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PARTIR SANS RETOUR

« Larguer les amarres », « mettre les voiles », « prendre le large » : autant d’expressions qui, dans le langage
courant, renvoient aussi bien à l’action de partir qu’à l’action de voyager. En effet, ces deux verbes impliquent tous les
deux un départ, une rupture avec le quotidien, une quête de l'inconnu et de l'aventure.
Le verbe partir, tient son étymologie du latin « partire » qui signifie « diviser, partager » et qui par la suite, a évolué
pour désigner l'action de se séparer, de quitter un lieu ou des personnes. Partir implique donc un mouvement, une
rupture, un changement dans la situation de celui qui part.
Ainsi dans l’expression « partir un jour, sans retour » l'étymologie du mot "partir" permet de comprendre la notion de
mouvement et de changement qu'il implique. La locution adverbiale « un jour » suggère que le départ a été planifié
ou décidé à l'avance, et qu'il est programmé pour un moment précis, tandis que la notion de « sans retour » évoque la
rupture irrémédiable qui en découle. En reliant les expressions « partir un jour » et « sans retour » ce départ prend
alors une tournure définitive et radicale.
Nous pouvons alors nous interroger ; Lorsque l'on part pour ne jamais revenir, est-ce une fin ou un
commencement ? Entre accomplissements et nostalgie, ces grands départs avec ou sans retour sont-ils toujours
souhaités ?
Nous étudierons dans un premiers temps les aspirations des voyageurs qui entreprennent ces départs sans
être motivés par l’idée de retour. Dans un deuxième temps nous verrons que certains de ces départs définitifs ne sont
pas forcément le résultat de choix et peuvent s’accomplir dans la nostalgie et la mélancolie.
Un départ sans retour implique une rupture radicale avec le passé et peut être motivé par plusieurs raisons,
telles que l’envie de changer de vie, la recherche de soi, la fuite de situations difficiles ou encore la quête d'aventure.
C'est un choix qui peut être à la fois excitant et effrayant, car il implique l'abandon de tout ce qui est familier pour se
lancer dans l'inconnu.
Dans son poème « Invitation au voyage » paru dans Les Fleurs du Mal au XIXe siècle, Charles Baudelaire
perçoit le départ comme un moyen d’évasion. Le poète décrit, à sa bien-aimée, un pays idéal où ils s’installeraient
définitivement ensemble. Ainsi, ils mèneraient leur vie sans aucun souci d’ordre moral ou matériel. Ce départ sans
retour constitut, alors, un moyen de se dérober d’un quotidien maussade et pénible. Baudelaire décrit le voyage
comme une recherche de soi et une quête de liberté : « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté ».
Ici le voyage définitif est l'occasion de réinventer sa propre existence et de sortir de sa zone de confort.
Entreprendre un départ, partir loin, très loin, peut également résulter d’un profond désir de fuir une société
dont on refuse les lois. Et ainsi, choisir de ne pas en subir les contraintes et la frénésie quotidienne. Telles sont les
motivations qui animent, également, les trois personnages du film Sur la route de Walter Salles. Assoiffés de liberté,
les trois protagonistes partent à la rencontre du monde, des autres et d'eux-mêmes sans envisager de retour.
Le poème « Les Conquérants » issu du recueil Les Trophées de José-Maria de Heredia et paru en 1893
exprime les motivations des conquistadors, lors des grandes expéditions maritimes pour ouvrir de nouvelles routes et
découvrir de nouveaux pays à la fin du XVème siècle.
« Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos, de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d’un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal »
En effet la première partie du sonnet évoque les motivations au départ des aventuriers. Ils sont en quête d’aventures,
de richesses et de grandes explorations. Ils ne pensent certainement pas à un hypothétiques retour et se lancent
éperdument dans leur nouvelle quête.

Ainsi, faire le choix de partir sans envisager de retour peur représenter pour le voyageur une opportunité
d’épanouissement, d’accomplissement et d’affirmation. Cependant, certains voyages sans retour sont le résultat de
circonstances tragiques ou inattendues, comme la guerre, l'exil forcé, ou la mort. Dans ces cas, la décision de partir
est souvent prise de force, sans la possibilité de revenir.

Un grand voyage peut se révéler comme une déception pour celui qui l’a entrepris. Le poème « Heureux qui
comme Ulysse » Joachim du Bellay, publié en 1558 dans Les Regrets, exprime les regrets de Du Bellay par rapport à
Rome, qui était censée être une ville sainte, mais qui se révéla une déception pour Du Bellay. Parti accompagner le
voyage à Rome de son cousin, Du Bellay mesure à quel point la France lui manque. Dans son poème, le poète ne
célèbre pas la joie de voyager mais au contraire, la joie de revenir parmi les siens goûter le véritable bonheur.
Dans le même esprit, la célèbre Odyssée d’Homère où Ulysse ne rêve que d’une seule chose : rentrer chez lui.
Ainsi les départs peuvent être, accompagnés de sentiments de tristesse, de nostalgie et de mélancolie pour ce qui a
été laissé derrière soi.
Certains départs sont le résultat de contexte tragique comme la guerre. "Le départ des poilus" est une
peinture réalisée par l’Américain Albert Herter et offerte à la France en 1926. Cette œuvre représente le départ des
soldats français lors de la mobilisation générale de 1914, au début de la Première Guerre mondiale. Le tableau fut
exécuté à la mémoire du fils du peintre, Everit Albert Herter, artiste lui-même, mort des suites de ses blessures en
1918. Ce grand départ fut pour lui, tragiquement sans retour.
Les grands mouvements migratoires qui poussent des populations à se déraciner, à voyager sans envisager de
retour ne sont malheureusement pas toujours synonyme d’épanouissement pour les exilés. Dans son essai « Nous
autres réfugiés » extrait de La Tradition Cachée, Hannah Arendt aborde la question des réfugiés du nazisme. Elle
évoque tout ce que les réfugiés laissent derrière eux, ainsi que le déclassement et la honte dont ils doivent faire
l’expérience dans leur pays d’accueil.
Dans un autre registre, le court-métrage d’Amélie Bonnin réalisé en 2021, Partir un jour met en scène un
retour difficile après un long départ. Celui de Julien qui plus jeune, a quitté sa ville natale à la campagne pour se
construire une vie plus grande à la capitale. A présent accompli dans sa vie Parisienne, puisqu’il est un auteur à
succès et est sur le point de fonder une famille il est confronté à des souvenirs qu’il pensait bien derrière lui. Le
héros est rattrapé par la nostalgie d’un passé qu’il pensait révolu et confronté aux conséquences de son grand
départ.
En conclusion partir un jour sans retour est une décision qui implique des conséquences importantes, tant sur
le plan émotionnel que social. Ces départs peuvent permettre à l’individu de s’ouvrir sur l’ailleurs et de se réaliser
comme être libre et conquérant. Cependant ces grands départs peuvent également être imposé ou être des
désillusions pour le voyageur qui éprit de nostalgie et de mélancolie pour sa patrie ne peut cette fois que rêver de
retour.

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