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Romuald FONKOUA
AIMÉ CÉSAIRE
(1913-2008)
www.editions-perrin.fr
Secrétaire générale de la collection :
Marguerite de Marcillac
© Perrin, 2010
et 2013 pour la présente édition
© Studio Lipnitzki/Roger-Viollet
EAN : 978-2-262-04265-3
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute
reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est
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intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
Je t’énonce
FANON
Tu rayes le fer
Tu rayes le barreau des prisons
Tu rayes le regard des bourreaux
Guerrier-silex
Vomi
Par la gueule du serpent de la mangrove 2
Le manieur de mots
Cette bonne humeur n’est plus de mise quinze mois plus tard. Au matin
du 28 février 2008, à 10 heures, Aimé Césaire me reçoit, à nouveau, dans
son bureau de l’ancienne mairie. Cette fois-ci, je suis seul. Camille
Darsières s’est éteint brutalement à la fin de l’année 2006. Je perds avec lui
une mémoire vivante de l’histoire contemporaine de la Martinique, un acteur
et un guide éclairé de la politique de l’île vue du dedans – et, disons-le bien
– une caution importante auprès de l’ancien maire3. Césaire, lui, avait sans
doute perdu un ami cher et un complice précieux.
Le poète me semble bien fatigué, et je me reproche déjà d’avoir insisté
auprès de sa fidèle secrétaire pour que le rendez-vous soit maintenu. Un
accident domestique l’empêche de se déplacer autrement qu’avec deux
chaussures inégales et différentes, dont une moufle. J’avais gardé le souvenir
d’un homme qui ne tenait pas en place lors de notre dernière rencontre.
Elégamment vêtu d’un costume gris impeccable, il ne savait s’asseoir que
pour mieux se relever, allant de la table basse à son bureau. Maintenant,
l’homme a vieilli. Son costume est correct, mais un peu négligé. La blessure
au pied, profonde, douloureuse, lui fait prendre conscience de la vanité de
son corps, de son handicap, et même d’une possible impotence. Il ne
supporte rien d’autre que la lecture que lui firent, durant ma courte présence,
ce matin-là, une étudiante venue de Paris, qui achève sa thèse sur son
œuvre4, et un journaliste de France-Antilles5. L’une, qu’il appelle
affectueusement Kori, lui lit de la poésie. L’autre, « l’esclave
sénégalais qu’il retenait dans son île », comme il le nomme malicieusement,
la presse quotidienne.
En réalité, dans son état, affaibli, Césaire ne supporte plus d’être bercé
que par les seuls mots de sa poésie. Il les redécouvre avec avidité dans la
bouche des autres. Et si ces mots sont dits par une belle voix, c’est encore
mieux. Césaire semble ne plus vivre et ne plus se comprendre que par et
dans ses mots. Cette attitude du poète renvoyait selon moi à son œuvre tout
entière. Dans Cahier d’un retour au pays natal, c’était par les mots, déjà,
comme il le disait, « que nous manions des quartiers de monde ». Par eux
aussi que « nous épousons des continents en délire, que nous forçons des
fumantes portes ». « Des mots, ah oui, des mots ! mais des mots de sang frais,
des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et
des laves et des feux de brousse et des flambées de chair et des flambées de
villes… » Dans Moi, laminaire, le poète considère le mot comme un
viatique. Il suffit de se remémorer quelques vers du poème « Mot-
macumba » :
Il y a des mots bâton-de-nage pour écarter les squales
il y a des mots iguanes
il y a des mots subtils ce sont des mots phasmes
il y a des mots d’ombre avec des réveils en colère
d’étincelles
il y a des mots Shango
il m’arrive de nager de ruse sur le dos d’un mot dauphin.
L’invention de la négritude
La revue L’Etudiant noir est le fruit de la khâgne, le Cahier d’un retour
au pays natal sera le produit de son passage à l’Ecole normale supérieure
de la rue d’Ulm. Aimé Césaire a évoqué maintes fois les circonstances
historiques de la création de ce long poème. A l’origine, il y a la rencontre
avec le Croate Petar Guberina (1913-2005), étudiant en linguistique qui
conduira plus tard d’importants travaux scientifiques de phonétique
sensorielle. A Francis Marmande, Césaire a raconté la scène :
« Un soir de 1935, je rentre à la Cité universitaire. Je reviens du théâtre :
Giraudoux, joué par Jouvet, je n’allais pas rater ça ! Je traîne, librairies,
bouquinistes, je n’ai plus un sou. A la cantine, je prends, je ne sais plus,
quelques traces de tomates. Alors la serveuse me dit : “Vous ne mangez
jamais de viande ? Vous n’avez pas d’argent ? – Non, mademoiselle, ce n’est
pas une question d’argent, c’est une question de philosophie : je suis
végétarien.” Grand éclat de rire derrière moi ! C’est ce beau type, assez
sombre de peau, Petar Guberina : “Moi, aussi, je suis végétarien, pour la
même philosophie !” » La serveuse qui a vite compris que la philosophie
dont il s’agit n’est rien d’autre que celle de l’étudiant fauché, ferme les yeux
devant ces végétariens de circonstance.
« On devient copains, les meilleurs du monde, poursuit Césaire […]. A
son retour chez lui, il me télégraphie : “Aimé, qu’est-ce que tu fous à Paris ?
Tu t’emmerdes, c’est l’été, viens me voir à Zagreb.” Je n’ai pas un sou pour
retourner en Martinique, et ce fou m’invite en Croatie. Bref, je prends le
train. Au bout, sur le quai, sa famille me réserve un accueil extraordinaire.
Les paysages, le découpé de la côte, l’exil, la mer, tout me rappelle la
Martinique. Et du troisième étage de la maison, devant un paysage de
splendeur qui me rappelait le Carbet, j’aperçois une nuée d’îles : “Petar,
regarde celle-là : c’est ma préférée, comment s’appelle-t-elle ? –
Martinska ! – Mais alors ! C’est la Martinique, Pierrot !” Autrement dit, faute
d’argent, j’arrive dans un pays qui n’est pas le mien, dont on me dit qu’il se
nomme Martinique. “Passe-moi une feuille de papier !” : ainsi commencé-je
Cahier d’un retour au pays natal 50. »
Le voyage de Césaire à Sibenik, en Dalmatie, relève de la simple
politesse rendue à un ami. Cependant, on ne peut s’empêcher de penser qu’il
servira aussi de voyage d’étude semblable à celui des khâgneux en France et
en Europe dans l’entre-deux-guerres. Césaire, qui voyage peu durant ces
années, va confronter les « cours d’histoire sur le Moyen-Orient, le Proche-
Orient » reçus « en classe de philo et en première supérieure » où le « grand
phénomène est l’apparition des nouvelles nations » avec le réel. A la
différence de son arrivée en France sur laquelle Césaire n’est guère loquace,
ici, il est plus disert et sa curiosité est infinie. La langue croate lui rappelle
celle des Tamouls entendue dans son enfance. Il apprivoise quelques mots.
La convivialité des paysans autour du raki (l’alcool local) lui évoque celle
des coolies ou des Nègres autour du tafia (ou du rhum) aux Antilles. La
croyance aux superstitions est la même ici que dans les Caraïbes. Le voyage
en Croatie qu’il s’offre à l’Ecole normale le ramène paradoxalement à la
Martinique. Et si la terre considérée comme une île (qui n’en est pas
vraiment une en réalité) porte le nom Martinska, c’est beaucoup moins pour
des raisons géographiques et onomastiques que pour les us et coutumes du
pays qui sont antillais… Le retour au pays natal s’effectuera donc en
Yougoslavie, et l’écriture poétique dans un cahier parce que son hôte, Petar
Guberina, ne possède pas de papier51.
La publication effective du Cahier se fera aussi par le truchement de la
rue d’Ulm. Césaire a souvent raconté cet épisode, avec les raccourcis
habituels qu’il faut compléter et éclairer. Pierre Petitbon (1910-1940), un
agrégé de lettres (promotion 1929), qui exerçait alors comme secrétaire de
l’Ecole, après avoir été « caïman » (agrégé-répétiteur) avait avec justesse
pressenti l’écrivain dans les dissertations de Césaire. Contraint d’avouer
cette pratique secrète, Césaire lui avait alors apporté une version du Cahier.
Petitbon lui avait demandé de retravailler le manuscrit et s’était engagé à
l’aider à le publier. C’est d’ailleurs en ce sens que Césaire rédige la lettre
qu’il lui adresse le 28 mai 1939 : « Je vous envoie mon manuscrit revu et
corrigé. Çà et là quelques additions. Et surtout j’ai modifié la fin dans le
sens que vous m’avez indiqué. Plus vertigineuse et plus finale, je crois. » Il
demande ensuite à son interlocuteur de lui « renvoyer la copie
dactylographiée non corrigée » laissée chez lui « lors de sa visite » à
l’adresse de l’Ecole, 45, rue d’Ulm, Paris Ve. Bien avant de disparaître dans
la tourmente de Dunkerque, Pierre Petitbon a veillé à ce que le texte paraisse
dans la revue Volontés créée par Raymond Queneau et Georges Pelorson
(1909-200852). Le long poème paraît dans le numéro 20 de la revue, au mois
d’août 1939, quelques jours seulement avant le retour réel et effectif de
Césaire dans son île natale. La divergence politique de ces deux personnages
clés qui ont contribué à la publication du Cahier (Petitbon, Pelorson) atteste
de la diversité des courants qui règnent à l’Ecole normale : les affinités
intellectuelles et littéraires ne recoupent pas nécessairement les engagements
politiques. Les conditions de cette naissance permettent cependant de jeter a
posteriori un autre regard sur les débuts discrets de ce long poème.
L’écriture du Cahier doit autant aux conseils avisés d’agrégés comme
Petitbon, au fonctionnement des réseaux de normaliens tissés par Pelorson
qu’à l’efficacité de la méthode de lecture préconisée pour la préparation au
concours d’entrée à l’Ecole et pour l’agrégation. Dans l’étude consacrée aux
mots rares dans l’œuvre d’Aimé Césaire, René Hénane rappelle que son
travail de recherche l’a conduit à faire « une intrusion dans les aîtres de la
bibliothèque de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm où sur le cuir
vieilli des reliures », il a « senti l’empreinte des doigts des “deux râleux et
cagneux”, Senghor et Césaire53 ». Il insiste particulièrement sur le fait que
l’hermétisme dont on accuse Césaire n’est que le résultat d’un travail intense
sur le lexique. En fait, affirme ce critique, « Césaire use peu du
néologisme », il est tout simplement un archaïque « gourmand », un
« intellectuel raffiné » chez qui la saveur particulière des mots « frise le
cultisme et la préciosité baroque ».
Ce que suggère Hénane dans sa lecture presque anthropologique du
Cahier d’un retour au pays natal, c’est que le poème est en soi un
condensé de la bibliothèque de la rue d’Ulm. Les mots utilisés peuvent être
retrouvés dans les dictionnaires (de langue, étymologique, etc.), les
encyclopédies, les histoires naturelles (celle de Buffon ou de Cuvier et
Lacépède). Ils sont le fruit des lectures faites par le Martiniquais pour
acquérir une langue précise :
Si je nomme avec précision (ce qui fait parler de mon exotisme), écrit Césaire à
Lilyan Kesteloot, c’est qu’en nommant avec précision, je crois que l’on restitue à
l’objet sa valeur personnelle… on le suscite dans sa valeur unique et singulière ; on
salue sa valeur de force ; sa valeur-force… en les nommant, flore, faune dans leur
étrangeté, je participe à leur force ; je participe de leur force 54.
Cette exigence du mot juste explique l’étendue des lectures du normalien,
dont on n’établira pas ici le détail. Toutefois, dans cette consommation
effrénée, un texte va exercer sur Césaire une influence définitive. Il s’agit de
l’Histoire de la civilisation africaine de Leo Frobenius (1873-1938).
Césaire le découvre au cours de l’hiver 1936 et en offre un exemplaire à
Senghor, à l’occasion des fêtes de fin d’année. Cet essai d’anthropologie est
d’autant plus sérieux qu’il a fait l’objet d’une recension dans le numéro du
mois de septembre 1936 de la Nouvelle revue française et d’une autre
dans le numéro du 1er décembre de la revue Esprit55.
Voilà une découverte qui constitue un tournant dans la vie intellectuelle
de Césaire pour plusieurs raisons. A la différence des auteurs des
publications nègres antérieures, le jeune normalien, toujours très attentif à
tout ce qui peut étoffer le substrat théorique de son discours sur la question
noire, va trouver dans cette œuvre une source inépuisable à laquelle
s’abreuver. Ceux-là avaient lu les marxistes et les surréalistes. Ils avaient
seulement oublié, selon Césaire, de lire les ethnologues et les africanistes.
Le titre même de l’ouvrage est un autre motif d’éblouissement. Il est, pour
Césaire, l’expression d’une révolution. L’Histoire de la civilisation
africaine condensait en trois mots l’essentiel : l’Afrique, terre de
civilisation, avait une histoire sur laquelle on pouvait construire un discours
rationnel.
De fait, le Cahier porte les traces du discours ethnologique de celui que
la critique a surnommé le « poète de l’anthropologie » à cause de son
imagination foisonnante en hypothèses les plus hardies, comme le rappelle
Paul Mercier56. Bien que sa thèse soit marquée par le romantisme et la
métaphysique en vigueur dans son pays, l’ethnologue allemand défendait
l’idée d’un essaimage des cultures en rameaux successifs à l’échelle du
continent africain. A travers son concept de « Païdeuma » (la gens), il a
établi les caractères des Nègres qui « s’abandonnent, saisis à l’essence de
toute chose », dans un monde où « l’homme joue le jeu du monde ». Le rejet
de l’appartenance du Nègre au monde de la technique est défense de sa
participation au monde de la profondeur, à « l’essence des choses ». C’est en
reconnaissant et en approfondissant cette qualité que le Nègre pourra
revendiquer son identité. Grâce à Frobenius, le Cahier d’un retour au
pays natal est devenu, selon la belle expression de Césaire, « l’odyssée
d’une prise de conscience », l’expression « d’une identité réconciliée avec
l’universel57 ». Dépasser la condition misérable faite au Nègre dans le
monde occidental par un approfondissement paradoxal des savoirs consacrés
au Noir dans les disciplines reconnues de ce même monde, telle est en
définitive la plus grande des leçons acquises en khâgne.
Cette position minimise la portée du surréalisme dans l’œuvre de
Césaire au sortir de l’Ecole normale supérieure. En effet, Césaire a toujours
rejeté l’influence des surréalistes sur son œuvre, en arguant du fait, soit qu’il
était surréaliste comme Monsieur Jourdain prosateur, soit qu’il ne partageait
avec ceux-ci que les influences littéraires et poétiques. Mais en réalité, si
son écriture poétique est affranchie de toute influence surréaliste, c’est tout
simplement parce que ce mouvement n’exerce aucune attraction sur les
khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres58. N’y figurera qu’un seul
normalien, Roger Caillois, lui-même placé sous la coupe de Louis Aragon.
Ces deux personnalités entretiendront plus tard avec Césaire des relations
fraîches : le normalien martiniquais croisera plus tard le fer avec Caillois
sur la question de la « différence des cultures » et avec Aragon sur la
question de la « littérature nationale ».
Suzanne et Aimé Césaire reviennent dans leur pays natal pour la rentrée
scolaire de 1939. Ils ont été précédés par l’amiral Georges Robert (1875-
196563) qui sera bientôt nommé à Fort-de-France haut-commissaire des
Antilles et de la Guyane par le gouvernement de Vichy. Sous son règne, la
situation administrative, politique et sociale de la Martinique change. L’île
va vivre pendant près de quatre ans (1940-1943) au rythme des rigueurs de
la révolution nationale.
Les Césaire ont sollicité et obtenu des postes d’enseignants. Aimé sera
professeur de français et latin au lycée Schoelcher, Suzanne professeur de
français au collège technique de Bellevue. Pour lui, c’est le début d’une
expérience nouvelle. Pour elle, la poursuite d’une activité d’enseignement
commencée en métropole. Dès leur arrivée, ces deux éducateurs
s’investissent dans une entreprise d’intellectuels engagés en créant une revue
culturelle. Ils seront rejoints par d’autres jeunes couples (les Maugée par
exemple, Mireille et Aristide) et par d’anciens membres de la fameuse
Association des étudiants martiniquais en France revenus eux aussi aux
Antilles. Sous les tropiques, la formation des jeunes, l’engagement culturel et
la création littéraire occupent rapidement le temps du jeune professeur de
lettres Aimé Césaire.
Le lézard vert
Dès son arrivée au lycée Schoelcher, le premier normalien de lettres noir
de la Martinique se fait remarquer de ses élèves. Son « superbe complet
vert, vert bouteille ou vert perroquet » – dont se souvient Roland Suvélor64 –
qui ne traduit pas chez lui un sens aigu du bon goût vestimentaire et son
zézaiement suscitent chez ses élèves des rires moqueurs. Ils l’ont surnommé
le « Lézard vert ». Comme c’est souvent le cas dans les cours de recréation,
la vérité profonde du surnom va bien au-delà du réel immédiat. Perspicaces,
ces élèves ont mis au jour le fond de l’être de ce jeune professeur de vingt-
six ans. Il s’est comparé lui-même à de nombreuses variétés de reptiles.
Dans « Les armes miraculeuses65 », le miroir du poète lui renvoie, « jusqu’à
la paupière des dunes sur les villes interdites », l’image d’une scolopendre.
Dans le poème « Barbare », Césaire considère qu’il cache en lui « le serpent
cracheur qui, de ses putréfiantes chairs, le réveille », qu’il peut se
transformer en « gecko » : « soudain gecko volant », « soudain gecko
frangé ».
En l’affublant de ce surnom reptilien, les lycéens de Schoelcher
replacent Césaire au cœur de l’imaginaire antillais. En Martinique (comme
en Guadeloupe), la scolopendre, le gecko, le margouillat (qui se dit en
créole « mabouya ») sont des animaux maléfiques66. Si le choix du surnom
marque, incontestablement, la crainte de l’autorité – que suscite chez tout
enfant le maître –, il est aussi l’expression d’un défi. Pour eux, Césaire a
retourné à son profit les peurs de l’enfance. Il est devenu à son tour, dans le
monde des adultes qui s’invente sous leurs yeux, un épouvantail. Cette
opération suscite toute leur admiration. Le poète leur donne raison. Dans la
finale du poème « Barbare », le gecko se « colle si bien aux lieux mêmes de
la force qu’il vous faudra pour m’oublier, prévient le poète, jeter aux chiens
la chair velue de vos poitrines ». Dans « Les armes miraculeuses », la
scolopendre conduit « jusqu’à la débâcle crépitante et grave qui jette les
villes naines à la tête des chevaux les plus fougueux quand en plein sable
elles lèvent ».
Pour ses élèves, ce surnom renvoie aussi aux performances physiques de
leur professeur de français et de latin. Durant ses cours, Aimé Césaire ne
tient pas en place ! Agité, il déclame les vers de Racine ou de Molière ou lit
les poèmes de Rimbaud en montant sur les bancs ! En effet, le lézard vert
(Lacerta viridis) est aussi un lézard agile (Lacerta agilis). Dans ses
classes, il se comporte à la manière d’un « acrobate » tel que l’avaient connu
ses condisciples de la rue d’Ulm, Jean-Toussaint et Dominique Desanti. Pour
l’un, il avait l’allure d’un basketteur noir (ou d’un sportif 67). Pour l’autre,
Césaire faisait son exercice d’acrobate sur le toit en pente douce de l’Ecole
normale « en riant » les soirs de fête68. Ce caractère juvénile (vert justement)
s’imposait par sa nouveauté dans le monde feutré et un peu guindé du lycée
Schoelcher.
Ses élèves se souviennent d’un professeur passionné, mettant un point
d’honneur à intéresser le maximum d’élèves aux cours de littérature et de
lettres classiques. En ce sens, Césaire partage avec Senghor l’idée de
l’utilité de ces dernières dans la formation des humanités antillaises (et/ou
nègres). Senghor encourage la production de manuels d’enseignement de
latin pour le Sénégal69. Césaire assume la charge d’une classe de première
supérieure créée aux Antilles dans le but d’offrir aux élèves martiniquais qui
ne peuvent se rendre en métropole les moyens de se préparer un avenir.
Paradoxe de l’Occupation sous les tropiques antillais ! C’est au moment où
l’île de la Martinique est fermée sur elle-même et au monde que les autorités
de Vichy envisagent de créer des classes préparatoires, d’ériger l’embryon
d’une khâgne martiniquaise d’un niveau égal aux khâgnes des provinces
métropolitaines (Lyon, Toulouse ou Lille).
Sa réputation durant ses années d’enseignant au lycée Schoelcher n’est
pas usurpée. Jeune professeur faisant « un peu de bruit », Aimé Césaire
reconnaît lui-même avoir exercé entre 1940 et 1945 une certaine influence
sur plusieurs générations d’élèves ou d’anciens élèves70. Parmi ceux-ci
figurent le sociologue Roland Suvélor (né en 1923) – bien qu’il soit un peu
plus avancé en âge –, le psychiatre Frantz Fanon (1925-1961), l’essayiste
Edouard Glissant (né en 1928), le poète Georges Desportes (né en 1921)
(premier président de la Fondation Aimé-Césaire nouvellement créée) ou le
poète Eugène Devrain. Mais ce que ces anciens disciples retiennent de lui –
à l’instar de nombreux autres intellectuels antillais de cette époque comme
Joseph Zobel (1915-2006) –, c’est beaucoup moins les leçons académiques
que les idées que Césaire a apportées sur le plan culturel et politique à
travers la revue Tropiques.
Terre muette, terre stérile c’est de la nôtre que je parle. Et mon ouïe mesure par la
Caraïbe l’effrayant silence de l’Homme. Europe. Afrique. Asie. J’entends hurler
l’acier, le tam-tam parmi la brousse, le temple prier parmi les banians. Et je sais que
c’est l’homme qui parle. Encore et toujours, et j’écoute. Mais ici l’atrophiement
monstrueux de la voix, le séculaire accablement, le prodigieux mutisme.
Ce silence peut être mesuré, selon Césaire, à travers l’absence de toute
architecture. Dans toutes les autres civilisations, des monuments constituent
le signe d’une expansion ou d’une manifestation culturelle. Ici, au contraire,
« point de ville. Point d’art. Point de poésie. Point de civilisation, la vraie,
je veux dire cette projection de l’homme sur le monde73 ». A cette société
antillaise qui avait toujours souffert d’un « manque », d’un « vide », d’une
« absence » et qui avait été habituée à la « consommation culturelle », il
fallait pourtant « un centre de réflexion, un bureau de pensée, donc une
revue74… » Pour parvenir à ses fins, Aimé Césaire va engager les jeunes
intellectuels antillais à faire de nécessité vertu. N’ayant « de lien avec rien
du tout », ils vont user des moyens dérisoires dont ils disposent. Les
bibliothèques étant inexistantes, la circulation des livres impossible, ils sont
obligés de vivre « sur leur propre fonds ». Ces professeurs engagés vont
puiser dans leurs pauvres bibliothèques personnelles, rassembler leurs
souvenirs scolaires, mobiliser leur savoir du moment et toutes les
connaissances accumulées durant leur séjour dans les grandes écoles
parisiennes et françaises pour élaborer un discours sur la culture antillaise.
Dans ces conditions, Tropiques, qui est en train de chercher son ton, ne peut
éviter le « bricolage ». A l’analyse, comme l’a bien remarqué Césaire lui-
même, la revue est « éclectique » dans le choix de ses sujets et
« professorale » dans son contenu. Elle reflète ainsi dans ses premiers
numéros tout au moins « le goût universitaire d’alors ».
Le jugement de Césaire a posteriori est plus sévère encore. Mais
derrière cet éclectisme se dégagent quelques constantes qui donnent à
Tropiques son unité et son identité, et contribuent à asseoir son importance
dans le paysage intellectuel antillais durant la Seconde Guerre mondiale.
Une première constante – de loin la plus importante – est l’affirmation de la
dimension essentielle – sinon fondamentale – de l’Afrique dans la
composition de la culture martiniquaise. Dès le premier numéro, Suzanne
Césaire fait un compte rendu de l’Histoire de la civilisation africaine de
l’ethnologue allemand. Dans « Leo Frobenius et le problème des
civilisations », elle rappelle sa découverte du « caractère du style
africain » :
Nègre autant que dans leur plastique, il parle dans leurs danses comme dans leurs
masques, dans leur sens religieux comme dans leurs modes d’existence, leurs
formes d’Etat et leurs destins de peuples. Il vit dans leurs fables, leurs contes de
fées, leurs légendes, leurs mythes.
La revue de l’avant-garde
A côté de cet ensemble de discours théoriques sur l’ethnologie africaine,
sur l’art, l’esthétique et la poésie, une quatrième constante de Tropiques
concerne la pratique de la poésie elle-même. Celle-ci y occupe une place
singulière. Au fil des ans, la revue prend les allures d’une anthologie. La
revue publie des auteurs confirmés, antillais (comme Gilbert Gratiant) mais
aussi étrangers (comme Charles Péguy, James Weldon Johnson, Jean Toomer
ou Claude Mac Kay), voire inconnus (comme Jeanne Mégnen) et en herbe
(comme Charles Duits, René Ménil ou Lucie Thésée).
Mais Tropiques reste surtout le « cabinet de poésie » du jeune Aimé
Césaire. Le jeune poète s’efforce de maintenir pour lui-même une activité
d’écriture régulière en vue d’une publication trimestrielle. Il va ainsi
alimenter Tropiques en poèmes. On doit à Césaire environ une quinzaine de
titres, soit une moyenne d’un poème par numéro pour 11 livraisons (de 1 à
13-1481). Ses poèmes seront ensuite retravaillés pour les éditions définitives,
Les Armes miraculeuses (1946), Soleil cou coupé (1948). On lui doit
aussi des fragments (semblables aux Pensées de Pascal) dans « Panorama »
(Tropiques, 10, 1944) ou des extraits de théâtre. L’imprimerie du Courrier
des Antilles – et plus tard l’imprimerie officielle – qui édite la revue
devient une maison d’édition poétique par procuration. C’est ce que laisse
sous-entendre Aristide Maugée dans son article « Aimé Césaire poète » qui
paraît en 1942 : « Un poète nous est né », clame-t-il avant de faire l’exégèse
de cet avènement : « Après un siècle de conformisme et de néant poétique.
Tant pis pour ceux qui, passant d’innommables rhapsodies à de l’authentique
poésie, ne se sont point aperçus du changement. La poésie moderne, à partir
de Rimbaud, place dans le rêve le secret de toute création. Triomphe du
merveilleux : le poète est voyant, le poète est prophète82. » Nul doute : la
revue Tropiques aura bien contribué à faire de l’art, de l’esthétique et de la
poésie les termes de la construction d’une culture des Antilles françaises.
Inutile de durcir sur votre passage, plus butyreuses que des lunes, vos visages de
trépomène pâle
Inutile d’apitoyer pour nous l’indécence de vos sourires de kystes suppurants
Flics et flicaillons […]
Nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence
précoce, de la folie flambante, du cannibalisme tenace.
Des principes comme ceux que le Maréchal a évoqués doivent, lorsque nous aurons
le courage de les traduire dans les faits, le résoudre. Pour vous, vous croyez au
pouvoir de la haine, de la révolte, et vous vous fixez comme but le libre
déchaînement de tous les instincts, de toutes les passions ; c’est le retour à la
barbarie pure et simple. Schoelcher, que vous invoquez, serait bien étonné de voir
son nom et ses paroles utilisés au profit d’une telle cause.
Et le surréalisme vint…
L’histoire de la rencontre entre Aimé Césaire et André Breton racontée
par ce dernier est devenue une légende. Elle est pour le poète martiniquais
d’une importance au moins égale à sa rencontre avec Léopold Sédar Senghor
dans la cour de Louis-le-Grand ou celle avec Petar Guberina, le Croate, à la
Cité universitaire.
Le bateau Capitaine Paul-Lemerle, parti de Marseille en mars 1941 et
faisant route vers les Etats-Unis, avec à son bord plus de trois cents
écrivains, artistes et intellectuels de toutes nationalités fuyant l’Occupation,
est arraisonné à Fort-de-France. Considérés comme antifrançais, ces
intellectuels sont enfermés – à leurs frais – dans l’ancienne léproserie du
Lazaret transformée pour l’occasion en « camp de concentration ». Ils sont
finalement libérés au bout de quelques jours. Tandis que Claude Lévi-Strauss
se livre à une ethnologie comparée entre le rhum de Porto Rico et le rhum de
la Martinique86, André Breton, en quête d’un ruban pour sa fille, découvre
chez la sœur de René Ménil, qui tient une mercerie, une revue intitulée
Tropiques. « J’abordai ce recueil avec une extrême prévention… écrit-il. Je
n’en crus pas mes yeux : mais ce qui était dit là, c’était ce qu’il fallait dire,
non seulement du mieux mais du plus haut qu’on pût le dire ! Toutes ces
ombres grimaçantes se déchiraient, tous ces mensonges, toutes ces dérisions
tombaient en loques : ainsi la voix n’était en rien brisée, couverte, elle se
redressait ici comme l’épi même de la lumière. Aimé Césaire, c’était le nom
de celui qui parlait. »
Cette découverte va le conforter dans son orgueil de surréaliste et dans
la voie révolutionnaire qui a toujours été la sienne. Envoûté par cette
« Martinique, charmeuse de serpents », comme il l’écrira plus tard dans sa
revue Hémisphères créée à New York, André Breton va ouvrir la pensée et
la parole de Tropiques au monde extérieur qui lui manquait. A Aimé
Césaire, Breton va offrir un ballon d’oxygène.
Pour moi, son apparition […] prend la valeur d’un signe des temps. Ainsi donc,
défiant à lui seul une époque où l’on croit assister à l’abdication générale de l’esprit,
où rien ne semble plus se créer qu’à dessein de parfaire le triomphe de la mort, où
l’art même menace de se figer dans d’anciennes données, le premier souffle
nouveau, revivifiant, apte à redonner toute confiance est l’apport d’un Noir.
Relisant plus tard Cahier d’un retour au pays natal de Césaire, André
Breton en fait une exégèse qui va lui donner, sinon son sens définitif, du
moins sa portée universelle. Il y voit l’expression d’un chant qui est la
marque de la « poésie authentique », un poème « à sujet », sinon « à thèse »,
qui est la manifestation éclatante de la liberté poétique, un « monument
unique, irremplaçable », dont le « titre tout effacé du poème tend à nous
placer au cœur du conflit qui doit être le plus sensible à son auteur », être ou
ne pas être de la Martinique, résister, ou accepter l’appel des îles. Œuvre de
liberté totale, d’insurrection primitive, le Cahier d’un retour au pays
natal apparaît ainsi, dans toute sa splendeur, sous la plume du père du
surréalisme. Elle va en acquérir aussitôt le statut.
Les époux Césaire fréquenteront plus tard le groupe surréaliste à Paris.
Mais on ignore si le poète a jamais procédé à l’expérience de l’hypnose
créatrice, plongé dans son inconscient pour retrouver les forces primitives
de la poésie ou pratiqué l’écriture automatique. Avare de récits sur le moi,
on le sait, Aimé Césaire n’a laissé aucune trace sur ce sujet dans son œuvre,
et les indices que cachent les dédicaces des poèmes à ses amis surréalistes
ne poussent pas à comprendre son jeu. On est certain, toutefois, que sa
rencontre avec Breton et leur estime réciproque ont permis au poète
martiniquais de dépasser l’expérience faite avant lui par les rédacteurs de
Légitime défense. Ces derniers, qui se réclamaient du surréalisme,
s’étaient assimilés aux écrivains français du mouvement bien plus qu’à
l’emploi de ses mécaniques et de ses théories dans leurs productions
poétiques. Sur ce point, Tropiques va apporter la preuve d’une liberté de
création absente chez les écrivains antillais de la génération précédente. Le
mérite de Césaire est là. C’est en poète libre qu’il aborde les rivages du
surréalisme comme il a abordé en Martiniquais libre ceux de l’ethnologie de
Frobenius. Seule une liberté totale de création, c’est-à-dire une écoute de
soi, permettait d’inventer, par la poésie, une culture et une civilisation
reconnues de tous87.
Bâtisseur de l’avenir
Dès le poème « Investiture », publié dans Les Armes miraculeuses,
en 1946, Césaire assume ses choix. Il reconnaît que l’attrait du pouvoir peut
être dangereux, parce qu’il lui est souvent apparu comme le viol et la
dépossession d’un peuple : « un vol de cayes ». Le pouvoir peut être un
poison aussi mortel que le parfum des « mancenilliers », un miroir
narcissique où se noie celui qui se mire aux « galets de ruisseau ». Quoi
qu’il en soit, le poète éprouve une intense émotion lors de sa victoire :
« Toute l’eau de Kananga chavire de la Grande Ourse à mes yeux. » Césaire
est fier de poursuivre l’œuvre de son grand-père, instituteur à Saint-Pierre au
milieu du XIXe siècle : « Mes yeux d’encre de chine de Saint-Pierre
assassiné. » Il est heureux de continuer la tâche de son aïeul qui avait conduit
l’une des nombreuses révoltes dans les régions du nord de l’île avant
l’éruption de la montagne Pelée : « Mes yeux de Saint-Pierre bravant les
assassins sous la cendre morte. » Les charges qu’il s’apprête à embrasser
(maire et député) lui paraissent d’autant plus lourdes qu’il n’y est pas
préparé : « Mes yeux sans baptême et sans rescrit. » Il fait néanmoins le
serment de s’y consacrer pleinement : « Je ne lâcherai pas l’ibis de
l’investiture folle de mes mains en flammes. » Le poète conçoit ses fonctions
politiques comme une charge, un sacerdoce, un devoir. Ces exigences sont
pour lui d’autant plus impérieuses qu’il est, sur le plan local, le premier
descendant d’esclave noir à accéder à la municipalité de Fort-de-France,
tandis que sur le plan national, il est le premier communiste noir antillais à
occuper à la chambre des députés un siège détenu depuis l’abolition de
l’esclavage de 1848 par des socialistes ou des radicaux.
Césaire considère ces succès électoraux comme la promesse d’une ère
nouvelle. Tel est le sens du poème « Conquête de l’aube ». Le poète rêve
d’un « Château des rosées » qui apaiserait « du dessèchement des cœurs
inutiles ». Il entend monter « d’incendiaires et capiteux tumultes de
cavalcade » dérobés « à la voix large des précipices », « dans une gloire de
trompettes libres à l’écorce écarlate ».
Les nombreux suffrages qui se sont portés sur son nom lui donnent une
force et un droit inégalables pour remplir ses missions. L’élection a fait de
lui l’un des « cent pur-sang » qui « hennissent du soleil parmi la stagnation »
afin de donner au Nègre esclave sa qualité d’homme.
Césaire a livré plusieurs fois le récit de son élection à la mairie de Fort-
de-France à l’âge de trente-deux ans. Celle-ci est d’abord le fruit des
circonstances – à la fin de la guerre, « tout le monde aspirait au renouveau. Il
fallait repartir sur de nouvelles bases. Le conseil général de l’époque s’était
beaucoup compromis avec le régime de l’amiral Robert, qui était
pétainiste ». Elle est ensuite le produit du hasard : « Le parti communiste a
pensé qu’il fallait changer les idées, changer les hommes, changer les
attitudes. » Militant associatif plus que politique, bien connu dans l’île, en
tout cas à travers sa revue Tropiques et surtout son enseignement qui
renouvelle le discours convenu sur la littérature, Césaire est approché par
des amis et camarades du lycée qui sont, eux, membres du Parti, afin de
conduire la nouvelle liste que ce dernier met sur pied en vue des élections
municipales de juin 1945. Césaire précise toujours ceci : « Je n’étais pour
ma part ni communiste ni anticommuniste, disons que j’étais sympathisant, un
homme de gauche, mais qui n’appartenait à aucun parti ; je n’ai jamais eu
l’esprit de parti97. »
La liste qu’il conduit sous ces auspices n’est pas à proprement parler,
comme on l’a évoqué, communiste : « C’était une liste de gauche, ouverte –
pas socialiste non plus, car le parti socialiste avait ses vues propres, et il
s’était un peu compromis avec le régime précédent. » Pour étendre leur
champ d’action et triompher des partis en présence, les communistes
s’ouvrent aux élites intellectuelles qui forment une part importante de la
nouvelle société antillaise. « Ils considéraient, je crois, que ça faisait très
bien que la nouvelle liste communiste soit parrainée par deux intellectuels
appréciés du monde martiniquais. » On retrouvait donc à la tête de celle-ci,
Aimé Césaire (normalien, licencié ès lettres), secondé par Pierre Aliker
(premier interne martiniquais des Hôpitaux de Paris), auquel il faut
adjoindre d’autres brillants îliens de l’époque comme Georges Gratiant (le
poète et brillant avocat) et Thélus Léro (1909-1996), (professeur de
mathématiques). Cette équipe savamment dosée va animer une campagne
électorale enflammée, décrite par les héros de La Lézarde, d’Edouard
Glissant (1958), consacrée aux élections de 1945. Elle contraint à la retraite
politique le socialiste Joseph Lagrosillière (1872-1950), qui espérait
prendre la place du maire sortant Victor Sévère (1867-1957). L’élection de
Césaire marque ainsi le début du renouvellement du personnel politique de
l’île, dans un esprit de sincère fraternité. Le poète espérait depuis longtemps
une nécessaire entente cordiale des nouvelles élites pour transcender les
clivages politiques anciens et inventer ensemble des « Aubes nouvelles ».
Lorsque Victor Sévère, âgé de soixante-dix-huit ans, abandonne la mairie
et se retire sur son domaine de Choiseul, à Case-Pilote, Fort-de-France est
une bourgade coloniale d’un peu plus de 45 000 âmes. Sa démographie est
en constante progression depuis la destruction de la ville concurrente de
Saint-Pierre, à la suite de l’éruption de la montagne Pelée (25 avril 1902).
Cette cité ne peut supporter l’afflux des populations nouvelles. Victor Sévère
avait bien entrepris, au milieu des années 1920, d’assainir les Terres
Sainville, afin de permettre l’accès au logement d’une nouvelle classe
d’ouvriers des usines à sucre, mais la ville de Fort-de-France elle-même
n’avait pas connu de changement notable. Elle était restée ce « projet de
ville à construire dans le cul-de-sac du Fort-Royal », comme l’avaient
indiqué les ingénieurs de Colbert en 1681. « La ville que je trouve alors,
raconte Césaire lui-même, c’est celle de Colbert, telle qu’elle était à son
époque. C’était le plan romain type, certes dans un site difficile, mais aussi
près que possible du plan romain avec sa voie nord-sud et sa voie est-ouest,
le cardeau, et puis la via decumana, la décumane, avec ses
parallèles98. » D’une superficie d’environ 4 308 hectares, la ville est bordée
de rivières : au nord l’Alma ; à l’ouest le Petit Paradis ; à l’est la Jambette,
et au sud la baie de Fort-de-France. Sa plaine centrale, ouverte sur la baie
des Flamands, est dominée par de nombreux mornes : Abeillard, Balata,
Crozanville, Didier, Ermitage, Godissard, Redoute, Terres-Sainville et
Trénelle.
Son histoire est semblable à celle de plusieurs villes coloniales des
Amériques. Erigé en fortin de bois trois ans après l’arrivée du premier
gouverneur de l’île, Belain d’Esnambuc, en 1635, le futur Fort-Royal ne
connaît les premiers grands travaux de sa construction qu’en 1667, sous
l’impulsion du gouverneur Bass. L’utilité militaire du Fort-Royal (actuel
Fort-Saint-Louis) est indéniable. Il va protéger les habitants de l’île contre
les invasions étrangères. Mais la ville est construite sur un marécage qui
rend l’assainissement d’autant plus difficile que l’air y est vicié. Césaire
s’en était déjà aperçu lorsqu’il y vivait durant ses années de collège. Dans
Cahier d’un retour au pays natal, il la décrit ainsi : une ville « échouée
dans la boue de cette baie ». « Plate », « étalée », « inerte », « essoufflée
sous son fardeau de croix éternellement recommençante », elle est
« contrariée de toutes façons, […] embarrassée, rognée, réduite, en rupture
de faune et de flore ».
L’insalubrité y est aussi insupportable que celle de toutes les villes de
l’île, de La Trinité à Grand’Rivière, de Gros-Morne à Morne-Rouge. Face à
cette misère persistante, Césaire va devenir un édile de la pierre et de la
voirie. Sous la pression de l’exode rural dû en grande partie à
l’effondrement de l’industrie sucrière, à la ruine des habitations et à la
disparition progressive des plantations de canne, la ville de Fort-de-France
voit affluer vers elle toute la paysannerie de l’île en quête d’emplois dans le
domaine économique du tertiaire. Césaire explique : après la guerre, il y
avait « une misère telle que j’ai été amené à m’occuper surtout des
problèmes sociaux99 ».
Sa passion de bâtisseur le conduira à solliciter continuellement les
architectes de la ville. Il suffit d’écouter celle qui fut pendant les vingt
dernières années l’un des témoins privilégiés de sa vie. Joëlle Jules-Rosette,
sa fidèle secrétaire, disait que pour Césaire, « bâtir était essentiel. Bâtir la
Martinique, mais surtout Fort-de-France, c’était crucial et vital. Quelques
jours avant sa mort encore, il est allé sur les chantiers, même s’il fallait
affronter la boue ».
Sur ce sujet, Césaire entretenait « une complicité » avec l’architecte de
la ville, Mme Brourouet, « avec qui il allait plusieurs fois par semaine voir
les travaux en cours pour vérifier leur avancement ». Il accordait surtout son
attention aux nouveaux quartiers qu’il fallait aménager : « Il apportait un soin
particulier aux quartiers populaires, à la périphérie populaire de la ville sur
les mornes, Trénelle, Texaco, Volga, et en particulier à leur désenclavement,
à leurs trottoirs, aux égouts, à leur viabilisation. Il s’inquiétait des habitants
de ces quartiers qui pouvaient être particulièrement atteints lors des cyclones
ou des tempêtes tropicales100. »
Le bâtisseur avait la foi du néophyte et l’impatience des utopistes. Son
prédécesseur, Victor Sévère, s’était occupé avant la guerre de la construction
d’une ville moyenne. Voulant concilier l’aide sociale aux familles démunies,
l’accès au logement personnalisé et la création d’un habitat urbain digne de
ce nom, Césaire, lui, va lancer la construction des grands ensembles urbains,
suivant en cela l’orientation générale des plans d’aménagement des villes
des années 1950. Le quartier de Trénelle va ainsi s’ériger dans une
architecture spontanée que la mairie va tenter de contrôler. Situé à flanc de
colline, sur un morne, ce quartier sera entièrement viabilisé, avec des lignes
électriques, des canalisations en nombre pour l’acheminement de l’eau
potable et des eaux usées, grâce à des prouesses techniques qui forcent
l’admiration. Césaire a fait pousser dans un lieu quasiment inaccessible un
véritable espace urbain.
Cette attitude, humainement compréhensible et respectable, est surtout
guidée par le bien-être immédiat des populations. Toutefois, elle va s’avérer
dangereuse sur le plan architectural. Le quartier de Trénelle est l’exemple
même de l’habitat anarchique contrôlé qui pose aujourd’hui des problèmes
réels d’aménagement. Césaire le reconnaîtra lui-même. Mais il remarque que
face à la démographie galopante de la capitale, « il fallait assainir la ville ;
la protéger contre les eaux de pluie, contre l’eau de mer ; il fallait fournir à
ce peuple l’eau potable, la lumière, l’électricité, etc. C’était un travail
terrible101 ».
L’accomplissement de cette tâche était d’autant plus incertain que la
municipalité manquait de moyens financiers propres et ne possédait aucune
garantie viable auprès des bailleurs de fonds. Obstiné, Césaire voulait « du
bidonville faire une ville et, de la ville elle-même, faire une cité au sens
latin du terme – autrement dit une communauté de citoyens libres102 ». Pour
parvenir à ses fins, il va faire de la communauté urbaine le premier
employeur de l’île : « Je suis arrivé à réunir ici presque trois mille ouvriers.
Il fallait leur donner du travail. Une vraie gageure. Ce n’était pas très
raisonnable, mais enfin. […] J’ai fait de mon mieux, de manière imprudente,
souvent, parce que je ne connaissais pas l’administration. […] L’eussé-je
connue, d’ailleurs, que cela n’aurait pas servi à grand-chose103. » Bel aveu !
Césaire considérait qu’il aurait atteint son but le jour où chaque famille sur
sa commune percevrait au moins un revenu régulier.
Dès le mois de novembre 1950, le conseil municipal unanime « fait droit
aux revendications des travailleurs ». Le salaire horaire minimum est doublé.
Il passe de 52,35 à 100 francs. Etant entendu qu’un ouvrier municipal en
1951 travaille 175 heures par mois, le salaire minimum sera ainsi porté de
9 000 francs environ à 17 500 francs. Le journal Justice du 30 novembre
1950 s’en félicite. Son éditorialiste rappelle que ce relèvement des niveaux
de salaire est conforme aussi bien aux désirs des travailleurs qu’à la
législation sur les conventions collectives en vigueur en Martinique.
L’augmentation des salaires répond à un triple but politique. D’une part,
les communistes de l’île donnent l’exemple d’une bonne entente avec les
syndicats des travailleurs. D’autre part, la municipalité de Fort-de-France
dirigée par Aimé Césaire veut être un exemple pour tous les autres
employeurs, en les engageant au respect des contrats et des conventions
collectives signés. Enfin, il fallait appliquer aux Antilles même, grâce au
mécanisme local des décisions politiques, la loi de départementalisation du
19 mars 1946 et montrer qu’un alignement des salaires des Martiniquais sur
ceux des métropolitains dans des limites prévues par la loi était possible.
Pour Césaire, seule la fin sociale justifiait les moyens financiers. Et parfois,
ces moyens défiaient les raisons du Trésor public français qui allait tenter (et
réussir parfois) la mise sous tutelle de sa gestion municipale, grâce au zèle
de certains préfets hostiles aux communistes, comme Pierre Trouillé, dont la
mission officieuse, lorsqu’il est nommé, consiste à mettre au pas les
communistes de l’île en général, et à se débarrasser de cet « olibrius » de
Césaire en particulier.
La mairie s’était aussi engagée dans une politique de grands travaux
portant sur la construction d’hôpitaux, d’établissements et de cantines
scolaires. Durant plus d’une décennie, de 1945 à 1952 puis de 1952 à 1959,
la municipalité va jouer un rôle important dans la gestion des affaires de la
ville touchant de nombreux domaines de la vie publique et privée des
Foyalais. Césaire constatait que la difficulté de mener à terme ses tâches
municipales et ses projets était due en partie au jacobinisme français, qui
centralisait le pouvoir entre les mains de l’exécutif et/ou du Parlement.
Suivant une logique propre à la pratique politique de l’époque, il pensait
encore qu’il fallait tenter d’influencer le cours des événements en menant une
action concertée au Parlement, à la mairie et au conseil général. Il allait ainsi
imposer une répartition des tâches : à la mairie, ses adjoints (Georges
Gratiant, André Aliker) géreraient les affaires courantes en son absence. Au
conseil général, ce serait l’un de ses adjoints (Georges Gratiant), tandis que
lui, Césaire, siégerait au Palais-Bourbon, à Paris, avec Léopold Bissol et ses
autres compagnons communistes d’outre-mer. Il s’agissait de tout mettre en
œuvre pour faire aboutir la nouvelle politique de développement des îles.
Noms
Parenté Profession Opinions
de famille
Contrôleur des
Père Césaire Sympathisant
contributions
Mère Hermine Néant Sympathisant
Frère Césaire Etudiant Sympathisant
Sœur Césaire Etudiant Sympathisant
sympathisante
Conjoint S. Roussi Professeur
communiste
Beau-père
Belle-mère F. Roussi Institutrice Sans opinion
politique
Beau-frère Roussi Etudiant Sympathisant
4° Répression politique
Néant
6° Sanction du Parti :
Néant
Ces poèmes sont de rares pièces où l’intime fait son intrusion dans la vie
du poète durant cette période. Césaire est happé très vite par le tourbillon de
l’activité parlementaire et du rythme de travail qu’imposent les discussions
en séance ou en commission, la préparation des textes de lois, l’initiation au
jeu parlementaire et aux arcanes de la vie du Palais-Bourbon, de ses codes et
coteries. Travailleur infatigable, il veut mener à bien son œuvre principale :
le changement de statut de l’île qui conditionnera l’amélioration de la vie
des Antillais.
Si vous voulez que les Antilles et la Martinique se tirent du mauvais pas où les a
conduites la vieille politique héritée du pacte colonial, il n’y a qu’un moyen : les
équiper ; les équiper, pour qu’elles produisent davantage et à meilleur compte, et
échappent ainsi aux conséquences de la dévaluation ; les équiper, pour qu’elles
cessent d’être à la charge de la métropole ; les équiper, pour résorber le chômage de
nos jeunes gens, pour élever le niveau de vie des ouvriers, pour garantir aux masses
laborieuses le travail et la Sécurité sociale. (Applaudissements à gauche)
Grâce à sa parfaite connaissance du terrain, Césaire formule des
demandes précises et concrètes pour son île. Il invite le ministre à s’engager
dans une nouvelle politique consistant à financer les travaux de construction
et d’investissement à l’aide d’un plan d’emprunts à faible taux consentis par
la création d’un fonds colonial :
C’est dans cette politique que je vous demande de vous engager, monsieur le
ministre, et, en attendant la création du fonds colonial, je vous propose de financer la
tranche de travaux de 1946 – c’est-à-dire ceux qui ont été prévus par le conseil
général dans sa séance du 25 septembre 1945, plus la création d’une centaine
d’écoles primaires et l’agrandissement et la modernisation de l’hôpital civil de Fort-
de-France – par une avance de la Caisse centrale de la France d’outre-mer, qui ainsi
serait appelée à sortir de son sommeil. (Applaudissements à gauche)
Un communiste poète
Sur le plan politique, les Armes miraculeuses n’ont pas l’effet escompté
dans les temps espérés. Il en va tout autrement sur le plan littéraire.
L’adhésion de Césaire au parti communiste va entraîner un regard différent
sur son œuvre poétique. Celle-ci n’avait fait jusque-là l’objet d’aucune
mention dans les organes officiels du Parti. La parution des Armes
miraculeuses en 1946 va changer la donne. Dans un article intitulé « Aimé
Césaire, poète de la colère », publié dans L’Humanité du 24 août, Roger
Garaudy exalte les qualités poétiques du député communiste. Ce qui fait que
Césaire remplit sa fonction de poète, selon lui, c’est-à-dire d’« appeleur »,
c’est que « son appel est chargé de vie et d’amour de la vie ». Garaudy
perçoit dans sa poésie une « exubérance de la vie et d’amour de la vie » qui
« se traduit par une exubérance de sensations charnelles et d’images qui nous
les livrent ». Césaire, dit-il, « a l’exubérance de vie et d’expression d’une
forêt vierge ». Face à l’oppression qu’impose « l’exploitation hypocrite ou
déclarée », son amour de la vie « se mue en colère ». Le chant de la vie
devient le cri de souffrance de l’humanité la plus humiliée, l’humanité noire ;
un cri universel, auquel peuvent se rallier sans distinction tous les peuples du
monde :
L’éveilleur ne parle pas seulement pour les Noirs. A le lire, on sent bien qu’il existe
un prophétisme nègre comme il exista, il y a trente siècles, un prophétisme hébreu.
Ce n’est pas aux Juifs seulement ou aux Noirs seulement qu’il s’adresse, il n’est que
le cri de la race la plus souffrante et vaut pour tous les autres.
Pour Eluard, Staline était le dieu vivant sur terre. Pour Césaire, Thorez
est la voix vivante de la révolution éternelle, « l’oiseau tonnerre dans le ciel
capitaliste tout terne ». Le poète martiniquais n’a fait que suivre une pente
amorcée par ceux qu’il tenait en grande estime. Ces vers qui ont célébré en
Occident les leaders du communisme ont connu le destin éphémère de toutes
les mauvaises poésies de circonstance. Dans l’ensemble de l’œuvre future
de Césaire, « Maurice Thorez parle » n’a jamais pris place dans aucun
recueil. Il témoigne néanmoins de l’intensité de son cheminement avec le
parti communiste, du degré de compromission dont le poète a pu se rendre
coupable – par fidélité aux idéaux du Parti et en toute bonne foi sans doute –,
même s’il estimait encore, dans un entretien, peu avant sa mort, « être resté à
distance, sur ses gardes120 ».
V
Civilisation et barbarie
Le discours anticolonialiste
Un malentendu salutaire
Comme le Cahier d’un retour au pays natal, le Discours sur le
colonialisme est le produit de constructions successives qui durent environ
sept ans (1948-1955). Il s’agit à l’origine d’un article de commande publié
en 1948 sous le titre « L’impossible contact » par la revue Chemins du
monde121, en prévision d’un numéro consacré à la « Fin de l’ère
coloniale ». Pour les membres de son comité de rédaction, la position
assimilationniste schoelchérienne de Césaire au cours des débats qui avaient
précédé l’adoption de la loi de départementalisation de 1946 ne laissait
guère de doute sur ses orientations. Ils pensaient donc en sollicitant son
« témoignage », qu’il servirait de caution à leur point vue sur la fin des
colonisations. Or Césaire développera une thèse contraire à leurs attentes,
comme il le rappelle d’ailleurs dans son entretien avec Georges Ngal, où il
évoque la genèse de ce qui deviendra le Discours sur le colonialisme :
L’insupportable colonisation
Du long article de Césaire intitulé « L’impossible contact », qui serait
plutôt une « analyse » qu’un « témoignage », il faut retenir d’abord la volonté
clairement exprimée par le député de Fort-de-France de sortir les rédacteurs
de la nouvelle revue des chemins de la naïveté. Il admet avec eux, en effet,
que « mettre des civilisations différentes en contact les unes avec les autres
est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation,
quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole ; que
l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir
été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les
philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur
redistributeur d’énergie ». Bref, pour parler comme le rédacteur en chef de
Chemins du monde, que la civilisation est une réussite, un progrès, une
victoire de l’homme sur la barbarie. François Berge cite d’ailleurs pour
convaincre l’exemple de la « belle population asiatique sauvée de la
dégradation par la colonisation française » qu’étudie Paul Guilleminet dans
sa contribution au volume, « Colonisation en pays moï » (p. 181-187). Mais
pour Césaire – et c’est là l’argument de poids –, les moyens que cette
civilisation utilise ou a utilisés pour s’imposer la rapprochent
paradoxalement de la « barbarie ». Il établit donc une première équation :
« civilisation = barbarie ».
Il voudrait faire admettre aux rédacteurs de la revue que ce qu’ils
prennent pour des défauts de fonctionnement de la machine à civiliser –
susceptibles donc d’être corrigés par une « bonne volonté » – est très
précisément le problème colonial par excellence. Pour lui, les « exemples »
que MM. Dupuy et Dresch donnent de la dépossession économique et
culturelle des Africains par les Européens et que le rédacteur en chef
considère simplement comme « pénibles » constituent le cœur même du
dispositif colonial.
Pour parvenir à ses fins, Césaire va, comme il l’a dit lui-même, « mettre
le paquet ». Il construit une argumentation qui va démontrer que le système
colonial n’est pas amendable par la seule grâce de la civilisation, par la
seule volonté humaniste d’un certain nombre d’Européens ni par la seule
« personne humaine ». En effet, pour lui, la colonisation, moyen employé par
les sociétés européennes pour mettre les hommes en contact, pour les
« civiliser », justement, a détruit tout le rêve que pouvait porter l’ambition
civilisatrice. François Berge jugera le réquisitoire « véhément ». En effet !
Pour Césaire, on ne « civilise » pas impunément, ou, pour reprendre ses
propres termes, « nul ne colonise innocemment, […] nul non plus ne colonise
impunément ». Il va se pencher sur l’influence de la colonisation sur le
colonisateur d’abord, puis sur le colonisé.
Il montre dans un premier temps comment la colonisation travaille à
déciviliser le colonisateur, ou comment la civilisation, par la colonisation,
conduit à la barbarie. Dès son premier argument, il inverse la logique
courante du discours sur le sujet. Lorsque l’Occident s’abrite derrière sa
« bonne conscience » face aux exactions perpétrées aux colonies, il emprunte
déjà les chemins de la culpabilité ; lorsqu’elle s’abrite derrière le
« relativisme moral », elle commet une faute. Césaire affirme ceci :
Chaque fois qu’il y a au Viêt-Nam une tête coupée […] une fille violée et qu’en
France on accepte […] il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort,
une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer
d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces
mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces
prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet
orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les
veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
La convergence communiste
En 1950, une officine proche du parti communiste, les éditions Réclame,
propose à Césaire d’éditer cet article sous forme d’une plaquette. L’auteur
est ravi. Cette demande est pour lui une marque de reconnaissance de son
parti, l’article publié dans Chemins du monde n’ayant pas fait l’objet
d’une soumission préalable aux autorités du Comité central, et donc d’une
autorisation. De plus, la réédition lui offre l’occasion de revenir sur certains
aspects d’un sujet dont on sent bien, à la conclusion de l’article, que la
réflexion était inachevée et l’auteur frustré – le lyrisme s’expliquerait en
partie par cette contrainte. Déjà conscient au moment de la rédaction que ses
propos soulèvent une « tempête », Césaire va remettre l’ouvrage sur le
métier et lui donner une dimension pamphlétaire. L’article se voulait
didactique, opposant avec quelque virulence parfois le regard du colonisé
vaincu par l’histoire des impérialismes européens au regard du colonisateur
qui masquait mal sa victoire dans cette prétendue civilisation humaniste
défendue, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par nombre
d’intellectuels européens, parmi lesquels les rédacteurs de Chemins du
monde. Le discours se veut raisonnablement provocateur, et sert même à
régler quelques comptes.
Durant les deux années qui séparent le « témoignage » publié dans
Chemins du monde de la première édition du Discours sur le
colonialisme (1948-1950), Césaire se trouve dans une situation malaisée.
Député communiste de la Martinique, descendant d’esclaves, il siège à
l’Assemblée nationale française en une période d’agitation politique – la
IVe République. Les adversaires qu’il affronte sont d’autant plus redoutables
que la droite, à la faveur des élections successives, a recouvré une partie du
pouvoir perdu lors de celles de 1946 et que l’ambiance politique générale
est dominée par l’anticommunisme et la crainte de l’URSS, dans une Europe
qui s’allie aux Etats-Unis au sein des organisations internationales (OCDE,
et surtout OTAN). Comme l’ont noté Simone Henry-Valmore et Roger
Toumson dans leur enquête sur le travail parlementaire de Césaire à cette
époque126, sa vie à l’Assemblée oscille entre les traditionnelles batailles
pour l’adoption de lois et les réponses aux autres députés. Il dénonce sans
relâche le non-respect des engagements pris par les pouvoirs publics en vue
de l’émancipation réelle des sociétés coloniales. Dans un discours du 7 mars
1949 prononcé à la tribune, il prévient le gouvernement que « le jour où les
populations d’outre-mer auront l’impression que leur sort vous est indifférent
et qu’il est simplement remis à l’arbitrage du pouvoir exécutif, il y aura
encore place, bien sûr, pour un empire français maintenu par la force, mais il
n’y aura plus d’Union française ». Revenus en force à l’Assemblée, les
partis de droite redoublent en effet d’obstructions afin que ne soient pas
promulgués les décrets des lois d’émancipation votées en 1946. Leurs
députés multiplient les propos racistes et bellicistes pour parler des
colonies. L’un des exemples de cette tension est consigné dans les Annales
de l’Assemblée nationale du 15 mars 1950, qui rendent compte de la passe
d’armes entre Aimé Césaire et quatre députés de droite : les députés MRP
des Vosges Marcel Poimbœuf (1889-1974) et du Nord Paul Caron (1900-
1988), les députés gaulliste du Nord Paul Theetten (1918-1975) et RPF du
Gabon et du Moyen-Congo, futur secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, Maurice
Bayrou (1905-1997).
M. Poimbœuf : « Que seriez-vous sans la France ? »
Aimé Césaire : « Un homme à qui on n’aurait pas essayé de prendre sa liberté. »
P. Theetten : « C’est ridicule. »
P. Caron : « Vous êtes un insulteur de la Patrie. »
M. Bayrou : « Vous avez été bien heureux qu’on vous apprenne à lire ! »
Aimé Césaire : « Ce n’est pas vous, monsieur Bayrou, qui m’avez appris à lire, c’est
grâce aux sacrifices de milliers et de milliers de Martiniquais qui ont saigné leurs
peines pour que leurs fils aient l’instruction et pour qu’ils puissent la défendre un
jour127. »
Le vers de plus en plus dépouillé, défait, désarticulé des modernes, qui était un vers
difficile à atteindre, pour Rimbaud, pour Apollinaire, ou pour Spire, ou pour Eluard,
a autorisé des générations nouvelles de poètes, qui n’avaient passé ni par l’étude, ni
par l’expérience de l’alexandrin ou de l’octosyllabe, du vers impair ou du vers dit
libre, à écrire directement, et parce que cela est ou leur semblait facile, ce langage
sans autre règle que l’à-la-ligne arbitraire, que dans ce journal même il y a quelques
années, Elsa Triolet appelait le poème Kirghize.
Il faut voir dans ces faits qui révèlent une même conscience dans des générations
différentes à un moment donné de l’histoire, une sorte de galvanisation de l’esprit
national, qui exprime assurément, au-delà des leçons prises à l’heure de la
Résistance contre les nazis, le besoin des poètes, à l’heure du grand combat pour la
paix, contre l’entreprise atlantique qui se base sur la renonciation à la souveraineté
nationale, de rétablir le courant profond de l’esprit national, de donner à la
conscience française, son chant, sa voix, sa force de revendication.
Nous sommes à nouveau, en des jours où l’instrument doit être exercé, prêt au chant
nécessaire. Et Guillevic a raison d’y préluder. Si bien que le sonnet, au XXe siècle,
risque d’éclairer pour l’avenir l’époque des guerres et des révolutions telle que nos
yeux la voient, à la façon dont les sonnets renaissants illuminent toujours pour nous
les malheurs du peuple de France, aux jours des guerres de Religion où les poètes
cherchaient la voie de la paix civile et étrangère, et faisaient la leçon aux rois.
La querelle Césaire-Depestre
Ayant pris connaissance de l’ouvrage d’Aragon depuis São Paulo du
Brésil, où il séjourne, René Depestre envoie à Charles Dobzynski une lettre
dans laquelle il affirme son accord total avec Aragon. La lettre est aussitôt
publiée dans Les Lettres françaises du 16 juin 1955 (n° 573) avec
l’accord de ce dernier. Depestre y écrit notamment :
Camarade Depestre
C’est un problème assurément très grave
des rapports de la poésie et de la Révolution
le fond conditionne la forme
et si l’on s’avisait aussi du détour dialectique
par quoi la forme prenant sa revanche
comme un figuier maudit étouffe le poème
mais non
je ne me charge pas du rapport
j’aime mieux regarder le printemps. Justement
c’est la Révolution
et les formes qui s’attardent
à nos oreilles bourdonnant
ce sont mangeant le neuf qui lève
mangeant les pousses
de gras hannetons hannetonnant le printemps.
Césaire marque sa défiance envers Aragon et tous ceux qui, comme lui,
soutiennent à la fois la révolution et le nationalisme, les « lendemains qui
chantent » et le retour au passé, en somme le « printemps » et « l’hiver ». Il
se prononce explicitement pour la liberté poétique qui est révolution ; celle
par laquelle tout poète doit pouvoir accorder selon son seul vouloir le fond
et la forme. Car, pour lui, le poème ne peut subir aucune injonction, répondre
à aucun mot d’ordre, fût-il celui du parti communiste.
Césaire pousse d’ailleurs assez loin le jeu poétique, à la manière des
surréalistes, et utilise le vers classique français comme moyen de jubilation
– le détournant vers le poème paillard (« rions buvons et marronnons ») – ou
comme moyen de dérision. Le jeu sur les rimes (rime/rime/ ; mare/mare ;
raison/saison) désacralise la rime et montre la vanité de l’exercice. Il
souligne ainsi que la question de la liberté poétique n’est pas liée à une
forme prédéterminée, ou, plus exactement, que la relation de la forme à son
fond telle qu’elle est envisagée par Aragon est une fausse question
esthétique.
Au détour du poème, Aragon apparaît sous les traits du « père
Fouettard » ; du garde-chiourme, respectueux d’une orthodoxie esthétique qui
n’a rien à voir avec la pratique de la poésie. Césaire ne se prive pas de le
traiter, sous un ton peu amène, de « mouche à mare » – pour ne pas dire autre
chose… Ceci n’est pas surprenant lorsqu’on sait qu’il est familier à l’époque
du mot de Cambronne. Il rappelle lui-même que pour répondre aux racistes
qui l’interpellaient, le qualifiant de « Nègre », il usait de cette phrase
explicite : « Et bien […] N’allez pas le répéter, mais le Nègre vous
emmerde. » C’est le même sentiment qu’il éprouve face à l’attitude
d’Aragon ; et qu’il exprime au moyen de l’écriture surréaliste. Pris sous cet
angle du jeu poétique en effet, le poème révèle des sens cachés que Depestre
n’avait pas décodés ou n’avait pas compris à l’époque, parce qu’il s’était
arrêté au seul mot « foutre » (Fous-t-en Depestre). Mais c’est la strophe
entière qui cache un langage relevant du registre de l’insulte. Il suffit de
reconstituer les vers ci-dessus, et d’y découvrir ceci :
La vérité du poème
Le « Débat autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples
noirs » est organisé par la revue Présence africaine le samedi 9 juillet
1955, à son siège, situé au 17, rue de Chaligny (Paris 12e) au moment du
lancement du double numéro 1-2 contenant l’article de Césaire. Il va donner
lieu à une publication dans le numéro 4 (octobre-novembre 1955), où
Césaire publie le texte de sa conférence sous le titre : « Sur la poésie
nationale », tandis que Depestre, revenu entre-temps du Brésil et ayant pris
connaissance de la précédente « Réponse à un poète haïtien », publie sa
réplique : « Réponse à Aimé Césaire. Introduction à un art poétique
haïtien ». C’est ce numéro qui va lancer la réflexion des poètes nègres sur
leur propre esthétique ou – si l’on veut – sur leur « art poétique ».
Dans sa contribution, Césaire revient sur les aspects de son poème et
élabore, en prose cette fois, « les éléments d’un art poétique nègre ». Le
premier est la liberté totale de création poétique :
La mise en garde contre le double exotisme qui guette le poète nègre est
intéressante. Elle permet à Césaire d’avancer le second élément de cet « art
poétique national nègre » : l’engagement total du poète dans son travail de
création poétique. Cet engagement est le produit du combat que le poète doit
livrer contre le poème. Césaire insiste sur le fait qu’il est tout aussi vain
pour le poète nègre de vouloir se couler absolument dans un moule
(mythique) ancien pour faire « traditionnel », « africain », que d’emprunter
des formes poétiques considérées comme « nationales » pour faire plaisir
aux Européens. Pour lui, s’il « vient de suffisamment loin, le poème ne
pourra pas ne pas porter la marque essentielle, c’est-à-dire la marque
nationale. Qui donc plus qu’un poète est de son temps, de son milieu, de son
peuple ? ». C’est de ce corps-à-corps du poète avec son poème que doit
découler la forme de ce dernier, et avec elle, les termes de son engagement.
La troisième caractéristique est tout à la fois un préalable et une
conséquence de ce corps-à-corps du poète avec le poème : avoir une claire
conscience de sa situation historique. Le poète doit savoir vivre dans son
« monde tel qu’il est » ; et celui-ci, pour tous les poètes nègres, est marqué
par le colonialisme, le racisme et la culture de l’Afrique. Pour Césaire, une
telle disposition, qui relève d’une simple évidence, ne nécessite pas qu’on la
rapporte à une quelconque idéologie :
Avoir conscience d’être un Nègre quand on vit dans un monde infecté de racisme ;
penser que cette conscience impose à celui qui l’a de particuliers devoirs – dont un
de solidarité avec les peuples les plus insultés de l’Histoire – ne mérite en aucune
manière la pompe d’un quelconque mot en « isme ». Il ne s’agit là que de décence –
et très élémentaire.
Au total, Césaire considère que les théories poétiques qui ne sont pas
assimilées par le poète, c’est-à-dire reconnues comme des marques de son
invention propre, reçues et partagées comme des conditions d’expression de
son imaginaire, ne peuvent servir à sa création esthétique.
René Depestre éprouve le besoin de répondre à Césaire. Dans sa
« Réponse à Aimé Césaire », sous-titrée « Introduction à un art poétique
haïtien », il veut nuancer ses propos. Il interroge tous les aspects qu’il avait
laissés en suspens dans sa « Lettre à Charles Dobzynski » et prend en compte
« l’ensemble des données du problème » pour faire comprendre son point de
vue. Il s’en tient rigoureusement au cas haïtien.
Il admet, avec Césaire, que le poète nègre doit prendre en compte sa
situation historique propre. Mais dans le cas d’Haïti, où la société vit en
constant bouleversement dynamique, la « culture nationale » ne résulte pas,
selon lui, d’une opposition entre une culture africaine et une culture
européenne, mais d’une opposition entre une « culture nationale en
formation », qui est le produit d’un syncrétisme, et une culture du
« braconnage cosmopolite », braconnage auquel « la classe dirigeante
haïtienne s’adonne sans pudeur dans des terrains vagues des cultures
dominantes ». Il en résulte alors des tensions sociales, nées de l’opposition
entre les classes diverses, que le poète doit prendre en considération dans
l’élaboration de son art poétique : « Je pense, écrit-il alors, qu’il est
nécessaire d’élaborer un art poétique qualitativement distinct du double
héritage français et africain. » Il rejette profondément la référence exclusive
à l’Afrique, et insiste sur le fait que l’œuvre poétique en Haïti doit être
subordonnée au projet global de libération nationale.
Poursuivant plus tard sa réflexion dans un article publié par Les Lettres
nouvelles (numéro de janvier 1957), Depestre s’alignera entièrement sur les
positions de Césaire. Interrogé par Alioune Diop sur cette évolution de sa
position, Depestre sera encore plus explicite :
Sur le terrain du lyrisme, et de ses possibilités nègres, rien, absolument rien, quant
au fond, ne saurait désormais me séparer de la position esthétique qu’a définie l’an
dernier [en 1955] Aimé Césaire. Je crois, avec lui, qu’à exercer jusqu’au bout notre
droit à l’initiative, dans tous les domaines de la pensée et de l’action, nous saurons de
mieux en mieux « regarder le printemps » notre avenir.
Or le fond nègre, encore qu’influencé par l’histoire et par bien d’autres choses
encore, reste incontestablement nègre. Cela n’exclut, bien sûr, ni le sonnet ni le
rondeau quand on écrit en français ; je dis que cela n’y prédispose pas.
… ce que je veux
c’est pour la faim universelle
pour la soif universelle
la sommer libre enfin
de produire de son intimité close la succulence des fruits.
Il y a entre tous ceux qui sont réunis ici, affirme-t-il, une double solidarité : une
solidarité horizontale : une solidarité […] que leur fait la situation coloniale ou
semi-coloniale ou paracoloniale qui leur est imposée du dehors. Et […] une autre
solidarité, verticale celle-là, une solidarité dans le temps, celle qui provient de ce
fait qu’à partir d’une unité première, l’unité de la civilisation africaine, il s’est
différencié toute une série de cultures qui, toutes, doivent à des degrés divers à cette
civilisation.
Aucun pays colonisateur ne peut prodiguer sa civilisation à aucun pays colonisé, […]
il n’y a pas, […] il n’y a jamais eu, […] il n’y aura jamais, éparses dans le monde et
comme on le voulait aux premiers temps de la colonisation, de « Nouvelle France »,
de « Nouvelle Angleterre », de « Nouvelle Espagne ».
La situation culturelle des pays coloniaux est tragique. Partout où la colonisation fait
irruption, la culture indigène commence à s’étioler. Et parmi les ruines, prend
naissance non pas une culture, mais une sorte de sous-culture, une sous-culture qui,
d’être condamnée à rester marginale par rapport à la culture européenne, et d’être le
lot d’un petit groupe d’hommes, « l’élite », placée dans des conditions artificielles et
privée du contact vivifiant des masses et de la culture populaire, n’a aucune chance de
s’épanouir en culture véritable.
Dans tout pays colonisé, nous constatons que la synthèse harmonieuse que
constituait la nature indigène a été dissoute et que s’y est substitué un pêle-mêle de
traits culturels d’origine différente se chevauchant sans s’harmoniser. Ce n’est pas
forcément la barbarie par manque de culture. C’est la barbarie par l’anarchie
culturelle.
Mais il m’a semblé que la situation particulière dans laquelle vous êtes, au sein de la
grande démocratie américaine, n’était pas sans analogie avec celle que nous
connaissons dans les pays coloniaux. Peut-être cela est-il vu un peu de l’extérieur.
[…] En tout cas, si cette situation n’est pas typiquement coloniale, […] il est tout de
même un fait que vous ne pouvez pas nier […] c’est que vous êtes dans une situation
qui […] est une séquelle de l’esclavage – donc, en définitive, une séquelle du
régime colonial.
Sortir les Noirs américains de leur aveuglement ; leur faire voir les
conditions politiques de leur existence quotidienne de « minorité raciale »
dans l’espace sociopolitique américain ; mettre des mots sur une réalité,
voilà qui explique l’insistance de Césaire. Rompu à l’anti-américanisme du
parti communiste à cette époque, il est d’autant plus à l’aise pour soutenir
son point de vue qu’il est convaincu de l’aliénation des Africains
américains, identifiable à ses yeux à celle des Antillais.
Pour Césaire, « approfondir les problèmes » – puisque telle était la
tâche que s’étaient assignée les organisateurs – supposait de ne pas les
évacuer d’un trait de plume, d’un sous-entendu, de ne pas distinguer la
réalité historique des Etats-Unis d’après-guerre de celle de l’Afrique ou des
Antilles. Césaire venait de formuler « à ses risques et périls », comme il le
reconnaissait lui-même au cours du débat qui avait suivi son exposé,
l’hypothèse d’une égale dépendance des Nègres aux forces coloniales (ou
pancoloniales) quel que soit le continent où ils vivaient. Il tenait surtout à
mettre des mots compréhensibles sur une réalité non acceptée et
inacceptable, à savoir que les Noirs américains vivaient eux aussi dans une
sorte de « tiers monde » culturel.
Autre point d’achoppement : les concepts utilisés pour permettre la
lecture du réel colonial dans lequel vivaient tous les peuples noirs
concernés, et surtout les moyens de sortir de cette tragédie dans laquelle
étaient plongés les sociétés et les peuples colonisés. Césaire avait choisi, on
l’a dit, Bronislaw Malinowski contre Arnold Toynbee – qui, soit dit en
passant, enverrait un message aux participants du deuxième Congrès de 1959
à Rome –, et avait légèrement critiqué Margaret Mead, l’ethnologue
américaine, auteure d’une étude sur l’importance de l’école dans la
transformation de la culture américaine au début des années 1950156. Le but
recherché était de montrer que la situation culturelle des pays colonisés était
dans un tel état de délabrement que seule une approche tragique du réel
pouvait permettre d’y voir clair, c’est-à-dire de penser la révolution
nécessaire, et ce, dans tous les domaines. Dans le cas des Etats-Unis
d’Amérique, Césaire relevait, subrepticement, que l’absence de liberté des
individus, la pratique de la ségrégation raciale, n’était pas le meilleur moyen
pour les Africains américains d’accéder à un niveau élevé de culture ; que
les Noirs souffraient tous de cette sorte de sélection culturelle imposée dans
plusieurs Etats fédéraux et qui conduisait à choisir pour eux ce qu’on
estimait convenir le mieux à leur expression culturelle.
L’approche socio-historique du problème pouvait présenter le défaut de
la « généralisation » ou de la « systématisation », on l’a dit. Mais aux yeux
de Césaire, homme politique accompli, elle avait l’avantage ne pas laisser
d’illusions sur les moyens de résoudre le problème posé.
[Cette tâche] n’est pas de bâtir a priori le plan de la future culture noire ; de prédire
quels éléments y seront intégrés, quels éléments en seront écartés, mais infiniment
plus humble […] d’annoncer la venue et préparer la venue de celui qui détient la
réponse : le peuple, nos peuples, libérés de leurs entraves, nos peuples et leur génie
créateur enfin débarrassé de ce qui le contrarie ou le stérilise.
Le premier Congrès des écrivains et artistes noirs, qui s’était achevé sur
une résolution anticoloniale collective, unanime et solidaire, avait renforcé
de fait la position que Césaire avait prise dès 1948 et la publication de son
article « L’impossible contact » dans Chemins du monde. Il semblait ainsi
en phase non seulement avec lui-même, comme l’avait bien perçu Alioune
Diop, mais avec le peuple noir, dont il se considérait de plus en plus comme
l’un des dignes représentants. L’argument de son appartenance totale au
monde noir remplissait bien son office. Il lui permet de se rapprocher une
fois de plus de son « plus que frère », Léopold Sédar Senghor, qui avait
rompu, lui, avec la SFIO, en envoyant le 27 septembre 1948 une lettre de
démission à Guy Mollet165. Senghor y critiquait déjà, lui aussi, le fait que son
parti « ne soit plus en Afrique noire du moins ni démocratique dans sa
structure, ni socialiste dans son action ». Il manifestait son incompréhension
devant le vote de la SFIO « contre l’égalité des pensions entre anciens
combattants “sénégalais” et anciens combattants métropolitains » et contre
« les amendements déposés par les députés antillais (y compris le socialiste
Valentino) en matière de Sécurité sociale ». Il ne comprenait pas non plus
l’abstention de son parti à l’Assemblée nationale ; une abstention obtenue
après une longue négociation – car « il allait voter contre si nous n’étions
intervenus » – « sur un amendement qui tendait à instituer le collège unique
avec une représentation proportionnelle dans les territoires d’outre-mer »,
parce que, pour la SFIO, cet amendement était « communiste ». Face à ces
logiques pour lui illogiques et devant ces pratiques de sectarisme, Senghor
militait déjà pour que soit recherchée une « voie africaine du socialisme ».
Cette appartenance au monde noir permet encore à Césaire d’emprunter
la même voie de la dissidence que Richard Wright, qui avait quitté pour sa
part le Parti communiste des Etats-Unis au début des années 1940, à la suite
des désaccords manifestés par son parti lors de la publication d’Un enfant
du pays (1940). Celui-ci lui reprochait l’excès de réalisme de son œuvre
dont le héros, fou de rage, finit par assassiner la jeune femme riche et
blanche tombée amoureuse de lui. Les critiques sectaires des Blancs comme
des Noirs du Parti traduisaient cette vision utopique bourgeoise du monde
que prônait le Parti. Césaire rejoint ainsi Senghor et Wright dans la
dénonciation du sectarisme et de la doctrine absurdes qui freinent toute
action politique des opprimés.
Présence africaine va faire appel à la solidarité des Noirs, qui s’est
affermie durant le premier Congrès, afin qu’ils contribuent au retentissement
international de cette lutte. Mercer Cook, hier encore très critique à l’égard
des analyses de Césaire sur la situation américaine, est désormais tout acquis
à sa cause. Il traduit en anglais une partie de la Lettre à Maurice Thorez et
la publie dans la revue Crisis dès le mois de mars 1957 sous le titre « A
distinguished Martinican leaves the Communists » (« Un Martiniquais de
renom quitte le Parti communiste »). Cette traduction va réconcilier Mercer
Cook et celui dont il considérait les propos comme un peu trop marxistes
lors du premier Congrès. L’internationalisation est d’autant plus importante
qu’elle permet à Césaire d’éviter l’isolement auquel le parti communiste
tente de le soumettre.
Césaire à l’index
Malgré le choix de Césaire de sortir par la grande porte, une telle
démarche ne se fera pas sans heurts ni conflits. Les ripostes des instances du
Parti aux communistes antillais (martiniquais et guadeloupéens), de Maurice
Thorez en passant par Roger Garaudy, vont fournir au poète l’occasion de
franchir le pas décisif de la déstalinisation. Elles visent pour l’essentiel à le
discréditer auprès des communistes ou, pour reprendre une expression tirée
d’un article de Thorez consacré à Paul Nizan, à « clouer le traître au
pilori166. »
Dans sa réponse, M. Thorez dresse en deux paragraphes un portait
psychologique de son ancien collègue martiniquais, Aimé Césaire, en tentant
de le calomnier :
Je me bornerai à constater que vous ne m’aviez nullement entretenu de vos
désaccords et de vos intentions lorsque je vous ai reçu longuement, il y a moins de
trois semaines. […] La dissimulation et l’agression brutale et publique contre le
Parti ne me paraissent pas les meilleurs moyens de bien servir la classe ouvrière et
tous les peuples opprimés.
Réinventer le théâtre…
Les conditions de la vie intellectuelle aux Antilles sous l’Occupation ont
clairement pesé sur la création de la dramaturgie de Césaire. Et les chiens
se taisaient est tout autant le fruit de l’expérience qu’il a acquise par
l’observation de Giraudoux et Jouvet que de l’assimilation de la Naissance
de la tragédie de Nietzsche, qui lui sert de bréviaire176. Dans un monde
colonial antillais « arriéré », où n’existe aucune manifestation culturelle
« digne de ce nom », c’est-à-dire, en l’absence de toute scène théâtrale, le
poète martiniquais décide de composer une tragédie. Dans l’histoire de l’île
et de sa littérature, une telle entreprise est audacieuse. Avant lui, il n’existait
pas de théâtre antillais. Césaire va inaugurer un répertoire, en donnant pour
première pièce à son île… une tragédie !
La création de toute tragédie, on le sait, suppose dans la littérature
occidentale, le respect de quelques conventions parmi lesquelles la règle des
trois unités. Césaire s’y conforme. Dans Et les chiens se taisaient, l’unité
d’action est visible dans la nature et la qualité des personnages. Le poète
antillais ne met en scène que des archétypes conformes à leur fonction : « le
Rebelle », « la Mère », « l’Amante », « l’Architecte aux yeux bleus », « le
Geôlier », « la Geôlière », etc. Le héros, le Rebelle, doit lutter contre les
forces du mal représentées par « l’Architecte aux yeux bleus ». Il doit aussi
se battre contre des forces non moins obscures qui, autour de lui,
l’empêchent d’accomplir son acte. La Mère, l’Amante sont là pour le
détourner du rôle qu’il veut/va jouer et pour lequel il est prêt à se sacrifier.
Telle est l’essence de l’action tragique : la lutte de l’homme contre la fatalité
dont il ne peut triompher. Dans ce jeu, il n’y a pas de place pour la
dimension « psychologique » des personnages, pourtant courante dans le
théâtre français de l’entre-deux-guerres.
L’unité de temps est aussi respectée. Césaire sature sa tragédie
d’indications temporelles. La pièce se déroule le « jour trentième de la
famine, de la torture, du délire » tel qu’il est écrit dès le début de la pièce ;
elle se poursuit la nuit entière, et ne s’achève qu’au moment où la Récitante
découvre au spectateur une « vision de la Caraïbe bleue semée d’îles d’or et
d’argent dans la scintillation de l’aube ».
L’unité de lieu est également observée. L’action se déroule « dans le
barathre des épouvantements, vaste prison collective, peuplée de Nègres
candidats à la folie et à la mort ». Par la métonymie, le dramaturge sature son
texte d’indications pour traduire la prison ou pour redoubler sa présence.
Ce respect des unités – compris au sens antique – conduit Césaire à la
pièce maîtresse de la composition : le chant. Aristote le considérait dans sa
Poétique comme le « principal assaisonnement » de la tragédie. Césaire
donne corps au chœur mais l’amplifie, multiplie les tons (le demi-chœur),
dédouble les voix (les choristes, les récitants, les récitantes, les folles, les
énergumènes), transforme le coryphée en écho (sous plusieurs formes et dans
plusieurs directions), varie les genres (des « musiques funèbres » aux
« bribes de spirituals apportées par le vent ») pour faire de sa tragédie une
vraie pièce chantée. Le chant est tout à la fois un élément du dialogue et un
élément de l’intrigue.
C’est par la qualité du chant que se révèle la qualité de toute tragédie.
Dans sa critique de La guerre de Troie de Giraudoux, Pierre-Aimé
Touchard écrit : « La tragédie est un chant désespéré et l’authenticité du
message est liée à la violence même de ce désespoir. Elle crie la révolte,
mais ne se confond point à elle. Ne lui demandons ni solutions, ni vaines
illusions… Elle ne parle point au cœur des lâches. Vous qui n’attendez rien
que des autres, elle n’a point de voix pour vous. Mais si votre cœur est
gonflé d’amour, si vous savez reconnaître ce qu’il y a d’espérance au fond
d’un désespoir, si vous avez refusé au mal votre consentement, la tragédie est
peut-être la source la plus sublime d’héroïsme et de don177. » Cette
appréciation s’applique merveilleusement à la pièce de Césaire, qui est
avant tout une manifestation d’espoir pour les peuples opprimés.
Dans ce but, Césaire soigne la qualité de son héros et de l’histoire qui
l’anime et qu’il anime. L’histoire du Rebelle est celle d’une transgression
permanente. Comme son nom l’indique, il refuse tous les usages et toutes les
compromissions. Il se présente d’abord sous les traits d’un meurtrier, assume
son acte sans remords, refuse tout pardon. Comme Electre, il « ne renonce
pas à sa vengeance ». Son état civil est en tout cas explicite : « Mon nom :
Offensé ; mon prénom : Humilié ; mon état : Révolté ; mon âge : l’âge de
pierre […] Ma race : la race tombée. » Il est tendu vers un seul but : « la
liberté ».
Aucun des signes tragiques connus ne manque à ce héros. Le Rebelle est
aveugle. Cet état résulte d’un châtiment semblable à celui d’Œdipe, qui
accepte sa consomption dans la pièce éponyme de Sophocle : « A mort, à
mort, qu’on lui crève les yeux », dit une voix. « Qu’on lui crève les yeux »,
dit une autre voix à laquelle le Rebelle « aveuglé » répond inlassablement :
« Coursiers de la nuit, entraînez-moi. » Cet état peut être une punition
rédemptrice à la manière de Tirésias. Le héros aveuglé reçoit des dons de
voyance : « Le paysage m’empoisonne des aconits de son alphabet. Aveugle,
je devine mes yeux et le nuage a la tête du vieux Nègre que j’ai vu rouer vif
sur une place. » Ou encore : « Est-ce que je demande grâce à mes yeux
aveuglés ? » Le Rebelle n’est pas visité par un devin, une voix qui le
conseille et lui indique la vérité. Il ploie sous le fardeau de la vérité.
Après le chant et la qualité du héros tragique, Césaire apporte un autre
soin au langage de sa tragédie comme il l’a fait pour sa poésie. C’est sans
doute en ce sens qu’il faut comprendre les mots d’Antoine Vitez qui le
qualifiait de « Shakespeare noir ». Le metteur en scène faisait allusion à la
Tragédie du roi Christophe et Une tempête, qui empruntent
explicitement aux pièces de l’auteur du Roi Lear. Mais sans doute songeait-
il en premier lieu au texte Et les chiens se taisaient, dont le langage
rappelle celui du dramaturge anglais considéré comme « le grand virtuose du
décor verbal178 ». Pour tout metteur en scène, ce type de langage est une
aubaine. Jouvet, on le sait, y était sensible. Il distinguait ce qu’il appelait le
théâtre « théâtral » du théâtre des « dramaturges et des poètes ». Le premier
nécessitait une mise en scène somptueuse, recherchée, tandis que le second
exigeait une mise en beauté du texte. Ce « décor verbal » qui a fait la qualité
du théâtre de Giraudoux ne nécessitait guère d’autre artifice qu’un
accompagnement « discret » et « humble179 ». C’est pourquoi Jouvet avait
opté dans la mise en scène de La guerre de Troie n’aura pas lieu pour le
décor dépouillé qui avait tant séduit le public – et Césaire rapprochait le
théâtre de Giraudoux de ses ancêtres grecs ou élisabéthains.
Chez Césaire, le « décor verbal » s’appuie principalement sur le vers.
Par ce choix, le poète antillais n’entend pas – on s’en doute – se conformer à
un type quelconque d’écriture, respecter l’alexandrin classique – ce fameux
« vers national » français défendu par Aragon et contre lequel il s’est insurgé
–, ou simplement « rimer à la ligne ». Il entend surtout créer un univers
théâtral si équilibré qu’on ne voit même plus la présence de la versification.
Il fait tenir le même langage à des personnages très différents afin de
maintenir le rythme de l’œuvre à un niveau élevé. Chez Césaire, comme chez
Giraudoux, « le vers théâtral est à la prose ce que la danse est à la marche :
une transfiguration dont l’équilibre fait l’ivresse180 ». Un exemple de ce
« décor verbal » peut être perçu dans la didascalie suivante : « Ici la prison
est envahie des grandes ombres de l’hallucination et des réalités
sombres du cauchemar. » Aucun artifice autre que l’énonciation ne
pourrait aider à représenter cette scène.
Le « décor verbal » se double d’une attention particulière portée à la
nature. Césaire conçoit une pièce qui peut être jouée en plein air (et non dans
une salle seulement), par tout un peuple (et non par une troupe
professionnelle seulement). Les éléments du décor, la forêt, une horloge
géante, la terre, la poussière, les chevaux, les tam-tams, les lianes, des
prêtres en nombre, des cavaliers, sont autant d’objets naturels qui saturent le
temps, le lieu, l’espace, parce qu’ils se trouvent dans la vie quotidienne
antillaise. A la réflexion, Césaire crée cette première tragédie antillaise en
ayant conscience des éléments de son environnement immédiat. On ne peut
exclure qu’il ait voulu intégrer au décor les éléments du carnaval antillais et,
en particulier, ceux qui ont trait à la danse, à la transe, au chevauchement, au
déplacement musical : ils font partie d’un tout global susceptible de donner
un sens à l’œuvre. Il suffit de lire cette autre didascalie : « Loin, très loin,
dans un lointain historique le chœur mimant une scène de
révolution nègre, chants monotones et sauvages, piétinement
confus, coutelas et piques, un nègre grotesque, le speaker
gesticule, le tout sinistre et bouffon, plein d’emphase et de
cruauté. » De la même manière que pour la création de Tropiques les
intellectuels antillais allaient faire de nécessité, vertu, de la même façon,
Césaire fait de la pénurie une vertu de sa pièce. Il conçoit que l’absence de
toute scène aux Antilles sous l’Occupation impose au dramaturge de revenir
à l’essence du théâtre, et donc de la tragédie, qui était jouée en Grèce sur la
place publique.
Dans sa volonté de donner à voir un caractère noble, le Martiniquais, qui
tient – sans doute définitivement – la comédie en piètre estime, ne se soucie
pas moins du rire – qui n’est souvent associé à la comédie que par défaut.
Pour parvenir à en créer l’atmosphère, Césaire accorde dans son œuvre une
place au burlesque, lequel consiste à parler de choses sérieuses dans un style
familier. Le rire est encore créé par le décalage. Après avoir frappé jusqu’au
sang le Rebelle qui n’exprime aucune douleur, une geôlière s’exprime ainsi :
« Ah, il déraille sérieusement… c’est à mourir de rire… Dis, c’est marrant
le sang rouge sur la peau noire. »
La bouffonnerie de certains personnages suscite en outre le rire et la
critique. Les quatre évêques et l’archevêque répètent de façon identique
leurs propos et leurs manières de s’asseoir sur un trône. Ils quittent tous la
scène en faisant des « Ouha bruhah » ou « ouha brrouha ou-ou-ah » qui sont
des variations du brouhaha. Directement visé ici Mgr Varin de la Brunelière,
évêque de Saint-Pierre et de Fort-de-France sous l’Occupation. Césaire lui a
adressé une « lettre ouverte » publiée dans Tropiques en réponse à sa
« lettre pastorale » où le prélat s’en était pris à René Etiemble qui venait de
prononcer à Fort-de-France, le 6 mars 1944, une conférence intitulée
« L’idéologie de Vichy contre la pensée française », en présence du
gouverneur de la Martinique. Si la tragédie est l’expression d’idéaux nobles,
elle n’exclut pas la critique du réel immédiat.
Ainsi, dès sa première pièce, Césaire se livre, on le voit, à une
« apologie du théâtre ». Il respecte jusqu’à ses moindres détails les lois de la
tragédie antique et ne compose pas une quelconque « poésie dramatique », à
la manière de Léopold Sédar Senghor et de son Chaka. Et comme toute
tragédie, celle de Césaire semble marquée par le culte de Dionysos, mais un
Dionysos accommodé à la mode antillaise ou nègre.
Après une heure d’entretien dans la cour de l’Hôtel Matignon, Césaire donnait le
spectacle d’un homme transfiguré. Il racontait que le Général avait tout l’air de
Louis XIV recevant le prince d’un pays ami venu des antipodes. Comme tous ceux
qui l’avaient approché, il était très impressionné par le chef de la Résistance. Avec
beaucoup de diplomatie, celui-ci lui avait parlé de Saint-John Perse, de Claudel, de
Malraux, d’André Breton, de Paul Valéry et de la nouvelle Constitution. Il s’était
engagé à voter oui au référendum, comme d’ailleurs tous les autres leaders de
l’Afrique, à l’exception de Sékou Touré 187.
Un drame cornélien
Trouver une voie intelligente qui permette de garder les avantages
respectifs de l’autonomie et de l’assimilation n’est pas chose aisée. Pour
faire avancer ses idées, Césaire finit par admettre que toute pratique
politique suppose une certaine mise en scène tactique. Jouer l’autonomie
régionale pour obtenir l’application totale des décrets de
départementalisation ; jouer toute la départementalisation afin de préparer
l’autonomie régionale. Pierre Aliker, cofondateur du PPM, l’indique plus
clairement :
Quand la loi de départementalisation a été votée, elle n’a été appliquée que […] par
bribes et par morceaux. On obtenait un morceau de départementalisation chaque fois
qu’il y avait une élection d’importance nationale… On nous lâchait un bout… […]
D’ailleurs, au départ même, nous nous étions dit que s’ils ne jouent pas le jeu de la
départementalisation, il faudrait aller plus loin et réclamer une région autonome 194.
Si demain on nous affirme que l’indépendance nous apportera plus de liberté, plus de
prospérité, plus de sécurité, plus de responsabilité, oui. Mais s’il s’agit simplement
de refaire une petite Haïti dominée par un petit nombre d’hommes, dominée par la
volonté de puissance, je dis non. Parce que là, il ne s’agit pas d’émancipation de
l’homme. Je voudrais plus pour mon pays et non pas moins 197.
On veut dire que je compose ? Eh bien […] je trouve qu’il n’y a absolument aucun
conflit. Il est tout à fait évident que les deux situations sont totalement différentes :
un écrivain écrit dans l’absolu ; un politique travaille dans le relatif ; je n’y peux rien.
L’écrivain est tout seul avec lui-même, avec son esprit, avec son âme ; le politique,
pour ne pas dire le politicien, doit tenir compte malheureusement des contingences,
il essaye de diriger mais aussi, il compose avec les contingences et si un mot d’ordre
n’est pas lié à la réalité des choses, ce mot d’ordre n’est que littérature. Par
conséquent je trouve qu’il n’y a aucune contradiction entre ce que j’écris et ce que je
fais, il s’agit simplement de deux niveaux différents d’action198.
Censuré !
Au cours des années 1970, Aimé Césaire est devenu la bête noire de la
scène politique métropolitaine. On le considère comme un personnage
incontrôlable. Cette situation est si bien intégrée dans les pratiques du
pouvoir de l’époque qu’il est interdit d’antenne publique, et presque mis en
quarantaine ! Le président de la République française, Valéry Giscard
d’Estaing, qui avait organisé peu après son élection en 1974 un sommet
franco-américain (en compagnie de Gerald Ford) sur une grande propriété de
l’île de la Martinique, ne daignera pas même rendre visite au maire de la
capitale, Fort-de-France, prétextant d’un piège qui lui aurait été tendu par le
premier magistrat de la ville. « Le coq gaulois » s’est comporté comme une
« poule mouillée », se contentera de ricaner la presse locale. Césaire,
furieux devant ce fait du prince, déplorera cette offense faite au peuple
martiniquais rassemblé devant la mairie.
Recevant plus tard François Mitterrand, candidat malheureux de la
gauche aux élections présidentielles de 1974, lors d’une tournée à la
Martinique en 1976, Césaire ne formule qu’une seule requête : « Aidez-nous
à redevenir nous-mêmes […], à rendre à notre peuple la fierté d’être lui-
même. » La formule peut paraître ambiguë. Elle a cependant le mérite de
placer les futurs hommes politiques français dans l’obligation de signer un
pacte avec les Martiniquais, faute de quoi ils n’auraient pas leurs suffrages.
Un jour, du balcon de mon bureau, je fus arraché à mes réflexions. Quelle surprise !
Au téléphone, une voix connue mais oubliée ; celle de Suzanne Césaire. Elle voulait
me parler d’une lettre qu’elle venait de recevoir de son mari. Il s’interrogeait sur mes
intentions politiques et devait arriver incessamment. Rendez-vous fut pris, dès le
lendemain, au domicile de Michel Leiris, le célèbre anthropologue, quai des Grands-
Augustins 205.
De nombreux éléments indiquent la position insignifiante occupée par
Suzanne Césaire. Cette voix « connue mais oubliée » était en mission pour le
compte de son mari, Aimé Césaire, se faisant la commissionnaire des
manœuvres de politique intérieure contre lesquelles Césaire s’était tant
insurgé lors de sa démission du parti communiste quelques années plus tôt.
En outre, dans le récit, Victor Sablé n’évoque pas la présence de Suzanne à
ce rendez-vous chez celui qui reste malgré tout le parrain de la dernière fille
du couple, Michèle Césaire. Son rôle s’arrête visiblement à celui d’estafette.
Cette fonction, imposée, contraste totalement avec le portrait que Césaire
dressait d’elle dans sa poésie, à peine dix ans auparavant. Mais elle est
confortée par le regard que ses enfants porteront à cette même période sur
cette femme respectable que l’on appelle déjà, selon le témoignage de sa
fille Ina Césaire, « Maman Suzy », alors qu’elle a à peine quarante-cinq
ans206.
La rupture entre les époux Césaire, comme la plupart des divorces à la
fin des années 1950, prend la forme d’une épreuve sans fin. Ici, le jeu de
rôles devient factice. La fierté de Césaire est mise à rude épreuve. Il est
atteint dans ce qu’il a de plus viril. La liberté de la femme Roussi se trouvait
depuis longtemps entravée mais elle n’osait le dire. C’est le scénario
classique d’une séparation agitée. Personne ne voulant perdre la face, c’est à
celui qui trouvera les témoins de fidélité et de moralité les plus nombreux et
les plus crédibles. Le divorce par consentement mutuel étant alors chose rare
– sinon inexistante –, on ne pouvait prononcer une séparation de corps
devant la justice que pour faute ! Et celle de Suzanne Roussi allait être
lourde. Elle ajoutait à l’infidélité conjugale le mensonge. Les seuls mots de
Suzanne Césaire ne font que renforcer la douleur du poète, dont on entend le
long cri dans le poème « Séisme » de son recueil Ferrements : « pris pris
pris hors mensonge pris/ pris pris pris ».
Césaire a bien sollicité des amis pour qu’ils lui signent des attestations
de moralité, des lettres dans lesquelles ils certifieraient sur l’honneur que
Suzanne avait un amant. Peu d’entre eux acceptent. Lorsque Suzanne a fini
par avouer son amour, Césaire va le vivre comme un désastre. Il évoque,
encore dans « Séisme », cette épreuve pénible. Le poète regrette le gâchis de
la séparation : « Tant de grands pans de rêve/ de patries d’intimes patries
effondrées/ tombées vides et le sillage sali sonore de l’idée. » Il rappelle les
insomnies subies : un « mauvais réveil du cœur le tien sur le mien » ; la
violence des amours brisées comme la « vaisselle ébréchée empilée dans le/
creux tanguant/ des méridiens ». Dans ces circonstances, les mots sont
mensongers. Ils ne sont là que pour « conjurer l’informe comme les insectes
de nuit leurs élytres de démence ». Ils n’ont aucune valeur, « rôlés, précipités
selon rien ». Il ne reste plus de cette aventure que les noms « miraculeux » de
Suzanne et Aimé Césaire « dans la réserve d’un oubli gîtant ». Le divorce a
signifié la fin d’une belle histoire d’amour conjugale et d’une grande
complicité intellectuelle dont Césaire restera à jamais marqué.
Cette malheureuse fin, cependant, a entraîné la marginalisation de
Suzanne Césaire ; sa mise au ban de l’histoire littéraire et même (un peu)
familiale. Ses relations d’intense complicité avec sa belle-sœur, Mireille
Maugée, née Césaire, ne seront plus jamais suivies, pas plus que ses
rapports avec les Thésée, avec qui Césaire restera en contact longtemps
après la séparation207, comme l’attestent les témoignages de deux amies du
poète, Lilyan Kesteloot et Jacqueline Leiner. On ne ressortira clairement
Suzanne des limbes, comme on peut le voir ces derniers temps, qu’à la mort
de son mari. Ce qui renforce d’autant la violence de son exclusion. Dans la
littérature comme dans la réalité, seul Césaire aura mis en scène la vie
quotidienne du couple.
Au moment de la séparation des époux, Aimé Césaire publie le seul
poème qu’il ait jamais composé pour un de ses enfants : « Pour Ina », tout à
la fois une adresse et une dédicace à sa fille, qui vient d’avoir dix-huit ans. Il
reconstitue les moments les plus importants de son enfance. La longue attente
lors de la naissance : « la nuit tombait à pic/ mais maintenait quand même
entre deux eaux/ un trouble de terre plein de musiques encore d’insectes
irréductibles. » La délivrance de la mère : « une ivresse d’eau-gemme dans
un saccage de sang. » Et enfin l’éducation par ses deux grand-mères lorsque
les deux parents étaient occupés à la revue ou en voyage en Haïti : « et les
saisons passaient sur les ocres et les bruns/ penchés des madras des grand-
mères songeuses/ à la pluie/ quand les carêmes pourchassaient par les
mornes/ l’étrange troupeau des rousseurs splendides. »
Mais ce poème est encore une évocation de Suzanne Césaire. Partageant
avec sa fille l’histoire de sa naissance, Aimé Césaire lui rappelle alors les
moments d’inquiétude devant la souffrance de cette femme atteinte d’une
pleurésie et qui a failli mourir en mettant au monde sa première fille. Comme
le souligne le poète Daniel Maximin, par sa naissance, Ina Césaire aurait,
selon les médecins, préservé sa mère « d’un ravage intérieur208 ». La
naissance de cette fille est pour le couple un double moment de bonheur.
A Ina salvatrice, Aimé Césaire exprime tout l’amour qu’il lui porte
maintenant que sa mère n’est plus au foyer. Ce réflexe n’est pas seulement
celui d’un père qui voudrait maintenir avec ses enfants lors de la séparation
des liens privilégiés d’amour. Il est aussi celui d’un homme qui voudrait
laisser à sa fille aînée l’image d’un père aimant… Sans doute aussi le départ
de la mère a-t-il été vécu par le poète comme une répétition du départ à venir
de sa fille, un départ qu’il redoute. Signalons en passant qu’à la différence
de sa mère, Ina est restée fidèle à son père. Comme lui, elle a choisi la
création littéraire. Ceux des enfants qui se sont tournés vers l’art et la culture
se sont spécialisés dans l’interprétation, soit comme metteur en scène (Jean-
Paul), soit comme comédienne (Michèle). Ina, elle, va se consacrer à la
création romanesque, poétique et théâtrale.
Dans un autre poème intitulé « La justice écoute aux portes de la
beauté », publié dans Moi, laminaire, Aimé Césaire ne cache pas les scènes
de dépression et de déchéance de sa femme après leur séparation prononcée
par un tribunal peu de temps avant sa mort. Suzanne Césaire dans la scène de
salutation : « une envolée/ s’immobilise en fougères arborescentes/ et
gracieusement salue en inclinant leurs ombrelles à peine frémissantes. »
Suzanne Césaire maîtresse de cérémonie refaisant le procès : « Une saison
plus bas la Reine met pied à terre/ elle revient dans la confidence
des éléments/ d’une cérémonie où elle a présidé/ à l’opalisation du désastre
et à la transmutation des silicates/ très simplement elle dépose sa
couronne/qui n’est paradoxalement qu’une guirlande de fleurs de técomarias
très intenses. » Selon Césaire, la tumeur dont son épouse souffrait était à
l’origine de la dépression dans laquelle elle sombrait petit à petit et qui la
condamnait : « la tache de beauté fait ici sa tâche/ elle sonne somme exige
l’obscur déjà/ et que la fête soit refaite/ et que rayonne justice/ en vérité la
plus haute. » Internée durant de longs mois à La Verrière, le centre de
réadaptation et de réinsertion des personnels de l’Education nationale,
Suzanne Césaire s’éteindra le 16 mai 1966. Elle allait avoir cinquante et un
ans.
Dans l’île, plus tard, Césaire fera du « rocher de la femme endormie » ce
lieu de promenade où il amène parfois ses amies et complices en littérature
comme Jacqueline Leiner, le lieu de conversations avec Suzanne Roussi.
Cette femme endormie, « Belle comme l’exaspération de la sécession »,
reçoit les mots que le poète lui envoie et lui répond. Il écrit : « De temps en
temps à travers la brume de sable/ Qui s’éclaircit/ A travers les jeux
cicatriciels du ciel/ Je la vois qui bat des paupières/ histoire de m’avertir
qu’elle comprend mes signaux/ Qui sont d’ailleurs en détresse des chutes de
soleil/ Très ancien. » Césaire avoue d’ailleurs dans un entretien avec
Edouard Maunick que « ma femme Suzanne […] n’est pas entièrement morte
pour moi […] Il y a des moments où elle est carrément vivante, pour
moi209. » Il lui arrivera même d’éprouver sur le tard la nostalgie du foyer
d’antan. Mais la vie pratique, concrète, intime, a ses lois qui ne se satisfont
pas de théâtralisation.
La distinction entre la vie publique et la vie privée permet de mieux
saisir le rapport de Césaire à ses « responsabilités nouvelles ». Celles-ci
supposent de prendre en compte la réalité telle qu’elle est, et non telle qu’on
voudrait qu’elle soit ; de considérer la politique avec toutes ses contingences
et non dans sa seule pureté. D’une certaine manière, la séparation d’avec
Suzanne marque clairement la séparation de ces deux niveaux d’approche du
politique, l’idéalisme et le réalisme. C’est un rappel à l’ordre de ce que sont
les deux niveaux de la pratique du politique, celui de la littérature et celui du
réel. Plus que dans sa première pièce donc, Et les chiens se taisaient,
dont l’ambition était d’écrire l’épopée de tout un peuple à partir de la vie
d’un héros, l’écriture théâtrale se prêtera désormais à une réflexion
d’écrivain sur les pratiques du pouvoir.
XI
Du théâtre vivant à bras-le-corps
Au début des années 1960, Aimé Césaire a trouvé son Serreau, comme
autrefois Giraudoux son Jouvet. Cette rencontre est décisive à plus d’un titre.
Sur le plan de la création esthétique, Césaire se met entièrement au service
du théâtre. Contrairement à l’immédiat après-guerre, où il se passionnait
pour la seule composition de l’œuvre, il n’écrit plus désormais que pour la
scène. Sur le plan historique et idéologique, son œuvre s’élabore dans le
sillage du « théâtre militant ». Issu du théâtre prolétarien, d’agitation et de
propagande (autour du groupe Octobre, qui comprend Jacques Prévert et
Roger Blin), celui-ci a vu le jour dans l’entre-deux-guerres autour du PCF
avant de s’en voir écarté dès 1934 par les autorités du comité central qui lui
préfèrent le théâtre populaire. Le théâtre militant est une autre manière
d’établir une relation entre théâtre et politique : Césaire, à sa façon,
participe à ce théâtre, lié « organiquement » aux luttes anticolonialistes et
anti-impérialistes, qui se renouvelle en France.
Dans un entretien accordé au quotidien français Le Monde en 1967, lors
de la première de sa nouvelle pièce, Une saison au Congo, au Théâtre de
l’Est Parisien, Aimé Césaire précise les contours de son œuvre théâtrale :
Je conçois cette œuvre que je fais actuellement comme un triptyque. C’est un peu le
drame des nègres dans le monde moderne. Il y a deux volets du triptyque : Le Roi
Christophe est le volet antillais. Une saison au Congo le volet africain et le
troisième devrait être normalement celui des nègres américains, dont l’éveil est
l’événement de ce demi-siècle 210.
Ce projet général sera servi par un contact étroit du poète avec les
planches, dont il découvre les vertus. Il se passionne pour les milieux du
théâtre, de la mise en scène, de la représentation. La régularité de cette
présence sur les plateaux de répétition et la relation professionnelle qui se
noue entre l’auteur, le metteur en scène et les comédiens sont si intenses
qu’on regrette d’ailleurs que Césaire ne soit jamais passé à la mise en
scène…
La rencontre entre Césaire et Jean-Marie Serreau s’est faite sur le terrain
politique. Dans un entretien accordé à la revue marocaine Souffles,
l’homme de l’art déclare que « le vrai théâtre doit être 300 % politique211 ».
C’est ainsi qu’il justifie son intérêt pour les dramaturgies de Césaire, Kateb
Yacine et René Depestre. Celles-ci se construisent à partir de la réalité
historique des hommes et des peuples que le dramaturge doit aider à
transformer. C’est bien cette attention à l’histoire contemporaine des peuples
noirs qui fonde l’écriture du triptyque de Césaire.
La première pièce du triptyque, La Tragédie du roi Christophe, est
née de l’histoire d’Haïti. Lors du voyage du couple Césaire dans cette île au
cours de l’année 1944, le poète accumule de nombreuses informations sur la
formation de la première république noire. De retour à Fort-de-France, on
s’en souvient, il partage ses découvertes avec les Martiniquais et organise à
cet effet une grande conférence publique dont les extraits sont publiés dans
sa revue Tropiques. Ce compte rendu n’est pas entièrement fidèle aux
observations du futur maire de Fort-de-France. Celui-ci éprouve en effet
pour cette île des sentiments mêlés, comme on le verra plus loin.
Tout d’abord, comme dans son poème, Cahier d’un retour au pays
natal, Césaire a été fasciné par Haïti. Il a fait l’éloge de cette île, où « la
négritude s’était mise debout et [avait] dit qu’elle croyait en son humanité ».
Historien patient et enquêteur rigoureux, Césaire publie à la fin des années
1960 son Toussaint-Louverture. La Révolution française et le
problème colonial212. Par une argumentation magistrale et dans un langage
poétique, il a montré le rôle de ce héros de la Révolution dans la naissance
d’une conscience nationale haïtienne. Pour Césaire, Toussaint-Louverture
(1746-1803) incarne l’esprit et la lettre de la Révolution. Cet homme
d’exception a réussi à renverser le cours de l’histoire sans déroger aux
principes qui guident la transformation sociale, la justice et la liberté. Il a
réussi à mettre en œuvre une utopie sans perdre son âme.
Quand Toussaint-Louverture vint, ce fut pour prendre à la lettre la Déclaration des
droits de l’homme, ce fut pour montrer qu’il n’y a pas de race paria ; qu’il n’y a pas de
pays marginal ; qu’il n’y a pas de peuple d’exception… On lui avait légué des bandes.
Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une
Révolution ; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un
Etat ; mieux, une nation.
J’étais jeune quand j’y suis allé. J’ai rencontré des intellectuels souvent brillants,
mais c’étaient de vrais salopards. Quand je visitais le pays, je voyais les Nègres avec
leur bêche, travaillant souvent comme des bêtes enchaînées et me parlant créole avec
un accent formidable et de manière très sympathique. Ils ne comprenaient pas le
français. Ils étaient d’une grande vérité mais pathétiques 213.
Miroir de l’histoire
Après l’histoire d’Haïti, Césaire se consacre à celle de l’Afrique noire.
Dans Une saison au Congo, il use des mêmes artifices historiques et
politiques que dans La Tragédie du roi Christophe. Au moment où la
pièce se joue au théâtre de l’Est Parisien, Guy de Bosschère la présente
comme « le raccourci lyrique d’une tragédie authentique, atroce et
exemplaire, où la réalité a dépassé la fiction et où la vie fut plus fertile que
l’imagination216 ». L’œuvre met en scène l’histoire du Congo belge durant les
premiers mois de son accession à l’indépendance en 1960. Césaire a nourri
la pièce de documents tirés de la presse de cette époque qu’il a lue avec
attention. Celle-ci ne bruit que de l’affaire du Congo, dont les implications
sont nombreuses en Afrique noire, en Europe, et aux Nations unies.
Confronté à la sécession du Katanga, à l’insurrection de l’armée, à
l’opposition avec le président de la République Kasavubu et aux ambitions
et à la trahison du général d’armée Mobutu, Patrice Emery Lumumba (1926-
1961), Premier ministre du Congo, connaît l’une des fins politiques les plus
tragiques de l’histoire de ce pays.
Dans La Tragédie du roi Christophe, l’histoire contemporaine d’Haïti
était perçue dans le miroir de l’histoire du XIXe siècle. Une saison au
Congo fait référence à l’histoire immédiate. En dehors du personnage de
Mokutu dont le nom est à peine maquillé par rapport à celui de son double
réel (Mobutu), tous les autres sont bien présents. Lumumba, bien sûr, mais
aussi M’siri, Kalalubu, le roi Léopold de Belgique, Dag Hammarskjöld (le
secrétaire général des Nations unies). Ils jouent chacun leur rôle effectif au
moment où se déroulent les événements historiques. Césaire n’hésite pas à
inventer des personnages génériques (les banquiers par exemple), qui
remplissent dans la pièce leur rôle supposé dans la réalité. La fidélité du
dramaturge à l’histoire politique du Congo au cours de cette période est telle
qu’on croit y entendre parler Lumumba217. Elle oblige cependant Césaire à
suivre les événements dans l’immédiateté de leur déroulement. Sa pièce est
une œuvre en chantier. Ecrite six ans seulement après la disparition de
Lumumba et des événements qu’elle raconte, Une saison au Congo tient
compte non seulement de l’évolution de l’Histoire mais aussi de celle des
lectures et des découvertes du dramaturge. La pièce s’achève d’ailleurs au
moment où le personnage de Mobutu accède officiellement au pouvoir, après
un coup d’Etat qui met un terme définitif au rêve de Lumumba. La dernière
scène porte en effet la mention suivante : « juillet 1966 ». Mobutu a pris les
commandes du pays en novembre de l’année précédente.
On peut mesurer le courage de Césaire dans la création de cette pièce.
Une saison au Congo s’écrit dans le chaudron de l’Histoire.
Contrairement à ce que soutient une certaine critique, la déformation du nom
de Mobutu n’a pas pour fonction de « priver d’identité les hommes qui ont
trahi la lutte lumumbiste218 ». Elle a pour but initial de prémunir l’auteur
(Césaire) contre l’accusation de diffamation qui pouvait lui être imputée en
raison de la présence dans son texte d’un homme qui prend de plus en plus
de place dans l’espace politique au Congo et sur le continent noir. Et surtout
de contourner la censure. Alors que toutes les autres pièces du triptyque ont
fait l’objet d’une parution préalable dans la revue Présence africaine, puis
d’une publication dans la maison d’édition du même nom, Une saison au
Congo est la seule qui arrive directement aux Editions du Seuil sans le
truchement de la revue. Contrairement aux autres pièces, elle n’est jamais
entrée au catalogue de Présence africaine. Aimé Césaire tenait absolument à
protéger cette maison d’édition des possibles représailles financières qu’elle
risquait d’encourir de la part d’une nouvelle autorité politique africaine en
maquillant le nom de l’un des contributeurs potentiels de l’action culturelle
en Afrique. Au moment où, après le Festival mondial des arts nègres
(FESMAN) de Dakar (1966), la préparation du Festival des arts et de la
culture (FESTAC) de Lagos se profilait à l’horizon, le président de la
Société africaine de culture (SAC), organisatrice principale de ces deux
événements culturels du monde noir, devait rester prudent dans le choix des
lieux de production de ses discours. Mais, chez Césaire, la prudence ne
signifie ni silence, ni inaction.
En 1967, c’est l’histoire des Africains américains qui guide l’écriture de
la dernière pièce de son triptyque, Une tempête. Dans un entretien accordé
à Claude Stevens, le dramaturge antillais évoque cette « pièce sur les Noirs
américains » qui doit parler de « tous les phénomènes qui se passent à
l’heure actuelle aux Etats-Unis »219. Attentif à la politisation des colères des
étudiants noirs sur les campus américains et à leurs répercussions dans les
sociétés occidentales, sensible également à l’émergence de groupes
politiques armés partout dans le monde noir (en Afrique du Sud, aux
Amériques ou aux Antilles), qui entendent prendre le contrôle des sociétés,
Césaire envisage d’écrire une pièce sur le « pouvoir noir ». Il précise son
projet en ces termes :
Ce qui devait s’appeler « Un été chaud » est publié dans les colonnes de
la revue Présence africaine en 1968221, sous le titre Une tempête,
« d’après La Tempête de Shakespeare ». C’est une libre « adaptation pour
un théâtre nègre ». Aux personnages du dramaturge anglais, Césaire apporte
« deux précisions supplémentaires » : Caliban est un « esclave nègre ». Ariel
est « esclave, ethniquement un mulâtre ». A l’œuvre elle-même, il a ajouté le
personnage d’Eshu, « un dieu-diable nègre ». Par ces remaniements, Césaire
vide de son contenu l’œuvre du dramaturge anglais. « Le travail terminé,
avoue-t-il, je me suis rendu compte qu’il ne restait plus grand-chose de
Shakespeare222. » Une tempête paraît dans sa version définitive en 1969,
après sa création par Jean-Marie Serreau au festival d’Hammamet.
Césaire a tenu à camper ses personnages dans l’espace nord-américain,
où la coprésence des races (Blancs, Noirs, Mulâtres) est inéluctable. Les
trois personnages de la pièce, Caliban, Prospero et Ariel vivent un drame.
Ils ne peuvent se séparer, puisqu’ils appartiennent tous à la même terre, au
même pays, et nourrissent pour celui-ci des aspirations semblables, malgré
leurs différences raciales. Cette impossible séparation rend leur vie tragique.
Césaire pose ici le problème politique du rapport entre les colonisés et les
colonisateurs, les maîtres et les esclaves dans un espace où la séparation est
impossible. Mais son propos est plus large.
La fidélité à l’histoire contemporaine qui se dégage des textes traitant
des Antilles, de l’Afrique ou des Amériques donne à l’œuvre théâtrale de
Césaire une dimension « documentaire » intéressante. Evoquant Une saison
au Congo, Jean-Marie Serreau parle d’une pièce « à ciel ouvert223 ». Cette
remarque peut être appliquée à tout le théâtre de Césaire. En se penchant sur
le cas d’Haïti au début du XIXe siècle, du Congo au début de son
indépendance en 1960, et des Etats-Unis d’Amérique en pleine période de
ségrégation raciale, le dramaturge expose au monde l’histoire des vaincus
nègres, qui n’ont jamais été considérés comme des figures de l’Histoire.
Le théâtre emplira sa fonction sociale, non seulement en faisant voir, mais aussi en
faisant comprendre et prendre conscience. Cela rejoint les idées de Brecht. Mon
théâtre a une fonction critique, il doit inciter le public à juger. Rien n’est plus
terrible que ces formes de théâtre qui en appellent à des gens irresponsables. Il
convient que chacun soit à même d’appréhender ses responsabilités 226.
La mémoire de la nation
La reconnaissance de Césaire par la République a permis de rappeler
officiellement le cadre dans lequel avaient pris place son œuvre et son
discours politiques, à savoir la nation française et ses rapports complexes à
son histoire et à sa mémoire. Le poète martiniquais a marqué de son
empreinte la fin de l’ère coloniale en interrogeant constamment et
inlassablement la république sur ses responsabilités, ses choix et ses
orientations. De son entrée au Parlement en 1945 à sa sortie, en 1993, de son
installation à la mairie de Fort-de-France à sa passation de pouvoirs en
2001, quarante-six ans plus tard, Césaire aura joué les boute-en-train de la
république, contraignant celle-ci à jouer le jeu de la départementalisation et
l’obligeant à appliquer les principes de la décentralisation qu’elle avait
engagée.
Dans le domaine de l’éducation et de l’instruction publique, il aura été
aussi la mauvaise conscience de la république. On se souvient en particulier
de l’épisode peu glorieux de la censure du Discours sur le colonialisme.
Inscrit en même temps que Cahier d’un retour au pays natal au
programme des classes de terminale de l’enseignement secondaire en France
en 1993, cet essai fut déprogrammé au cours de l’été 1995, le ministre de
l’Education nationale de l’époque245 ayant obéi aux injonctions d’une partie
de son camp. A l’instar du député Alain Griotteray (1922-2008), une partie
de l’opinion métropolitaine s’était étonnée qu’une œuvre osant comparer le
colonialisme au nazisme soit portée à la connaissance de la jeunesse
française et que l’image de la nation fût ainsi salie. Il fallait défendre et
enseigner la grandeur de la France.
Derrière cette inscription et cette désinscription, se dégageait toute
l’ambiguïté du rapport de la république à son histoire coloniale, ambiguïté
dont on peut mesurer encore les implications dans l’histoire nationale du
temps présent. Ainsi, quand le Parlement a fait voter sous le numéro 2005-
158, la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la Nation et
contribution nationale en faveur des Français rapatriés ». Dans son article 4,
celle-ci défend les « bienfaits de la colonisation » : « Les programmes de
recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-
mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite. Les
programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la
présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à
l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces
territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »
Cette injonction à enseigner une histoire coloniale positive remettait en
cause toute l’œuvre et la pensée de Césaire. Elle l’obligea, à plus de 90 ans,
à rappeler de nouveau « tout ce contre quoi il s’était battu durant toutes ces
années ». « […] Auteur du Discours sur le colonialisme, disait-il dans un
communiqué où il refusait de recevoir le ministre de l’Intérieur et futur chef
de l’Etat246, je reste fidèle à ma doctrine et anticolonialiste résolu. Et ne
saurais paraître me rallier à l’esprit et à la lettre de la loi du 23 février
2005 » sur la reconnaissance dans les programmes scolaires du « rôle positif
de la présence française en outre-mer ». La polémique suscitée en France et
outre-mer par l’adoption de cette loi montre bien qu’un devoir de vigilance
constant doit s’exercer sur la république, le risque qu’elle sombre dans la
barbarie n’étant jamais exclu, en raison d’un déficit de (re)connaissance de
sa propre histoire.
Département et région
Au détour du « Calendrier lagunaire », Césaire écrit, lucide : « J’habite
donc une vaste pensée/ mais le plus souvent je préfère me confiner/ dans la
plus petite de mes idées247 ». La « politique des petits pas » qu’il avait
initiée au sujet du statut de la Martinique – et plus généralement, des plus
vieilles colonies – trouvera, au lendemain de sa mort, un dénouement
inattendu. Appelés à se prononcer sur l’évolution du statut de leur île, les
Martiniquais votèrent pour l’adoption de l’article 73 de la Constitution à une
écrasante majorité (68,3 % des voix contre 31,7 %), malgré une faible
participation (35,78 %). Désormais, la Martinique ne possédera plus qu’une
Assemblée unique. Voilà qui donne corps au rêve de Césaire. Celui-ci avait
déjà, au cours des années 1970, puis 1980, souligné tout l’intérêt que l’île
pouvait tirer d’un tel statut : être capable de gérer elle-même ses propres
affaires dans un plus vaste ensemble français, sans toujours dépendre de lui.
Rappelons que l’article 73 prévoit, d’une part, que « dans les départements
et les régions d’outre-mer, les lois et réglements sont applicables de plein
droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et
contraintes particulières de ces collectivités. Ces adaptations peuvent être
décidées par ces collectivités dans les matières où s’exercent leurs
compétences et si elles y ont été habilitées par la loi ». L’article prévoit,
d’autre part, que, « par dérogation […] et pour tenir compte de leurs
spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être
habilitées par la loi à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur
territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de
la loi ». On se trouve ici devant un statut qui ressemble fort à celui de la
Constitution italienne dont avait toujours rêvé Césaire.
L’avancée n’est pas majeure par rapport à l’autonomie qu’espéraient
certains élus, politiques ou militants de l’indépendance de la Martinique.
Mais, encore une fois, pour s’en tenir à la vision de Césaire, un statut ne fait
pas une politique. Il n’est qu’un moyen pour aller vers plus d’émancipation,
qui est le but ultime à atteindre. Une émancipation, et non nécessairement une
autonomie : la condition nécessaire pour le peuple martiniquais de décider
en son âme et conscience de son avenir.
Négritude et patrimoine
Sur le terrain littéraire, l’œuvre de Césaire trace une continuité dans la
négritude, malgré la polémique soulevée lors de la création du mouvement
de la créolité et l’opposition entre ses promoteurs (Jean Bernabé, Patrick
Chamoiseau, et Raphaël Confiant) et les défenseurs de la négritude
césairienne. La mort de Césaire a mis un terme définitif à la polémique et a
ouvert l’ère des bilans et des évaluations.
A l’analyse, les conflits d’ordre littéraire n’étaient que les suites des
incompréhensions nées dans le champ politique. Les défenseurs de la
créolité avaient beau dire qu’ils étaient tous, « à jamais, fils d’Aimé
Césaire »248, les tenants de la négritude ne leur reconnaissaient aucun droit
de filiation. Les premiers estimaient dans leur Manifeste qu’il fallait
désormais « comprendre pourquoi, malgré le retour prôné à la “la hideur
désertée de nos plaies”, Césaire n’allia pas le créole à une pratique
scripturale forgée sur les enclumes de la langue française ». Ils s’engageaient
donc à poursuivre l’œuvre de Césaire dans cette voie de l’authenticité et de
l’autonomie créoles. Les seconds comprenaient simplement que ceux-ci
rejetaient l’Afrique et se dirigeaient, sous couvert de littérature, vers une
autonomie hasardeuse. Sur ce point d’ailleurs, Césaire ne s’était pas privé
d’enfoncer le clou d’une formule sans appel : « On peut toujours parler de
créole premier. Oui on peut… Pffff… Mais l’Afrique… Sans nègre premier,
pas de créole premier249. » Les écrivains de la créolité n’étaient pas anti-
césairiens parce qu’ils s’opposaient à Césaire. Ils étaient anti-césairiens
parce qu’ils entendaient prolonger dans une direction qui leur semblait
convenable l’œuvre de Césaire : d’aucuns diraient la détourner de son
sens…
Pour Césaire, la créolité ne saurait être « le vecteur esthétique majeur de
la connaissance de nous-mêmes et de notre monde », comme l’ont écrit les
auteurs de l’Eloge de la créolité, mais bien la négritude. Cette constante de
sa pensée est encore de mise dans son Discours sur la négritude prononcé
à l’université internationale de Floride à Miami, lors de la première
Conférence hémisphérique des peuples noirs de la diaspora en 1987250. Pour
Césaire, la négritude, qui « est une manière de vivre l’histoire dans
l’histoire », a acquis, au fil des combats, des discours et des expériences des
peuples noirs « soumis », une valeur « patrimoniale » qu’il faut préserver.
Alors que les auteurs de la créolité faisaient de ce concept le nœud expansif
de la littérature et de la pensée, Césaire conçoit la négritude dans une
acception plus large, hémisphérique et continentale, américaine, africaine et
caribéenne. Grâce à elle, on peut tracer une filiation entre le continent
africain et les mondes créoles. Impossible de procéder de même avec la
créolité. De là à penser que pour lui aussi, comme pour Senghor, la négritude
« est un humanisme », il y a un pas, qu’avec Césaire il vaut mieux ne pas
franchir. Il se méfiera toujours des formules toutes faites…
En tout état de cause, la popularité de Césaire sur les trois continents
(Afrique, Europe, Amériques) est indéniable. Bien moins controversée que
celle d’un Senghor, bien plus sérieuse que celle d’un Damas, la popularité de
celui dont Suzanne Césaire disait affectueusement qu’il avait « deux pieds
gauches » (il dansait mal), sera toujours liée à l’univers des idées, pour
lequel il nourrissait une préoccupation toute particulière. C’est là que se sont
construits ses réseaux d’amitiés et ses affections, tissés ses postures et ses
choix. C’est à partir de là (avec ses exigences et ses principes parfois
impitoyables) que Césaire pouvait comprendre et savait agir. Le poète s’est
établi sur la fin de sa vie comme un laminaire sur son rocher.
Ce choix extrême a ses exigences et ses contraintes. On ne sera donc pas
surpris que, si bien entouré, si populaire, si visité qu’il fût par les hommes
de ce monde, petits et grands, Césaire soit demeuré finalement assez
solitaire. La politique l’avait contraint à cet état. Il avait fini par y trouver,
comme il le disait lui-même, un « certain confort ». Sa vie privée, toujours
dominée par sa vie publique, restera, pour lui, « dérisoire ». Tel est
d’ailleurs le titre d’un poème au contenu explicite adressé sous forme de
« Lettre à une amie lointaine » :
Je ne suis pas cloué sur le plus absurde des rochers/ […] Inutile de préciser/ Que je
n’ai cure d’un état civil établi/ à l’évidence par pure nostalgie/ […] Je ne broute pas la
panique/ Je ne rumine pas le remords/ Tout juste je picore l’ordinaire saison/
Guettant le temps d’un bref éclair/ (le temps dit mort)/ le sillage d’un acquiescement
perdu/ ou si l’on veut d’un ordre/
Comme l’ordre ne vient pas et l’amie lointaine non plus, Césaire ajoute à
sa lettre le « post-scriptum » suivant :
PS/ Mais si toute sève est abolie/ Si le courant se refuse/ Si défaille l’alizé/ Si même
pollen et sable ne m’arrivent natal/ Si de moi-même à moi-même/ L’inutile piste
s’effraye et se poursuit/ Que mon seul silence me livre/ La jubilation mal déchiffrée
d’un/ magma solitaire/ Cavalier du temps et de l’écume 251.
Césaire aura été porté, sa vie durant, par l’image de la seule femme qui –
en dehors d’Ina – lui fut vraiment fidèle, sa mère. C’est bien à cette figure
« tutélaire » qu’il consacrera le dernier poème de son dernier recueil publié,
Comme un malentendu de salut. Eléonore Hermine y apparaît sous les
traits d’une « grande ombre tendre/ hagarde » qui, d’un « dernier et tutélaire
regard », jaillit « en face des monstres », et se bat contre les « cyclones », la
« vague dévorante », les « volcans » et « leur alerte de pieuvres252 ».
L’image de la mère qui clôt l’œuvre corrobore celle de cette foule qui
accompagne le poète à sa dernière demeure comme on porte un enfant dans
son berceau. On ne peut songer ici qu’aux dernières paroles du roi
Christophe demandant le chemin de retour vers la terre première, la terre
mère : « Afrique ! Aide-moi à rentrer, porte-moi comme un vieil enfant dans
tes bras et puis tu me dévêtiras, me laveras […] de leur fard, de leurs
baisers, de mon royaume ! Le reste j’y pourvoirai seul253. »
Notes
Prologue
1. « Transmission », Moi, laminaire, Paris, Seuil, 1982.
2. « Par tous les mots guerrier-silex », Moi, laminaire, Paris, Seuil, 1982. Ce poème est repris de la revue
Présence africaine. Hommage à Frantz Fanon, n° XL, 1962.
3. J’étais chargé de lui remettre un courrier de la part de Mme Christiane Yandé Diop, directrice de Présence
africaine, qui, elle-même, relevait de maladie, ainsi qu’un exemplaire du dernier numéro paru de la revue du même
nom.
4. Il s’agit de Kora Véron, qui a écrit une thèse sur l’œuvre de Césaire.
6. Jacqueline Leiner, « Au travail avec Aimé Césaire (1976-1998) », Mondes francophones. Revue mondiale
des francophonies, 2008.
7. Il avait écrit : « A Blaise Fonkoua, en souvenir de sa visite en notre Martinique qui nous laissera le
souvenir du devenir d’une Afrique loyale et dynamique, d’un passé qui est aussi l’avenir de toute l’humanité.
Fort-de-France, le 28 février 2008. »
8. Prévue initialement pour commencer en 2010, elle s’est finalement tenue du 9 novembre 2009 au 31 janvier
2010.
13. Cf. Joseph Zobel, La Rue Cases-Nègres, Paris, Présence africaine, 1955 (rééd.).
14. « Le long cri d’Aimé Césaire », propos recueillis par Gilles Anquetil, Le Nouvel Observateur, n° 1528, 17
au 23 février 1994.
15. Helène Asensi et autres, « Entretien avec Aimé Césaire » in L’Autre, cliniques, cultures et sociétés,
n° 24, « Grandir », 2007.
17. Georges Ngal, Aimé Césaire. Un homme à la recherche d’une patrie, Paris, Présence africaine, 1975.
19. Cf. Roger Toumson et Simonne Henry-Valmore, Aimé Césaire, le nègre inconsolé, Fort-de-
France/Paris, Vent des Îles/Syros, 1993.
21. Césaire s’occupera des obsèques de Damas, mort en 1978 à l’hôpital de l’université George-Washington.
Il fera voter par le conseil municipal de Fort-de-France un arrêté afin que la ville accorde à l’un des siens des
funérailles dignes de son rang.
23. Pierre Bois, « Aimé Césaire, un poète en colère », Le Figaro, 20 décembre 1974.
27. Romuald Fonkoua, « L’espace du voyageur à l’envers », Jean Bessière et Jean-Marc Moura, éd.,
Littératures postcoloniales et représentations de l’ailleurs, Paris, Champion, 1999.
28. Edouard Glissant, Soleil de la conscience, Paris, Seuil, 1956 ; Bernard Dadié, Un nègre à Paris, Paris,
Présence africaine, 1959 ; Ousmane Socé Diop, Mirages de Paris, Paris, Nouvelles Editions latines, 1937 ; Cheikh
Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.
29. Patrice Louis, Conversation avec Aimé Césaire, Paris, Arléa, 2007.
30. Jean-François Sirinelli, Une génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-
guerres, Paris, PUF, 1994.
35. Mohamed Aziza, Léopold Sédar Senghor. La poésie de l’action, Paris, Stock, 1980.
36. Cf. Jean-François Sirinelli, « Deux étudiants “coloniaux” à Paris à l’aube des années trente », Vingtième
siècle. Revue d’histoire, n° 18, 1988.
37. Discours prononcé à Fort-de-France à l’occasion de la visite de Léopold Sédar Senghor le 13 février 1976.
40. Fred Zeller, Trois points c’est tout, Paris, Laffont, 1976.
41. Archives du lycée Louis-le-Grand. Jean-François Sirinelli, « Deux étudiants “coloniaux” à Paris à l’aube
des années trente », op. cit.
42. Bulletin de la Société des amis de l’Ecole normale supérieure, n° 31, janvier 1924, cité par Jean-
François Sirinelli, Khâgneux et normaliens, op. cit.
46. Philippe Dewitte, Les Mouvements nègres en France. 1919-1939, Paris, L’Harmattan, 1985 ; Roger
Toumson et Simonne Henry-Valmore, op. cit.
47. « Entretien de Césaire avec Philippe Decraene », Le Monde Dimanche, 6 décembre 1981.
50. « Rencontre avec Aimé Césaire. Propos recueillis par Francis Marmande », Le Monde, 17 mars 2006.
51. Euzhan Palcy, Aimé Césaire, une voix pour l’histoire, 1994.
52. Normalien, traducteur d’anglais, Georges Pelorson est de la même promotion que Robert Brasillach,
Claude Jamet et Maurice Bardèche. Après son retour d’Irlande, en 1939, son itinéraire le conduit vers la
collaboration active. Chargé en février 1941 d’organiser la propagande pour les jeunes en zone occupée, il devient
secrétaire général adjoint à la Jeunesse sous l’autorité de Georges Lamirand. Il fonde en juin 1942 les « Equipes
nationales ». Après la Libération, il change de patronyme et se fait appeler Georges Belmont.
53. René Hénane, Glossaire des termes rares dans l’œuvre d’Aimé Césaire, Paris, Jean-Michel Place,
2004.
55. Cf. Martin Steins, « Nabi nègre », Césaire 70, Paris, Silex/Nouvelles du Sud, 2004 [1984].
57. Euzhan Palcy, Aimé Césaire une voix pour l’histoire, film, Saligna and So on, 1994.
58. Cf. Jean-François Sirinelli, Une génération intellectuelle. Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-
guerres, op. cit.
59. Michel Leiris, Journal, Paris, Gallimard, 1992.
61. Ina Césaire, « Suzanne Césaire, ma mère », in Daniel Maximin, Suzanne Césaire, le grand camouflage,
Paris, Seuil, 2009.
64. Euzhan Palcy, Aimé Césaire, une voix pour le XXI e siècle, Paris, film, Saligna and So On, 1994. Roger
Toumson et Simonne Henry-Valmore, op. cit.
66. Raphaël Confiant, Dictionnaire créole martiniquais français, Martoury (Guyane), Ibis Rouge, 2007.
67. Euzhan Palcy, Aimé Césaire. Une voix pour l’histoire, film, Saligna and So On, 1994.
70. « Entretien avec Aimé Césaire par Jacqueline Leiner », Tropiques 1941-1945, Paris, Jean-Michel Place,
rééd. 1978.
71. « Entretien avec Aimé Césaire par Jacqueline Leiner », op. cit.
74. « Entretien avec Aimé Césaire par Jacqueline Leiner », op. cit.
77. René Hibran, « Le problème de l’art à la Martinique. Une opinion », Tropiques, 6-7, 1943.
80. Suzanne Césaire, « Misère d’une poésie. John-Antoine Nau », Tropiques, 4, 1942.
81. « Fragments d’un poème » (Tropiques, 1, 1941), « Fragments d’un poème. Le Grand Midi » (Tropiques, 2,
1941), « Survie », « N’ayez point pitié de moi », « Au-delà », « Perdition », « En rupture de mer morte », (Tropiques,
3, 1941), « Poème pour l’Aube », « Histoire de vivre » (Tropiques, 4, 1942), « Entrée des Amazones », « Fantômes à
vendre », « Femme d’eau », « Tam-tam de nuit » (Tropiques, 6-7, 1943), « Avis de tirs » (Tropiques, 8-9, 1943),
« Poème. Et les chiens se taisaient » (Tropiques, 11, 1944).
82. Aristide Maugée, « Aimé Césaire, poète », Tropiques, 5, 1942.
83. Euzhan Palcy, Aimé Césaire, une voix pour l’histoire, film, Saligna and So On, 1994.
84. Ibid.
85. Ibid.
87. Cf. Jean-Claude Blachère, « Breton ascendant Césaire », Aimé Césaire un poète dans le siècle.
Itinéraires et contacts de culture, Paris, L’Harmattan, 2006.
89. Aimé Césaire, Moi, laminaire, « Conversation avec Mantonica Wilson », Paris, Seuil, 1982.
90. Aimé Césaire, Retorno al Pais natal, traduction de Lydia Cabrera, préface de Benjamin Péret, dessins à
l’encre de Chine de Wifredo Lam, La Havane (Cuba), Ed. C.T. Poétique, 1942 [La Habana, Molina et Cia, 1943].
91. Lydia Cabrera, « Bregatino Bregantino », traduit par Francis Miomandre, Tropiques, 10, 1944.
92. Aimé Césaire, « Introduction à un conte de Lydia Cabrera », Tropiques, 10, 1944.
96. Euhzan Palcy, Aimé Césaire. Une voix pour l’histoire, op. cit.
98. Ibid.
99. H. Camouilly, C. Auguste-Charlery, L. Donot, Municipales. Aimé Césaire se retire, Reportage FR3,
journal 19-20, diffusé le 9 mars 2001.
100. Annick Thebia-Melsan, Aimé Césaire, le legs : « …nous sommes de ceux qui disent non à
l’ombre », Paris, Argol, 2008.
102. Ibid.
105. On a respecté le plus possible l’orthographe du document originel que nous n’avons pas pu
photocopier. Nous avons marqué les réponses de Césaire aux questions en utilisant l’italique.
106. Les passages ont été barrés par Césaire lui-même. Il s’est apparemment trompé.
107. Cette mention indique que Césaire n’a rien répondu à cette rubrique.
108. Cette réponse et sa question ont été soulignées en bleu dans la marge. Par qui ? et quand ? Nous
n’avons pas réussi à le savoir.
109. Ces deux questions et leurs réponses sont également soulignées en marge en bleu.
111. Sur ce sujet, lire Jean Suret-Canale, Les groupes d’Etudes Communistes (GEC) en Afrique noire
(1943-1951), Paris, L’Harmattan, 1994.
112. La commission est composée d’Emile Dutilleul (1883-1948), député de la Seine, d’André Mercier (1901-
1978), député de l’Oise, et d’Henri Lozeray (1898-1952), député du Cher.
113. Victor Schoelcher, Esclavage et colonisation, introduction d’Aimé Césaire, Paris, PUF, 1948 [réédition,
Editions le Capucin, Lectoure (Gers), 2004].
116. Le journal Justice, organe d’expression du parti communiste martiniquais, se fera l’écho régulier de ces
diverses prises de parole dans la cour de l’ancienne mairie de Fort-de-France, rue Victor-Sévère.
117. Tels sont par exemple les poèmes « Les pur-sang » (publié sans ce titre, (1/1941), « Le Grand midi »
(2/1941 ; 4/1942), « Au-delà », « Perdition » (3/1941), « Poème pour l’Aube » (4/1942), « Avis de tirs » (8-9/1943),
« Et les chiens se taisaient » (11/1944 ; 13-14/1945).
118. Aristide Maugée, Cahier d’un retour au pays natal, in Tropiques, 6-7, février 1943, p. 60.
119. Dominique Desanti, in Annick Thebia-Melsan, Aimé Césaire, le legs : « … nous sommes de ceux
qui disent non à l’ombre », Paris, Argol, 2008.
120. Aimé Césaire, Nègre je suis, nègre je resterai. Entretiens avec Françoise Vergès, Paris, Albin
Michel, 2005, p. 31.
V. Civilisation et barbarie
Le discours anticolonialiste
121. Paris, Editions De Clermont, p. 105-111.
122. Georges Ngal, Un homme à la recherche d’une patrie, Paris, Présence africaine, 1994, p. 238-239.
126. Aimé Césaire, Le Nègre inconsolé, Paris, Syros/Fort-de-France, Vent des Îles, 1993.
127. Georges Ngal, Lire le « Discours sur le colonialisme », Paris, Présence africaine, 1994.
132. Louis Aragon, « Sur une définition de la poésie », 1941, Les Yeux d’Elsa, Paris, Seghers, 1994 (1942).
133. Paul Dirkx, « La presse littéraire parisienne et les amis belges », Actes de la recherche en sciences
sociales, n° 111-112, 1996, p. 120-121.
134. Louis Aragon, « Le parfum de réalité », Les Lettres françaises, 26 mai 1954.
135. Louis Aragon, « De la réalité, dans la poésie nationale », Les Lettres françaises, 20 août 1954.
138. « La presse littéraire parisienne et les amis belges », Actes de la recherche en sciences sociales,
n° 111-112, 1996, p. 120-121.
144. René Depestre, « L’éblouissant effet Césaire », Le Métier à métisser, Paris, Stock, 1998, p. 23-33.
145. Léopold Sédar Senghor, « Réponse au débat », Présence africaine, n° 5, décembre 1955-janvier 1956.
147. « Contribution au débat sur la poésie nationale », Présence africaine, n° 6, février-mars 1956.
153. « La culture moderne et notre destin », Présence africaine, VIII-IX-X, juin-novembre 1956.
156. The School in American Culture, Cambridge (USA), Harvard University Press, 1951.
161. Patrice Louis, Conversation avec Aimé Césaire, Paris, Arléa, 2007.
162. Voir les exemples de Jean-Paul Sartre, Roger Vailland, Claude Roy, Claude Morgan ou Dominique
Desanti. Lire Emmanuel Le Roy-Ladurie, Paris-Montpellier, PC-PSU, Paris, Gallimard, 1982 ; Dominique Desanti,
Les Staliniens : une expérience politique (1944-1956), Paris, Fayard, 1975 ; ou encore Pierre Fougeyrollas
(1923-2008), Le Marxisme en question, Paris, Stock, 1959.
163. Pour répondre à ces accusations, Roger Garaudy organise l’édition spéciale d’un volume intitulé Les
intellectuels communistes témoignent, publié à la fois par Clarté, n° 58, suppl., et par la Nouvelle critique,
revue du marxisme militant, n° 78, suppl., 1956.
164. Voir par exemple la protestation du journal Les Lettres françaises au mois de novembre 1956 contre le
président Kadar, au nom de la défense des écrivains et artistes hongrois.
165. Léopold Sédar Senghor, « Vers un socialisme africain », Liberté et nation et voie africaine du
socialisme, Paris, Seuil, 1971, p. 45-50.
168. Le comité « Aimé Césaire » est composé du Dr Pierre Aliker, président ; d’Aristide Maugée, vice-
président ; de Georges Théodore, trésorier ; Félix Cordemy ; Léonce Edmond ; Ernest Dogue ; Albert Joyau (maire
de la commune du Prêcheur).
170. « Et les chiens se taisaient », sculpture électronique wrappée sur tulipage d’or, 1991. Lieu : volé.
171. Janheinz Jahn, Und Die Hunde Schwiegen, Tragödie von Aimé Césaire, Emsdetten, 1956 (Dramen der
Zeit, t. 20).
172. Cf. Ernstpeter Ruhe, Aimé Césaire et Janheinz Jahn : les débuts du théâtre césairien. La
nouvelle version de « Et les chiens se taisaient », Würzburg, Königshausen und Neumann, 1990.
173. Ousmane Diakhaté, « Le théâtre d’Aimé Césaire : un manifeste de la dissidence », Hommage à Aimé
Césaire, Ethiopiques, 2009.
174. Jacqueline Leiner, « En cheminant avec Aimé Césaire », Mondes francophones, 1993.
175. A cette date, on le sait, Césaire a déjà rencontré Petar Guberina (dans la salle de ping-pong située au
sous-sol de la Cité universitaire, comme celui-ci l’a rappelé dans sa version à lui) et a déjà passé ses vacances d’été
en Dalmatie. Cf. Euzhan Palcy, op. cit.
176. « Entretien avec Aimé Césaire par Jacqueline Leiner », Tropiques 1941-1945, Paris, Jean-Michel Place,
1978.
177. Pierre-Aimé Touchard, Dionysos. Apologie pour le théâtre, Paris, Seuil, 1949.
178. Ibid.
179. Ibid.
180. Ibid.
182. « Entretien avec Aimé Césaire par Jacqueline Leiner », op. cit.
186. Rapport de Césaire au congrès fondateur du parti, repris dans Le Progressiste, 16 avril 2008.
187. Victor Sablé, Mémoires d’un Foyalais, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993.
188. Ibid.
193. Ferrements, « Hors des jours étrangers ». Une version différente de ce poème est parue dans Les
Temps modernes en 1950.
194. Euzhan Palcy, Aimé Césaire, une voix pour l’histoire, op. cit.
195. Ibid. Dans l’entretien, Césaire parle des articles 1 et 2 en confondant les termes de la Constitution de la
e
V République et ceux de la République italienne.
197. Ibid.
198. Lilyan Kesteloot et Barthélémy Kotchy, Comprendre Aimé Césaire. L’homme et l’œuvre, Paris,
Classiques africains/Présence africaine, 1993.
200. Ibid.
201. Ibid.
204. Claude-François Jullien, « Les dernières miettes de l’Empire », Outre-mer, 15 décembre 1975.
205. Victor Sablé, Mémoires d’un Foyalais, Paris, Maisonneuve et Larose, 1993.
206. Cf. Suzanne Césaire, Le Grand Camouflage. Ecrits de dissidence (1941-1945), édition établie par
Daniel Maximin, Paris, Seuil, 2009.
207. Lilyan Kesteloot présente une photo avec Césaire (non datée) « prise à Orgerus chez les Thésée ».
Lilyan Kesteloot et Barthélémy Kotchy, op. cit. Jacqueline Leiner affirme que les Thésée venaient le chercher
souvent pour dîner « depuis le décès de Suzanne ».
209. « Entretien avec Edouard J. Maunick », Radio France, France Culture, janvier 1976.
211. Noured Ayouch, « Entretien avec Jean-Marie Serreau », Souffles, n° 13 et 14, 1969.
213. Aimé Césaire, Nègre je suis, nègre je resterai. Entretiens avec Françoise Vergès, Paris, Albin
Michel, 2005.
214. Idem.
215. Présence africaine : Acte I, n° XXXIX, 1961. Acte II, n° XXXXIV, 1962. Acte III (fin), n° XLVI, 1963.
216. Guy de Bosschère, « Une saison au Congo », Saison 1967-68, Théâtre de l’Est parisien, 1967.
217. Suzanne Brichaux-Houyoux, Quand Césaire écrit, Lumumba parle : édition commentée de Une
saison au Congo, L’Harmattan, 1993.
218. Idem.
219. « Entretien avec Claude Stevens », L’Afrique actuelle, n° 23, décembre 1967.
220. Aimé Césaire, « Le temps du sang rouge », Le Point (de Bruxelles), janvier 1968.
222. Aimé Césaire, « Le Noir cet inconnu. Entretien », Les Nouvelles, 1969.
224. Aimé Césaire et Lucien Attoun, « Entretien. Aimé Césaire et le théâtre nègre », Arrabal (dir.), Le
Théâtre, 1970-1, Christian Bourgois éditeur, 1970.
225. Lucien Attoun, Les Poètes et les angoisses de l’Histoire, « Quand le théâtre ouvre la voie », RFI,
Archives sonores de la phonothèque de l’INA.
226. Pierre Laville, « Jean-Marie Serreau et Aimé Césaire. Un acte politique et poétique. La tragédie du roi
Christophe et Une saison au Congo », Denis Bablet (dir.), Les Voies de la création théâtrale, II, Editions du
CNRS, 1970.
227. Bertold Brecht, « Cinq difficultés pour écrire la vérité » (1934), Europe, n° 133-134, 1957.
228. Olivier Neveux, Théâtres en luttes. Le théâtre militant en France des années 60 à aujourd’hui, La
Découverte, 2007.
230. Peter Weiss, Discours sur la genèse et le déroulement de la très longue guerre de libération du
Vietnam illustrant la nécessité de la lutte armée des opprimés contre leurs oppresseurs ainsi que la
volonté des Etats-Unis d’Amérique d’anéantir les fondements de la révolution, Paris, Seuil, 1967.
231. « Pour Aimé Césaire, Lumumba fut un héros tragique. Entretien avec Frédéric Mégret », Le Figaro
littéraire, n° 1044, 21 avril 1966.
232. Aimé Césaire, « Société et littérature aux Antilles », Etudes littéraires, vol. 6, n° 1, 1973.
236. Lucien Lemoine se trompe probablement. C’est sans doute durant l’épisode italien plutôt qu’autrichien
que cette plaque a été découverte. Marie-Louise Christophe, née Coldavid (1778-1851), est décédée à Pise.
Seul et splendide…
237. Par décret n° 0093 du 18 avril 2008 publié au journal officiel daté du 19 octobre 2008.
238. « Jugement de la lumière », Cadastre. Soleil cou coupé, Paris, Seuil, 1961.
239. David Alliot, Aimé Césaire. Le nègre universel, Genève, Infolio, 2008.
240. Roger Toumson et Simonne Henry-Valmore, Aimé Césaire, le nègre inconsolé, Paris Fort-de-France,
Syros/Vent des îles, 1993.
241. Raphaël Confiant, Aimé Césaire. La traversée paradoxale du siècle, Paris, Ecriture, 1993.
243. Cf. Claude Ribbe, Le nègre vous emmerde, Paris, Buchet/Chastel, 2008.
244. « Configurations », Ferrements et autres poèmes. Comme un malentendu de salut, Paris, Seuil,
1994.
245. Il s’agissait de François Bayrou, né en 1951, agrégé de lettres classiques et ministre de l’Education
nationale de 1993 à 1995.
248. Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Eloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989.
249. Euzhan Palcy, Aimé Césaire. Une voix pour l’histoire, film, Saligna and So on, 1994.
250. Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, suivi de Discours sur la négritude, Paris, Présence
africaine, 2004.
251. « Dérisoire », Ferrements et autres poèmes. Comme un malentendu de salut, Paris, Seuil, 1994.
253. Aimé Césaire, La Tragédie du roi Christophe, Paris, Présence africaine, 1970.
Bibliographie
Ce livre doit beaucoup à ceux qui m’ont aidé à le porter. Tous mes
remerciements à Maryse Dablemont (pour les relectures), à Valérie Marin La
Meslée (pour les suggestions), à Sarah Davies-Cordova (pour la recherche
et les traductions).
Une gratitude toute spéciale à Mary Leroy, mon éditrice, pour sa patience
et sa disponibilité.
Index
Achard, Marcel 1
Achille, Louis-Thomas 1 2
Alain 1 2
Aliker, André 1
Aliker, Pierre 1 2 3 4 5 6
Amado, Jorge 1
Aminel, Georges 1
Anouilh, Jean 1
Anta Diop, Cheikh 1 2 3 4 5 6
Apollinaire, Guillaume 1 2
Aragon, Louis 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45
Aristote 1
Aron, Raymond 1
Astérie, Louise, Moïse (instutrice) 1
Atlas 1
Aubigné, Agrippa d’ 1
Baissette, Gaston 1
Baker, Joséphine 1 2
Barbé, Raymond 1 2 3
Barbet, Raymond 1
Barde, R.P. 1
Barthou, Aimé 1
Bass, marquis de, gouverneur 1
Bath, gouverneur général 1
Baudelaire, Charles 1 2
Baudrillard, Jean 1
Baudrillart, Mgr 1
Bayet, Albert 1 2 3
Bayle, lieutenant de vaisseau 1
Bayrou, Maurice 1 2
Beauvoir, Mathilde 1
Beauvoir, Simone de 1
Belin-Milleron 1
Bellessort, André 1 2
Béraud, Henri 1 2
Berge, François 1 2 3 4 5 6
Bernabé, Jean 1
Bertaux, Pierre 1
Beti, Mongo 1 2
Betzy, Julien 1
Bidault, Georges 1
Bissainthe, Toto 1
Bissette, Cyrille 1
Bissol, Léopold 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Biyidi, Alexandre (voir Mongo, Beti)
Blanchar, Pierre 1
Blanche, Denis 1
Blier, Bernard 1
Blin, Roger 1 2 3 4
Blum, Léon 1
Boileau, Nicolas 1 2 3
Bonnard, Abel 1
Bosschère, Guy de 1
Boto, Eza 1
Bourdet, Edouard 1
Bourdieu, Pierre 1
Boutang, Pierre 1
Boyer, Henri Christophe 1
Bozonnet, Marcel 1
Brach, Pierre de 1
Braga, Dominique 1
Brasillach, Robert 1
Brasseur, Pierre 1
Brecht, Bertolt 1 2 3 4 5
Breton, André 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
Broglie, Louis, duc de 1
Brourouet, Mme, architecte 1
Buffon, Georges, Louis Leclerc, comte de 1
Cabrera, Lydia 1 2
Caillois, Roger 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
Calame-Griaule, Geneviève 1
Callat, Henri 1
Camus, Albert 1 2 3 4
Caron, Paul 1 2
Carpentier, Alejo 1
Césaire, André 1
Césaire, Arsène 1 2
Césaire, Constance 1
Césaire, Denise 1 2 3 4 5
Césaire, époux 1 2 3 4 5 6
Césaire, famille 1 2 3
Césaire, Fernand Elphège 1 2 3 4 5 6 7 8
Césaire, Francis 1 2
Césaire, Georges 1 2 3 4
Césaire, Ina 1 2 3 4 5 6 7 8
Césaire, Jacques 1 2 3
Césaire, Jean-Paul 1 2 3 4
Césaire, Jeanne, Henriette, Marie 1
Césaire, Marie, Félicité, Eléonore (née Hermine) 1 2 3 4 5 6 7
Césaire, Michèle 1 2
Césaire, Mireille 1 2 3 4
Césaire, Nicolas, Louis, Fernand 1 2 3 4
Césaire, Omer 1 2
Césaire, pamphlétaire 1
Césaire, Suzanne 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40
Chalonec, Hermine 1 2
Chamoiseau, Patrick 1
Chassignet, Jean-Baptiste 1
Chemin, Philippe 1
Chériza, Pierre 1
Chouadria 1
Christophe, Henry (roi d’Haïti) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19
20 21 22
Claudel, Paul 1
Clerc, Fernand 1
Cœdès, Georges 1
Colbert, Jean-Baptiste 1 2
Colette 1
Confiant, Raphaël 1
Conombo, Joseph 1
Constant, Benjamin 1
Cook, Mercer 1 2 3
Coste-Floret, Paul 1
Cresson, André 1
Crombecque, Alain 1
Cuvier, Georges 1
Daix, Pierre 1
Damas, Léon Gontran 1 2 3 4 5 6 7
Darsières, Camille 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Davis 1
De Gaulle, Charles 1 2 3 4 5 6
Debré, Michel 1 2 3
Delanon, Auguste 1
Delapervenche 1
Delavignette, Robert 1
Délépine, Edouard 1 2
Depestre, René 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40
Déroulède, Paul 1
Desanti, Dominique 1 2
Desanti, Jean-Toussaint 1 2
Descamps, Pierre 1
Deschamps, gouverneur 1 2 3
Deschamps, Hubert 1
Des Etages, Maurice 1
Desportes, Georges 1 2
Desroches, Didier 1
Dessalines, Jean-Jacques 1
Devrain, Eugène 1
Dewitte, Philippe 1
Diagne, Blaise 1
Diakhaté, Lamine 1
Dionne, abbé 1
Diop, Alioune 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42
Diop, Christiane Yandé 1
Diop, David 1 2 3
Diop, famille 1
Diouf, Abdou 1 2
Dirkx, Paul 1 2
Dobzynski, Charles 1 2 3 4 5
Dodone 1
Dorival, Félix 1 2 3 4 5
Dresch 1
Drieu la Rochelle, Pierre 1
Drumont, Edouard 1
Du Bellay, Joachim 1
Dubois, Jacques 1
DuBois, W.E.B. 1
Duclos, Jacques 1 2 3 4 5
Dufond, Guy 1
Duits, Charles 1
Dumur, Guy 1
Dupuy 1
Dutilleul, Emile 1
Duvalier, François 1 2 3
Duvernois, Henri 1
Eboué, Félix 1
Ecaré, Désiré 1 2
Einstein, Albert 1
Ekollo, pasteur 1
Ellington, Duke 1
Eluard, Paul 1 2 3 4 5
Etiemble, René 1
Fadeïev, Aleksandr 1
Fajon, Etienne 1 2 3
Fanon, Frantz 1 2 3 4 5 6
Farigoule, voir Romain, Jules
Febvre, Lucien 1 2
Félicité, Montlouis 1
Finkielkraut, Alain 1 2
Ford, Gerald 1
François, Louis 1
Fresnay, Pierre 1
Friedman, Georges 1
Frobenius, Leo 1 2 3 4 5 6
Funk-Brentano, Christian 1
Gamarra, Pierre 1
Gandillac, Maurice de 1
Garaudy, Roger 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30
Gassel, Ita 1
Gatti, Armand 1
Gaxotte, Pierre 1
Georges-Picot, Guillaume 1
Gershwin, George 1
Gessaint, Robert 1
Giacometti, Alberto 1
Gide, André 1
Girard, Rosan 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Giraud, Henri (général) 1
Giraudoux, Jean 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
Giscard-d’Estaing, Valéry 1
Glissant, Edouard 1 2
Godding, René 1
Gorse, Georges 1
Gorter, Sadi de 1
Gourou, Pierre 1 2 3 4
Gratiant, Georges 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Gratiant, Gilbert 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
Grégoire, abbé 1
Grévin, Alfred 1
Griotteray, Alain 1
Grosjean, Maurice 1
Grousset, René 1 2
Guberina, Petar 1 2 3 4 5 6 7
Guérin, Jean 1
Guernier, Maurice 1 2
Guibert, Armand 1
Guilleminet, Paul 1
Guillevic, Eugène 1 2 3 4 5 6
Guissou, Henri 1
Guitry, Sacha 1
Guitteaud, Walter 1 2
Guth, Paul 1
Hadamard, Jacques 1
Hailé Sélassié 1
Hamelin, Octave 1
Hammarskjöld, Dag 1
Hardy, Georges 1
Hazoumé, Paul 1
Hearn, Lafcadio 1
Hegel, Friedrich 1 2 3 4
Hénane, René 1 2
Henri, Paul-Marc 1
Henry-Valmore, Simone 1
Hermantier, Raymond 1
Herriot, Edouard 1
Hervieux, Pierre 1
Heurgon, Jacques 1
Hibbert, Lucien 1
Hibran, René 1 2
Hippolyte, Gladys 1
Hippolyte, Marie-Rose 1
Hirsch, François 1
Hitler, Adolphe 1 2 3 4 5 6
Houellebecq, Michel 1
Houphouët-Boigny, Félix 1
Hugo, Victor 1 2 3
Husserl, Edmond 1
Huu Khang, Nguyen 1
Huxley, Aldous 1
Ichac, Pierre 1
indxFanon, Frantz 1
Jahn, Janheinz 1 2
Jamiaque, Yves 1
Jodelle, Etienne 1
Johnson, James Weldon 1 2
Jollet, André 1
Jouvet, Louis 1 2 3 4 5 6 7 8
Jules-Rosette, Joëlle 1 2
Julien, Charles-André 1 2
Kalalubu, Joseph 1
Kanapa, Jean 1
Kany, Catherine 1
Kasavubu, Joseph 1
Kérel, François 1
Kesteloot, Lilyan 1 2 3
Khrouchtchev, Nikita 1 2
Kierkegaard, Søren, Aabye 1
Koffi 1
Kori (Kora Véron) 1
Kosciusko-Morizet, Jacques 1
Kossarev 1
Kossior 1
Krusé, Cornélius 1
La Boétie, Etienne de 1
La Fontaine, Jean de 1
Labéjoff, Yvan 1
Lacépède, Bernard, Germain, Etienne de La Ville-sur-Illon, comte de 1
Lacoste, Robert 1
Lagrosillière, Joseph 1
Laguarigue de Survilliers, Jean de, maire 1
Lam, Wifredo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Lam, Yam 1 2
Lambiotte, Jean 1
Langston Hugues, James 1
Lanux, Pierre 1
Lapie, Pierre-Olivier 1
Lapierre 1
Laroche, Jean 1
Lattre de Tassigny (maréchal) 1
Lautréamont, Isidore Ducasse, dit comte de 1 2
Lavache, Gilberte 1
Lavelle, Louis 1 2
Laye, Camara 1 2
Le Senne, René 1 2
Le Tellier, Michel 1
Le Troquer, André 1 2
Lebon, Gustave 1
Lebrun, Albert 1
Lecercle, Jean-Louis 1
Leclerc, Philippe (général) 1
Lecomte de Nouÿ, Pierre 1
Leiner, Jacqueline 1 2 3 4 5 6 7
Leiris, Michel 1 2 3 4 5 6 7
Lemoine, Lucien 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Léopold (roi de Belgique) 1
Léro, Etienne 1
Léro, Thélus 1
Leroi-Gourhan, André 1
Letchimy, Serge 1 2 3 4
Lévi-Strauss, Claude 1 2 3
Lhérisson, Camille 1
Liébin, Edgar 1
Loeb, Pierre 1
Longequeue, Louis 1
Louis-Philippe 1
Lozeray, Henri 1
Lumumba, Patrice Emery 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Lupovici, Marcel 1 2
Lurçat, Jean 1
Luther King, Martin 1
M’siri 1
Mabille, Pierre 1 2 3
Mac Kay, Claude 1 2 3
Macni, Eugénie (Man Nini) 1 2 3 4 5 6 7 8
Malcolm X 1
Malinowski, Bronislaw 1 2 3
Mallarmé, Stéphane 1
Malonga, Jean 1
Malraux, André 1 2 3 4 5
Mandouze, André 1
Mané, Doura 1
Mannoni, Octave 1 2 3 4 5
Marajo, Christian 1
Maran, René 1 2 3 4 5
Marcenanc, Jean 1
Marie-Louise d’Haïti (épouse du roi Christophe) 1
Maritain, Jacques 1
Marjolin, Robert 1
Marmande, Francis 1
Marx, Karl 1
Maspero, Gaston 1
Massis, Henri 1 2
Masson, André 1
Mauclair, Jacques 1
Maugée, Aristide 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Maugée, Mireille (Mireille Césaire) 1 2 3 4
Maulnier, Thierry (Jacques Louis Talagrand) 1 2 3 4
Maunick, Edouard 1
Mauriac, François 1
Maurras, Charles 1
Mauss, Marcel 1
Mauvois, Georges 1
Max, Henri 1
Maximin, Daniel 1 2
Maydieu, Jean-Augustin, RP 1 2
Mead, Margaret 1
Médina, Albert 1
Mégnen, Jeanne 1
Meier, Paul 1
Mélèze, Josette 1
Melik, Edgar 1
Melik, Rouben 1
Ménil, René 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Mercier, Paul 1
Merleau-Ponty, Maurice 1
Métraux, Alfred 1
Michaux, Henri 1
Mirabeau, Honoré Gabriel Riqueti, comte de 1
Mitterrand, François 1
Mobutu, Joseph Désiré 1 2 3 4 5
Moch, Jules 1
Mollet, Guy 1 2 3 4
Monnerot, Jules-Marcel 1
Monnerville, Gaston 1
Monod, François 1
Monod, Théodore 1 2
Morgan, Claude 1
Morin, Edgar 1 2 3
Morlay, Gaby 1
Mounier, Emmanuel 1 2
Mouralis, Bernard 1 2
Moutet, Marius 1
Muller, R.P. 1 2
Naidenoff, Georges 1
Nau, John-Antoine 1
Neruda, Pablo 1
Neveux, Olivier 1
Ngal, Georges 1 2 3
Nicolas, Armand 1
Nicolson, Harold 1
Nietzsche, Friedrich 1 2 3 4 5 6 7
Nizan, Paul 1 2 3 4
Nkrumah, Nkwame 1
Norge, Léo 1 2
Northrop, F.S.C. 1
Palcy, Euzhan 1
Parain, Brice 1
Parent, abbé 1
Parodi, Dominique 1
Passeron, Jean-Claude 1
Paultre, Hector 1
Paye, Lucien 1
Péguy, Charles 1 2 3 4
Pelorson, Georges 1 2 3 4
Péret, Benjamin 1 2 3 4 5 6 7 8
Pétain (maréchal) 1 2
Pétion de Villeneuve, Jérôme 1
Petitbon, Pierre 1 2 3 4
Picasso, Pablo 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Pichette, Henri 1
Picon, Gaëtan 1
Pierre (abbé) 1
Pitoëff, Georges 1
Plénel, Alain 1
Poimbœuf, Marcel 1 2
Pompidou, Georges 1 2
Ponticelli, Lazare 1
Ponton, Georges-Louis 1
Popesco, Elvire 1
Postychev 1
Pouchkine 1
Prévert, Jacques 1
Price-Mars, Jean 1 2 3 4 5 6 7
Printemps, Yvonne 1
Queffelec, Henri 1
Queneau, Raymond 1
Quitman, Sabas 1
R., Georges 1
Rabemananjara, Jacques 1 2 3 4 5 6
Renan, Ernest 1 2 3 4 5 6 7 8
Reverdy, Pierre 1
Riffaud, Madeleine 1
Rimbaud, Arthur 1 2 3 4 5
Rivet, Pierre 1
Robert Georges, amiral 1 2 3
Rolland, Jean-François 1
Romains, Jules, voir Farigoule, voir Salsette
Ronsard, Pierre de 1
Roubaud, Alphonse 1 2
Roubaud, Jacques 1
Roudzouzak 1
Roumain, Jacques 1
Rousseau, Madeleine 1 2 3
Rousselot, Jean 1
Roussi, Flore (née William) 1 2 3 4
Roussi, Gilles 1
Roussi, Louis 1 2 3 4
Roussi, Suzanne, voir Césaire, Suzanne
Roussi, Suzanne, voir, Césaire, Suzanne
Roy, Claude 1
Runse, Ottokar 1
Rustal, François 1 2 3 4 5
Sablé, Victor 1 2 3 4 5
Sadji, Abdoulaye 1
Saint-John, Perse 1
Saint-Lot, Emile 1 2
Salacrou, Armand 1
Salsette, voir Romain, Jules
Samot, Pierre 1
Sarrault, Albert 1 2 3 4
Sartre, Jean-Paul 1 2 3 4 5 6 7
Scherer, Jacques 1
Schilling, Robert 1
Schoelcher, Victor 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13
Schumann, Maurice 1
Scott, Jacqueline (Jacqueline Lemoine) 1 2
Sebeth 1
Seck, Douta 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Seifriz, William 1
Senghor, Léopold Sédar 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47
48 49 50 51 52 53
Serbin, Maurice 1 2 3 4 5
Serreau, Jean-Marie 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
Sévère, Victor 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Shakespeare, William 1 2 3 4 5
Siger, Antoine 1
Sirinelli, Jean François 1
Slovès, Haïm 1
Soekarno, Ahmed 1 2
Sophocole 1
Sorel, Georges 1 2
Soustelle, Jacques 1 2
Spengler, Oswald 1
Spillmann, Georges, colonel 1 2
Spire, André 1
Stace, W.T. 1
Staline, Joseph 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Stevens, Claude 1
Stirn, Olivier 1 2 3
Stravinsky, Igor 1
Suvélor, Roland 1 2
Sylvestre, Camille 1 2 3 4 5
Tchekhov, Anton 1
Tchoubar 1
Teitgen, Henri 1
Tempels, Placide, R.P. 1 2 3
Terzieff, Laurent 1
Theetten, Paul 1 2
Themia, Théramème 1
Thésée (mari de Lucie) 1
Thésée, famille 1
Thésée, Lucie 1 2
Thivolet, Pierre 1
Thorez, Maurice 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24
25 26 27 28 29 30 31 32 33
Toomer, Jean 1 2
Touchard, Pierre-Aimé 1
Toumson, Roger 1
Touré, Ahmed Sékou 1 2 3
Touré, Bachir 1 2
Touré, Sékou 1 2 3
Toussaint-Louverture, François Dominique Toussaint, dit 1 2 3 4
Toynbee, Arnold 1 2 3 4 5
Triolet, Elsa 1 2 3
Trouillé, Pierre 1 2
Vaillant, Roger 1
Valentin, Christian 1 2
Valentino, Paul 1
Valéry, Paul 1 2
Valio-Cavaglione, André 1
Vallot 1
Valogne, Catherine 1
Varin de la Brunelière, Mgr 1
Varin, Gilbert 1
Varloot, Jean 1
Vergès, Françoise 1
Vergès, Paul 1
Vergès, Raymond 1 2 3
Verhaeren, Emile 1
Verneuil, Louis 1
Véronique, Edmond-Eloi (dit Rosile) 1
Viénot, Jacques 1 2
Vitez, Antoine 1 2
Voisin, Pierre 1
Wade, Moustapha 1
Weigall, Arthur, Edward Pears 1
Weiss, Paul 1
Weiss, Peter 1 2 3
William, Edamine 1
Williams, Emlyn 1
Wilson, Mantonica 1
Wright, Richard 1 2 3 4 5 6 7 8
Yacine, Kateb 1
Yu, Siao 1
Zobel, Joseph 1