou ces
succursales fassent leurs frais, c'est tout ce qu'il faut. Le peu qu'elles vendent, c'est autant d'enlevé au concurrent
créole. Dans un quartier, la succursale laisse-t-elle de la perte ? Le propriétaire jette un cri d'alarme, aussitôt vous
voyez un ou deux congénères s'associer à lui, la perte ainsi partagée devient insignifiante pour chacun des associés.
Progressivement la succursale voit sa clientèle augmenter, au détriment du commerçant voisin... C'est ainsi qu'ils
sont arrivés à prendre position dans toute l'île. Dans chaque quartier, vous en trouvez faisant plus ou moins leurs
affaires, soutenus par les gros marchands du chef- lieu. Ils accaparent ainsi tous les débouchés. Nos commerçants de
la place voient leurs affaires diminuer pour cette raison, malgré les tournées périodiques de leurs voyageurs. Ne
doivent-ils pas réagir contre cette étreinte lente, mais progressive qui les étouffera ? Il n'est que temps pour eux de
s'entendre, de se solidariser... ». Ce même journal signale dans son édition du lendemain qu'une maison indienne
commande directement de fortes quantités de tissus en fabrique et les tient à disposition des autres commerçants
indo-musulmans dans des conditions avantageuses et inférieures aux prix de vente des maisons de la place « qui
font payer les cours à leur clientèle créole » ... Ce journal, même s'il ironise, a plutôt tendance à donner en exemple
aux commerçants créoles la stratégie commerciale des nouveaux venus. »
Types arabes de Mascate d'après une lithographie de Roussin -

1863 - (Archives départementales).

P106 : « D'autres journaux s'en prennent violemment à ce qu'ils comparent à une invasion asiatique, associant
Chinois et Indo-musulmans. « L'intérêt de La Réunion est de mettre les Arabes dehors », écrit Le Ralliement du 25
novembre 1898 (5). La Patrie créole, de son côté, milite en faveur d'un nationalisme créole, pour La Réunion aux
Réunionnais et distingue surtout le danger économique encouru.

P108 : « En 1912, les habitants du Butor s'opposent à ce qu'ils installent dans ce quartier leur cimetière. Mais c'est
surtout la première guerre mondiale, cause d'une dégradation de la situation économique, qui va relancer les
campagnes racistes. Une fois de plus, on les accuse de « boire le sang du peuple » à l'image des Juifs en France. «
L'Asiatique, écrit La Bataille créole, est bien l'ennemi du Créole, comme la bourgeoisie capitaliste » (6). Il s'agit
pourtant de l'organe progressiste de la colonie. Plus grave encore, on accuse les Indo¬musulmans de sentiments pro-
allemands et pro¬turcs. Des manifestants pillent, le 29 novembre

1915, à Saint-Joseph, le magasin d'Omarjee Hassen et s'en prennent à celui de Sulliman Cochery (7). Mais il ne faut
pas voir dans ces actes des explications seulement racistes. En effet, suite à la cam¬

pagne pour les élections législatives, des manifestants avaient pillé l'année précédente, toujours à Saint-Joseph, la
boutique de Raoul Payet (8). En ces années difficiles, on relève une dangereuse tension sociale. Les pilleurs
d'Omarjee Hassen l'accusent d'avoir augmenté ses prix inconsidérément, ce dont ils se défend. Les campagnes de
presse xénophobes ne sont pas pour arranger les choses. A cette époque, des commerçants indo-musulmans de
différentes communes écrivent au consul britannique pour l'informer de leurs craintes (9). Mais les menaces
resteront verbales. Les Indo-musulmans ne s'avouent pas vaincus et leur poids économique n'est pas négligeable. »

FOULON Alain, Le Grand livre des Entrepreneurs de la Réunion, l’Eco Austral, février 2001

P53 : « L’esclavage n’est pas loin et le racisme ambiant toujours aussi virulent. Il va vite se retourner contre ces
immigrants qui ne sont plus des engagés mais des travailleurs libres, libres de s’installer où ils le désirent. »

ACHI Raberth, Ethnicité, religion et commerce, Essai d’interprétation de l’islam à l’île de la Réunion, Mémoire de
D.E.A, Université d’Aix-Marseille, 1999-2000

P38-39 : « L’immigration indo-musulmane est signalée comme un danger par les créoles si bien que les indo-
musulmans sont très vite accusés d’écouler les produits allemands et anglais qui concurrencent les produits français,
ceci dès 1887 et dans l’enceinte d’un établissement représentant les pouvoirs publics. La fraction aisée de la
population crie au ‘péril asiatique’ et craint d’être délogée par les nouveaux arrivants. Dès 1898, la concurrence des
indo-musulmans s’avère plus efficace. Au lieu de répondre, commercialement parlant, à la concurrence, les créoles
versaient dans la critique virulente. Le plus surprenant est que seul le rôle économique des indo-musulmans leur
vaut d’être voué à la vindicte de la presse alors qu’une première demande de construction de mosquée fut rédigée
et envoyée aux pouvoirs publics locaux en 1897, c’est-à-dire un an avant l’écriture de tels slogans, sans pour autant
susciter l’émoi. De plus, la demande de construction d’un cimetière n’a guère soulevé la presse et la population
sinon celle du quartier environnant le terrain de construction. Dans ce cas précis, Prosper Eve avance la manipulation
de la population voisine du terrain par un ‘groupe d’asiatophobes’, selon ses propres termes, qui voulaient éprouver
les indo-musulmans.

Pendant ces périodes d’agitation, l’avancée des musulmans progresse et investit le domaine du tissu au grand dam
des créoles. Mais elle ne laisse pas les créoles sans réactions puisqu’une campagne est déclenchée dans deux
quotidiens, dont l’un se dit le représentant du prolétariat, La Bataille sociale. Ce climat prend une autre tournure
lorsque la première guerre mondiale éclate et que les indo-musulmans sont taxés de germanophiles et
paradoxalement de ‘turco-boches’. Parallèlement, la loi du 16 novembre 1915 sur la naturalisation est présentée
dans la presse locale comme un danger national mais avec un argumentaire exclusivement commercial . Ce scénario
se renouvelle à la veille de la seconde guerre mondiale en même temps que progresse l’insertion commerciale des
indo-musulmans en dépit de la création d’une taxe de séjour pour les commerçants étrangers. En juillet 1939, une
esquisse de défense est préparée, via le domaine pécuniaire, par les indo-musulmans par un don de cent mille francs
pour la défense nationale. Prosper Eve conclut à la détente au lendemain de la seconde guerre mondiale0. Signifie-t-
elle l’absence de stigmatisation à l’égard de ces commerçants, cette appellation étant plus appropriée tant l’islam n’a
pas été sollicitée une seule fois dans tous les exemples historiques cités. A moins que ce soit la catégorie ‘Arabes’ qui
constitue le vecteur de l’islamité sur l’île à cette époque. Même dans ce cas elle ne serait pas anodine. »
COSADIA Salima, Du Gujarat à l’île de La Réunion  : l’insertion économique et sociale des Indiens musulmans au
sein de la société réunionnaise (1887-1946), Mémoire de Maîtrise d’Histoire, Université Paul Valéry, Montpellier
III, octobre 1996

P16 : « Ainsi nous constatons que dès leur installation à la Réunion, certaines voix s’élèvent contre eux. Pendant la
Première Guerre Mondiale, ils font l’objet de critiques virulentes de la part de deux journaux nationalistes, la Patrie
Créole et la Bataille Sociale. Dans les années 20, les rancœurs semblent s’être apaisées, mais reprennent durant la
décennie suivante en partie à cause des effets néfastes de la crise mondiale de 1929 à la Réunion. Nous avons alors
dépouillé certains journaux (ceux autorisés) des années 30, pour se rendre compte des conséquences de la crise à La
Réunion. Enfin, durant la Seconde Guerre Mondiale, la population réunionnaise a d’autres soucis en tête et ne
s’occupe quasiment pas des Indiens musulmans qui se retrouvent d’ailleurs aussi démunis qu’elle. A partir de 1946,
un certain apaisement est ressenti. »

P41 : « En 1890, à La Réunion, alors qu’ils ne sont que quelques centaines, les journaux parlent de « péril jaune »: Ces

Chinois arrivés dans File avec une petite pacotille, se lancent dans le commerce de l’alimentation où ils font très vite
fortune si bien qu’on les accuse de « voler la bouchée de pain aux enfants du sol ».
P42 : « Ils font l’objet de toutes sortes de vexations durant la Première Guerre Mondiale. En effet, même en période

de crise, les Chinois parviennent quand même à s’enrichir. La solidarité qui les unit est forte.  »

P92 : « L'imposition de la taxe de séjour n'empêche guère les Asiatiques d'entrer dans 171e 1. Les critiques de la

presse à leur encontre sont assez virulentes : Accusés d'accaparer le commerce de manière malhonnête, ils le
sont « par les moyens les plus inavouables, le dol, la fraude et le vol notamment ; ils exploitent de sang froid la
crédulité et la bonne foi d'un tas de pauvres gens, et l'on se sent naturellement impuissant à engager la lutte
dans ces conditions (...). [Ce sont] des spéculateurs sans vergogne qui s'enrichissent au profit des gogos et
naïfs. » Afin de lutter contre cette menace, les journalistes préconisent l'isolement ou même l'expulsion tant la
peur de voir toutes les branches de l'économie réunionnaise tenues par les asiatiques est grande.
Ainsi, à Piton-Sainte-Rose, les commerçants asiatiques ont été mis en quarantaine par la population. Ils "se
sont vus" malgré leurs tentatives réitérées sans succès, obliger d'abandonner les lieux et d'aller chercher
fortune ailleurs. "N'hésitons pas, à notre tour, de mettre les cosmopolites étrangers en quarantaine. À prix
égal, approvisionnons-nous de préférence chez nos compatriotes patentés" 2.
De plus, certains préconisent l'expulsion comme le conseille un collaborateur du Times (Journal Anglais),
au gouvernement de Maurice au sujet des Asiatiques installés dans 171e :
"Si le Times prête son autorité à ceux qui préconisent l'expulsion des Asiatiques de Maurice, nous n'allons
pas continuer à leur ouvrir les bras, il faut le croire  ». »

1 Les critiques de la presse s'adressent également aux Chinois qui se sont lancés dans le commerce de détail
2 Le Petit Journal de l’île de la Réunion - 14 janvier 1898 "Le péril asiatique" pl (A.D.R. 1 PER 39/8)
1
Le Petit Journal de l’île de la Réunion - 21 septembre 1894 "Indiens et Chinois" pl (A.D.R. 1 PER 39/4)
P93 : « En effet, presque toutes les branches de l'économie réunionnaise sont désormais entre leurs mains :

"Si ce qu'à Dieu ne plaise, ils s'implantent là, comme ils ont fait pour les tissus et les grains, qu'adviendra-t-il
de nous ? Ils seront absolument nos maîtres en détenant les principales branches du commerce et de l'industrie
(...). L'agriculture seule ne les a pas encore tentés. Mais patience ! A Maurice, les Indiens sont usiniers et
possèderit des établissements de sucrerie.
Ils le demanderont certainement ici, si nous les laissons faire et quand ils nous auront pris une partie de notre
territoire, ils feront tâche d'huile et il ne nous restera plus qu' à boucler nos malles et aller chercher ailleurs nos
moyens d'existence"3.
Il est vrai que ces critiques donnent l'impression d'une terrible invasion qui aurait affecté la Réunion. Mais
quand on regarde de plus prés les dénombrements on s'aperçoit qu'en 1892 et 1897, la population "arabe"
représente respectivement 0,06% et 0,11% de la population totale.
Durant la décennie 1910-1920, la population indo-musulmane augmente assez rapidement ; ceci est le
résultat de la deuxième grande vague d'immigrants Indiens musulmans.  »

P95-97 : « Boucs émissaires en période de guerre.


De novembre 1915 à janvier 1916, la Patrie Créole dont la devise est "Bourbon aux Bourbonnais", et la Bataille Sociale, deux
journaux profondément nationalistes qui prônent la lutte des classes (Prolétariat contre Bourgeoisie lancent une campagne

anti-asiatique à la suite de l'expulsion de 25 commerçants "arabes" de 171e Maurice pour atteindre le même but à la
Réunion.
Les Indiens musulmans sont ainsi accusés de "sentiments germanophiles" ; la bourgeoisie créole est accusée
de favoriser les Indiens musulmans au détriment des autres Créoles.

a. Prolétaires, battez-vous !
Nous avons précédemment décrit la situation sociale de la Réunion à la fin du XIX e siècle ; 171e,
pendant la guerre ressent d'autant plus cette situation que la misère va grandissante. Ainsi, le journal, Ici
Patrie Créole, considère-t-il nécéssaire d'interpeler le prolétaire :
"Pour chasser complètement et progressivement l'indésirable de ce pays d'infortuné, c'est à toi qu'il faut
s'adresser, ô prolétaire créole ! Regarde bien autour de toi. Vois ta femme et ta nichée de faméliques rongés
par le paupérisme. Regarde ton toit de chaume où la misère s'est assise en maîtresse absolue, tes vieux
parents pleurant dans l'ombre, l'aisance des temps passés et n'osant pas interroger l'avenir, terres incultes où
la fleur sauvage même n'ose plus s'ouvrir pour te rappeler que tu es toujours dans l'Eden des tropiques.
Regarde tout cela et jette ensuite tes regards sur le métèque d'à côté.
Que dis-tu de ce luxe insolent, de ces fortunes scandaleuses outrageant ta misère, et dont tu es pourtant
l'artisan ? Que dis-tu de ces magasins édifiés là où s'élevaient naguère les demeures ancestrales ? Que dis-tu
enfin de l'envahissement bientôt complet de ce pays, qui t'as vu naître, et dans le sein duquel tu n'es plus
certain de dormir en paix, le sommeil qui ne finit plus ?

3 Ibid
Cet article continue sur le même ton larmoyant et, il faut le dire, exagéré.

b. La bourgeoisie créole alliée des Asiatiques.


De mèche avec les Asiatiques, la bourgeoisie créole favorise leur implantation selon les journaux ; au
détriment des prolétaires, les Indiens musulmans et les Chinois sont les "plus fidèles employés associés de la
bourgeoisie capitaliste locale (...)' Notre bourgeoisie s'est alliée aux Asiatiques pour s'accaparer de toutes les
boutiques de la colonie. En favorisant, en soutenant et procurant des marchandises à ces commerçants
asiatiques, la bourgeoisie du négoce s'est assurée une arme précieuse contre les prétentions de la classe des
prolétaires quels qu'ils soient, à quelques partis politiques qu'ils appartiennent" 4 5.
D'autre part, la Banque de la Réunion leur accorde très facilement des crédits au détriment d'autres Créoles :
"L' "Arabe", (...) est le maître incontesté du marché commercial et le client recherché, protégé et adulé de la
Banque de la Réunion. Nous n'en voulons pour preuve que les traites que ces "Arabes" souscrivent et qui
sont acceptées sans aucune difficulté par nos banquiers"'’ .
Ils s'enrichissent ainsi aux dépens du "pauvre petit créole".  »

P98 : « Les Indiens musulmans : des "boches" coloniaux 1.

Les Turcs, alliés des Allemands pendant la Première Guerre Mondiale, sont des musulmans. A l'instar de ceux-ci,
les "Arabes" à la Réunion sont également musulmans. Ils sont accusés de manifester publiquement l'espoir (...) de
voir l'Allemagne et l'Autriche alliées de la Turquie triompher de leurs adversaires de la Quadruple Entente (...) ;
c'est le sentiment religieux qui l'emporte sur le soi-disant loyalisme" 2. »

P99-103 : « Les évènements de Saint Joseph


a) Les conséquences des incitations de la presse
D'incitations en incitations, les faits suivent forcément. En effet, le 29 novembre 1915 à Saint Joseph, deux
magasins de deux commerçants "arabes" sont pillés. Celui d'Ossène Omarjee et de Sulliman Amode Cochery. Ces
pillages sont les résultats de la campagne anti-asiatique menée par les deux journaux, la Patrie Créole et la Bataille
Sociale.
Quelques jours après les événements, les directeurs respectifs des deux journaux, Mr Maigne pour la Patrie
Créole et Mr Vavasseur pour la Bataille Sociale, sont convoqués par le Procureur Général, chef du service
judiciaire. Il leur est demandé " de vouloir bien cesser la publication de leurs articles contres les Asiatiques (...) [à
cause] de l'effet déplorable [qu ] ils pouvaient exercer et avaient peut-être déjà exercé sur des gens pour la plupart
sans instruction et par suite incapables de comprendre ce qu'on veut leur dire en les invitant à user de leurs
droits"1 .
4 La Bataille Sociale - 16 août 1915 - "Sus à l'Asiatique" p2 (A.D.R. 1 PER 57/1)
5 La Bataille Sociale - 09 novembre 1915 - "Editorial : l'Arabe contre le Créole" pl (A.D.R. 4 M214)
De plus, un autre journal blâme l'attitude de ces deux journaux : "La lecture des journaux où on relatait
certains faits, où l'on conseillait aux habitants, avec des sous-entendus, d'agir énergiquement et où on publiait des
comptes rendus de délibérations du Conseil Général, n'était pas faite pour les calmer (...). Ces simples ont cru aux
sornettes que, si souvent, ont leur a débitées" .
L'atmosphère qui règne alors dans 111e ne peut qu'aboutir à des heurts.

c. Un climat de tension. 
En effet, déjà le 07 novembre 1915, un rassemblement a lieu à Saint Paul pour protester contre la cherté des vivres
et surtout contre les magasins "arabes" qui, "sans nécessité, avaient augmenté le prix du riz vendant actuellement
la balle 27.00 frs" .
Cette agitation commence lorsque des journaux annoncent l'expulsion de commerçants asiatiques de
Maurice. Selon le rapport de l'adjudant Blanchet, "elle n'a d'autre but que celui d'excéder la population
besogneuse contre les maisons "arabes" particulièrement.
D'autre part, ce même jour, un employé du magasin d'Ismaël Mamode Omarjee à Saint Paul, dénommé
Ibrahim Assenjee dit Mouta, est accusé par deux personnes d'avoir proféré des paroles manifestant des "
sentiments hostiles à la France et à ses alliés". Ce dernier nie énergiquement les faits et Ismaël Mamode Omarjee
affirme que "jamais aucun commis de la maison Ismaël à Saint Paul n'a manifesté de sentiments hostiles envers la
France et alliés depuis le commencement de la guerre. Cette maison est établie à Saint-Paul depuis trente ans, elle
y a en outre acquis des propriétés et elle emploie une centaine de colons. C'est sans doute en raison de prospérité
que certains individus ont été poussés à faire ces dénonciations et par suite à lui nuire".
Ce climat de tension aboutit au pillage des magasins à Saint Joseph.
c. Pillage des magasins de Saint Joseph.
S'adressant au Consul de sa Majesté Britannique, son protecteur dans l’île, Assen Omarjee, le commerçant de
saint Joseph déclare qu'il a été victime d'un acte de vandalisme dont le prétexte était la cherté des vivres, alors
que dans son magasin, il ne vend guère de denrées comestibles. Il en est exactement de même pour Sulliman
Amode Cochery.
En effet, "on prétend que ces manifestants, déclare-t-il, voulaient protester contre la cherté des vivres, cela
est faux ! La preuve qu'ils n'avaient pas ce but est qu'ils ont respecté le peu de riz, sucre, café que j'avais chez moi
pour mes besoins personnels, et ont emporté toutes les autres marchandises qui composaient le fond de mon
magasin. Du reste, je n'ai jamais vendu de comestibles, mon commerce ne consistait qu'en tissus, soieries,
merceries, parfumeries. Les seuls détenteurs de marchandises de première nécessité sont Mr le maire et les
Chinois" .Défendeur des sujets britanniques, le Consul, adressant une missive au Gouverneur de Hle, confirme les
dires des deux Indiens musulmans et déclare que "nous nous trouvons donc en présence d'actes de violences
prémédités dans le but de piller les magasins des deux commerçants" .

En ce qui concerne les réclamations faites par les victimes, Sulliman Amode Cochery a subi la perte de
marchandises d'une valeur de 17 834,25 fis et Assen Omaijee de 57 850,15 frs . Quant au Maire de la commune de
Saint Joseph, il est révoqué de ses fonctions pour n'avoir pas assuré le maintien de l'ordre alors qu'il était au
courant de ce qui se déroulait. Il déclare au Président du Tribunal : "J'étais à déjeuner et puis il fallait bien que je
me lave les mains (sic !) [et] lorsque je suis sorti de mon magasin, le pillage avait eu lieu, je n'avais donc plus rien à
faire" .
Les investigations permettent de découvrir un assez grand nombre d'agresseurs : 93 inculpés sont
définitivement impliqués dans les poursuites.
Malgré la guerre, et la tension qui règne dans l’île, les Indiens musulmans parviennent tout de même à accroître
leur richesses, bien qu'un certain nombre d'entre eux subissent des faillites en Inde. »

P109 : « Dans les années 20, les critiques contre les Asiatiques semblent s’être atténuées, et en 1934 paraît, dans La

Victoire Sociale, une série d’articles destinée à démontrer que les Asiatiques (aussi bien Chinois qu’Arabes) ne
constituent aucun danger pour la Réunion car ceux-ci pratiquent leurs activités sans déranger personne. Or, dès lors,
des voix s’élèvent afin de protester, dont celle du Dr Arnaud qui estime que « la vraie richesse du pays étant
l’agriculture, les étrangers ne doivent pas y venir pour s’adonner au commerce. Cette activité doit être réservée aux
fils et aux parents d’agriculteurs créoles qui créent la richesse et font le service militaire »’.
Craignant que les Créoles ne soient obligés de s’exiler, le Dr Arnaud propose des mesures sévères pour lutter
contre l’invasion asiatique. Ainsi, demande-t-il, entre autres, « le dépôt d’une forte caution par tous les étrangers
qui désirent [s’installer dans l’île] (...), et l’expulsion de tous les faillis étrangers » 6 7.

P149 : « Par ailleurs, ils ont dû affronter la xénophobie de la population réunionnaise. Ils ne se sont pas défendus ou

très peu, laissant les événements suivre leur cours.  »

6 P. Eve, op. cité, p. 352.


7 Ibid.

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