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L’exil, c’est une traversée du désert et l’homme exilé est celui privé de sa patrie.

L’exil, c’est une


fracture. C’est une mort intérieure. Lorsqu’on part, on laisse un fragment de sa vie derrière soi. Le
lieu qu’on laisse derrière soi, c’est celui dont on vient, dont on est originaire. Et plus qu’un lieu, on
quitte un mode de vie rythmé par des habitudes, par des rapports sociaux desquels on est
accoutumé. On quitte une culture, une manière de vivre que nous partageons.
Mais ce qui se joue dans l’exil, ce n’est pas seulement ce déplacement ou cet éloignement qu’il
induit de manière nécessaire, mais ce replacement dans un lieu autre, dans un lieu étranger où
s’improvise un mode de vie nouveau, une langue nouvelle, un quotidien différent.
Et puis, l’exil, c’est aussi un mouvement de l’âme. On pourrait interpréter le platonisme comme une
philosophie de l’exil, en l’occurrence d’un exil du monde des idées, des formes intelligibles. L’exil
est alors saisi dans une dimension davantage métaphysique.
L’exil, c’est aussi l’exil d’une humanité aliénée par le capital chez Marx.
Enfin, l’exil c’est la condition humaine loin de son hypothétique créateur.
Dans quelles mesures l’exil est il à la fois un mouvement et une condition de l’homme, de l’homme
mais également de l’âme ?
Nous étudierons d’abord les différents aspects de l’exil géographique avant de nous pencher sur la
dimension davantage philosophique de l’exil comme mouvement de l’âme vers le corps et comme
aliénation, nous finirons par évoquer l’exil dans une dimension biblique.

L’exil c’est un déracinement. Déraciner, cela vient du latin exradicare, une variante de ce mot,
esrachier, signifie quant à lui arracher. Et l’arrachement parait d’autant plus violent que le
déracinement. La mauvaise herbe qu’on arrache, c’est à peine si on prend le temps de retirer ses
racines. L’homme exilé est celui qui laisse derrière soi ses racines. Celui qu’on a arraché de sa terre.
Et l’exilé éprouve la nostalgie de celui qui sait qu’il existe quelque part, chez lui, toute une vie qu’il
a laissée en plan, mais qui l’attend. « Mes livres étaient encore intacts dans ma maison de Salzburg,
j'avais encore mon passeport autrichien, la patrie était encore ma patrie, j'étais encore citoyen là-bas,
et citoyen en possession de tous mes droits » écrit Stephan Zweig dans le monde d’hier. La
nostalgie du pays existe car l’exilé y a toujours un pied, à la fois dans son âme, il se sent d’un
ailleurs dont il souffre de l’absence, mais aussi concrètement : dans cet ailleurs, il a des amis, une
maison, une famille, etc. La saudade, c’est ce mot portugais qu’on ne traduit pas qui désigne ce
sentiment de l’exilé. C’est un mélange de nostalgie, de mélancolie, mais aussi d’espoir. La saudade
est exprimée à travers la poésie du fado. Fado, du latin fatum, c’est le destin. Il y a véritablement
dans la saudade portugaise une tension entre ce désir d’ailleurs qui provoque un vif espoir de retour
et une mélancolie du résigné qui accepte son exil comme la fortune de la destiné. La poésie du fado,
c’est une façon de s’évader par la musique et les mots, pour le poète portugais Luís de Camões,
c’est une façon de trouver « un bonheur hors du monde ».

L’exil est rarement volontaire. Il est souvent motivé par un climat défavorable, voir carrément
hostile, qui règne dans son pays d’origine. C’est évidemment le cas des juifs et d’un certain nombre
d’intellectuels lors de l’arrivée du national-socialisme au pouvoir dans l’Allemagne et l’Autriche
des années trente. Pour n’en citer que quelques uns : Stephan Zweig, Thomas Mann, Arnold
Schönberg, Albert Einstein, Kurt Gödel, etc. Autant dont la propre patrie est devenue hostile à leur
égard, autant qui n’y sont plus les bienvenus. Et puis, il y a l’exil comme châtiment politique. C’est
l’ostracisme chez les grecs anciens. L’exil, l’expulsion contrainte, est vécu comme une trahison de
sa patrie. L’exilé se voit privé de patrie, où qu’il aille, il sera reçu comme un étranger, et cela même
dans le pays où il est né, celui qui l’a vu grandir. Emmanuel Carrère, dans son roman Limonov, une
biographie du poète russe Edouard Limonov, établit une comparaison entre l’exil de ce dernier, une
émigration choisie (quoique fortement motivée par le climat politique) et l’exil forcé de l’écrivain
Alexandre Soljenitsyne. Pour Emmanuel Carrère, le départ est animé pour les deux par un sentiment
semblable, celui de partir pour toujours. Il insiste sur ces deux mots « pour toujours » : « À nous
qui allons, venons et prenons des avions à notre guise, il est difficile de comprendre que le mot
«émigrer», pour un citoyen soviétique, désignait un voyage sans retour. Il nous est difficile de
comprendre ces mots, simples comme un coup de hache : «pour toujours» » martèle-t-il.
Ubi bene, ibi patria, déclare Aristophane dans le Ploutos. À vrai dire on est bien que chez soi. Là où
on a amis, famille et souvenirs. Celui, comme ces intellectuels en exil, qui n’a plus de chez lui, qui
est contraint à l’exil, « marche dans un espace vide au-dessus de la terre sans le filet de protection
que tend à tout être humain le pays qui est son propre pays » écrit Milan Kundera dans
L’insoutenable légèreté de l’être. Nous allons nous pencher sur le thème de l’exil dans l’oeuvre de
Kundera.

Reprenons cette citation. « Qui vit à l’étranger marche dans un espace vide au-dessus de la terre
sans le filet de protection que tend à tout être humain le pays qui est son propre pays, où il a sa
famille, ses collègues, ses amis, et où il se fait comprendre sans peine dans la langue qu’il connaît
depuis l’enfance ». La vie de l’exilé, semblable à celle de l’acrobate parait synonyme de légèreté,
mais cette légèreté est insoutenable au regard de l’absence de filet, il n’y a pas de légèreté quand la
chute est mortelle. En arrivant à l’étranger, l’individu évolue à vrai dire dans un vide sentimental. Il
n’a plus tous les repères qui jalonnent son quotidien, tous ces éléments évocateurs, pleins de sens,
qui fait d’un lieu son « chez soi ». Milan Kundera a fui la Tchécoslovaquie pour la France en 1975.
Ses romans font le récit de ce sentiment d’exil et de celui de nostalgie qui lui est subsidiaire. Le
Livre du Rire et de l’Oubli décrit cette nostalgie comme un « état tourmentant né du spectacle de
notre propre misère soudainement découvert ». Corroborant à la saudade portugaise, Kundera écrit
également que cette nostalgie « n’éveille pas de souvenirs, elle se suffit à elle-même, à sa propre
émotion ».

Mais le second aspect essentiel de l’exil chez Kundera, c’est le langage. Pour l’exilé, même la
communication devient un fardeau. L’homme est extirpé de son cocon linguistique où il pratiquait
sa langue maternelle pour être jeté dans un monde nouveau aux sonorités étrangères. Dans une
interview, l’écrivain confirme cela : « Quand je parle tchèque, les mots sortent tout seuls, sans
aucun effort, peut-être même sans ma pleine présence d’esprit. Quand je parle français, rien n’est
facile, aucun automatisme verbal ne me vient en aide. » La psychanalyste Julia Kristeva fait
référence à ce déséquilibre entre une langue et l’autre, elle affirme que l’on a beau se perfectionner
dans une langue étrangère, y devenir virtuose, lorsqu’on s’entend parler, l’illusion se déchire : la
mélodie de votre voix vous revient bizarre. Et voilà que l’homme se réfugie dans le silence, un
silence, non pas de colère, dit-elle, « mais un silence qui vide l’esprit ».

On retrouve également dans l’oeuvre de Kundera, le thème du retour d’exil. Le retour d’exil, c’est
inévitablement l’espoir de tout exilé. Et pourtant, Kundera nous révèle que ce retour est souvent
l’occasion d’une désillusion et d’un désenchantement. Tout d’abord, ce sont les liens qui se sont
coupés à mesure que dans le nouveau pays de nouveaux se formaient. Dans L’Ignorance, Irena se
rend compte que son passé est devenu méconnaissable, tout a changé. Ce qui faisait du lieu le sien
n’est plus, plus rien n’est évocateur de rien, ce pays qui était le sien, Irena ne le reconnait plus. Dans
le cas de Josef, c’est encore pire. Lui ne s’identifie plus avec sa langue maternelle : « il entendait
parler tchèque et c’était de nouveau, monotone et désagréablement blasé, une langue inconnue »,
écrit Kundera.
Cependant après avoir étudié l’exil comme pure négativité, comme déracinement, essayons de lui
trouver quelques points positifs, d’abord chez Kundera puis chez Sénèque.

Chez Kundera, l’exil est ambiguë, à la fois drame et salut. C’est un déracinement mais aussi un
nouveau départ. À contre-courant du moralisme larmoyant, comme il l’appelle, de la seconde moitié
du XXème siècle qui s’apitoie sur le sort des exilés, Kundera trouve également dans l’exil un départ
vers un ailleurs « ouvert à toutes les possibilités ». L’exil, c’est aussi la possibilité de repartir à
zéro, faire table rase du passé. Alors l’exil devient un jeu de poker, c’est l’opportunité de tenter à
nouveau sa chance, au risque de tout perdre ou d’y gagner ! L’écrivain Shmuel Trigano, lui aussi,
exhorte à, je cite, « apprendre à voir l’exil comme un choix libre, un projet créatif que l’homme fait
dans la condition de déracinée ».

Pour Sénèque également, l’exil est peu de chose. En tout cas, l’homme n’a rien d’essentiel à y
perdre. Pour lui, l’exil n’est rien dès lors que l’on s’efforce de ne pas vivre comme un exilé mais au
contraire, en bon stoïcien, comme un homme vertueux. La vertu est gage de stabilité et d’ataraxie.
L’homme vertueux ne souffre pas des vents mauvais de la fortune, qu’il soit en sa patrie ou bien
ailleurs. Et puis, il y a bel et bien de la vertu à surmonter les mauvais coups de la fortune. En fait,
selon Sénèque, vivre en exilé, là est le véritable problème. Celui qui vit en exilé, vit en l’absence de
raison. C’est en cela qu’il importe à l’homme d’être philosophe : la pensée est partout et nul lieu
n’est plus approprié pour penser qu’un autre et en nul lieu il est impossible de penser librement. La
pensée appartient en plus à chacun, qu’il soit riche ou qu’il soit pauvre. En somme, l’universalisme
de Sénèque fait de l’exil en tant que tel un non-problème. Il dit d’ailleurs « d’où que provienne le
regard qui se pose sur le ciel, la distance est partout la même entre le domaine du divin et celui de
l’humain ».
Jusqu’ici, nous avons interrogé l’exil dans un sens à vrai dire uniquement géographique. Il convient
peut-être de prendre un peu de hauteur. Car l’exil est aussi exil de soi, si ce n’est, peut-être,
aliénation.

Lucrèce, dans De natura rerum, écrit que « chacun passe son temps à se fuir », l’âme ne cesse
s’esquiver.
L’exil de la conscience qui consiste à s’échapper du corps au profit des idées, c’est ce qui fait de
Platon le premier exilé de la philosophie. Platon affirme l’urgence qu’il y a à fuir le monde
sensible : monde de l’illusion et du mensonge, par la force de la raison. Or pour Platon, pour que
son âme s’exil dans le monde des formes intelligibles, c’est à dire des idées, la méthode dialectique
est essentielle. L’exil est possible par l’art dialectique, c’est à dire l’art du dialogue. Dans le livre
VII de la République, il est écrit que « la méthode dialectique est donc la seule qui s’élève jusqu’au
principe même pour établir solidement ses conclusions, et qui, vraiment, tire peu à peu l’œil de
l’âme de la fange grossière où il est plongé et l’élève vers la région supérieure ».
Pour autant, Platon affirme que les âmes résident à l’origine dans le monde des idées. Mais l’âme
s’est engagée dans un corps et alors s’est alourdie tellement qu’elle en est tombée dans le monde
sensible. C’est le thème de la chute de l’âme. Tandis que celle véritable reste auprès des dieux.
L’exil vers le monde des idées est donc un retour au pays, soit le contraire même de l’exil. L’exil
chez Platon est peut-être alors la condition de l’homme en chaire.
À partir de cela, les philosophes platoniciens vont continuer de developper cette sorte de
métaphysique de l’exil. C’est notamment le cas de Plotin dans ses Ennéades. Il théorise une
procession des hypostases, c’est à dire, dans l’ontologie plotinienne, une partie de la divinité
unique. Ces hypostases sont structurées selon un système ternaire : l’Un, l’intellect, l’Âme. Plotin
écrit qu'« On peut comparer l'Un à la lumière, l'être qui le suit [l'Intellect] au Soleil, et le troisième
[l'Âme] à l'astre de la Lune qui reçoit sa lumière du Soleil. » Chez Plotin, on retrouve donc un
univers hiérarchisé où l’âme peut à la fois s’élever, vers l’Un, ou s’abaisser, vers l’âme. L’idée de
l’exil est semblable à celle de Platon, il y a une fuite originaire de l’âme qui, selon Plotin, est attirée
par son propre reflet dans le monde sensible. La conclusion est la même que chez Platon : l’âme est
en exil dans le monde sensible, pour retourner dans sa patrie de la lumière, elle doit remonter les
hypostases vers l’Un. On retrouve donc dans le platonisme et néo-platonisme cette idée d’un âme
exilée qui n’est pas là où elle devrait être. Dans une lecture chrétienne, l’âme semble être sous le
coup d’un péché originel qui consisterait en cette chute du monde des idées.

La métaphore de l’exil de l’âme chez Platon, c’est bien évidemment l’allégorie de la caverne. Cette
caverne où l’humanité est en exil, condamnée à contempler d’un oeil hébété les réalités sensibles et
les objets de l’opinion, privée des formes intelligibles. Le philosophe est celui qui s’échappe de la
caverne et qui accède à ce fameux monde des idées. C’est l’homme qui rentre d’exil. Pour autant,
cette allégorie a un sens également politique que va critiquer Marx. Elle met en scène l’idéal
politique platonicien d’un gouvernement des philosophes, c’est à dire un gouvernement des idées,
ce que le matérialisme marxiste révoque.

On a saisi un aspect de l’exil de soi avec le platonisme, exil de soi qui est rendu possible par le
dualisme entre l’âme et le corps, mais il convient à présent d’élargir la compréhension de ce
concept par lequel l’homme s’exil de lui-même. Nous allons donc nous pencher sur la question de
l’aliénation comme un autre angle d’étude de l’exil de soi.
L’aliéné, du latin alienus, c’est celui qui est étranger à sa propre nature. C’est à dire véritablement
en exil de lui-même. L’aliénation est la situation d’existence où l’humanité de l’homme se perd,
s’absente de celui-ci. L’aliéné est le corps doué de conscience qui n’est plus homme. C’est un exil
psychologique et l’aliénation, sorte de dépersonnalisation, semble relever d’une maladie mentale.
Chez Marx l’aliénation va être définie comme cette perte d’humanité. Mais elle est à comprendre
chez lui, comme un dommage collatéral du capital et de la libéralisme économique. L’aliéné selon
Marx c’est cet ouvrier dont toute l’existence est consacrée à la production de marchandises, et par là
même de richesse dont il ne profite pas. L’ouvrier devient une « bête de somme », il n’est plus
qu’une machine, un pion dans le processus de fabrication. Il ne possède pas sa production ni même
son outil de travail, pour reprend les mots du philosophe allemand : « l’ouvrier devient une
marchandise d’autant plus vile qu’il crée plus de marchandises. »
l’homme qui travaille a besoin de reconnaitre dans le monde transformé par son travail sa propre
oeuvre. L’homme a besoin de créer à travers son travail mais sans résultat perceptible de ses efforts,
son travail devient une abstraction. Celui qui répète irrémédiablement le même geste sur la chaîne
de montage n’est plus qu’un pion remplaçable. Il n’a aucune emprise sur sa production, il ne peut
plus se reconnaitre dans l’objet final. L’aliéné est donc en exil de son humanité, condamné à une
activité absurde, il n’est plus que le moyen d’une fin qui échappe à son entendement.
C’est dans cette perspective que Matthew Crawford préconise l’artisanat comme retour d’exil. Il n’y
a rien de plus concret et de plus engageant personnellement que construire une table ou de réparer
une moto. Le résultat de son travail apparait limpide et cette limpidité libère l’homme des pouvoirs
mortifères de l’abstraction.
Chez Philippe Muray, l’aliénation moderne, le mal du temps, c’est le divertissement, l’accumulation
de fêtes. l’Homo Festivus, comme il l’appelle, c’est l’homme qui ne supporte ni la critique ni les
mauvais sentiments et qui s’adonne à la fête comme diversion. Pour Muray, on fait la fête sans autre
raison que pour celle de se déconnecter de la réalité. Dans cette perspective, le divertissement est un
exil, un exil de la réalité, et l’Homo festivus est un exilé. C’est vrai, la fête n’est plus subversive,
elle n’est plus un instant de rupture du quotidien mais devient le quotidien selon Muray. Défendue
par la puissance publique, la fête devient la réalité. Cela peut faire pense à la société du spectacle de
Guy Debord. Chez Debord, la société capitaliste est en tant que telle un fait social et tout n’est plus
qu’illusion, image médiatisée, marketing. Tout n’est plus que consommable et ce jusqu’à l’identité
propre de chacun qui suit alors des modèles archétypaux, eux-mêmes biens de consommation.
Jusque dans les rapports sociaux, la réalité n’est plus qu’illusion de la réalité, l’homme
qu’aliénation. L’exil est total chez Debord.
Mais chez Muray, la fête joue ce rôle de diversion de la réalité, le réel est sans cesse mis en scène, et
l’homme vit alors dans une vaste mascarade, un semblant de réalité qui l’extrait de la véritable
réalité. Cette thèse de Muray fait écho au fameux
divertissement pascalien. l’Homo festivus fait la fête pour se divertir et l’homme se divertit pour
fuir sa condition de mortelle. Le divertissement est en cela un exil de l’homme de sa condition
naturelle.

Nous avons vu avec le platonisme que l’exil était la condition de l’homme sur terre. La chute de
l’âme nous a d’ailleurs permis une évocation du thème biblique du péché originel. Dans la religion
chrétienne et juive, l’exil est absolument central. Tout d’abord, comme le rappelle Rémi Brague
dans son livre Du Dieu des chrétiens et d’un ou deux autres, c’est l’exil, contraint, du peuple juif
d’Israël et du Royaume de Juda à Babylone sous le règne de Nabuchodonosor II qui, en quelque
sorte, créé le monothéisme. Avant cette déportation, YHWH est le dieu d’Israël en lequel croit les
juifs mais il n’est encore, pour reprendre l’expression de Tocqueville, qu’un « dieu municipal ». Les
juifs considèrent légitime les autres dieux des autres peuples. Après la déportation à Babylone, les
juifs ne considèrent plus les autres dieux comme tels, et leurs adeptes deviennent des païens. C’est
en cela que l’exil créé véritablement le monothéisme. Il n’y a qu’un seul vrai dieu, c’est Dieu avec
un D majuscule. C’est donc sous le coup de la persécution que le judaïsme se radicalise en quelques
sortes dans son monothéisme.

Aussi, dans le christianisme, le Chrétien est un homo viator. Depuis sa chute, son âme est en éternel
pérégrination dans le monde, en exil sur terre, loin du Christ. Dans la Première épître aux
Corinthiens du Nouveau Testament, l’apôtre Paul écrit : « Tant que nous demeurons dans notre
corps, nous sommes en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi, non dans la claire
vision. » On retrouve assez nettement la conception platonicienne de l’âme humaine en exil du
monde des idées. Ici il n’est pas question de formes intelligibles mais du Seigneur dont le Chrétien
souffre de l’absence. Dans La pesanteur et la grâce, Simone Weil écrit que « Dieu ne peut être
présent dans la création que sous la forme de l’absence. » Et le Chrétien en exil, comme tout exilé,
désire ce retour à Dieu, ce retour d’exil. C’est pour cela que le Chrétien doit mépriser le monde pour
mieux servir Dieu comme le rappelle l’Imitation. Il y est écrit que « La souveraine sagesse est de
tendre au Royaume du Ciel par le mépris du monde ». Car le Chrétien se sait d’un ailleurs, il se sait
de la cité de Dieu, sa patrie est là-bas. Il faut tout de même noté que le message christique n’est pas
platonique : il ne s’agit pas tant de jeter l’anathème sur le monde sensible que de s’efforcer à le
transfigurer par exemple par la prière, par la dévotion, etc. À ce titre, les Confessions de Saint
Augustin sont bien l’œuvre d’un homme qui sort de cet état d’exilé en priant Dieu, c’est-à-dire en
s’exilant de son exil. À travers ses Confessions, il chemine vers Dieu pour retrouver son origine :
pour rentrer d’exil.

L’exil, c’est à la fois un déplacement géographique et une privation de sa patrie et à la fois un


mouvement de l’âme vers le corps ou un mouvement de l’homme hors de son humanité. L’exil c’est
forcément une fracture, c’est souvent le lieu d’un mal-être. L’exilé est généralement animé par
l’espoir d’un retour : retour de l’homme dans sa patrie, retour de l’âme dans le monde des idées,
retour de l'aliéné à son humanité et retour du Chrétien à Dieu. Mais le retour est aussi source de
désillusion. Les exilés, ceux sont ceux qui ont en commun de ne pas être là où ils devraient être,
mais qui n’ont plus toujours envie de rentrer. Les hommes se sont acclimatés ailleurs et s’y sont
accoutumés, ils ne veulent plus sortir de la caverne, peut-être tuerait-il celui qui les en exhorte
suggère Platon,

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