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La littérature algérienne d'expression française

L’exil, la plus grande des solitudes

“Je savais déjà, moi, à sept ans, que j'étais exilé ; les odeurs et les sons, le bruit de la pluie sur les toits, les
tremblements de la lumière, je les laissais glisser le long de mon corps et tomber autour de moi ; je savais qu'ils
appartenaient aux autres”, écrivait Jean-Paul Sartre.

L’exil semble avoir été un thème central dans l’histoire des hommes et dans le processus de l’écriture même, et
ce, depuis la nuit des temps. Déjà dans les textes les plus anciens et les plus sacrés d’entre eux par leurs
conceptions fondamentales, Coran, Bible et autres, l’exil venait en réponse à des quêtes, à des ermitages, à des
méditations mais aussi comme pénitence, nous pensons à Adam chassé du Paradis, à l'errance d'Agar avec son
fils Ismaël envoyés dans le désert d’Arabie par Abraham ou encore à Moïse cherchant la terre promise avec son
peuple.
Cet exil-là, relevé dans les textes sacrés, symbolise à la fois le châtiment divin et une épreuve enrichissante.
Dans la pensée occidentale, la signification de l’exil est différente des termes employés jusque-là tels que
proscription, immigration ou bannissement, qui correspondent ou restent associés à des sentiments confus
comme la solitude, l’isolement, la séparation...
Chez les écrivains algériens, l’exil est approprié comme terme répondant au besoin d’exprimer le fait de ne
plus appartenir à un lieu donné. Mais que faut-il comprendre de cet exil dont la signification syntaxique énonce
clairement les conséquences psychologiques ?
Il reste difficile même en tentant d’analyser les textes écrits de savoir où commence et où finit l’exil,
notamment lorsqu'il est question d’un choix volontaire, certes, motivé par des facteurs multiples.
L’écriture algérienne de l’exil puise ses fondements dans la force créatrice de ses écrivains qui ont su trouver,
dans cet exil, un équilibre et créer, de ce fait, un espace de paix intérieure où l’écriture délimite le lieu dans
lequel se déroule le combat que se livre l'exilé contre lui-même afin de franchir les frontières de la séparation et
tenter de renouer des liens virtuels avec sa terre, donc d’assumer son existence. “Il y a des conditions
objectives qui font que je suis un écrivain errant ; ça m’a ouvert des horizons que je ne suis pas près
d’abandonner”, disait Kateb Yacine, l’un des écrivains qui a souffert le plus de la marginalisation, surtout après
son retour au pays. Les écrivains algériens, les précurseurs de la littérature algérienne ont tous eu comme lot
quotidien, l’exil forcé, l’exil comme choix à sens unique et n’ont de cesse revendiquer une patrie. Mouloud
Mammeri, Malek Haddad, Kateb Yacine, Assia Djebbar, Mohammed Dib, Rachid Mimouni, Malek Ouary, Jean et
Taos Amrouche, Mourad Bourboune, Nabil Farès, Anouar Benmalek, Yasmina Khadra et bien d’autres, ont tous
été des sortes de nomades, prenant souvent les chemins de l’exil à la recherche d’un équilibre difficile à
trouver.
Ils ont sillonné la France, l’Allemagne, l’Italie, le Mexique…, faisant de nombreux métiers pour survivre tout en
se consacrant à l’écriture.
Leurs œuvres très différentes témoignent cependant des liens profonds qui les rattachent à leur terre
ancestrale, même s’ils utilisent souvent leur statut d’exilé comme rempart entre eux et la réalité afin de pouvoir
se libérer par
l’écrit. Mais, au fait, comment les écrivains expriment-ils leur réaction face à l'exil ?
Le concept d'exil est-il le même pour ceux qui ont été expulsés de leurs pays ou ceux qui se sont imposé un exil
volontaire tel le cas des écrivains algériens ?
C’est incontestablement dans les œuvres des Amrouche, Jean et Taos que l’expérience de l’exil, du déchirement
identitaire et d’une mémoire ambiguë prend tout son sens. “Qui suis-je ? Qui est en moi et par moi ?” écrivait
Jean Amrouche. “C’était le propre cri de Jean Amrouche pour son propre drame, qu’il fallait entendre”, écrivait
de lui Jean Déjeux dans son anthologie de la littérature maghrébine de langue française. L’exil incarne une
forme d’expression douloureuse qui anime les scripteurs d’idées créatrices assez surprenantes, comme si l’exil
devenait la seule source qui inspire ces écrivains. Par ailleurs, certains spécialistes affirment même qu'à un
certain niveau, l'exil est indissociable du processus de création artistique. Les écrivains algériens n’ont pas
choisi l’exil pour prendre des distances par rapport à leurs origines ou leur langue comme le cas de l’écrivain
américain Samuel Beckett.
Mais, l’exil s’est imposé à eux par nécessité cherchant les éléments essentiels à la mise en scène de leur
créativité. Et, il semblerait donc que les moyens requis font défaut dans leur pays d’origine qui n’aspire ni à leur
rendre grâce ni à leur offrir un terrain propice.
Tout au contraire, nos écrivains ont besoin d’un élément vital qu’ils ne trouvent pas chez eux pour stimuler leur
force créative, et c’est facile de deviner la nature de cet élément, vu l’état actuel de notre situation
socioculturelle.
Si les précurseurs de la littérature algérienne ont choisi le chemin de l’exil pour cause de reconnaissance, de
nos jours, les plumes algériennes continuent à chercher, sous d’autres cieux plus inspirateurs, des lieux où ils
pourront donner libre cours à une écriture et surtout jouir d’une existence reconnue. Assia Djebar, qui écrit :
“L'entre-deux, j'y suis comme écrivain depuis trente ans, dans un tangage-langage (pour reprendre le titre de
Michel Leiris) qui détermine jusqu'à mes résidences géographiques.
Un aller-retour entre France et Algérie et vice-versa, sans savoir finalement où est l'aller, vers où aller, vers
quelle langue, vers quelle source, vers quels arrières, sans n’en plus savoir où se situerait le retour ? Comment
se construire/reconstruire une identité”, entreprend de surmonter les épreuves de cet exil en s’aidant de l’écrit
et de la littérature. Mohammed Dib illustre si bien cette notion d’exilé, lui qui n’a jamais joui de son vivant
d’aucune reconnaissance dans son pays, ni d’un hommage qui n’aurait pas été, quelle que soit sa teneur, à la
grandeur de l’homme.
N’est-ce pas un double exil que d’avoir ignoré cet homme reconnu pourtant universellement ?
C’est encore l’exil qui reste le deuxième thème important dans l’œuvre de Dib. “Je viens d’ailleurs”, “J’ai versé
tant de pleurs et vous n’avez pas pleuré…/J’ai compris ; je vous suis étranger.” Mohammed Dib s’en est allé en
ce jour de printemps, mais n’était-il pas parti, il y a trente-six ans ?

N. B.

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