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TABLE DES MATIÈRES

LE CORAN : TESTAMENT TROIS ? .......................................... 2

I- LES MÉCANISMES DE CONTREFAÇON................. 11

A-LES SENS PERDUS ....................................................................................................................... 11


LE DOME DU MESSIE .............................................................................................................................20
B –ABSOLUTISME DE L’OBEISSANCE ............................................................................................... 24
C- ENTRE FUSION ET SUBSTITUTION ............................................................................................... 40
D- UN BRIC A BRAC DE LOIS ............................................................................................................ 47
E- UN PACTE MOSAÏQUE RECOMPOSE ............................................................................................. 61
F -TYPOLOGIES ENTRELACEES ............................................................................................................ 71

2- LES MECANISMES DE SUBVERSION ........................ 77

LE MESSIE DU PROPHETE ............................................................................................................... 77


A- LE MESSIE : LA PORTE DE L’EDEN .................................................................................................. 78
B- RASSUL ANONYME PARMI LES RASSUL ...................................................................................... 85
C- L’AMNÉSIE ................................................................................................................................... 93
D- JÉSUS, LE PIVOT HERMENEUTIQUE ............................................................................................ 101
CELUI QUI ACCOMPLI ................................................................................................................................101
LE VERBE OMNIPOTENT .............................................................................................................................102
LES DEUX NATURES DU CHRIST : VERBE ET ESPRIT .....................................................................................103
E- AMBIGUITES ET SIMULACRES ................................................................................................... 110
ḤĀǦǦ ET DESERT .....................................................................................................................................112
COMBATS ............................................................................................................................................116
MARTYRS .............................................................................................................................................119
INCARNATION OU CHUTES ? ...............................................................................................................122
L'HEURE DES « DESCENTES » DU VERBE ......................................................................................................124
F-LE MESSIE DU CALIFE................................................................................................................. 126
3- PROTOCOLES DE RUPTURES DES

NUPTIALITES ........................................................................................................ 143

A-LA CONQUETE DU CIEL PAR LA TERRE ....................................................................................... 144


B- ALLAH REPUDIE SA CREATURE ................................................................................................... 148
C- RUPTURE DE L’ÂME ORIGINELLE : UNE CHAIR PERSANE .................................................................. 149
D-L'ABD ALLAH : LE CONTRACTUEL ...................................................................................................... 151
E- MON ROYAUME EST DE CE MONDE ................................................................................................. 153
F-DES SCHEMAS DOCTRINAUX PAULINIENS ................................................................................. 158

CONCLUSION ..................................................................................................... 168

LE CORAN : TESTAMENT TROIS ?

Le Nouveau Testament est un livre, le livre de la Foi chrétienne. Il est le signe par
excellence du Testament de Dieu, comme rédigé en Jésus à la veille de sa mort : il y résume ses
dernières volontés à l'humanité tout entière. Cette mort ainsi que les derniers mots de son Verbe,
Jésus, recueillis par ses Apôtres, constituent son Testament et renvoient à d'autres Écritures. Ces
dernières sont nommées, par les Chrétiens, Ancien Testament, et elles contiennent les volontés de
Dieu tout au long de son dialogue ininterrompu avec l'humanité. La notion de « Testament », en
langage biblique, recouvre et englobe la notion « d'Écritures, de Tables de Lois, d'Actes et sceaux
de Dieu ». La notion « d'Alliance écrite sous forme de Testament » est donc le fondement du
judaïsme et du christianisme.
Au pied du Sinaï et dans le sang des boucs, Moïse signe pour son peuple le premier Pacte1.
Il prit le Livre de l'Alliance et le lut en présence du peuple, lequel dit : « "Nous ferons tout ce que
l'Éternel a dit, et nous obéirons." Moïse prit le sang, et il le répandit sur le peuple, en disant : "Voici
le sang de l'alliance que l'Éternel a faite avec vous selon toutes ces paroles." » Jésus accomplit celle-
ci en livrant son Testament : « Buvez-en tous, ceci est mon sang, par lequel est scellée l'alliance. Il
va être versé pour beaucoup d'hommes, afin que leurs péchés soient pardonnés. Je vous le déclare :
Désormais, je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour où je boirai le vin nouveau avec vous
dans le royaume de mon Père. »2 Ses derniers mots furent : « Tout [des Écritures] est accompli. »
Le « sang » et l'accomplissement des Écritures sont les fondations de l'Alliance biblique en vue de
réconcilier l'humanité avec Dieu. L'initiative revient toujours à Dieu, et l'Alliance est caractérisée
par son caractère éternel.

1. Exode 24, 8.
2. Matthieu 26, 26.
Le Coran, texte difficile et abscons, ne se réclame pas, à première vue, d'une ou de ces
alliances. Pourtant, une sourate entière lui est consacrée (Al-Maïda3 ), et d'innombrables signes
d'Alliance jonchent le corpus. Des leitmotivs comme « Vous êtes la meilleure communauté », les
sept racines de mots signifiant l'élection divine, sont autant d'indices ; ces racines sont ǧtabākum
(Q22/77), ṣṭafā (Q3/33), yawma ’akmaltu lakum dīnakum (Q5/3), yastaḫlifakum (Q7/129), raḍiya (Q20/109),
’aḫlaṣnāhum (Q38/45), ḫayru (Q3/54). Des déclamations exaltées ‒ wa-l-bayti l-ma‛mūriwa-kitābin masṭūrin
fī raqqin manšūrin wa-l-bayti l-ma‛mūriwa-s-saqfi l-marfū‛i wa-l-baḥri l-masǧūri7’inna ‛aḏāba rabbika la-wāqi‛un
(sourate At-tūr), traduites, grâce à une translittération araméenne, par : « Par le Mont Sinaï […] par la
Demeure du Seigneur habitée […] par le froissement du Livre […] par la feuille de valeur […] par
l'exaltation perdue »4 ‒, les mille et unes malédictions contre les mušrikun sont pour nous autant de
signes (d'ayat) que le Coran lui-même déclame en vertu de l'Alliance.
Ils seront nos indices pour retrouver le sens premier du Coran qui est moulé, lui aussi, sur
un Testament. Est-ce un Testament nouveau de Dieu ? Est-ce l'ultime réécriture du dernier
Testament de Dieu qui a parlé en Jésus ? En tout cas, le Dieu du Coran cherche son peuple : « Allah
va faire venir un peuple qu'Il aime et qui l'Aime. » (Q5/54) Les occurrences en Q4/24 et Q24/33
du mot kitab prennent le sens de « Testament » – kitāba Llāhi. Le IVe livre d'Esdras montre déjà un
processus d'écriture lié à l'écriture des Lois (testaments de Dieu qui furent méprisés ou brûlés) et
Esdras écrit sous la dictée de l'Ange.5
La Bible regorge de textes établissant l'Alliance unique, inimitable et éternelle conclue entre
Dieu et son peuple choisi, son peuple élu. L'Alliance de la Cène, conclue dans le Sang (Mc 14,22 ;
Lc 22,15 ; Co 11,23), va réconcilier l'humanité et obtenir la rémission des péchés (Mt 21,26).
Le Coran déborde de malédictions envers la pire espèce parmi les hommes : ceux qui associent,
à Dieu et à son Pacte, d'autres entités. Les savants du sunnisme nous expliquent souvent que ce
sont les Chrétiens qui sont essentiellement concernés, et les commentaires disent que le contexte
immédiat concerne les païens mecquois. Pourtant, des études plus poussées nous diront autre
chose : Adam et Ève se voient concernés ainsi par cette activité abominable (Q7/191). Si l'on se
positionne du point de vue islamique, c'est bien une rupture de contrat entre Allah et son peuple qui
justifie cette appellation dure d’« associateurs ». C'est donc en vertu de l'Alliance et de son non-
respect que l'islam se positionne. C'est parce que « ceux qui étaient chargés de la Torah mais ne
l'ont pas appliquée tels un âne portant des livres » (Q62/4) que « la meilleure communauté » doit
s'emparer du Contrat.
La rémission des péchés bibliquement parlant, liée à l'Alliance dans le sang, s'obtient
désormais par l'obéissance à Dieu et à son Messager. Ainsi, les versets 11 et 12 de la sourate 61 vont dans
ce sens : « Vous croyez en Allah et son Messager et vous combattez avec vos biens dans le chemin
d'Allah […] Il vous pardonnera vos péchés et vous fera entrer dans des jardins. »
Ces deux approches sont-elles radicalement incompatibles ? Qu'est-ce qu'une Alliance
divino-humaine ? Est-ce simplement un partenariat, un rapport contractuel par le biais duquel les

3. Marie-Thérèse URVOY cite Michel CUYPERS dans La Mésentente, p. 48, Cerf, 2014. M. CUYPERS traite
abondamment du thème de l'Alliance dans Le Festin, une lecture de la sourate al-Mâ’ida (Paris, Lethielleux, 2007).
Ce dernier affirme la reprise de nombres d'éléments du chapitre 6 de l'Évangile selon saint Jean.
4. Traduction : raqqā (« parchemin »), translittération et traduction masṭūrin (« secret » « inscrit ») ‫מילא‬
‫ «( דמסטירין‬de façon secrète »), Translittération du mot saqfis , « exaltation, glorification, toit »
Translittération de marfu : « élevé »
ܵ ܿ
ma‛mūri (« Demeure ») Syr. P Acts17:26 : *)ܵ%ܵ&̈%ܼܿ$ܼ‫ ܼܿܕ‬/.-,ܼ+‫* ܿܕ‬-ܸ,ܼ1̈‫ܬ‬. (a) /.3+ 4&$ Syr. AphDiatess1990
54:16 : *1‫ ܕܪܘ‬8‫ ܗܘ‬/.3+ 4&$‫ «( ܕ‬la demeure du Saint-Esprit »). Bêt ma’ma’rô : « Temple servi ».
5. Selon SU-MIN-RI Andreas, Commentaire de La Caverne des Trésors. Corpus scriptorum christianorum
orientalim, tome 103, Ed. Lovani Peeters, 2000, dans Cambridge, Mass, Harvard College librairy n° 39.
partenaires échangent des dons, des obligations morales et cultuelles pour l'homme, des Lois pour
Dieu ?
Marie-Thérèse Urvoy souligne bien cette juridisation de l'Éthique qui est proposée comme
la marque du triomphe du monothéisme sur l'idolâtrie6. L'homme peut-il donner quelque chose à
Dieu ? Peut-il exiger quelque chose de Lui ? Le rapport est foncièrement dans l'asymétrie. Et si
« l'association » coranique tant fustigée désignait, non pas le christianisme, mais, au départ, un
défaut d'appréciation de l'Alliance, un partenariat où Dieu perdrait sa souveraineté, un partenariat
où on n'engagerait pas sa vie ?
Le Coran, malgré son apparent éloignement de l'idée d'Alliance, peut-il nous révéler qu'il
recèle cette idée ? Un tel échange dans le sang, entre Dieu et les Hommes existe cependant dans le
Coran : au verset 111 de la sourate 9, l'homme fait don de sa vie en combattant dans le sentier de
Dieu contre une place au Paradis. Dans le christianisme (en particulier le christianisme syriaque,
notamment dans le Synode nestorien), un tel contrat n'est pas inconnu : les dons et les aumônes des
fidèles permettent à ces derniers de voir une partie de leurs péchés effacés.
Le Coran, par ses nombreuses injonctions légalistes énoncées essentiellement dans la
sourate 2, manifeste une proximité entre sa Loi et la Loi mosaïque. Nous étudierons ces aspects dans une
première partie. Cette proximité sera notre point de départ. Cependant, cette proximité se cache
dans une strate primitive de signification, seul matériau utilisable. Nous ne consulterons le cadre
narratif islamique qu'en deuxième instance. Nous ne pouvons, en aucun cas, partir seulement de la
Vulgate actuelle ni de la Sunna ; en effet, les savants de l'Islam ont délaissé ou volontairement
occulté une intertextualité avec les traditions judéo-chrétiennes. Jan M.-F. Van Reeth nous
soutient : « Les auteurs, narrateurs et théologiens musulmans ultérieurs ont délibérément obscurci
l'arrière-fond et les origines chrétiennes du Coran. »7
Cette étude se basera sur plusieurs angles d'attaques. Nous avons mis en évidence, au cours
de nos travaux antérieurs8, que la lumière de la Bible et de la littérature apocryphe, homilétique,
exégétique, tant juive que chrétienne, procure d'intéressants éclairages. Par ailleurs, de récentes
analyses philologiques qui prennent en considération l'environnement fortement marqué de
bilinguisme du Proche-Orient ont donné des résultats très probants. Ces études considèrent que la
mise en place des signes diacritiques et des voyelles a pu évoluer et modifier le sens du ductus
consonantique appelé rasm – il conviendra donc d'observer tous les signifiants coraniques. Des
découvertes récentes et des travaux comme ceux de Günter Lüling et de Christoph Luxenberg ainsi
que ceux de Guillaume Dye9 sont en partie à l'origine de notre démarche. Dans ses conférences et
sa doctrine, Guillaume Dye 10 parle en outre de deux approches qui touchent à la structure
composite et à l'absence de cadre narratif, et conseille de prendre en compte l'effet de la collecte et
le travail des scribes dans toute analyse textuelle (la Formageschichte et la Redaktionstritik).
Le Coran, en l'état actuel, pose problème à tous, comme le montrent les études
philologiques, la proportion extraordinaire d'hapax et la grande variabilité des traductions. Shawkat
M. Toorawa, dans son article Hapaxes in the Quran, cite 371 hapax sur 1620 racines11. Nous pensons

6. URVOY Marie-Thérèse. Essai de critique littéraire dans le nouveau monde arabo-islamique. Cerf, 2007, p. 217.
7. « Les prophéties oraculaires dans le Coran », in Daniel de SMET et Mohammad Ali AMIR-MOEZZI (dir.)
Controverses sur les écritures canoniques de l'islam. Cerf, 2007, p. 92.
8. QADR Leila, Les trois visages du Coran. Amazon, 2015, p. 1-500.
9. DYE Guillaume, The Qur’ân and its hypertextuality in the light of redaction criticism. Paper for the Fourth
Nangeroni Meeting Early Islam: The Sectarian Milieu of Late Antiquity? (Early Islamic Studies Seminar,
Milan, 15-19 June 2015), p. 1-20.
10 DYE Guillaume, Le Corpus coranique : contexte et composition. Le Coran des historiens, Tome 1. 2019. p.808.
11. TOORAWA Shawkat, Hapaxes in the Quran. New perspectives on the Qur’ân 2. Gabriel Said Reynolds.
Routeledge London, New York, 2012, p. 199.
que l'état initial des feuillets du Coran devait être tout autre et surtout limpide. Pour éviter toute
ambiguïté et pour simplifier, nous parlerons de la strate primitive des prédications syro-araméennes et des
feuillets collectionnés, de la strate terminale des compositeurs des Califes et de leur Vulgate. En effet,
l'appellation générique « le Coran », si elle ne peut être évitée, doit néanmoins rester en connexion
de cette distinction, au moins mentale. Nous appellerons cette distinction de niveaux d'écriture et
de composition en fonction du temps : clef de lecture. Sans cette clef de lecture, toute analyse se heurte
à des contradictions. En résumé, le temps et les motifs de l'écriture peuvent être différents du temps
et des motifs de l'édition. D'ores et déjà, ces précautions induisent des conséquences pour notre
traitement purement doctrinal du thème de l'Alliance.
Nous émettons l'hypothèse d'un tel processus pour la composition coranique et
esquisserons des pistes pour lire autrement la Vulgate, comme il était possible de le faire avant ces
remaniements. 12 Nous tenterons notamment une lecture prenant en compte la fréquence des
racines, leur sens, leur localisation, et ce, en postulant une certaine logique interne au texte dans sa
phase finale. Cette logique d'édition mise en place par Uthman, selon la Tradition islamique, a
nécessairement obéi à une doctrine politique, doctrine qui définit, comme chacun sait, « la meilleure
communauté ». Ainsi, pour prendre un exemple simple, des racines trilitères importantes comme
nṣr (racine souvent associée à « chrétiens ») peuvent n'exister que dans certaines sourates.
On peut soupçonner des raisons éditoriales, voire politiques qui expliqueraient cette
localisation textuelle de ce vocable. Ce postulat est factice, car nous n'ignorons pas les aléas de la
compilation puis ceux de l'édition. Cependant, nous postulons une logique globale qui serait le fait
des éditeurs pour une version consonantique ultime. On peut, ici, citer les travaux de Geneviève
Gobillot13 et ceux de Younes Munther.14 Ce dernier retraduit des sourates obscures à la lumière de
sens arabes occultés ou de l'araméen. Les travaux de G. Dye, de Walter15, de Luxenberg16 et de
Shoemaker 17 montrent les effets d'une logique politique en vue d'une séparation vis-à-vis du
Christianisme, via des ordres donnés aux scribes chargés de l'édition ; cette logique politique est
mesurable historiquement par des données de numismatique et d'architecture – et elle n'est pas
fondamentalement niée par la Tradition islamique. Ainsi, nous proposons des méthodes
statistiques comptabilisant les occurrences des mots ou expressions clefs – que nous appellerons
segments – pour retrouver leur sens premier ; l'observation systématique du cotexte de quelques
mots clefs pourra rendre féconde notre analyse pour dépister les sens initiaux d'un mot ou d'une
suite de mots. Nous postulons, en effet, que la forte polysémie interne de la Vulgate pourrait être
minorée par ces méthodes statistiques d'analyse du cotexte, voire des déplacements de segments
textuels. Le repérage des segments de racines arabes et leur pendant araméen seront

12. « Le texte du Coran, tel que nous le connaissons, représente une version qui s'est imposée/a été imposée
au détriment d'autres. Il s'agit, de manière schématique, d'une compilation réalisée après la disparition de
Muhammad, vers 650, dans un cercle de disciples appartenant au courant majoritaire. Elle n'avait toutefois
pas la forme que nous connaissons, car l'examen de manuscrits, témoins directs de cette histoire, montre
que le progrès des ressources de l'écriture arabe, très défectueuse au départ, a peu à peu permis d'intégrer
au texte écrit des éléments qui relevaient d'une transmission orale comblant les déficiences de l'écrit. Le
texte tel que nous le connaissons correspond grosso modo à celui dont la fixation s'est achevée vers le début
du Xe siècle sous le contrôle du pouvoir abbasside. » DÉROCHE François. Communiqué de presse au
Collège de France, Histoire du Coran, Texte et transmission. Mars 2015 http://podcastfichiers.college-de-
france.fr/DÉROCHE-li-20150402.pdf.
13. GOBILLOT. G. Les fondements coraniques du dialogue interreligieux, Académia, p.45.
14. GOBILLOT Geneviève, Coran et Torah, Les fondements de l'intertextualité ; histoire des relations
entre juifs et musulmans. Albin Michel, 2015, p. 611.
MUNTHER Younes, The Qur’an in its historical context. Angels, stars, death, the soul, horses, bows -or women ? The
opening verses of Qur' an 79. Edition Said Reynolds, 2012, p.265.
15. WALTER J. Jacques, La Théorie des Codes appliquée au Coran. Editions de Paris, 2013, p. 41.
16. LUXENBERG Christoph, Die Syro-Aramäische Lesart des Koran. Schiler, 2000, p. 23.
17. SHOEMAKER Stephen J., The Death of a Prophet. The End of Muhammad’s Life and the Beginning of Islam.
Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2012, p. 408.
systématiquement explorés. L'outil informatique sera utilisé.18 La recherche des racines araméennes
à la suite et à l'aide des travaux du professeur Gabriel Swama19 se révèlera très éclairante.
Le professeur Luxenberg a récemment proposé de lever les obscurités sémantiques à la
lumière des racines syro-araméennes, tout en jouant sur le diacritisme ; nous sommes bien
incapables d'utiliser une telle rectification. 20 Nous nous sommes contentés d'identifier les
graphèmes nus identiques, qui, grâce au diacritisme, revêtent des notions variées. Pour illustrer cela,
nous donnons l'exemple classique, en Annexe, d'un rasm nu qui peut tout aussi bien signifier
« éléphant » que « tuer » ou « dire ». Cependant, nous avons remarqué que le rasm arabe a toujours
un sens en araméen – soit en syro-araméen, soit en araméen talmudique (sauf les mots comportant
un ḍa, lettre qui n'existe pas en araméen, et pour des mots renvoyant à la culture bédouine).21 Très
souvent, les sens araméens sont des sens très proches du sens arabe attribué, or ces sens
enrichissent la compréhension du Coran et informent sur les liens intertextuels : cela a pour effet
d'amoindrir les discontinuités sémantiques internes au Coran et de créer des liens entre la Bible et
le Coran. Ces sens coraniques sont très proches des sens araméens du Talmud et de ceux de la
Bible.
Pour résumer, le passage par l'araméen enrichit le corpus coranique à un tel degré qu'il est
impossible de nier une continuité spirituelle ou simplement textuelle entre les corpus talmudiques
ou ceux de la Peshitta (Évangile syriaque) et ceux du Coran. Le volume des concordances et des
harmoniques est tel que les nier serait de l'aveuglement. A ce titre, nous pourrons prendre comme
point de départ certaines difficultés sémantiques évoquées – rupture de sens, incohérences
internes – et pourrons donner l'éclairage des racines araméennes ; la lumière des harmoniques
bibliques ou midrashiques pourra être consultée ; éventuellement, nous pourrons tenter un
éclairage du sens global d'un segment coranique obscur à la lumière du sens araméen.
Nous avons aussi répertorié les grands thèmes de l'Alliance. Nous avons recensé les sauts
sémantiques des racines, sauts sémantiques par rapport au cotexte ou par rapport aux sens
sémitiques et même aux sens coraniques (un même rasm prend ainsi des significations très variées).
Nous avons regardé les hapax, termes non traduits, qui sont parfois identifiés comme des noms
propres de lieux situés à La Mecque. Selon certains exégètes comme Edouard-Marie Gallez, les
sens ont évolué et nous pouvons envisager que sur les thèmes clefs de l'Alliance ainsi que sur les
recompositions des anciennes alliances, il y ait eu des évolutions. La Vulgate elle-même présente
des titres très évocateurs, « les coalisés », « les rangés », « les Romains », « le rang ». Une dernière
touche peut avoir été faite pour réorganiser, voire effacer certaines anciennes relations comme
celles avec les naṣara ; en effet, ces derniers sont parfois décrits dans des termes élogieux, parfois
fortement accusés. La correction finale du corpus n'a pu tout uniformiser. Des aspérités demeurent,
l'exemple le plus frappant étant ces rectifications que les commentaires islamiques nous imposent :
« Lisez ici Mekka à la place de Bakka, Muḥammad à la place de Aḥmad. ».
Ces manipulations tardives ont eu pour but, selon G. Dye,
« l'autonomisation » 22 : d'autonomiser la communauté de l'Islam, de la rendre distincte de la
communauté chrétienne au sein de laquelle l'Islam émergea. Ainsi, une fois qu'il fut solidement
différencié du précédent monothéisme dans toutes ses variantes, disposant de ses facteurs

18. http://cal1.cn.huc.edu/ et la translittération d'Hans Zirker.


19. SWAMA Gabriel, the qur’an : misinterpreted, mistranslated, and misread. the aramaic language of the
qur’an – April 15, 2006, p.15.
20. LUXENBERG Christoph, Die Syro-Aramäische Lesart des Koran. Schiler, 2000, p. 23.
21. A ce propos, le ṣôdhê pourra être translittéré dans l'une ou l'autre des voyelles emphatiques, le ḍ ou le ṣ ;
ainsi le mot signifiant « terre » en araméen *%+‫ ܐܪ‬comporte aussi une variante en ‫ אריק‬et est translitéré
par wa-l-’arḍi.
22. DYE Guillaume, La théologie de la substitution du point de vue de l'Islam, 2015, p. 85-98.
d'identification propres – à savoir : le Coran, Muḥammad, la Maison d'Abraham ‒, d'après G.
Dye, l'Islam pouvait engager une polémique interreligieuse selon deux stratégies : l'une, survivance
de la strate polémique la plus ancienne ; l'autre, un reproche de falsification (des textes) et
d'infidélité (au dogme monothéiste et à la loi divine), adressé aux juifs et aux chrétiens. En dernier
lieu, nous avons analysé les 210 feuillets du Codex We II 1913 pour repérer les strates d'écritures et
de réécritures, fondamentales pour ce thème clef. Ce codex, intitulé Berlin, Staatsbibliothek We II
1913 (Ahlwardt 305), contient 85% du Codex dit d'Uthman et date de 665/765 selon les spécialistes du
groupe Corpus Coranicum.
Si le traitement du thème de l'Alliance est un pont herméneutique entre judéo-christianisme
et Islam, il est primordial d'en distinguer les strates d'apparition ou d'occultation ; les titres évoqués
ci-dessus nous montrent aussi son caractère politique. Dès le premier examen visuel de ce codex,
nous avons émis l'hypothèse de strates d'édition. François Déroche 23 parle de mains scribales
différentes, mais lorsque les couleurs d'encre sont différentes sur la même surface de parchemin
jusqu'à le trouer, on peut penser que « ces mains » ne sont pas de la même période ; elles laissent
des marqueurs de strates d'écriture ou d'édition.
Notre étude s'attachera à explorer les différentes facettes de la prétention islamique à
posséder le vrai Pacte mosaïque, à porter la vraie Torah. Ce désir se voit dans l'attachement à
exposer et à vénérer la Loi d'Allah, apparemment contenue dans le « Livre » sacré des Musulmans.
Nous chercherons donc cette précieuse Loi et pisterons les clauses pour y obéir, puis identifierons
les instances réelles qui la portent. Le parchemin coranique semblerait, de plus, porter l'empreinte
des Tables célestes auprès d'Allah. Cette proximité nous rapprocherait-elle des Tables célestes
auprès de Yahvé ? L'ascension effectuée par Muḥammad au-dessus du Rocher du futur Dôme
avait-elle pour but unique de quérir la céleste Table de la Loi, le Coran ? Son isra’ (« voyage
nocturne ») au-dessus de l'esplanade du Temple avait-il une fonction d'autonomisation de la
nouvelle religion ou une fonction de continuité vis-à-vis des « gens du Livre » ? Là encore l'ampleur
des typologies communes avec des midrashs liés à Moïse sera un fil conducteur.

Cependant, la construction islamique pouvait-elle s'autonomiser en utilisant seulement le


cadre narratif du Salut judaïque et rabbinique ? Dans le dictionnaire du Coran24, à la définition de
« salut » se trouvent soulignés la dimension eschatologique des actes humains pesés le jour du
Jugement et le lieu de demeure finale de l'âme. Une telle modalité d'autonomisation ne pouvait donc
s'opérer, à moins de postuler une venue de type messianique en Muḥammad.

Nous verrons que le rappel des typologies judaïques a eu un intérêt sotériologique et un


intérêt manifeste par rapport à l'obéissance à la Loi. Le fort ancrage typologique mosaïque renforce
le désir légaliste de la nouvelle mouvance. Les autres typologies mosaïques confortant l'exil, le
combat tenterons de donner un souffle second à l'apologétique judaïque pour faciliter
l’autonomisation. En quoi la venue du Messie-Jésus et son rôle concentré sur la Torah, le rejet de
sa prédication et les embûches de sa divine mission offriront-ils un élément intéressant pour une
dramatisation des schémas de salut ?

Le terme naḡḡa (« salut ») n'a plus le sens judéo-chrétien ‒ à ce titre, la traduction du Coran
par Blachère peut entretenir une confusion. Le Coran utilise beaucoup le mot « ténèbres ». Le cadre
général du combat des ténèbres contre la lumière comme le refus de cette dernière décrit par le
Prologue de saint Jean sera-t-il propice à la réactualisation de ce combat ? Le dualisme entre
Ténèbres et Lumière rappelle aussi le manichéisme. Le refus, par les juifs, de la messianité de Jésus,

23 . DÉROCHE François, Le Corpus Coranique Le Coran des historiens. 2019. Tome 1. p .688.
24. Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, p. 787.
Parole d'Allah, semble la version islamique du refus du Verbe incarné du Prologue. Est-ce un pont
herméneutique ou un mirage ?

Ce refus « des envois célestes » sans cesse invoqué introduit-il une version plus matérielle
et plus mosaïque du Verbe ? Le refus du Miséricordieux et de ses signes écrits devenus « versets »
(ayat) exprime-t-il le refus d'un contrat ? La « descente » – contestée par les juifs – du Verbe en
Jésus offrira-t-elle une piste intéressante pour une suite en cohérence au schéma chrétien ? Ce dernier
peut être résumé par la « descente » – contrariée par les juifs – du Verbe fait chair : les hymnes
syriaques parlent de « celui qui est tombé dans le monde ». Le Verbe pourrait-il tomber et, pour sauver
l'homme, devenir « Livre » ? Cette suite permettrait-elle de s'unir au schéma chrétien ou, par la même
occasion, de s'en séparer ? Ce schéma d'envoi d'un contrat divin sous la forme d'un testament est
un coup de génie de l'islam ; cependant, comment le faire valoir comme tel ? L'annonce du nouveau
Moïse porteur des nouvelles Tables semble s'effectuer par Jésus au verset Q61/6. Jésus parle de
l'envoi du Paraclet ; ce dernier ne pourrait-il pas être « Aḥmad » ? A défaut d'être envoyé par le
Messie comme le sont les Apôtres, à défaut d'annoncer le Messie comme le font les Prophètes, il
fallait être au moins annoncé par lui. Le mot choisi, « Aḥmad » (« Le Loué »), renvoie directement
à une expression talmudique spécifique à l'action louée de Moïse par Yahvé, l'action de Moïse
arrachant la Torah des Mains du Béni.25 Nous avons encore un signe de l'Alliance.

Le sang de l'Alliance, lui, n'aurait-il dans ce schéma plus aucun rôle à jouer ? Quelles
fonctions la Cène, devenue la Table d'un Festin céleste (Maïda), pourrait-elle jouer en première et
seconde strate ? Quel traitement fera le Coran de la Cène ? Deviendra-t-elle uniquement la table
du Festin messianique ou une anecdote sans portée théologique ?

Une partie de notre étude s'attachera à la fois à explorer comment ces reprises des modèles
bibliques sont retournés et contribuent à l’autonomisation ; car, en récusant le vrai sens du
messianisme, en faisant de Jésus un simple réformateur de la Torah, en révoquant le sang de
l'Alliance pour le pardon des péchés, c'est toute l'ascension vers le ciel qui s'est écartée du judéo-
christianisme. Quelles « voies d'Ascension » et schémas d’alliance le Coran proposera-t-il ?

Jésus, par son Sacrifice, ouvrait les Cieux, la Chair pouvait opérer une rédemption. Le
véhément désir de divin pardon professé par le Coran se heurtera-t-il à une incertitude absolue ou
empruntera-t-il des chemins différents ? Le thème de l'Alliance est lié à celui du Paradis et à la
rupture originelle d'Alliance d'Adam et Ève ‒ « Adam oublia » (sous-entendu : le Pacte). Leur
désobéissance les conduisit hors du Paradis et ils virent leur vêtement de gloire arraché.

Les travaux d'E.-M. Gallez suggèrent une strate ancienne d'écriture qui, visiblement, attend
le retour imminent de Jésus26. Comment cette strate s'harmonisera-t-elle ou entrera-t-elle en conflit
avec les Écritures, exprimant et justifiant le dépit de sa non-venue ? N'oublions jamais le contexte
historique de cette double épopée, littéraire et militaire. Toute lecture hors contexte aboutit à une
impasse. Les besoins de justifier la victoire sur la terre « sainte » ont dû se faire pressants sous la
pression des communautés juives et chrétiennes. Les feuillets non compilés initiaux ont cette
particularité d'avoir eu une gestation concomitante d'une conquête militaire, la Vulgate a cette
particularité d'avoir eu une compilation concomitante des nécessités de gestion d'un Empire gigantesque et
complexe.

Effectuer des lectures coraniques sans cette deuxième clef de lecture conduit à des
impasses. Le récit des origines dans le paisible creuset de La Mecque-même, environnée d'ennemis
sauvages et au paganisme débridé, doit être lu comme une métaphore parénétique – même si des

25. Traité Taanite, chapitre 4, p. 68.


26. Si on croit les Hadiths, Sahih al-Boukhari.
éléments authentiques existent. Un récit sacré expliquant cette sacrée conquête a dû surgir très tôt.
L'Écriture du Talmud (Mishna et Gémara) suit la perte du Temple, l'Écriture de la Loi avait dès
lors une autre fonction, celle de se substituer à la terre, de préserver l'identité juive. Quelle fonction
la prédication initiale puis la Vulgate pourront-elles remplir ? La présence du personnage
d'Alexandre le Grand au sein de la sourate 18 ne peut se comprendre que dans l'écriture de l'épopée
militaire. Plusieurs philologues, notamment G. Dye27, ont cité une reprise du Roman d'Alexandre,
datant de 630 et donc postérieure à la mort du Prédicateur. La dualité des strates d'écritures que
nous supputons atteindra obligatoirement le traitement de l'Alliance et donc celui du Messie.

Plusieurs Musulmans ont remarqué, à juste titre, que le traitement littéraire de la Vulgate
évolue nettement vers une divinisation au long des sourates médinoises. Est-ce soudainement que
« Gabriel » a fait de Muḥammad un Prophète, ou est-ce progressivement que « Celui qui est en
position de gloire, le désiré, le bien-Aimé Messie (Mḥmd) » a changé ? Celui qui, au début, ne portait
que l'habit du général et du Prédicateur, annonçant et œuvrant pour le retour du Messie, s'est trouvé
lui-même honoré puis glorifié. Cette hypothèse, formulée par le groupe de recherche Inarah, rejoint
étroitement cette remarque pertinente de certains Musulmans.

On s'attachera à décrire ces transferts, s'ils existent, entre les deux personnages du Messie et du
Prédicateur et à analyser la charnière abrahamique que la Vulgate met en place. La rhétorique de
Saint Paul et son utilisation allégorique du personnage d'Abraham semblent massivement
réinvesties dans les rhétoriques islamiques. Saint Paul voit « l'Alliance avec Abraham comme
l'Alliance véritable, fondamentale et permanente, l'Alliance avec Moïse est pour lui, face à celle-ci,
"intervenue" (Rm 5,20) 430 années après l'Alliance avec Abraham (Ga 3,17) […]. Saint Paul a, de la
sorte, relevé de façon très nette deux modes de l'Alliance que nous rencontrons en effet dans
l'Ancien Testament : l'Alliance qui est une législation, et l'Alliance qui est essentiellement une
promesse, don de l'amitié qui est offerte sans conditions ».28

Le Coran semble reprendre à sa manière cette vue en déclarant : « Qui donc a en aversion
la religion d'Abraham […] nous l'avons choisi en ce monde et dans l'au-delà… » (Q2/129) Ce
recours à Abraham ‒ dans le Coran (Q2/134) ‒ comme fondation de l'Alliance véritable,
permanente, n'est-il pas fait dans une optique radicalement opposée, puisque l'amitié, la relation de
l'homme avec Dieu sont absentes ? L'Alliance-législation de type mosaïque et l'Alliance-promesse
de type abrahamique ont elles des échos dans le Coran ?

La Loi, promue moyen intermédiaire de la Promesse d'Abraham, selon Saint Paul, ne


redevient-elle pas la seule Alliance coranique ? Comment ce nouveau testament sera-t-il puisé aux dires
et faits de Muḥammad, nouveau Moïse ? Les vues initiales des lieutenants d'Allah (Califes) auront-
elles un impact sur ces doctrines judéo-chrétiennes de l'Alliance ? Les impératifs de gestion du
nouveau Califat arabe, les dissensions christologiques et les conceptions du pouvoir des deux
Empires antérieurs impacteront nécessairement la doctrine de l'Alliance et le rôle législatif du
Prophète va s’accentuer.

On s’attachera à décrire les points de rupture les plus flagrants entre ces Testaments. L'Alliance
biblique apparaît comme une histoire d'Amour entre Dieu et le peuple élu ; La Bible conte une
histoire d’amour avant de se vouloir comme une législation, le Coran se décrit comme étant le

27. DYE Guillaume. Cours sur la sourate 18. BJERREGAARD MORTENSEN Mette, Le Coran des historiens,
2019, p. 723.
28. RATZINGER Joseph, Cardinal, La Théologie de l'Alliance dans le Nouveau Testament (communication du
lundi 23 janvier 1995). https://www.asmp.fr/travaux/communications/1995/ratzinger.pdf.
sceau de la prophétie, l’acte de le réciter permet une fixation définitive du verbe qui se chosifie en
contrat.

L'union de l'homme et de la femme est rappelée, par Jésus, comme étant le projet initial de
Dieu.29 La réalité de l'Alliance, pivot de la relation entre Dieu et Israël inscrite au cœur de la Bible,
est une thématique nuptiale qui constitue la note profonde et dominante de la révélation biblique.
L'union matrimoniale d'Adam et Ève est le cœur et le prototype de celle-ci. Le schéma
coranique propose une dissymétrie : s'ils sont chassés ensemble, ils ne retournent pas ensemble au
Paradis. De belles houris, en effet, vont empêcher et compromettre ce retour à l'unité primitive de
la chair.

Comment expliquer cette intrusion de la multiplicité dans l'unité ? Comment le Paradis de


la première strate, exprimant le recouvrement de l'Éden avec les fruits devenus licites ‒ cet Éden
où les élus engagés dans le retour du Messie jouiraient de l'éternité ‒, sera-t-il bouleversé par cette
irruption intempestive « des belles vierges » ? Par ailleurs, le Paradis est-il complètement dépourvu
de vision béatifique ? La nature totalement transcendante de Dieu et son immutabilité excluant
toute relation au temps empêchent visiblement toute Alliance intégrale. Quid de la rencontre avec
le Seigneur ? N'y a-t-il pas deux visions du Paradis dans le Coran ?

Le retour Glorieux de Jésus est admis dans la Tradition islamique, il semble s'articuler
uniquement avec l'avènement de la Jérusalem Céleste ; pourtant ce retour s’accorde mal avec une
fonction de restauration de la Loi liée au messianisme des primo-dirigeants. Pourquoi la crucifixion
s’estompe t’elle complètement ? Comment le chemin coranique vers la Jérusalem terrestre est-il
recyclé pour conforter l'élan guerrier entamé dans une première strate ? Quels sont les reliquats de
cet élan apocalyptique sur le sentier d'Allah ? La vision messianique en sera-t-elle modifiée ? Nous
analyserons tous les points de rupture de ces conceptions relevant du thème de l’Alliance biblique
que le Coran manifeste. La bicéphalie du Sanctuaire, la clôture de la prophétie, le flou sur le retour
de Jésus et l’intensification de la polémique sont autant d’éléments marquant une rupture avec des
conceptions bibliques.

29. « Mais au commencement de la création, Dieu les fit mâle et femelle. C'est pourquoi l'homme quittera
son père et sa mère, et s'attachera à sa femme ; et les deux seront une seule chair ; ainsi ils ne sont plus deux,
mais une seule chair. Donc ce que Dieu a joint ensemble, que l'homme ne le sépare pas. »
I- LES MÉCANISMES DE CONTREFAÇON

A-LES SENS PERDUS


Réflexions philologiques et précautions à la lecture

Principe de précaution exige, avant toute chose, clarifions les mots que nous emploierons.
Nous utiliserons le mot Coran pour désigner le processus complexe et alambiqué qui a abouti à la
production de la Vulgate dite d'Uthman, éditée en 1924.30 Le professeur François Déroche souligne
que bien d'autres versions (comme celle d’Ubbay b. Ka’b et d’Ibn Mas’ûd)31 ont eu cours, et Keith
Small32 explique l'émergence des variantes actuelles de lecture (celle de Warch et celle de Hafs)
parmi une bonne cinquantaine, variantes qui ont été sélectionnées au bout de plusieurs centaines
d'années. Par l'utilisation de ce vocable, nous ne considérons pas le Coran comme une hypostase,
mais bien comme le texte définitif d'un processus étalé dans le temps.

Lorsque nous nous réfèrerons aux codex anciens et à leurs signifiés potentiels, nous utiliserons
le terme de « strates primitives de sens », les codex disponibles ne contiennent pas de signes
diacritiques et donc le squelette (consonantique) ou rasm peut donner des indices sur des niveaux
de signification du Coran avant les canonisations. En utilisant la translittération araméen-arabe,
nous pouvons explorer ces strates de signification primitive. Nous utiliserons le vocabulaire très
pratique mis en place par G. Dye concernant les étapes de l’élaboration du texte, le lecteur du
ductus est forcément un « rédacteur de sourate » qui corrige et adapte le sens.33 On peut donc parler
de « strate de composition » entre la première sans signe diacritique et la seconde diacritiquée et
d’une troisième corrigée orthographiquement. On peut parler d’« auteur du Coran », et surtout de
« texte composite et composé » du fait même de l’existence de ces diverses versions. Ce vocabulaire
permet d’éviter le discours circulaire faisant du Coran une hypostase. Cette expression « d’auteur
du Coran » est reprise par Anne-Sylvie Boisliveau.

« Du point de vue de la Formgeschichte : quels que soient les procédés littéraires et


herméneutiques destinés à accréditer l’idée d’un ouvrage doté d’une profonde unité, le Coran est
moins un livre qu’un corpus (qui plus est composite et, élément remarquable, sans cadre narratif),
à savoir la réunion de textes relativement indépendants, pour ne pas dire hétérogènes (relevant de
genres littéraires assez variés et qui n’étaient pas initialement destinés à être réunis en un codex),
dont la signification et la fonction originelles peuvent avoir été en partie modifiées, voire masquées,
par la collecte elle-même – notamment en devenant une partie d’un corpus clos, bien déterminé,

30. Depuis 1923, toutes les traductions du Coran sont faites à partir de l'édition imprimée au Caire qui a
retenu une seule des sept lectures traditionnelles admises, celle de Kûfa. Les variantes entre ces lectures sont
mineures et concernent surtout la vocalisation. « Le Coran et ses traductions en français », IESR - Institut européen en
sciences des religions, mis à jour le : 29/05/2007, URL : http://www.iesr.ephe.sorbonne.fr/index3763.html aussi dans
Maurice Borrmans. Les traductions françaises du Coran. « Chacun sait que, depuis sa création en 1984, le
Complexe du Roi Fahd, à Médine (Arabie saoudite), imprime et diffuse des millions d'exemplaires du muṣḥaf
bilingue en toutes langues actuellement pratiquées dans le monde entier. »
31. DÉROCHE François, La transmission écrite du Coran dans les débuts de l'Islam. Texts and studies on the Qur’ân,
Volume V, Brill Leiden Boston 2009 : « Mais si, comme nous l'avons montré, son rasm (du Manuscrit le
Parisino-petropolitanus) non ponctué est effectivement très proche de celui de la vulgate, l'absence des
diacritiques, de la vocalisation et des signes orthoépiques laisse planer une part d'ombre substantielle sur ce
que les copistes entendaient mettre par écrit.[…] Il comporte aussi des variantes par rapport au rasm qui ne
sont ni conformes à celles que reconnaît la tradition, ni réductibles à des particularités orthographiques. »
32. SMALL Keith, Textual Criticism Qur’ân manuscripts, Lexington Book, 2011, p.171.
33. G.DYE, The Qur’an Seminar Commentary Le Qur’an Seminar A Collaborative Study of 50 Qur’anic Passages
Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. p.284.
et considéré comme canonique. Il ne faut donc pas confondre le SitzimBuch (dans le texte
canonique) et le Sitz im Leben originel de la (strate la plus ancienne de la) péricope ou de la sourate.
Cinquièmement, du point de vue de la Redaktionskritik : si de nombreux passages du Coran datent
de l’époque du Prophète, il ne convient pas pour autant de se limiter apriori au Hijaz du premier
tiers du VIIe siècle pour comprendre l’histoire de la composition du Coran. Il semble en effet qu’il
y ait eu une activité, non seulement éditoriale, mais aussi rédactionnelle, après la mort du Prophète.
Le texte (rasm seul) issu de cette activité éditoriale et rédactionnelle prend vraisemblablement forme,
pour l’essentiel, entre le début et la fin de la seconde moitié du VIIe siècle. En d’autres termes, le
ou plutôt les rédacteurs du Coran sont bel et bien des auteurs (et non de simples compilateurs) qui
ont pu réorganiser, réinterpréter et partiellement réécrire des textes préexistants, voire ajouter des
péricopes, selon leur propre perspective. Les éléments indiquant un travail de rédaction, par des
interpolations, suppressions, ou diverses interventions éditoriales, doivent systématiquement être
pris en compte (le Coran est donc un texte certes composite, mais aussi composé) ».34

A ce propos, Keith E. Small évoque plus de six strates de travail sur le ductus (périodes
temporelles durant lesquelles le ductus des codex reliés ou pas, subi des modifications graphiques
de la part des scribes). Les plus remarquables sont les suivantes : la strate 2, où la révision
consonantique et orthographique d'Al Ḥajjâj, entre 653 et 705, imposa une révision sur le rasm ; la
strate 4, où se fit l'introduction des signes diacritiques et du Ḥamza, la suppression des variantes
shi'ites ainsi que celle des codex des compagnons, puis l'ajout des points colorés de vocalisation,
entre 705 et 936, période durant laquelle avaient cours plus de cinquante systèmes de lectures
différents ; la strate 5, dirigée par Ibn Mujaḥid, après 936, où le nombre de systèmes de lecture fut
réduit à sept. Il est évident que toutes ces retouches sur le squelette ont contribué à vider le sens
des textes primitifs. Small évoque trois natures de rectification : des erreurs de copie, des
rectifications orthographiques et des modifications intentionnelles pour motif politique ou
théologique.

L'auteur signale des changements entre les versets 37 et 41 de la sourate 14 pour renforcer
le rôle d'Abraham. La sourate 14 (« Abraham ») présente ainsi de nombreuses variantes, toujours
répertoriées par Small. Behnam Sadeghi, Uwe Bergmann35 évoquent 35 différences mineures entre
le Codex C1 (copie d'un compagnon en sous-strate de Sanʿāʿ) et celui d'Uthman, 25 substitutions
dont 18 liées à des sonorités voisines.

34. DYE Guillaume, The Qur’an Seminar Commentary Le Qur’an Seminar A Collaborative Study of 50 Qur’anic
Passages Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques. p.17, 2017.
35. BEHNAM SADEGHI and UWE BERGMANN, The Codex of a Companion of the Prophet and the Qurʾān
of the Prophet. ARABICA 57. BRILL, 2010, p. 383-436.
Keith E. Small évoque plus de six strates de travail sur le ductus

L'élimination des versions concurrentes sert, selon Edward Hobbs36, le dogme de la descente du Coran.
Small signale sur le Codex BNF 370 des processus de correction et de réécritures. Manfred Kropp37,
qui a étudié l'inscription arabe de l'arcade octogonale du Dôme du Rocher, montre qu'elle témoigne
d'un texte coranique différent de la Vulgate, un texte avant le Texte (ou un texte hors celui compilé
(muṣhaf). Keith Small affirme qu'il est impossible de quantifier le nombre de matériaux coraniques
perdus et dans quelle mesure le texte fut altéré par les processus d'édition, d'ajout et d'omission de
mots. Combien le sens originel a pu être perdu et dévié, nul ne peut le déterminer.

Les méthodes d'exégèse sémitique et chrétienne vont dans ce sens, mais pas au point de
vider les prophètes de leurs spécificités et identités qui leur sont propres. Les personnages de
l'Ancien Testament sont pour le christianisme des préfigurations, mais ils ne perdent nullement
leurs singularités respectives.

Ainsi, les personnages coraniques sont dépouillés de substance ‒ on peut parler d'un
monoprophétisme. En effet, ces derniers sont esquissés, et leur profondeur psychologique disparaît
totalement ; elle est schématisée à partir d'une ou deux caractéristiques, un ou deux segments
sémantiques : les descriptions sont schématiques et réduites à des segments. Ce caractère morcelé
et ce dépouillement des personnages est-il lié aux processus éditoriaux ?
Les manuscrits anciens montrent des titres différents, ici « Beni Istraël » au lieu de « Al ‘Isra »,
titre islamique du voyage céleste de Muhammad.

36. HOBBS Edward, Prologue : an introduction to methods of textual criticism in Wendy Doniger O’Flahery ed,
The critical study of sacred texts. Berkeley, 1979, p. 1-27.
37. Cours de la chaire annuelle européenne et conférence au Collège de France. 2008.
Des problèmes de translittération de l'araméen vers l'arabe ont aussi certainement contribué
à faire cette épuration, cette transformation. Manfred Kropp 38 a éclairci plusieurs versets,
notamment ceux qui sont obscurs (Q5/97). Les éditeurs des feuillets de prédication utilisent leurs
talents d'exégètes en faveur du dernier envoyé, parangon, non pas de la communauté mecquoise,
idolâtre jusqu'à la pugnacité malgré les vagues incessantes de christianisation, mais bien de l'Empire
omeyyade. Il faut attendre 62 ans, après la date supposée de la mort de Muḥammad, avant de
trouver des inscriptions où ce titre apparaît associé clairement au Prédicateur arabe. Il semble que
la première mention en arabe soit en réalité une pièce de monnaie ornée d'une Croix.39

Nous présentons ici un panel de pièces où ce mot désigne forcement autre chose qu’un nom
de personne. En effet le participe ḥmd d’où dérive mḥmd est souvent précédé de la préposition bi
et Allah accompagne toujours ce participe. Ce n’est jamais un nom propre qui est indiqué sur les
pièces byzantines mais des devises. L’iconographie utilise l’oiseau, le poisson (symboles chrétiens),
la Ménorah. Ce symbole est le sceau du nouveau Pacte mosaïque du nouvel Israël. Le Coran est la
nouvelle Torah. Ces lettres sont aussi un motto copié depuis les pièces byzantines.

Motto d’Heraclius qui célèbre la Victoire

38. « Des mots arabes plutôt très rares sinon chimériques, mal placés et difficiles à comprendre dans le
contexte, se révèlent d'une influence araméenne ou syriaque, non seulement linguistique mais aussi du point
de vue de l'écriture (n'oublions pas que l'écriture arabe n'est qu'une évolution particulière d'une ou des
écritures araméennes), comme étant des fautes de lecture multiples. Et en plus de cela, ils jettent de la
lumière sur des modèles matériels dont s'est servi l'auteur (ou les auteurs) des textes réunis dans le corpus
coranique. En analysant les exemples présents dans les versets 97-98 de la sourate 5, précisément les mots
rikz signifiant bruit faible, murmure et ladd, signifiant adversaires, querelleurs, on arrive à proposer des
conjectures ou émendations en supposant qu'il s'agit de fausses lectures de lettres araméennes. En araméen,
"R" et "D" sont identiques (sinon distingués par des points diacritiques). L'affaire se complique car, comme
deuxième étape dans l'hypothèse, il faut admettre que dans le cas de ces "modèles", il s'agissait de textes
écrits en écriture syriaque, mais composés en langue arabe. Phénomène bien connu par ailleurs dans la
littérature arabe chrétienne ; ce sont en effet les textes dits garchouni, dont on pose l'origine en accord avec
cette hypothèse de travail dans le temps préislamique. Cela jette une nouvelle lumière naturellement sur le
sujet hautement disputé de l'existence d'une littérature arabe chrétienne avant l'islam. Du reste, la
transposition, mieux, la transcription des textes coraniques présumés garchouni produit d'autres fautes de
lecture typiques : par exemple, le copiste voit la lettre D/R araméenne et écrit mécaniquement non la lettre
arabe correspondante, mais une lettre arabe proche dans la forme optique, processus qui engendre bien
d'autres mots, voire racines, chimériques dans le texte coranique. Quant à la substitution des mots pour la
sourate 19, 97-98, on remplace rikz "le murmure" par dhikr "mémoire" et, en effet, le contexte l'exige parce
que l'effacement de la mémoire est une mort – et ladd les querelleurs, remplacé par kadd "en (grand
nombre)", du point de vue stylistique, est beaucoup mieux dans son contexte. »
39. REYNOLDS Said, The Quran in its Biblical Subtext. Routeledge, studies in the Qu’ran, 2010, p. 20-50.
Motto mhmd ? sur pièces arabo-byzantines portant des croix

Motto d’Abd al Malik Motto d’Heraclius

Pièces arabo-byzantines avec oiseaux, poissons, symboles chrétiens


Les mosaïques de cette époque offrent, entre autres singularités, la

particularité de contenir de nombreuses reproductions de pintades parmi les

symboles du christianisme au milieu des animaux annonçant l’arrivée des temps paradisiaques.

Titre sur les pièces : ḥmd louange, mḥmd, rassul Allah40, loué, glorifié… ? soit
l’Envoyé

40. https://www.openstarts.units.it/dspace/bitstream/10077/8820/1/Ghodhbane.pdf.
Notre traduction : Béni soit l’envoyé de Dieu

Naṣr Allah41 victoire d’Allah.

Le caractère décousu et incohérent du texte coranique témoigne avant tout de ce travail


chaotique du corpus, véritable patchwork composant avec d'innombrables matériaux et, surtout,
abyssal chantier sémantique.

Comme témoin de ce travail sémantique, le choix du thème de la soumission est pertinent.


Cette obéissance réclamée à la figure du Prophète sera étendue aux instances politiques, mais
musulmanes uniquement (Q4/59). Ainsi, cette figure a un rôle post-mortem indispensable à la
cohésion de ce vaste Empire, Empire recomposant les pièces de deux Empires, le byzantin et le
sassanide, et de multiples royaumes arabes chrétiens (Ghassanide, Lakhmide, Najran, Hira). 42
Cependant, le processus de transfert tant sémantique que sur les consciences est artificiel et
alambiqué. L'herméneutique est tortueuse et présente de nombreuses discontinuités que nous
pisterons. L'acceptation de ce syncrétisme hétérogène et modulable a visiblement eu besoin d'une
obéissance aussi floue que massive. Le caractère fluctuant du texte, par le biais de la scriptio defectiva
et des lectures plurielles au début autorisées, a servi aussi ces modulations de sens.

Une méthode de lecture permet de retrouver la densité des personnages, c'est la recherche
des racines sémitiques de chaque segment descriptif du corpus, qu'il soit de type haggadique,
halakhique 43 ou ritualiste. Il faut recréer les figures au-delà des prototypes, procéder au
dépouillement du rasm de ses scories-ajouts de strates postérieures, en pistant les incohérences
comme le fait Manfred Kropp, en consultant les variantes répertoriées, en regroupant les segments
par thèmes ; enfin, il faut étudier les cotextes et consulter les ductus d'origine. Ainsi, le rasm
correspondant à « Jean » (yaḥyā) peut aussi se lire avec différents diacritismes en différentes
combinaisons ; ici, il y a 5X3X5, soit soixante-quinze combinaisons.

41. ISRAEL NUMISMATIC JOURNAL. 87/88. Four Ummayad Sealing p.179.


42. Nous savons qu'Abraha, roi du Yémen (lié à l'Éthiopie) et de toute l'Arabie, professait en 570 une trinité
non orthodoxe : « Raḥamanan, Le Messie et le saint Esprit ». Ce roi avait des liens avec l'Éthiopie, puisque c'est
le Négus qui avait envoyé des rois chrétiens au Yémen ; l'Église éthiopienne pratiquait la circoncision, et son
dogme principal était le tawahedo, l'unicité divine. Par ailleurs, les églises circulaires de l'Éthiopie comportent
un immense cube représentant l'Arche d'Alliance en leur sein. Cette proximité éthiopienne est visible dans
tous les mots d'origine liturgique éthiopienne et par l'épisode (fictif ?) presque émouvant du Négus, grand
ami de Muḥammad.
43. L'Aggada (judéo-araméen : ‫הדגא‬, « récitation ») désigne les enseignements non-législatifs de la tradition
juive, ainsi que le corpus de ces enseignements, pris dans son entièreté. Ce corpus de la littérature rabbinique
recouvre un ensemble hétéroclite de récits, mythes, homélies, anecdotes historiques, exhortations morales ou
encore conseils pratiques dans différents domaines.
En nous appuyant sur une méthode combinant la logique, la philologie, la codicologie,
l'exégèse, et en fouillant l'herméneutique du texte tout en se référant à l'exégèse chrétienne et
rabbinique, nous pourrons retrouver les sens premiers de celui-ci. L'exégèse rabbinique procède
par repérage des anomalies sémantiques. Cette méthode pourra être fructueuse tant les
discontinuités rhétoriques sont pléthore. L'autre technique consiste à rapprocher des versets épars
du corpus sacré et « à les frotter ensemble » (selon cette exégèse). Tant l'absence de marqueurs
spécifiques aux personnages est forte que nous avons tenté cette méthode pour le verset Q7/157
(annexe), qui est classiquement attribué à Muḥammad.

Plusieurs raisons expliquent ce caractère difficile de l'arabe coranique : l'absence de


lexicographes de l'époque ‒ les dictionnaires sont tous postérieurs au texte, le Lisan al’arab est
achevé en 1290 ‒ et surtout le caractère défectif de l'écriture hidjazie, encore amplifié par un
nombre de phonèmes non différenciés par des graphèmes plus grand que prévu (les homographes sont
encore plus nombreux car il y a seulement 15 graphèmes, souvent à peine distincts entre eux et
souvent réécrits). La dispersion des logia coraniques traitant d'un même thème sur tout le corpus
accroît ces difficultés. L'origine syro-araméenne de la langue des « auteurs » du Coran a été
démontrée par les spécialistes44 : C. Luxenberg45, G. Lüling46 et G. Swama47 . Arthur Jeffery, dans
son ouvrage synthétique, a répertorié les lexiques provenant de cette langue. Alphonse Mingana a
lui aussi œuvré en ce sens.

Utilisant les méthodes de la critique biblique et littéraire, J. Wansbrough48 va encore plus


loin. Il conteste fondamentalement le caractère historique des récits musulmans sur le Coran. Pour
lui, le texte coranique n’a pu prendre sa forme définitive qu’à la fin du VIIIe siècle, voire au début
du IXe siècle. Cette datation est jugée trop tardive par la majorité des chercheurs, dont certains ont
appelé cette orientation le courant « révisionniste ». A l’opposé, J. Burton 49 essaye de prouver que
la vulgate, telle qu’elle nous est parvenue, est celle du Prophète à sa mort.

L'origine syro-araméenne pourrait expliquer, en partie, cette difficulté sémantique. L'indice


le plus fort concernant cette origine est l'emprunt de l'étymon syriaque qeryâna, signifiant
« lectionnaire », pour désigner le corpus.50 Cette origine probable de la langue du corpus s'ajoute à
la defectiva graphique de l'alphabet utilisé.51 Bien d'autres artefacts, de signification plus volontaires
ou non, brouillent les pistes d'identification et conduisent à des lectures plurielles et divergentes
– selon la strate d'écriture et selon les présupposés.52 Le corpus coranique est lu, actuellement,
uniquement dans un cadre islamique. Il n'existe aucune version critique. Par ailleurs, de nombreux
paradigmes et paratextes sont mêlés à la lecture nue du rasm.
L’étude des variantes permet de rétablir des sens et liens perdus, il faut signaler qu’une
variante d’Ubbay b. Kabb parle non pas du « yawm al jumu’a » mais bien du « yawm al’aruba al kubra
» sachant que les syriaques nommaient le vendredi saint « yôm ‘rubta rabbta », le grand vendredi (jour
du lever de soleil).53

44 . JEFFERY Arthur, The Foreign Vocabulary of the Qur’ān, Baroda, 1938. http://answering-
islam.org/Books/Jeffery/Vocabulary/part8.htm
45. LUXENBERG Christoph, Die Syro-Aramäische Lesart des Koran. Schiler, 2000, p. 10.
46. Les méthodes de Lüling utilisent en outre des connaissances de la grammaire des langues sémitiques.
47. SAWNA Gabriel, The Qur’ân misinterpreted, mistranslated and misread, 2006, p. 20.
48. WANSBROUGH J., Qurʾanic studies, Londres, 1978. p. 1-361.
49 J. BURTON, The Collection of the Qur’an, Cambridge, 1977, p.273.
50. GRÄF Erwin , ZDMG 111 série 37, 1962, p. 396-398 « L'étymologie du mot indique une origine liturgique
et cultuelle. » et MADIGAN Daniel. The Qur’an self image. Writing and Authority in Islam's Scripture, 2001.
51. Cette scriptio défectiva génère une grande variabilité sémantique intrinsèque.
52. CHABBI Jacqueline, Les Trois Piliers de l'islam. Lecture anthropologique du Coran. Seuil, 2016. p. 10.
53 . Le Coran des historiens. p.1730.
Des recherches récentes, notamment celle de J. J. Walter sur la Théorie des Codes appliquée au
Coran, montrent l'étalement dans le temps des processus d'élaboration du corpus et la pluralité des auteurs (plus
de cinquante). Les problèmes d'ordonnancement des feuillets et des versets – ni chronologiques ni
thématiques – et le laps de temps considérable pour constituer l'ultime version du corpus reçu
perturbent une lecture linéaire et modifient la compréhension globale du texte. Si des fragments
‒ même non interpolés ‒ des Évangiles étaient dispersés dans toute la Bible, le sens global du texte
entier de la Bible en serait altéré, même sans changer les extraits. Si des extraits de tous les auteurs
bibliques étaient mis en désordre puis remaniés graphiquement, quelle compréhension en resterait-
il ? La lecture du texte aboutirait à une autre théologie, et si on y adjoignait un mythe fondateur, le
texte n'aurait plus aucun rapport avec le texte initial pourtant utilisé comme base.54 Une dernière
contribution à l'étude des manuscrits du Coran ancien est le savant des langues orientales anciennes,
le professeur Gabriel Sawma,55 professeur américain des études orientales qui montre la proximité
des textes du Coran et de la Bible.

Tayyar Altikulac56 nous dit que la copie du Caire a été écrite sur l'ordre de Marwan en 704
et qu'elle n'est pas le Musḥaf d'Uthman. Cependant, malgré tous ces efforts de reconstruction, il est
possible que même la strate initiale du Coran soit profondément gnostique. Cette défection des
compléments circonstanciels et cette stylisation des personnages ne permettent pas de visualiser
les acteurs coraniques. Malgré tout, nous essaierons de brosser le portrait des prototypes de
l'obéissance présents dans le Coran.

54 . Les spécialistes des langues araméo-syriaques ont découvert que le Coran rédigé à l'époque de
Muḥammad et d'Uthman était au niveau linguistique, un mélange de syriaque, d’araméen et d'arabe. Des
mots syriaques ont été utilisés, mais leur sens diffère de celui des mots après leur arabisation, du fait de
l'ajout des signes diacritiques et des voyelles. Ainsi, les scribes n'ont pas pu expliquer le sens de ces mots.
Les érudits les plus réputés qui ont fait des recherches sur le Coran araméo-syriaque sont : l'allemand Gerd-
Rüdiger Puin, chef d'un projet de restauration agréé par le gouvernement yéménite, ainsi que le Docteur
Ibrahim Malek, expert en langues orientales qui maîtrise la langue syriaque. Puin a découvert une
classification non officielle des versets coraniques, des différences dans le texte et une écriture rare,
différente des manuscrits officiels. Les versets ont été écrits selon le style calligraphique hidjazi primitif. Les
manuscrits découverts à Sanʿāʿ montrent de façon évidente une réécriture par-dessus une écriture ancienne
effacée. Le Coran yéménite montre un texte évolutif, au lieu d'un texte figé et cela, depuis la mort de
Muḥammad en 632. En 2000, sous le pseudonyme de Christoph Luxenberg, a été publié un livre intitulé
Une lecture araméo-syriaque du Coran. Moḥamed Elmassih, professeur en manuscrits arabes anciens, a participé
à ces recherches. 25% des mots du Coran sont opaques et mystérieux, et les exégètes ont échoué dans leur
interprétation parce qu'ils n'ont pas compris leurs racines syriaco-araméennes. Les études de ces érudits,
Luxenberg, Gabriel Sawma et le Dr Malek, ont montré que le Coran d'origine, écrit avec le style hidjazi et
koufi sans points diacritiques, est plus proche du syriaque que de l'arabe. C'est un mélange des deux langues,
qui comporte des mots syriaques écrits avec les styles arabes hidjazi et koufi anciens. Les recueils de Hadiths
de l'Imam Ahmed et les Sahihayn (Boukhari et Mouslim) rapportent que Muḥammad a demandé à son scribe
Zayd ben Thabit d'apprendre la langue syriaque pour traduire les ouvrages qu'il recevait en syriaque. Zayd
ben Thabit était un de ceux qui rédigeait le Coran du vivant de Muḥammad. A l'époque d'Uthman, il fut
choisi avec trois autres pour réécrire le Coran dans le style hidjazi et nabatéen. Ensuite le koufi, style
d'écriture des mots arabes sans signes diacritiques et sans hamza, fut mélangé avec les mots syriaques. La
langue araméo-syriaque était utilisée à cette époque dans la péninsule arabique et dans tout le Proche et le
Moyen-Orient. La langue arabe s'écrivait avec l'écriture Garshouni syriaque avant l'évolution de l'écriture
arabe.
55. SAWMA Gabriel, The Qur’ân Misinterpreed, Mistranslated and Misread, 2006.
56. ALTIKULAÇ DR TAYYAR Al-Musḥaf al Sharif, Attributed to ‘Uthmân bin ‘Affân. Hz. Osman’a Nisbet
Edilen Mushaf- I Şerîf (Kahire El-Meşhedü’l-Hüseynî Nüshası), Volumes I and II, Organization of the
Islamic Conference Research Center for Islamic History, Art and Culture, 2009.
LE DOME DU MESSIE

Ainsi, Manfred Kropp nous livre sa lecture des frises du dôme, un sens totalement différent
émerge et ce, juste en changeant le sens d’une seule racine.

Lecture de Manfred Kropp :


« Au Nom de Dieu, le bienfaiteur miséricordieux. Il n’y a pas de Dieu excepté Dieu seul.
Il n’a pas de compagnon. A Lui la Royauté ! A Lui la louange (Q64/1). Il fait vivre et fait mourir
(Q57/2). Sur toute chose il est omnipotent. (Muḥammad est ) (Gloire au, Béni soit) Serviteur de
Dieu et son Apôtre. O vous qui croyez ! Priez sur le Prophète et appelez sur Lui, le salut et la
miséricorde de Dieu. O détenteurs de l’Écriture ! Ne soyez pas extravagants en votre religion. 57
Ne dites sur Allah que la Vérité. Le Messie, Jésus, fils de Marie est seulement ou vraiment l’Apôtre
d’Allah. Son Verbe a été par Lui à Marie et un Esprit de Lui. Ne dites pas trois ! Cessez ! Ce sera
bien pour vous. Allah n’est qu’une divinité unique. A Lui ne plaise d’avoir un enfant. A Lui ce qui
est dans les Cieux et ce qui est sur la terre. Combien Allah suffit comme protecteur. Le Messie non
plus que les Anges rapprochés du Seigneur n’ont trouvé indignes d’être des Serviteurs d’Allah
(Q33/56.) Ceux qui trouvent, indigne de l’adorer et qui s’enflent de superbe Allah les rassemblera
vers Lui en totalité. (Q4/171) O Mon Dieu prie sur ton Apôtre et Ton Serviteur Issa Ibn Maryam.
Que le Salut soit sur Lui. Le jour où il naquit, le jour où il mourra et où il sera rappelé vivant (Q
19/33). Celui-là est Jésus, le Fils de Marie, parole de Vérité pour laquelle vous vous querellez. Il n’est
pas séant à Allah de prendre quelque enfant. Gloire à Lui ! Quand Il décide quelque chose il dit
seulement Sois et elle est ! (Q19/ 3 à 6.) Allah est mon Seigneur et votre Seigneur. Donc adorez-
le ! C’est une voie droite (Q 43/64). Il a attesté ainsi que les Anges et les possesseurs de science
qu’il n’est ne divinité que Lui, le Puissant, le Sage. »

Manfred Kropp traduit « Muḥammad » par « Gloire ». On remarque une continuité


textuelle extraordinaire du bloc qui est composé d’extraits coraniques. Si on garde la traduction
classique on perd la cohérence. D’ailleurs il étrange de constater la concentration des aphorismes
qui se réfère à Jésus, une figure secondaire dans la vision classique de l’islam. On s’attendrait à une
valorisation du Prophète. Nous reviendrons sur ces transferts de biens ou de segments textuels
entre messagers de Dieu dans le Coran.

Le travail des éditeurs des logia coraniques s'apparente, selon lui, à une dispersion du sens
et une dilution, voire un délitement des personnes décrites. La remarque de G.Dye doit rester notre
phare : selon lui, ces textes relativement indépendants, pour ne pas dire hétérogènes, n'étaient pas
destinés à être réunis en un codex, et la signification et la fonction originelles peuvent avoir été
modifiées, voire masquées par la collecte.58

Ce délitement progressif et ce bal des acteurs s’observe sur les inscriptions du Dôme du
Rocher ; Manfred Kropp 59 , dans son analyse, que Jésus y est très présent, contrairement à

57. Avec le syriaque « dans votre jugement, façon d’interpréter » justice, loi, Com. AphDem2.25:13 : ‫;<=ܘܢ‬:‫ܕ‬
%$#‫ ܘܕ‬8‫ܬ‬,A@‫ ܙܕ‬. P Ez18:5 : *%@‫;<= ܕ‬: . BT BM 82b(22) : ‫האי כדיניה והאי כדיניה‬ Syr. Ps-Nonn
225(23) : CB@‫ ܕ‬D@‫* ܕ‬%ܼ@‫ ܕ‬E@‫ܐ‬
58. DYE Guillaume, Cours enregistré sur la Sourate Maryam. 2015.
59. KROPP Manfred, Conférences Islam : tradition écrite versus tradition orale - au Collège de France - 17
octobre 2005, Rapport annuel de la Chaire européenne "Études coraniques." In: Annuaire du Collège de
France 2007-2008. Résumé des cours et travaux. 108e année. Paris, 2008. 783-801; url: http://www.college-
de-france.fr/media/his_cheur/UPL1891_Manfred_Kropp_cours_0708.pdf.
Muḥammad. Il y a retrouvé deux grands textes occultés : l'un évoquant Moïse, l'autre Jésus. Selon
ses photographies (annexes) et celles du groupe Inarah, Muḥammad n'est cité que 5 fois et ce, de
façon stéréotypée ; Jésus y est décrit, lui, par de longs développements. Aussi pour ce savant, le
terme Muḥammad fut utilisé, dans un premier temps, uniquement dans le sens d’un titre
honorifique. Manfred Kropp émet l'hypothèse, pour le Dôme du Rocher, d'un sanctuaire centré
sur Moïse et Jésus. Par ailleurs, il faut signaler que les auteurs de tafsirs sont souvent d'origine
persane ; leur maîtrise de l'arabe et de toutes les langues sémitiques étaient-elles suffisantes pour
comprendre en profondeur les loggia ? Étant d'origine perse, beaucoup de commentateurs n'ont pas
saisi le substrat chrétien du Coran. De plus, le manichéisme possédait déjà un genre de prophétisme
gnostique refaçonné hors de l'histoire réelle – avec Mani, le sceau des prophètes – et ignorait le sens
profond de l'Alliance biblique.60 Le travail d'herméneutique de ces exégètes n'est pas mince. Ces
derniers voient, dans des figures anciennes, des annonces des nouvelles par le biais de l'analogie et
de l'allégorie. Leur travail interfère notoirement avec le matériau prophétique du Messager. Il est
difficile d'isoler la prophétie du Prédicateur des constructions des copistes et de celles des tafsirs.

Le christianisme arabe parle de Yéshua, ibn Allah. 61 Luxenberg propose de moduler la


négation de la filiation en retraduisant « Ils ont dit Allah s'est donné un fils » par « Ils ont dit : Allah
est un avec le Fils ». En effet, les rasm peuvent différer par diacritisme, soit hamza khā dhāl
(« prendre, associer »), soit hamza ḥā dāl, un. Ainsi le rasm serait (hamza ḥā dāl) et non (hamza khā
dhāl) et serait en relation avec une polémique plus classique de la christologie, et la dissociation de
la chair au verbe serait atténuée.62

ttaḫaḏa Llāhu ou ’aḥadun-i Llāhu

Autre relecture, cette fois-ci proposée par Lüling qui analyse la figure du Serviteur Jésus. Si
la rébellion est la cause de ce transfert de l'Alliance, on pourrait envisager que la figure du Serviteur
obéissant et souffrant joue un rôle essentiel. Abraham coranique incarne certes, cette obéissance
absolue et oblative, mais cette dernière n'est pas réactualisée par l'immolation-obéissance de Jésus.
Israël s'identifie souvent, en tant que peuple, à cette figure du Serviteur. Durant l'exil à Babylone,
alors qu'Israël a perdu le Temple et la terre, un prophète vivant au milieu des exilés parle d'Israël-
serviteur de Dieu, comme d'un être défiguré, sans beauté ni éclat, frappé de coups. Israël, serviteur
et intime de Dieu, se doit d'accomplir la vocation de l'obéissance jusqu'au bout. Israël devait
transmettre et porter la bénédiction aux autres peuples. Le Coran n'a de cesse de rappeler ce défaut
d'Israël et exalte sans cesse le modèle du Serviteur. Dans le Coran, au Dôme du Rocher, c’est Jésus
qui est exalté en tant que le Serviteur de Dieu. Mais ce n'est jamais le Serviteur souffrant. Le thème
de l'exaltation de Jésus est récurrent : en Q4/157, il est dit « élevé par Allah » et « proche de Lui ».
Le thème de la descente63 de Jésus est voilé en Q19/64 : « Nous ne descendons que sur ordre »
(wa-mā natanazzalu ’illā bi-’amri rabbika). Ce modèle du Christ-Serviteur a été développé dans le

60. STROUMSA Guy, Le sceau des Prophètes. Savoir et salut. Paris. Cerf, 1992, p. 275-288. Saint Éphrem
̈ ('
attribue, quant à lui, ce titre de sceau des prophètes à Jésus (hatam). Syr. BBah 1786:14 : %&‫ܘ‬
*‫̈ܬܬ‬+' *‫ܬ‬.̈ ,ܵ'‫ܘܢ ܕ‬0#(#‫ܐ‬
61. Waḥidin yasu’a almasih, ibn illahi al waḥid, al mawlud min al âbi qabla kulli al duhur, ilahune min ilahine, nurune
min nur ilahoune haq ou bro d-Aloho en araméen.
62. Llāhu ’aḥadun-ittaḫaḏa Llāhu . Q10/68 et Q112/1 ḥad et Q2/116 taḫaḏu.
63. La descente de Jésus est un thème cher à saint Ephrem (p. 261, Hymnes sur la Nativité) : « Béni soit celui
qui descendit. » Le mot descente intervient 293 fois dans le Coran.
christianisme avant le IIIe siècle. Cette descente associée à Jésus est nette au verset Q3/53 : « Nous
avons cru à ce que Tu as fait descendre et suivi Le Messager » (« Nous », sous-entendu les Apôtres).
Cette exaltation – qui va jusqu'à « élever, resplendir » (mutawaffīka) –est reconnue par le Coran dans
sa traduction traditionnelle (sourates 3, 4, 5 et 19) et dans une traduction plus originale de Lüling.
La reconstruction par Lüling de la sourate 74 – qui serait un hymne arien – donne cette image
d'esclave pour Jésus et lui redonne sa souffrance :
Dieu a créé Jésus comme un être obéissant à sa volonté
Il lui a témoigné en sa faveur par des témoins
Et il lui a ouvert la voie
Alors que Jésus souhaitait être exalté
Le Christ n'était point rebelle contre ses signes
enfin Dieu le fit passer à l'exaltation par la mort
Le voilà, (le Christ) a été torturé (ṣa’uda)64
et méprisé
Il a été tué comme il a été décidé
Il a accompli
Il a cessé de s'interroger
Il a arrêté de se renfrogner et en faisant un visage sévère
Il a cessé de contester et dit Dieu est grand
Et il a repoussé la séduction
Celle de la voix de la chair transitoire.

Cette reconstruction est conforme à l'image de Jésus gravée au Dôme du Rocher : un


Serviteur créé, comme Adam ; une créature oppressée par le Décret, comme la Vierge Marie. Le mot
qāf ḍād yā (Q19/21) utilisé pour l'Annonciation coranique renvoie dans sa translittération
araméenne à l'usage liturgique de « rompre le pain », à « consacrer », à « séparer ».65 A ce stade, il
faut signaler que, dans le Coran, il n'y a aucun dialogue entre Allah et l'humanité, seul Allah parle. Marie
gémit, et ses lamentations sont si intenses que le Coran prend la peine de les retranscrire. A l'inverse
de la Bible, aucun dialogue humano-divin n'existe. Dans le Coran, c'est ce modèle du Serviteur
muet, de l'esclave tout ouïe qui modélise cette obéissance au Pacte-Décret. Cette thématique du
décret est omniprésente dans les Règles de la communauté de Qumran : « Par l'offrande des lèvres
je le bénirai selon le Décret gravé à jamais, tandis que s'accomplit le Décret. »66

Le recours aux reconstructions coraniques de Lüling permet de montrer une création en


deux temps, la création du Cosmos et de l'humanité, puis celle du Christ-Serviteur souffrant pour
éclairer la Création rebelle. Cette vision tout arienne a-t-elle d'autres reliquats coraniques ? Si la
prédication a pu jouer sur cette fibre, leur rhétorique semble littéralement voilée. Cette dernière se
déploie essentiellement à travers des prototypes totalement désincarnés, des modèles d'obéissance
tous identiques. Le Pacte, dit des Prophètes, en Q33/7, montre cette identité. Il figure dans une
sourate au mode d'élocution bien varié qui alterne sans cesse l'apostrophe directe au Messager avec
un discours adressé à l'auditoire, pour justifier les droits de ce dernier, et des harangues aux épouses
du Messager. Le Pacte des Prophètes suit immédiatement cette justification des droits spéciaux du
Messager. Les épouses de ce dernier acquièrent le statut de Mères des croyants. L'umma semble déjà

64. ‘id as-su’ud signifie « l'Ascension » (74/17:2). ṣaʿūdan, « souffrir », PTA, CPA, Sam, Syr, JBA, LJLA. P
Ex18:18 : 4:‫ ܐ‬.;GܿF- ‫ܘ‬.;GܿF-. P 1S2:30 : ‫ܘܢ‬.;GF: CG,&̈H « souffrir, être outragé ».
65. Syr. P Is58:7 : E3JI 8FK‫ܬ‬.
66. Ecrits intertestamentaires, Règle de la communauté. Edition Gallimard. p. 39
bien formée, et ce Pacte semble tardif.67 Le mot ḥā zāy bā prend le sens spécial, dans cette sourate,
de « confédérés ».

Jésus est le prototype de l'Abd Allah, du serviteur de Dieu. Dans la liturgie syriaque on
évoque « ‘Abdika ya et ibn Allah, tes serviteurs et le fils d'Allah ». Ce nom est aussi celui du père du
Messager. L’identification de Jésus à un serviteur de Dieu est connectée à une tradition syriaque du
sixième siècle.

Les modulations des serviteurs balaient « l'obéissance », « l'esclavage à Dieu », et sont


expressément vantées : « David, Notre esclave » (Q38/17) ; « Ses esclaves » (Q19/61) ; « Jésus dit :
Je suis l'esclave d'Allah » (Q19/30).68 La nature entière est assujettie. On remarque que les montagnes
elles-mêmes s'inclinent avec David en Q38/18. Saint Paul évoquait lui aussi l'attente de la
Rédemption pour la Création entière. L'obéissance à la Loi concerne Noé, Moïse, Abraham, Jésus,
Jean-le-Baptiste (qui se dit « non-désobéissant ») ; Marie et Zacharie sont inclus dans cette attitude
fondatrice. En Q3/43, Dieu s'adressant à Marie, lui dit : « … retire-toi et prosterne-toi parmi les
prosternants ».69

Il suit à la trace Moïse, le législateur absolu, le détenteur des grâces. Il re-déploie à son gré
tous les motifs de l'Alliance, estompe certains traits comme le sacrifice et le sacerdoce, et renforce
fortement d'autres comme celui de la rébellion, qui débouche sur une répudiation virulente de
« l'association » : le mauvais Pacte. Le Coran part d'un fossé insurmontable entre le Créateur et la créature,
de la faillite des autres communautés, juives et chrétiennes, vis-à-vis du Pacte pour faire surgir une
nouvelle communauté qui se groupe sous les étendards de l'obéissance et de l'unitarisme de Dieu,
et la contrepartie divine sera le pardon, la rétribution dans l'Éden et la possession de la terre. A cette
fin, l'appareil exégétique réinvestit des schémas pauliniens pour retourner sur Abraham. Le péché
est univoquement une désobéissance et uniquement une rupture de pacte entre la créature et Allah
qui ne le touche en rien. Une forte prédestination se dessine. L'obéissance exigée concerne tout
autant Allah que son Messager qui représente tous ses précédents. Seul Jésus est sans péché.70
Cependant, Jésus perd son statut d'intercesseur. Son statut de Messie devient formel et
anecdotique. Donc, la reprise coranique du thème de l'obéissance paulinienne à Dieu et à son
Apôtre est fondamentalement perverse. En supprimant Le Fils, c'est la liberté acquise par le Christ
qui disparait. Les deux obéissances de l'Épître aux Galates et du Coran sont aux antipodes.
En outre, l'axe des temps devient une valeur vide dans l'islam, dans l'histoire du Salut. Avec
la plénitude des temps, selon saint Paul, l'affranchissement de ceux qui étaient sous la Loi a pu
avoir lieu. Le temps n'est invoqué que pour justifier la nécessité du nouveau prophétisme ; le temps
n'est pas lié au déploiement de la Révélation, mais à celui de l'occultation ‒ progressive ‒ de la
Révélation toujours identique. En outre, cette obéissance est mise au service d'un combat armé
directement lié à des autorités aussi floues que fluctuantes (sourates 9 et 48) et forcé par des
instances politiques agissant sur le texte, témoin du Pacte, alors que l'obéissance paulinienne était
au service du Christ et de la Charité. L'objet de l'obéissance paulinienne n'est pas la Loi, mais bien
Dieu. Le Coran clame une obéissance aveugle et sans conscience à un Dieu capricieux et à sa loi inique,

67. La racine hébraïque ‘Adb signifie « rendre un culte ». Israël, le Serviteur, rend un culte à l'Eternel et est
élu (choisi.)
68. Le mot « esclave » a pour racine hébraïque ‘obed signifiant aussi « rendre un culte à », le serviteur et
l'esclave ont pour fonction de rendre un culte à l'Éternel.
69. Apocalypse d'Énoch : « De même qu'un mont n'est jamais devenu et ne deviendra jamais un serviteur ni
une colline une servante, de même le péché n'a pas été envoyé (d'en haut) sur la terre, mais ce sont les
hommes qui l'ont établi eux-mêmes et ceux qui le font sont voués à une grande malédiction. »
(Responsabilité de l'homme.)
70. AL FAKHR AL RAZI, lui, a fait le commentaire suivant : 1. Concernant les mots : « pour te donner un
garçon "pur", il dit que le mot "pur" signifie trois choses. D'abord, qu'il est né exempt de péché… »
puisqu'inconnue, à l'image de son auteur ; ces deux entités surplombent tout, mais jamais ne se
laissent ni connaître, ni définir. Les mobiles de création de Dieu étant inconnus, l'orientation de la
Loi est encore plus floue. L'obéissance devient l'aveugle soumission à une lettre aussi floue qu'un
mirage. L'Esprit Saint laisse place à Gabriel, simple Messager ; l'intelligence requise de l'homme
s'en trouve muselée. Le sens primitif de la circoncision, signe de l'Alliance, n'est plus rappelé. La
constance dans l'épreuve, la croyance en tous les Prophètes, la confiance en Dieu, la lucidité devant
les signes divins, la reconnaissance envers Allah sont requises, mais dans quel but ? Le but de
l'obéissance au Messager est-il de fonder un « califat » ? Là encore, rien n'est bien clair. Il est clair
que la pensée iranienne a lourdement influencé l'Islam, « politique » et « religion » sont sœurs
jumelles inséparables et aucune ne peut devenir parfaite sans l'autre. C'est une devise du roi
sassanide Ardashir.

B –ABSOLUTISME DE L’OBEISSANCE

Dans le Coran, le thème de l'obéissance/désobéissance à Dieu est central. Son intérêt théologique
et politique s'en trouve renforcé de par sa connexion au thème de l'Alliance. Nous proposons
d’étudier ce thème car il met en lumière cette problématique de la continuité-parenté avec La Bible
de façon pertinente.

Nous partirons d’une sélection de sourates où l'obéissance s'impose.71 Cette obéissance doit
s'accompagner de crainte, et même de peur : « craint Allah… et Le redoute… » (Q24/52).72 Parfois,
c'est l'obéissance au Messager qui prime avant celle due à Allah (Q4/80). Des mises en garde
viennent souvent s'ajouter : « prenez garde » (Q5/92). La double désobéissance peut aussi
s'accompagner de « la transgression de limites » (Q4/13). Le Coran peut, à l'opposé, faire des
promesses à ceux qui obéissent (Q4/69) – la formulation peut être plus complexe pour décourager
cette rébellion : « quand Allah et son Apôtre ont décrété une affaire [‘amran] » (Q33/36). La plupart
des occurrences se situent dans les sourates dites médinoises (de numéro 2 à 9).73 Une constatation
cependant, l' « Obéissance à Allah et au Messager » est une nécessité. Mais la question se pose
rapidement : A quelle loi et à quel Messager faut-il se plier ?

Avant de s'avancer, il conviendra au préalable de mener une réflexion philologique sur les
mots de l'obéissance/désobéissance coranique, nous essaierons de déterminer s'il existe ou non
une homogénéité du traitement de ce thème tout au long des sourates et donc y a-t-il une évolution
dans le traitement de ce thème. Jacqueline Chabbi affirme que ce thème est absent des sourates
dites mecquoises. Y a-t-il vraiment une évolution de traitement de ce thème entre les différentes
sourates dites mecquoises et celles dites médinoises ?

71. Q24/52 ; Q4/80 ; Q5/92 ; Q8/24 ; Q3/132 ; Q4/69 ; Q4/13 ; Q33/36.


72. Voir le traitement du thème dans le Deutéronome.
73. Le thème occupe 90% d'occurrences pour les sourates de numéro inférieur à 50, 50% pour celles de 2
à 24. Le terme « djihad » : 95% des occurrences avant la sourate 50, dont 50% de la sourate 8 à 9. Le terme
« ténèbres » : 100% avant Q50 ; le terme « tuer » (qatal) et celui de « mécréants » (kafar) : 90%. Les naṣar
traduits par « chrétiens » sont à 80% dans la sourate 5 et 46% dans la sourate 2. Sur 158 occurrences de la
racine nṣr, 15 occurrences sont lues comme « chrétiens » : Q2/62, Q2/111, Q2/113, Q2/120, Q2/135,
Q2/140, Q3/67, Q5/14, Q5/69, Q5/82, Q/30, Q22/17. Cette analyse a été par la suite confirmée par
GRIFFITH Sidney (Al-Naṣârâ in the Qur’ân. New Perspectives on the Qur’ân, édité par Gabriel Said
Reynolds, p. 307). Quarante sourates ne présentent pas la racine, et ce, quelle que soit sa forme : 1, 12, 20,
26, 44, 53, 55, 56, 62, 65, 69, 75, 77, 79, 81, 82, 86, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 99, 100, 101, 102,
103, 104, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 113, 114 ‒ GALLEZ Edouard-Marie, in Le texte arabe non
islamique, Studia Arabica, vol. XI, éditions de Paris, 2009, p. 67-87 (Colloque de Toulouse, le 22 octobre
2007).
Nous partageons son point de vue en le modulant. Les sourates mecquoises ne sont pas en
effet, à première vue, plus avares en vocables liés à l'obéissance. Sur les 80 requêtes, 50% sont
présentes dans les sourates mecquoises, seules, dix associent obéissance à Dieu et celle à un Messager
explicitement nommé, Noé (Q71), Aaron (Q20), Jésus (Q43) et les prophètes précédemment
nommés (Q26). Donc, dans ces sourates, aucune obéissance à un Messager unique et particulier n'est requise.
Par contre, il y a presque pour 90% de toutes les occurrences obligation d'obéissance à Un
Messager, associé à Allah (Q3/32, Q3/132 ; Q4/13, Q4/59, Q4/80 ; Q5/92 ; Q8/1, 8/20 ;
Q47/33 ; Q33/1 ; Q64/12...). Dans les sourates médinoises, le thème de l'obéissance est plus dur,
car assorti de menaces d'Enfer, de promesses de châtiment, et il est lié à la croyance à la descente
du Livre, à l'obligation du combat (Q48). Dans ces sourates, le visage de l'obéissance est celui de
Muḥammad – excepté l'occurrence Q3/50 liée à Jésus. L'occurrence « nous t'obéirons » (sa-
nuṭī‛ukum) est unique (Q47/26).

Ce thème de l'obéissance est la colonne vertébrale du Coran : 40 occurrences de la racine, ṭā wāw


ʿayn, 70% sont entre les sourates 2 à 26. Durant tout son discours, le Coran exige « croyance » (500
occurrences) et « obéissance ». Il y a une concordance très forte entre ces deux vocables, on peut
affirmer qu'il existe une très grande proximité entre la foi et l'obéissance dans l'Islam, les tableaux de
concordances sont explicites. Les concordances s'estompent dans les sourates les plus brèves,
souvent de type mecquois.

Le genre concernant l'obéissance est d'abord impératif et imprécatoire. Cette demande


d'obéissance est toujours binaire avec le segment « Dieu et Son Messager » ou « Dieu et Moi ».
Étrange élocution pour un monothéisme récusant tout « associé » à Allah ; dans le registre
d'obéissance, Allah a besoin d'un associé et d'un bras armé et d'un bras muni d'un kalam théologique.
Nous avons ici un monothéisme qui nivelle toute figure prophétique au niveau de l'envoyé
interchangeable, non nommé explicitement, tellement il est évident. C'est un monothéisme où une
trinité de l'obéissance s'installe entre Allah, son Messager et son Livre. Ce monothéisme se
positionne pour combattre un monothéisme trinitaire. Le concept du Prophète stéréotypé unique
aide ce processus, les messages sont identiques, les Messagers ont tous délivré le même message et,
donc, tous sont musulmans.74 Rarement aussi, le référent à l'obéissance est nommé.

Il serait bon de s'interroger au sujet de cette absence de précision dans l'énonciation d'un
commandement si capital. Cet associationnisme de l'obéissance était-il présent dans une strate
primitive du texte ? Si la réponse était affirmative, cette absence de précision aurait-elle des causes
liées à la genèse des Écritures ? En effet, on peut supputer une strate primitive où le réceptacle de
cette obéissance était si évident au point de n'en pas préciser l'objet. La lecture officielle islamique
oriente vers un unique destinataire de l'obéissance : Muḥammad, le sceau des Prophètes.

Cette prééminence prophétique en faveur du dernier ‒ si l'on se fie aux exégètes ‒, en


complète contradiction interne avec le Coran lui-même75 ; donc ce basculement d'obéissance sur le
dernier Prophète est-il vraiment dans le Coran dès le début de sa genèse ?

R ISQUE POUR LES « TRANSGRESSEURS »

Après ces requêtes d'obéissance, ce sont toujours, dans le Coran, des menaces liées à l'Enfer
qui s'annoncent ou des promesses de délices (150 occurrences de récompense et de salaire, de
racine hamza jīm rā). La transgression de la Loi est un thème puissant du Coran (Q70/31, Q23/7,

74. Eusèbe de Césarée présentait un Abraham totalement chrétien.


75 . « Muḥammad n'est qu'un Messager », présent à Q3/144 ; Jésus bénéficie, selon le Coran (verset
Q2/253), d'un rang suréminent.
Q10/74, Q7/55, Q9/10, Q5/87, Q51/44, Q2/229, Q2/190). L'Enfer est promis au transgresseur.
Le Coran en dit-il plus concernant la transgression de la Loi, qui est implicitement celle de Moïse ?
Les « transgresseurs » (‛ādūn) sont expressément nommés aux sourates Q70/31, Q23/7, Q26/166,
Q7/55, puis (muǧrimīn) en Q6/55, Q7/40, Q7/133, Q10/13, Q9/66, Q10/7576, et ils sont voués
à des tourments de l'Enfer très amplement décrits (plus de 200 allusions, 145 occurrences du Feu,
26 de l'Enfer, 14 occurrences de l'eau bouillante). A vrai dire, si on retire les menaces d'Enfer, le
Coran perd beaucoup de son contenu. Les transgresseurs de la Loi et du Sabbat sont transformés en
singes, dans le Coran, comme ceux qui construisirent Babel. On constate que la transgression
coranique de la Loi concerne essentiellement…. les Fils d'Israël. Donc ce thème est en résonance avec La
Bible.

La transgression est le thème central des sourates et du Coran, mais les dispenses de
l'application stricte de la Loi sont résumées dans le tableau suivant. Ce thème de la transgression
est lié à l'idolâtrie. En effet, le vocable issu de la racine ṭa ghayn ya vient de l'araméen ‫ «( ט֗עו‬idoles »).

En cas de cécité Q24/61 ; Q48/17


En cas de claudication Q24/61 ; Q48/17
En cas de contrainte Q16/106
En cas de faiblesse Q2/282 ; Q4/97 ; Q9/91
En cas de maladie Q2/184 ; Q4/43 ; Q24/61 ; Q48/17 ; Q5/6 ; Q9/91
En cas de nécessité Q6/119 ; Q2/173 ; Q5/3 ; Q16/115
En cas de peu Q4/101
En cas de voyage Q2/184 ; Q4/43 ; Q5/6
En cas d'erreur. En cas d'ignorance. En cas d'oubli Q2/286 ; Q18/73

BENEFICES POUR L’OBEISSANT

Le thème du Paradis est intimement lié à ces requêtes d'obéissance ; c'est un dû commercial
du croyant. Nous étudierons cette relation partenariale entre le croyant et Allah. Cette idée de
rétribution est un point commun avec l'annonce mosaïque et la prédication ecclésiastique l'utilise
souvent. Les descriptions coraniques du Paradis ne se réfèrent pas à un futur, mais elles postulent
toujours directement une relation obligatoire entre ce monde, ici et maintenant dans l'obédience
de la Loi, et le gain du Paradis, ici et maintenant. L'étape transitoire entre les deux jugements
s'estompe puis disparaît.77

En obéissant au Messager, le croyant semble basculer immédiatement et obligatoirement


dans l'énorme gain promis par le Coran ‒ ce basculement est d'autant plus aisé et rapide que la mort
au combat est le garant immédiat de la Vie. Toute l'existence humaine est orientée à l'eschatologie.
Le terme arabe vie 78 est la translittération du vocable syriaque – les termes salut et vie, en araméen,
étant confondus. Cette conception de récompense immédiate et obligatoire, sans passage au Shéol,

76. .‫ « מגדלי‬Ceux qui tombent » (34 occurrences).


77. Q9/111 : « Allah a acheté des croyants leurs personnes et leurs biens contre don à eux du Jardin » ;
Q2/154 : « Et ne dites pas de ceux qui sont tués dans le sentier de Dieu qu'ils sont morts. Au contraire ils
sont vivants, mais vous en êtes inconscients » ; Q3/169 : « Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le
sentier de Dieu, soient morts. Au contraire, ils sont vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus170et
joyeux de la faveur que Dieu leur a accordée, et ravis que ceux qui sont restés derrière eux et ne les ont pas
encore rejoints, ne connaîtront aucune crainte et ne seront point affligés.171Ils sont ravis d'un bienfait de
Dieu et d'une faveur, et du fait que Dieu ne laisse pas perdre la récompense des croyants. »
78. La racine ha, ya, ya signifie « vie » en arabe et araméen. JEFFERY Arthur, The Foreign Vocabulary of
the Qur’ān. Baroda. Oriental Institute n° LXXIX, 1938.
est un sujet de polémique de l'Antiquité. Tommaso Tesei 79 montre la conformité des vues
coraniques avec celles de l'Antiquité tardive et souligne le passage synchronique entre mort et Eden.
Il souligne aussi le peu de cas accordé à une zone intermédiaire, dans le salut personnel, et à la
repentance post-mortem. La confusion entre les deux zones d'existence est renforcée par l'emploi
d'une même racine araméenne. La vie et le salut sont une même notion. Cette unification coranique
s'intensifie par la distribution de bénédictions divines s'accomplissant tout autant dans des biens
célestes que temporels.

On peut retrouver des traces de cette conception dans la vision antique de saint Paul80, la
Jérusalem céleste est préexistante et elle demeure dans les Cieux, accessible rapidement à ses
premiers-nés ; pour saint Éphrem, le Paradis est à l'Orient dans un sens temporel. Les liens entre
obéissance au combat et promesses d'Éden immédiat sont intenses. Ces liens sont bien sûr la
conséquence de ce Pacte humano-divin, aussi nous les étudierons de façon approfondie. Dans les
conceptions communes de l'Antiquité, on trouve des parallèles entre la Jérusalem céleste et l'Éden :
« Souviens-toi des défunts, accorde-leur le repos et place-les dans des habitacles de lumière dans la
Jérusalem céleste. » (Liturgie de saint Ignace ; cf. Acathistes et Canons de la liturgie et de la prière
orthodoxes81.)

Dans une conception rabbinique, l'Éden est toujours là, mais voilé. La liturgie de saint
Clément et celle des jacobites syriens évoquent un repos dans les tentes d'ombre et de repos au milieu
des trésors de voluptés, il y a des tentes où les esprits des justes sont tournés vers la récompense ;
les invités aux noces espèrent la venue du céleste époux. Saint Éphrem est prolixe à évoquer la
fraîcheur de l'eau du lieu, à exalter les jouissances des fruits et la virginité.82

Ces textes antiques évoquent l'Éden et un vestibule. On remarquera la proximité


thématique du Coran avec le monde végétal – les occurrences végétales sont au nombre de deux
cents et associée au Paradis. Tout comme dans la Bible, ceux qui veulent faire partie de cette
Jérusalem céleste doivent monter vers elle, accomplir un exode. Le chemin implique un nécessaire
combat dans ce sentier – yuqtalu fī sabīli Llāhi83. Cette thématique du « chemin » (sabīli) quadrille le
Coran par plus de cent occurrences ; la Peshitta valorisait, elle aussi, cette ligne balisée (serṭā en
araméen) vers les jardins.

79. TESEI Tommaso, The barzakh and intermediate state of dead in the Quran. C. Lange (ed.), Locating Hell in
Islamic Traditions. Leiden, Brill, 2015: p.29-55.
80. « Pour saint Paul, la Jérusalem d'en haut est préexistante et demeure dans les cieux. Ceux qui veulent en
faire partie doivent monter vers elle. » (Frédéric Manns o.f. m, Un père avait deux fils, p. 33. Médiaspaul.) Où
se trouve donc le paradis ? « Du côté de l'Orient » dit Gn 2,8. Orient peut avoir un sens local comme l'a traduit
la Septante, mais aussi un sens temporel comme l'a compris la version grecque d'Aquila et celle araméenne
de la Peshitta. Le vocable Orient aurait alors le sens d'antériorité dans le temps, que l'on pourrait traduire
« en ce temps-là » ou « au commencement », ou encore « dans le Principe » comme l'indique l'hébreu Béreshit.
Saint Éphrem, lecteur de la Peshitta, donne à cet Orient le sens de « au commencement, dans le Principe »,
ce qui donne à notre jardin d'Éden sa place dans la création du monde à la fois dans la période de sa
formation des mains divines et comme projet du monde à venir. « Il ouvrit une route dans le Paradis. »
(Hymne sur la Nativité VIII. Cerf.)
81. « Réjouissez-vous, saints serviteurs de Dieu, avec la plus sainte de toutes les créatures, la toujours-vierge
Marie ; réjouissez-vous aussi, anges incorporels, gardiens du genre humain ; réjouissez-vous, saints rois et
princes ayant pieusement régné sur terre pour hériter le royaume des cieux […] ; réjouissez-vous, bons
administrateurs des cités, dignes d'habiter la céleste Jérusalem. »
http://www.pagesorthodoxes.net/liturgie/acathistes-canons.htm.
82. Dans sa description du Paradis, Éphrem de Nisibe écrit : « celui qui s'est privé de vin jusqu'à la mort
sera attendu avec ardeur dans les vignes du Paradis » ; « Les habitants du Paradis ». (Hymnes d'Ephrem de
Nisibe VII 7-10.) Ibid. CERF, p. 103 : « Ce jour-là, les pécheurs seront perclus de remord pour s'être moqués
de la Révélation. » C'est un reproche coranique récurrent.
83. « Joug » (en araméen sǝḇāl, sǝḇālā) que Jésus rend léger.
MOBILES POLITIQUES

La spiritualité de cette obéissance, de portée surtout eschatologique, est sommaire : son


fondamentalisme est toutefois redoutable. Le raisonnement et la démonstration sont absents.
Marie-Thérèse Urvoy parle de procédés subreptices et subliminaux pour introduire l'exigence de
l'obéissance à l'égard de l'Envoyé. Le « glissement » furtif du thème, l'instillation subliminale
complètent les procédés rythmiques et structurels.84 Marie-Thérèse Urvoy signale l'intégration de
l'obéissance au Prophète dans la définition même du musulman à la sourate 25, par glissement des
versets 48 à 57. La lecture communément retenue, l'obéissance – à Muḥammad, l'umma, l'imam,
l'exode mystique ou réel nommé hijra, le combat spirituel ou pas, sont les voies seules d'ascension.
Les dédales théologiques sont ténus. Des postulats sont assenés de façon rythmique et musicale.
L'adhésion de foi créée par Allah assure quasiment la récompense. Le Coran propose une
orthopraxie minimaliste. Ce genre imprécatoire et incantatoire balaie toutes les sourates dites
mecquoises.85 Obéissance et construction califale

Les sourates qui associent cette obéissance à Allah simultanément au Messager sont
extrêmement bien concentrées (3, 4, 8, 9, 33, 48). L'obéissance à Allah et/ou au Prophète dernier
Messager peut être, quant à elle, tardive, tant ce thème est nouveau ‒ au sens biblique du terme ‒,
et elle a très bien pu être utile après la mort du Prophète pour unifier un système d'allégeances
complexes autour du Calife et étouffer ainsi trois cents ans de guerre civile ; bref, le motif
d'obéissance a eu en définitive comme intérêt de soutenir le pouvoir en place.

Occurences de l'obéissance au messager rangées


chronologiquement
8

0
-6 14 34 54 74 94 114

Le graphique montre cette rareté, initiale du thème de l’obéissance au Messager et son


apparition progressive. Ce thème a bien donc une fonction politique.

Robinson Chase 86 soutient cette vue spécifique de l'Antiquité tardive, et déclare :


« L'Empereur est un agent de la volonté divine, obéir à ce dernier est un corollaire de la croyance
en Dieu. » Cette affirmation résulte aussi de découvertes récentes sur l'histoire du texte. Amir-
Moezzi Mohammad Ali (Autour de l'histoire de la rédaction du Coran87) et Mohsen Sadeghi (The codex of
a Companion of The Prophet and the Qur’ân of the prophet88) montrent la variabilité du texte et l'importance de

84. URVOY Dominique et Marie-Thérèse, L'action psychologique dans le Coran. Cerf, 2007, p. 66-70.
85. Cette localisation ne nous focalisera pas, c'est seulement un repère. Il existe, cependant, réellement des
différences de rhétoriques et de thématiques entre les sourates.
86. ROBINSON F. Chase, ‘Abd al-Malik Makers of the Muslim World, 2005, p. 60.
87. AMIR-MOEZZI Mohammad Ali, Autour de l'histoire de la rédaction du Coran. Nouvelles remarques,
Islamochristiana 36, Pontifico Istituto Di Studi Arabi e d'Islamistica [PISAI], Rome, 2010, p. 139-157.
88. SADEGHI Behnam and BERGMAN Uwe, The Codex of a Companion of the Prophet and the Qurʾān
of the Prophet. Arabica 57. Brill, 2010, p. 343-436.
la sphère califale. Sadeghi et Goudarzi 89 ont publié quarante folios témoins d'une recension non
uthmanienne : « Le texte n'a pas été transcrit précisément. Le millier de variantes de vocalisation
[…] les variantes du C1 bien que nombreuses, un texte squelettique écrit sans mémoire de la forme
parlée. »

Nous avons constaté que, pour plus de 70% des occurrences se rapportant à l'obéissance,
il s'agit d'obéir à un messager si bien connu qu'il n'est pas défini, un messager visiblement couplé
avec Allah. Une des rares occurrences où le destinataire de l'obéissance, « messager d'Allah », est
défini explicitement est « Jésus » (voir Tableau 4) 90 Une seule occurrence d'obéissance tripartite
existe en Q4/59 englobant « ceux qui vous commandent ».91

Ici encore, il ne faut pas oublier cette clef de lecture définie dès le début de l'étalement des
écritures. Aucune analyse se tient sans cela, les processus de l'édition coranique ont été étalés sur
plus de deux cents ans et les Sitz im Leben des textes coraniques sont très variés, le contexte géopolitique
n'est en aucun cas indépendant des processus éditoriaux.92 Le sens des textes dépend fortement de ces
paramètres. Le rôle de la famille omeyyade, dans l'édition du corpus et sa mise en forme, n'est pas
infime.93 Les notes qui visent à introduire la biographie de Muḥammad et à éclairer le corpus avec
la clef de lecture Muḥammad datent de 750 et plus, selon Nicolaï Sinaï.94 Les contextes d'écriture et
de réécriture sont très différents, et nous nous référons aux travaux de Small95 pour les éclairer.

Ainsi, pour revenir au thème de l'obéissance et de la croyance, en première analyse nous


remarquons que lorsqu'il est question de croyance, c'est un pluriel qui est privilégié : « Allah […] ses
Messagers » (Q57/25) « fait descendre avec eux le Livre et la balance »96 Le pluriel lié à la Foi se
singularise manifestement, au cours du temps, en un singulier lié à l'obéissance97 ; la formule au
singulier de la sourate 26 est d’ailleurs intégrée dans le refrain : « Craignez Allah et obéissez-moi. »
Les sourates 8, 9, 24, 26 ne présentent que la formule au singulier, « obéissez-moi », et par ailleurs,
un curieux personnage, ṣaliḥ, est un prototype du Messager obéissant.98 Cette remarque doit se
confronter à l'analyse des champs lexicaux très spécifiques pour les sourates 8, 9 et 24. Mais sans
aucun doute possible, l'obéissance est toujours associée à la croyance et ce, dans presque tout le

89. SADEGHI Behnam and GOUDARZI Mohsen, Variantes reading of the Qur’ân, Ṣan‘ā’ 1 and the
Origins of the Qur’ān 1 Stanford University / Harvard University, Der Islam, 2011. p.1-129.
90. Il existe aussi le rasm, qāf nūn tā, avec 8 occurrences médinoises : Q2/116, Q3/17, Q2/238, Q16/120,
Q30/26, Q33/35, Q39/9, Q66/12 ; la racine araméenne correspondante suggère la servitude en Dieu. Saint
Éphrem l'utilise spécifiquement pour désigner l'attitude de la Ste Vierge. Le Coran affirme cet emploi pour
Marie.
91. L'Épitre aux romains de Saint Paul invoque une obéissance aux autorités. Lettre de saint paul apôtre aux
romains - chapitre 13.
92. ABU ZAYD Nasr Hamid, Rethinking the Qur’ân : towards a humanistic hermeneutics, Amsterdam, 1990.
Humanistics University Press 2004 (Mafhum al Nas : Dirasa fi ‘ulum al Qur’ân Cairo : al-hay’a al misriyya al
‘ammah lial-kitab 1990 p.11-12 ) conteste et dénonce l'autorité humaine qui se cache derrière le Coran et
remet en question le paradigme interprétatif du Coran. Il prône une analyse littéraire. Dieu a modulé son
message en fonction de l'auditoire.
93. La Tradition islamique confirme cette volonté contraire à celle de Muḥammad.
94. SINAI Nicolai, When did the consonantal skeleton of the Quran reach closure ? Bulletin of the School of Oriental and
African Studies Academia, 2014, p. 1-50, et An Interpretation of Surat 53 Surat Al Najm. Oriental Institute, Journal
of Qur'anic Studies Vol. 13, No. 2 (2011), pp. 1-28.
95. SMALL Keith, Textual Criticism Qur’ân manuscripts. Lexington Book, 2011, p.171.
96. Le motif de la Balance est nabatéen, la translittération araméenne de bi-l-qisṭi évoque une justice incarnée,
BADan, Palmyrene, Qumran, JLAtg, Gal, PTA, CPA, Sam, LJLA. Dan4 :34 : ( ‫ָכל־ַמֲﬠָבדוִֹהי ְקֹשׁט ְוֹא ְרָחֵתהּ ִדּין‬.
97. Q3/50, Q3/132, Q4/13, Q4/59, Q4/64, Q4/69, Q5/92, Q8/1, Q8/20, Q8/46, Q9/71, Q24/56,
Q24/54 26/108 à 150, 33/33, 33/66, Q33/71, Q47/33, Q58/13, Q64/12).
98. Pour Geiger, le mot ṣâliḥ ne désigne pas une personne mais prototype de l'obéissant à Dieu. GEIGER.
Abraham, The sources of the koran : What Did Muhammad Borrow From Judaism ? The origins of the Koran. Ed.
Ibn Waraq, 1896, p. 165-226.
corpus. Nous comparerons plus avant les occurrences au fil des sourates pour voir d'éventuelles
variations sur ce thème (290 occurrences).

Cette obéissance spécifique « au Messager » semble aussi liée à la Loi ; c'est en vertu de son
message légaliste qu'il doit être obéi. Comment et quand cette obéissance devient-elle elle-même Loi
divine, voire l'essence de la Loi ? Quels sont les mots désignant cette Loi ?

DESTINATAIRES DE L ' OBÉISSANCE

Le don de la Loi est intimement lié à celui de l'obéissance à la Loi. L'acte mauvais, la
prévarication, se définit essentiellement comme une désobéissance totalement extrinsèque à la
nature d'Allah. En considérant uniquement la littéralité du Coran, la seule Loi explicite et dont la
transgression est sévère est la Loi du Sabbat (Q7/166 et Q2/65). Les « transgresseurs » sont punis
de transformation en singes ou en porcs.99 Puisqu'ils croient en cette métamorphose, la plupart des
tafsirs, et notamment celui d'Ibn Khatir, prônent une lecture littérale de ces châtiments faisant suite
à la transgression du Sabbat, mais leurs conjectures restent hypothétiques puisque le Sabbat n'est
plus de rigueur en islam.

Cette conception liant transgression et châtiment était-elle déjà développée ? Déjà, dans les
Dialogues de Justin (Dial. 11 ; 24 ; 34 ; 43 ; 118 ; 122), don de la Loi et Alliance sont liés. Dans les
communautés de Qumram, l'obéissance (à la Loi de Moïse) se fait sous l'autorité des fils de Sadoq
et par serment pour entrer dans l'Alliance. Dans le Coran comme dans le Judaïsme, celui qui obéit
au Pacte divin est béni, celui qui lui désobéit est maudit. Cet appel à l'obéissance sous-tend une
Alliance implicite comme cadre de référence. Cet appel répété qui retentit au fil des pages s'identifie
aussi par le vocable Qur’an : 70 occurrences, dont 1/7 concentré à la sourate 17. Le Qur’an, c'est
l'appel à l'obéissance, et l'ordre primordial de réciter le Qur’an retentit dans la psyché islamique
comme l'injonction à l'obéissance.

Ces appels à l'obéissance parcourent singulièrement tout le corpus coranique et, plus
ponctuellement, martèlent par un refrain la sourate 26/ 108, /110, 126, 131, 144, 150 : « Craignez
Allah et obéissez-moi. » Ici, le « moi » désigne chaque prophète précité, mais les tafsirs qui orientent
la lecture, en s'aidant parfois de corrections ou d'erreurs du diacritisme, saisissent l'occasion pour
stipuler une clause à la prophétie : chaque prophète se devait de reconnaître et d'annoncer l'ultime
Prophète, Muḥammad, jamais nommé, qui absorbe tout ; chaque prophète se devait, avant d'accepter
sa mission propre, être un tremplin préparateur vers l'ultime Mission, celle du « sceau des
Prophètes ».

Cette conception à étages et ces outils exégétiques sont spécifiques au christianisme, qui
use à foison des préfigurations mais aussi au manichéisme. Les propos de Moïse issus de La Bible
(Bible, au demeurant, bien critiquée par la Tradition islamique) sont ici réquisitionnés pour
annoncer Muḥammad : « Je leur susciterai, du milieu de leurs frères, un prophète comme toi, je
mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui commanderai. Et si quelqu'un
n'écoute pas mes paroles, qu'il dira en mon nom, c'est moi qui lui en demanderai compte. »100 Ces
propos seraient-ils repris dans le Coran pour justifier cette obéissance prophétique ? En tout cas,

99. Ces menaces sur la transgression du Sabbat viennent du Talmud Babylonien (Sanhedrin 109 a, Genesis
Rabba 23/6, Shabbat 118b).
100. Deut. 18,18. La seule sourate où l'annonce de Muḥammad a pu être déduite de ce texte est le verset 8
de la sourate 61, où ce dernier change de nom. Le Deutéronome : Prologue historique (Dt 1-11), Clauses
générales de base (Dt 12-26), Prise à témoin (Dt 31,24.28), Bénédictions et malédictions (Dt 27-28).
c'est le segment biblique le plus proche de cette clause coranique sur la prophétie. Quant à Mani,
« sceau des Prophètes », il affirmait que sa révélation complétait toutes les autres.

De nombreuses reconstructions textuelles touchent les deux serviteurs de prédilection que


sont le Moïse et le Jésus coraniques. Ces reformulations permettent des transferts sur Muḥammad
et vivifient son existence textuelle, ainsi donc ces reconstructions textuelles justifient de lui obéir
via les Califes.101 Il ne faut pas oublier que la première édition du corpus dans la version islamique
ne s'est faite que trente ans après la mort dudit Messager auquel il faudrait obéir. Donc, comment
le destinataire réel de l'obéissance pourrait être le Muḥammad réel si l'on considère que le Coran
fut édité après sa mort, comme le signifie bien la Tradition ?

L'obéissance à un Messager n’est exigible que si ce dernier est vivant ou investi de


prérogatives célestes par des tiers puisqu’il n’est pas dit « Obéissez à moi, Le Messager ! ». Une
autre solution est de considérer que le récipiendaire du pouvoir est assimilé à Muḥammad. Une
chronique syriaque relatant le règne du dernier Empereur perse, Yazdgard III (651), évoque un
personnage, Mḥmd, comme vivant, alors que cette chronique est écrite en 670. Si un tel messager
s'est présenté lui-même comme devant être obéi, il s’est associé à l'obéissance due à Allah seul et
au pouvoir. De nombreux philologues considèrent le personnage très reconstruit et notamment
Alford T. Welch102 et Lüling103. Lüling pense que des segments entiers appartenaient et se référaient
au début à Moïse, il reconstruit ainsi la sourate 84, verset 10 : « Quant à celui dont le livre fut donné
derrière son dos il désirera une perte. » Cela a peu de sens. Le rasm tabir est traduit par « perte », or
le rasm tawbir désigne, en araméen, le Mont Thabor. Cette sourate peut être reconstruite par des
critères lexicographiques, grammaticaux et de psalmodies et elle devient : « Moïse reçut la Loi sans
pouvoir regarder Dieu pourtant il désirait ce Thabor. » Cela est plus sensé. On peut supposer que
l’obéissance était orientée vers un personnage ayant une stature incontestée, vivant dans les
mémoires.

La sourate Q25/1, intitulée « furqan », traduit par « discernement » (depuis l'arabe) et


« salut » (depuis l'araméen104), peut être reconstruite par les mêmes méthodes, elle nous livre :

« Béni soit celui qui fit descendre le Salut sur son serviteur qui devint l'immolation pour le
Monde », au lieu d' « avertisseur » (nadir 105 ). Ces deux segments ainsi nettoyés retournent à leur

101. Nöldeke et Alfred-Louis de Prémare signalent cette projection systématique entre les Prophètes et
Muḥammad et parlent de fac-similés. Nous transcrivons sans traduire. « For the most part the old prophets
only serve to introduce a little variety in point of form, for they are almost in every case facsimiles of
Muhammad himself. They preach exactly like him, they have to bring the very same charges against their
opponents, who on their part behave exactly as the unbelieving inhabitants of Mecca. The Qur'an even
goes as far as to make Noah contend against the worship of certain false gods, mentioned by name, who
were worshipped by the Arabs of Muhammad's time. In an address which is put in the mouth of Abraham
(xxvi. 75 sqq.), the reader quite forgets that it is Abraham, and not Muhammad (or God Himself), who is
speaking. » (NÖLDEKE Theodor, The Koran, The origin of the Koran, édité par Ibn Waraq, Amherst,
Prometheus Book, 1998, p. 36.) PREMARE (Alfred Louis de), Joseph et Muhammad, le chapitre 12 du Coran :
étude textuelle. Aix en Provence, Publications de l'Université de Provence (1989, p. 167) : « Nous sommes ici
toujours dans le même contexte de l'opposition rencontrée pour tout prophète, quel qu'il soit, et la
projection de Muḥammad dans ce contexte y est visible, comme aussi la réécriture de l'histoire de Moïse en
fonction de cette projection. »
102. WELCH Alford, Al Quran, Enzyklopadiae des Islam. Leiden, Leipzig, 1913, p. 400-429.
103. LÜLING Günter, A challenge to Islam for reformulation. Motilal banarsidas publishers, DEHLI, 2000, p.
227.
104. Puršana, lui, signifie « discernement », donc on peut supposer une erreur, en syriaque, du qûf interprété
comme chin, ce qui est possible.
105. Le mot nadir est effectivement « offrande » en araméen, et le mot furqan signifie « salut ». Nöldeke
confirme la même thèse, page 48 de son article Origins of the Koran : « des expressions araméennes ont été
mal traduites ».
Messager d'origine. On peut aussi se référer à Fred Donner, Quranic Furqan. 106 .F. Imbert 107
confirme notre expertise par des découvertes épigraphiques de logia coraniques uniquement
consacrées à Moïse et Jésus et par une absence totale des personnages de l'islam. Le nom d'Umar
apparait relativement tôt dans les inscriptions.

En conclusion, nous pensons aussi que ce dogme de l'obéissance a la marque en lui-même


d'une reconstruction a posteriori, du fait même de la répartition très hétérogène des requêtes
d'obéissance, de ce caractère binaire de l'exigence et de l'alternance du positionnement de
l'élocution ‒ on alterne entre « obéissez-moi » et « obéissez au Messager ». On aurait pu s'attendre,
de la part d'Allah, à une formulation unique : « Obéissez-moi et obéissez à mon messager
Muḥammad. »

L'associationnisme Allah/Messager sert à asseoir, par la médiation de Muḥammad, titre


divin puis figure arabe héroïque, l'autorité des dirigeants musulmans. Pour confirmer notre
conclusion, ilexiste aussi une extension de cette requête : « J’atteste qu'il n'y a pas d'autre divinité
qu'Allah, que Muḥammad est son envoyé et qu'Ali est l'ami d'Allah. » Mais le Coran finit lui-même
par révéler les ressorts de l'associationnisme islamique : « Vos alliés sont Allah, son apôtre et ceux
qui croient… » (Q5/55) Un hadith en rend témoignage sans ambages : « L'apôtre d'Allah a dit :
"Celui qui m'obéit obéit à Allah, et celui qui me désobéit, désobéit à Allah, et celui qui obéit au chef
que j'ai nommé, m'obéit, et celui qui lui désobéit, me désobéit." » (Récit d'Abu Huraira, Bukhari,
n°2957 et Mouslim n°1835.)

D’autres éléments que textuels confortent cette thèse de relecture du thème biblique de l’obéissance
via un titre divin. Ces pièces présentées militent en faveur d’instances politiques postérieures à la
prédication du Prophète puisque le terme de « rassul » est porté par Choroès II. Ainsi l’obéissance
absolue est requise au titre de son « envoyé » puis de Dieu lui-même, Le Glorifié « Mhmd ».

ARGUMENTS ARCHEOLOGIQUES

F. Imbert apporte un élément fort pertinent pour notre étude : en Syrie, le site de Jabal
Usays, situé à 120 Km du sud-est de Damas, présente quatre-vingt inscriptions arabes qui sont des
isolats coraniques, deux de ces isolats parlent de Jésus, aucun n'évoque Muḥammad. La shahâda
existe mais présente uniquement la première partie. »
D’ailleurs, la première partie de la shahâda n'est pas spécifique à l'islam, mais est un emprunt
de la liturgie syriaque. Les épigraphistes montrent que toutes les inscriptions arabes, durant 61 ans
après la mort de Muḥammad, évoquent Moïse, Jésus et Abraham, mais que le nom de Muḥammad
n'apparaît nulle part, pas même sur les parois du Negèv. Les pièces frappées par l'Empire byzantin
de par leur formulation semblent avoir inspirées la profession de foi shahâda. D’ailleurs cette
dernière, en arabe est laconique sans élément spécifique.

106. DONNER Fred, Quranic Furqan. Journal of Semitic Studies. Volume 52. 2007. p. 279–300.
107. IMBERT Frédéric, L'Islam des pierres : l'expression de la foi dans les graffiti arabes des premiers siècles. Revue
des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 129, 2011, p. 55-77. « L'épigraphiste regrettera bien sûr
que les tous premiers documents épigraphiques entourant l'avènement de l’islam (à Usays en -94 avant
l’islam et en Arabie en 23, 24 et 27 de l'Hégire) ne nous fournissent aucun élément en rapport direct avec
le religieux » ; « Nous ne pouvons achever cette contribution à la graffitologie arabe sans évoquer ce que
nous appelons l'évidence de l'absence, à savoir l'absence de citation du prophète Muḥammad et de sa
mission dans les graffiti arabes les plus anciens. La plus ancienne mention du prophète en Arabie, dans un
graffiti daté, remonte à 121/738-39. »
Ces éléments externes permettent de comprendre la strate ancienne du corpus, une strate où les
prototypes de l'obéissance sont encore Moïse et Jésus, et la Loi, la Torah.

ARGUMENTS THELOGIQUES

Jésus et Moïse sont présentés comme équivalents dans le Coran, et leur message délivré
semble identique. C'est une idée propre aux homélies pseudo-clémentines108, qui polémiquent, en
outre, sur la corruption des textes. Cette identité, propre à une conception circulaire du temps
prophétique, facilite les confusions des messagers et les transferts vers le dernier. Ce procédé n'est
pas nouveau. Dans un passage du Nouveau Testament, l'apôtre Paul utilise la Loi de Moïse pour
transmettre son propre message au jeune Timothée (1 Timothée 5,18). L'utilisation de tels exemples
par Paul indique qu'il enseignait et promouvait les Lois de l'Ancien Testament comme ayant
autorité et comme étant le fondement des enseignements du Nouveau Testament. D'ailleurs, ces
lois du Nouveau Testament peuvent être retrouvées dans la Torah. Le Coran utilise-t-il les mêmes
procédés rhétoriques ? Une opposition existe-t-elle entre Loi et Foi ? Ce passage de saint Paul
montre l'herméneutique chrétienne de la Loi.

« Je t'avoue bien que je sers le Dieu de mes pères selon la voie qu'ils appellent une secte,
croyant tout ce qui est écrit dans la Loi et dans les prophètes. » (Actes 24, 14) Dans ce cas-ci, « la
Loi » inclue les cinq livres de la Torah, tandis que « les prophètes » désignent la collection entière
des prophètes de l'Ancien Testament et tout ce qu'ils enseignent concernant la volonté de Yahvé
au travers de Sa Loi. Saint Paul n'a jamais rejeté la Loi, mais avait un grand respect et un grand
amour pour elle. Il en réalisait les bénéfices. La Loi n'a pas été donnée à l'humanité pour nous
sauver, mais simplement pour nous montrer le bien et le mal109. Cette conception se rapproche de
la loi du discernement coranique, le furqan.110 Ce mot aux contours flous est souvent identifié à la
Torah.

D'ailleurs, le Coran reprend l'argument fondateur chez saint Paul : le problème de la Loi,
c'est son non-accomplissement effectif ‒ le Coran revient très souvent sur cette problématique. « Ce
ne sont pas, en effet, ceux qui écoutent une loi qui sont justes devant Dieu ; mais ce sont ceux qui
la mettent en pratique qui seront justifiés. » (Épître aux Romains 2, 13) Bowman revient lui aussi
de nombreuses fois sur les similitudes avec la rhétorique paulinienne.111

Nous étions également avertis contre la transgression de la Loi de Moïse dans l'Épître aux
Hébreux, chapitre 10. Jésus, l'auteur du Salut, n'offre le don du Salut qu'à ceux qui obéissent à la
Parole de Dieu. En observant sa Loi, nous démontrons à Dieu que nous voulons Lui obéir et Le
servir (1 Jean 5,3), si nous aimons Dieu nous observerons ses commandements. « Car l'amour de
Dieu consiste à garder ses commandements. Et ses commandements ne sont pas pénibles. »

Pour ce qui est de la pensée du Coran, elle relate que la révélation est divine et parfaite. Elle
ne peut changer fondamentalement car Dieu est immuable et parfait, mais elle est perpétuellement
interprétée et défigurée par les hommes au cours des âges. La vérité révélée est une, mais sans cesse
malmenée. Le Verbe divin lui, est non modifiable.112 Saint Paul ne dit pas autre chose. Cependant,
il faut rappeler qu'aucun des Prophètes d'Israël après Moïse ne s'est déclaré, à la manière de

108 .http://www.documentacatholicaomnia.eu/03d/00500150,_Pseudo_Clemens,_Homilies_[Schaff],_E
N.pdf
109. Romains 3, 20 : « Car nul ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi, puisque c'est par la loi que
vient la connaissance du péché. »
110. Ce mot sous la forme forqan existe en perse et signifie « discernement ».
111. BOWMAN, The debt of islam to monophysite syrian christianity. 1964, p.191-207.
112. Q18, Q26, Q50, Q2, Q80.
Muḥammad (dans l’interprétation islamique), détenteur d'une révélation nouvelle et en même
temps le dernier Prophète ou le « sceau » de la Prophétie (Q33/40). Au contraire, les Prophètes
bibliques se reportent toujours à la doctrine mosaïque de la Torah, qu'ils citent et n'entendent
changer en aucune manière. Le Coran signifie aussi cette assertion (Q6/154). Par ailleurs, le judéo-
christianisme du Ier siècle confesse cette doctrine.

A noter aussi que la notion de « sceau des Prophètes » peut se lire comme « celui qui
condense et confirme les Prophètes » et pas nécessairement « le dernier des Prophètes ». Rappelons
que les fondateurs du christianisme étaient juifs et que la doctrine paulinienne n'est qu'une
ouverture, une extension de l'esprit de la Torah. Avec celle-ci, le christianisme s'est répandu
essentiellement dans la Gentilité de l'Empire romain. L'extension est liée à l'incarnation. La Loi est
spirituelle et notre vie, charnelle. Il nous est impossible de réaliser le bien que nous désirons – idée
de saint Paul.113 La loi de Moïse ne peut libérer seule du péché ; seule l'Incarnation de Dieu et une
Loi faite chair peuvent résoudre cette ambivalence entre « faire le mal que nous ne voulons pas »
et « ne pas faire le bien que nous voulons ». Les commandements divins deviennent ainsi l'objet
des désirs de nos cœurs au point de ne jamais nous paraître pénibles. S'ils nous sont pénibles, cela
annule l'objectif de l'observance de la Loi.

C'est donc à ce carrefour que divergent saint Paul et le Coran. Saint Paul considère
l'obéissance à la Torah nécessaire ; mais cette dernière ne devient possible que grâce à son
incarnation et accomplissement en Jésus-Christ. Le Coran voit la Torah source de lumière et de
discernement, mais, les « porteurs de la Torah » ne l'ayant pas accomplie et l'ayant pervertie, il faut
obéir à son « Rappel », (le Qur’an) et combattre pour l'imposer (Q48). Alors que le Christ vient pour
porter charnellement la Loi, le Coran vient la « réciter ».

Cette recherche désintéressée de la Loi est aussi exaltée, dans le Coran, par la quête de la
Face d'Allah (c'est un thème récurrent du Coran). Le caractère intéressé conduirait à une annulation
des bénéfices, par la recherche du regard des autres. Autre divergence, la Loi de Dieu a pour but
de nous modeler et de nous former à avoir le caractère même de Dieu, selon saint Paul. Ce thème
n'est pas développé par le Coran, puisque Dieu n'a pas créé l'homme à son image. Le Coran ne dit
pas que l'homme est à l'image de Dieu mais ne rejette pas non plus expressément cette idée. L'islam
écartera cette piste, mais insistera sur le fait que tout sentiment négatif à l'égard de la Loi divine est
une opposition à la régence de Dieu. Dans l'Épître aux Hébreux, saint Paul dit cependant que les
Lois doivent changer du fait des défauts de la première Alliance et du caractère mélioratif de la
nouvelle par le Messie. Donc, Loi et Messie sont liés. Nous reviendrons sur ces liens lorsque
nous étudierons le messianisme. Saint Paul inscrit le don de la Loi dans une histoire précise lorsqu’il
évoque la notion de pédagogie, de testament soutient cette histoire du Salut.

Toutes ces relectures sont chapeautées par la clause globale et inscrites dans une histoire
classique pour l’antiquité tardive de l’alliance. Tous les éléments historiques et logiques confortent
notre thèse de relecture du thème biblique de l’obéissance à la faveur d’instances politiques
postérieures

ARGUMENT GLOBALISTE : LA CLAUSE UNIVERSELLE

Par ailleurs, une clause globale et globalisante (Q3/81 et Q33/7), appelée le Pacte des
prophètes114, sous-tend et gère tous ces transferts dans le statut prophétique du Coran ; cette clause

113. Un poème attribué à Abou Bakr constate ce décalage entre le bien désiré et le mal accompli.
114. « Allah reçut l'engagement des prophètes, si un nouveau prophète apparaît et vous confirme ce que
vous savez déjà, faites-lui confiance et prêtez-lui votre entier secours. » En Q7/172 on a le pacte général.
est pour le moins originale et totalement étrangère à la révélation biblique.115 L'ordo prophetarum est
une convocation de tous les prophètes, jouée au Moyen Âge, qui pourrait illustrer ce Pacte ; cette convocation
était jouée pour vérifier les annonces faites en vue de Jésus. Parfois, la confusion coranique est
entretenue entre la prédication elle-même et son messager, le texte débutant avec la prédication et
finissant avec le messager.116 La clause est visiblement une des nombreuses adaptations des strates
finales pour finaliser la doctrine califale. Le statut prophétique, de par sa conception pyramidale,
semble une construction a posteriori. Fred Donner parle d'amplification de figure prophétique à
partir du dernier quart du VIIe siècle. Seule la clef de lecture déjà définie nous éclaire. Précisons à
cet instant les effets de cette dernière sur le thème du statut prophétique et de l'Alliance.

Ainsi donc, avec cette clause prophétique globale, comme écrite en bas de page de contrat
prophétique, l'obéissance requise à chacun des messagers se condense et se contracte, pour le
croyant de l'islam, au sein d'une supra-obéissance, celle au guide suprême, inconnu pour eux, mais
incarné dans le Calife. Le personnage principal sera créé a posteriori par l'interprétation de 400
pronoms personnels – essentiellement « tu » – et d'expressions non explicites qui pourraient
appartenir à d'autres.

De l'annonce gratuite, poétique et prophétique du Sauveur par Isaïe, on glisse vers une
clause conditionnelle – et visiblement programmée a posteriori – d'un don prophétique divin, à
étages117, le dernier étant l'apothéose. La conception coranique du prophétisme, selon François
Jourdan et d'autres chercheurs, serait proche du manichéisme, voire du montanisme. Cependant,
on peut voir aussi dans ce double axe temporel une nécessité idéologique. La conception linéaire
destinée à justifier une construction à étages côtoie simultanément une conception circulaire du
prophétisme pour revenir à Abraham. Cette conception circulaire postule une identité parfaite des
Messages divins et justifie un retour aux sources abrahamiques et adamiques simultanément. Cette
conception circulaire se heurte aux besoins de cette clause fondamentale du prophétisme, le Pacte
des prophètes. Mais peu importe, pour asseoir pleinement son efficacité, il faut qu'elle repose sur
une conception linéaire et non circulaire de la Prophétie et de l'Alliance, une hiérarchie prophétique,
comme le suggère parfois le Coran. Du don de la Loi mosaïque, on dérive vers la soumission au
« sceau des Prophètes ». De plus, impossible de savoir si le premier prophète donné aux Arabes fut
Muḥammad ou Ismaël, si le premier « musulman » fut Abraham, Adam ou Muḥammad, tant le
Coran est flou à ce sujet. Nous constatons une conception plutôt cycloïdique de la Révélation selon
le Coran. Cette conception quasi circulaire du prophétisme est aussi probablement liée à
l'immuabilité de Dieu, à son Unité absolue et fixiste. L'axe linéaire n'est finalement introduit que
pour justifier le rôle de l'Islam.118 Pour Dominique Urvoy119, la vision de l'Histoire islamique est
orientée vers Muḥammad qui rappelle « l'unique message initial progressivement oublié ou altéré ».

115. Exceptée dans Deutéronome 18,18.


116. La sourate 17, focalisée tout d'abord sur Moïse et Pharaon (verset 102), dérive brutalement sur « la
descente » – attribuée (en note) au Qur’an. Pourtant, cette descente finit en personne réelle envoyée en
« annonciateur » et « avertisseur »: « Et avec la Vérité, nous l'avons fait descendre et avec la Vérité il est
descendu. Nous ne t'avons envoyé qu'en avertisseur et annonciateur »105 – wa-bi-l-ḥaqqi ’anzalnāhu wa-bi-l-
ḥaqqi nazala wa-mā ’arsalnāka ’illā mubašširan wa-naḏīran.
En araméen, on comprendrait « bonne nouvelle » et « immolation » pour ces termes cités ; la « bonne
nouvelle » se réfère soit à l'Injil, qui suit toujours la Torah dans le Coran, soit à la kalima(t)-Allah qui est
Jésus, qui suit toujours Moïse.
117 . La présence de Muḥammad se manifeste la plupart du temps par les parenthèses ou l'emploi
sytématique de pronoms personnels. Il n'est nommé que 4 fois et aucun mot ne le caractérise. Les
orientalistes allemands disent que le nom Muḥammad est un attribut du Messie (Christ) mais n'est pas un
nom pour Muḥammad à l'origine. Les pièces de monnaie sont des pièces allant dans ce sens. Muḥammad
signifie « le glorifié, le louable » et cela est un attribut de Dieu et non pas des humains.
118. Ce dernier terme ne possède que 9 occurrences coraniques (Q3/19, Q3/85, Q5/3, Q6/125, Q9/74,
Q39/22, Q61/7, Q48/16, Q49/17).
119. Questions sur l'Islam, de Hans KÜNG, Éthique et religion au défi de l'histoire, 2011, p. 69.
Une certaine sclérose du sens du Temps, de l'Histoire et de la nature humaine est à noter, puisque
le passé est regardé avec envie ; cependant, les attentes eschatologiques très vives trahissent un
déchirement intérieur du Coran. Deux axes des temps contradictoires traversent le Coran et l'âme
islamique.

ARGUMENT HISTORIQUE : UN GRAND CLASSIQUE DE L’ALLIANCE

Il faut savoir que cette conception cyclique d'une Alliance identique à elle-même, réitérée à
l'envie, n'est nullement neuve. Jacques d'Édesse, au VIIe siècle, envisageait et espérait une septième
Alliance de Dieu avec l'humanité : après celles d'Adam (la première puis la seconde après son
péché), celle de Noé, celles d'Abraham et d'Isaac, celle de Moïse, celle du Christ, il y aurait celle de
la Fin des Temps. Irénée restait quant à lui plus sobre, avec seulement deux Alliances annoncées
en Abraham et qui sont récapitulées en deux commandements d'Amour.120 L'Epître de Barnabé
évoque, quant à elle, une seule Alliance. L'épisode du veau d'or permet cette évolution interne du
motif de l'Alliance et sa récupération par un autre groupe puisqu'elle signifie que Moïse a rompu
les Tables121, signe et lieu extérieur de l'Alliance. Les prophéties de Jérémie (31 à 33) peuvent alors
être pleinement appliquées à Jésus, scellant le sceau (ḥatam) en nos cœurs, l'Alliance éternelle. Une
conception plus linéaire du temps du Salut transparaît chez saint Paul. La Caverne des Trésors122, écrit
syriaque de l'Antiquité tardive, évoque, quant à elle, une conception circulaire avec un retour à une
« Maison de prière » antédiluvienne fondée par Adam.

Cette typologie du retour aux sources, au ḥaram (sanctuaire) primitif est prégnante en islam.
On peut deviner une strate primitive « tribale » où l'alliance entre les hommes rejoint l'Alliance avec
le Seigneur et se donne rendez-vous en cette demeure (Q106).123 Un élément plus linéaire dans l’axe
des temps est introduit par les ruptures de fidélité à l'Alliance, cadre qui est toujours sous-entendu
et sous-tendu dans le corpus coranique. L'identité des mots pour désigner ce centre du monde
– « Maison de prière, Maison de Dieu » ‒ est renforcée par l'utilisation intégrale de l'expression
araméenne bien connue et elle est juste translittérée en arabe. L’expression (Bêt ma ‘mro) en syriaque
désigne Le Temple et elle se retrouve dans le corpus coranique avec la racine ʿayn mīm rā qui
possède la notion de construction et de présence.

Le « centre » du Monde, qui serait sous le Dôme du Rocher selon la conception prégnante
durant l'Antiquité tardive, matérialise ce transfert vers le nouveau sanctuaire mecquois. Le motif

120 . Adv. Haer. 4.25.1 IRENEE DE LYON Contre Les Hérésies ; http://fdier.free.fr/AdvHaer.pdf.
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/StIrenee/livre4.html.
« Ces deux Testaments, un seul et même Maître de maison les a extraits de son trésor, le Verbe de Dieu,
notre Seigneur Jésus-Christ : c'est lui qui s'est entretenu avec Abraham et avec Moïse, et c'est également lui
qui nous a rendu la liberté dans la nouveauté, c'est-à-dire amplifié la grâce venant de lui. »
Pour Jacques d'Edesse, le christianisme est la plus ancienne de toutes les autres religions, il est aussi vieux
que la création ou l'humanité (on trouve cette idée dans l'Islam). En fait, le christianisme est l'alliance de
Dieu avec les humains et pour Jacques d'Edesse, il n'y a aucune idée d'une histoire du développement de la
révélation, mais le principe de la même alliance renouvelée plusieurs fois entre Dieu et l'humanité, et une
insistance continue sur l'importance de droit. Le syriaque aussi était considéré comme la langue du Paradis.
British library BL 12, 154 fol 164-165, BL 17, 193 fol 58, Tannous Syria betwenn Byzantium and islam 216-
217.
121. Le Coran utilise la forme plurielle et non la forme duelle fī l-’alwāḥi ; le tanakh et la Bible (Exode 32/34)
ne parlent que de deux tablettes, le Talmud évoque, lui, un grand nombre de tables (Références Sami Aldeeb,
Le Coran chronologique, p. 74). Ginzberg, vol 3, p. 47, Talmud de Babylone traité Chabat 87 a.
122. Commentaire de La Caverne des Trésors, Étude sur l'histoire du texte et des sources. Séries : Corpus Scriptorum
Christianorum Orientalium, 581, Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, Subsidia, 103, Peter
Publisher.
123. Cette connexion se manifeste nettement par l'emploi de la racine wāw lām yā, reprise 100 fois pour
l'association humaine et 10 fois pour l'Alliance avec Dieu (Q2/186, Q8, Q22, Q47, Q66).
invoqué par le Coran pour instaurer une nouvelle Alliance « avec toi » 124 est le non-
accomplissement de la Loi de la Torah. Ce thème est chrétien et cette velléité d'accomplir les
Écritures est aussi un thème présent chez Éphrem de Syrie qui, comme le Coran compare la Fin
des Temps à un livre.125

En conclusion, l'absence d'histoire de la Révélation (cf. Q33/7) n'est donc pas une
innovation de l'Islam, c'est une structure syriaque du VIIe siècle. Cependant, ce qui est nouveau,
c'est le fixisme du statut prophétique, figé obsessionnellement sur son terme et opérant une
relecture des prophètes axée uniquement sur l'obéissance au dernier d'entre eux. La relecture est
visible, sur les premières sourates, par l'emploi massif et visiblement ajouté de « dis » (Documents ).

Parchemin troué. Allah est un.

La sourate Q16/99 présente zone idéologique avec beaucoup de ratures, codex Wetzstein II
1913.

Ratures, FOLIO 105 V

124. « Lorsque nous prîmes des prophètes leur mīṯāqa-kum de toi, de Noé, d'Abraham, de Moïse et de Jésus,
fils de Marie. » Q33/7
125. EPHREM, Hymne VII Sur la Résurrection, Le Cerf : « Soudain les fleuves se dessèchent, les fontaines se
tarissent, les étoiles s'effacent, le soleil s'éteint, la lune a disparu, et le ciel a plié son pavillon comme les
feuillets d'un livre, ainsi qu'il est écrit (Mt 24). » http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/es/q0.htm#q
Q81/10-11 : « Quand les feuilles seront déployées et le ciel écorché. »
Ratures. Dogme de la descente du livre. 126
Q3/86 FOLIO 19 V127 FOLIO 15 V Q3/2

La mise en scène de la descente coranique est, elle aussi, fréquente sur les sourates dites
médinoises, selon Mehdi Azaïez 128 , et elle est aussi d'une autre main selon nos observations.
F. Déroche observe, dans le Codex Parisino petropolitanus, que les grattages et repassages à l'encre
noire permettent de mettre en accord le manuscrit avec la Vulgate, qu'une dizaine de situations non
élucidables d'amendement sont dépistées.129 L'injonction coranique suprême devient, dans l'esprit
de tout un chacun : « Obéissez à Allah et au dernier Messager », et elle s'accompagne de l'injonction
très explicite : « Combattez auprès d'Allah et de son Messager. »

Ce genre d'injonction associant l'obéissance à Dieu et à un seul homme est inexistant dans
la Bible, sinon avec le Christ, surtout chez saint Paul sous une forme stylistique plus subtile. Cette
forme d'associationnisme dans l'obéissance, jusqu'au combat est implicite sous la houlette du Christ.
Le public coranique destinataire de ce message devient d'ailleurs « les Apôtres » qui doivent secourir
leurs Messagers, Jésus et Allah – « mes auxiliaires dans la voie de Dieu » (Q3/52). Cet
associationnisme de l'obéissance, finalement, n'est que la pâle copie de l'associationnisme de foi
tant récriminé dans les textes coraniques. « Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu, et
croyez-en-moi » (Évangile selon saint Jean, chapitre 14) a finalement son équivalent.130 D'autant
que l'associationnisme de croyance est revendiqué par le Coran explicitement et uniquement en
faveur de Jésus : « Quand j'ai révélé aux Apôtres Croyez en Moi et en mon messager (Jésus) »
(Q5/111). Cet associationnisme est aussi lié à la glorification.131 ll y a une fusion et une absorption
du messager en Allah, dans la sourate Q48/9, puisque les terminaisons en hu, azzirū (hu), tuwaqqirū
(hu), tusabbiḥu (hu) s'appliquent à une seule personne ! Cet associationnisme entre le Messager et
Allah, dans le domaine de la Foi, pourrait être un reliquat de la première strate syro-araméenne où
Jésus est identifié à Dieu puisque cette identification de Messager à son Seigneur semble être un
calque. Le nom d'Aḥmad est indiscutablement lié au dernier Messager ; pourtant, c'est pour le
Coran un attribut divin et ce vocable possède une seule occurrence. Il est donc difficile d'entrer
dans une lecture islamique où le destinataire de l'obéissance serait seulement le dernier Prédicateur.

Tous ces éléments historiques et logiques confortent cette thèse de relecture du thème
biblique de l’obéissance à la faveur d’instances politiques postérieures. La singularisation de
l’obéissance enfin conforte cette enquête.

126. http://www.corpuscoranicum.de/handschriften/index/sure/3/vers/7/handschrift/163.
127. http://www.corpuscoranicum.de/handschriften/index/sure/39/vers/13/handschrift/163.
128. AZAIEZ Mehdi, The Qurʾānic First Addressee and the Final Stage of the Qurʾānic Redaction Some preliminaries
remarks. MIDEO, 2015, p. 205-212.
129. DÉROCHE François, La transmission écrite du Coran dans les débuts de l'islam. Le Codex Parisino-
pétropolitanus. Brill, Leiden-Boston, 2009, p. 46.
130. « Obéissez à Allah et au ⌊dernier⌋ Messager. »
131. Le verset Q48/9 dit : « Nous t'avons envoyé pour que vous croyiez en Allah et en son messager, que
vous l'honoriez, reconnaissiez sa dignité, le glorifiez. »
S INGULARISATION

Selon la Tradition islamique, la foi et la croyance seraient exigées au nom des « Messagers ».
Cependant, les occurrences de croyance en « Allah et son Messager » sont plus nombreuses que
celles de « Allah et ses Messagers » ; la sensibilité islamique penche vers cette dernière. La croyance
est active et insidieusement liée à la nécessité du combat pour la cause d'Allah (Q4/76, Q2/218,
Q9/20). La singularisation prophétique devient le lieu et la cause d’une supra-obéissance et super
croyance entraînant un durcissement de ton et de méthode. En obéissant au dernier Prophète, on
devient un vrai « soumis-affidé » puis un vrai « affidé-musulman » et un vrai croyant à tous les
prophètes. Ce durcissement inscrit dans un narratif admis d’émergence prophétique cyclique facilite le politique
(puisque le Calife s’identifie au Messager), le flou de la croyance et des contours des dogmes est très
intense. Les injonctions à devenir le « secours de Jésus et d'Allah » sont placées dans la bouche de
Jésus à l'adresse de ses disciples, appelés muslimun pour l'occasion (Q3/52). Cette mise en scène
politique d’un narratif commun est manifeste, ainsi ce sont les titres arborés par les pièces califales
frappées : « secoureur », « musulman », titres qui jouxtent la Croix. Cette mise en scène rejoint les
devises des pièces de monnaie califales comportant une Croix au-dessus du M (unité monétaire
byzantine) et le logo Mḥmd en arabe, en dessous, signifiant « le glorifié ». Le symbole chrétien du
poisson, voire le symbole judaïque de la Ménorah, est apposé à ce titre, forcément politique puisque
des symboles de toutes confessions le côtoient. Ces indices indiquent une réduction purement
politique de la doctrine de Jésus et le caractère eulogique de ces consonnes Mḥmd . En aucun cas
ces lettres ne peuvent désigner, au début du moins, une personne : ce titre est en effet, au début
signifié seul sur l'avers avec au revers une figuration du « lieutenant du titre » parfois avec une
Croix. Il signifie le désir divin.132 D'autres pièces représentent le Calife avec une épée, un rocher, et
une Croix devenue un trait vertical. Le symbole du Beth el et l'inscription Zion supplantent parfois
la Croix, indiquant une nouvelle conception du Pacte. Jésus est devenu progressivement un Abd
Allah, un anṣar (serviteur et secoureur)133, un serviteur politique du Calife et messager d'une Alliance
nouvelle et temporelle entre les créatures, groupées en communauté, et Allah. Pour Ohlig 134, la
religion de Muḥammad est seulement une conception politique du Pacte.

Le combat pour établir la Loi n'est pas non plus une innovation. L'extermination de la
mécréance et de la rébellion à la Loi est proprement mosaïque et elle parcourt le corpus biblique
– de façon allégorique, historique et non prescriptive. L'importance considérable du combat contre
Pharaon dans le Coran (75 occurrences) montre que, dans ce dernier, les deux Royaumes sont liés.
La Cité d'Allah est prioritaire sur celle des hommes, et la destruction des cités qui le refusent est
inévitable.

Nous essaierons de comprendre en quoi ces insistances à l'obéissance à la Loi et au combat


dans le sentier attribué à Allah et son dernier Messager se sont singularisées dans ce corpus
coranique. Mais le registre de la polémique est elle aussi, une composante de cette période du
primo-islam. Le jihad ne s’est conceptualisé que tardivement pour éliminer les opposants à la
régence des Califes. Le contexte chrétien syriaque était, lui aussi, très polémique contre l'hétérodoxie du
dogme chrétien, l'aveuglement du judaïsme. Le Coran semble souvent se faire écho de beaucoup
de ces débats dogmatiques ‒ notamment sur le 2e concile de Constantinople (de 553) sur la
résurrection puisque ce thème est omniprésent dans le Coran ; ce dernier finalement, se focalise

132. ‫ עיננא מחמדי‬: desir


133. « Allié ».
134 . OHLIG Karl-Heinz – PUIN Gerd-Rüdiger, The-Hidden-Origins-of-Islam-New-Research-into-Its-Early-
History. Prometheus Book, 2009, p. 52.
plus sur l'orthopraxie que l’orthodoxie.135 Le ton polémique est aussi très vif, dans le Talmud,
contre ceux qui nient la résurrection.136

L'associateur-rebelle coranique concentre et pratique toutes les hérésies et/ou toutes les
oppositions ; ainsi la fitna, guerre civile ou rébellion contre l’ordre admis « est pire que le meurtre »
(Q2/191 et Q2/193). Le ton polémique contre ce qu'il considère être l'associationnisme chrétien,
comme nous l'avons remarqué, est déjà mis en scène dans les démonstrations d'Aphrahat qui
défend la position chrétienne contre les critiques rabbiniques. Ses formulations, pour désigner les
juifs, sont incroyablement proches du style coranique.

C- ENTRE FUSION ET SUBSTITUTION

Nous l'avons constaté, le Coran s’appuie essentiellement sur le Pacte mosaïque dont
s’accapare littéralement en forçant le dogme de l’obéissance à Allah et son représentant, le Calife.
Certes, il existe des récits concurrents, fondateurs de ce nouveau Pacte où Moïse et la Loi ne sont
pas cités. Ainsi, la sourate 96 célèbre « le Rappel »137. Cette sourate est considérée, par la Tradition,
comme « première » ‒ avec la célèbre injonction : « Lis ! » ou « Prêche ! » (iqra). Cette formulation
suppose de lire des rouleaux déjà existants ‒ le Prédicateur ne pouvant être enjoint à lire que les
rouleaux existant d'une communauté.138

Ainsi, dans l'écrasante majorité des cas au sein des récits coraniques, c'est Moïse le guide.
Recherchons, par le recours à l'analyse typologique, les nuances recouvertes. Nous étudierons, dans
cette partie, les différentes fonctions de ces évocations mosaïques, les différents motifs. Y-a-t-il
évolution de ces fonctions au cours des sourates ? Pourquoi Moïse est-il indispensable ? Comment
Moïse et Abraham se partagent-ils la foi coranique puisque, selon la doxa, tous les prophètes étaient
musulmans ?

Les logia (« paroles ») justifiant la fondation de ce nouveau Pacte implicite brodent


invariablement sur cet épisode mosaïque de la réception de la Loi. En dépit de ses variantes, le
principal récit fondateur du Coran et de son Pacte est incontestablement le don de la Torah à Moïse
au Sinaï. Le « Rappel » de cet épisode mosaïque ne peut ni concerner des polythéistes présupposés,
ni des judéo-chrétiens déjà convaincus et informés. C'est visiblement une pièce d'une
reconstruction idéologique, sélectionnée pour fixer une histoire sacrée liée aux conquêtes. Les
différents vocables utilisés pour signifier « le Pacte » sont concentrés sur très peu de sourates. Ils
sont présentés ici ; mīṯāq (Q2/27, 63, 83, 84, 93 ; Q3/81, 187 ; Q4/21, 90, 92, 154, 155 ; Q5/7, 12,
13, 14, 70 ; Q7/169 ; Q8/72 ; Q13/20, 25 ; Q33/7 ; Q57/8) ; ‘ahd (Q2/27, 40, 80, 100, 124, 177 ;
Q3/77, 76 ; Q6/152, Q7/102, Q8/56 ; Q9/4, 7, 12, 111 ; Q13/20, 25 ; Q16/95 et 91 ; Q17/34 ;
Q19/78, 87 ; Q20/86, 115 ; Q33/15 ; Q23/8 ; Q70/32) ; a‘d (Q2/51, Q4/122, Q7/142, Q9/111,

135. Muḥammad n'apparaît pas distinctement dans la shahâda gravée en 688-691 par ‘Abd al-Malik au
fronton de la mosquée du Dôme du Rocher de Jérusalem (cf. Oleg Grabar, La formation de l'art islamique,
Flammarion, 1992, p.79-84). Des pièces de monnaie de l'empire califal exhibent aussi des gravures, « Moïse,
rassul Allah ». Les travaux de Manfred Kropp optent pour une lecture considérant le rasm Mhmd comme un
participe passé. Pareillement pour les inscriptions et graffitis des parois rocheuses du désert du Néguev et
de Jordanie, étudiées par Yehuda Nevo de l'université de Jérusalem (ouvrage : Vers une préhistoire de l'islam).
136. « Et voici ceux qui ne prendront pas part au monde futur celui qui prétend que la résurrection n’est pas annoncée dans
la torah et celui qui dit que la torah ne vient pas du ciel et l’épicurien. » (Sanhédrin 90b)
137. En référence à Isaïe 29.
138. Ésaïe 29 : « Lis donc cela ! Et qui répond : Je ne le puis, Car il est cacheté. Ou comme un livre que l'on
donne à un homme qui ne sait pas lire, en disant : Lis donc cela ! Et qui répond : "Je ne sais pas lire." Le
Seigneur dit : Quand ce peuple s'approche de moi, Il m'honore de la bouche et des lèvres ; Mais son cœur
est éloigné de moi, […] « Lis au nom de ton Seigneur qui a créé… Lis ! Ton seigneur est le très noble…
L'homme devient rebelle. » (Q96)
Q20/80, 86, Q36/48, 52) ; ḥabl (Q3/103, 112) ; qasam (Q56/76, Q89/5). Le mot zakat,
omniprésent, est la clé de l’Alliance139 puisqu’il signifie la purification victorieuse pour retrouver le
vêtement immaculé de l’innocence et obtenir la justification et c’est seulement son homophone
proche, avec un sodhé qui signifie aumône, charité.

Muḥammad n’est pas nommément référencé dans le Pacte coranique qui ne concerne que
5 élus : Adam, Noé, Abraham, Moïse et Jésus. Ainsi la sourate Q3/33, qui énonce toutes les Alliances
successives : Adam, Noé, Abraham et Imran, élus au-dessus de tout le monde ; mais cette sourate
oublie le dernier Prophète dans la liste signalée à la sourate Q33/7. Un autre verset (« et avec toi »)
tente de rattraper cet oubli, mais l'interpolation est manifeste au vu de la maladresse de la
construction.

La famille d'Imran englobe Marie « sœur d'Aaron » et Moïse, qui sont liés par la typologie.
Le destinataire du discours coranique est sans conteste, là encore, le peuple juif ou judéo-chrétien.
Cette idée de Pacte ou d'Alliance (mīṯāqak (um), ’aḫaḏ) avec Dieu est au demeurant une des clés de
la compréhension de l'économie de la foi coranique, même si, elle n’a jamais été l'objet d'un traité
exhaustif et systématique de la part des savants musulmans » L'Alliance biblique est en effet
rappelée, dans le Coran, à de nombreuses reprises. 140 Cette Alliance s'accompagne d'un
« engagement à révéler le Livre » (Q7/169), « engagement avec la vérité et du Livre ». Des
évocations de « violation d'engagement » parsèment le corpus coranique. La référence Q4/154 sur
cette violation du Pacte par les Juifs poursuit sur la prétention d'avoir tué Jésus, alors que cette
prérogative reste divine. Cette double accusation correspond au schéma de reconstruction de
l'islam déjà suggéré dans l'introduction. Dieu conclut de nombreux pactes ou alliances avec les
prophètes (Q3/124, 125 ; Q3/81).

Il est aussi fait mention d'un « fameux pacte » (Q7/171). Mais ces pactes, tels qu'ils sont
décrits dans le Coran, n'appellent pas de développement dans le temps, ni de relation où l'amour
joue un rôle central, contrairement, par exemple, à Ezéchiel 16 où l'acte (contractuel) est décrit
comme une histoire d'amour entre Dieu et le peuple élu. La nouvelle révélation coranique se fonde
et se fond littéralement sur celle de Moïse. La nouvelle révélation se présente à bien des égards
comme un nouveau Pacte.141 Le Pacte est associé avec le Livre. C'est bien un Testament. Quelles
sont ces relations qu’ils entretient avec le Pacte antique.

NARRATION FUSION

L'apostrophe « l'histoire de Moïse est-elle parvenue ? » est presque anaphorique dans tout le
Coran. Une péricope de l'épopée de Moïse sert d'ouverture à bien des sourates. Ainsi, le genre
narratif brodant sans cesse sur des fragments bibliques variés mais axés sur ce thème légaliste est
lancinant. La sourate 20 démarre avec l'épisode du Buisson ardent ; Moïse cherche un guide (‘imâm,
l'imam suprême étant Abraham) et y trouve le Guide. L'écriture de Moïse est alors associée à de
nombreuses épithètes laudatives : « guide » (‘imâm) et « grâce » (raḥmā) ; et cette écriture de la Torah
exaltée dans les feuillets coraniques semble vouloir se mêler de façon artificielle, et de surcroît
anachronique, à cette nouvelle mouture coranique. La relation symbiotique que le narrateur
cherche à établir entre les deux écritures va jusqu'à mêler les récits. Ces récits sont mêlés de façon

139. AphDem21.406:8 : Jésus vainquit (zaka) Satan. M<&I‫&)* ܕܨ‬%$ *%ONI *P‫ܥ ܙ‬,)@‫ܘ‬
‫ אצדק‬: charité. ‫ ְצַדקָתא‬mérite, justice. َ ‫ اﻟﱠﺰَﻛﺎة‬: zakat .
‫ ﯾَُﺰِّﻛﻲ‬: il purifie.
140. (Q2/63 ; Q2/83, 84, 93 ; Q3/187 ; Q4/154, 21, 90, 154 ; Q5/12, 13, 14, 70 ; Q7/169 ; Q33/7 ;
Q57/8 ; Q8/72 ; Q13/20, 24).
141. wa-’iḏ ’aḫaḏa Llāhu mīṯāqa n-nabiyyīna la-mā ’ātaytukum min kitābin wa-ḥikmatin (Q3/81).
à substituer Moïse par le Prédicateur. La sourate 17 exalte bien ce sommet de la Loi, guidance de
Moïse pour les enfants d'Israël, transgresseurs et prévaricateurs. Ces typologies sont familières à
Jésus et à saint Paul. Cette transgression du Pacte mosaïque était un thème cher à Justin qui s'est
opposé aux judéo-chrétiens et aux juifs à propos de la notion d'Israël. La lecture du Cantique des
Cantiques, où le Bien-Aimé est Jésus, sépare les judéo-chrétiens des juifs. La substitution de Jésus
à Isaac via l'image de l'agneau de Dieu est puissante chez saint Jean. C'est une substitution
réellement accomplie, puisque Jésus est mort le vendredi où les agneaux étaient sacrifiés. Le
voilement des esprits juifs aux Écritures – thème extrêmement récurrent du Coran – est aussi une
reprise de ce Père de l'Église. « Elles sont déposées dans vos Écritures, ou plutôt, non pas les vôtres,
mais les nôtres, car nous nous laissons persuader par elles, tandis que vous les lisez sans
comprendre l'esprit qui est en elles. » La thématique rabbinique du voile est tout aussi riche dans le
Coran que chez saint Paul.

SUBSTITUTION

Moïse, détenteur officiel du Pacte écrit (sourate 7, verset 154) 142 , « préféré à tous les
hommes », est sans conteste le prototype principal de la Loi, celui sur qui « Dieu a répandu tout son
amour : maḫabbatan », il est cité plus de 140 fois (165 exactement) et dans plus de 500 versets
‒ presque 1/10 des versets totaux. Sa mère est évoquée plusieurs fois. Il est le seul clairement
nommé comme l'acteur officiel du grand Pacte écrit : « Dieu a adressé sa Parole à Moïse » (Q4/164),
« une autorité incontestable » (Q11/96) ; « Nous avons conclu un pacte avec Moise durant 40
nuits » (Q2/51). C'est le seul – avec Aaron – qui a son nom accolé à celui de Dieu : « Seigneur
d'Aaron et de Moïse » (Q20/70 et Q26/48). La Loi est sans conteste celle donnée à Moïse.
Abraham joue un rôle, certes, fondamental (que nous étudierons), mais jamais il ne concurrence ce
détenteur et représentant de la Loi. Abraham sera plus une figure d'identification pour Muḥammad,
figure où sera puisée sa généalogie ; cependant, son faible apport scripturaire et législatif rend la
figure de Moïse incontournable. Le Coran évoque, certes, des « feuilles d'Abraham », mais ce
dernier ne bénéficie que d'une promesse orale. Or l'Écrit, coraniquement parlant, a une importance
suréminente. Aussi, l'attachement spécifique du Coran pour l'écrit et la Loi font de Moïse la pierre
angulaire de la construction coranique. Le don du Livre « donné à Moïse » est récurrent, des
formules telles que « Livre-guide » et « discernement », « autorité, commandements, direction »
sont pléthore (Q2/53, Q2/87, Q4/153, Q6/91, Q6/154, Q32/23, Q7/142, Q11/17, Q11/96,
Q17/2, Q20/40, Q28/48, Q33/7, Q40/53, Q46/30). Le vocabulaire du Livre est foisonnant et
prolixe. Le Coran est d'abord le Livre du Pacte.

Le rappel d'un épisode mosaïque est toujours le canal, le vecteur, qui introduit et exige ces
demandes d'obéissance et qui réactive la rébellion au Pacte. Cependant, le Coran ne se définit lui-même
que comme « un rappel », « une lecture ». C’est donc bien une substitution implicite. Non, il ne propose
non pas une nouvelle alliance avec Dieu ni avec un nouveau Messager et il ne se situe pas en tant
que réactualisation des pactes comme le christianisme, mais bien seulement et toujours en tant que
rappel de ceux-ci – avec une insistance sur Moïse. C’est comme si Moïse donnait le Pacte coranique.
Le rappel du Pacte mosaïque, tant il est incantatoire, semble faire office de la nouvelle Alliance,
humaine certes, entre les nouveaux acteurs du mīṯāq(an). Il n'y a pas d'herméneutique scripturaire
vers une autre Alliance que mosaïque. Des « serments » en témoignent :

142. « Nous écrivîmes pour lui sur les tablettes, une exhortation concernant toute chose et un exposé détaillé
de toute chose. »
« Par l'Édit du Parchemin ! » ; « Par la Maison habitée (par la Sakina) » ; « Par aṭ-ṭūra ! »
(le Sinaï), par le livre écrit sur le parchemin enroulé, par la Maison habitée habitée au
sens de demeure permanente) par le linteau wal-saqfi (où il y a la Mézouza).143 En effet,
l’expression (Bêt ma ‘mro) en syriaque désigne Le Temple. Tous ces mots se réfèrent à
l'Alliance.

Dans le Livre d'Hénoch cette idée d'Alliance se retrouve sous la forme d'un Pacte (mīṯāq
– grec : diathêké), cette fois avec les anges. Ce Pacte avec les anges serait le garant de la stabilité de
la Nature. Dans ce livre, il existe même un enfer pour les astres qui transgressent la Loi de Dieu.144
Le Coran connaît ces thèmes, il démarre avec la sourate 2 qui s'intitule La vache, il se réfère donc à
l'épisode du veau d'or – le « ba » du titre de la sourate Baqara est une lettre ayant une valeur
spécifique en gématrie. Le but de cette sourate 96 qui ouvre le corpus (selon l’ordre chrnologique
de Nöldeke) est de montrer qu'Israël s'est détourné de l'Alliance offerte, et le salut proposé par les
Califes démarre à la racine de cette rupture. Nous avons l'intuition que le Coran, par ses incessantes
allusions à Moïse et à Jésus, tente de suivre un plan thématique de salut. L'abondante racine nūn jīm
wāw (« sauver ») manifeste cette velléité de dépasser les Pactes. Déjà l'Epître de Barnabé montrait
qu'au Sinaï l'Alliance a été rompue par Dieu lui-même avec les Tables de la Loi cassées,145 donc
le Coran ne fait que suivre cette brèche.

Cette thématique du renouvellement du Pacte légitime la nouvelle régence via la nouvelle


figure. En effet, si, dans le Coran, plusieurs récits fondateurs concernant la « descente céleste » (le
tanzil146) sont en concurrence, le fil rouge est bien toujours celui qui lie Moïse à Muḥammad. Par
ailleurs, bien des épisodes se référant à Moïse sont relus comme se référant à Muḥammad, c’est
toute la phraséologie coranique. Ces relectures biographiques deviennent – du moins dans
l'imaginaire du musulman – finalement constitutives de la vie de Muḥammad. Le genre
hagiographique avec les bas de page se mêlera, de façon postérieure aux multiples processus de
retouches, à tous les genres précités. L’historien Fred Donner souligne que le « jour de la salvation »
et les « deux groupes » des sourates 8 et 48 se réfèrent à Moïse. La sourate 17, nommée Al ‘isra,
décrit initialement le voyage mosaïque et elle mêle Moïse et Muḥammad147. Selon Gräf148, la sourate
28 se réfère au puits de Madian ; la sourate 4, qui fixe la Face de Dieu, réactive, elle, la Torah.

Ces relectures, qui auraient pu être seulement allégoriques, sont devenues et acceptées
comme de réelles pièces biographiques de Muḥammad puisque sa biographie permet d’éclairer le
Coran et réciproquement. Ainsi, la sourate 7 démarre sur Moïse et comprend un intermède
minuscule concernant l'Apôtre d'Allah, du verset 156 à 159 – les versets 102 jusqu'à 156 étant
dédiés à Moïse. Le verset 157 pourrait aussi se référer à Jésus. Ainsi, le nouvel Apôtre possède 2
petits versets perdus dans cette vaste mosaïque dédiée à Moïse. On peut déjà envisager que les

143 .š q p JLAtg, JBA, LJLA. TgO Ex12:7 : ‫שיקפא‬/‫ ְו ִיְסבוּן ִמן ְדָמא ְו ִיְתנוּן ַﬠל ְת ֵרין ִסיַפָיא ְוַﬠל ָשְקָפא‬. BT Er 11a(27) :
‫דלית להו שיקפי‬
123. Livre d'Hénoch. Écrits intertestamentaires. La Pléiade.
145. Épître de Barnabé, édition et trad. Robert A. Kraft, Cerf, coll. "Sources chrétiennes", no 172, 1971.
146. Le drame du Salut coranique se déploie à travers de la descente du Verbe version livre. Le drame du
Salut évangélique se manifeste à travers la descente du Verbe fait chair. Saint Éphrem dit que le Verbe se
manifeste et se développe dans la nature et par l'Écriture. Le Coran répète à foison ce vocable de
« descente » pour désigner la naissance de Jésus ; la précision coranique d'une prière nocturne mille fois plus
bénéfique, lors de la Nuit de La destinée, est inspirée par saint Éphrem (Hymne sur la Nativité XXI).
147. Voyage sur Jérusalem-même, à la sourate 3/96 où il est question de Bakka, qui est un val de Palestine
où les pèlerins « pleuraient » (racine bkk), selon Reigner et Frère Bruno Eymard. (Psaume 84.)
REGNIERA, Quelques Enigmes Littéraires de L'inspiration Coranique, Le Muséon 52 (1939) : 145-62. I. Warraq
and M. Gross, Makka, Bakka, and the Problem of Linguistic Evidence, Christmas in the Koran: Luxenberg,
Syriac, and the Near Eastern and Judeo-Christian Background of Islam (Amherst 2014).
148. GRÄF Erwin, Zu den christlichen Einflüssen in Koran, vol. 111, 1962, p. 396-398, Zeitschrift der deutschen
morgenländischen Gesellschaft.
primo-musulmans gardèrent Moïse comme modèle d'obéissance, et qu'ils firent émerger le portrait
de Muḥammad en surimpression, en fonction des besoins de la nouvelle communauté. D'ailleurs,
le texte oscille sans cesse entre « Allah et ses Messagers » et « Allah et son Messager », puis « soyez
en lutte en compagnie de son Messager ». Ces fluctuations indiquent à la fois une évolution textuelle
et une volonté de se positionner face à la concurrence. L'appellation « son Messager » sera
progressivement lue en faveur de celui considéré comme le dernier. C'est progressivement que
l’image de Muḥammad se greffa sur le modèle de Moïse et parfois sur celui de Jésus, d'Ismaël (les
femmes de ce dernier, selon Pirqe Rabbi Eliezer, se nomment comme les filles et femmes de
Muḥammad) ou même de Noé. Nous pourrons étudier ces glissements de personnages, ces jeux
d'acteurs de l'obéissance à Allah.

Le principal récit fondateur du Coran (en rapport avec la Loi) est cité à la sourate 17 où est
décrit un voyage céleste et nocturne. Cette traversée semble plus consacrée, initialement, au périple
nocturne de Moïse – dans sa variante midrashique.149 La lecture plus tardive qui en est faite par les
tafsirs y introduit un des événements fondateurs de l'islam, au moins dans l'imaginaire de tous les
musulmans : la course céleste de Muḥammad sur Al Bouraq à travers l'Arabie. Cet événement imaginaire
fonde les revendications idéologiques sur Jérusalem. En effet, le voyage céleste de Muḥammad est celui
qui permet aux musulmans de revendiquer Jérusalem. Certains philologues en proposent une autre
lecture, un voyage depuis le Buisson ardent vers le Sinaï, tous s’accordent pour suggérer un
caractère « ajouté » au verset initial du fait de l’anonymat du phrasé, l’ambiguïté et l’absence de
connexion avec la suite.150

Nous avons vu que l'obéissance à la Loi de Moïse n'est pas contestée, mais que la Torah
aurait été pervertie (ou cachée) et surtout non accomplie ; ainsi, le « Rappel » et l'envoi de son
avertisseur devenaient les indispensables recours. La communauté de fidèles, de croyants se doit
de se mettre à l'écoute et de fonder une résonnance à la parole d’Allah.

Il n'est pas inutile de rappeler, ici, une étude philologique sur les thèmes de « musulmans »
et d' « islam », en nous basant sur les analyses de philologues et d'historiens. En effet, le programme
de l'obéissance semble intégralement contenu dans les mots islam et musulmans. A ce propos, selon
Lüling et Horovitz 151 , le mot Al-Islam signifie initialement « trahison, se retirer, laisser dans le
pétrin », dans le sens où ‘Abd al-Malik se retire des dogmes de l'Eglise byzantine (les philologues se
basent sur des poèmes d'Al Gari et d'Al Farazdaq « quand Zubayr dit que la tribu de Mugazi s'est
aslamathu, retirée de lui… »152).

A première vue, nous avons remarqué que les consonnes Slm sont toujours comprises, par
Hamidoulah, par le terme « soumission » et non par celui d' « islam », et que les consonnes mslm
sont toujours traduites par « soumis » et non par « musulmans ». Cette identification du mot à un
groupe différencié dès le début paraît inexacte. Ainsi, à la sourate Q3/52, les apôtres de Jésus sont
dits muslimūn et ‘anṣârî. Le mot muslimūn a forcément un autre sens profond ; dans une strate
primitive, le mot désigne une qualité de foi particulière, une foi collective et combattive. Suivant
cette lecture, Fred Donner 153 réfute l'utilisation anachronique du terme de « musulmans », qui

149. Le Coran, de par ses détails (inconnus de la Bible) tirés des récits des personnages bibliques, est en
interaction directe avec le Midrash : la protestation des anges sur la création d'Adam, l'observation des corps
célestes d'Abraham, le refus de manger des invités d'Abraham, les couteaux de la femme de Potiphar.
150. Le Coran des historiens, Tome 2, sourate 17, cerf, 2019. p.658.
151 . HOROVITZ Josef, Das Koranische Paradie ‒ Scripta universitatis atque bibliothecae
hierosolymitanarum Jerusalem (1923), cité par Lüling.
152. LÜLING Günter, A challenge to Islam for reformation, Motilal Banarsidas Publ., Delhi, Inde, 2003, p. 229.
153. DONNER Fred M., Muhammad and the Believers: At the Origins of Islam. Cambridge, Massachussets, The
Belknap Press of Harvard University Press, 2010, p. 280.
apparaît environ soixante-dix fois dans le Coran. Il faut lui préférer celui de « croyants », présent
plus de mille fois dans le texte sacré de l'islam. C'est à la faveur des traditionnistes (spécialistes des
hadiths) que le premier terme se serait imposé un siècle après la mort du Prophète. Pour F. Donner, la
redéfinition des termes « musulmans » et « croyants » se fit dans le dernier quart du VIIe siècle. Là encore, c'est
le Coran et son interprétation mise en place qui sert de point d'appui à la démonstration
étymologique de F. Donner, tout en déterminant les bases de la croyance du mouvement de
Muḥammad. Ainsi, nous pouvons confirmer son analyse avec les deux termes Zakat et Salat qui
semblent des spécificités islamiques puisées à la liturgie syriaque.154 Le terme Zakat porte le sens
d'obligation envers Dieu et donc d'alliance. Des études de concordances coraniques et bibliques et
des statistiques sur les cotextes seront utiles. L'analyse précise des cotextes et la consultation des
tafsirs sera d'un grand recours.155

Muslimina (« Musulmans ») est le principe actif du verbe aslama (« se résigner, se soumettre


à la volonté de Dieu »). Ce mot vient de Salam, qui signifie « paix ». SLM est le radical du
mot Shalem qui signifie « entier, complet, accompli, achevé, parfait », dans les langues
sémitiques. Les grands patriarches d'Israël furent tous des soumis, des « musulmans ». Les
termes d'islam, de Musulman, ne désignent pas une religion nouvelle, une nouvelle formule
religieuse, mais bien au contraire une religion du passé, une religion ancienne, très
caractérisée, la religion des Juifs opposés à l'idolâtrie. « Noé était musulman » (Q10/71),
Abraham et Isaac furent éminemment des « soumis », « des accomplis », selon l'original
hébreu mushlam, et furent donc parmi les plus grands « musulmans-accomplis » du
judaïsme. Selon les « Actes de l'islam », les Grands Musulmans, ce sont d'abord les
patriarches et les prophètes de l'histoire sainte : « Nous sommes » les deux messagers
venus l'avertir du message divin, « des envoyés vers un peuple criminel pour lancer des
pierres contre lui... Nous n'y avons trouvé qu'une seule maison (de résignés, de soumis)
de muslimina » (Q51/35). (Il s'agit de Loth.) Noé, Abraham, Loth et sa famille sont les
trois muslimina authentiques. La dernière parole sur les lèvres de Joseph est un souhait :
« Fais-moi mourir musulman ! » (Q12/100), c'est-à-dire : Fais que je te sois soumis, ô Dieu, et
qu'ainsi je rejoigne les saints.

Le mot « soumis » est de fait réellement traduit par saḫḫara, vocable qui exprime la
dépendance totale à Dieu.156 Cette soumission concerne les Astres, les éléments soumis à l'ordre et
s'inclinant devant la Majesté. Cette conception se trouve dans le Livre d'Hénoch. « Ils ne s'écartent
pas de la règle fixée à chacun d'eux. » Le mot rébellion a plusieurs rasm157 et peut, d'après Luxenberg,

154. « Vertueux sont ceux qui croient en Dieu et au jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, qui
donnent pour l'amour de Dieu des secours à leurs proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs
indigents et à ceux qui demandent l'aide, et pour délier les jougs, qui observent la prière, qui font l'aumône. »
(Q2 /177) - Les traces de la langue syriaque se retrouvent sur le Coran actuel : les mots Zakat et Salat (prière)
s'écrivent en langue syriaque : zakawet et salawet. Zakawet est d'abord une action liée à l'Alliance. JLAtg, Gal, PTA,
JBA, LJLA. TgO Gen32 :11 : .‫ְזֵﬠיָרן ָזְכָוִתי ִמֹכל ִחסִדין וִֻמֹכל ָטבָון ַדַﬠַבדת ִﬠם ַﬠבָדך‬TgJ Jer23 :6 : ‫ִיתַﬠבָדן ַלָנא ָזְכָון ִמן ְֹקָדםיוי‬
‫ ְביוֹמוִֹהי‬in actions pour l'Alliance TgJ Jer4:2 : ‫ ְבֻקשָטא ְבִדיָנא וֻבָזכוָּתא‬vérité, justice. P Je51:10 : ‫ܬܢ‬#"‫ &'() ܙ‬,+‫[ ܐ‬MT
‫ֶאת־ִצְדֹקֵתינוּ‬ ‫ְיהָוה‬ ‫]הוִֹציא‬.
Victoire Syr, JBA, Man.». « Symbole de victoire, i.e. feuille de vie » Syr. IMac7a1 13:37 : 8‫ܬ‬,P‫* ܘܙ‬$‫ ܕܕܗ‬R&BP
‫=ܪܬܘܢ‬H‫ܕ‬. (b.1) « tombe des martyrs » Syr. (c) « chant de triomphe du martyr » Syr. IMac7a1 13:51.
155. TABARI : « Je suis surpris que ceux qui lisent le Coran ne soient pas capables de l'interpréter, comment
alors prendre plaisir à le lire. » (Extrait du livre Lecture Syro-araméenne du Coran, de Luxenberg, p. 64, lui-
même extrait de Mahmoud Mohamed Shaker Introduction to the Koran (Cairo 1374 H, 1955, Vol I 10).
156. Q13/2, Q14/32, Q14/33, Q16/12, Q16/14, Q22/36, Q22/65, Q29/61, Q31/20, Q31/29, Q43/13
Q45/12 45/13.
157. ṭuġyānan (ṭā ghayn yā) : Q5/64, Q 5/68, Q 6/110, Q 7/186 , Q10/11 Q17/60 Q18/80 Q23/73 ;
ġaḍabin(ghayn ḍād bā muġāḍiban).
être lu mu’asiya et, suite à une faute de diacritisme (notamment dans le verset Q21/87), il signifie
alors, pour le philologue, la rébellion de Jonas.

Ces variantes de sens entre les traducteurs dérivent-elles des variantes sémantiques
initiales ? Ces clefs de la sharîa que sont ces termes ont-elles toujours désigné les mêmes réalités et
ce, au cours des premiers siècles marqués par cette mouvance ? Retrouve-t-on ces mots avant, par
exemple dans les textes bibliques ou la littérature homilétique syriaque ?

L'Alliance biblique est validée uniquement par l'obéissance du peuple élu qui écoute et est
aimé de Yahvé ; cette relation dynamique rappelle sans cesse l'aspect central de la Loi, et le mot
amour renvoie à la loyauté entre les parties qui contractent une Alliance politique, conjugale ou
religieuse. Ces aspects nuptiaux de l'Alliance sont présents dans cette écoute obéissante. Dieu
construit une histoire avec l'Homme, et la Bible la conte. L'affection d'Allah qui accompagne cette
Alliance est-elle totalement absente du Coran ? Pas si sûr.

De nombreux termes pointent çà et là pour le prouver, mais la relation à Dieu semble


réduite à la récitation des épisodes bibliques. Le Pacte semble a priori validé par une obéissance
aveugle. Cependant, çà et là, des mots étranges pointent, émergent pour conter une autre histoire ;
encore il faudra distinguer entre le proto-islam où Allah « doux »158 (‛azīzu – « chéri » en araméen et
arabe), dans 99 occurrences coraniques toujours (‛azīzu l-ḥakīmu, « doux », uniquement pour Dieu,
« proche de la veine » – laṭīfun159), aurait encore de la tendresse issue de ses entrailles (raḥîm)160, et
un islam califal dur et sanglant, réorientant et bridant l'affection de son Dieu. Afîf Osseiran souligne
cette manipulation des commentateurs qui durcissent les sens de certains mots.161 Certes, l'opposition
entre un Dieu compatissant et un Dieu de colère n'est pas seulement à chercher dans ce qui pourrait
être deux strates différentes ; les littératures juive et chrétienne, syriaque en particulier, témoignent
de la coexistence de ces deux attributs divins et de la crainte que doit éprouver le Croyant vis-à-vis
de Dieu. Mais la lecture islamique a développé essentiellement la face colérique de Dieu. On peut
s'interroger sur la traduction de ces 99 mots désignant Dieu. Les réorientations dont parle Donner
et le rôle des scribes déjà évoqué par G. Dye font émerger l'islam en imposant à Dieu ses volontés.
Moïse est l'une des figures éminentes de l'obéissance et, pourtant, il est le seul prophète sur qui
Allah a répandu son amour (mahabbatan) [Q20/39], son rôle concernant la Loi le positionne très
haut. La sourate 84, reconstruite par Lüling, le montre au Thabor en face de Dieu.

Le thème de l'Alliance est lié à celui de la bénédiction : « à cause de leur violation de l'engagement,
Nous les avons maudits » (Q5/13) ; « Et rappelez-vous le bienfait d'Allah et l'Alliance conclue avec
lui quand vous avez dit : "Nous avons entendu et nous avons obéi." » (Q5/7). La malédiction s'abat
sur ceux qui violent le Sabbat et ceux qui ne croient pas. On assiste, par l'évocation de ces thèmes,
à une récupération du titre d'Israël, comme le montrent les motifs iconiques du Yegar Sahaduta et
le mot Zion sur les pièces de monnaie du proto-islam.

En conclusion, nous pouvons démontrer l'existence d'une relation dynamique d'Alliance


biblique en sous-strate de ce motif d’obéissance. C'est en obéissant à Yahvé que l'on témoigne de son
amour, et le Deutéronome est le livre le plus prolixe à rappeler que l'obéissance contribue au bien,
prolonge la vie, procure des bénédictions, accroît la population. Par ailleurs, célèbre est
l'aphorisme : « Combien j'aime Ta Loi ! » – du Roi David. « Ceux qui m'aiment garderont mes
commandements. » Ce lieu affectif avec la Loi s'estompe avec le Coran, nous chercherons à

158. « Allah infiniment Doux » (Q31/16, Q22/63). « Je n'opprime nullement mon serviteur. » (Q50/28).
159. Q42/19, Q12/100, Q22/63, Q31/16.
160. Ce mot très présent dans l'A. T. signifie « miséricorde » et « tendresse ». Ex 33,19 ; Ez 39,25 ; Jr 16,5 ;
Mi 7,19 ; Ps 40,12 ; Dn 9,9 et 9,18 ; Pr 28,13 ; Ps 119,77 et Ps 119,156.
161. KERYELL Jacques, Afif Osseirane, Un chemin de vie. Cerf, 2009.
expliquer ces évolutions en étudiant les typologies qui éclairent les relations entre la créature et
Dieu. La sharîa se présente comme la Loi de l'islam, et ce dernier mot signifie en première analyse :
« soumission ». Pourtant, le mot chir’atan (« sharîa ») présente très peu d'occurrences (Q5/48)
coraniques, et le mot dîn est traduit deux fois comme signifiant « lois » et souvent par « religion ».
En araméen, c'est « la justice, la Loi, le tribunal ». La loi du Talion est citée 4 fois, « la loi du sang »
est également citée. Où est donc la Loi de Dieu à laquelle il faut obéir ? Le mot Sunna, associée à
cette « Loi de Dieu », est très peu employée (16 occurrences concentrées, à 80%, sur les sourates
Q17, Q33, Q48, Q8/38, Q15/13). Ces occurrences quasi chimériques, ultra concentrées et ces
réaffections sémantiques montrent incontestablement la prégnance de la strate araméenne
parabiblique. D'autres vocables dissimuleraient-ils cette Loi ?

D- UN BRIC A BRAC DE LOIS


Le rapport entre le Messie et la Loi dans Le Coran est diffus. Logiquement,
l’accomplissement des Écritures ne peut être que le fait du kalima(t)-Allah. Dans La Bible, face à ses
adversaires, scrupuleux observateurs de la Loi, Jésus se plaçait dans une situation eschatologique
du Royaume des Cieux. Seul le Messie pouvait accomplir la Loi. La Pentecôte fête le don de la Loi
au peuple ; les prescriptions juridiques et les traditions de la jurisprudence n'ont plus lieu d'être car
la Loi est accomplie et condensée en Jésus-Christ. Jésus, de ses doigts de Dieu, n'écrit rien, sauf
des mots mouvants sur le sable (à propos notamment de la femme adultère qu'il ne condamne pas),
à l'opposé du granit des Tables. Il renverse tout en accomplissant la Loi. La Crucifixion de Jésus
(qui est Dieu et Maître de la Loi) se fait aussi au nom du premier commandement de la Loi
mosaïque de Dieu. Dieu renverse la Loi en accomplissant la Loi. La mort du Verbe de Dieu (Loi)
ne s'accomplit que par le Verbe de Dieu qui proclame que tout est accompli. « Tout est accompli » :
par cette parole, Jésus achève cet accomplissement annoncé au début de sa prédication.
L'eschatologie islamique, elle aussi, se fixe dans cette attente de Jésus-juge et de Jésus-restaurateur,
mais cette espérance semble inachevée. Là encore, l'appareil exégétique s'empare du Christ de façon
détournée et obvie.

Recherchons les vocables coraniques se référant à l'Alliance. Philippe Escolan162, comme


les dictionnaires araméens, confirme l'emploi du vocable Ka’ba pour désigner l'Alliance. Cet auteur
souligne en outre le maquillage des mots. Dans le monachisme syrien au IVe siècle, il existait un
ordre de vierges consacrés, « de Filles et Fils du Pacte », ordre de type Qumran respectant la Torah,
ordre consacré à l'Alliance et qui se nommait bnat qyāmā. Tous ces éléments confirment Luxenberg,
qui a proposé cette traduction sans signaler que la sourate 5, où était employé le vocable qyāmā,
était consacrée au Pacte. Tous les dictionnaires araméens confirment fortement ce sens.163

Le segment barā’atun mina Llāhi wa-rasūlihī, présent en Q9/1, et barā’atun fī z-zuburi (alliance
avec le livre des Psaumes) présent en Q54/43, vient de brît et renvoie à l'Alliance dans toute la
Bible. Les traductions de ces mots clefs deviennent exotiques et chimériques, on signale

162. ESCOLAN P., Le Monachisme syrien du IVe siècle au VIIe siècle, 1999, p.32. Georges NEDUNGATT, The
covenanters of the early Syriac-speaking church, p. 203.
163. Qym et br « Alliance et Création, alliance ». « Alliance « (araméen officiel) OfAEg, Qumran, JLAtg,
PTA, Sam, Syr, LJLA. 11QtgJob (targum job) 35.7=40:28 : ‫=[ היקים קים עמך‬MT v‫]ֲה ִיְכֹרתְבּ ִריתִﬠָמּ‬. TgJ (targum)
Ez11:12 : ‫ « ֲאָנא יוי ְדִבקָיַמי ָלא ַהֵליכתוּן‬Je suis le Seigneur qui fait alliance et vous ne suivez pas », P
Gn6:18 : E3+ C3&K S&K‫ ܘܐ‬. BADan, Syr. Dan 6:8 : ‫ « ְלַקָיָּמה ְקָים ַמְלָכּא‬alliance royale »
‫ ܗܘ‬T@.N@‫ ܐ‬C:‫ܒ‬ ̈ D-‫ ܕ‬4+‫ܘܕ‬4H‫ܗ ܐ‬.N<$‫* ܕ‬3&K D- ‫*܂‬H,3I 4JWH‫= ܐ‬P « quand elle trouva Moïse elle le
reconnut à la marque de l'Alliance ». Manfred Krop montre la différence si on lit barā’atun mina Llāhi
« immunité, exception », concept et mot purement arabes, ou bien berit (hébreu) ou barayt (aa) (araméen)
« pacte » (surtout de Dieu avec les hommes).
« désaveu », « immunité » dans la traduction Al Bouraq, alors que « Alliance » conviendrait mieux
puisque la fin de phrase parle de Pacte (barā’atun mina Llāhi wa-rasūlihī ’ilā llaḏīna ‛āhadtum).

Enfin, le mot Al ‘Amr exprime l'Ordre ou décret divin, la Providence touchant le sort
particulier des hommes. Ce mot semblerait le plus apte, par son volume numérique, à représenter
la Loi de la providence. Il est statistiquement omniprésent, notamment164. Cependant, c'est une Loi
indéfinie, inconnue, mystérieuse, immuable, laquelle, souvent, s'abat comme un couperet – qui est
la formule la plus répandue dans le Coran. A n'en pas douter, ce silence révèle que cette Loi est si
bien connue et acceptée de l'auditoire qu'il est inutile de la rappeler.

Le Pacte sous-tend une notion de « crainte de Dieu » et de « responsabilité » : les montagnes


se seraient fendues sous l'effet de la crainte de Dieu, si le Coran leur avait été révélé (Q59/21), ou
encore elles refusent de se charger de « la responsabilité » (cf. Q33 /72)165.

L A LOI ECRITE

La Loi (Sunna) est, suivant le Coran, identique à celle des anciens (Q33/44), c'est donc bien de
la Torah qu'il est question, et le « musulman » serait l’aidant, celui qui doit faciliter à son application
pour la conduire à sa perfection, à son accomplissement et non plus la porter comme l'âne porte
la Torah. Cette image de l'âne portant son fardeau est coranique. C'est la communauté qui se sent
investie de cette charge, le Coran fonctionne ainsi. De réattributions sémantiques en
réappropriations des figures prophétiques, de simplifications en élagages complets, c'est à la
relecture de l'Alliance qu'est convié l'auditoire. Mais ces réductions forcées finissent par démunir
les autres communautés de leur patrimoine spirituel.

Le Coran regarde comme une « abomination » celui qui « dit » mais ne fait pas (sourate 61).
L'accomplissement de la Loi est fondamental pour les auteurs du Coran, la religion doit investir le
politique.166 Peu de place est faite à une éventuelle théorie de l'abrogation, dans cette exaltation de
la Loi ancienne, et de la nécessité de l'appliquer.167 Certains textes coraniques suggèrent toutefois
que Jésus a rendu licite une partie de ce qui était illicite ; il s'agit probablement ici des interdits
alimentaires. Par ailleurs, en suivant Zellentin (The Quran in its Legal Culture168), on peut dire que le
Coran envisage comme abrogées les lois additionnelles, ajoutées pour les Israélites, en guise de
punition, suite à leur culte du Veau d'or. La théorie de l'abrogation appartient donc à l'axe linéaire

164. Q4/47 ; Q7/54, Q7/77, Q7/150 ; Q8/42, Q8/44 ; Q9/24, Q9/48 ; Q10/24 ; Q11/40, Q11/43,
Q11/58, Q11/66, Q11/73, Q11/76, Q11/82, Q11/94, Q11/101 ; Q12/41 ; Q13/11 ; Q14/22 ; Q15/66 ;
Q16/1, 16/12, 16/33, 16/77 ; Q18/50 ; Q19/64 ; Q20/93 ; Q21/27 ; Q22/65 ; Q23/27 ; Q24/63 ;
Q28/44 ; Q30/25, 30/46 ; Q32/24 ; Q33/37, 33/38 ; Q34/12 ; Q40/15, 40/78 ; Q44/4 ; Q45/12, 45/17 ;
Q46/25 ; Q49/9 ; Q51/44 ; Q54/50 ; Q57/14 ; Q65/5, Q65/8.
165. « Crainte de Dieu ». « Nous avons demandé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (ou
le message). Ils ont refusé. L'homme s'en est chargé. » (Q33/72) « Nous avons proposé "la confiance" aux
cieux, à la terre et aux montagnes. Ils ont refusé de s'en charger et s'en sont effrayés, alors que l'Homme
s'en est chargé, car il est injuste et ignorant de toute loi. »
166. 18 occurrences du rasm wa fa ya (« remplir, accomplir »). 16 occurrences du rasm tâ mîm mim. 5
occurrences « magnifier » (takbir) : Q2/185, Q17/111, Q22/37, Q74/3. « O détenteurs de l'Ecriture ! Vous
ne serez pas dans le vrai avant d'avoir traduit en actes la Torah, l'Evangile et ce qu'on a fait descendre vers
vous. »
167. Le verset qui dit qu'un verset peut être remplacé par un autre met à mal l'assertion coranique
d'intangibilité de la Parole. Suivant sa propre logique, ce verset peut être lui-même renversé. Il s'agit d'une
interpolation, de toute évidence, pour les besoins des califes.
168. ZELLENTIN Holger Michael, The Didascalia Apostolorum As a Point of Departure. Hohr Siebek, 2013.
p.33.
nécessaire pour conduire l'islam dans sa strate finale ; cette théorie est à la fois tardive et
contradictoire.169

Les Hadiths signalent que le Prophète jugeait suivant la Torah 170 . Les items du
Deutéronome sont proches de ceux du Coran (sourates 2 à 10). Le souvenir de l'Exode devient un
commandement, à l'instar du rappel des exodes qui ponctuent le Coran. La destruction des idoles,
l'extermination des idolâtres, le rappel de la rébellion de ce peuple au « cou raide » (vocable biblique
très présent dans le Coran ‒ les Lois adaptées depuis la Cacherout, les rappels à l'obéissance à
Yaweh, Dieu Jaloux, les dîmes ‒ les zakat –171, les fêtes, les vœux, les taux d'intérêt, le divorce, les
droits de l'étranger, la veuve et l'orphelin sont les thèmes du Deutéronome. Ils ne sont toutefois
pas exclusifs au Deutéronome, ils ont été considérablement développés par les auteurs chrétiens
– en particulier l'aide aux veuves et aux orphelins.172

La vulgate aborde tous ces thèmes en les adaptant à son auditoire et son contexte. Les
sourates mecquoises n'abordent ces thèmes que par touches poétiques inspirées et non dans un style
plus administratif. Ce sont les sourates 2 à 10 qui organisent et développent ce droit positif divin
pour établir une théocratie scellée sur l'obéissance, son pilier. Deux périodes sont visibles dans le
Coran : une période d'annonce échevelée, constituée de paroles jaculatoires brèves sur la Fin des
Temps, et une période d'Empire à gérer où nulle distinction n'existe entre les hommes, ces derniers,
tous rebelles à Dieu, et où deux camps s'affrontent à mort.

Seules les recommandations sur les prêtres et les holocaustes, présents dans la Bible sont
escamotées du corpus. Cette absence est en cohérence avec les évolutions de la religion judaïque,
contrainte, après 70, de devenir exclusivement « la religion du Livre ». L'Alliance de Moïse et le
Deutéronome vont cependant s'enrichir d'une nouvelle référence : l'Injil. Les champs d'application
du Pacte coranique dévoilent le passage d'un judaïsme qui a expulsé Jésus à un autre type de
judaïsme où Jésus a pouvoir sur la Cacherout, comme l'indique la sourate 5 (« La table »). La Torah,
mêlée (sans le signaler) au Talmud, reste, malgré ces adaptations, la guidance ou le furqan
(« discernement ») de la Loi.

Les références à l'Évangile et à la Torah existent dans la sourate 5 ; la Torah et l'Injil173 y sont
présentés par les mêmes mots, « guide et lumière », hudan wa nurun (« connaissance lumineuse » en
syriaque). La racine arabe ḥā fā ẓā, présente ici et traduite par « exhortation », signifie, en araméen,
« être zélé pour ».174 La Torah y est la base de la « soumission » (‘aslamû) des prophètes (Q5/44 et
Q5/46). Cette parole de la Torah est perpétuelle et immuable, cela est confirmé par l'affirmation
de la sourate Q43/28, « Allah a perpétué sa parole dans la descendance d'Abraham. » Ces

169. Le Talmud de Babylone fait exception selon Zellentin, les Prophètes Amos, Jérémie, Ezéchiel, Isaïe
révoquèrent quatre versets du Pentateuque.
170. Bukhârî (6815, 6825). Muslim (4396). Muslim (4406) Muslim (4408).
171. Ce mot est le rasm zakat araméen utilisé dans la bouche de Jésus pour imposer l'aumône. (Voir
Peshitta.) Des inscriptions himyarites concernant la Zakat existent deux cents ans avant l'islam. D'après
Sami Aldeeb, c'est la peine à payer pour le péché. Cela signifie « être justifié, purifié, lavé de ses fautes,
mettre Satan en déroute ». Syr. AphDem7.134:4 (=John 16:33) : *3B;I ‫ܗ‬4&P‫* ܙ‬:‫ ܕܐ‬.&X .-ܼ‫ ܐ‬j’ai vaincu le
monde. AphDem21.406:8 : .M<&I‫&)* ܕܨ‬%$ *%ONI *P‫ܥ ܙ‬,)@‫ ܘ‬.
Com. P Ex23:7 : *<&ܿJI *:‫* ܐ‬PYܿ- Z‫ܕ‬. P Ps 19:13 : C%P‫ ܙ‬8‫ܬ‬C̈ )G D-‫ܘ‬. P Job10 :14 : ‫܂‬CI 4:‫ ܐ‬.Oܿ: 4&O1 ‫ܕܐܢ‬
4:‫* ܐ‬PY- Z ‫ܝ‬MG‫ܚ‬ ̈ D-‫ܘ‬
172. HARNACK, Mission et expansion du christianisme aux trois premiers siècles. Cerf, coll. « Patrimoines,
christianisme », 2004.
173 . Ce terme grec existe dans la Peshitta pour dire « bonne nouvelle ». Le mot huda signifie « la
connaissance », en araméen, et pas « le chemin » : c'est « être informé », conjugué au mode yiqtul. yr, Man.
P 2Ch1:10 : 84+=@‫ ܘ‬843W1. JBABowl 116.1:6 : ‫ידעותיה דאשמדי מלכא דשידי‬
ܿ
174. P Mk15:11 : ‫ܸ)*̈܃‬%Wܸ ܼ I ,O^ܸ 1ܼܿ.
affirmations reprennent la pensée d'Éphrem : « dans le sein d'Abraham s'élève la Jérusalem
céleste. »175

Le Coran ne voit pas de différence entre ces textes. Cette indifférenciation est-elle
caractéristique d'un judéo-christianisme176 ou bien témoigne-t-elle d'une velléité politique d'unir un
Empire par un syncrétisme ?

Les Kerygmata Petrou (textes judéo-chrétiens) avaient une conception du prophétisme bien
similaire : le prophète est un révélateur se manifestant dans une variété de figures depuis Adam
jusqu'à Moïse (Hom 3, 20-28). L'Adam, prêtre, roi, prophète se manifeste à travers Hénoch, Noé,
Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et Jésus (selon La Caverne des Trésors, texte judéo-chrétien du IVe
siècle177 ). Au sein de ce corpus, Jésus n'est nullement différent des autres, c'est une idée que le
Coran soutient fortement. Pour saint Paul, le Christ est l'antitype d'Adam. Pour ces textes, Adam
est juste l'anté-type du Christ. Le message global de ces textes judéo-chrétiens est le suivant : Yahvé
est le Dieu des juifs et Jésus est son prophète. Le message divin lui, est toujours le même.

Le corpus du Coran partage et diffuse ces thèses. Le « Livre » nouveau mais implicite, cité
par la vulgate (livre évoqué en Q5/48 et Q5/49), nécessaire à la fondation de la législation, se doit
de récupérer au moins implicitement « le Livre juif » et « le Livre chrétien » sans les nommer. Cette
thèse permet d’envisager le flou sémantique sur ce que désigne « le Livre ».178 Une autre façon
d'envisager le problème de l'indifférenciation du « Livre » est de considérer le rasm ktb comme
« l'écrit de l'Alliance », par opposition à « la lecture de celle-ci » (le qeré), comme en araméen biblique
le ketav s'oppose au qeré. Une autre solution serait de le considérer comme le Testament de l'Alliance,
l'Écriture du contrat humano-divin. « Ces Arabes qui n'ont pas de livre et donc n'ont aucun chemin
pour nous contraindre. » Le mot ici réellement présent est qyama et il signifie « Alliance ».

Le mot kalima pourrait-il désigner la Loi divine ? Cette « parole » (selon certaines
traductions), ce « verbe » (selon d'autres) furent « perpétués [depuis Abraham] parmi sa
descendance » qui aboutit à Marie. Selon les versets Q3/45 et Q43/28, « il en fit une kalima qui
devait se perpétuer parmi sa descendance ». Cette divine parole est qualifiée de sabaqat (Q37/171,
Q42/14, Q41/45).

Ce terme a le sens de « préalable » en arabe, mais un sens de « libération » pour l'araméen.179


L'étymologie du mot kalima, proposée par Pierre Perrier, est la suivante. Le préfixe araméen kel, en
arabe comme en araméen, signifie « la totalité, l'universalité, la globalité », et le ya arabe ou yod
araméen de ce mot renvoie à yamina, « le sud, la droite ». Ainsi, ce mot kalima désignerait la Parole,

175. « Le sein d'Abraham s'ouvre à tous ceux qui, comme le pauvre Lazare, ont gémi dans les douleurs ; là
sont étalés mes riches trésors ; là s'élève la Jérusalem céleste, heureuse patrie des premiers-nés de mon Père ;
là vous offre un abri la douce région des cœurs pacifiques. "Venez tous à Moi et Je vous soulagerai" ; car
dans ces lieux charmants tout est repos et liberté, tout s'éclaire de la lumière de Dieu ; point d'esclaves, point
de tyrans ; point de péchés, point de remords ; tout y brille d'un pur éclat, tout y est inondé d'ineffables
délices. »
176. Danielou propose trois types de judéo-chrétiens : ceux qui admettent Jésus comme Messie sans
admettre sa divinité, le groupe de Jacques (Nazaréens) et un groupe de pensée chrétienne apocalyptique.
177. SU-MIN-RI Andreas, Caverne des Trésors, Commentaire de la Caverne des Trésors, Étude sur l'histoire du texte et
des sources. Séries : Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 581 Corpus Scriptorum Christianorum
Orientalium, Subsidia, 103 Peter Publisher, 2000. p. 173.
178. Saint Éphrem de Syrie, dans ses hymnes sur la nativité et sur le Paradis, parle du Livre caché, « Car en
cette Arche était caché le Livre qui parle haut et clair du Vainqueur ».
179. « Permettre ».Com. Ezra6:7 : v‫ ְשֻׁבקוּ ַלֲﬠִביַדת ֵבּית־ֱאָלָהא ֵד‬. OS MtCur13:30 : *-=+ /=JP‫ ܐ‬D&$‫ ܪ‬,K,<H
/‫ܕ‬FJI laisser grandir jusqu’à la moisson P Nm20:21 : M-,14$ .<;3I T@.N@‫ ܐ‬C%<̈I _<)3I. BT BQ 60b(32)
: ‫ פתח למימר שמע׳ לא שביק ליה מר פתח למימר אגדתא לא שביק ליה מר‬. (a) « pardon » Qumran, JLAtg, Gal, PTA,
Syr.
la guidance parfaite et universelle, totalement « à la droite d'Allah » – racine fréquente pour Jésus. Une
utilisation de ce terme pour signifier « vérité » est signalée dans le dictionnaire d'araméen de
Qumran (‫&ܝ‬#ܼܿ‫ ܸܐ‬+)ܽ(). Ce vocable se rapporte toujours à Jésus ou à Dieu. L'abondance du vocabulaire
coranique dénonçant le refus de la prophétie se réfère souvent à Jésus. La sourate 48, qui désigne
les « croyants », précise son référentiel : « … tu les vois inclinés, prosternés… leurs visages marqués
par la prosternation : telle est leur image dans la Torah et l'image dans l'Injil est celle d'une pousse
ferme et épaisse. » Les fidèles qui suivent Jésus seront placés au-dessus des autres et leurs cœurs
sont pleins de mansuétude et de compassion.

Ainsi, même pour le Coran, la Torah donne des lois morales (Décalogue), des lois
cérémonielles, civiles sur la famille et la société, et pénales. La loi Cacherout insiste beaucoup sur
le porc. Marcel Simon, qui fut à Strasbourg doyen de la Faculté des Lettres et directeur de l'Institut
des Sciences de la Religion, s'est intéressé à l'influence du décret apostolique sur la formulation des
interdits alimentaires de l'islam, notamment celui concernant le porc. Cette insistance est forte dans
le Coran, et ce malgré l'absence de cet animal à La Mecque.180 Les lois sur les femmes viennent du
judaïsme (allaitement, divorce), par contre, les mariages interreligieux prohibés dans le judaïsme
sont acceptés dans l'islam. Les lois sur le vin durant la prière sont judaïques. Le mode de prière est
puisé aux sources talmudiques, le Talmud suggère en effet de remuer les lèvres et de préférer la
prière en congrégation. Mais il puise aussi dans le montanisme syriaque.181.La loi de la circoncision
est hautement valorisée même si aucune mention n'en est faite dans le Coran, ce décalage s’explique
par des transferts de traditions et rites sans assimilation de la doctrine fondatrice. La circoncision
scelle dans le sang le pacte éternel des commandements, cette Alliance est conclue avec Israël
(Isaac), la Loi du Talion est vantée (Q2/178).

Le Coran ébauche aussi un droit pénal et en présente de longues dissertations détaillées182


– ce que s'interdit l'Évangile. Le châtiment des incroyants n'est pas seulement post-mortem dans le

180. A ce propos, le thème eschatologique islamique de la destruction des porcs par Jésus peut provenir de
l'épisode évangélique du suicide des cochons possédés.
181. Cf. ANDRAE Tor, OIC et WENSINCK.
182. Tout cela s'appuie sur les travaux de John Burton sur les règles d'héritage, les droits des veuves ou
encore la lapidation des adultères, et sur ceux de David Powers sur le droit d'héritage. Il faut citer aussi celui
de Harald Motzki sur les muḥṣanāt/muḥṣināt (Q4/24-35), l'analyse de Gerald Hawting des droits de la femme
répudiée pendant sa « période d'attente », ou encore l'examen fait par Patricia Crone du mot coranique kitāb,
dans l'occurrence négligée du verset Q24/33, ayant le sens de « contrat de mariage ». Tout cela tend à
montrer que, moins d'un siècle après le temps originel du Prophète, certains aspects importants du droit
étaient devenus non seulement non-coraniques (comme le disait Schacht) mais parfois carrément anti-
coraniques. Dans tous ces cas étudiés, l'impression générale est que les exposés coraniques, ou ceux attribués
à Muḥammad, étaient négligés et/ou que leur mise en pratique était abandonnée. Pourquoi ? La raison peut
être, par exemple, la finalisation tardive et non-consensuelle du Coran, mais elle peut tout aussi bien être
l'usage massif de l'opinion personnelle du juriste qui, ainsi, ne tirait aucun argument du Coran. Plusieurs
éléments rabbiniques apparaissent, selon Abraham Geiger (What did Muhammad borrow from judaïsmThe origins
of the Koran, Edition Ibn Waraq, p. 165), selon Sami Aldeeb (Coran chronologique) et selon Haï Bar-Zeev (Une
lecture juive du Coran). « Les enfants ne doivent pas obéir à leurs parents quand ceux-ci leur demandent de s'associer au
Malin » (Jebhamoth 5I), est semblable au verset coranique 29/7 : « Et nous avons enjoint à l'homme de bien
traiter ses père et mère, et si ceux-ci te forcent à M'associer, ce dont tu n'as aucun savoir, alors ne leur obéis
pas. » L'injonction (Q4/43) : « Les croyants ne doivent pas prier quand ils sont ivres, impurs ou quand ils
ont touché des femmes » ; toutes ces restrictions se retrouvent dans Berakhot 31-b, Erubin 64, Berakhot
25-a, 28-a. L'aphorisme Q10/12 et Q3/191 sur la position des prières ‒ « Les prières peuvent être dites
debout, en marchant, ou même en chevauchant » ‒ est semblable à Berakhot 28-b. « En cas d'urgence, les
dévotions peuvent être abrégées sans commettre de péché » (Mishna Berakhot 29-b) se retrouve au verset Q4/101. La
façon de réciter (Berakhot 15-b, 25-, 27-b [heures des trois prières]) existe dans le Coran. « Les ablutions
rituelles » prescrites par le verset Q5/6 sont comparables à celles exigées dans Berakhot. Pour les versets
Q4/43 et Q5/6, « la purification par le sable est admise quand il n'y a pas d'eau disponible », et, pour le
Talmud, celui qui « se purifie avec du sable en fait assez » (Berakhot 46). « Les prières ne doivent pas être trop bruyantes »
Le verset Q17/110, postulant que « Les prière ne doivent pas être trop bruyantes », rejoint Berakhot. Le
Coran. La crucifixion était largement en cours sous l'Empire omeyyade.183 Le droit pénal est détaillé
en long et en large. Ainsi, le remplacement de la lapidation par le fouet s'est opéré déjà dans le
judaïsme, et le Coran a suivi de près cette évolution rabbinique. Les traditions n'ont pas forcément
suivi ces évolutions textuelles. Plusieurs philologues, dont Nicolaï Sinaï 184 , montrent que les
traditions légales s'écartent depuis le début des déclarations coraniques. Ainsi, le verset Q2/282
semble affirmer l'importance de l'écrit dans une reconnaissance de dettes, mais la tradition juridique
ne l'applique pas. Le verset Q24/2 demande la flagellation pour la fornication, alors que la
lapidation aurait été appliquée par Muḥammad pour ce crime - si on se réfère au hadith attribué
à Ubay ibn Ka'b, rapporté par Ibn Ishaq, Ibn Hanbal, Bukhari, Muslim, Tabari. Patricia Crone dit
que les cercles qui diffusent le Coran sont différents des cercles qui diffusent les Lois.185

La plupart des proto-musulmans ne connaissaient qu'une partie du Coran – voire des


fragments –, même les premiers exégètes ne disposaient que sur des fragments épars, au vu des
incohérences flagrantes par exemple entre la loi coranique et la loi en usage. Les versions complètes
de la Vulgate seraient du VIIIe siècle, les primo-musulmans n’avaient accès qu’à des fragments de
textes en arabe. Ces derniers sont composés de reformulations de foi conventionnelles et de tropes
bibliques, filtrés par la conscience collective et exprimés dans des idiomes propres aboutissant à
l'émergence de traditions populaires.

Considérons pour exemple les préoccupations de la sourate 2 sont bien connues des lois
du Talmud186 . Si certaines préoccupations coraniques sont communes avec les lois talmudiques

verset Q1/228 prescrit que « les femmes répudiées devront attendre un délai de trois mois avant de pouvoir
se remarier » ‒ Mishna Jebamoth 4-10 et Talmud Niddah 8-b, puis Talmud Ketoubot 61-b contiennent la
même loi.
183. SEAN W Anthony, Crucifixion and Death as Spectacle, Umayyad Crucifixion in Its Late Antique Context
American Oriental Series - AOS 96, 2014.
184. SINAÏ Nicolaï, When did The Consonantal skeleton of the Quran reach closure ? Bulletin of the School of
oriental and African Studies, 2014, p. 273-292.
185. CRONE Patricia, Two Legal problems bearing on the early history of the Quran. Jerusalem Studies of Arabic
and Islam 18 1-37, 1994.
186. « Les degrés de parenté » à l'intérieur desquels les mariages sont permis par les versets Q2/233 et Q31/14
sont empruntés au Talmud Ketoubot 61-a ; « qu'une femme allaite son enfant pendant deux ans ».
Talmud Ketoubot 61-a : « Vos épouses sont pour vous un champ de labour » (Q2/223) – les vœux et relations
charnelles voir Talmud Ketoubot 61-b. « Si l'homme fait un vœu il doit soit divorcer, soit révoquer son vœu » (Mishna,
Ketoubot 5:6). « Pour ceux qui font le serment de se priver de leurs femmes, il y a un délai d'attente de quatre mois. Et s'ils
reviennent (de leur serment) celui-ci sera annulé » (Q2/226), inspiré de Talmud, Ketoubot 61-b ; « Et les femmes
divorcées doivent observer un délai d'attente de trois menstrues » (Mishna, Jebamoth et Talmud, Niddah 8-a et 8-b)
semble repris dans Q2/228 : « Et les femmes divorcées doivent observer un délai d'attente de trois menstrues ; et il ne leur
est pas permis de taire ce qu'Allah a créé dans leurs ventres. » Le Talmud Ketoubot 6 a étudié toutes ces questions
des menstrues et du divorce, préoccupations omniprésentes dans les traditions islamiques. Les règles de la
femme sont également un sujet de préoccupation partagé par Berakhot 22-a, Lévitique 15:19 et Coran
Q2/222. Les longues dissertations sur les cheveux de la femme viennent de Ketoubot 72. La flagellation,
abrogée par un verset disparu du Coran, aurait été rapportée par Omar : « Si le vieux et la vieille forniquent,
lapidez-les totalement à titre de punition de la part de Dieu. Dieu est fier et sage ! » ; ceci est emprunté au Talmud,
Sanhédrin. D'après le Talmud, « deux anges, un bon et un mauvais, accompagnent le croyant à son retour de la synagogue »
(Shabbat 119b, Ketoubot 104a, Hagigah 161). Ce verset du Coran : « L'Ange de la mort qui est chargé de vous,
vous fera mourir. Ensuite, vous serez ramenés vers Votre Seigneur » (Q32/11) semble s'en inspirer. Le verset
Q7/171 : « Et lorsque Nous avons brandi au-dessus d'eux le Mont, Comme si c'eût été une ombrelle. Ils pensaient qu'il
allait tomber sur eux. Tenez fermement à ce que Nous vous donnons et rappelez-vous son contenu. Peut-être craindrez-vous
Allah », histoire tirée d'un segment du Talmud, Abodah Sarah. Les versets coraniques Q5/6 : « Ô les croyants
! Lorsque vous vous levez pour la Salat, lavez vos visages et vos mains jusqu'aux coudes ; passez les mains mouillées sur vos
têtes ; et lavez-vous les pieds jusqu'aux chevilles » ressemblent à Exode 30 :18-21. Cependant, la suite du même
verset : « Et si vous êtes pollués alors purifiez-vous ; mais si vous êtes malades, ou en voyage, ou si l'un de vous revient du
lieu ou il a fait ses besoins ou si vous avez touché aux femmes » est similaire aux préoccupations de Berakhot 25 a.
Le verset se termine par : « Et que vous ne trouviez pas d'eau, alors recourez à la terre pure » et vient du Talmud,
des divergences notables et adaptations pratiques apparaissent. Ainsi, les lois de la Cacherout sont
réduites au minimum, par pragmatisme, le chameau devient autorisé 187 . Joseph Schacht 188
explique que les lois ne dérivent pas du Coran, mais encadrent des pratiques déjà populaires sous les Umayyades
et peuvent diverger totalement du Coran. Pour lui, toute tradition légale du Prophète est
inauthentique. C'est Shafi’i ( 8ème siècle) et non le Coran, qui commence à prôner l'imitation du
Prophète comme pièce de la Sunna. Dès lors, les ordres supposés de ce dernier deviennent égaux
à ceux de Dieu.

Par contre, sur le fond métaphysique, les textes du corpus délivrent un message inflexible
quant à l'application du décret éternel ; il n'y a aucun interstice entre le temps et l'éternité, les
événements sont entièrement liés au décret transcendant. Le concept de kitab est intrinsèquement
lié à la notion de farḍ, précepte imposé. Pour la dominante du kalam musulman, la toute-puissance
de Dieu se manifeste par l'anéantissement du monde. La destruction des cités suit toujours des
« ordres » d'Allah. De nombreuses occurrences de ce mot sont puisées depuis Daniel, où ce terme
est associé à l'holocauste et à la destruction militaire, à l'ordre royal. Le mot ‘Amr,189 « ordre » ou
« décret divin », est très prisé par le Coran et c'est un terme biblique utilisé dans Daniel. Les
premiers croyants sont sentis impliqués dans la recréation de l’ordre au moment de
l’accomplissement des scénarios apocalyptiques. Des pièces de monnaies califales arborent
d’ailleurs, le titre wali de l'’amr, « protecteur du Décret ».

En résumé, les auteurs du corpus coranique acceptent volontiers les données de fond de la
Révélation de l'Ancien Testament, mais ils ne se sentent pas engagés par certains commandements f,
comme celui du Sabbat, que les juifs auraient « inventé ». Le Coran cite et maudit bien les
profanateurs du Sabbat, mais il s'en dissocie et préconise un autre jour, celui du vendredi (sourate
62), comme jour de la prière. Cette autonomisation suit celle d'Ismaël – considéré comme un des
« Gentils » –, fils d'Abraham, premier circoncis mais non élu. L'islam semble se caler intégralement
sur le schéma biblique, mais en effectuant la fameuse substitution d'Israël par Ismaël, et nous en
reparlerons 190.

Berakhot 15-a. Enfin, le verset Q2/187, relatif au Ramadan et prescrivant le Jeûne à accomplir jusqu'à la
nuit suivante, après avoir distingué le fil blanc (de l'aube) du fil noir (de la nuit) – voir Talmud, Berakhot 9a.
187. La viande de chameau interdite dans le judaïsme devient autorisée par la nouvelle communauté. Les
versets Q6/111, Q4/160 et Q3/93 évoquent la Cacherout.
188. SCHACHT Joseph, The Origins of Muhammadan Jurisprudence (1950) p.30-100, p. 149-163, OXFORD.
189. Dn 5. 29 : « Alors Belshassar ordonna [’amar] de revêtir Daniel de la pourpre… » ; Dn 6. 17 : « Alors
le roi ordonna [’amar] d'emmener Daniel… » ; Dn 6. 24 : « et il ordonna [’amar] de hisser Daniel hors de la
fosse » ; Dn 6. 25 : « Le roi ordonna [’amar] d'amener ces hommes. »
190. Le Livre des Jubilés souligne bien qu'Ishmaël n'est pas l'Élu. Le rite institué par Abraham de la
Célébration des Tabernacles est décrit ici et ressemble par bien des points au rite islamique. « Et nous
reprîmes notre chemin et nous annonçâmes à Sarah tout ce que nous lui avions dit et ils se réjouirent
ensemble de très grande joie. Et il construit là un autel au Seigneur qui l'avait délivré et qui l'a fait se réjouir
dans le pays de son séjour et il célébra 7 jours une fête de joie dans ce mois près de l'autel qu'il avait construit
au puits du serment. Et il construit des cabanes pour lui et ses serviteurs à cette fête et il fut le premier à
célébrer la Fête des cabanes sur la terre… Et durant ces 7 jours il apportait chaque jour sur l'autel une
offrande au feu, au Seigneur, de 2 bœufs, 2 béliers, 7 moutons et un bouc en sacrifice du péché pour faire
expiation pour lui et pour sa semence, et une offrande de remerciement de 7 béliers, 7 petits, 7 moutons et
7 boucs et leurs offrandes de fruit et leurs offrandes de boisson, et il brûla sur l'autel un sacrifice de choix
pour le Seigneur, toute la graisse, comme une douce saveur odorante… Et pour cela il n'y a pas de limite
de jours, car cela est ordonné à toujours concernant Israël, qu'ils doivent la célébrer et loger dans des cabanes
et placer des guirlandes sur leurs têtes et prendre des branches feuillues et saules du ruisseau. Et Abraham
prit des branches de palmiers et le fruit de bons arbres et tournait chaque jour autour de l'autel avec les
branches, 7 fois [par jour] le matin il louait et remerciait avec joie son Dieu pour toutes choses.
Le traitement différentiel des mariages mixtes entre judaïsme et islam mérite attention. Syed
Abu-Ala 'Maududi, dans La signification du Coran191, souligne que « les juifs du Hedjaz en matière de
langue, de vêtements, de civilisation et de mode de vie avaient complètement adopté l'arabisme,
même leurs noms étaient arabes. » Et, poursuit-il : « Ils se sont même mariés avec les Arabes. Ce
mariage entre Juifs et Arabes, par exemple entre les familles de Quraish ('Abd Manaf) et les femmes
juives est bien documenté. » Les Juifs du Sud de l'Arabie parlent un dialecte judéo-arabe et ont des
noms arabes.192 Ben Abrahamson193 signale le mariage entre une famille rabbinite liée à l'Empire
sassanide et les tribus Quraish dont serait issu Muḥammad. Le judaïsme touchait l'Arabie
méridionale, le royaume Himyarite.194 « Les Arabes (en particulier autour de Yathrib) observaient
une forme limitée du judaïsme. Bien que non considérés comme Juifs par Babylone et d'autres
communautés orthodoxes, ils ne voyaient pas de problème avec les mariages mixtes et
n'éprouvaient pas le besoin de se convertir ». Le Calife a dû composer avec un tissu social et
religieux très complexe. Certains Arabes du proto-islam parlaient aussi le perse, fêtaient des
festivités perses. Des chrétiennes monophysites ou nestoriennes étaient mariées à des Perses. Les
deux principales épouses de Khosro II sont des chrétiennes : Maria, princesse byzantine, et Chirîn,
une araméenne sont de confession monophysite.195 Dans l'armée d'Héraclius des Arabes et des
Arméniens monophysites combattaient ensemble. Le syncrétisme du Coran exhibe un tissu
complexe d'identités et d'allégeances. La marque de la culture iranienne et zoroastrienne et son
interaction avec le public destinataire de textes du corpus est très nette ; ainsi la figure du héros
perse, Wahram Warjawand, revenant d'Inde avec cent éléphants pour détruire ses ennemis a
certainement des échos au sein de la sourate « L'éléphant ».196 Ces reprises de motifs prouve cette
grande interactivité des cultures.

L E SABĪLI L LĀHI

Les œuvres selon Le Coran, sont nécessaires. Elles sont nommées « dépenses pour le
sentier d'Allah ». Le thème du « sentier d'Allah » (sabīli Llāhi) est intéressant car l'une des
dénominations du christianisme primitif est, au dire des Actes des Apôtres, « le chemin ». Ce terme
est utilisé six fois dans la Peshitta, puis dans Marc 5,26 ; Héb 5,8 ; 2 Tim 2,9 ; 1 Cor. 13,7 ; Act
9,13 ; Pierre 3,17. Cette appellation se moule sur Isaïe 40, 3 qui demande aux exilés de préparer le
chemin du Seigneur. La préparation de ce sentier par les exilés est un thème important du Coran.
La racine araméenne est utilisée par désigner celui qui ouvre des chemins vers les sources d’eaux
vives 197 et la notion de porter, supporter.198 Le mot araméen « joug » employé par Jésus ressemble
de très près à la notion de sabil ( du syriaque shbilô, la voie), « sentier d'Allah », nous sommes encore
ici dans un contexte d'Alliance-joug de la Torah. Cette racine araméenne porte aussi une note de
nuptialité, donc sentier d'Allah et effort pour entrer en Alliance avec Allah sont synonymes.199 Où
mène ce sentier, que contient cette praxis ? Mène-t-il au Mont Hira, au Mont Sinaï où ailleurs ? Le

191. http://quran 411.com/quran/quran-tafseer-maududi.pdf


192. NEWBY Gordon, History of the Jews of Arabia, p. 55, 1988.
193. BEN ABRAHAMSON and KATZ, The persian conquest of Jérusalem in 614 CE compared with islamic conquest
in 638. Its messianic nature and the role of the jewish exilarch. 2004.
194. L'Empire Byzantin a utilisé l'Éthiopie pour liquider un roi du royaume d'Himyar, qui était de religion
juive et qui persécutait les chrétiens.
195 RENÉ GROUSSET, L’Empire du Levant : Histoire de la question d’Orient, Paris,
Payot, coll. « Bibliothèque historique », 1949 (réimpr. 1979), p. 84.
196. Des éléphants participaient aux guerres perso-byzantines et expliquent cette présence au sein du corpus
coranique.
197. D&B<H chemin Syr. Rev 7:17 : * ̈ 4ܵ%ܵ&+ܿ =@‫* ܘܨ‬
̈ &ܵ-ܿ ‫ ܕ‬8 ̈ &1ܿ =@‫ܢ ܨ‬,ܿ:‫ ܐ‬T<)ܿ :‫ܿܘ‬
ܼ ܼ ܼ ܸ ܼ ܼ ܸ ܸ ܼ ܼ
198. ‫ָסֵביל‬porter Qumran, JLAtg, Gal, PTA, CPA, Sam, Syr, LJLA. TgJ Is46:7 : ‫ָנְטִלין ֵליה ַﬠל ַכתֵפיהוֹן ָסְבִלין ֵליה‬
‫ וַֻמְחִתין ֵליה ְבַאתֵריה‬. SamTgJ Gen21:18 : ‫קומי סבלי ית רביה‬
199. « Il nous enseignera les voies qu'il a prescrites, nous suivrons ses sentiers. Car de Sion viendra la Loi,
et de Jérusalem la Parole de l'Eternel. » (Isaïe 2,3)
Mont Sinaï est cité explicitement (Q52), le Mont Thabor est très présent dans le Coran mais en
sous-strate. La sourate 84 reconstruite par Lüling dit : « N'est-ce pas celui à qui on a donné le livre
et qui vit Dieu ; il fut convié au Tabor » (thā bā rā).200 Nous y reviendrons.

Le Coran, comme le Nouveau Testament201, préconise la bienfaisance envers le captif, le


pauvre, le proche, le voyageur. Le musulman doit pratiquer la concorde, l'impartialité, la piété, la
maîtrise de soi, la mesure dans la dépense, la modestie, la politesse, la patience, la maîtrise de soi.
La patience dans les épreuves est exaltée, « Endure ce que ton Seigneur a décrété » (Q76/24) et le
refuge est bien dans le Seigneur, « Je ne trouverai refuge que dans mon Seigneur » (Q72/22).

En islam, les fautes ne sont pas seulement causées par des actes, mais aussi par des paroles.
Ainsi, dans le Coran (Q24/15), la médisance est explicitement tenue pour une faute majeure : « En
colportant de votre langue et ne disant de votre bouche ce dont vous n'avez nulle connaissance.
Vous comptez cela pour bénin, alors que devant Allah c'est immense » (trad. Blachère). Le terme
de « médisance », ghiba, dérive en arabe de ghayb qui désigne l' « absence », puisqu'il s'agit, en
l'occurrence, de médire de quelqu'un lorsqu'il n'est pas présent. Une sentence arabe demande de se
méfier de ce type de propos et de ceux qui les colportent, puisque : « Celui qui te parle d'autrui,
leur parlera aussi de toi ! » 202 Toute calomnie, surtout celle prononcée à l'égard d'un mort, est
assimilée par le Coran (Q49/12) à un acte anthropophagique : « O vous qui croyez ! Évitez de trop
conjecturer sur autrui ! Certaines conjectures sont des péchés. N'espionnez pas ! N'intriguez pas
les uns contre les autres ! L'un de vous aimerait-il à manger la chair de son frère mort ? Vous l'auriez
en horreur !» (trad. Blachère). Le musulman doit donc savoir « maîtriser sa langue » (‘aqd al-lisān),
selon l'expression arabe. Cette recommandation se retrouve dans le droit islamique : « Le fidèle
doit surveiller son langage, en ne prononçant ni paroles obscènes, ni blâmables, ni méchantes. »
Les paroles sont considérées comme aussi nuisibles que les actes. Semblablement, un proverbe
arabe met en garde contre la puissance destructrice de la parole que chacun porte en soi : « Ta
langue est ton lion » (lissanuka assaduka).  Saint Jacques insiste beaucoup sur le lien entre piété et
maîtrise de la langue. Le rabbinisme dit : « La mort et la vie sont le pouvoir de la langue. »

L'héritage de la terre203 va aux bons serviteurs, comme le signale le verset Q21/105 à ceux
qui obéissent et œuvrent « prenant le sentier d'Allah ». Ainsi, comme le Nouveau Testament, la foi
seule ne suffit pas. Les œuvres et l'investissement actif sont nécessaires. Le kalam centrera sa notion
de péché sur les valeurs d'obéissance et de désobéissance à portée d'imputation juridique, mais le
sentier d'Allah coranique peut être lu comme une praxis.

La loi se fait écho de la parole d'origine décrétée divine, fixée dans le Coran. Selon Corinne
204
Fortier , à chaque obligation correspondent des dérogations conditionnées par la nécessité

200. Dans Al-Azraqi Aḥbar Mecca, edition Wustenfeld I p. 130, selon Lüling, p. 235, on trouve l'expression
« ašriq ṯabir kaima nughir ». « Nughayyar » a aussi le sens de transfigurer et se trouve dans la traduction arabe
de 1 Corinthien 15. « Brille Thabor afin de nous transfigurer. »
201. « Mes frères, que sert-il à quelqu'un de dire qu'il a la foi, s'il n'a pas les œuvres ? La foi peut-elle le
sauver ? Si un frère ou une sœur sont nus et manquent de la nourriture de chaque jour, et que l'un d'entre
vous leur dise :"Allez en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous" et que vous ne leur donniez pas ce qui est
nécessaire au corps, à quoi cela sert-il ? » (Jacques 2, 14-16).

203. Q24/55 : « Dieu a promis à ceux d'entre vous qui ont cru et fait les bonnes œuvres qu'Il leur donnerait
la succession sur terre comme Il l'a donnée à ceux qui les ont précédés. Il donnerait force et suprématie à
leur religion qu'il a agréée pour eux. »
204. FORTIER Corinne, Soumission, pragmatisme et légalisme en islam. Topique 2003/4 (n°85). « Le
terme de sharîa (shari’a), qui désigne la loi islamique, révèle l'indistinction entre le juridique et le religieux
puisqu'il renvoie à la fois au droit et au dogme. Une telle vision légaliste du religieux explique le pragmatisme
des normes de comportement auxquelles les musulmans doivent se conformer. En témoigne l'injonction
(darûra). Selon cette auteure, « le principe juridique (qa‘ida fiqhiyya) "nécessité fait loi" (ad-darûrat
tubîhu al-mahzûrât) », trouve sa source dans le Coran (Q6/119) : « Il a détaillé ce qu'Il vous a
interdit sauf en cas de nécessité. » Le Prophète a lui-même préconisé l'usage des dérogations aux
règles puisqu'elles sont, comme les lois, créées par Dieu. Aussi, d'après un hadith, est-il méritoire
d'en user : « Dieu aime que l'on pratique ses dérogations autant que les obligations qu'il a
prescrites.205 Un principe juridique établit en outre qu'« à l'impossible nul n'est tenu » (at-ta‘adduru
musqitun li l-taklîf). Conséquemment, il est juridiquement admis que « L'impossibilité peut rendre
caduques certaines obligations religieuses (al-mashaqqatu tajlibu at-taysîra), c'est-à-dire que
lorsqu'une règle juridico-religieuse est trop difficile à mettre en application, elle peut légitimement
être abandonnée. »
Une racine rare206 signifie « légiférer » et renvoie à Noé. Viviane Comerro207 voit un lien très
fort entre Muḥammad et Noé, et elle s'appuie sur les commandements alimentaires et sur les lois
relatives à la pratique des jugements (se référant à une juridiction communautaire liée à la Torah
ou l'Injil) de la sourate 5.

Les ambiguïtés du texte coranique ont très tôt bloqué les juristes. Shafi’i, en 820208, est le
premier juriste qui a écrit des traités de jurisprudence et il a consacré une grande partie de son
œuvre à la clarification – théorie du bayân (interprétation). Il conclut à la nécessité de développer
des outils méthodologiques et des principes (usûl al-fiqh). Il faut signaler aussi les réinterprétations
très précoces effectuées par Umar b. al-Khattab concernant les lois d'héritage, la prière nocturne
du Ramaḍan, la distribution des butins et la libération du statut des esclaves ayant mis au monde
des enfants de leur maître. Quiconque observe la Loi révélée par le Coran sera récompensé et
quiconque l'enfreint sera châtié. En Islam, nous dit le Dictionnaire du Coran, chacun des messagers
est porteur d'une sharîa particulière adressée à lui et sa communauté. Cette conclusion qui s'impose
à la lecture du verset 48 de la sourate 5 a bien gêné les théologiens-légistes car elle compromet
l'universalisme de la révélation.209

UNE FOI , DES LOIS

Les lois théologales 210 coraniques sont simples : « croire en Allah et au Jour dernier »
(Q2/62), « obéir à Allah et son Messager », « Ne rien associer à Allah ». Le culte prescrit est décrit à
la sourate 112, très sommairement et uniquement par opposition aux deux monothéismes
précédents. Geiger211 conclut que les thèses de la Création, de la Rétribution, du Jugement dernier
et de la Résurrection, ainsi que le mode de révélation et la doctrine des anges, semblent empruntés
intégralement au judaïsme. G. Gobillot 212 établit d’intéressants parallèles entre les thèmes bibliques
et ceux du Coran. Ce culte du monothéisme « pur », à la sourate 109 (vs. 1-2), joue avec les mots

différente en regard du christianisme relativement à la conduite à tenir envers autrui ; alors que la Bible
exhorte l'homme à aimer son prochain comme lui-même (Lv 19,18), l'interprétation rabbinique limite aux
seuls juifs ce principe, l'islam exige, tout d'abord, d'aimer ses parents. »
205. Allâh yuhhibbu an tu‘ta rûkhasuhu kama yuhhibbu an tu‘ta far‘iduhu. Wensinck et Mensing, 1943,
t. 2, Ahmad ibn Hanbal.
206. « šara‛a lakum mina d-dīni ».
207. COMMERRO Viviane, La nouvelle Alliance, Arabica, Tome XLVIII 3. Brill NV Leiden, 2001.
208. SAEED Abdullah, Reading the Qu’ran, in the twenty-First Century, p.85. Routledge.
209. Dictionnaire du Coran, p. 819, Sharîa.
210. Mot à moduler car il n'y a pas de connaissance d'Allah. Le vocable sami‛nā, et ses dérivés, apparait 200
fois, l'écoute et l'obéissance sont étroitement liées en langage biblique.
211. A. GEIGER, What did Muhammad borrow from judaïsm ? Classic Essays on Islam’s Holy Book Ed Ibn
Waraq, 1995, p. 165-223.
212. G. GOBILLOT : « Exemple de références bibliques dans le Coran : les héritiers de la terre », Le Monde de la
Bible, ebook Bible et Coran. Bayard Presse. , 2014.
pour s'opposer à un groupe sur l'objet de l'adoration : « Ô vous les infidèles ! Je n'adore pas ce que
vous adorez… »

Le tawḥid et l'unicité de Dieu sont opposés de façon systématique à la profession de la


Trinité et la sourate 112, notamment, proclame une doctrine anti-nicéenne. Cette notion de tawḥid
est empruntée à l'Eglise éthiopienne (taweedo).213 C'est le dogme principal de l'Eglise d'Ethiopie, qui
par ailleurs pratique la circoncision et la lecture du Cantique des Cantiques, le Samedi saint, comme
les juifs à Pessah. Le Coran énumère les bonnes actions : ordonner ce qui est bien (al amr bil maruf)
et interdire ce qui est mal (Q9/71), aider les orphelins et les pauvres, se purifier l'âme (Q87/14).

Le verset Q42/11 affirme : « Il n'y a rien qui lui ressemble », en parlant de Dieu. Ce texte
se positionne à l'opposé de l'affirmation de la Genèse : « à son image ». Ce positionnement doctrinal
semble inconnu à l’époque d’Al Ma’mun214 lors de la disputation ayant eu lieu avec le clerc Melkite.
Le hadith « alaqa llāhu Ādamaʿalā ṣūratihi » en témoigne.

La foi est valorisée ; mais de quelle foi s'agit-il ? Car même le Diable croit en Allah. Saint
Jacques dit également que les démons croient en l'existence de Dieu et de Jésus, mais cette simple
croyance ne les rend pas dignes du Royaume de Yahvé. Ils n'ont ni les œuvres dignes, ni un cœur
obéissant. Cette allusion a-t-elle des échos lorsque le Coran évoque la foi des djinns ? La sourate
72 décrit la foi des démons et ceux d'entre eux qui « n'associent pas » ; il y a deux catégories de
djinns, les « soumis » et les révoltés.

L'unité de Dieu est rappelée sans cesse. Cependant il est impossible d’affirmer que le Saint-
Esprit n’est pas présent, il est évoqué 19 fois explicitement et, implicitement, 57 fois, sous la
traduction « vent ». Le vent et l'Esprit partagent le même squelette de consonnes. En outre, des
traces de pluriel hébreu Élohim est le pluriel royal (un pluriel de majesté, équivalent du « Nous »
de majesté en langue française215) ressemble phonétiquement à l’invocation, Llāhumma aux sourates
Q3/26, Q10/10, Q8/32, Q5/114, īsā bnu maryama Llāhumma rabbanā. L'invocation porte une
marque du pluriel. L'expression mālika l-mulki (Q3/26) est quant à elle la translittération exacte
d'hymnes orientales invoquant Jésus en tant que Roi des rois. Le Saint-Esprit est accompagné de
Jésus dans la plupart des cotextes, signifiant qu'en Jésus se produit une révélation pleine (comme
le confirme la personnification du Verbe en Jésus). De nombreuses occurrences sont camouflées
sous des traductions variées de mot rūḥu associé parfois avec l’ange Gabriel (Q19/17). Le mot est
parfois traduit par âme (Q4/171216 un souffle (de vie) venant de Lui), inspiration, l’Esprit : « l'Esprit
est le Verbe de mon Seigneur217 ou Le Saint Esprit (Q2/253).

Cette conception de l'Esprit envoyé sur les serviteurs serait, selon l'équipe allemande
d'Inarah, le propre d'un christianisme pré-nicéen proche du monarchianisme.218 C'est aussi une

213 . OHLIG Karl-Heinz, PUIN Gerd-R., The-Hidden-Origins-of-Islam-New-Research-into-Its-Early-History.


Prometheus Book, 2009.
214. Mémoire de Mr l’Abbé de TROGOFF. ICT. Le ‘Isa musulman et le Jésus chrétien à partir de la traduction de
la controverse entre Abu Qurrah évêque melkite de Harran en Syrie et le Calife Al Ma’mun. 2016.
215. Encyclopaedia Judaica : La forme plurielle Elohim est utilisée non seulement pour indiquer des dieux
païens (Exode 12:12; 18:11; 20:3) mais aussi un 'dieu' païen individuel (Juges 11:24; 2 Rois 1:2 ff) et même
une déesse (1 Rois 11:5).
216 . Wa-kalimatuhū ’alqāhā ’ilā maryama wa-rūḥun ‘alqaha
217. ’ani r-rūḥi quli r-rūḥu min ’amri rabbī (Q17/85).
218 . OHLIG Karl-Heinz, Syrian and arabian Christianity and the Qur’ân : « Le monarchianisme est la
conception divine de la plupart des chrétiens de cette époque : le logos éternel, sortant de Dieu le Père,
révélé en Jésus-Christ, et non une seconde personne divine préexistante. Par la suite, dans le cadre du
développement théologique du christianisme, et dans l'idée de maintenir l'unité divine (la monarchie), le
monarchisme fait des trois Personnes divines différents modes ou aspects du Dieu unique, plutôt que trois
caractéristique de certains mouvements judéo-chrétiens.219 Clément d'Alexandrie décrit le Logos et
les anges comme une seule chose. Origène, en dépeignant l'Arche d'Alliance gardée par les
chérubins, confondrait, selon ces auteurs, le Logos et l'Esprit. Dieu œuvre à travers des entités qui
lui sont subordonnées, la Sagesse, l'Esprit, le Verbe, parfois imagées par des anges. Une chose est
claire, l'Esprit Saint plane au-dessus du Coran, mais est évacué comme un vent indésirable. Les
commentateurs sont divisés à son sujet. Al Suddi et Kaab disent : « Le Saint-Esprit est Gabriel, et
son soutien à Jésus consiste d'avoir été son compagnon et ami, où qu'il aille, jusqu'à ce qu'il fût
enlevé au ciel. » Ibn Jubair dit : « Esprit de Sainteté (ou Esprit Saint) est le nom suprême d'Allah,
et par lequel Jésus ressuscita les morts ». Cet Esprit qui suit de trop près Jésus et Marie sera, de
façon islamique, renommé Jibril ; ce dernier sera partagé avec Muḥammad. Cependant, le texte
primitif est trop flou en l'état pour conclure quant à la nature des hérésies auxquelles il se réfère :
est-ce un judéo-nazaréisme, un monarchianisme ou un christianisme dévié par des équipes de
scribes, un arianisme ou bien un mélange de toutes ces déviations ? La présence de toutes ces idées
n'impose aucunement l'existence d'une communauté.

L'obéissance est un volet de la foi islamique mais ni l’une ni l’autre ne sont plus rattachées
à l’Esprit-Saint, aussi deviennent-ils implacables. D et M. Thérèse Urvoy évoquent des procédés
« par harcèlement et auto-exaspération », dont l'action psychologique220 va aboutir à la soumission.
Malgré toutes nos analyses, nous ne savons toujours pas à qui ni à quoi, le musulman se doit d'obéir.
Regardons quelques lignes où ces concepts sont transcrits, pour voir si la clef de lecture se
dégagerait. Il est clair que la strate inférieure évoquait certainement moins l'obéissance et le
châtiment. Cette obéissance est rattachée à la notion de verbe divin, objet de rejet des juifs.

É CRITURE DESCENDUE

La soumission est l'un des grands dogmes pour renforcer la Loi, elle apparait dans toutes
ces injonctions : « Dis à mes serviteurs… » Cette obéissance est totale et intrinsèquement liée à la
nature du Coran. Le dogme plus tardif de l'inimitabilité ou insupérabilité (i‘ jāz) du Coran est
toujours la justification pour lancer cette requête.

C’est un acte de soumission que de croire en l' « Écriture descendue ». Mais là encore,
l'imprécision textuelle floute volontairement le mot pour en accaparer la dignité tout en le
dissociant de La Bible. C’est un emprunt du judaïsme synagogal que de croire à « l'Écriture de
Dieu ». Mais cette croyance semble bien ici plus dogmatique que prophétique.

Les théologiens musulmans ne sont pas tous d'accord sur la nature du Verbe incréé –version
Coran – ; car Jésus, qui est aussi Verbe de Dieu, deviendrait lui-aussi, par voie de conséquence,
incréé, ce que récuse absolument le Coran. Razi221 soutient que le Christ n'est pas le Verbe de Dieu,
mais Ibn Hazam le soutient. Il est distingué du kalâm Allah qui lui est un attribut divin et éternel.
Les Mutazilites utilisent le verset Q3/45 pour signifier la création du Coran car pour eux défendre
« la thèse de la parole divine incréée reviendrait à soutenir la thèse de l’Incarnation ». 222 Ibn Hanbal
utilise le même verset en disant qu'il est incréé. Pourtant, même si le Coran est incréé, il n'est pas
confondu avec Dieu ; l'omniscience et l'omnipotence de Dieu ne peuvent être appliquées au Coran.
Cette double nature du Logos (verbe incréé et verbe créé) et cette non unité entre Dieu et Coran

personnes distinctes. Selon ces conceptions de l'unité divine, les monarchianistes seront amenés à s'opposer
à la doctrine orthodoxe de la Trinité, au fur et à mesure de la formation de son dogme. » (P. 140)
219. HAWTING Gerard, Has God sent a mortal as a messenger? (Q17/95): messengers and angels in the Qur'an.
The Qur’ân in its historical context 2. 2012, p. 373.
220. URVOY Dominique et Marie-Thérèse, L'action psychologique dans le Coran. Cerf, 2007. p.49.
221. THE ENCYCLOPAEDIA OF ISLAM IRAN-KHA_VOL-04_B kalâm Allah, p. 469. E. J. BRILL.
222. Dictionnaire du Coran. p.202.
explique ces déchirements internes de l'axe de l'obéissance. Faut-il obéir à Allah, à la parole d’Allah
coranique ou son verbe en Jésus ?

A propos du « Verbe » d'Allah, le mot kalima est une véritable clef pour comprendre les
strates d'écritures. Son origine araméenne pourrait renvoyer, entre autres, d'après G. Sawma, 223 à
la Loi bafouée de Dieu (Psaume 4), au « mépris de la gloire de Dieu », à l'autorité (Juge 18) et
surtout aux outrages dans Isaïe.224 C'est (systématiquement) la Divine Parole, souvent objet de rejet.
Elle a le sens de « décret », de « décision » et d' « arrêt », mais n'est pas un attribut divin, juste une
expression du « verbe ». Les savants la distinguent du kalam (Q2/75, Q9/6, Q48/15) qui serait, lui,
« le Verbe ». Pour les Mutazilites les deux notions sont confondues, la Parole est créatrice, les mots
de Dieu fondent l'essence des choses et ils appartiennent à l'éternité par leur immutabilité.

Le statut de l'écriture est particulier dans le Coran, ainsi le Coran exige explicitement et
uniquement l'obéissance au « verbe », version « Jésus » (Q43/63). Par ailleurs, le verset Q7/157, où
cette obéissance est requise, désigne visiblement Jésus, et c'est la polysémie des termes clefs du
Coran et les commentaires des exégètes qui permettent de mettre dans le flou l'esprit de tout un
chacun et d'intervertir pour substituer les Messagers. En affirmant qu'ils sont tous pareils, ce flou
s'installe. Nous remarquons, par contre, que le mot « Messager » est toujours explicite lorsqu'il
désigne Jésus puisque les deux vocables « Messager » et « Jésus » se suivent toujours. Lorsque le
Messager est Jésus, il n'y a aucune ambiguïté. Pourquoi ? Pourquoi les intervenants sur le Coran
auraient-il voulu brouiller les pistes et les esprits dans sa strate finale ? Nous pensons qu'il ne précise
pas le nom du Messager « lumineux » car c'est évident pour tous. 225 D'ailleurs, la sourate 5,
consacrée au Festin de Jésus, est claire. Le seul à détenir le pouvoir de la Table et de la Cacherout
est Jésus. Aussi, l'accomplissement invoqué en Q5/3 ne peut se référer qu'à lui. Il faut croire en
Jésus, et cette révélation est attribuée aux Apôtres226

L'aphorisme « Croyez-en Moi et en Mon messager (Jésus) », cité en Q5/111, recompose


sans doute les propos de l'Évangile : « Croyez en Dieu, et croyez-en moi. » Son but est clair, il faut
s'allier les Arabes chrétiens. 227 Ces propos sont sans doute un essai de transposition ou de
composition des Évangiles, attribué, ici, à Allah et destiné aux Apôtres de Jésus présents dans
l'auditoire. Ce stratagème de locution d'Allah aux Apôtres – « J'ai révélé aux Apôtres » – est
surprenant puisqu’il adopte le point de vue chrétien, mais il a pour but d'amoindrir les propos trop

223. SAWMA Gabriel, The Qur’ân Misinterpreed, Mistranslated and Misread, 2006. p.138.
224. Is 41. 11 (Voici qu'ils seront honteux, couverts d'outrages [kȃlam]), Is 45. 16 (Les voilà tous ensemble
honteux, couverts d'outrages [kȃlam]), Is 45. 16 (Sous les outrages [kelimmȃh] ils s'en vont, les faiseurs de
statues), Is 45. 17 (Vous, vous serez sans honte ni outrage [kȃlam], perpétuellement), Is 50. 6 (Face
aux outrages [kelimmȃh] et aux crachats).
225. Jésus a toujours été associé à la lumière, « lumière née de la lumière » dans le credo, et « lumière sur
lumière » dans la sourate 24 où Marie est saluée comme une lampe, probablement en référence à une hymne
de la célébration de ses funérailles (Dormition de la Vierge) : « Je vous salue Marie, ô colombe qui porte
l'aigle des vieux jours ! Je vous salue Marie, pure et jeune femme sacrée, ô résidence du roi céleste ! Je vous
salue Marie, verge d'Aaron ! Je vous salue Marie, la porte fermée jamais ouverte ! Je vous salue Marie,
respiration du temple du Dieu exalté ! Je vous salue Marie, tige de force et lampe de lumière éclatante ! Je
vous salue Marie, recevant la salutation de Gabriel et vie de la Maison d'Adam. » La sourate 24 souligne :
« Allah est la lumière des cieux et de la terre. À l'exemple de sa lumière, voici une niche avec une lampe, la
lampe est en cristal, et le cristal, tel un astre étincelant, est illuminé par le fruit d'un arbre béni, un olivier, ni
oriental ni occidental. Son huile brillerait même si le feu ne la consumait pas, lumière sur lumière. Allah
guide vers sa lumière qui il veut. » D'après l'abbé éthiopien Enbaqom, ancien musulman, ce verset de la
lumière évoque la Trinité. Il continue : « Le récipient dans lequel se trouve la lampe de la lampe » : « le Fils
se trouve partout où est le Père ». « Dans le verre de verre comme une étoile » : unité en nature des Trois
Personnes. L'allusion à la Vierge Marie qui ne fut pas consumée par le feu de la divinité serait l'olivier. Ce
dernier pourrait désigner aussi Abraham, Isaac, Jacob, Salomon..
226. Reprise des Évangiles : « Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. »
227. Sourate 43, verset 63 : « Craignez Allah et Obéissez-moi ». Jésus.
laudatifs en faveur de Jésus ‒ ce cas n'est pas unique dans le Coran. Dans ce rapport de paroles, on
voit en effet les Apôtres interlocuteurs et récipiendaires des paroles d'Allah, interrogés sur leur
croyance en Jésus acte de soumission (Q5/111). La même imprécision concernant le « Messager »
existe à la sourate 43 (verset 29) qui évoque un énigmatique personnage : « Jusqu'à ce que la Vérité
et un Messager leur vint et quand la vérité leur vint : "C'est de la magie évidente." » N'est-ce pas
Jésus qui est décrit ici ? Ou bien encore Moïse ?

Le concept islamique d'abrogation, lui non plus, n'est pas totalement neuf et existe dans la
doctrine de Justin,228 mais pas à l'adresse directe de Dieu ; de plus, ce concept entre en contradiction
avec des fragments coraniques eux-mêmes et notamment le verset Q43/28 (qui évoque une parole
éternelle). Les commandements, d'après Justin, ne sont pas nécessairement valides pour toujours.
Justin distingue entre deux sortes de commandements : d'une part, les préceptes naturels de la loi,
« ce qui est juste partout et toujours » ; et, d'autre part, la loi ancienne de l'Horeb, qui avait une
valeur positive et temporaire. Le vrai motif pour le don de la Torah aux juifs était de limiter leur
obstination. Ce thème biblique de l'obstination juive est bien accueilli dans le Coran.

O BÉISSANCE ET ORGUEIL

Le choix d'obéir, de s'en remettre à la volonté de Dieu (tawakkul), converge vers la figure
d'Abraham dans les trois monothéismes. L'individu qui résisterait à ce service divin, se laisserait
aller à l'un de ses penchants les plus condamnables aux yeux de l'islam, l'orgueil. Ce péché (takabbur)
est présent par plus de 40 occurrences, il est suivi de celui de la rébellion. Un hadith de Muslim
confirme la relation intime entre l'orgueil et le refus de se soumettre à la vérité islamique :
« Quiconque a dans le cœur la moindre trace d'orgueil, n'entrera pas au Paradis [...] ». En islam, la
Loi est d'origine divine et écrite (sourate 2, on vous prescrit et permet :’uḥilla, kutiba) et toute
désobéissance dérive de l'orgueil ». Cependant, à propos de cette obéissance, de quel Messager est-
il question lorsque le Coran utilise ce terme de façon générique et au singulier ? Pour répondre à
cette question, il suffit de corréler l’accusation portée sur les juifs de vouloir désobéir, à ce
personnage rejeté par orgueil.

Le Coran n'a de cesse de rappeler les récriminations injustes du judaïsme rabbinique à


l'encontre de Jésus (la magie) et de Marie (l'infamie, Q4/156, « l'énorme calomnie ») pour récupérer
la typologie chrétienne de la persécution au compte du nouveau Messager. Le dédain des juifs pour
Jésus est virulent. La sourate 6, intitulée Les bestiaux, compare les impies à des « animaux sourds et
aveugles », et traite aussi de la Cacherout excessive des juifs qui interdisent la consommation des
bestiaux « autorisés ». C'est une structure d'ironie qui condamne la lecture rivée sur la Cacherout
du judaïsme rabbinique. Cette façon de traiter un sujet est hautement ironique puisque ce sont eux,
les juifs, qui deviennent des victimes de cette ironie. Les ‘Ad qui refusent les signes de Dieu sont
maudits car ils s'enflent d'orgueil. La Cacherout est une punition divine à leur arrogance (Q4/160).
Le terme utilisé, stakbarū (« se gonfler d'orgueil »), est toujours lié à l'Enfer et à Satan.

228 . « Elles sont déposées vos Écritures, ou plutôt, non pas les vôtres, mais les nôtres, car nous nous
laissons persuader par elles, tandis que vous les lisez sans comprendre l'esprit qui est en elles. Dialogue avec
le Juif Tryphon, 29, p.142.
E- UN PACTE MOSAÏQUE RECOMPOSE

U N PACTE IDENTIQUE MAIS RENOUVELLE


Nous avons vu précédemment la méthode coranique pour présenter la nouvelle révélation
totalement fondue avec celle de Moïse. Ce Pacte politique est lié à une révélation primordiale sans
cesse renouvelée, révélation fondatrice et antique présente à la sourate 96.
Les fils d'Adam (Q7/173) seraient les premiers hommes avec lesquels Dieu aurait conclu
un pacte et, par conséquent, le caractère du monothéisme est naturel – les polythéistes n'ont donc
pas l'excuse de ne faire que suivre l'exemple de leurs pères polythéistes. Mais tout un courant de
pensée très présent dans la Tradition musulmane (sunnite comme chiite) situe ce pacte dans la
prééternité : dès avant la création du monde, l'humanité tout entière est miraculeusement tirée des
reins de son premier ancêtre et confesse la seigneurie de Dieu. Les 5 pactes de la tradition
chrétienne sont cités en résumé à la sourate Q3/33 et dans la sourate Q41/11 : Noé, Abraham,
Moïse et Jésus. La sourate Q33/7 semble ajouter un pacte :
« Quand nous fîmes alliance avec Noé, Abraham, Moïse, Jésus fils de Marie et avec
toi Nous fîmes avec eux une Alliance solennelle. »
Pour Jacques d'Edesse229, le christianisme est essentiellement l'Alliance de Dieu avec les
êtres humains ; Alliance qui commença à la création du premier homme à l'image de Dieu. Il fut
mis dans le Paradis et Dieu lui donna un droit et un commandement ; Dieu lui octroya aussi la
liberté et la volonté de les garder. L'Alliance de Dieu fut fixée et confiée à l'homme, une fois pour
toutes. Dans un deuxième temps, cette Alliance fut confiée à Adam et à ses enfants ‒ la loi naturelle
et non écrite. Une troisième Alliance fut conclue avec Noé et avec ses enfants. Et une quatrième
avec Abraham et Isaac ; une cinquième avec le peuple des enfants d'Israël par le biais de Moïse et
ce, dans une forme écrite. Jacques d'Edesse explique ensuite que, la sixième fois, l'Alliance a été la
personne même du Christ, une alliance très spéciale. La dernière et septième alliance sera à la fin
du monde.

D'après G. Dye230, le texte coranique, par ses traitements et ses thématiques communes
avec cette vision de l'Alliance, semble l'expression d'une conception assez répandue de l'histoire
sacrée dans l'Orient chrétien. De ce fait, La Caverne des Trésors, ouvrage judéo-chrétien du IVe siècle,
envisage ce cycle d'Alliance circulaire et tournée vers le Golgotha. C'est au Golgotha que la
puissance de Dieu s'arrêta, se reposa, et que s'immobilisèrent les quatre régions du monde les unes
vers les autres. Cet endroit est la Porte du monde et cet endroit resta initialement ouvert. Lorsque
Sem, avec Melkisédeq, déposa le corps d'Adam au centre de la Terre, les 4 régions accoururent et
embrassèrent Adam. Aussitôt la Porte se ferma et aucun des enfants d'Adam ne put l'ouvrir. Le
Dôme du Rocher, premier sanctuaire islamique, est porteur de telles spéculations puisqu’ il est
associé aux portes de l’Eden.231

Par ailleurs, les Pères de l'Eglise développèrent l'idée que l'Eglise est antérieure à Israël,
voire qu'elle remontrait à Adam. Le peuple chrétien remonterait à Eber, l'ancêtre d'Abraham (selon

229. British Library (BL 12, 154, fol. 164-165 ; BL 17, 193, fol. 58). Tannous, Syria between Byzantium and
Islam, 216-217.
230. Jewish Christianity and the Origins of Islam, 8th Annual ASMEA Conference Washington, 29-31 October
2015. Jewish Christianity, the Qur’ān, and Early Islam : some methodological caveats Guillaume Dye
(Université libre de Bruxelles, ULB) Draft.
225. TILLIER Matthieu, ‘Abd al-malik, muḥammad et le jugement dernier : le dôme du rocher comme
expression d’une orthodoxie islamique (Sorbonne Université / UMR 8167 « Orient et Méditerranée »).
Eusèbe de Césarée).232 Le texte de Jacques d'Edesse sur ce sujet a beaucoup de points en commun
avec le Coran. Pour cet auteur, le christianisme est la plus ancienne de toutes les religions et le
christianisme est plus vieux que la création ou que l'humanité et il est, de ce fait, l'Alliance de Dieu
avec les humains. Jacques d'Edesse n'a aucune idée, ici, d'une histoire du développement de la
Révélation, mais admet le principe de la même alliance renouvelée plusieurs fois entre Dieu et
l'humanité, et une insistance continue sur l'importance de l'envoi des prophètes.

En outre, la première alliance de Jacques d'Edesse rappelle ce fameux pacte coranique pré-
éternel (Q7/172). Il est également particulièrement significatif que Jacques d'Edesse se réfère à
Adam et à ses enfants, à Noé et à ses enfants, à Abraham et à Isaac. La question de la progéniture
et de la descendance des prophètes est un sujet très important dans les deux textes aussi. Le Coran
offre également une autre liste remarquable de prophètes : Dieu a choisi Adam, Noé, et la Maison
d'Abraham et la Maison d'Imrân au cours des temps, certains d'entre eux étant les descendants des
autres (Q3/33). Ainsi, de même que tous les hommes honnêtes et honorant Dieu étaient des
chrétiens avant la lettre, de même tous les hommes seront vus comme étant originellement
« musulmans ». Finalement, la dynamique de ces pactes repose essentiellement sur le principe de
l'occultation et sur les valences d'accomplissement.

Le Don de la Torah comme son oubli sont les indispensables premières pierres d'angle du
Coran, nécessaires pour créer une dynamique de la Prophétie-Loi. Ce Pacte semble bel et bien
condensé (d'après le Coran) dans la Torah, puisque cette dernière est identifiée – par les tafsirs – au
« discernement » (furqan233), les deux mots sont interchangeables.234 On ignore tout du contenu de
l'Injil. De vagues rappels bibliographiques citant favorablement l'Injil pointent çà et là. Le Coran,
lui, semble bien là pour absorber le contenu des deux livres et les supplanter. Le flou entretenu sur
le vocable « Livre » entretient cette substitution. Cette surimpression progressive du Coran comme
testament du Pacte devrait attirer notre attention. Les propos de Jésus, « aujourd'hui cette écriture
est accomplie » (Luc 4), sont repris au verset Q3/5, « Aujourd'hui j'ai parachevé pour vous votre
religion »235, comme pour renforcer ce passage de pouvoir entre Jésus et Muḥammad. L'événement
initiatique du nécessaire « Rappel » est donc, le plus fréquemment, le Pacte mosaïque et son
nécessaire oubli. Le Coran s'autonomise avec cette Mission, cette lutte contre l'amnésie des hommes
rend son style haletant et fébrile ; le Coran semble même sans cesse menacer son propre Messager
pour réactiver le don des Tables de la Loi à Moïse, du fait de son occultation par ceux qui oublient
(kafar) ; mais cet oubli sera surtout développé pour des raisons idéologiques et politiques.

D'autres fonctions peuvent se trouver dans les strates tardives du processus. Au début, y
avait-il le désir de réappropriation de biens sacrés et le désir d'accélérer la venue messianique par le
« Rappel » ? En tout cas, ce serait cette occultation, volontaire ou pas, ce voilage récurrent de la Vérité
qui conduit Allah à chercher sans cesse de nouveaux prophètes, jusqu'à l'ultime, le « sceau des
Prophètes ». Le motif de l'occultation du Pacte possède des harmoniques. Cette attente scripturaire
est même présentée comme émanant des « Gens du Livre », qui en Q6/7 exigent la descente
scripturaire comme signe effectif : « Même si Nous avions fait descendre sur toi (Muḥammad) un

232. Eusèbe de Césaré. Histoire Ecclésiastique. Livre IV. Traduction Emile Grapin. Paris. Picard et fils.
Éditeurs 1905.
233. En araméen le « r » et le « d » étant confondus sans diacritisme.
234. Le mot avec le « d » désigne la Loi (puqdan) et l'autre (furqan) le Salut.
235. Selon la Tradition, cette phrase a été comprise ainsi : « J'ai parachevé pour vous votre religion » : le
sens du mot « religion » a été compris de deux façons, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre : la
« religion » est l'ensemble des prescriptions (farâ'id), des sanctions légales (hudûd), des commandements
(amr), des interdictions (nahy), de ce qui est licite (halâl) et de ce qui est illicite (harâm), contenus dans la
révélation transmise par le prophète Muhammad. La « religion », c'est ici essentiellement le pèlerinage,
autrefois rite païen, et qui est désormais réservé exclusivement aux membres de la nouvelle communauté.
L'espace sacré autour du temple de La Mecque devient interdit à tout autre qu'eux.
Livre qu'ils pouvaient toucher de leurs mains, ceux qui ne croient pas auraient certainement dit :
"Ce n'est que de la magie évidente !" » Là encore, on se retrouve avec une référence
néotestamentaire. L'illettrisme du réceptacle est lui aussi un motif qui se moule sur des motifs
admis ; Jésus avait lui-même été présenté comme inapte à l'étude, du fait de la modestie du métier
de son père : « N'est-ce pas le fils du charpentier ? » Dans Isaïe 29, ce motif réapparait. La modestie
nécessaire du milieu socio-culturel pour recevoir la divine Parole est donc un motif connu et admis.

En résumé, nous pouvons affirmer que la « nouvelle236 révélation » au Messager se justifie


toujours et d'abord – si on suit les versets coraniques – par « l'histoire ou les feuilles de Moïse »
(Q53). Dans cette sourate, qui situe la rencontre du Messager avec le divin à la limite de l'horizon,
Le Cidrat ul muntaha (Q53), Muḥammad est assimilé à Moïse et le Cidrat est celui de l'Éden ‒ célébré
à la fête juive de Soukkoth (Lévitique 23-40). Les visions vécues par le Messager, dans la première
partie de cette sourate, et la tradition scripturaire associée à Abraham et Moïse, dans la seconde
partie, se répondent.

Les différents domaines du Pacte dans le Coran vont toucher les lois morales coraniques
et les lois pénales. G. Dye, dans son article Théologie de la substitution, nous précise : « La liste de ces
commandements coraniques, en revanche, peut varier, car les lois (šarā’i‘) imposées aux juifs, aux
chrétiens et aux musulmans sont à certains égards différentes – l'islam voulant abroger les lois
antérieures. Les exégètes musulmans se fondent ici sur Q5/48, un passage peu clair dont on peut
d'ailleurs se demander s'il n'est pas d'une rédaction sensiblement postérieure à la prédication de
Muḥammad, ou si son véritable "Sitz im Leben" ("vie dans le contexte") concerne Muḥammad à
Médine. » Il n'est donc pas certain que cette idée d'abrogation, par l'islam, des lois antérieures, date
du proto-islam.

Concernant les relations entre l'islam et les lois religieuses antérieures, diverses positions
sont adoptées par les « fuqahā’ » (les « hommes de lois »). L'islam – au moins pour ce qui relève du
tawhīd et des lois noachiques (Q42/13) – serait la religion naturelle de toute l'humanité. Les lois
morales coraniques dérivent des lois mosaïques, mais sont distordues et non énoncées clairement, la
reprise des dix commandements est tronquée. Les lois morales coraniques sont floues. La zakat et
la ṣalat sont si souvent signalées qu'elles constituent l'essentiel de ces lois. Pourtant, ces mots sont
signalés deux cents ans avant l'Islam avec bien d'autres sens déjà répertoriés. Il y aussi des
recommandations de morale : « Mesurer avec bonne mesure », « ne pas s'approcher des biens de
l'orphelin », « le jeûne ». La décence, surtout pour les femmes, complète le tableau. Les lois sur les
contrats sont calquées sur les lois rabbiniques. La loi sur la mise par écrit des contrats, en Q2/282,
est d'origine rabbinique et figurait aussi dans le code syro-romain.

L ES AUTORITES

L'autorité à laquelle il faut obéir, nous l'avons déjà dit, n'est pas identifiable dans le Coran,
du fait du flou de l'entité désignée par le mot Messager et du manque de précision concernant « les
Autorités » : « Obéissez à Allah et au Messager et à ceux qui détiennent le commandement. » Le
refrain du verset Q4/59 revient souvent de façon mal définie et semble une reprise d'un bien textuel
paulinien.237 Ce rythme ternaire tranche d'ailleurs avec la formulation binaire très fréquente dans le
Coran, où le Messager semble constituer une entité avec Allah, lui dérobant de fait quelques

236. Au sens de « renouvelée ».


237. « Que chacun – dit-il – se soumette aux autorités en charge. Car il n'y a point d'autorité qui ne vienne
de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à l'autorité se rebelle
contre l'ordre établi par Dieu. » (Rm 13, 1 s.)
attributs – et non des moindres, comme celui du pardon des péchés.238 Littéralement, l'obéissance
acquise à Dieu semble se transférer à son lieutenant. Marie-Thérèse et Dominique Urvoy 239
signalent les procédés subliminaux qui imposent progressivement l'obéissance à l'Envoyé : alors
qu'au verset 59 de la sourate 4, on évoque cette trinité de l'Autorité, la suite évolue vers « Dieu et
l'Envoyé » puis l'Envoyé seul au verset 64. Cependant, le caractère mortel du Messager n'aide pas
ce transfert. Aussi, ce sont bien les Califes qui sont les dépositaires réguliers de cette lieutenance et
les opérateurs/bénéficiaires réels de ce transfert. Celui qui transgresse les normes juridiques
s'oppose à l'ordre divin et, par voie de conséquence, son injustice retombe sur lui ; cette conception
est toute judaïque.

La réception des bénédictions bibliques a toujours été conditionnée à l'observance des


commandements de Dieu, encadrés par les autorités des Patriarches. Cette notion serait camouflée
par l'erreur sur le diacritisme. En effet, les deux mots suivants, taraknā est baraknā, s'écrivent à
l'identique sans diacritisme et donc le ductus du premier mot pourrait « cacher » le mot
« bénédiction » d’autant que le contexte s’y accorde. Cette bénédiction coranique concerne Noé,
Abraham, Moïse, Aaron, Elie (Q37/78, 108, 119 et 129).

Ainsi à quels commandements et quels commandeurs et gardiens de la Loi faut-il obéir ?


Dans le judaïsme, il y a une identité entre la loi naturelle déposée au fond des consciences et la loi
mosaïque. La loi y est foncièrement religieuse et a pour objet les droits de Dieu. C'est aussi une loi
nationale. Dans le Coran, il n'existe point de loi naturelle. Selon le discours islamique, la Loi précède
l'État, puisque celle-ci descendrait de Dieu depuis Adam. La préexistence d'une Loi antérieure peut
étonner puisque cette Loi peut alors entrer en conflit avec les besoins, nouveaux et fluctuants de
l'État. L'État islamique n'est là que pour appliquer et protéger la Loi de Dieu pour Dieu. Le risque
est d’alors d'utiliser Allah pour cimenter l'État par l'imposition de la Loi. Peut-on dire alors que la
fonction du Calife serait-elle vraiment de garantir les droits de Dieu ? On peut se demander si la
fonction de la Loi de Dieu ne serait pas plutôt de secourir le Calife. La Loi islamique tire son effectivité
d'un système politique mal défini dans le Coran, nommé le califat. La question du régime politique
et de son agent terrestre n'est même pas posée dans le Coran. Au cœur de l'islam se trouve le droit
islamique, appelé le fiqh, fondé essentiellement sur les deux sources majeures que sont le Coran et
la Sunna. Ainsi, pour chaque rite juridique, l'œuvre de son fondateur se retrouve. Le droit islamique,
qui définit précisément le licite (halâl) et l'illicite (ḥarām), régit largement la conduite des musulmans.
La raison humaine ‒ sauf pour les mutazilites ‒ n'est en effet nullement capable de déterminer a
priori le bien et le mal ; seule la mémoire imprégnée des textes juridico-religieux permet de
reconnaître ce que la loi divine autorise ou interdit. C'est un cadre, et l'homme ne tergiverse pas
avec une parole intérieure, une conscience morale. La prégnance de la sharîa en Islam est
concomitante à son absence coranique (3 occurrences : Q5/48, Q42/13, Q45/18).

DES RITES ET DES SANCTUAIRES

Le « Pacte » implique une obligatoire communication du « Livre » à tous, selon le verset


Q3/187. Cette remarque est un relent des débats théologiques sur l'universalité de la Loi ‒ débats
présents dans le rabbinisme et le christianisme. Un prosélyte juif doit-il appliquer toute la Loi ou
seulement les lois noachiques ? Un prosélyte chrétien doit-il respecter la Loi mosaïque ? Le Pacte
coranique réinvestit le thème de la parure adaptée.

238. « Et quand on leur dit : "Venez que le Messager d'Allah implore le pardon pour vous" ». (S 63/11)
« Puis il sera dit : "O Muhammad introduis en Paradis ceux de ta communauté qui n'ont pas de compte à
rendre par la porte de droite et ils seront également associés aux autres (élus) pour entrer par les autres
portes." » Sahih Mouslim - 53 - Livre du Paradis ses délices et ses habitants. Hadith n°2832.
239. URVOY Dominique et Marie-Thérèse, L'action psychologique dans le Coran. Cerf, 2007, p. 73.
C'est Satan qui a rompu le premier Pacte et qui a arraché les vêtements d'Adam et Ève,
cette version était entretenue par les Églises et les synagogues de la fin de l'Antiquité (Genèse
Rabba, Targum du Pentateuque). Ce signe de rupture d'Alliance sera celui qui manifeste le passage
de l'Ancienne Alliance à la Nouvelle lorsque le grand prêtre déchirera ses vêtements. La faute
d'Adam et Ève a contrevenu à l'injonction d'Allah. (Nous y reviendrons.) C'est cette faute qui induit
une histoire du Salut. C'est elle qui a provoqué leur expulsion du Paradis (Q7/19) ; puis Adam se
repentit et fut pardonné. Adam commit une faute (dhanb), mais, du fait de son infaillibilité
prophétique, il n'a pas commis de péché (ithm, khatî’a). Cependant, ce Pacte n'est pas très bien
défini dans le Coran, il se réfugie dans diverses expressions : « le Rappel », « direction », « Écriture »,
« Édification », « bonne nouvelle », « livre lumineux ». Les vocables sont : ḏikra, hudan, bušrâ, al-
kitābi al-munīri, waḥy, furqan, wa `Ahidnā 'Ilá 'Ibrāhīma (l'Alliance d'Abraham, Q2/125). « Abraham
est l'ami d'Allah. » La sourate Q42/13 évoque une législation divine donnée à Noé, Abraham,
Moïse. Le Coran tente une reprise des 10 commandements.240

L'Alliance, dans la Bible, est liée au sacrifice, à l'adoration et à la pénitence. L'expiation et


l'intercession sont-elles reprises ? Dans le Coran, ces notions sont floues et jamais abouties. Seule
la sourate 2 va suggérer ce rôle expiatoire et d'Alliance. Seul le sacrifice d'Abraham est qualifié de
« rançon (immolation) énorme » (Q37/107, bi-ḏibḥin ‛aẓīmin241 ). Certaines sourates évoquent un
sacrifice, une immolation, notamment la sourate 22, mais aucun développement doctrinal n'en
découle. Que désigne le lieu d'immolation (ḥā lām lām) qu'est « l'Antique Maison » du verset 33 ?
Désigne -t-il le Temple de Jérusalem, où à chaque Pâque les croyants devaient « monter » pour
sacrifier un « agneau » ? Le vocable mansakan signifie, en araméen, « libation ». Cependant, ce rite
semble différencié pour chaque communauté. Le Prédicateur est peu exigeant, l'auditoire est pluriel.
Pourtant, pour effectuer ces sacrifices de l'Alliance, il faut un sacerdoce. Comparons le statut du
sacerdoce et du sacrifice qui en découle. Quelles sont les conséquences de ce sacerdoce sur le statut
du Livre sacré et sur celui de la Prophétie ? Dans le judaïsme synagogal, il n'y a plus de sacerdoce,
du fait de l'absence du Temple. La Loi demeure la seule présence de Dieu auprès d'un peuple privé
de royaume et de Temple. Luxenberg242 signale la présence d'un duel en Q37/103, concernant le
sacrifice d'Isaac : ’aslamā wa-tallahū li-l-ǧabīni, ce que Luxenberg retraduit complètement par
« lorsqu'ils eurent achevé l'autel du sacrifice Abraham lia son fils en holocauste ». La sourate 5 exhibe des
racines liées au sacrifice, mais aucun motif de salut n'est invoqué.243

La sourate 22, qui décrit le rite d'un pèlerinage, s'attarde plus aux détails matériels du
sacrifice qu'aux fonctions, puisqu'elle souligne : « … ni leur chair ni leur sang n'atteindront Allah
mais seule votre piété l'atteint. » Seule l'expiation liée au martyre des personnes est signalée, quant
à elle, à la sourate 3, verset 195 : « Ceux qui ont été persécutés dans mon Chemin, qui ont combattu,
qui ont été tués, je les ferai entrer dans le Paradis. » Il nous semble opportun de parler de la
martyrologie coranique, largement inspirée de la théologie chrétienne. En effet, dans le Coran

240. « Dis : "Venez, afin que je vous communique ce que votre Seigneur a déclaré illicite pour vous ! Ne lui
associez rien ! Marquez de la bienfaisance à vos père et mère ! Ne tuez pas vos enfants de crainte du
dénuement ! Nous vous attribuerons, ainsi qu'à eux, le nécessaire. N'approchez pas des turpitudes tant
extérieures qu'intérieures ! Sinon en droit, ne tuez pas votre semblable qu'Allah a déclaré sacré !"» (Q6/151-
152)
241. « Pour vous, Nous avons placé les animaux sacrifiés, parmi les choses sacrées d'Allah. Un bien s'y
trouve pour vous. Invoquez sur eux, vivants, le nom d'Allah ! Ainsi vous ont été livrées (ces victimes) […]
ni leurs chairs, ni leur sang n'atteindront Allah, mais seule la piété de vous L'atteindra. Ainsi (ces victimes)
vous ont été livrées. Pour que vous proclamiez la grandeur d'Allah, en reconnaissance de ce qu'Il vous a
accordé. »
242. Op. cité, p. 176.
243. yā-’ayyuhā llaḏīna ’āmanū lā tuḥillū ša‛ā’ira Llāhi wa-lā š-šahra l-ḥarāma wa-lā l-hadya wa-lā l-qalā’ida wa-lā
’āmmīna l-bayta l-ḥarā
comme dans la littérature chrétienne, il apparait que seul le statut de martyr garantit l'entrée au
Paradis et ce, sans passer par la Géhenne.
Arabe Araméen
hā dāl yā (7 occurrences) « Animal sacrifié » « Présents somptueux »
Verset 1 : « Remplissez vos engagements » « Autoriser »
(ḥā lām lām, 20 occurrences)
qalā’ida « guirlandes » « Les clefs du Royaume » ‫אקלידי‬
’uḥillat TB1 « Laver purifier, rendre licite, puissance »

tā mīm mīm « Rendre parfait »


naqḍihim (Q5/13) « rupture » « Rupture »
« Maison Sacrée » Verset 3 : interdiction « Voué, consacré, illicicite »
alimentaire. « ḥā rā mīm » (« interdit », 39 *-.1
occurrences)
ǧunuban fa-ṭṭahharū
« Purifier » « Purifier »
’aqraḍtumu « Gratter les dettes », araméen chrétien
palestinien et Talmud de Babylone. BTŠab
115a(5) : ‫ דבי רבא גרדי קארא‬.
shīn ʿayn rā « Rites » « Porte du temple »
‛uqūdi ’uḥillat En forte référence au Sacrifice d'Isaac, la
« Remplir les engagements » ligature ‫ עקידתא דיצחק‬d'Isaac « Brûler
mī‛ādu (Q34/30 ; 39/20) l'holocauste »
‫למועדה קרבן ליהוה‬.
Tableau 1 : Des racines liées au sacrifice

Cette conception du salut hors sacerdoce existe chez les ébionites. Le sacerdoce n'existe
pas dans le Coran. Cette absence est un héritage du judaïsme synagogal. Dans ce dernier, la prière
a remplacé le sacrifice. L'Apocalypse d'Abraham en témoigne. Par ailleurs, le Décalogue (la Loi de
Dieu), selon Rémi Brague244, se trouve revisité et relativisé par le culte synagogal, en réaction à son
absolutisation dans le christianisme. Le type idéal du mécréant est celui qui doute de l'origine divine
de la Torah245, quiconque attribue à d'autres que Dieu, ne fût-ce qu'un mot de la Torah n'a pas part au monde
à venir. Ce culte fixé sur la divinité des textes de Loi est très présent dans l'islam, et le primo-islam
a pu être « pollénisé » par des idées de cette mouvance judaïque. La prophétie n'est pour les rabbins
qu'un rappel de la Loi de Moïse, cette conception de la prophétie répétitive et de la prière, substitut
du sacerdoce, imprègne fortement le Coran.

Dans la littérature intertestamentaire et notamment l'Apocalypse d'Abraham, la prière des


hommes prend la place du rôle des prêtres. Le nombre de prières, le rituel mis en place par l'islam
sont les héritiers de cette forme du judaïsme. L'aspect d'expiation sacrificielle est presque invisible
dans le Coran, ou alors seulement par allusion floue à l'offrande d'une « vache parfaite et sans
défaut » dans la sourate du même nom (Q2/71). Hormis la sourate 2 – qui spécifie d'autres
fonctions –, la gratitude et la reconnaissance d'être nourri, ainsi que la piété qui en découle, sont
les uniques fonctions du « sacrifice ». Pourtant, cette sourate du rappel de la faute d'Israël a une
fonction dans l'histoire du salut que porte le Coran. Ce rappel va expliquer le transfert de
l'élection.246

244. BRAGUE Rémi. Ibid.p.10.


245. La Torah vient des cieux. La Torah, origine divine et lecture humaine. Conférence Akadem. Atalli.
246. jīm bā yā est un rasm de l'élection divine (Q3/179 Q6/87Q12/6 Q16/121 Q19/58 Q 20/122 Q22/78
Q42/13 Q68/50), ḫtart(uka) (Q20/13), ṣṭafā (Q3/33, Marie), choix de la pureté (Q2/132) : Abraham (Q27/59),
Loth (Q37/153) ; ṣṭana‛ : « assigner à Dieu » (Q20/41) pour Moïse.
Le rejet du sacerdoce se retrouve dans le rejet de l'intercession : « aucune âme ne portera le
fardeau d'autrui » (Q82/19). 247 (Nous reviendrons sur ce thème.) L'intercession bénéficie d'un
traitement hétérogène, ainsi en Q19/87 lit-on : « sauf celui qui a pris un engagement avec le Tout
Miséricordieux ».248 Nous y reviendrons en évoquant le pivot d'Abraham avec le verset Q 14/47.
Concernant le sacrifice, le scribe coranique propose de retourner au sacrifice de la vache rousse
« parfaite », « transpercée », « pendue » (sourate 2), en expiation des péchés d'idolâtrie. Cette vache
est, dans le rabbinisme, le signe de l'arrivée du Messie. La sourate 2 renvoie dos à dos les idolâtres
du veau et les Théophanies chrétiennes. Ainsi, la voix coranique prend le contre-pied de l'Epître
aux Hébreux, selon laquelle les sacrifices de la Loi mosaïque étaient impuissants à « rendre
parfaits ». En effet, la Loi, « qui possède une ombre des biens à venir, et non l'exacte représentation
des choses, ne peut jamais, par les sacrifices qu'on offre perpétuellement chaque année, amener les
assistants à la perfection ». La « vache » doit être rendue parfaite (mussa lamât) au verset 71 de la
sourate 2. La sourate 22, consacrée au rite de la nouvelle communauté, précise pourtant que ce
culte n'atteint pas Allah et ne parle que très peu de rite. L'analyse du frère Eymard est très éclairante
à ce sujet.249
Pourtant, cette vision est idyllique et doit être modulée par la non-ressemblance de l'homme
à Dieu dans le Coran et donc à une dysmétrie de perfection. François Jourdan (Conférence à
Lorient en 2017) expose les implications de transcendance jalouse d'Allah, le prophétisme de
transfert, la tutelle d'Allah et la distance relationnelle. L'interrogation du Psaume « Qu'est-ce que
l'homme pour que tu penses à Lui ? » n'existe pas dans le Coran. L'imagio dei est nié.250 Le pardon
et le dévouement n'atteindront jamais les limites de l'Evangile, et la loi du Talion, qui va jusqu'au
« nez pour nez », demeure (qiṣāṣu). L'amour du prochain, lui ne va jamais jusqu'à l'amour de
l'ennemi. L'élan judaïque vers la charité parfaite est stoppé. La tutelle est largement traduite par le
vocable mawlā, très présent. Plus que le partage d'une intimité, c'est un partenariat protecteur qu'il
exprime.

La communauté qui porte le Coran ne semble pas connaître le sacerdoce ; le culte semble
s'attacher au respect de la circoncision, au sacrifice du mouton, aux ablutions, au jeûne, aux
prosternations, aux purifications. A propos de sacerdoce, des vestiges d'une classe sacerdotale
existent. Il faut reconsidérer les liens des gardiens du Temple et la communauté des Qurayshites.
Pourtant les Qurayshites semblent liés au sacerdoce. Les fils de Coré, serviteurs du Temple,
représentent la révolte contre Moïse et contre Dieu (l'Epître de Jude l'évoque), et pour cette faute,
ils sont engloutis vivants, mais en même temps les fils de Coré ne meurent pas tous puisqu'on les
retrouve dans les Psaumes. L'extrait de Nb 26, 11 nous dit clairement : « Les fils de Coré ne périrent
pas. » Or il existe dans la Tradition islamique une ambivalence de ce type qui affecte un groupe très
particulier : « les Qurayshites, la tribu de Muḥammad ». Il est possible de considérer l'aura

247. Les versets 38 à 42 sont modelés sur les Épîtres de saint Paul.
248. Voir aussi 10/3, (shīn fā ʿayn), Q6/51, Q6/70, Q7/53, Q10/18, Q30/13 et Q40/18.
249. Conférences audio, l'Exegèse scientifique du Coran : « En effet, le Coran n'enseigne rien d'autre que la
religion d'Abraham à qui « son Maître dit : "Sois parfait !" » ’aslim (v. 131). C'est le mot du Targum pour
Genèse 17, 1 : « Marche en ma présence et sois parfait ! » selîm. Abraham répond : « Je suis parfait »,
‘aslamtu. Traduction coranique de la mention biblique de la foi d'Abraham que Dieu lui compta
effectivement comme « perfection » : « Abram crut en Yahweh, qui le lui compta comme justice. » (Gn 15, 6)
La différence est que, selon le Coran, Abraham se dit lui-même « parfait », à l'égal de Jésus qui seul a osé se
dire sans péché (Jn 8, 46) : « Je suis parfait », ‘aslamtu. C'est le commandement non pas « nouveau » (Jn 13,
34) mais ancien d'Abraham : « Abraham en fit le commandement à ses fils », qui sont Ismaël et Isaac, ce
dernier toujours pas nommé, « ainsi que Jacob », ya ‘aqob, fils d'Isaac et de Rébecca, appelé « Israël » en
Genèse 32, 29, et šelîma‘, « le parfait », dans le Targum de Jérusalem (Tg J Lv 22, 27). « Fils de Jacob » ou
« enfants d'Israël », c'est tout un.
250. laysa ka-miṯlihī šay’un (Q42/11).
particulière de cette tribu à la lumière de relations commerciales privilégiées avec l'Empire byzantin
et de privilèges sur des sanctuaires au Hidjaz.251

Les racines nūn ḥā rā (nḥar, « sacrifice », sourate 108) ainsi que celle de dhāl bā ḥā (dhubiḥa,
« égorgé », Q2/48, Q14/6, Q28/4) sont présentes dans le Coran. En araméen de Palmyre, elle
signifie « la maison du sacrifice », donc toute idée de sacerdoce n'est pas absente. Cette recherche
sur la maison nous conduit à la tribu des Qurayshites, cette dernière est-elle la gardienne du Temple
ou d'un culte ? L'historiographie arabe donne beaucoup d’informations sur la tribu de ses origines,
tribu qui semble a priori n'avoir rien avoir de commun avec Coré. Cependant, il existe des éléments
troublants qui suggèrent de ne pas écarter un tel rapprochement. Tout d'abord, les Qurayshites,
originaires du Nord de l'Arabie, ne sont cités qu'une seule fois dans le Coran, dans la sourate 106.
Cette courte sourate de quatre versets énigmatiques fait d'eux les serviteurs de « la Demeure ». Or
les Coréites sont des Lévites, serviteurs du Temple. On peut explorer ce parallèle entre Coreites et
Qurayshites.
Le Coran ne donne aucun renseignement sur les Qurayshites. Ce sont les Hadiths qui
informent la Tradition musulmane sur les fameux Qurayshites, famille d'origine de Muḥammad.
Les Coréites sont apparentés à Moïse, mais se dressent contre lui. Ils sont punis et engloutis,
cependant la descendance de Coré reste au service du Temple. De même les Qurayshites252 sont la
tribu de Muḥammad et ils s'opposent violemment à lui, et pourtant certains des successeurs de
Muḥammad devront provenir de cette tribu jusqu'à la Fin des Temps. Un Hadith253 affirme, en
effet, que tous les Califes doivent descendre des Qurayshites, et ce, malgré leur adversité à
Muḥammad – notamment un de ses oncles, Abû Lahab, père de la Flamme. Curieusement, ce
personnage est lui-aussi l'objet d'une condamnation divine dans la sourate 111. Lui, comme Coré,
se voit reprocher sa fortune. La rébellion de Coré est citée dans l’Épitre de St Jude. Il existe donc
une ressemblance entre l'élaboration midrashique relative à Coré dans la tradition juive et
l'élaboration relative aux Qurayshites dans la Tradition musulmane. Par ailleurs, le lien entre la tribu
de Quraysh et le Sanctuaire est insistant. « Marie, sœur d'Aaron » est une typologie du Temple.
Après la révolte de Coré, dans le livre des Nombres, le Seigneur a jugé bon de faire fleurir le bâton
d'Aaron ; et dans le Coran, les oiseaux choisissent le bâton de Joseph (ce dernier n'est pas nommé,
Q3/44).
Le clan principal des Qurayshites est celui des Beni hashim. L'actuelle dynastie de Jordanie
(dite précisément Hashémite et celle du Maroc) se réclame encore de cette origine, du fait que la
famille avait gardé le sanctuaire mecquois dans le passé. En s'opposant à Muḥammad, les
Qurayshites sont le type même de l'abomination. Et pourtant, leur ministère est perpétuel d'après
les savants musulmans.254 Les Qurayshites sont des caravaniers, des marchands liés au pèlerinage :
ils se partagent les tâches à caractère religieux, tout comme les Lévites. Les Hachémites (le clan de
Muḥammad) ont par exemple le privilège de distribuer aux pèlerins l'eau du puits de Zemzem, la
source qui jaillit près de la Ka’ba. Ce sont donc des porteurs d'eau. Les Umayya (clan qui donnera
les deux futurs Califes, Uthman et Mu'âwiya, et qui fondera la dynastie des Umayyades) étaient les
porte-étendards. Les Nawfal collectaient les oboles et distribuaient la nourriture aux pèlerins. On

251. CRONE Patricia, Quraysh and the Roman army: Making sense of the Meccan leather trade. Bulletin of
SOAS, 70, 1 (2007), 63–88. E School of Oriental and African Studies.
252. En hébreu, Cyrus [kȏrěsh], signifie « Cyrus qui est un Oint de Dieu ».
253. Sahih al-Bukhari 3500 et Ahmad 438.
254. Sahih Bukhari déjà cité : « Le commandement appartient aux Quraysh : personne ne se dresse
contre eux en ennemi tant qu'ils ont en charge le culte, sans qu'Allah ne le renverse la face
contre terre. »
Sahih Muslim 20/4476 : « Le messager d'Allah dit : Le califat restera parmi les Quraysh, même s'il
ne reste plus que deux personnes sur terre. »
choisissait le portier du bâtiment du conseil parmi les Asad. Il se trouve que, dans la Bible, les
Coréites sont des portiers du Temple (1 Ch 9,19 ; 26). Les Qurayshites sont des marchands liés au
sanctuaire. Les Lévites disposaient de 24 classes sacerdotales (1 Ch 24,6). Les Qurayshites disposent
de 25 clans.
La sourate 106 évoque les voyages de ces nomades. Là encore, le Coran ne donnant aucune
précision, la Tradition musulmane a été contrainte d'édifier une immense élaboration autour du
personnage de Muḥammad et le modèle de Moïse est indiscutable. L’idée que le Coran transmet
est que Muḥammad se heurte à l'opposition de sa propre tribu, tout comme Moïse le fit face à
l'opposition des Coréites.
Nous avons vu qu'il paraît important de pouvoir relire le Coran et les passages comportant
le mot muslim en conférant à ce dernier la nature d'adjectif qualificatif et non plus celle d'un nom
désignant une communauté ; l'analyse de Dennis Gotay255, sur les origines du dogme islamique, est
pertinente et va dans le sens de F. Donner.256 Un autre mot conforte ces évolutions de sens : millat,
incorrectement traduit par « religion ». Il signifie, à l'origine, « parole ». C'est un dérivé de l'araméen
(mellṯâ), et ce, en référence à Genèse 17,2 : « les mots de l'alliance donnés par Dieu ».257

Le mot qiyāman, utilisé dans le verset 97 de la sourate 5, signifie « alliance » et il est référencé
dans la Peshitta et toutes les traductions araméennes de l'Ancien Testament (Pseudo-Jonathan et
Ongelos – Gen. 17/2).258 Le mot est, selon le professeur Luxenberg, improprement traduit par « se
dressant ». Nos analyses des autres occurrences (Q25/64, Q4/5, Q3/191) confirment sa suspicion,
du fait de la divergence des traductions. « Dieu a fait la Ka’ba, la Maison sacrée, Alliance pour les
hommes. » Le mot qyāmā, qui désigne l'Alliance, est voilé par des réorientations sémantiques. En
Syrie, ce terme désignait les Enfants du Pacte, les Bnay Qyama, membres d'une communauté
ascétique. Le Pacte, qyāmā259, scelle le mariage eschatologique entre Christ et son Église, anticipé
par les Saints. Pour ces Enfants, on ne peut être marié à l'Epoux céleste et à un autre sur terre. La
typologie du mariage dévie sur les ḥūrin en islam. Nous étudierons cette déviance. Le mot ahd
signifie alliance, avec une note de commémoraison.260 L’étymologie de ce terme montre que les «
lettrés du Coran » avaient davantage accès à des Targums ou des sources syriaque qu'à la Septante.
Nous reviendrons sur cette traduction de Luxenberg, capitale pour notre sujet.

Ce dernier mot, Ka’ba, est lui aussi présent une seule fois dans le Coran.261 Cette sourate
consacrée à l'Alliance propose ce lieu cubique (Ka’ba) de la Maison sacrée, signe d'Alliance et
d'immolation ; la mer décrite dans le verset est proche, et le cotexte coranique évoque le thème de
la chasse lié à celui de la sacralisation et du rassemblement. Un rituel est proposé. Est-ce le Saint

255. GOTAY Dennis, Origines de l'islam, RDF-Editions, p. 10.


256. « Mon salaire n'incombe qu'à Dieu ; il m'a donné l'ordre de faire partie de ceux qui se soumettent, des
Muslimina. ».
257.
A. Jeffery, The Foreign Vocabulary of the Qur'ân, Baroda, Oriental Institute, 1938, p. viii. 10.
B. 258.http://cal1.cn.huc.edu/showtargum.php?bookname=01&chapter=17&verse=2&Peshitta=ON&Sam.
259. A propos des bnay qyāmā, littéralement, les enfants de l'Alliance qyāmā, nous avons des sources sur
cet ascétisme purement syriaque. Bnay qyāmā, les fils (bar) et les filles (bat)bat qyāmā http://dukhrana.in/the-
spirituality-of-qyama-an-ideal-for-modern-monasticism/
260. ‫ܕܘ‬M+ܼ‫ܐܬ‬
261. L'occurrence de Q25/64 peut être lue de la même façon, le vocable yabītūna li-rabbihim peut être lue
comme « maison du Seigneur » au lieu de « nuit ». Le verset comporte un mot š-šahra qui signifie « vigile
sacrée » en syriaque. šhwr (šihhūr) v.n.D JLAtg, Gal, CPA, Sam, Syr,
Man. AphDem14.259 :18 : _`‫ ܐ‬.O: ‫ܪ‬MH‫* ܕ‬O&:.$,X‫ }ܕ{ ܘ‬M^I‫ ܐ‬a<G‫ ܬ‬Z‫ ܕ‬M@ P Ps127 :1 : D@‫ܪ‬MH
.M@b,O:P Mt26:38 : C3+ܼܿ ‫ܪܘ‬MܼܿH‫ ܼܿܘ‬veille CPA. ǧa‛ala Llāhu l-ka‛bata l-bayta l-ḥarāma qiyāman li-n-nāsi wa-š-šahra
l-ḥarāma wa-l-hadya wa-l-qalā’ida
des Saints du Temple ? Si l'on explore les travaux de Barbara Finster262 sur l'architecture des lieux
de culte en Arabie au Ve siècle, on constate que les Ka’ba étaient des sanctuaires chrétiens. Leur
forme cubique symbolisait le Saint des Saints, l'Arche d'Alliance. Or des lieux d'implantation d'églises
chrétiennes sont retrouvés en Arabie Saoudite notamment à Jubail.

A) Croix église Arabie Saoudite du 4ème siècle. Jubail Assyrian New Agency

B)

262. Église des Saints Martyrs et du Glorieux Arethas et église de la Sainte Mère de Dieu et des monastères.
Le fameux pèlerinage de la Ka’ba de Najran (construite par Ḥārith ibn Kaʿb) et le Martyrion de Arethas
(construit vers 520). Cela semble probable, étant donné que le culte des saints a été associé aux cultes des
ancêtres, base de la plupart des lieux sacrés. Yaqut écrit que la Ka’aba était une « qubba », un bâtiment en
forme de dôme, à proximité de la rivière Nuhairdān. Dans la maison et le jardin d'Arethas sont célébrées
des fêtes à l'extérieur. The Qur’an in Context Historical and Literacy Investigations Arabia in late Antiquity. Angelika
Neuwirth, Nicolaï Sinaï and Michael Marx – Barbara FINSTER. Brill, 2010. p.10.
B)Motifs église Quṣūr, Eglise du Koweit. Mosaïque, IVème siècle ap. J-C
C) Mosquée Waḥsh

Documents 1 : Le motif de la Croix en Arabie. Église en Arabie et mosquée au Yémen.


Présence d’éléments iconiques coraniques repris chez les proto-musulmans.

F -TYPOLOGIES ENTRELACEES
Moïse est-il le seul personnage principal du Coran ? N’est-il pas le personnage qui permet
de brosser le portrait de Muḥammad ? La réception de la Loi de Moïse n’est-elle pas le modèle de
la réception de la Loi coranique ?
Le personnage d'Abraham n'est utile que pour le droit à la terre promise et pour établir sa
généalogie, dans une région aride et vierge, et légitimer le site arabo-païen de La Mecque (Q22) et
se différencier du judaïsme. En effet, dans le Coran et son tafsir, le personnage d'Abraham semble
entièrement lié au site de La Mecque, mais cette association est circonscrite et décrite aux sourates
2, 3, 11, 14 et 22. Cependant, ce rapprochement n'est explicite qu'à la sourate 2. A la sourate 5, une
autre « Maison sacrée » est signalée et elle n'est pas attribuée à Abraham. De la même façon, la
sourate 28 évoque sans aucune précision un sanctuaire où les bénédictions affluent. La
concentration du terme « Qibla » – 7 occurrences coraniques groupées sur trois versets, 142 à 145
de la sourate 2 – soutient cette structure cultuelle très disparate ; cette dernière a été mise en
évidence par l'archéologie des qiblas effectuée par Gibson 263 . Les observations codicologiques
soutiennent ces réécritures sur le mot masgid).
Nous avons déjà souligné le rôle de Moïse qui est présent dans quasiment toutes les sourates
et ce dernier effectue son sacrifice loin de la Maison de La Mecque. C'est, en outre, le prophète le
plus cité dans les inscriptions épigraphiques en arabe.96 Plusieurs motifs organisent cette description
de Moïse.
Abdullah Galadar264 établit une correspondance entre la qibla et la shema et les commentaires
rabbiniques. Il interprète cette racine comme qa la ba, le cœur. En effet, la syllabe la peut être lue
avant la syllabe ba. Le verset 2/144 : « nous regardons (taqabulla) le cœur faisant face au ciel. »
Les motifs qui se déploient dans le Coran pour solenniser ce Pacte récupéré sont : l'épisode
du Sinaï, la transcription littéraire des dires d'Allah, l'épisode de la « vache », le jeûne de Moïse, les
serments, l'Arche, l'épisode de la mer qui s'ouvre en deux, l'Alliance et la restauration de la Maison,
la convocation de soixante-dix hommes, le Cataclysme, le Cri, la bénédiction, l'Hégire265 au désert
et la traversée du Jourdain, la contradiction prophétique. Le messianisme juif impose cette
réactivation des épisodes mosaïques. A propos de l'Arche, le mot tābūti est utilisé uniquement pour
l'Arche et le berceau de Moïse. La récupération de l'Alliance via Abraham est une trouvaille de saint
Paul. Le jugement final par Jésus est aussi repris de saint Paul.266

Le thème de la résurrection de la chair est un motif lié au Pacte. L' « avertisseur » donne
l’accès à l'héritage du Livre, l’élection et l'entrée à la demeure de stabilité (Q35/23). Tout comme
dans le Targum, le Coran associe les thèmes résurrection des morts, réunification du peuple et venue du
Messie ; nous y reviendrons. Parfois même, le thème de l'héritage de la terre et du Livre (Q35/39)
sont associés. Il est impossible de revenir sur terre et, donc, le repentir ne doit pas être retardé, lit-
on en 23/100. Ce thème est très présent dans le Coran et en parfaite continuité avec les homélies
de Narsai, Éphrem, Jacob de Sarough, Babai.267 L'école nestorienne syriaque professait une théorie
du sommeil des âmes dans l'attente du Jugement général. Les âmes attendent le Jugement en état
de sommeil, dans le Shéol ; la récompense et la punition ne peuvent intervenir qu'après le Jugement.
L'âme étant inconsciente, le Jour du Jugement lui semble immédiat268. Les hommes n'ont aucun
souvenir des événements ayant lieu entre la résurrection et la mort. Il est impossible de revenir sur
terre et donc il ne faut pas retarder le repentir, exactement comme dans Luc 16,19-25. Le ton
vivement polémique contre ceux qui nient la résurrection de la chair correspond à une thématique
tranchée au Concile de Constantinople en 553. Dans le Talmud, la résurrection apparait également
comme un des actes de foi les plus importants ; il y a une continuité entre les littératures rabbinique
et patristique sur ce thème.

263. GIBSON Dan, Suggested solutions for issues concerning the location of Mecca in Ptolemy’s geography. Academia,
2016.
264. GALADARI Abdulla, The Qibla : an allusion to the shema’, 2013 ; equinox publishing. p.1-10.
265. Fred DONNER s'étonne de l'absence absolue de la terminologie hégire pour désigner l'époque, « le
terme muhajirun a fini par tomber en désuétude […] car les conquêtes étaient terminées et tout le pays était
sous le contrôle des croyants » p.202. Aucun papyrii avant 930 n'utilise ce terme. Le terme utilisé était
« année 42 des croyants ». Donner, Fred M. (2010), Muhammad and the Believers: at the Origins of Islam,
Cambridge (Mass.), The Belknap Press of Harvard University PressDroge, A. J.
266. « C'est ce qui paraîtra au jour où, selon mon Évangile, Dieu jugera par Jésus-Christ les actions secrètes
des hommes. » (Epître aux Romains 2, 16).
267. Andrea TOR, Die Legenden von der Berufung Mohammeds, 2012. Il montre la proximité du Coran avec les
homélies des pères syriaques sur l'eschatologie, les anges au moment de la mort, les fuits du Paradis (les
bras purs qui accueillent ceux qui sont restés chastes, le vin pur pour ceux qui se seront privés). GILLIOT
envisage Muḥammad comme le parangon d'un monophysisme radical mâtiné de manichéisme et situé à
Hira. The Qur’an as a literary production of Late Antiquity, or: Muhammad as interpreter in the Meccan Arabic lectionary.
268. Les sourates abordant ce thème sont : Q36/52, Q6/27, Q7/53, Q23/107 Q32/12, Q35/35, Q39/58,
Q42/45, Q63/10, Q23/99, Q7/46.
L'idée fondamentale s'appuie sur l'affirmation que Dieu est capable de ressusciter tout
corps. YHWH de la Bible est le maître du Shéol, capable de faire ressortir l'homme de ce lieu
ténébreux (Ps 16,10 ; 49,16). Afin de démontrer le bien-fondé de la résurrection, il est fréquent de
voir comparer la première création avec la recréation future de l'homme. Celui qui a créé l'homme
à partir de l'argile sera en mesure de le recréer à la Fin des Temps. Selon Kuberski Piotr269 qui se
réfère au Talmud : « Celui qui forme l'être humain d'une goutte liquide ne le formera-t-il pas plus
aisément en le tirant de l'argile ?» (Talmud de Babylone, Sanhedrin 90b). Cette image se retrouve dans
le Coran : « tout revient à son Seigneur. C'est lui qui fait vivre et mourir. Il a créé le couple, mâle et
femelle d'une goutte de sperme » (Q30/19, 24) ce qui peut être traduit par D. Masson / « Il vivifie
la terre morte » ou par Sami A. Aldeeb : « il fait sortir le vivant du mort ».
Ailleurs, le Coran exprime la même idée de façon différente : « Comment pouvez-vous ne
pas croire en Dieu ? Il vous a donné la vie, alors que vous n'existiez pas. Il vous fera mourir puis il
vous ressuscitera. » (Q2/28) Allah permet de redonner vie à certains morts ici-bas (Q2/259). Il
montre à Abraham qu'il est capable de redonner la vie à un oiseau coupé en quatre (Q2/260). La
sourate 18 est un célèbre exemple de cette pré-résurrection présageant la future résurrection.
Par ailleurs, d'importants conflits agitaient les chrétiens syriaques et opposaient les
origénistes qui avaient rejeté ce dogme de l'immortalité de l'âme. Quinze anathèmes ont été rédigés
durant ce Concile. Le ton polémique et très au fait des querelles d'Eglises syriaques est en
contradiction avec le cadre mecquois invoqué contre des polythéistes. Pourquoi des polythéistes
se querelleraient au sujet de dogmes chrétiens ? Les mêmes contradictions parcourent
simultanément le Coran et les sources syriaques, à propos du sort des martyrs ; ces derniers
recevraient leur dû immédiatement ‒ d'après les sources syriaques et donc n’attendraient pas le
Jugement.270
Le Coran, par le verset Q3/169271 , nous affirme, lui aussi, que les martyrs vivent « dans
leur Seigneur ». Cette activité des martyrs est en contradiction avec le sommeil post-mortem. Seule
l’impossibilité de l'intercession des martyrs sépare le corpus coranique corpus syriaque. L'activité
d'intercession des martyrs contraste avec le sommeil des âmes en attente du Jugement.
La bénédiction concerne Isaac et non Ismaël, comme le prouve la référence Q37/113, et
la prophétie est la prérogative d’Isaac (Q29/27). L'Annonciation à Sarah inclut Jacob à Isaac
(Q11/74) : « nous lui annonçâmes la naissance d'Isaac et de Jacob ». Cette mêlée vient du texte
paulinien, Romains 9 : « Voici, en effet, la parole de la promesse : Je reviendrai à cette même
époque, et Sara aura un fils. Et, de plus, il en fut ainsi de Rébecca, qui conçut du seul Isaac notre
père ; car, quoique les enfants ne fussent pas encore nés et qu'ils n'eussent fait ni bien ni mal… »
La famille coranique d'Imran hérite de la famille de Jacob (et non de celle d'Ismaël), comme les
versets Q3/36 et Q3/38 l'expriment par « ta descendance ». La famille d'Ismaël n'est jamais décrite.
Goldziher272 confirme cette position tardive d'Ismaël. « Ismaélites » et « Hagarènes » : ce sont les
juifs et les chrétiens qui, pour désigner les Arabes qui déferlent sur le Jourdain ‒ frontière avec
l'Arabie ‒, utilisent ces dénominations, selon Sébéos. Ce dernier, qui oscille entre ces deux

269. KUBERSKI. P., La résurrection dans l'islam. La revue de science religieuse, 87/2, 2013, p. 179.
270. NARSAI, Homélies sur les martyrs. Un traité d'un père du sixième siècle contre « ceux qui disent que les
âmes défuntes sont inactives » VOL. VIII. THE LITURGICAL HOMILIES OF NARSAI CAMBRIDGE AT T
HE UNIVERSITY PRESS (1909) et traduction et commentaire de l'homélie de Narsai sur les martyrs. KRÜ
GER Paul, volume 4, L'orient Syrien, 196-210, 1959.
271. « Ne pense pas que ceux qui ont été tués dans le sentier de Dieu, soient morts. Au contraire, ils sont
vivants, auprès de leur Seigneur, bien pourvus. »
272. GOLDZIHER, Die Richtungen, Leiden 1952, 81; J.Walker, Bible Characters in Koran, London 1931, 52-3.
W.M Watt. Isḥak, E, I new édition 4/109-10. Rudi PARET Ismaël in 4/185-6. Bell Islam LXVII The Quran
Edinburg 1953, 2/446. Introduction to the Quran Edinburg 1953, 161-2.
dénominations, évoque aussi un partenariat entre juifs et Hagarènes, puis des tensions entre eux
sur l'esplanade du Temple, chacun y priant. Bell voit273 comme des interpolations, les épisodes de
sacrifices projetés sur Ismaël (Q37/100).
Pour solenniser ce Don de la Loi à Moïse, le Coran qui utilise la bénédiction judaïque bā rā
kāf (plus de 27 fois), prend à témoin, à la manière des juifs, les éléments sacrés de la Bible : « Par le
Mont Sinaï » (Q2/63, Q2/93, Q4/154), « Par le figuier et l'olivier » (Q95/1), « Par les rouleaux de
Parchemin » (Q52/1) – l'olivier produisant l'huile de l'onction (Q23/20). (Cf. Exode 30,30 et
Lévitique 8,12.) L'olivier est dit « arbre béni » donnant la lumière à l'univers (Q24/35). L'olivier
peut ici aussi désigner Jésus (dont l’injil est souvent associé à la lumière) et, par extension, les
chrétiens.

La descente du Coran durant le mois du jeûne est similaire à la réception de la loi par Moïse
durant le mois d'Elloul, sur le Mont Sinaï, resté sans boire ni manger (2/51) et à la descente sur
Marie du Verbe de Dieu, vouant, elle aussi, un jeûne, tout en acceptant la nourriture d'Allah.
L'Apocalypse de Baruch développera aussi ce thème du jeûne du visionnaire dans la grotte pour
écouter la parole de Dieu jusqu’au coucher du soleil. La fonction de résurrection pour la grotte des
croyants est développée à la sourate 18. Encore ici, nous retrouvons le fil rouge permanent nous
conduisant de Moïse à Muḥammad qui reçut sa révélation au sein d'une grotte.

L'expression ḥaram désigne, pour les tafsirs, la Mosquée de La Mecque, le lieu sacré et il
désigne aussi à une forme intensive, l’interdit.274 Ces connotations se font l'écho de l'interdiction
qu'avait fait Dieu de gravir la Montagne sacrée (Exode 19,12).275 Ce lien du sacré et du consacré
avec les références judaïques est renforcé par la symbolique du geste de retirer ses chaussures. Ce
rituel semble désormais appartenir au seul rituel islamique de la prière mais il est signalé
coraniquement parlant comme étant mosaïque. Cette règle mosaïque est telle que la Torah a la
même fonction que le furqan qui est, d'après les exégètes, l'instrument de séparation entre le vrai et
le faux, le « halal » et « l'interdit ».

Les tables de la Loi (Lawh (im), Al Lawhal en arabe et Louhoths en hébreu) ‒ garantes de ce
Pacte ‒ sont évoquées aux versets Q85/22, Q13/39, Q63/4, Q7/145, Q7/150, Q7/154, Q85/20.
Elles étaient en place, comme le signale le verset Q2/248, dans l'Arche (tâbûtû : ‫ت‬ ُ ‫ٱﻟﺘ ﱠﺎﺑُﻮ‬, teivah en
hébreu) « qui viendra vers vous portée par les anges, elle contient la sakaïnatum »276 (Shekineh en

273. BELL Richard, The Qurʿān, Translated, with a Critical Re-arrangement of the Surahs. 2 vols. Edinburgh, 1937-
1939.
274. ‫ חרמ‬interdit pour usage profane. JLAtg, CPA, Sam, Syr, JBA. TgJ 1Sam15:21 : ‫ְוַאפֵריש ַﬠָמא ִמן ִבְזָתא ָﬠן‬
‫ ְותוֹ ִרין ֳקָדם ְדַיח ְרמוּן‬. P Lv27:29 : *):‫ ܐ‬D- ‫ܡ‬.J-‫* ܕ‬-.1 TP. P Mi4:13 : ‫ܘܢ‬M%&%K D&-.1‫ܘܬ‬. BT Ara 29a(24)
Interdit ḥarrama Q2/173, Q 2/275, Q3/50, Q5/3. 39 Occurrences.
275. Ainsi le verset Q20-12 se souvient : « Je suis ton Seigneur. Enlève tes sandales : car tu es dans la vallée
sacrée Tuwa (non traduit) » On trouve aussi cette traduction : « vallée sacrée des deux appels ». Le jeûne du
Ramaḍan aurait pour origine le jeûne de Moïse. Muḥammad pratique le jeûne à la période de l'année où
Moïse se trouva jadis au Sinaï : le mois d'Elloul, le Ramaḍan. Mais il limite le jeûne à une durée de trente
jours. Il se justifie par le fait que Moïse ne devait initialement se trouver sur le Mont Sinaï que trente jours :
« Et Nous fixâmes à Moïse rendez-vous durant trente nuits, et Nous les complétâmes par dix, de sorte que
le temps fixé par son Seigneur se termina au terme de quarante nuits » (7, 138/142). Cette hypothèse est
déduite des travaux de Lüling, p. 235. Le rite accompli à Mina contiendrait une invocation au Mont Thabor :
« Soleil lève- toi depuis le Tabwr que nous puissions accomplir le rite de Mina. » (Al Azraqi Aḫbar Makka).
Le Dictionnaire donne aussi : Dédicacer comme sacré et interdire pour un usage profane aussi en Nabatéen,
Hatran, JLAtg (littérature judaïque des targums), CPA, Samaritain, Syr, JBA. P (Peshitta)
Lv27:29 : *):d%3-.J-‫ܕ‬d-.JBP . P(Peshitta) Mi4:13 BT (Talmud Babylonien) Ara 29a(24) : ‫ההוא גברא דאחרים‬
‫ « לניכסיה בפומבדית׳‬Détruire » JLAtg, Sam.
276. Ya’tiyakumu t-tābūtu fīhi sakīnatun min rabbikum wa-baqiyyatun mimmā taraka ’ālu mūsā wa-’ālu hārūna
taḥmiluhu l-malā’ikatu ’inna fī ḏālika la-’āyatan lakum ’in kuntum mu’minīna « Le signe de son investiture sera que
hébreu) et une relique de la famille de Moïse et de celle d'Aaron. Ce retour de l'Arche eut lieu, dans
le Coran, à l'époque de Saül, ce qui est trop tardif si la source utilisée est l’Ancien Testament. Le
prophète qui désigne le roi pour le combat est probablement Samuel. Dans le Livre des Jubilés, les
lois sont gravées sur des Tablettes Célestes. C'est une allusion à l'épisode relaté dans le Midrash,
dans des apocryphes du Nouveau Testament (Lecture de Jérémie, présent dans l’homiliaire géorgien277)
et le livre des Maccabées. Dans cette lecture célébrant Marie Arche d’Alliance lue dans l’antiquité
à Jérusalem, Aaron pourrait retrouver l'Arche d'Alliance scellée dans une grotte et seul Moïse
pourrait les lire et Marie y est dite arche d’Alliance. La sourate 2 évoque ce retour du « coffre »
(Q2/248) et la sourate 19 reprendra en pointillé cette thématique de l'Alliance par l’évocation,
« Marie, sœur d'Aaron » qui par typologie relie Marie à l’arche d’Alliance selon G. Dye278 .

Le don de la Terre. A Abraham Dieu a promis une terre. Il est envoyé vers une terre qui
est celle de son peuple. La terre y est définie, tout comme dans la Bible, comme un héritage suite à
l'Alliance. Les liens entre Israël et la terre ont été comparés aux liens du mariage.279 Le mariage
d'Israël et de la terre est l'expression du mariage entre Dieu et son peuple. Nous tenterons de savoir
si ces liens existent dans le Coran, l'Islam se présentant d'abord comme une Terre. « O mon peuple !
Entrez dans cette terre sainte qu'Allah vous a prescrite. » (Q5/21) Cette possession légitime de la
terre donnée par Allah est un thème fondateur du Coran, c'est un dû d'une Alliance oubliée.
L'héritage de la terre en Islam passe-t-il par l'acceptation du Pacte ? La réponse se trouve à la sourate
30 (versets 2, 3 et 6) : « Les Romains ont été vaincus dans le pays voisin […] C'est la promesse
d'Allah, Allah ne manque jamais sa promesse… » Le don de la terre est le résultat d'une promesse
et d'une bénédiction. La bénédiction peut échoir à un autre peuple, comme le signale la sourate Le
butin. C'est qu'en effet « Dieu ne modifie pas un bienfait dont Il a gratifié un peuple avant que celui-
ci change ce qui est en lui-même. » (Q8/53) Le récit coranique, accusatoire médite ici, sur le sens
des victoires en général semble décrire la perte de la terre par les byzantins. « S'ils avaient appliqué
la Thora et l'Évangile et ce qui est descendu sur eux de la part de leur Seigneur, ils auraient
certainement joui de ce qui est au-dessus d'eux et de ce qui est sous leurs pieds. » (Q5/66) La
corruption de la terre est toujours associée à l'oubli d'Allah.

Selon E.-M. Gallez, une carte orientée nord-sud révèle immédiatement que les troupes
arabes coalisées arrivaient par le sud, mais elles n'entrent pas en Palestine par ce côté-là : elles se
dirigent vers la Transjordanie ; c'est ce que le chronographe Théophane ne comprend pas, d'où son
idée qu'elles comptaient sans doute y attaquer des tribus arabes.

le Coffre va vous revenir ; objet de Sakīnat / Šekinah inspirée par votre Seigneur, et contenant les reliques
de ce que laissèrent la famille de Moïse et la famille d'Aaron. Les Anges le porteront. Voilà bien là un signe
pour vous, si vous êtes croyants ! »
277. Nouveaux apocryphes de la Dormition conservés en géorgien, An. Boll. 90, 1972, p. 363-369. Edition géorgienne,
avec traduction latine, d'une homélie pour le 13 août, dite lecture de Jérémie, contenue dans l’homiliaire
géorgien du cod. de Tbilissi A-144 (10è.me siècle) .
278. DYE Guillaume, An early unnoticed attempt to build a christology common to muslims and christians? 2015. p.1.
Cours donné à l’ULB.
279. Selon MANNS Frédéric, Un père avait deux fils, Médiaspaul, 2006, p. 375 : « Le Deutéronome gardait
la conception primitive de l'alliance comme celle d'un pacte qui crée pour Israël des obligations et dont
l'aspect juridique reste très prononcé. L'alliance établit le statut de la nation et définit les obligations
cultuelles qui découlent de la reconnaissance du Dieu unique. Elle garantit en revanche la possession
tranquille de la terre promise. L'auteur du Deutéronome n'est pas seulement un législateur ; ses paroles
viennent du cœur et s'adressent au cœur. Il insiste sur la gratuité du choix d'Israël et des bienfaits dont il est
comblé, faisant de la fidélité aux engagements de l'alliance une question de reconnaissance. Pour la tradition
sacerdotale, par contre, la notion d'alliance est avant tout un don de la libéralité divine, ce qui en accentue
le caractère unilatéral. Dans la littérature prophétique de l’avant exil, Osée avait introduit l'image des
épousailles pour exprimer de manière plus réaliste et plus affective le lien qui unit Israël à Dieu. »
L E MOTIF DU T EMPLE

Dans le livre des Maccabées, Jérémie cache les objets du Temple dans une grotte qui devra
rester cachée jusqu'à l'avènement du nouveau Moïse promis par la Bible. Jérémie trouva une
habitation en forme de grotte et il y introduisit la tente, l'Arche, l'autel des parfums, puis il en
obstrua l'entrée. La sourate 19 a pour sous-texte les lectures de Jérémie, qui étaient lues aux fêtes
mariales du Kathisma. Les lectures étaient axées sur le rôle de Marie, arche d'Alliance, sœur
d'Aaron.280 Seul Aaron pourrait retrouver cette arche dispensatrice de la sakīna. Marie est fortifiée
par l'Esprit Saint. La geste maccabéenne s'inscrit dans le prolongement de celle de Moïse et dans
l'attente de la venue d'un second Moïse, fruit d'une miséricorde faite par Dieu (2M 2,5) ; et le verset
Q19/2 – qui s'ouvre ainsi : « c'est le récit de la Miséricorde de ton Seigneur »281 – connaît ce thème
qui va sans cesse associer Marie et le Temple, Marie et Aaron, Marie et l'Arche, Marie et la sakīna.282

« Marie, sœur d'Aaron » est une expression qui, dans l'exégèse typologique, peut se
comprendre. Le voile que Marie tisse est celui du Tabernacle dans lequel sont les Tables de
l'Alliance et la sakīna le recouvre, voile que seule une vierge de la lignée de David pouvait tisser.
Ces éléments se retrouvent dans le Coran : le hijjab, le kalima et l'Esprit Saint.283 L'élément Temple
et second Moïse est omniprésent dans cette sourate.

La Maison (bayt ) de Dieu. Abraham convoque les hommes à « la Maison », ’al-bayta,


transposition de l'hébreu « bayit », pour qu'ils « célèbrent le Lieu d'Abraham par des prières » (v.
125). La sourate 22, versets 28 à 35, retrace cet épisode. Avec l'expression la « Maison de Sa prière »,
Isaïe évoque ce lieu où l'Eternel Se prie. Cette prière particulière d'Allah est présente : « C'est Lui
qui prie sur vous ainsi que Ses Anges. » (Q33/43) Une très riche typologie développe cette reprise.

Depuis l'aube des temps ce sanctuaire existe, selon des ouvrages de l'Antiquité tardive. Le
livre La Caverne des Trésors évoque une caverne où Adam fut enterré et où les fils d'Adam auraient
adoré Dieu depuis l'aube des Temps ; le terme araméen ṣalawātun (« maison de prières ») est
exactement le terme coranique. Cette maison adamique284 fait penser à la légende de fondation de

280. Conférence de Guillaume DYE sur Marie et le Kathisma.


281. Dikru raḥmati rabbika ‛abdahū zakariyyā.
282. II M 2,1. On trouve dans les écrits du prophète Jérémie, qu'il ordonna à ceux qui émigraient de prendre
le feu, comme il a été dit, et comme il le commanda aux émigrés. II M 2,2. Et il leur donna la loi, pour les
empêcher d'oublier les préceptes du Seigneur, et de tomber dans l'égarement d'esprit et voyant les idoles
d'or et d'argent, et leurs ornements. II M 2,3. Et, disant encore d'autres choses semblables, il les exhortait à
ne pas éloigner leur cœur de la loi. II M 2,4. Il était aussi marqué dans le même écrit comment le prophète
ordonna, d'après une réponse qu'il avait reçue de Dieu, qu'on emportât avec lui le tabernacle et l'arche,
jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la montagne sur laquelle Moïse était monté et avait vu l'héritage de Dieu. II M
2,5. Étant arrivé là, Jérémie trouva une caverne, et il y porta le tabernacle, l'arche et l'autel de l'encensement ;
puis il obstrua l'entrée. II M 2,6. Or quelques-uns de ceux qui l'avaient suivi s'approchèrent ensemble, pour
remarquer ce lieu, et ils ne purent le trouver. II M 2,7. Lorsque Jérémie l'apprit, les blâmant, il dit que ce
lieu demeurerait inconnu, jusqu'à ce que Dieu eût rassemblé Son peuple dispersé et qu'Il lui eût fait
miséricorde ; II M 2,8. Et qu'alors le Seigneur montrerait ces choses, et que la majesté du Seigneur
apparaîtrait, et qu'il y aurait une nuée, comme elle avait apparu à Moïse, et comme elle fut manifestée lorsque
Salomon demanda que le temple fût sanctifié pour le grand Dieu. » Michael Marx et Angelika Neuwirth
(29) (32) soulignent ce lien de Marie au Temple. Michael Marx relie directement les Hymnes syriaques
d'Éphrem à la mariologie du Coran.
283. Le Saint-Esprit est toujours signalé avec Jésus ou Marie ou les Apôtres. Le Coran confirme ici ce
privilège des Apôtres sans tirer les conséquences (Q2/253).
284. Sous le Calvaire actuel se trouve la Chapelle d'Adam. En dehors de la fissure de la roche reliée au
tremblement de terre de la mort du Christ, quel est l'intérêt de ce lieu ? Il relève de la théologie, et non de
l'archéologie. Selon une tradition juive du IIe siècle av. J.-C., Adam avait été enterré là où il avait été créé : à
l'emplacement du futur temple. Et c'est le Messie qui doit lui ouvrir le Paradis (Test. De Lévi 18 ; Genèse
Rabba 12,6). Les chrétiens ont compris que la tombe d'Adam devait être au Calvaire, puisque c'est là que le
La Mecque par Adam. La vision 3 et la similitude 9 du Pasteur d'Hermas évoquent une construction
autour de laquelle sept femmes tournent. Le Festin de la Montagne de Sion existe à l'état de traces
dans le Coran. Isaïe 25 : « L'Éternel des Armées prépare à tous les peuples un festin de mets
succulents, un festin de vins vieux, il anéantit le voile. » Le Festin post-mortem, les vins scellés et le
voile anéanti sont suggérés dans le corpus.

2 - LES MECANISMES DE SUBVERSION

LE MESSIE DU PROPHETE

La Bonne Nouvelle de la Création aboutit à « faisons l'homme à notre image ». L'homme est à
l'image de Dieu, Dieu s'en réjouit. Le péché d'Adam brise cette image, cette ressemblance et conduit
Dieu à donner sa Loi et les Sacrifices, par Moïse, pour rétablir l'ordre. C'est dans la liberté que
l'homme choisit cette Alliance, cette volonté que possède Dieu, de restaurer l’image et la nuptialité.
L'incarnation de cette Alliance se fait dans un peuple choisi, un peuple « circoncis » et une histoire de Dieu
avec celle des hommes. Le temps étant entré dans le monde ainsi que la mort dans le corps, il fallait que
la Création gémisse sa libération. L'incarnation aboutit à la venue du Messie, Fils de Dieu, qui
restaure tout dans et par son Sang ; c'est ce serviteur souffrant qui paye la dette de l'iniquité. Isaïe :
« Il a été transpercé à cause de nos péchés, broyé à cause de nos iniquités ; le châtiment qui nous
donne la paix a été sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. » C'est l'offrande
de son corps, unie à la volonté de son Père, qui sanctifie et permet de faire coïncider la Loi et la
chair du cœur.285 Le schéma judaïque est proche, à la différence du refus du caractère messianique
de Jésus et donc ils sont toujours dans l’attente du Messie, restaurateur d'Israël et ont effectué
l'identification du peuple au serviteur souffrant.

Le schéma sotériologique islamique est subversif, il présente plusieurs aspérités et de


multiples inversions. Le motif de la Création ne part pas d'une ressemblance de l'homme avec
Allah. L’imago dei est niée dans une phase de l’Empire. Ce dernier ne se réjouit de rien et surtout
pas de Sa Créature. La Créature n'a rien de commun avec Allah. Pourtant, Allah oblige Iblis à se
prosterner devant la créature, inférieure à lui. Ici il faut préciser que cette non ressemblance n’était
pas connue des premières disputatio entre Chrétiens et Musulmans. Le Sheitan, jaloux de l’homme
tient alors ce dernier responsable de sa propre déchéance. Cet épisode n’est pas biblique :
l’identification du serpent de la Genèse à l’Ange déchu n’est pas connu de la Bible mais elle est
systématiquement faite dans l’écrit coranique. Dieu y exige que les Anges se prosternent devant Adam,

Messie a racheté tous les hommes, depuis Adam (selon un apocryphe judéo-chrétien, La Caverne des trésors,
et de nombreux Pères). Une petite grotte, au pied du rocher du Calvaire, a été vénérée, en 135 av. J.-C.,
comme la tombe d'Adam. On a imaginé que, par la fissure du rocher, le sang du Christ avait coulé sur le
crâne d'Adam pour le racheter. Sur bien des images de la Crucifixion, on voit, au pied de la croix, une grotte
abritant un crâne, ou un crâne et des ossements ; ils symbolisent non pas la mort, mais le salut pour toute
l'humanité, depuis Adam. (Philippe Gruson, Le Monde de la Bible, Sur les pas de Jésus, Jérusalem, Bayard 2005).
285. « Le Christ commence donc par dire : Tu n'as pas voulu ni agréé les sacrifices et les offrandes, les
holocaustes et les sacrifices pour le péché, ceux que la Loi prescrit d'offrir. Puis il déclare : Me voici, je suis
venu pour faire ta volonté. Ainsi, il supprime le premier état de choses pour établir le second. Et c'est grâce
à cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l'offrande que Jésus Christ a faite de son corps, une fois
pour toutes […] Frères, c'est avec assurance que nous pouvons entrer dans le véritable sanctuaire grâce au
sang de Jésus : nous avons là un chemin nouveau et vivant qu'il a inauguré en franchissant le rideau du
Sanctuaire ; or, ce rideau est sa chair. Et nous avons le prêtre par excellence, celui qui est établi sur la maison
de Dieu. » (Épître aux Hébreux, 10, 8-10 et 19-21)
(son Image) dans La vie grecque d’Adam et Eve) mais Iblîs (nom grec) refuse. Et c’est parce qu’il refuse
qu’il est répudié et veut alors par vengeance, guider l’humanité dans l’erreur. Il prend le nom de
Satan uniquement lorsqu’il est le trompeur du jardin du paradis. Il trompe les deux humains en
même temps.

Les implications de cette transcendance jalouse d'Allah sont nombreuses, en dérive la tutelle
d'Allah et la distance relationnelle d’avec sa Créature et un prophétisme de transfert à la place du
Messie-sauveur.

Allah couvre la nudité de sa Créature et envoie des prophètes tous identiques. Allah fait
descendre « Sa kalima » – une révélation primordiale – identique depuis les origines. Les Prophètes
colportent la même parole (la kalima) et le même « livre » de siècles en siècles. Le temps des hommes
est figé. Pourtant, la Parole est sans cesse recouverte et déviée, le livre sans cesse perdu. Allah est
« fatigué » de renvoyer sa Parole, détruit des cités. Le Messie ne peut accomplir sa Mission car les
juifs ont refusé le Messie-Jésus. Ils prétendent l'avoir crucifié. Jésus demande à ses apôtres de
« secourir Allah ». Le Messie annonce in extremis la venue d'Ahmed, le prophète. Ahmed annonce
le retour du Messie qui doit combattre le dajjal. Le Messie reviendra donc après Ahmed pour rétablir
la religion initiale d'Abraham ou d'Adam.
C’est l’obéissance au rassul et l’adhésion à son combat sur le sentier d'Allah qui sanctifie, en
secourant le rassul, le Croyant fait un bon échange avec Allah - qui lui rend le Paradis verdoyant et
son corps pour jouir dans la luxure.
La résurrection de la chair dans l’Eden est donc la bonne nouvelle islamique et elle se paye
de façon sûre par le combat.

A- LE MESSIE : LA PORTE DE L’EDEN


L’absence islamique du sacerdoce entre en contradiction avec le thème de la nécessaire
purification pour retourner en Éden. Cette purification est omniprésente dans la conception
islamique ; dans Le Coran ce sont Le Messie et Moïse, les deux figures liées à l’acte de purification.
Le Messie avait pour mission de rouvrir les portes du Paradis, d'enlever l'épée menaçant
Adam, et de donner à manger aux justes de l'arbre de vie, selon le Testament de Lévi 18,10-11.
C'est exactement la fonction décrite par le texte littéral du Coran. Le mot sharîa connote la Loi,
mais son étymologie plonge dans l'eau qui permet la vie.

Ces typologies de la rédemption sont voilées, tout comme celles qui résultent de l'analogie
entre la pluie et la figure de Christ. Ces typologies sont inaudibles dans une lecture sunnite.
Cependant, les concordances sont tenaces, les mots « pluie » et « révélation » sont liés
statistiquement par plus de 20 occurrences où les deux notions sont évoquées ensemble (tableau
ci-dessous). Les accents analogiques présents chez Saint Éphrem semblent trouver de puissants
échos et développements coraniques. Nous trouvons ainsi une forte concordance entre le symbole
de la pluie, de l'eau rédemptrice et la descente du Livre/testament-Loi d'Allah. Ces analogies sont
magistrales et systématiques chez saint Éphrem et dans la liturgie chaldéenne. La liturgie
chaldéenne explique et reprend cette typologie du Messie-ondée vivifiante de Michée : il viendra
« comme la rosée qui vient de YHWH » (Mi 5,6). « Toute la Terre souffrait de sécheresse […] et la
toison est la Figure de Marie qui comme la toison reçut toute la rosée alors que la terre restait
sèche » ; « La comparerais-je au Jardin dont quatre fleuves se répandaient et dont la source n'a sauvé
personne de la mort et dont l'arbre de vie se dressait. Mais, de Marie a jailli une source que quatre
bouches ont répandue et dont s'est enivrée la terre et l'arbre étonnant qui a porté un fruit
merveilleux ».
(Q7/57) « pluie, résurrection, eau, grâce, vents » et, Q27/63, vents, bonne nouvelle (r-riyāḥa bušran)
(Q15/22) « descente, vent, eau » : wa-’arsalnā r-riyāḥa lawāqiḥa fa-’anzalnā mina s-samā’i mā’an
(Q24/45) « signes descendus, ondée purifiante », ḫalaqa kulla dābbatin min mā ’anzalnā ’āyātin
mubayyinātin wa-Llāhu
(Q25/54) l-māi (« eau »), (Q25/32) nuzzila
(Q29/63) māan, (Q29/63) nazzala
(Q43/11) māan, (Q43/11) nazzala, (Q43/31) nuzzila
(Q47/15) māin, (Q47/2) nuzzila, (Q47:26) nazzala
(Q47/15) māan, (Q47/20) nuzzilat
(Q50/9) māan, (Q50:9) wanazzalnā
(Q56/31) wamāin, (Q56:68) l-māa, (Q 57/9) yunazzilu
(Q57/20) « pluie, pardon d'Allah, paradis »
(Q67/30) māukum, (Q67/30) bimāin, (Q67/9) nazzala

Cette source vivifiante sort aussi de la Marie coranique qui va, non seulement reverdir et
faire fructifier l'arbre exclu du Paradis (le Palmier), mais aussi, dans ce désert, pouvoir s'abreuver.
La typologie de la « descente », de la « tombée » – ‫– נפלת‬, en relation avec Jésus, occupe une place
dans les hymnes de l'Église assyrienne. La racine nūn fā lām a pris le sens de « butin » dans le Coran,
mais une autre racine est omniprésente, nūn zāy lām, avec le sens de « révélation », dans une forme
intensive en araméen palestinien.

« Au tronc du palmier… il l'appela : ton Seigneur a placé à tes pieds une source… des dattes
fraiches. » (Sourate 19) Présentons quelques-unes ci-dessous, de ces concordances entre
« descentes célestes » et « eau ». Il faut bien réaliser que le terme nazzalla est celui qui est privilégié
pour désigner la descente de la Parole incréée. Il existe une forte corrélation entre les mots la
Résurrection (qiyāmati), eau (māi), descente (nazzala) et la Puissance (qadīran). Ce mot, si les analyses
philologiques de Luxenberg et de Dye sont vérifiées, est le qualificatif de la Nuit de Al Qadr, nuit
de la céleste descente du Verbe en Marie.G. Gobillot 286 montre en outre, que le retour à la vie est
le fait du souffle de Dieu réalisé par Jésus qui insuffle la vie aux oiseaux, processus de résurrection
expliqué à Abraham qui s’interroge. La traduction qu’elle fait de ce passage est « serre-les contre
toi » et non « coupe les en quatre » pour ṣurhunna ilayka. L’épisode de la vache rousse serait selon
elle, une métaphore de l’eau purifiante giclant du cœur du Christ.

On montre que les descentes qu'effectuent Allah par des éléments divers sont caractérisées par
la « miséricorde » du « Loué », le « redressement des morts/la résurrection », « l'eau purifiante, les vents ou l'Esprit
vivifiant, la puissance : qadir ».

Ces concordances vont dans le sens d'une descente particulièrement salvifique marquée
par la Puissance et dont l'allégorie de prédilection est la pluie. La racine qadir, présente en Q97,
symbolise cette puissance divine et est associée à la descente du Verbe incréé. Cette descente est,
selon Luxenberg, celle du verbe de Dieu : Jésus, dans une strate inférieure, et le Coran dans une
strate supérieure. Qui donc, mieux que Jésus, correspond à cette eau salvifique dans le Coran ?
Dans le Coran, Marie voit un ruisseau sortir à ses pieds (Q19). Guillaume Dye a montré, dans sa
conférence287 que toutes les typologies de l'Arche de l'Alliance sont associées à Marie. De l'Arche
d'Alliance en acacia sort une eau pure et vivifiante, selon Joël. De l'acacia (Q56/28) gicle une eau
perpétuelle. La forte concordance à la Résurrection conforte notre attribution. En outre, le verset
33 de la sourate 19 associe Jésus à la Résurrection ; Luxenberg fait de même pour retraduire le

286. GOBILLOT. G. Les fondements coraniques du dialogue interreligieux, Académia, p.45.


446. DYE Guillaume, An early unnoticed attempt to build a christology common to muslims and Christians ? Some
thoughts and insights on the qur’anic Mary. April 23, 2015 St Louis Universiy, Madrid. La Sourate Maryam du coran
inspirée par la liturgie chrétienne du Kathisma en Palestine.
verset Q72/19 : « quand le serviteur d'Allah est ressuscité ils l'adorèrent ». Ajoutons cette
traduction frauduleuse, en Q19/32, de termes bien répertoriés. Les traducteurs essaient un éloge
par des négations à l'encontre de Jésus, « ni violent, ni malheureux ». Le verset 32 est : « wa-barran
bi-wālidatī wa-lam yaǧ‛alnī ǧabbāran šaqiyyan ».. C’est une traduction qui minore les prérogatives
christiques, Ǧabbāran signifie indiscutablement selon sa racine « l'Homme » (šaqiyyan *‫ܬ‬432)/celui
qui étanche la soif .288L'eau baptismale est, nous l'avons vu, camouflée deux fois dans cette sourate
19 (Q19/12, Q19/29). Quant au qualificatif wa-barran, qui est un nom divin (Q52/28) il s’origine
dans le sens de créateur et non seulement “respectueux ». Son origine araméenne signifie « le Fils ».
« Bari kum » (Q2/54) est traduit par « Votre Créateur » et est utilisé pour Jésus (3:49:24).

En conclusion, si les descentes de miséricorde sont variées et multiformes, elles


affectionnent le symbolisme de l'eau, de la puissance, de la résurrection, et finalement sont proches
de visions judéo-chrétiennes de l'Arche d'Alliance. Donc ce « dossier » eau/puissance/Jésus illustre
la conception du « salut » coranique dans une strate ancienne.

A propos du paradis, il existe le mot saraban, très discuté par les orientalistes, qui évoque
une idée très précise sur la localisation du cours de la rivière qui, selon Genèse 2 (v.10-14), coule
depuis l'Éden, passant sous la mer pour atteindre la partie habitée du monde. Le curieux épisode
de la fuite du poisson au verset 61 de la sourate 18 est difficile à interpréter et semble bien lié à ses
sous-textes bibliques. Durant l'Antiquité tardive, une légende concernant le voyage d'Alexandre en
Terre sainte – voyage au cours duquel ce dernier ne parvint pas à se baigner dans l'eau de la vie –
était très répandue. Le Roman d'Alexandre est à l'origine du récit coranique de l'évasion d'un poisson
rejeté à l'eau après avoir été salé par le cuisinier d'Alexandre. Plusieurs sources de l'Antiquité tardive
montrent que le motif de l'eau vive est intimement lié à celui de la rivière paradisiaque 289 et de la
purification.

Ainsi, dans une version juive de la légende d'Alexandre, dans le Talmud de Babylone
(Tamid 32a-32b), Alexandre a atteint le jardin d'Éden en suivant le cours d'eau dans lequel il a lavé
le poisson salé. Ici se reflète l'idée que le Paradis terrestre pourrait être atteint tout en suivant le
cours des quatre rivières. Dans toute l'Antiquité tardive était répandue l'idée que le Paradis est un
lieu physique situé en face de l'océan qui entoure la Terre.290 La vision du monde souterrain se
dégageant de ce passage coranique est frappante et très différente de celle exprimée dans Q3/103
concernant la fosse de feu. En fait, le monde souterrain, lieu où coule l'eau du Paradis, est tout à
fait opposé à la représentation où brûle le feu de l'Enfer. Comment interpréter cette vision
dichotomique ? Ce scénario est compatible avec le concept culturel de l'Antiquité tardive sur le

288. ‫ִשקָיא‬: « offrir à boire, étancher la soif ». 2 « irriguer »


289 . PHILOSTORGE, Histoire de l'Eglise, III, 10 ; Alexander Chanson, Ed.G. J. Reinink, 44-47, cf.
Apocalypse 22: Historia ecclesiastica Zachariae Rhetori, éd. E. W. Brooks, 64, cf.Lev. 14: 51-53, 15: 12-14,
2K. 5: 10-14.
290. Par exemple, EPHREM, Hymne du Paradis, II, 6 ; La Caverne aux Trésors, rec. II, 3,15 ; COSMAS
INDICOPLEUSTES, Topographie chrétienne, II, 24 ; La légende d'Alexandre. Conformément à ce concept, il est
généralement supposé que les rivières qui se jettent hors du Paradis passent sous l'océan pour atteindre la
partie habitée du monde. Cette idée remonte au moins à Éphrem, selon lequel les cours d'eau entrent dans
la mer environnant le Paradis. Et après avoir traversé le sol sous la mer, ils atteignent la terre (Commentaire
sur la Genèse, II, 6). La même idée d'une rivière qui sort du Paradis et d'un voyage souterrain sous l'océan est
exprimée par Philostorge (Histoire de l'Eglise, III, 10), Sévérien de Gabala (Homélies sur la création et à l'automne,
V). Épiphane de Salamine (Ancoratus, 58: 1-8) et Augustin (Signification littérale de la Genèse, 07/14 ; cf. Philon
d'Alexandrie, Questions et réponses sur la Genèse, I, 12). De la même manière, Cosmas Indicopleustes étudie les
quatre rivières pour atteindre le monde habité et l'existence d'un souterrain sous l'océan (Topographie
chrétienne, II, 81). Dans son Homélie sur la Création (I, 395-6), le théologien syriaque et poète Narsaï (d. 502
CE) se réfère à un concept très similaire sur le cours des fleuves du Paradis, qui est « comme un tunnel dans
la mer » (w-'yk silwn 'b-ym').
Shéol, qui possède la double connotation de décès et de fertilité. En effet, si, d'une part, le monde
d'en bas a été associé à la fois à l'Hadès et à la Géhenne, d'autre part, il a été connu pour être le site
à partir duquel les eaux de Vie étaient versées. Il est intéressant de remarquer que pour les deux
auteurs – saint Augustin et saint Éphrem – au royaume de la mort, il y a le cours souterrain des
fleuves du Paradis.

L'attribution au monde souterrain de ces diverses connotations n'est pas la conséquence


d'une vue développée au cours de l'Antiquité tardive, mais remontant à des temps plus anciens. Les
sources babyloniennes certifient déjà une confusion similaire entre le royaume de la mort et d'Apsu,
l'océan à l'origine de la Terre et de l'eau fraiche. L'Ancien Testament atteste une double-vue
similaire à propos de Tehom, la mer qui, dans la cosmologie biblique, entoure et sous-tend la Terre.
En fait, si plusieurs passages bibliques décrivent Tehom comme source des rivières et liée à l'outre-
monde (Jean 2,6 ; Ez 26,19 ; Job 26,5; 38,16-17; Ps. 71,20 ; cf. Wis. Sol. 16 :13). Il est à noter que
le terme grec ἄβυσσος, que la Septante utilise pour traduire l'hébreu Tehom, est venu à désigner,
dans le Nouveau Testament, le séjour des morts. Comme il arrive souvent, les concepts doctrinaux
sont reflétés dans les mythes et les légendes. Par conséquent, il est non surprenant que les eaux du
monde souterrain soient souvent créditées de propriétés extraordinaires. Un exemple bien connu
est celui de l'invulnérabilité d'Achille, que ce dernier acquiert après avoir trempé dans les eaux de
la rivière Styx infernale.

Marie est associée au Rocher d’où sort l’eau vive. C’est la fontaine d’eau vive dans toute la
liturgie syriaque et dans Le Coran.

Toutefois, le cas le plus notable (que l'on trouve dans la version syriaque de La légende
d'Alexandre) est celui de l'eau de la vie à laquelle est lié le passage coranique mentionné ci-dessus,
passage composé au moment de la période présumée pour la prédication. L'Apocalypse de Moïse
annonce que les délices du Paradis seront rendus aux hommes à la résurrection, tandis que La Vie
grecque d'Adam et Eve prédit la restauration de la création et du Temple291. Les cieux et la terre seront
renouvelés, affirme le Targum TjI Deut 32,1. Le Coran partage ces vues. Cependant, Luxenberg lit
dans le Coran un autre genre de félicité que la lecture traditionnelle ne le fait.292

G. Gobillot293 analyse le verset Q2/74 en rapport avec le Messie qui doit asperger les peuples
nombreux dans la vision d’Isaïe. Elle associe le sens de ḍad ra ba présent au verset Q7/160 (frapper
la roche pour en faire sortir des rivières) à l’aspersion purificatrice. Le verset évoque de l’eau (fa jim
ra, jaillissant comme une rivière) (détruisant ou dans la chair en araméen), elle l’attribue à Jésus et
à la vache rousse dont les cendres sont expiatrices et qualifie ce dernier de Jésus, « Expression du
Vrai » (qawl al-ḥaqq) qui réalise le « Décret perpétuel de la Torah » (houqqat ha-Torah).

Le thème de la « source » est récurrent dans le Coran. Symbole de la Loi et quête du Paradis,
la « source » traverse le Coran et le rituel mecquois. Marie accouche auprès d'une source ; Moïse
frappe le rocher de son bâton ; Agar trouve une source d'eau. Le Dôme sera celui du « Rocher » et
citera, dans ses frises, Moïse ; le pèlerinage mecquois réinvestira la gestuelle d'Agar en quête de la

291. Dans Le Testament d'Adam, on retrouve le refus d'Iblis d'adorer Adam.


292. « Nous les installerons confortablement sous des (raisins) blancs, (clairs) comme le cristal, rawah-nahoum
bi hourin 'in in » et non pas zawaj-nahoum (Nous les avons épousés). » Tous les autres passages sur les hourīs,
p. 247 à 280, sont révisés de la même manière (Q2/25).
« L'éternel des Armées prépare à tous les peuples un festin de mets succulents, un festin de vin vieux. Et
sur cette montagne, il anéantit le voile. » (Isaïe 25)
« Les jardins de l'Éden où ils entreront parés de bracelets en or et de perles ; et de vêtement de soie. »
293. GOBILLOT. G. Les fondements coraniques du dialogue interreligieux. P. 43-60.
source de la Loi. Nous pourrons essayer de saisir les pérégrinations des idées concernant la Loi de
Moïse au travers de ces lectures folkloriques et du rituel 294 , tant la relation avec le sous-texte
parabiblique est évidente.295

J ÉSUS : TREMPLIN POUR LE M ESSAGER

Le verset Q3/61 nous affirme que le Messager y est « contredit à son propos » (celui de
Jésus). Ainsi, Jésus, confirmateur de la Torah mais mécru par les juifs, ouvre une carrière à
Muḥammad ; de plus, Jésus rend licite une partie de la nourriture interdite, fonction essentielle du
Logos. Cet argument insistant est visiblement à destination des juifs dans une strate première. Dans
une strate seconde, il va servir à accuser les chrétiens par un Jésus islamique. Allah va faire
comparaitre l'accusé-Jésus pour clarifier son discours aux hommes : « Est-ce toi qui a dit aux
gens… » Le développement sur Jésus est si dense, si riche et si indispensable à la dynamique
coranique de la Prophétie que nous ne pouvons considérer Jésus comme simple passeur de relais.
Il est un rouage doctrinal pour réorienter le concept biblique de l'Alliance et la réduire à une tutelle. Ces évolutions
sont le reflet d'un travail continu sur le sens du ductus, une réorientation doctrinale.

Afin de missionner le nouveau Messager comme prototype du prophétisme persécuté, cet


argument sera maintes fois repris. Il faut noter que, dans l'Évangile, c'est l'envoyé qui est persécuté
et torturé. Le discours coranique retourne les châtiments évangéliques sur les ennemis du Messager,
tout en associant un extrait de Sanhédrin. Tous les écrits coraniques sont des écheveaux où
s'entrecroisent des fils pagano-arabes et des fils judéo-chrétiens. Ces deux exemples sélectionnés
montrent une fixation de la Loi sur le sang : « quiconque tuerait une personne c'est comme s'il avait
tué tous les hommes » ; la Loi sur la Cacherout montre que l'Alliance proposée compose avec des
segments connus de l'auditoire. Dans cette recherche de traces d'une conception judéo-chrétienne
de l'Alliance, pistons le héros de la Loi dans le corpus coranique.

Jésus va y faire descendre une Table Céleste commémorative, à la fois signe divin et test
sélectif de la croyance en Jésus. Les deux significations araméennes, attributs de cette table sont
« habituelle » et « commémorative ». 296 Ici, on peut se demander pourquoi aucun épisode
explicitement et longuement détaillé ne soutient le prophétisme de Muḥammad ? Par ailleurs, ce
test sélectif basé sur « la croyance en une descente » renvoie au verset 157 de la sourate 7 qui lui,
est attribué par les exégètes, à Muḥammad. Pourtant, le verset semble bien initialement renvoyer à
Jésus, de par ce curieux rappel : « ceux qui croiront en Lui ». La requête de « lui porter secours » –
présente dans ce verset – est répétée deux fois à l’adresse de Jésus (Q3/52 et Q61/14). La croyance
en Jésus est donc bel et bien un dogme coranique, dogme qui, progressivement, va se diluer grâce

294. « (Rappelez-vous) quand Nous fîmes alliance avec vous et que Nous élevâmes au-dessus de vous le
Mont (Sinaï, en disant) : Prenez avec force l'Écriture qui vous est donnée et rappelez-vous ce qu'elle
contient ! " Et (rappelle-leur) quand nous projetâmes la Montagne (du Sinaï) au-dessus d'eux comme si elle
avait été un dais, et (quand) ils pensèrent qu'elle allait tomber sur eux. Prenez avec force ce que Nous avons
donné et souvenez-vous de ce qui s'y trouve ! Eh quoi ! L'Alliance (mīṯāq) de l'Écriture n'a-t-elle pas été
prise à leur encontre, de ne dire d'Allah que la vérité ? Ils ont étudié (darasa) ce qui est dans l'Écriture. La
Demeure Dernière – eh quoi ! Ne raisonnerez-vous point ? – est meilleure pour ceux qui sont pieux, pour
ceux qui s'attachent à l'Écriture et accomplissent la Prière. »
295. « Nous avons brandi au-dessus d'eux le Mont Sinaï comme un tonneau » (Talmud, Chablât 88A) wa-’iḏ ’aḫaḏnā
mīṯāqakum wa-rafa‛nā fawqakumu ṭ-ṭūra ḫuḏū mā ’ātaynākum bi-quwwatin wa-ḏkurū mā fīhi la‛allakum tattaqūna
« Quand Nous avons contracté un engagement avec vous et brandi sur vous le Mont. » Les sourates Q2/63
et Q7/170 « nous avons brandi le Mont comme une ombrelle et ils pensaient qu'il allait tomber sur eux. »
Une légende juive, selon laquelle Dieu a contracté l'Alliance depuis le fœtus dans le sein de la mère, est
reprise en Q7/172.
296. Palmyrene, Syr. StudSin4 1:11 : 8,<$=B;$ *:.1‫<* ܐ‬e$ =I‫ ܕܬܘ‬8 ̈ 431‫ ܪ‬D&̈%$‫* ܙ‬3P D@‫ ܗܝ ܕ‬/=;-
au monoprophétisme, puis s'indifférencier par d'autres postulats. L'idée que Muḥammad est le
meilleur des prophètes est un de ces postulats, c'est une idée nouvelle qui vient surtout régler des
conflits d'obéissance. Cette dernière idée est elle-même contredite par diverses traditions qui, en
gros, prescrivent toutes de ne pas établir de hiérarchie parmi les prophètes. Ainsi, concernant la
croyance, le Coran est déchiré entre deux versions contradictoires – malgré sa préservation sur une
Table céleste, comme le seraient les Tables de la Loi. Deux strates s'affrontent : il faut obéir
explicitement à la Parole de Dieu éternelle, la kalima, descendue en Jésus et renouvelée dans « le
Rappel de Muḥammad » qu'est le Coran.

Considérant la reprise massive de ces typologies de l’Alliance, on peut supputer que le proto-
islam avait une notion de l'Alliance commune au judaïsme et au christianisme. Sa sollicitation
insistante à l'égard de Moïse et de la Torah est symptomatique d'une religion qui invoque l'Alliance.
Il est incontestable que le vocabulaire du Pacte (𝑠̌ arî’a, ‘ahd, mîṯâq, qiyāman ‒ Q5/97, Q3/191, Q4/5,
Q4/103, Q25/64) ou de l'Alliance (laquelle relève évidemment, comme dans la Bible, de l'initiative
divine) est présent dans le Coran. Mais en aucun cas ce vocabulaire abondant ne coïncide avec un
compagnonnage réel de l’humanité. Il n'y a ni collaboration ni partenariat d'Allah avec son esclave.

Ainsi, le vocabulaire du Pacte est même très varié et d'interprétation difficile, concernant
aussi bien des pactes n'ayant pas Dieu pour partenaire que des pactes où Dieu est lié. Cette
omniprésence de la notion de Pacte est d’ailleurs confirmée par l'ampleur du mot « Associateur »
(shīn rā kāf) ‒ qui est présent plus de 50 fois. 297 Ce qualificatif très souvent négatif suppose et
renvoie – à notre sens – à une Alliance, mais de nature dévoyée, à un Pacte, mais qui est faux car
ne respectant pas les clauses du Pacte mosaïque. Le premier vice des « Associateurs » est qu'ils
rendent un culte à Allah et à d'autres qu'Allah ; ils contractent des pactes avec autres qu'Allah, d'où
leur nom marqué par la notion de contrat, mušrik. Leur désignation très étrange est construite à
partir de la notion d'Alliance. Le verset Q2/27 est parfois traduite par « ceux qui rompent l'Alliance
et ceux qui ruinent l'Alliance après y avoir goûté » (voir Traduction de Sami Aldeeb). En outre, la
typologie de référence pour désigner la relation à Allah se moule sur une relation de Maître à
Serviteur, formulée dans un Pacte où les clauses sont des décrets. On peut même évoquer une
tribalité du Pacte. Ainsi, ce Pacte apparaît de façon imposante et incontestable par ce terme : le
mušrik, c'est fondamentalement celui qui ne respecte pas une clause fondamentale du Pacte
mosaïque, celui qui « adore » en dehors de Dieu. Il est l’anté-type de celui qui contracte Alliance.
Cette typologie de la relation est confortée par la surabondance du caractère comptable d'Allah
(Q2/202, Q3/19, Q3/199, Q13/18, Q13/40, Q13/41, Q21/1, Q23/117, Q24/39, Q4/6, Q4/86,
Q21/47, Q33/99).

Le reproche de donner des égaux à Allah doit être minoré par la traduction douteuse du rasm
« noun, dal, dal » comme « donner des égaux »298, ce rasm pourrait provenir du concept araméen de
niddah « horreur » (présent en Q2/22, Q2/165, Q14/30, Q34/33, Q39/8, Q41/9), en référence à
l’abomination de la Bible 299. Des mots fondamentaux comme mušrik sont à 50% concentrés aux
sourates 6 et 9.

297. Notre étude des rasm (squelette[s]) consonantiques des mots de l'associanisme montre à peine 5%
d'attaques dirigées envers les Chrétiens. Les traductions orientent le texte (Q3/2), traduisant souvent le
terme neutre de « croyants » par un terme anachronique de « musulmans » au sens de communauté déjà
établie. Le rasm niddah (Q2/22, Q2/165, Q14/30, Q34/33, Q39/8, Q41/9) est traduit par « faire des égaux
à Dieu », alors que dans la Bible cela signifie : « faire des horreurs » (Lv 20, 21 ; Ez 7, 20 ; Esd 9, 11 ; Lm 18
et 17 ; Za 13, 1). « Horreur, abomination », en araméen palestinien chrétien, Syr. CPA Deut 7:26[11a] .
298. ARNE A AMBROS. A concise Dictionary of Koranic Arabic. p 264.
ܵܿ ܵ
299 . P Lk16:15 : ‫ܗܼܘ‬̱ =ܼ@=ܼ : 8MܵI‫ܐ‬ ܼ ‫ܼ=ܡ‬K « est une abomination devant Dieu ».
Enfin, Anastasius of Sinai (610-700) jette l'anathème sur un défaut des Arabes monophysites
qui soutenaient une conception charnelle de Dieu ou l'existence de deux Dieux, et qui adoraient en
dehors de Dieu ‒ reproches que l'on retrouve dans le Coran à l'encontre des chrétiens. Pour lui, les
Saracènes aussi bien que les Séveriens comprennent les deux natures comme une « double génitalité
du Logos », ainsi, beaucoup de fragments de polémiques de l’Antiquité tardive sur les natures du
Christ semblent se retrouver dans le corpus coranique sous une autre forme. D’ailleurs, la fameuse
profession de foi islamique semble être un calque d’une expression syriaque : « layt alôhô l-bar
menmôryô », « layt alāhā ellā Yhwh », expressions dans l’Ancien Testament : « qui donc est Dieu, sinon
le Seigneur ? ».

En conclusion, nous pouvons avancer que dans une strate ancienne, le mot non diacritiqué
devait désigner des reliquats de pratiques pagano-arabes, des cultes à des déesses tutélaires comme
la sourate 53 ; ensuite ces pratiques ont été confondues avec le christianisme trinitaire par manque
de discernement spirituel et des confusions avec des polémiques ecclésiales. Nous étudierons cette
typologie de façon plus précise, en regardant la description du mariage eschatologique coranique.

Mais recherchons quels sont les autres indices qui nous permettent d'avancer qu'une
mouvance dans le proto-islam avait une notion de l'Alliance proche de celle du judaïsme et du
christianisme concernant la purification. Nous pouvons avancer comme éléments décisifs ses
multiples références et renvois à la Torah et à l'Évangile. Michel Cuypers, dans son ouvrage Le
Festin, suggère ces liens qui existent entre Ancien/Nouveau Testament et le Coran. Il utilise
l'expression : « texte testament qui clôt la prédication », concernant la sourate 5.300 Des reprises
textuelles partielles et composites laissent suggérer ces liens.

Lors de la reprise de segments bibliques, il y a réappropriation des sens et reformulation ; la sourate


2, consacrée à « La vache », semble en opposition avec saint Paul. Elle prend même le contre-pied
de l'Epître aux Hébreux qui condamne la vanité des sacrifices expiatoires, mais la réalité de cette
expiation n'est jamais approfondie. Dans la sourate 5 (verset 31), le Coran réinvestit le récit du
meurtre de Caïn (thème de l'Alliance et de l'offrande) avec l'histoire du corbeau de la Mishna.

L'eau salvifique est signalée dans le verset 11 de la sourate 8. Le rituel d'immersion du Ḥāǧǧ
et le vêtement blanc sans couture – du Christ ? – combinent et intègrent les biens rituels et textuels
du gisement d'images et de symboles de la Bible, des Églises syriaques ou même de la traduction
des propos de saint Paul.301 Durant la fête de Sukkôt (ḥag), on décrivait un cercle (ḥog – Mišhnâh
Sukkah IV-4) et, le septième jour, sept cercles, et les prêtres agitaient des branches – notamment
des branches de palmier. La racine présente en Q56/46302 est faussement interprétée comme des
« bananiers ». Ceci est impossible en Arabie, la racine peut être interprétée comme une branche de
palmier303 ou d'acacia. La racine voisine araméenne signifie « la connaissance ». Le palmier-dattier
ainsi que le cédrat faisaient partie des quatre rameaux agités à la fête de Sukkôt, dédiée aussi à la

300. The Qur’an seminar commentary. Study of 50 Qur’anic passages. De Gruyters, 2016.p. 1-100.
301 . « Et celui qui nous affermit avec vous en Christ, et qui nous a oints, c'est Dieu, lequel nous a aussi
marqués d'un sceau et a mis dans nos cœurs les arrhes de l'Esprit. » (Epître aux Corinthiens, 2, 1) « Baptême
d'Allah ! Et qui est meilleur qu'Allah en son baptême ? » (Q2/138) ; le terme syriaque signifiant « baptême »
est traduit par « onction », voire « couleur » !
2 Corinthiens 1,21 : ᵓălāhā hū dēn məšarrar lan ᶜamḵon bamšīḥā haw dəhū mašḥan wəḥattəman wəyaḇ rahḇūnā dərūḥēh
bəlebbawāṯan. (Le terme ḥatan pour « sceau » est un terme de prédilection de l'appareil Exégétique pour
désigner Muḥammad.)
302 . wa-ṭalḥin manḍūdin
303. Palmiers superposés (Q50/10) : wa-n-naḫla bāsiqātin lahā ṭal‛un naḍīdun wa-ṭalḥin manḍūdin Bananiers
bien fournis ! (Q56/29.)
pluie. Le pèlerinage de La Mecque a un lieu très fort avec la pluie et le huitième jour est le jour de
l'abreuvement (ḏû ḥiḡḡa).

B- RASSUL ANONYME PARMI LES RASSUL


Le Coran insiste beaucoup sur l'envoi des Messagers et pourtant reconnaît le titre de Messie
à Jésus. Cependant, la fonction distinctive des uns et des autres, disparait.304 Le Messager est associé
progressivement et exclusivement à Muḥammad. Or les Messagers sont au service du Messie et ses
envoyés en son nom. Comment la lecture orientée du Coran a fait évoluer cette conception ? En
proposant une doctrine alambiquée et subversive. C’est désormais Le Messie qui est au service du
Messager.
Le Talmud est formel : « tous les prophètes sans exception n'ont prophétisé que pour les
jours du Messie »305 Face à cela, Muḥammad a-t-il prétendu être envoyé au nom du Christ ? A-t-il
prêché la repentance au nom du Christ, le retour du Messie ? Comment reconnaître un messager
envoyé par le Messie ? Dans l'Évangile selon saint Luc, nous constatons que la repentance devait
désormais être annoncée, au nom du Christ.306 Alors, face à ce nouveau critère apporté par le
Nouveau Testament, comment aurait dû se positionner l'islam qui reconnaît Jésus maître de la
Torah ? Cette annonce de repentance, est-ce là une innovation sans fondement judaïque ? Pourquoi
le Christ affirme-t-il que la repentance doive être prêchée en son nom ?

Remarquons que cet envoi d'Apôtres et de prophètes par le Messie, sous l'autorité du
Messie, au nom du Messie fut annoncé dans l'Écriture. Saint Paul en effet, dans son Épître aux
Romains, verra dans l'Ancien Testament une prophétie de cet envoi : « Comment y aurait-il des
prédicateurs (de l'Évangile), s'ils ne sont pas envoyés ? Selon qu'il est écrit : Qu'ils sont beaux les
pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles » (cf. Rm 10,15).
Selon Clément Grelet 307 , pour saint Paul, Isaïe 52,7 est une prophétie concernant l'envoi des
Apôtres et des prophètes par le Christ. Se référencer à Isaïe 52,7 n'est pas gratuit de la part de saint
Paul. La prophétie correspond à la manière dont le judaïsme pharisaïque (auquel saint Paul a
appartenu) et post-Temple a compris ce passage. L'auteur précité s'interroge sur la pluralité des
messagers évoquée par saint Paul dans sa citation d'Isaïe. Que ce soit le texte massorétique ou la
Septante, le pluriel est absent. Alors, d'où provient-il ?

La pluralité des messagers provient de la tradition synagogale. Dans le targum d'Isaïe 40,9
– qui est parallèle à 52,7 –, nous relevons non seulement cette pluralité, mais encore la figure
prophétique : « Montez sur une haute montagne, vous les prophètes, pour annoncer de bonnes
nouvelles à Sion ; élevez avec force vos voix pour annoncer de bonnes nouvelles à Jérusalem,
élevez-là, ne craignez point, dites aux villes de Juda : le Royaume de votre Dieu est révélé ! » On
relèvera qu'en Isaïe 40,9 et 52,7 la thématique du « Royaume révélé », qu'on retrouve dans d'autres
passages targumiques (cf. Isaïe 31,4 ; Michée 4,7-8 ; Zacharie 14,9), est présente. Cette révélation

304. « Qu'ils sont beaux sur les montagnes, Les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie
la paix ! De celui qui apporte de bonnes nouvelles, Qui publie le salut ! De celui qui dit à Sion : ton Dieu
règne ! »
« Yahvé vous a envoyé tous ses serviteurs, les prophètes, il les a envoyés dès le matin ; et vous n'avez pas
écouté, vous n'avez pas prêté l'oreille pour écouter. Ils ont dit : Revenez chacun de votre mauvaise voie et
de la méchanceté de vos actions. » (Cf. Jr 25,4-6 ; 35,15.)
305. Sanhédrin, fol 99 ; Sabbat, fol 63 recto, Berakhot, fol 54 verso.
306. « Il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait, et qu'il ressusciterait des morts le troisième jour,
et que la repentance et le pardon des péchés seraient prêchés en son nom à toutes les nations, à commencer
par Jérusalem. » (Cf. Lc 24,46-47.)
307. Grelet Clément. L'Alliance de la synagogue.
du « Royaume de Dieu » est clairement messianique. Quel est le rapport entre Isaïe 52,7 et l'envoi
des prophètes au nom du Christ ? Comment les juifs ont compris ce verset du Prophète Isaïe ?

L'envoi de prophètes par le Messie est une croyance juive. Nous trouvons, dans le Midrash
sur le Cantique, la rencontre entre la révélation du Royaume des Cieux, la venue du Messie et – en
gardant en tête comment le targum a interprété le verset – l'envoi de prophètes. En effet, le Midrash
invoque Isaïe 52,7 de la même manière que saint Paul. Commentant le Cantique 2,12, le Midrash
dit : « Le temps de chanter est venu » – le temps pour les Israélites d'être rachetés est venu […] le
temps pour le Royaume des Cieux d'être révélé – « et le Seigneur sera roi sur toute la terre » (cf.
Zacharie 14, 9). « Et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. » C'est la voix
du Roi-Messie proclamant : « Qu'ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager apportant
de bonnes nouvelles » (cf. Isaïe 52,7). Dans cette approche midrashique, c'est le Messie qui
proclame le verset. Cette proclamation trouve un écho dans le commandement d'apostolat
s'inscrivant dans celle des prophètes. Saint Paul actualisera donc l'interprétation synagogale
soulignant la pluralité des messagers en Isaïe 52,7 par rapport à la tradition midrashique qui y voit
une référence à la « voix du Roi-Messie ». La rencontre de ces deux traditions donnera l'apostolat
déclenché à partir de la « voix du Messie », c'est-à-dire à la demande du Christ, conformément à ce
que relatent les évangiles.

Un motif pour justifier le Rappel coranique met en avant ce laps de temps relativement
long pour que Dieu envoie un prophète. Cependant, les raisons invoquées par cet argument pour
la venue de Muḥammad sont invalidées car la prétention prophétique attribuée à Muḥammad n'est
pas faite au nom et en vue du Messie. Ce dernier ne s’est jamais défini comme envoyé au nom de
Jésus-Christ. Donc Muḥammad, selon les critères rappelés par le Nouveau Testament (qui
accomplit une prophétie de l'Ancien Testament), ne peut pas être un prophète envoyé par le Messie
auquel il se réfère.

Dans la conception islamique et sa lecture du Coran, il y a ainsi une profonde rupture dans
la nuptialité de l'Éternel. Ce dernier, en effet, envoie toujours des prophètes au nom et en vue du
Messie. L'attente d'Israël était celle d'un Roi-Messie qui changerait la face du monde. La révélation
en Israël a révolutionné la religion, en introduisant dans le monde une vision de Dieu nouvelle,
inexplicable, par comparaison avec les croyances de son époque : un Dieu unique, créateur, qui
démythifie la nature, les forces et les éléments du monde en changeant profondément le rapport
au temps et à l'Univers ; un Dieu qui donne son nom ineffable et imprononçable, le Tétragramme
révélé à Moïse : « YHWH » ; mais il est aussi très remarquable de voir que, dès l'origine, ce petit
peuple si faible, si méprisé et si persécuté, est persuadé qu'il va avoir une influence décisive sur le
cours de l'histoire du monde. Israël a reçu par les prophètes la conviction qu'il serait l'objet d'un
destin unique pour l'univers entier, par la venue d'un être extraordinaire qui serait le Sauveur du
monde et qui porterait la connaissance du Dieu d'Israël jusqu'aux extrémités de la terre.

Dans la tradition juive, le Roi-Messie est vraiment décrit comme un être absolument
extraordinaire, à la fois terrestre et céleste, et, comme le démontre Paul Drach308, « une créature
nouvelle ». Tous les prophètes attestent que le nom divin YHWH est le nom du Messie lui-même.
Le Seigneur dit de lui-même : « Moi, je suis YHWH, et en dehors de moi il n'y a pas de sauveur »
(Is 43,3), et il dit de son Messie : « C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur, pour relever
les tribus de Jacob et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations, pour que
mon salut atteigne jusqu'aux extrémités de la terre ».

308. DRACH Paul, De l'harmonie entre l'Église et la Synagogue. Paul Mellier, Librairie-éditeur, 1844, p. 385 de
la partie II de DHES 2 : « Divinité du Messie ».
Le Coran, postule deux axes de temps, un circulaire qui justifie une identité de la révélation,
un linéaire qui pointe vers un terme de la prophétie. Le cadre – coranique – de l'histoire du furqan
(« discernement/salut ») inchangé est en discontinuité avec le cadre judéo-chrétien messianique. Le
rôle du Messie est fatalement expurgé et ce dernier n'a de rôle que par rapport au terme
prophétique. La notion même de sceau prophétique a évolué au sein du sunnisme. La fonction
initiale attribuée à Muḥammad ne pouvait être que le parachèvement et non la clôture. Ainsi, le
cadre temporel circulaire imposé et sous-tendu par la logique coranique est incompatible cette
irruption du Prophète qui fait rappel et clôt la Prophétie sans être envoyé par le Messie. Le statut
de Messager annonçant le Retour du Messie à venir et préparant ses voies est la seule solution
logique possible pour rester dans la logique judéo-chrétienne omniprésente dans le Coran.

Ainsi, le Combat des Ténèbres contre la Lumière, annoncé dès les premiers versets de la
sourate 2 (v. 17), aboutit, dans une lecture tardive, à la naissance lumineuse de Muḥammad qui
reprendra le combat. Ce Combat des Ténèbres contre la Lumière est mis en vers dans de nombreux
Hymnes d'Éphrem et textes gnostiques. « Les ténèbres ont cédé et la lumière a triomphé pour
proclamer la victoire du Premier-né. »309

Les serments de la sourate 90 peuvent se lire tout autant « par la cité (bld) » ou « par le Fils
(wld) » selon le diacritisme. « Et par le Père et par son Fils » ; « Par ce qu'il engendre ». Ces
invocations de la sourate 90 semblent un oubli dans la rectification califale du corpus, un vestige
d’invocation de la Trinité. Ou bien est-ce un reliquat d'un hymne arien ? En tout cas, dans tous ces
serments, c'est Dieu lui-même qui semble jurer par ses attributs les plus Saints pour réactiver son
Pacte : il a donné, sur le Mont Sinaï, la Torah, et Il a habité le Tabernacle. Ce sont les trois lieux de
l'Alliance qui sont cités dans le Coran (Q52 pour le Mont, Q2/248 pour le Tabernacle). Ce sont les
trois témoins. Le locuteur est-il vraiment Allah ou ne serait-ce plutôt une formule liturgique récitée
par une assemblée qui s'apprête à accomplir l'Alliance en s'exclamant : « Par le Rouleau de la Torah !
Par le Saint des Saints ! » ?

La sourate 52, versets 1 à 3, évoque une maison peuplée ou habitée, qui est évidemment
celle du Temple du judaïsme. Nous pouvons ainsi relire ce serment à la lumière de la Bible : par le
Mont310 ‒ sous-entendu de la rencontre ‒ et son sanctuaire. La traduction de Blachère parle bien
de Temple servi, de parchemin déployé et de Mont. On a, dans ce verset coranique, les racines « se tenir
debout en prière », « tourner autour », « récitation de leçons ». 311 Les deux racines araméennes
translittérées de Ma’mur312 et Maṣtûr pointent vers la prière secrète debout et la récitation dans une
demeure habitée. Le Mont ṭ-ṭūra désigne le Sinaï, déjà évoqué pour donner une huile bénie,
d'onction (verset Q23/30).313 Le Mont Sinaï et le Mont Thabor sont les lieux de la Loi.
Cette lecture de « par le Fils (wld) » au lieu de par la cité (bld) » n'est pas absurde, mais aura
été estompée dans une strate seconde, rejetant violemment la filiation de Dieu. Pourtant cette
lecture est possible, puisque les consonnes sont indifférenciées. De plus, la lecture « par le Fils »

309. Hymnes d'Ephrem, Nativité V, p. 123, Le Cerf.


310. « Celui donc qui fait un serment par l'autel fait un serment par l'autel et par tout ce qui est posé dessus ;
celui qui fait un serment par le Sanctuaire fait un serment par le Sanctuaire et par Celui qui l'habite (Matthieu
23). La suite contient des sens araméens : « Par le rocher élevé » pour saqfi mârfu (Q52/5).
311. « Debout et prier en secret », Genesis Rabbah. BR 859:2(4) : ‫ « מילא דמסטירין‬secret ». Lamentation
Rabbah EchRB [1]102(6) : ‫ מסתורין דמלכותא‬. PJ Gen28 :12 : ‫ « מן בגלל דגליין מסטירין דמרי עלמא‬Ils ont révélé
les secrets du Seigneur ».
312. Syr. ThbK1 82:4 : M@‫ܪ‬,3;$ ‫ܗܝ‬,@‫ܬ‬4N:
313. « La bonne huile sur la tête qui descend sur la barbe, la barbe d'Aaron. » (Psaume.) « Ainsi qu'un arbre
(l'olivier) qui pousse au Mont Sinaï, en produisant l'huile servant à oindre et où les mangeurs trempent leur
pain. » (Q23/20)
pourrait se tenir avec la suite du texte, « par le Père et ce qu'il engendre » (Q90/3). Les sourates
finales présentent par ailleurs, de curieuses allusions à une création-résurrection, « par une giclée
d'eau sortie des lombes et des côtes » ‒ avec une racine désignant, en arabe et araméen, « la
crucifixion » (ṣlb)314 Q86/7 ‒ d'une « chamelle assoiffée tuée » et dont le meurtre est un péché
impardonnable ; en Q94/3, d'un messager dont « la poitrine fut ouverte shīn rā ḥā et le dos déchargé
d'un fardeau qui accablait », et dont « la renommée fut exaltée » ‒ le fardeau porté peut se référer à
une purification des péchés, comme l'indique la translittération.315 D’ailleurs il faut signaler qu’une
variante d’Ubbay b. Kabb parle non pas du « yawm al jumu’a » mais bien du « yawm al’aruba al kubra»
sachant que les syriaques nommaient le vendredi saint « yôm ‘rubta rabbta », le grand vendredi (jour
du lever de soleil).316

Ainsi, pour beaucoup de reprises du sous-texte biblique concernant l'Alliance, nous


décelons le recours à une typologie chrétienne (Jésus, nouveau Moïse qui légifère, Muḥammad,
nouveau Jésus) ; cette typologie semble mêlée à des sources proches du judaïsme synagogal ‒ de
par le recours fréquent à une lecture midrashique de la Torah. Ainsi, deux fois le Sinaï est cité, en
Q2/63 et Q2/93 ; en Q4/154, la troisième invocation, c'est pour lier la rébellion des juifs au Sinaï
à la révocation de l'Alliance, et leur prétention d'avoir crucifié Jésus en Q4/157. Or, cette double
accusation est un thème de prédilection de saint Éphrem. Dans ses hymnes pascals, il lie sans cesse
la descente de Dieu au Sinaï, le rachat du Fils et la prostitution de la Fille de Sion, « la crâneuse dont les
mains dégouttaient du Sang, peuple vaurien ».

Cependant le personnage de Jésus est réduit à un rôle d'investiture de Muḥammad,


personnage pâlot de répétiteur du Pacte mosaïque à un peuple sourd et aveugle « comme les
bestiaux » 317 – image coranique empruntée à saint Pierre. Certes, Jésus va vouloir apporter du
nouveau à cette Alliance et chercher à l'accomplir, mais ses tentatives vont se solder par un échec.
Les obstacles vont surgir de la part des juifs. L'épisode lucanien où Jésus s'empare de l'accomplissement
des Écritures (d'Isaïe), et où il les accomplit, est totalement absent. Il est incompatible avec cette
notion fondamentale de « Rappel » et invaliderait le rôle de Muḥammad. Il existe, certes, un verset
Q5/3 qui relate un accomplissement des Écritures, mais Jésus n'est pas lié à cet épisode. Cependant,
cette reconstruction d'intermède créé spécialement pour Jésus se heurte à des aspérités textuelles.
Entre 531 et 535 en effet, un des généraux du roi éthiopien, du nom d’Abraha – bien connu
des sources musulmanes – va se révolter contre le Négus et le roi que celui-ci a mis sur le trône ; il
prend le pouvoir. Vers 550, il entame des expéditions vers le nord et diverses tribus se soumettent
à son autorité. C’est alors qu’on pourrait dire que soixante-dix ans avant l’islam, l’Arabie toute
entière est dominée par un roi chrétien. Abraha s’empare d’ailleurs aussi de l’oasis de Yathrib mais
comme le Coran et la tradition le mentionnent, il subit un échec à la Mecque. Il est informé par la
tradition qu’Abraha voulut consolider le christianisme et bâtit une grande église à San’a, al-Qalis,
mentionnée dans la Sira nabawiyya. Une inscription du temps d’Abraha précise l’année qui concerne
cette église : 559-560 ; elle est extrêmement importante, car d’après le professeur Robin, les
inscriptions de cette période nous dévoilent une évolution interne majeure dans le christianisme
d’Abraha. Les inscriptions datant du temps du roi himyarite précédant Sumuyafa Aswa contiennent
des invocations trinitaires classiques, mentionnant Rahmanan et ensuite la seconde personne de la
trinité, son Fils, le Christ Vainqueur, ainsi que l’Esprit Saint. Robin remarque dans les inscriptions
du temps d’Abraha un changement important : la dévotion d’Abraha se limite à Rahmanan
(éventuellement seigneur du ciel) et à son Messie. La disparition du terme « fils » dans les

ِ ‫ﺼْﻠ‬
314‫ﺐ‬ ‫ اﻟ ﱡ‬ṣlb, ṣlbˀ n.m., « La Croix ».
315. Délivrer. Acts Thom 315:23 : ‫ܘܩ‬.f C$‫@* ܕ‬.)I ‫ܗ܂‬4BOK CI 43ܼBH‫ ܕܐ‬/.&`Z ܼ
316 . Le Coran des historiens. p.1730.
317. « Ils ont des cœurs, mais ne comprennent pas. Ils ont des yeux, mais ne voient pas. Ils ont des oreilles,
mais n'entendent pas. Ceux-là sont comme les bestiaux, même plus égarés encore. » (Q7/179)
invocations religieuses d’Abraha pourrait indiquer que la croyance en la filiation divine de Jésus
n’est plus considérée comme essentielle. Jésus n’est plus une entité divine, mais seulement le
Messie. Une autre inscription datant de 548 : « Avec la puissance, l’aide et la clémence de
Rahmanan, de son Messie et de l’Esprit de Sainteté », il n’est plus question du fils.

En effet, si Moïse est gratifié du Livre complet et de « l'exposé détaillé de toute chose, du guide
et une miséricorde », nous trouvons – cité juste après ce corpus – « un autre Livre » qui « est
descendu ». Ce dernier ne peut être que l'Injil. En effet, celui-ci suit la Torah, comme Jésus suit
toujours – coraniquement – Moïse. Deux peuples gratifiés du Livre sont d'ailleurs bien précisés au
verset 156. Ces deux grandes Alliances de Dieu et toutes deux écrites et gardées dans « une partie
du Livre » sont le thème de la sourate 3 ; cette dernière cherche un accomplissement en effectuant
une relecture de l'histoire des Pactes. Le Coran ressasse sans cesse et clairement cette pérénité de
la Loi à accomplir : « Telle était la Loi établie par Allah envers eux et tu ne trouveras aucun
changement dans la Loi d'Allah. » (Q33/62)
Le verset d'accomplissement (Q5/3) expose : « Aujourd'hui, les mécréants désespèrent,
aujourd'hui j'ai parachevé pour vous votre religion. » On peut aussi retrouver cet aphorisme à la
sourate 48, « parachève sur toi son bienfait ». Ce fragment textuel Q5/3 semble comme arraché de
son contexte biblique, et sa fonction est de donner un peu de prestance et de solennité à ce verset
consacré à la Cacherout. Cet étrange accomplissement de la Cacherout, qui ne peut être opéré que
par Jésus, « je vous rends licite318 une partie de ce qui vous était interdit » (Q3/50), pourrait être
mis en parallèle avec « Jamais plus je ne la mangerai jusqu'à ce qu'elle soit accomplie ». Le lien
coranique entre la nourriture licite et l'accomplissement est intrigant mais récurrent. A-t-il pour
objet de simuler ou de contracter le repas de Pessah et celui la Cène ? Ce verset se situe, non par
hasard, dans la sourate Al-Maïda où la descente de la nourriture céleste suit l'accomplissement et
préfigure la venue messianique de Jésus. La menace s'abat sur les mécréants refusant d'accepter
cette Table Céleste de Jésus, Table, au final, qui n'est pas décrite. Cette Table du Royaume reprend
au passage les malédictions pauliniennes sur la communion indigne au Corps du Christ.
Ainsi le Coran qui cherche à se substituer au « Livre » – dans une strate tardive seulement – va
se référer explicitement et sans cesse, par des formules et rites connus de son auditoire, à un
« engagement contracté sur le Mont avec vous » (Q2/63, Q33/7) pour justifier et authentifier sa
propre prise de parole. C’est le non-accomplissement de la Torah et de l'Injil qui justifie sa prise de
Parole et empêche la jouissance « de ce qui est au-dessus d'eux et sous leurs pieds » (Q5/66 et 68)
‒ la racine utilisée est qwm, signifiant « administrer » en araméen.319 Les aspérités logiques présentées
ci-dessus, et notamment la réduction observée sur la fonction de Jésus ne s’expliquent que par un
processus d’écriture étalé. La convocation solennelle au Mont Sinaï est une mise en scène du
retournement du Pacte.
A n'en pas douter, les deux Royaumes sont liés dans cette conception du Pacte qui doit
s'accomplir dans la régence terrestre nommée Islam (Q5/3) : « J'agrée pour vous l'Islam. » Le
christianisme serait insignifiant s'il ne contenait, dans son ADN, l'idée d'accomplissement. Le mot
« Accomplir » est l'ADN du christianisme et l'étymologie du mot Islam.
De même, il n'existerait pas de Coran sans cette volonté affichée d'accomplir le Pacte et de
« secourir Allah ». L'Ancien Testament dévoile le Nouveau Testament ou plutôt le Testament
renouvelé. Le sacrifice d'Isaac est accompli par celui de Jésus. Là encore, ces thématiques chères à
saint Paul, « Toutes les promesses de Dieu ont trouvé en Lui leur oui » (2 Cor 1-20 et Cor 15, 3 et

318. ’uḥilla lakum ba‛ḍa llaḏī ḥurrima.


319. Syr. P Gn17:7 : ‫ܪܟ‬4$ D- E+‫ ܙܪ‬4&$‫ ܘ‬EI‫ ܘ‬C̈%&$ C3&K S&K‫ܘܐ‬.
4), ont des échos. Le Coran, dans sa strate initiale, fonctionne comme le Rappel qui envoie pour
« accomplir ». De nombreuses racines expriment cette quête.
Les racines wa fa ya (18 occurrences), mim chin lam, sīn lām mīm (« accomplir, musulman », 24
occurrences) et kaf mim lam (« parachever ») soutiennent de nombreux reproches accusant ce non-
accomplissement. Le Coran, dans sa strate finale, fonctionne ainsi. Il projette sur Muḥammad, réel
accomplisseur du sentier d'Allah (conquête de Jérusalem ?), tous les épisodes bibliques qui jonchent
le corpus ; toutes les périphrases, les images bibliques sont réorientées vers cet horizon de
l'accompli et de son hérault.

L'épigraphie par la preuve de l'absence confirme cet Islam sans Muḥammad durant 62 ans
après l'ère des Arabes. Tous les lieux seront, dans une strate plus tardive, arabisés et déplacés en
Arabie. La dernière strate est un hypertexte qui réemploie tout le matériel théologique pour
reconstruire sa substance essentiellement polémique qui revendique l'Alliance. Tous les mots
« rassul », « annoncé par Jésus », « sceau des Prophètes », « orphelin », « perdu », « pauvre »,
« flambeau rayonnant », « avertisseur », « annonciateur », « Prédicateur », « témoin », « protecteur »,
« miracle », « accusé d'être devin, magicien, menteur, poète, fou », « pris en raillerie », « reste
patient » sont des périphrases lues en fonction de Muḥammad ; mais qui désignent-elles vraiment
en sous-strate ?320
Le Coran parle, lui, en effet, sans cesse de dévoilement321 et d'accomplissement. Ses primo-
auteurs profitent de l’élan militaire victorieux sur Jérusalem pour finaliser et remodeler le Pacte
mosaïque, et préparer la piste d'atterrissage du Messie-Jésus sur l'esplanade du Temple, comme le
montrent les travaux d'E.-M. Gallez.322 Lorsqu'il évoque les sourds et les aveugles rivés sur la vie
d'ici-bas, « les bestiaux » qui portent la Torah comme un âne porte des livres, c'est pour accuser et
récuser ces refus d'accomplissement. La sourate 84 précise les circonstances de ce qu'il appelle
l'Événement : le Ciel se déchirera et obéira à son Seigneur, la terre sera nivelée comme l'avait
prophétisé Isaïe.323 Toutes les sourates mecquoises sont tendues vers l'Heure de l'Accomplissement,
annoncée par Isaïe.
Le grand jour de Vérité prépare cette venue : la Trompette, l'Heure sont détaillées
abondamment en Q79, Q81 et Q2. La littérature apocalyptique fut rejetée par les rabbins, du fait
de l'adoption de ce style par les judéo-chrétiens. Le thème de l'apocalypse et de la vision
apocalyptique coranique est violent et messianiste. La sourate 82/4 le traduit par des images fortes :
« Les tombeaux seront bouleversés », « Le ciel se rompra : toute âme saura alors ce qu'elle a
accompli. » On ne peut qu'associer ce fragment de corpus à l'épisode de la rupture des tombeaux
de l'Évangile de saint Matthieu : une révélation de la vérité à chaque âme sera manifeste. Cette
apocalypse est profondément issue de la mystique chrétienne, puisque la rupture du voile du
sanctuaire marque spécifiquement et littéralement la révélation de la nouvelle Alliance. Le Ciel s'est
rompu, et toute âme porte en vérité ses actes à partir de cette rupture. Désormais, chaque âme
porte en justice et vérité le poids de son péché. Avant la rupture, les âmes portaient le poids de
leurs fautes, mais n'avaient pas de puissance vitale. La mort d'un Rédempteur a, seule, ouvert une
brèche dans le Ciel. Avant l'écoulement du Sang céleste rédempteur, les actes étaient inconsistants.
Désormais, chaque âme porte en justice et en vérité tout le poids de ses actes. Sans cesse, la lecture
coranique associe la mort de chacun à un instant suprême de Vérité. La mort est pour le Coran la
révélation de la vérité à l'âme. C'est une vision très profonde et mystique.

320. Voir le Coran thématique : Edition Al Qalam. Collectif. 2004.


321. Voir la sourate 82, « Les tombeaux bouleversés » où la Rupture est révélatrice de la vérité plénière.
322. GALLEZ Edouard-Marie. Le Messie et son Prophète. Tome 2, p. 357. Editions de Paris.
323 . « Aplanissez dans les lieux arides. Une route pour notre Dieu. Que toute vallée soit exhaussée, Que
toute montagne et toute colline soient abaissées ! » (Isaïe 40)
La lecture de l'événement qui a suivi la mort du Sauveur, dans le christianisme, est appliquée
à la révélation que chaque âme accomplit, dans l'islam, au moment du Passage et au retour du
Christ. Cette relecture de l'Évangile par les auteurs coraniques est profondément mystique. Le
Jugement dernier et sa trompette, l'écrit (kitâb), l'ange de la mort (Malak al mawt) sont les
instruments présents. Dans leur thématique, les sourates finales ont des accents en résonance avec
Matthieu 24. La condamnation des richesses et celle de l'usure présentes sont proprement
chrétiennes. La vision de l'histoire coranique est fortement apocalyptique et eschatologique, les
thèmes de l'heure, de la rétribution et de la résurrection sont omniprésents.
Trompette Balance Rétribution Dévoilement L'heure (48
Rassemblement fois)
Q18/99 Q23/102 et 103; Q99/6, Q36/65; Q34/30 Q43
Q20/102 Q21/47, Q42/17; SamTgJ Ex30:20 : ‫למועדה קרבן ליהוה‬ Q18, Q7/187
Q23/101 Q55/7-9, Q57/25. Le Christ apporte « Le Signe », souvent Q10/48
Q27/87 Livre des Actes personnels désigné par bayyinu. Q17/51,Q21/38
Q36/51 (Q69) ‒ présent dans l'Ancien Q27/71
Q39/68 Testament (1 Sam 2,3) et religion Q41/50Q45/32
Q50/20 zoroastrienne. Q75/6 Q79/42
Q69/13 Q11/8
Q78/18
Le thème de l'obéissance finale affecte aussi la création inanimée, qui condamne elle aussi
l'homme, rebelle par nature. Ainsi, contrairement à ce qu'affirment les tafsirs, le pardon accordé à
Adam ne semble pas effacer la dette dont parle longuement le Coran. « La terre fera sortir ses
fardeaux, ce jour-là elle contera son histoire. » La chamelle d'Allah semble une figure – comme
l'agneau chez saint Jean –, plantée uniquement pour annoncer le décret qui s'abat sur l'humanité
rebelle. L'Apocalypse avait crypté l'histoire du Salut en ayant recours à la typologie pour en désigner
les acteurs : l'agneau, le dragon, les 4 chevaux dévastateurs… Le Coran est avant tout un texte de
genre apocalyptique en sous-strate, et qui a cherché à déclencher une venue messianique. En strate
supérieure, il décrypte l'histoire réelle de la victoire militaire arabe, mais crypte sa déconvenue
messianique par des maquillages graphiques. La trame qu'il suit, cependant, est toujours la relecture
des acteurs de l'Alliance.
Le Coran suit à la trace Moïse, le législateur absolu324 et le modèle de l'accomplissement
parfait, tout au long des sourates Q2, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27,
28, 29, 32, 33, 37, 40, 41, 42, 43, 44, 46, 51, 53, 61, 79, 87, pour asseoir la posture de Muḥammad-
législateur dans une strate finale. Il suit aussi Jésus, détenteur de la Torah et de l'Injil ‒ dans Ses
Mains325 ‒, et Messie – dans une strate plus ancienne des prédications syro-araméennes. Cependant,
c'est à Moïse que Dieu, explicitement, donne le plus de choses : le Livre, les bienfaits, la direction,
un guide, une miséricorde. Le thème de l'exode devient un impératif du corpus coranique : il faut
émigrer physiquement pour gagner des grâces (Q2/218, Q3/195, Q4/89, Q4/97, Q8/72, Q8/74,
Q9/20, Q16/41, Q16/110, Q22/58, Q60/10, Q59/8). Du fait de l'imposant volume descriptif et
des termes affectueux d'Allah à son égard, Moïse peut être la guidance à suivre par nous pour
décrypter le fil des événements de cette Antiquité tardive. Le Nouveau Testament n'utilise-t-il pas
les mêmes procédés de surimpression à propos du prophète de l'Exode ?
Le prophète de l'Exode a exercé une influence considérable sur le Nouveau Testament.
Nous pouvons nous en rendre compte dans l'Évangile selon saint Matthieu, par exemple, où le
Christ nous est présenté comme le Moïse de la Nouvelle Alliance. Cette équivalence Moïse/Jésus

324. 50 occurrences de la racine : ḥā kāf mīm.


325 . Main Dan5:5 : ‫ַיד־ֱאָנשׁ‬ ‫ִדּי‬ ‫ ֶאְצְבָּﬠן‬. 4QEne4.1.12 : ‫ורגלין‬ ‫ידין‬ ‫ל[֗כ ֗להון‬. OS
MtCur4:24 « force » Com. AssOstr.12 : b[lṭr] šmy ktb ʿl ydhẏhm . TAD B2.11 R.4 : ‫שנית על ידה בימן שניתת‬
‫ מקרא ארמית כזנה‬. Dan5:5 : ‫וַּמְלָכּא ָחֵזה ַפּס ְיָדה‬. 11QtgJob 10.4=26:13 : ‫ חללת ידה תנין ער֗ק‬pouvoir
Com. TAD C3.8:a R.8 : ‫ « ותנתנו ליד‬dans la main » Dan6:28 : 4 ‫ ִדּי ֵשׁיִזיב ְלָד ִנֵיּאל ִמן־ַיד ַא ְרָיָוָתא‬Q246 .2.8
n'est nullement niée puisque, dans la sourate 2 verset 86, Jésus est cité juste après Moïse. La plupart
des citations de Jésus suivent directement celles de Moïse. Le Coran, lui aussi, part de plus de 80
évocations de l'exode de Moïse, et ce sont ces épisodes de Moïse qui organisent tout le corpus, de
par la richesse des faits et détails décrits. L'épisode l'opposant à Pharaon et ses faits de législateur-
guerrier ayant dialogué au vu et au su des fils d'Israël permettent des transferts faciles pour la
nouvelle épopée. Pharaon est une figure d'opposition qui peut représenter l'Empire perse puis
l'Empire byzantin dont s'extrait l'Empire arabe.
Les « auteurs » du Coran semblent transposer les Évangiles en les mêlant à d'autres
Écritures rabbiniques ou de la poésie antéislamique pour broder un hypertexte dont tous les primo-
musulmans puissent s'accommoder – Ṭāhā Ḥusayn, concernant la littérature préislamique, conclut
à des forgeries. Les « auteurs » semblent vouloir composer, pour la dépasser, la prédication de Jésus,
voulant lui intégrer bien des traditions judaïques et la saupoudrer de coutumes bédouines. A titre
d'exemple, le Coran évoque trois énigmatiques avertisseurs qui, dans la Bible, sont Isaïe, Ezéchiel
et Daniel. Saint Éphrem lui-aussi évoque le témoignage des trois, le thème coranique des
avertisseurs est donc juste esquissé. 326

Empereurs Byzantins et Califes Orants

326. SAINT EPHREM, Homélie sur la divine transfiguration de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ :
« Et le témoignage des Trois a aussi été confirmé par la Voix paternelle, à Moïse et à Elie qui se tenaient
près de Lui comme des serviteurs, et ils se voyaient les uns les autres. Les prophètes voyaient les apôtres, et
les apôtres les prophètes. Là, ils se virent les uns les autres, les chefs de l'Ancien Testament (virent) ceux du
Nouveau Testament. Et la montagne devint le modèle de l'Eglise ; sur elle, Jésus a uni les deux Testaments
que l'Eglise a reconnus ; et Il nous a fait connaître que c'est le deuxième qui a révélé la Gloire de ses Œuvres.
Motifs des Empereurs et des Califes orants.

C- L’AMNÉSIE
Pour Adam coranique, il n'est nullement question de péché, mais de rupture d'alliance327 ; le
manquement à la parole donnée est décrit comme un nisyân, un « oubli » (cette expression vient de
St Ephrem). Adam est rebelle et oublieux 328 , comme le fut Iblîs (Satan) lorsqu'il refusa de se
prosterner. Satan, en refusant de se prosterner et de plier à l'ordre divin, est à l'image du bâton
rigide qu'on ne peut pas plier. L'image orale continue par la solution à apporter pour attendrir le
bâton : pour le redresser, il faut le passer au feu afin qu'il devienne plus malléable. La notion de
péché, en islam, est liée à l'occultation de la religion primordiale. Cette idée de religion primordiale se
retrouve à une échelle individuelle dans le concept coranique (Q30/29-30) de « religion naturelle »,
dîn al-fitra 329, selon lequel l'islam est inné en chaque homme. En effet, d'après la notion islamique
de fitra, qui désigne la nature primordiale, tout homme, en tant que descendant d'Adam, naît
musulman. Un Hadith transmis par Al-Bukhârî l'affirme explicitement : « Il n'est aucun enfant
nouveau-né qui n'appartienne naturellement à la religion musulmane. Ce sont ses parents qui en
font un Juif, un Chrétien ou un adorateur du feu. » Le milieu dans lequel évolue l'enfant l'éloigne
donc plus ou moins de la religion primordiale. Selon cette conception, chaque être humain porte
en lui le message islamique qui a été recouvert par cette seconde nature qu'est l'éducation ; alors
que, dans le christianisme, tous les hommes, depuis la chute, naissent également peccables, du fait
de l'inévitable transmission générationnelle de la condition de pécheur.
La notion d'occultation d'une vérité que chacun porte en soi apparaît dans le terme qui
désigne l'infidèle ; dérivé de kafara, il renvoie étymologiquement à quelque chose de caché,
d'occulté, de recouvert. 330 Cette étymologie correspond au sens ésotérique donné par certains
mystiques musulmans, comme Ibn ‘Arabî, au terme d'infidèle, kufr. 331 L'infidèle est donc celui qui
a été détourné de l'accès à une vérité qu'il possédait en lui à l'origine, vérité qu'il peut néanmoins
toujours redécouvrir par le mouvement de retour à la religion originelle que met en œuvre la
conversion. Celui qui, après avoir vécu le dévoilement de la vérité musulmane, se convertit à l'islam,

327. Sur l'absence de péché originel dans le Coran, l'influence des Homélies pseudo-clémentines est manifeste,
puisqu'elle présente le dogme, repris par le Coran, de la perfection des prophètes.
328. fa-’akalā minhā fa-badat lahumā saw’ātuhumā wa-ṭafiqā yaḫṣifāni ‛alayhimā min waraqi l-ǧannati wa-’aṣā ’ādamu
rabbahū fa-ġawā
329. Le sens araméen donne « libération, accomplissement, séparer, conclure » à propos des lectures bibliques.
330. Dictionnaire Kazimirski, 1944, t. 1 : p. 605.
331. CHODKIEWICZ, 1986, p. 64 et GILIS, 1990, p. 38.
renaît dans le même état d'innocence qu'il connaissait lors de sa mise au monde. Cette seconde
naissance religieuse de l'individu « efface son passé » 332 d'infidèle. Par conséquent, lorsqu'une
personne meurt peu après sa renaissance à l'islam, elle est censée entrer immédiatement au Paradis.
Ainsi le prosélytisme constitue-t-il en islam un élément essentiel de la foi. Un Hadith affirme que
l'acte le plus méritoire réside dans le fait de diffuser la bonne parole : « La manière de s'approcher
de lui que Dieu préfère consiste à diriger ceux qui errent. » Aussi le premier acte de foi demandé à
un infidèle est-il de réciter la shahâda, selon laquelle : « Je témoigne qu'il n'y a de dieu que Dieu et
que Muhammad est son Prophète. » La surabondance des désirs de pardon nous a poussés à
recenser les occurrences coraniques des péchés et de leur variété. Le tableau 3 ci-dessous résume
cette tentative. Les racines bā hamza sīn, présentes en 42 occurrences – ‫– בישא‬ḥā ṭā ṭā – ‫ – חט‬sont
d’origine syriaque et signifient le mal et la repentance.

Comment le judaïsme considère le thème de la rupture ? Il pense que l'homme, créé à


l'image de Dieu (Genèse 1,27), est fondamentalement bon. Contrairement au christianisme, le
judaïsme ne croit pas au « péché originel », à l'indépendance de l'homme envers Dieu, qui aurait
entraîné la présence du mal en l'homme – les visions du christianisme syriaque, elles aussi, étaient
différentes.333 Toutefois, le péché existe, mais il est considéré comme étant de nature extérieure à
l'homme. L'homme est tenté par lui et il peut y succomber, ce qui l'amène à se conduire de mauvaise
manière. La colère de Dieu s'enflamme alors contre le pécheur, qui sera condamné et qui ne pourra
pas aller au Paradis. Le Salut est proposé à l'homme par le moyen de l'obéissance à la Loi et, dans
le judaïsme du Temple, grâce aux sacrifices d'animaux qui lui assurent le pardon de ses péchés.
Quatre sacrifices étaient prescrits par la Loi, selon le type d'offense commise envers Dieu ou envers
le prochain.
Actuellement, ces sacrifices sont remplacés par la lecture de la Torah et diverses pénitences.
Si le croyant accomplit parfaitement les ordonnances que prescrit la Loi, fait régulièrement des
pénitences pour le pardon de ses péchés et respecte la pratique des fêtes, alors son salut est possible,
selon sa foi. Toutefois, le juif ne peut en avoir l'assurance plénière car Dieu seul est juge. Les textes
de la Tradition juive ne sont pas homogènes. Ainsi, chez Esdras (IV, 30) : « Un grain de mauvaise
semence, dit-il, a été semé dès le commencement dans le cœur d'Adam ; combien de péchés n'a-t-
il pas produits jusqu'à maintenant et combien n'en produira-t-il pas jusqu'au temps de la moisson ? »
Mais le monde approche de sa fin, et ce sera la libération du mal quand les âmes des justes retenues
dans leurs demeures propres auront atteint leur nombre programmé. L'événement sera précédé de
signes prémonitoires : soleil de nuit, lune de jour, sang du bois, échec généralisé de toute entreprise
humaine. L'Ange quitte Esdras et lui promet de revenir au bout de sept jours de prières et de jeûne
pour d'autres révélations plus importantes encore. Le Messie sera le vainqueur du quatrième
royaume (X, 60 ; XII, 51).
L'existence d'un ton polémique des textes rabbiniques au sujet du péché d'Adam indique,
soit une opposition entre juifs et chrétiens (notamment contre saint Paul), soit une opposition
interne au judaïsme, le courant minoritaire devenant progressivement effacé des sources juives dont
certaines minorent jusqu’à dire qu’Adam n'a été cause de chute que pour lui-même. La construction
doctrinale chrétienne élaborée sur le péché originel et ses conséquences était connue de l'auteur de

332. al-islâm yahjubb ma qablahu.


333. Jean Damascène ne souscrit nullement à la conception occidentale et augustinienne d’un peccatum
original, vu comme le péché d’Adam hérité et transmis, et imputable aux hommes. Le péché d’Adam est
plutôt «la condition universelle de la nature humaine emportée par la force du mal », «une condition générale
de déchéance, corruption et mort qui doit être purifiée par la régénération baptismale». La transgression
d’Adam n’a donc pas introduit le péché originel, elle a plutôt transformé l’homme en un être soumis au péché
et à la mort. Pier Franco BEATRICE (Université de Padoue) Péché et libération de l’homme chez Jean Damascène.
L'Apocalypse de Baruch ‒ écrit syriaque (54, 15-19) ‒, mais il la rejette catégoriquement.334 Bien qu'il
ait un cœur mauvais, l'homme peut encore être victorieux.
Pour l'auteur d'Esdras IV, bien que la Loi n'ait pas extirpé le mal résidant en l'homme, ce
dernier reçut malgré tout un moyen de choisir le bien. Dans ce livre, l'écriture est une réponse de
Dieu au problème du mal et des ténèbres. « Toi prépare beaucoup de tablettes » dit l'Ange à Esdras.
Il n'y a pas de place ici pour la notion de péché originel avec le besoin d'un Rédempteur.335 La
malédiction de la Genèse (Gn 3) ne concerne la mort que de quatre personnages mineurs. La baraïta,
tradition orale parfois considérée comme une illustration de la théorie du péché originel, est rare.
Selon cette tradition, « quatre moururent du fait du serpent : Benjamin, fils de Jacob ; Amram, père
de Moïse ; Jessé, père de David ; et Kileab, fils de David ». Dans la restriction des effets du péché
originel au sort de quatre personnages d'importance secondaire, la doctrine du péché originel est
affaiblie : elle concernerait seulement quatre humains. La polémique contre la théologie de saint
Paul est exprimée aussi ailleurs dans le Talmud. Ce sont les générations suivantes qui causèrent la
mort d'Adam, et non l'inverse. Une première polémique explique que ce n'est pas « par un seul que
le péché et la mort, causés par un seul, seront rachetés », mais, au contraire, la mort fut infligée à
Adam par les générations suivantes, et par anticipation de la foi que Paul viendrait prêcher,
entraînant, selon eux, « l'insincérité des œuvres ».336
En disant que l'histoire d'Adam est sans conséquence sur l'humanité, la doctrine permet de
suggérer que Jésus, nouvel Adam, n'a aucune influence sur l'humanité, il n'y a ni péché originel ni
Rédempteur. Pour le courant dominant du judaïsme, la mort est indépendante du péché.337
Ainsi, si la mort s'explique de manière tout à fait indépendante du péché et qu'elle n'est plus
un châtiment comme cela est dit en Genèse 3, il n'y a ni péché originel, ni besoin d'un Rédempteur.
Dans le Coran et dans le Midrash, Adam s'est repenti. Il n'y a pas de péché originel dans les Écrits
intertestamentaires, ni dans le Coran. Pourtant ce péché n’est pas évacué du Coran, dès l'aube de
la Création, Adam et Ève « associent » (Q7/189) ‒ donnèrent des associés en reconnaissance –, et
ce péché est le pire, puisqu'il mène directement en Enfer. En outre, la requête de pardon est
omniprésente dans le Coran, et il est signalé que seuls Jésus et Marie sont épargnés de la morsure
du Shaytan (démon)338. La chute des anges qui ressasse elle aussi ce thème est présente : c'est un
thème de prédilection de la littérature intertestamentaire. Le péché des anges (dans le jardin) était
le péché de fornication, d'après saint Jude et saint Justin. L'Epître de Jude (6, 7) l'évoque.339 Dans

334. « Si Adam a péché et amené sur nous tous une mort prématurée, chacun de ceux qui sont issus de lui est
responsable du tourment préparé pour son âme, et chacun d'eux a choisi pour lui-même les gloires à venir...
Adam n'a donc été la cause que pour lui-même, et chacun de nous est devenu l'Adam de sa propre âme. »
Apocalypse de Baruch syriaque (54, 15-19).
335. « Tu n'as cependant pas extirpé d'eux le cœur mauvais, pour que ta loi portât du fruit en eux. Car un
cœur mauvais habitait le premier Adam dès l'origine, et il transgressa et fut vaincu, et avec lui tous ceux qui
naquirent de lui. » (IV Esdras 3)
L'ange dit : « Telle est la loi du combat que chaque homme né sur terre soit soutenir ; s'il est vaincu, il doit
souffrir ce que tu viens de dire ; mais s'il est victorieux, il recevra ce dont j'ai parlé. C'est de cette voie que
Moïse, de son vivant, a parlé au peuple en disant : Choisis la vie, afin que tu vives ! » (IV Esdras 7)
336. « Adam ne méritait pas de connaître le goût de la mort. Pourquoi la mort lui fut elle imposée. Parce que
le saint béni soit-il, prévoyait que Nabuchodonosor et Hiram se proclameraient dieux. »
337. « Parole de R. Yohanan [Amora] : Pourquoi la mort fut elle imposée aux méchants ? [...] Pour qu'ils
cessent d'importuner le Saint, béni soit-il. Pourquoi la mort fut elle infligée aux justes ? La réponse est que,
aussi longtemps que les justes sont en vie, ils luttent contre leur penchant ; lorsqu'ils meurent, ils sont en
repos [...] nous avons assez peiné ! »
338. Abu Huraira rapporte : « le Prophète a dit : le Diable frappe de son doigt dans le ventre de tous les fils
d'Adam, au moment où ils naissent ; il n'y a eu d'exception que pour Jésus fils de Marie... le Diable ne frappa
que le placenta. » (Hadith 59-11)
339. « Quant aux anges qui n'ont pas conservé leur primauté mais ont quitté leur propre demeure, c'est pour
le jugement du grand Jour qu'Il les a gardés dans des liens éternels, au fond des ténèbres. Ainsi Sodome,
le Coran, c’est le péché des deux anges (Harout et Marout) qui est suggéré. Le fait de citer ces anges
comme agents du péché entraîne une déresponsabilisation de l'homme.

Racine Sens Occurrence

hamza thā mīm Transgresser 35


ʿayn dāl wāw Transgresser 106
ḫaṭī’ Faute 22
zāy lām lām Ténèbre 10
hamza thā mīm Péché 35
’iṯma Péché 167
dhāl nūn bā Péché 39
ẓā lām mīm Ténèbres 315
mīm rā dāl Rebelle 5
ḍād lām lām Refus de Guidance 64
sīn rā fā Transgresser 6
khā ṭā Errer 22
hamza’aḫṭa’nā Alliance-charge 3
’iṣrī
rā jīm sīn Impureté 10
‛aṣā Désobéir 167
Tableau 3 : Occurrences coraniques pour les péchés

Difficile de comprendre cette variété incroyable de vocabulaire pour désigner ce que nous
appelons univoquement péché. Cette cartographie détaillée est propre à une théologie qui dépiste
le péché. La tawba (« repentir ») n'est pas la condition du pardon divin. Le musulman croyant qui
meurt sans s'être repenti de ses grandes fautes peut malgré tout, selon le vouloir divin, entrer au
Paradis directement ou après un séjour aux Enfers. Le mot ’’ṯīm relie deux concepts différents,
celui de la médisance et celui du vin. Ainsi dans la sourate 52 (v. 23) : « … ils se passeront les uns
aux autres des coupes dont le contenu ne provoque ni paroles vaines, ni péché ». Le sens « péché »
ne semble pas adéquat à Abdellatif Idrissi340 qui relie le mot ’’ṯīm à celui de laġwun, c'est le fait de
« parler en vain ». L'aboiement d'un chien se dit laġw. Ce vocable wa-lā ta’ṯīmun est toujours en
relation avec le champ sémantique de la parole. La médisance est extrêmement condamnée par le
Coran, Q49/12 : « N'épiez pas ; et ne médisez pas les uns, les autres ‒ l'un de vous aimerait-il
manger la chair de son frère mort ? Non ! Vous en avez horreur ! »

Le texte coranique accorde une grande importance au champ lexical de la calomnie. La


calomnie est toujours associée à la désobéissance.341 « Le glissement de sens vers la notion de péché
s'opère lorsque l'on commence à évoquer les histoires dans leur dimension eschatologique,
lorsqu'Abel refuse de porter la main sur son frère et lorsque l'on évoque la ḫaṭī’atan (khā ṭā hamza). »
La Tradition a uniformisé le sens de mots très variés sous la chape d'une sémantique uniformisante
et pauvre. La dimension eschatologique du péché est, elle aussi, un glissement sémantique
postérieur pour le verset Q2/81. Selon cet auteur, le péché coranique se présente toujours sous
forme de palimpseste, il existait un sens tribal clair et précis qui a été recouvert par un sens
théologique. L'épigraphie des premiers siècles de l'islam indique une demande massive de pardon.

Gomorrhe et les villes voisines qui se sont prostituées de la même manière et ont couru après une chair
différente, sont-elles proposées en exemple, subissant la peine d'un feu éternel. »
340. ABDELLATIF Idrissi, pour une autre lecture du Coran - les voix du verset, 2013, p. 167 ...www.editions-
harmattan.
341. (Q58/8, Q58/9). Le « péché » (Q4/94, Q28/7, Q44/37, Q2/286) ; « faire une erreur » (Q33/5, Q2/55,
Q2/75, Q4/112) : lām mīm zāy et ghayn mīm zāyġāmaz (Q9/58, Q9/79, Q104/1 ; Q49/11, Q104/1, Q68/11,
Q23/97, Q83/30).
Ainsi 20% du corpus du Néguev débute par Allâhuma ġfir et dans le Coran wa-qul rabbi ġfir342 est une
demande de pardon à l'accompli. La demande de pardon est omniprésente. Ainsi, la racine kafr a
aussi un sens de « recouvrir, cacher, camoufler ». Le premier réflexe d'Adam, face à son péché, fut
ainsi de se vêtir343 ; la théologie, elle, recouvrira le sens premier par celui de « repentir », Adam se
serait repenti en même temps qu'il se recouvrît. Le sens théologique d'effacer les péchés va
s'installer et supplanter progressivement le sens premier, de façon métaphorique et juridique à la
fois. Le péché originel est-il nié ? Certains courants syriaques avaient des conceptions particulières,
notamment Théodoret de Cyr344, Théodore de Mopsuete345 : le péché vient du libre choix ; le péché
n'est pas dans la nature, mais dans la volonté de l'homme. Le péché coranique est extérieur à
l'homme et donc l'homme peut l'exterminer. Le refus de l'intériorisation du péché a des
répercussions dramatiques.
Pourtant Jésus est dit « identique » à Adam, et seuls Marie et Jésus sont déclarés sans
346
péché. Cela suppose une reconnaissance voilée du péché originel, puisqu'il y a une distinction
entre deux groupes : Jésus-Marie et toute l'humanité. Les érudits musulmans passent en revue les
versets coraniques qui traitent du péché originel d'Adam et du salut de l'humanité et en arrivent à
la conclusion suivante : Adam et Ève ont bien vécu dans le Jardin. Allah leur a dit qu'ils pouvaient
manger de tous les fruits désirés, à l'exception de ceux d'un arbre qu'il leur a montré. Lorsqu'ils ont
écouté le diable, ils sont tombés sous le jugement d'Allah. Adam a toutefois demandé la clémence
de son Seigneur en lui confessant sa culpabilité, et a obtenu son pardon en vertu de la mystérieuse
kalima. Son péché ou sa transgression eut lieu bien avant qu'Adam ne devienne un prophète, est-il
dit. Les musulmans nient que les hommes aient hérité une quelconque nature pécheresse d'Adam.
Ils disent plutôt ceci : « Chacun n'acquiert [le mal] qu'à son détriment : personne ne portera le
fardeau (responsabilité) d'autrui. » (Q6/164)347 Pourtant, ces expressions se retrouvent chez saint
Éphrem dans ses Hymnes VII sur le second avènement de notre Seigneur Jésus-Christ : « l'heure où
personne ne pourra venir au secours de son prochain. […] L'espoir s'éteint, plus de secours à
attendre, plus de défenseurs. A quoi nous a-t-il servi d'obéir au monde ? Où sont les parents, où
sont nos frères, nos fils, nos amis ? Eh quoi pas un d'eux ne peut nous sauver ? Pas un d'eux qui
puisse nous prêter appui ? » ; « … le jour où l'homme s'enfuira de son frère, de sa mère, de son
père […] car chacun d'eux, ce jour-là, aura son propre cas à s'occuper » (Q80/35).
Pourtant, certains points demeurent obscurs. Dans l'original en arabe (sourate 2, v.36),
Allah s'est adressé à eux au pluriel, comme s'il parlait à plusieurs personnes et non juste à deux.
Lorsqu'il leur a dit : « Descendez (du Paradis) ; ennemis les uns des autres », il s'agit d'un pluriel
(ihbitu) et non d'une forme duelle (ihbita), et il utilise lakuma (forme duelle), au lieu de lakum, pour
« plusieurs ». Les érudits musulmans rétorquent cependant que ce pluriel implique une notion de
représentation, à la manière d'un discours prononcé pour honorer ceux à qui il est adressé. Au sujet
de la chute d'Adam, il conviendrait de préciser la pluralité des récits, dans le Coran, qui témoignent
de l'activité rédactionnelle des scribes. Le récit de la sourate 2 semble être le plus récent, puisqu'il

342. ghayn fā rā : 105 occurrences.


343. Dans le Coran, Adam est déjà couvert avant même le péché, reprenant les récits midrashiques et
apocryphes, Satan lui arrache le vêtement de lumière.
344. ESCOLAN Philippe, Monachisme et Eglise. Théologie historique 109. Le Monachisme syrien du IVème au VIIème
siècle, 1998, p. 65.
345. Jean CRANO GRANCOLAS, Docteur en théologie de La Faculté de Paris (1698). Imbert de BATS, La
tradition de l'Eglise sur le Péché originel et sur la réprobation des enfants morts sans baptême, p. 88.
346. Al Fakhr al Razi, lui, a fait le commentaire suivant : 1. Concernant les mots : « pour te donner un garçon
pur », il dit que le mot « pur » signifie trois choses. D'abord, qu'il est né exempt de péché. Deuxièmement,
qu'il demeura, durant sa croissance, dans l'intégrité. Troisièmement, qu'il était pur et sans reproche.
347. « Et au cou de chaque homme, Nous avons attaché son œuvre » (Q17/13) ; « Toute âme est l'otage de
ce qu'elle a acquis » (Q74/38). En affirmant le pardon d'Adam, ils ne font aucun cas de la vraie exégèse du
verset suivant qui dit : « Descendez (du Paradis) ; ennemis les uns des autres. Et pour vous il y aura une
demeure sur la terre, et un usufruit pour un temps » (Q2/35-36).
combine les deux récits précédents : « Descendez (du Paradis) ; ennemis les uns des autres. Et pour
vous, il y aura une demeure sur la terre, et un usufruit pour un temps » (Q2/36), et le verset suivant
dit : « Puis Adam reçut de son Seigneur des paroles, et Allah agréa son repentir car c'est Lui certes,
le Repentant, le Miséricordieux » (v. 37). Ainsi donc, les érudits musulmans conclurent qu'Adam et
Eve, après leur désobéissance, se sont repentis et ont obtenu le pardon de Dieu, ce qui régla le
problème et annula complètement l'idée d'un possible héritage du péché. Beaucoup de passages
coraniques affirmant le péché d'Adam (Q7, Q20 et Q2) peuvent se résumer à : « En effet, Nous
avons auparavant fait Alliance avec Adam ; mais il l'a oublié. » Au regard de ces versets traitant du
péché originel d'Adam, nous en concluons ceci : la présence d'Adam et Ève dans le Jardin était
absolue et non limitée à une certaine période, nous verrons que l'espoir de retour au Jardin est une
thématique importante. Le départ du Paradis s'est manifesté par la perte d'un vêtement lumineux
et le retour s'exprime par la purification des vêtements (Q74). Ce vêtement lumineux originel est
conforme à la vision judéo-chrétienne et est le signe de sa nature divine chez les auteurs rabbiniques
et chrétiens. Le Coran confirme cette conception, et cette nécessaire purification des vêtements
renforce la prégnance d'un état de pureté originelle perdu. De même, la translittération araméenne
est formelle : « purifie tes vêtements »5 et « écarte la colère divine » (wa-r-ruǧza fa-hǧur). 348 Saint
Éphrem exprime sans cesse le retour au Paradis par la tunique tissée par Marie.349
La doctrine de saint Augustin sur le péché comme soumission à ce qui est en-dessous
pourrait être plaisante pour la logique islamique, puisqu'elle exprime tout en termes de
soumission/rébellion. En effet, la rébellion radicale des mušrikūn est décrite comme un pacte, une
compromission avec le shaytan.350 La voix de saint Paul qui avait proposé une nouvelle lecture de la
Loi, avait réorienté la conception même de Salut. Saint Paul propose un autre régime de Salut.
Dans le judaïsme, le Salut venait de l'obéissance aveugle à la Loi. « Salut » et « Loi » s'écrivent, en
araméen, en calligraphie, de façon quasi identique, montrant leur lien. En araméen, pqd est la « Loi »
et prq, le « Salut », c'est le terme utilisé par saint Paul. Les deux mots semblent confondus en arabe
coranique, puisque le d et le r étaient confondus en araméen et que les copistes étaient incapables
de différencier.351 Cette confusion permet des réorientations sémantiques.
Lorsque saint Paul dit « Par la foi, Isaac », « tout est permis mais tout n'est pas utile », il
introduit une notion, les commandements ne servent pas un Dieu absurde. Cette distinction
d'utilité démarque la conception mutazilite où la sharîa est instituée par Allah, dans l'intérêt de la
Création, contrairement à la conception où la volonté divine (al irâda) est souveraine. Le bénéfice sert
le bonheur de l'homme. Saint Paul, en ajoutant que la Loi est accomplie par l'Amour (Galates 5,14),
apporte une différenciation salutaire ‒ initiée par le Christ avec la femme adultère. Le bien visé par
les commandements libère, ce qui édifie libère. La Loi et le Salut sont bien sur une même ligne. La
doctrine de saint Paul est un programme de libération, une tâche infinie, possible uniquement par
le Sacerdoce parfait. L'Accomplissement par l'Amour est absent ou voilé dans le Coran. Pourtant,
seuls ceux qui vont avec Dieu jusqu'au bout sont dits « proches ou amis d'Allah ». La sollicitude

348. « Colère » Com. Dan 3:13 : ‫ֵבּאַד ִין ְנבוַּכְדֶנַצּר ִבּ ְרַגז ַוֲחָמה‬. 1QapGen .6 : ‫חמת רגזך‬
349. « Notre Seigneur Lui-même leur a fait retrouver la tunique adamique, tissée par Marie » p. 85 Hymnes
Paradis.
350. « Soumets-toi à celui qui est au-dessus de toi, et ceux au-dessus desquels tu es placé seront au-dessous
de toi. Mais, parce que, par le péché, l'homme a abandonné celui sous lequel il devait être, il a été soumis à
ceux au-dessus desquels il devait être… Reconnais celui qui est au-dessus de toi pour que te reconnaissent
ceux qui sont au-dessous de toi… Mais si tu ne reconnais pas celui qui est au-dessus de toi, tu méprises
celui qui t'est supérieur, tu es soumis à celui qui t'est inférieur. Ainsi, comment l'orgueil des Egyptiens a-t-il
été dompté ? Par des grenouilles et des mouches [le Coran signale cette capacité d’Allah d'utiliser la mouche].
Dieu aurait aussi bien pu envoyer des lions, mais un homme, même valeureux, peut avoir peur d'un lion.
Plus ils étaient orgueilleux, plus Dieu s'est servi de choses méprisables et viles pour briser leur nuque
rebelle. » (Commentaire sur la 1re Ep. de Jean, 8, 6-7)
351. Cette racine frq – le p et f sont confondus en araméen – est fréquente dans le Coran mais d'autres sens
lui sont attribués.
bienveillante de saint Paul se déverse en charité : « Portez les fardeaux des uns des autres et vous
accomplirez la Loi du Christ ». Or elle est traitée de façon équivoque.
Le contre-pied de cette phrase existe dans le Coran : « aucune âme ne portera le fardeau
d'autrui » (Q53/38). Le parallèle coranique entre Adam et Jésus peut donc être considéré comme
le reflet de cette exégèse typologique qui voyait dans Adam la préfiguration de Jésus, et dans celui-
ci le « nouvel Adam » qui avait abrogé le péché originel du premier homme. Cette typologie se
confirme surtout avec cette étrange prosternation requise pour Iblis devant Adam. Cette
prosternation, qui est confondue, dans la pensée sémitique, avec l'adoration, ne peut renvoyer qu'à
une thématique (même voilée) d'incarnation.352 Car impossible de comprendre la prosternation des
anges, si aucune explication de la supériorité de l’homme n’est donnée et si la thèse de la création
de l’homme à l’image de Dieu n’est pas connue et admise comme le laisse supposer la version de
la sourate 15 ? Cet épisode d'adoration d'Adam par Iblis existe dans le Testament d'Abraham. Le
pire péché est de mentir sur Allah, c'est un péché impardonnable qui semble un écho au seul péché
impardonnable cité par Jésus, celui contre « l'Esprit Saint ».
La sotériologie ébionite refusait, elle aussi, cette notion de Salut et de Sacerdoce. Le Coran,
par son obsession du motif du fruit édénique, a-t-il des liens avec cette mouvance ou encore avec
les Écrits intertestamentaires ? Le Coran signale qu'Ève a une grossesse légère, est-ce pour se
démarquer de la Bible ? Le fruit défendu des Écrits intertestamentaires est « la vigne » (dans
L'Apocalypse d'Abraham), et dans le Coran aucun fruit n'est signalé. Cependant, la sourate 19, avec
l'épisode du Palmier en floraison, est une typologie du péché pardonné et de l'Éden recouvré. Nous
y reviendrons. Dans les descriptions du Paradis « aucun fruit n'est interdit », mais « la vigne » a
disparu pour son homographe désignant « les vierges ». Le motif de la vigne est omniprésent dans
les descriptions des jardins terrestres. Comment expliquer l'omniprésence des fruits paradisiaques
autrement que par l'espérance de l'oubli de l'épisode adamique ? La surabondance des oraisons
concernant une demande de pardon, dans le Coran et l'épigraphie, ne peut être le fruit que d'une
communauté proche des espérances chrétiennes. Nous reviendrons sur ce thème de l'Éden.
Plus tardivement, les traditions orales et populaires rendent vivante la demande de pardon
dans les images de « Salut » qu'offre le Ramaḍan. Ce dernier est présenté comme une rédemption,
une réouverture des portes du Paradis.353 La sollicitation permanente du pardon d'Allah, dans le
Coran, interpelle. La racine correspondante, ghayn fā rā, apparaît 234 fois sous différentes formes.
Cette fréquence peut laisser songeur au vu de l'absence de développement propre à la rédemption.

La sourate 5 est comme un résumé de l'ensemble, une relecture globale et cohérente du


corpus. Ces éléments sont des preuves de son écriture tardive. Le vocabulaire y est de plus légaliste.
Les connotations d'immolation et d'interdits – mises en évidence par des translittérations
araméennes – sont vivaces et indiquent un contact avec les « gens du Livre ». La notion

352 . Dictionnaire du Coran. p. 24 Adam. Le refus du diable jaloux d’adorer Adam est connu de l’ouvrage
syriaque La caverne des trésors. Le diable est jaloux car il doit adorer un être en chair alors que lui est pur
esprit.
353. Toutes les descriptions du paradis coranique utilisent des mots persans : raḥīqin (« vin fort du Paradis »),
Rauḍa (« jardin de luxe »), Zanjabῑ (« paradis ») ; le terme ḫiyāmi désigne à la fois le tissu du Tabernacle, en
araméen, et celui des pavillons des hourῑs. L'ange de la mort qui, tel qu'évoqué notamment par le Rabbin
Eliezer, cache l'entrée du jardin, et qui était caché avec le veau pour tromper les fils d'Israël, a un rapport
avec le texte coranique. La thématique du paradis est aussi abordée de façon plus classique, à la sourate 18,
par les mots balaġā maǧma‛a baynihimā nasiyā ḥūtahumā fa-ttaḫaḏa sabīlahū fī l-baḥri saraban, et renvoie au thème
très populaire de l'Antiquité tardive concernant les quatre fleuves paradisiaques souterrains en dessous de
la mer. Pour Lüling, les descriptions du paradis présentent deux strates dont l'une est liée à une vision
païenne et pleine de symboles de la fertilité. (LÜLING Günter, A challenge to Islam for reformulation, Motilal
Banarsidas Publishers, DEHLI, 2000, p. 227 et 300.)
d'Accomplissement est prédominante.354 La sourate 5, qui annonce un parachèvement, traite de la
nourriture et des femmes selon ce qui est permis, ainsi que du rituel de purification. Vient ensuite
le rappel des bienfaits de l'Alliance et de la réponse obéissante d'Israël au verset 7 (en référence aux
Psaumes – « Mon âme, bénis l'Éternel, Et n'oublie aucun de ses bienfaits ! »).355 Des injonctions
pleuvent : « Pratiquez la Justice vertu sœur de la piété. » Vient ensuite encore un rappel des bienfaits
d'Allah et de son engagement, suivi de la violation du Pacte. C'est presque le plan du Deutéronome.

Cette trahison et cette malédiction rencontrent l'engagement des chrétiens qui, eux,
oublient et se haïssent mutuellement (Q5/14). Il faut se rappeler le testament de Jésus : « Aimez-
vous les uns les autres, c'est à l'amour que vous vous manifesterez que vous serez mes disciples ».
Le châtiment subi par les juifs et chrétiens, pour cette sourate, est la preuve du péché commis. Les
chrétiens syriaques qui commentaient l'avènement des « Maggrayes » ne disaient pas autre chose.
Ishoyab III, évêque de Mésopotamie et d'Iran de 647 à 658, est en excellents termes avec les Émirs
et semble avoir reconnu en eux une christologie acceptable, il déclare : « … ils commandent la
domination de la Loi, ce qui est une forme d'amour du Christ. Le messager vient pour continuer
cet avertissement. » Dans le Kitab rish melle356 datant de 687 (histoire de l'Église nestorienne), Jean
de Bar Penkaye évoque la montée du royaume arabe de Mu’awiya, qu'il décrit comme une visite de
Dieu, en représailles pour leur déplorable désunion. Comme Ishoyahb III, Bar Penkaye n'a pas eu
de problèmes théologiques avec les Arabes en notant que l'avènement des « enfants d’Agar » n'était
pas quelque chose d'ordinaire. Avant d'appeler les Arabes à leur tâche de prendre en charge « les
deux royaumes, malkuta, en raison du travail divin » (royaumes des Romains et des Sassanides),
« Dieu avait voulu d'eux » qu'ils tiennent les chrétiens en estime. Le verset 53 de la sourate 5
exprime le « désir d'Allah d'un peuple qu'Il aime et qui l'aime, un peuple puissant et combattif ». La
conquête justifie cette bénédiction, et ce verset rejoint l'analyse de Jean de Bar Penkaye. Le vocable
utilisé est ḥizba-l-lahi, ḥā zāy bā, qui signifie « faction victorieuse ». Les versets 66 à 68 de cette même
sourate expriment le non-accomplissement des livres du Pacte : la Torah et l'Injil.

Le but de cette sourate est visiblement de justifier la conquête. L'application de la Loi du


Livre aurait donné la jouissance des deux royaumes. La rébellion et la mécréance condamnent le
monde. L'adage : « Si le monde est créé en faveur d'Israël pourquoi Israël est privé de son
héritage ? » (Esdras IV) semble résonner dans cette sourate. La suite de la sourate traite du rappel
de cet engagement non tenu d'Israël qui « raille et tue ». L'aveuglement et la surdité de cette nation
sont la conséquence de sa rébellion. Cette malédiction à l'égard des juifs transgresseurs est
confirmée par David et Jésus. La suite de la sourate évoque la Cacherout limitée, le Rassemblement
des Prophètes, la prééminence finale de Jésus, le Rituel, l'interdit, le Testament et le double
témoignage.

Le pouvoir sur la Cacherout est un privilège messianique selon le Midrash Tehilim. Seul le
Messie peut, selon le rabbinisme, lever la Loi sur cette dernière.357 Ceci est un indice déterminant
pour affirmer la communauté destinataire. La sourate poursuit sur Jésus, ses miracles, la croyance
nécessaire en lui, la révélation aux Apôtres et la demande d'une Table céleste de la part des Apôtres.

354. Le rasm kml se trouve dans l'expression : ’akmaltu lakum dīnakum wa-’atmamtu, où il signifie « accomplir ». WA-
raḍiya lahū qawla : « agréer » mais en araméen « réconcilier, apaiser, expiation, accepter de pardonner »
JBA, LJLA. BT Ber 33b(40) : ‫כמה ידע האי מרבנן לרצוי למריה‬
355. WA-ḏkurū ni‛mata Llāhi ‛alaykum wa-mīṯāqahu llaḏī wāṯaqakum bihī ’iḏ qultum sami‛nā wa-’aṭa‛nā wa-ttaqū
Llāha ’inna Llāha ‛alīmun bi-ḏāti ṣ-ṣudūr.
356. JOHN OF PHENEK, (ed. 1907). Rish melle Text and FT of Book XV : Mingana, Sources syriaques
I SCRIPTORES SYRI TOMUS LXIV Išô’Yahb Patriarchae III Liber Epistularum.
https://fr.scribd.com/document/76534046/Duval-Liber-epistolarum-1904-Version.
357. « Nos sages ont dit : Toutes les fêtes seront annulées lorsque le Messie arrivera sauf pour les jours de
Pourim. Chaque créature considérée comme impure dans le monde actuel sera déclarée pure dans le monde
à venir. »
Finalement, on peut comprendre que toute la sourate parle de nourriture, et de Jésus, maître de la
Cacherout. Le Coran rappelle ailleurs que la Cacherout avait pour but de punir cette rébellion
inhérente à Israël (Q5/87). Le but est de récupérer l'Alliance et d'effacer la dette. Les typologies de
cette sourate sont le Festin messianique (récupéré) et la réorientation de la mission et de la Cène
de Jésus.

D- JÉSUS, LE PIVOT HERMENEUTIQUE


Jésus coranique est doté de prérogatives quasi divines. Les juifs ont cependant réussi à
déjouer sa mission. Jésus ainsi, devient le pivot herméneutique entre Bible et Coran et il n’existe
que pour condamner les juifs et passer le témoin à son rassul, Muhammad. La « descente »
– contestée par les juifs – du Verbe en Jésus est bien l’accident qui permet de donner une suite en
cohérence au schéma chrétien. D’ailleurs l’herméneutique factice est simulée par la désignation
d’accomplisseurs.

o CELUI QUI ACCOMPLI

Selon le christianisme, le mariage mystique est complet dans le Royaume des Cieux mais il
est déjà accessible aujourd'hui, sacramentellement, dans l'Eucharistie. C’est cette quête d’un
« aujourd'hui » proclamé et pris en compte par Jésus qui est repris et recherché par l'Islam ; en effet,
ce dernier se nomme et se calle doctrinalement parlant sur une racine d’accomplissement. On peut
à ce titre consulter les travaux de Emran Iqbal El Badawi358 à propos de l’expression syriaque de
mašlmānūtā d-abhātē madnhāyē qui signifie ceux qui accomplissent la tradition. Le « Tout est accompli » qui
est dit sur la Croix et son rejet renvoient l'Heure islamique de Jésus à des temps ultérieurs. Il est
remarquable qu'on retrouve ce recours à l'accomplissement dans la sourate 5, sourate consacrée à
l'Alliance et à la Cène de Jésus. Elle est un écho presque inaudible de ces épousailles. Dans
l'eschatologie islamique, Jésus fait descendre une table et se marie, les thèmes du mariage et du
banquet céleste restent donc bien mêlés dans l'esprit islamique. L'amour sponsal du Dieu de Jésus
enveloppe les deux Royaumes et descend dans notre temporalité. Le Christ est l'Époux, parce
qu' « il s'est livré lui-même » de plein gré et qu'il peut se livrer à chaque instant, n'importe où, à
l'infini, simultanément dans plusieurs endroits, dans la chair. Il traverse le temps et emplit la chair.
Sa présence n'est pas circonscrite à un espace-temps limité. C'est ainsi qu'il « aima jusqu'à la fin »
(Jn 13, 1). L'Eucharistie est le sacrement de l'Époux et de l'Épouse.

359. EL BADAWI. Emran Iqbal. The Qur’ān and the aramaic gospel traditions. Prophetic Tradition in the Late
Antique Near East. Routledge Studies in the Qur’ān. p. 62.
Racine mslm associée à La Croix

o LE VERBE OMNIPOTENT
Le Coran célèbre, malgré les tafsirs, la Bonne Nouvelle – de la naissance – du kalima(t)-
Allah. Le kalima(t)-Allah devint « chair » par Marie. Cette filiation charnelle est sans cesse mise en
avant par la locution « fils de Marie ». Il fait de lui le Maître de la Loi et de la Torah, la « Lumière
d'Allah » (Q9/32) 359 et le porteur du titre muṣaddiqan « sage, confirmant ». La fonction coranique
définissant au mieux cette Lumière descendue est celle de « rendre licite » 360 systématiquement
utilisée pour Jésus et évoquant la puissance en araméen. Le cotexte de cette sourate 9 évoque Jésus,
versets 30 et 31 ; le triomphe évoqué au verset 32 concerne donc Jésus. Une ultime preuve provient
du verset Q61/14 qui suggère la victoire : « à l'instar de Jésus… ils triomphèrent361 » ; du verset
Q5/48 : « Jésus […] Injil […] pour confirmer La Torah […] exhortation362 […] descendre le Livre qui
était là avant lui et pour prévaloir sur lui » ; du verset Q4/172 : Le Messie, « Lumière éclatante » (v.
174), et du verset Q4/159 : « il n'y aura personne qui n'aura pas foi en lui (v. 157 « Jésus », v. 158
« élevé », rafa’ahu).
Depuis l'Incarnation, le Royaume n'est plus à planifier mais à accueillir. Le Coran, dans un
premier élan, choisit de raconter la venue de la Parole qui, comme une « eau descendue », attend
son accomplissement avec impatience. C'est le thème principal qui parcourt le Coran. La Parole est
comme la pluie, elle « descend » du ciel vers le sol aride. Selon Lüling, « Dieu a envoyé (Jésus)
comme une eau immaculée » (sourate 25). L'accouchement de Marie est le seul qui est décrit dans
le Coran, qui utilise, pour l'occasion, un hapax dérivé de l'araméen signifiant « délivrer » : une eau
surgit alors. Ainsi est décrite la venue du Verbe de Dieu dans la chair de Marie : yuba𝑠̆ 𝑠̆irruki bi
kalimatin Q3/45. La Parole, même si elle est éternelle, « est descendue » (‘anzalnâhu) et s'est inscrite
dans le Temps et l'Histoire, mais les hommes l'ont rejetée. Le Coran conte uniquement cette
« descente » et son rejet. C'est une eau immaculée de la source apparue miraculeusement et vivifiant
toute aridité (verset Q25/48 reconstruit par Lüling). 363 Cette source symbolise la Loi, et c'est
uniquement à Moïse et Marie que ce miracle est accordé. Ce miracle sera attribué à Agar dans une
strate postérieure. L'intérêt du Coran pour la pluie n'est pas agricole. Jésus, héritier de la Torah, la
porte de ses Mains, il juge depuis son berceau364 et justifie sa mère en condamnant les juifs (avec
David, roi des Juifs)365, calomniateurs et « cous raides » aux desseins d'Allah. Cette association de
réprimandes en duo David-Jésus n'a-t-elle pour objectif de récupérer la lignée davidique ?
Comment pourrait-il juger en n'étant qu'homme ? Jésus coranique est le seul à détenir le pouvoir

359. « Lumière sur lumière » dit la sourate La Lumière, nous avons encore ici une expression biblique
descriptive de Jésus « Lumière né de la Lumière ».
360 . Q3/50 wali-uḥilla, ḥel %$#"! pardonner, purifier, racheter.
361. Ṣāḇōy, ṣāḇōyābaptême‫ טהר‬purification rituelle, on constate l'écart entre la strate araméenne empreinte
de liturgie chrétienne et la traduction orientée vers la guerre.
362‫עיטא‬
363. Même si réattribution est contestée il reste l'épisode de la source mariale de la sourate 19. La source
désigne sans conteste la Loi.
364. Saint Éphrem évoque lui aussi que Jésus parla avant de naître. La racine qanita utilisée à propos de
Marie est utilisée dans le Diatessaron pour « crainte de Dieu » Syr. (a) p.p. + ‫ ܠ‬: syr. aphdiatess1990
4:20 : )($' ."-‫"ܘ‬+‫ܘܢ܂ ܕ‬/- ‫ ܗܘܬ‬87654 ;:9 =< .
365. « Ceux des Enfants d'Israël qui n'avaient pas cru ont été maudits par la bouche de David et de Jésus
fils de Marie, parce qu'ils désobéissaient et transgressaient. Ils ne s'interdisaient pas les uns aux autres ce
qu'ils faisaient de blâmable. Comme est mauvais, certes, ce qu'ils faisaient ! » (Q5/78-79)
d'alléger la Loi et de « gérer les conflits » (Q43/63), et c'est le seul omniscient qui « connaît l'Heure »
et qui incite à « être savant ».

LES DEUX NATURES DU CHRIST : VERBE ET ESPRIT

Le verset (Q4/171) proclame la double nature du Christ. Jésus n'est jamais appelé bašaran
(homme), contrairement à tous les prophètes, mais il est appelé selon des concepts chrétiens, Verbe
et Esprit d'Allah, et le Coran utilise le nomme avec ces deux phrasés. Serait-il céleste ? Son retour
avec une chair est bien projeté sur un axe des temps du futur ; la plupart des savants valident bien
la mort de son corps physique, comme Ibn Hamyed, Ibn Ibn Ishaq (l’auteur de la biographie du
Prophète Sîrat Rasûl Allah), Wahb Munabbih (traditionniste yéménite de Dhimar) : « Le Christ est
mort durant trois heures ensuite il a été élevé aux cieux. » Mohammed Ibn Ishaq dit : « Il est mort
pendant sept heures ensuite Dieu l'a ramené à la vie et l'a élevé. »366 Ibn Kathir suppute 3 jours de
décès. Alors, que penser ? Est-ce une ascension de l'âme ou du corps ? Que penser du rejet de
l'épisode de la Résurrection miraculeuse ? Les exégètes qui optent pour une mort physique n'ont
pas résolu la nécessaire réincarnation avant la « résurrection » : comment pourrait revenir Jésus sans
son corps avant le Jugement dernier où les corps sont redonnés ?

Ainsi, la nature de Jésus est ambiguë, ce caractère charnel est manifestement absent d'une
strate ancienne ; cette particularité céleste est minorée par des affirmations postérieures où « Jésus
mangeait de la nourriture » Q5/75. Ce caractère purement céleste le prive, en outre, de sa fonction
de restauration de la chair. De plus, la nature impérative du décret qui s'abat sur Marie occulte la
libre participation de la chair à la Rédemption. 367 Dans la traduction arabe, Jésus est dit « une
Parole » ou « la Parole » ou un « verbe » afin de ternir son rôle.368 Cette traduction manifeste la
modification des sens : ainsi, Jésus reste une quelconque émanation de Dieu, mais jamais il n'est la
Personne même de Dieu. Par ailleurs, la notion de Personne n'existe pas dans le Coran. Cette
réorientation des sens est nette, le Prologue de saint Jean en arabe utilise le même mot, kalima,
l'identifie au Verbe et l'assimile à la personne de Dieu. Nous nous retrouvons donc ici avec un
même vocable arabe, mais utilisé dans deux sens différents et piliers de deux théologies différentes.
La divergence fondamentale vient du Fiat ou de son absence. Myriam, la Nouvelle Eve, n'a pas le
choix. Dans la version chrétienne, le corps de la Femme, ses entrailles recevaient et acclamaient la
rédemption des corps. Son corps devenait Temple de Dieu et retrouvait sa splendeur car la
présence de Dieu descendait en la chair. La même racine désigne le Seigneur et Marie en araméen
( Marie $#"! Seigneur : %#ܵ.&ܵ ). Myriam est passive et elle subit les décrets. La création de Myriam
ne gémit pas sa restauration comme l'envisageait saint Paul. On peut parler de prophétisme sous
tutelle, pour l'insufflation de la Parole en Myriam – sans son Fiat, on peut parler aussi d'incarnation
sous tutelle et limitée, et donc de rapt de nuptialité.

Malgré ces conceptions radicalement opposées, Jésus est déclaré « identique à Adam »,
« comme Adam », de même que chez saint Paul. Cette appellation est justifiée car il est créé
uniquement de la volonté de Dieu. Le Coran le prive et de son père du Ciel et de celui de la terre.
L'absence de Joseph montre une désincarnation, une rupture de la filiation et une chimérisation de la
famille. C'est un prolongement de l'isolement absolu de Marie et de son mutisme. La double nature de
Jésus est évacuée par ce rejet du père. Le Coran, obnubilé par la transcendance d'Allah, ne peut
accepter qu'une Parole de Dieu obéisse à la parole d'un père adoptif pécheur. Cette identité entre
Jésus et Adam, revendiquée comme absolue par le Coran, n'est pas complète puisque Jésus a une

366. Source du Père Zacharias. « Ils ne l’ont pas crucifié ».


367. En nommant les créatures à la place d'Adam, Allah privait déjà du libre arbitre l'Adam biblique.
368. La racine kul, qui signifie « tout » en arabe et araméen.
mère, donc une incarnation de plus qu'Adam. Allah a soufflé dans l'argile pour faire Adam et a
soufflé dans l'être de Marie pour « créer » Jésus. Qu'on le veuille ou non, Jésus n'a pas la même
incarnation qu'Adam, l'une vient du souffle dans la terre, l'autre de la spiration dans la chair.
Selon la mystique juive, Adam est l'homme primordial, l'image de Dieu, perçu comme Dieu
lui-même.369 En outre, selon le Coran, Jésus et sa mère sont sans péché (contrairement à Adam), et
Jésus a obéi sans faille, là encore contrairement à Adam. 370 Le verset 75 de la sourate 5, qui
prouverait le caractère uniquement humain de Jésus, se base sur la consommation de nourriture
par Jésus et sa mère. Nous proposons une autre lecture : « Jésus et Marie étaient emplis (kul)
d'autorité (ya’kulāni ṭ-ṭa‛āma) 371 ; la lecture de la racine kul pourrait être « pleins », au lieu de
« manger » puisque le script initial a pu être modifié, et l'autre mot, taem, a des sens variés comme
« saveur, autorité ». Les Hymnes d'Éphrem raffolent de ces comparaisons sur Jésus et utilisent
volontiers ces sens doubles du vocable taem : « Le doux sel des Prophètes répandu parmi les peuples
acquiert par lui le goût (taem) nouveau qui rend fade le peuple de Jadis. »
Donc, en conclusion, l'identification coranique de Jésus à Adam est inexacte bibliquement parlant, et
ce, dans la logique même des dires coraniques. L'exégèse islamique interprète cette similitude
uniquement à la lumière de ce caractère humain de Jésus et de Marie, et n'utilise cette identification
que pour polémiquer contre la nature divine de Jésus. Les tafsirs ne prennent alors plus en compte
la proximité particulière de Jésus par rapport à Allah, affirmée par le Coran.372 Il est impossible de
dire si cette assertion d'identité, « comme Adam », n'est qu'une reprise de saint Paul, dans une strate
1, qui aurait été suivie d'un abaissement général de son rôle par l'appareil exégétique, ou de penser
à une signification originale dès l'énoncé.
Cela est d'autant plus difficile à cerner que le Coran impose la prosternation des anges
devant Adam qui n'est que de la glaise. Cette marque d'adoration pourrait être un reliquat chrétien
de la vénération devant le nouvel Adam, icône de Dieu, non issu de la glaise puisque Parole divine.
Dans le Coran, Satan, jaloux de cette supériorité, va désobéir et va vouloir égarer l'homme. Cette
remarque sur la genèse, une autre difficulté philologique surgit, la filiation divine est souvent
confondue et identifiée à une génération charnelle. Pourtant, l'arabe est riche et possède deux
termes, ibn et walad, pour nuancer les filiations, et ‘Isâ n'est pas coraniquement parlant tiré de la
terre ; la négation coranique concerne toujours le mot walad et non le mot ibn.

En conclusion, nous pouvons dire que la résurrection ou les résurrections de Jésus ne sont
pas claires dans le Coran, et la proclamation « comme Adam » n'est pas sans soulever d'infinies
problématiques. On y voit essentiellement une volonté de gommer le caractère trop particulier du
Christ. Cette conception de relation individuelle, d'Alliance et de fiat personnel entre Marie et Dieu,
entre la créature et Allah, n'existe pas dans le Coran. Le concept de personne n'est pas coranique.

Selon la théologie chrétienne, seule l'obéissance du Fils-Serviteur Parfait – qui livre dans les
mains de Son Père son humanité en sacrifice, par : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit »
– peut résoudre la désobéissance d'Adam. Du flanc d'Adam, Ève est sortie ; du flanc de Jésus,
l'Église, portée par la nouvelle Ève, Marie, est engendrée.373 Satan est vaincu. Le verset de Matthieu

369. « La forme de l'homme est l'image de tout ce qui est au-dessus, dans le ciel, et en bas, sur la terre. Ainsi
le Saint le prend pour sa propre forme. » (Idra Rabba 141 b)
370. La sourate 5 (v.75) essaie d'amoindrir sa puissance en disant : « ils mangeaient de la nourriture ».
ܵ ܵܿ
371. « Goût » Jud, CPA, Syr, JBA, LJLA. P Jn8:52 : B?ܼܿ7!ܸ C .‫ܬ‬E4ܼܿ « nourriture » Gal, Syr. « ordre »,
« autorité ».
372. ’iḏ qāla Llāhu yā-‛īsā ’innī mutawaffīka wa-rāfi‛uka « Ô Jésus, certes, Je vais mettre fin à ta vie terrestre
t'élever vers Moi, te débarrasser de ceux… »
373. La sourate 86 fait un lien entre une eau sortie d'entre les lombes et les côtes et la résurrection. Le verset
Q17/92 fait le lien entre montée au ciel, niée par les Juifs, et l'écarlate du Messie.
10 (v. 22) peut être traduit par « prudent ou rusé comme le serpent », la racine araméenne autorise
les deux sens.

La trame narrative du Coran brode ces éléments avec le thème de la divine ruse. La ruse de
Dieu a trompé les Juifs, au verset 157 de la sourate 4, au sujet du Jésus coranique. Dans le Coran,
Jésus n'est qu'un Serviteur parfait (Q43/59) mais il est « vraiment » un Serviteur parfait, selon d'autres
traductions374. Quoi qu'il en soit, pour lui, Allah a rusé. Depuis Adam, la tendance de la rébellion
est comme une seconde nature de l'homme. Cette tendance à la rébellion de l'homme est très
développée dans le Coran375, rébellion et incroyance sont liées, beaucoup de versets le prouvent :
Q5/64, Q5/68, Q6/110, Q7/186, Q10/11, Q17/60, Q18/60. Jésus, lui, est sans péché, et Satan
n'a pu le toucher. Dieu encore a rusé, en l'extrayant des Juifs orgueilleux qui prétendent l'avoir tué
(Q4/157). Le lien entre ces deux trames se fait par les Pères orientaux.

Selon les Pères orientaux coptes, Satan est certes rusé, mais Dieu peut ruser à son égard sans
préciser les contours de cette ruse. Les théologiens chrétiens arabes font le lien entre ces éléments.
Satan a été vaincu et trompé par la ruse de Dieu, justement à propos de Jésus, serviteur obéissant
parfaitement. Cette obéissance de Jésus est survalorisée par le Coran. L'obéissance n'est pas libre,
elle est liée à la « ruse de Dieu ». C'est ce thème de la ruse (makir) de Dieu que l'on ne retrouve
ailleurs qu'au verset 157 de la sourate 4 et qui a fait couler beaucoup d'encre. Dans le Coran, Allah
est « le meilleur des comploteurs » (Q8/30), cela nous semble étrange, sinon choquant. En fait, ce
thème est fréquent chez les théologiens arabes chrétiens (par exemple, Boutros al-Bayt Ra'si au IXe
siècle et Sawirus Ibn al-Muqaffa au Xe).376 Saint Éphrem suggère déjà ce thème : « l'Adversaire se
sentit plein de joie, sans voir qu'on le trompait ; l'intérieur [du Christ] l'eût effayé, mais l'extérieur le
rassura. » (Hymne XII sur le Paradis377) Le thème peut même être relié à la Crucifixion du Christ, mais
le sens est différent du sens coranique.

Pour les théologiens chrétiens, le thème se base sur Satan qui a trompé Adam au Paradis ;
par une ruse, l'exclusion de ce dernier a été accomplie. Dieu a donc décidé de sauver Adam et ses
descendants. Mais Dieu est juste ('adl Allah) et ne veut pas utiliser des méthodes coercitives avec
Adam. Il se permet donc la même méthode que celle de Satan, à savoir la ruse (al-makr).378 Il a pris
une forme humaine, dans Jésus-Christ, pour tromper Satan (qui parfois perçut que Jésus n'était pas
seulement un humain), il a vaincu Satan avec sa propre tactique. Il a pris une forme humaine, celle
d'un esclave crucifié en Jésus-Christ, pour « tromper » Satan ; du fait de son orgueil, celui-ci ne
pouvait percevoir que Jésus n'était pas seulement humain. Dieu a vaincu Satan avec sa propre
tactique, mais la typologie de la ruse divine a un effet pervers dans la compréhension coranique.
L'emploi de « une apparence trompeuse », pour les juifs et même pour Satan, n'est pas non plus
heureux : c'est le terme problématique qui servira à nier la Crucifixion (šubbiha).

Cette « tromperie » à l'égard du Diable aboutit à une progressive négation de la Crucifixion


et donc de la Rédemption de la Chair. Cette typologie « Jésus est comme Adam » réunit, certes, le

ܵ
Jud, CPA, Syr, JBA, Man. P Lk17:24 : 8:ܵGܼܿF H4ܸ ‫ܸ;ܩ‬+ܿ 8Jܵ;+ܼܿ .
374. Le site Le Messie et son prophète. EM G traduit par « est vraiment un Serviteur parfait ». References to
Muḥammad in the Koran. Lost Years since 1949. p.17.
375. Ṯâghoûn, ṯoughyân, Q37/30, Q38/55, Q51/53, Q52/32, Q68/31, Q78/22, Q11/112, Q20/24, Q20/43,
Q20/45, Q20/81, Q79/17, Q79/37, Q89/11, Q96/6.
376. EVEQUE SAW1RUS IBN AL-MUQAFFA' (Xe siècle) est le premier théologien copte qui écrit en
arabe. Est-il en interaction avec les savants de l'Islam ? Les penseurs coptes de l'époque ont été
profondément influencés par le théologien ash‘arite Fakhr al-Dīn al-Rāzī (Mohammad Ali Amir-Moezzi et
Sabine Schmidtke, Rationalism and Theology in the Medieval Muslim World. 2009. Revue de l’histoire des Religions
[613-638]).
377. EPHREM, Hymnes sur Le paradis, traduction Frère CASSINGENA-TREVEDY. Cerf, 1976.
378. Voir aussi le conseil évangélique d'être rusé comme le serpent.
thème de l'incarnation à celui du Salut, mais elle est incomplète du fait du choix gnostique de la
négation de la Crucifixion. Ce choix s'explique aussi par le contexte où la crucifixion était encore
pratiquée. L'anti-calife Ibn Zubayr en a fait les frais. La doctrine islamique n'explore jamais les
conséquences de la nature non peccamineuse de Jésus sur cette identité Adam/Jésus, et préfère
gloser sur un terme douteux (šubbiha). Ce lien transparaît par la présence de termes araméens liés,
salut (furqan), rachat (štarā379), grâce inouïe (faḍli), pardon des péchés (yaḡfir), un verset à côté de celui de
makir d'Allah. « Les mécréants complotaient contre toi » (Q8/30), là encore le flou ne permet pas
de développer. Ces versets pourraient parfaitement décrire la persécution des premiers chrétiens
qui ont suivi le Messager Jésus, ils peuvent aussi avec des notes de bas de page, compléter la
biographie de Muḥammad.

Le texte coranique, vaste chantier d'écriture est si flou qu’il est ouvert à toutes les exégèses.
La destruction des bibliothèques, contemporaines à l’écriture du Coran, notamment l’incendie de
Ctésiphon qui contenait un vaste fond parthe et araméen, a ôté toute possibilité à une exégèse plus
proche du contexte. Par opposition, l’incarnation de Jésus inscrite dans une attente messianique et
immédiatement reçue par une communauté puis ancrée dans sa liturgie sont des clefs de lecture
des textes bibliques. Cette incarnation « parmi les hommes » et « dans l'Histoire », dans un
calendrier, dans une généalogie est une clef de lecture qui fait défaut pour l’analyse du Coran. Ainsi,
tous les événements de la vie en Jésus sont ordonnés à cette fin nuptiale : la rencontre personnelle
avec Dieu, incarné dans le Christ, « sous Ponce Pilate ». Tous les événements historiques sont
ordonnés au Christ. L'Incarnation permet un déploiement implicite des dogmes et prouve que Dieu
fait confiance aux hommes. Dieu a voulu la liberté de l'homme. Dieu a voulu un Verbe plénier, et
non figé dans un livre scellé, ordonnant sa captivité par des lettres. Dieu n'a pas besoin de recourir
à des faux-semblants (šubbiha, Q4/157). Dieu n'a pas à tromper les fidèles qui croient à la
Crucifixion, et durant six siècles, au prétexte qu'il fallait tromper Satan. Cette incarnation du texte
coranique dans une communauté historique et l’existence d’une tradition orale fait défaut en islam.

Il faut, de plus, signaler cette extraordinaire concomitance entre l'introduction du motif de la Crucifixion
dans la liturgie – suite au retour de la Croix à Jérusalem – et l'apparente négation du verset Q4/157. La
représentation de Jésus souffrant ne démarre qu'à l'aube du VIIe siècle et a ravivé des polémiques
sur la liaison entre nature du Fils souffrant réellement et capacité divine du Fils à souffrir. Ainsi, le
thème du Messie Jésus qui, selon Le Coran, n’aurait pas connu la mort, semble passionner les
mecquois incultes. Son Ascension est décrite en des termes énigmatiques (verset Q4/157),
l’allocutaire développe une thèse christologique complexe sur la nature incorruptible du Christ. Or,
dans le christianisme nestorien, le terme de « Christ » désigne la personne qui unit parfaitement la
nature humaine à la nature divine. Ces problématiques sont au cœur de la christologie coranique :
le Messie, fils de Marie possèderait ainsi une proximité divine et une impossibilité de souffrir ni de
mourir de par sa nature particulière. Le mot Messie, s’il englobe la nature divine de Jésus ne pouvait
pas en effet pas être crucifié et est don insaisissable à la mort. Pourquoi le messager engagerait-il
des nomades incultes et païens dans de tels dissertations sur la souffrance respective des natures
lors de la crucifixion distinguant ainsi deux hypostases unies dans le Christ ?
La thèse de la falsification des écritures montrera que ce qui est désigné par « Injil », sous la
plume des « auteurs », est très complexe. Cette thèse de falsification est d'ailleurs monnaie courante
dans l'Antiquité et Justin380 accuse les juifs d'omission au sujet des passages de l'Écriture où Jésus
est le Messie. On trouve cette thèse de déformation des écritures – nommée taḫrif – dans le

379 . Q9/111 : « Certes Allah a acheté des croyants leurs personnages en l'échangent du Paradis, ils
combattent dans le sentier d'Allah, ils tuent et se font tuer. »
380. Justin.Dialogue 73. JUSTIN, Dialogue de saint Justin avec le Juif Tryphon. (Τοῦ ἁγίου Ἰουστίνου πρὸς
Τρύφωνα Ἰουδαῖον Διάλογος) Traduction française : M. de Genoude. Royer Editeur. (Œuvre numérisée par
Marc Szwajcer.)
manichéisme. Il faut cesser d’identifier les lettres du mot « Coran », comme le Muṣhaf compilé par
Uthman, mais les lire comme le lectionnaire ou encore la production littéraire de communautés de
prédications syro-araméennes issues des courants gnostique ou nazaréen, développant leur histoire
du salut dans un environnement chargé de rivalité.381

o L A PAROLE QUI JUGERA ET VAINCRA L ' INIQUITÉ

Par comparaison, Jésus est le Juge des vivants et des morts, selon les Actes des Apôtres et
2 Timothée 4,1. Jésus justifie sa mère dans le Coran et lui seul peut combattre l'Antéchrist dans les
Hadiths.

D'après les Hadiths, Muḥammad annonçait la venue proche de Jésus sur terre. Le tafsīr
Muqātil, par exemple, explique le passage de la sourate 43 : « Avec la phrase "connaissance de
l'heure" le Coran signifie que l'imminente venue des temps de la fin sera connue par la descente de
Jésus depuis le ciel sur une colline à Jérusalem. »
Ce retour est aussi décrit dans le livre de l'Apocalypse, ce texte prophétique « révèle » à sept
églises d'Asie la Fin des Temps et enlève le sceau de l'Écriture. Jean y décrit d'extraordinaires visions
hermétiques où apparaissent tour à tour des figures monstrueuses telles un énorme dragon rouge
à sept têtes et dix cornes qui s'apprête à sauter sur un enfant qu'une femme est sur le point de
mettre au monde (Ap. 12), une « grande prostituée » du nom de Babylone (Ap. 17), un faux
prophète (Ap. 19). Tous s'engagent dans un combat qui oppose la « Bête » à Dieu. A l'issue de ce
combat, Jean voit un ange descendre du ciel et enchaîner Satan : le Christ revient alors régner sur
terre pour une période de mille ans, la terre et le ciel disparaissent tandis que descend la Jérusalem
céleste. Dans la Peshitta, Jésus annonce la venue de faux prophètes (dajjal).382

La Tradition islamique attend de pied ferme, pour un combat eschatologique, une entité
qu'elle a baptisé le dajjal. Zamakhsharī et Ibn Kathir signalent qu'à son retour Jésus détruira les
croix, les églises, tuera les porcs, les chrétiens. Ces thématiques du faux prophète sont reprises à
foison dans les deux traditions mais, à la base, ils proviennent de récits syriaques, les Tafsirs utilisent
la rhétorique d'Éphrem et du Pseudo-Méthode sur le dajjal mais dans un souci d’autonomisation la
retournent.

Autre détournement de figure, celle de pluie immaculée qui selon Lüling, est la périphrase
coranique qui désigne Jésus et c'est une référence incontestable de la Parole qui germe dans la terre.
Le mot sabil traduit par « chemin » est ainsi lié étymologiquement au joug et à l'irrigation. Donc,
dans une strate ancienne, cette expression signifiait qu'il fallait prendre le sabil Allah, s'attacher à
irriguer la terre d'Allah avec sa Parole, le Messie-Verbe. Le mot sharîa lui-même possède cette
connotation de l’accès à l'eau. Le mot djihad a pour racine selon Lüling, ghd, racine indo-européenne,
ghdh, signifiant « bien » 383 et il est très lié à ce cheminement dans la voie d’Allah. Ce mot aurait donné le
vocable good en anglais. Tous ces sens premiers liés à la conversion, au combat spirituel vont bien
sûr être réorientés. La sourate 3 est très éclairante sur ces liens nouveaux entre Messianisme arabe,
Écriture-Parole, et Rédemption-Sakina. Les Califes y veulent unifier, sous une parole commune et

ܳ ܶ
381LJܳ );Jܳ‫ ݁ܕ‬qālā dəqārē : « la voix qui crie » Marc 1, la racine « qrn » est un nom signifiant « lectionnaire »
ou « lecteur de la Bible » dans le Talmud babylonien BT Meg 28b(30). Il signifie aussi « déclamer »
Syr. Dan3:4 : ‫ְוָכרוָֹזא ָקֵרא ְבָח ִיל‬
382 . Syr, Man, LJLA. P Ex20:16 : ."$9‫ ܕ‬.‫ܕܘܬ‬/O P Prov6:17 : L9‫ ܕ‬86P-‫ܘ‬. BHMQ7 1.3.1 : 8:+‫ܢ‬ ̈
C̈‫ «ܕܓ‬faux prophète » et le mot est utilisé dans la Matt. 24/ Peshitta.
383. Dictionnaire étymologique des Anglicismes et des Américanismes, Volume 2.
à plus petit dénominateur commun, la Révélation ancienne et ses représentants les plus opposés,
« chicaniers », partisans du schisme. Cette velléité est rassembleuse et messianiste. 384 Le verset
Q9/32 s'en prend manifestement à cette occultation du Messie, lumière d'Allah, par les rabbins et
les moines. Le nouveau messianisme arabe – sans attente vraie du Messie – devient un
« mohamédisme » arabe et s’extrait progressivement de ces deux flancs concurrents. Cette
espérance eschatologique se vide progressivement du retour du Messie et se fixe sur le dîn.

o DIVINITÉ DE LA P AROLE

Le verset 49 de la sourate 3 utilise le terme ubri, qui signifie « créer »385 en araméen et aussi
en arabe (on le retrouve en Q2/54 : le « Créateur »), pour l'épisode des oiseaux : Jésus, ainsi, crée
des oiseaux qui renvoient à la typologie de l'Alliance (voir partie sur Abraham). Le verset 107 de la
sourate 5 disserte sur l'importance du témoignage : « En vérité notre témoignage est plus juste que
le témoignage de ces deux-là. » Ce fondamentalisme du témoignage est en écho avec l'Évangile.386
Ensuite, le verset Q4/166 : « Mais Allah témoigne de ce qu'il a fait descendre vers Toi en toute
connaissance » ; Isaïe 44 : « vous êtes mes témoins ». Ce terme est largement réinvesti pour le
« témoignage des Apôtres » (Q3/52).

Notre analyse et recherche des cotextes du mot Lumière nous a été d'un grand recours pour
montrer que ce terme est lié, soit à la Bible, soit à Jésus. Le terme yadayya (« dans la Main, avec la
Force ») apparaît trois fois, deux fois pour Jésus et une fois pour Dieu (Q3/49, Q61/8, Q38/75).
Jésus a vraiment la Torah dans ses mains. D'autres indices peuvent être glanés.

Ainsi, la sourate 43 évoque un miracle connu de Jésus : « Est-ce toi qui fait entendre les
sourds et guide les aveugles ? », mais elle ne spécifie pas l'auteur du miracle. La sourate 66 évoque
Marie suprême et unique confirmante de la Parole, puisque Matrice de toute Parole : « Elle avait déclaré
véridiques les paroles de son Seigneur et les Livres », le mot « prophéties » serait plus adapté et « elle
avait cru en Ses Paroles et ses Prophéties du Messie ». A ce propos, G. Dye387 soulève le problème de la
stratification du corpus avec un verset Q66/12, postérieur, pour lui, au verset quasi identique
présent au verset Q21/91. Pour cet auteur, les sourates sont retravaillées dans un contexte chrétien
en vue de s'autonomiser par rapport à lui. Il propose cette chronologie d'élaboration : Q19/2-
33<5/110-118<3/33-63<19/34-40. Cette chronologie peut seule expliquer cette christologie

384. 1-5 : « Allah le Vivant fait descendre le Livre confirmant Les Livres. Fit descendre Torah et Injil » ; 6
« Allah vous forme dans des Matrices » ; 7 « Lui fait descendre le Livre » ; 8-25 : les mécréants et leur sort ;
26-32 : Reprise d'exergues du Magnificat ; 33 : « Tu donnes autorité à qui Tu veux, Tu humilies qui Tu
veux… » : élection de la famille d'Abraham et de la famille d'Amran « descendants les uns des autres » ; 34-
58 : la femme d'Imran et son offrande à Allah du fruit de sa matrice, Marie ; 59 : « Pour Allah, Jésus est
comme Adam » ; 64 : « Venez ô gens du Livre à une parole commune entre vous et nous » ; 65-83 : « O
gens du Livre », les reproches, suppliques, menaces pleuvent…
385. ‘aluqu, verset 49, signifie non pas « je forme » mais « je décrète » ; ḥ l q s i g n i f i e « a s s i g n e r » , Jésus
est bien le Verbe de Dieu. Le verset 46, yukallimu, renforce cette identité « Jésus » et « Verbe créateur.» R- :
« rendre licite, purifier, couper en deux, rompre en vue de l'Alliance » ; nab : « prophétiser ».
AphDem10.201:8 : ‫ܢ‬ET$S! 84V̈ U# LW‫ܘܐ ̈ܪܕ‬. P Ex28:9 : .‫ܗ‬B ̈ F H'/:$Z ‫ܦ‬E$9. BHMQ 5.5.2 : 8\:J
]:$9‫ ܕ‬JBABowl 12.1:9 : ‫שם מפורש‬/ ‫בעיזקתה דציר וגליף עלה‬
386. « Si c'est moi qui rends témoignage de moi-même, mon témoignage n'est pas vrai. Il y en a un autre
qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu'il rend de moi est vrai. » Jean V-31 ou « J'enverrai
mes deux témoins prophétiser. [Contre la Bête] La Bête qui surgit de l'Abîme viendra guerroyer contre eux,
les vaincre et les tuer… Les habitants de la terre s'en réjouissent et s'en félicitent car ces deux prophètes
leur avaient causé bien des tourments… » (Apocalypse 11,3-10) « Moi, j'ai un témoignage plus grand que
celui de Jean car les œuvres que le Père m'a donné d'accomplir, ces œuvres mêmes que je fais, témoignent
de moi que c'est le Père qui m'a envoyé » (Jean 5,36).
387. DYE Guillaume, Mapping the sources of the Qur’anic Jésus. Draft. 8th Nangeroni Meeting. Florence, 2017.
exotique et incompréhensible. Il met ainsi entre parenthèse le paradigme hérisocologique. Le rasm
jīm yā hamza, « est venu » à vous (akum), est utilisé en Q3/50 pour Jésus et, aussi, en Q9/128, pour
« un Messager […] plein de sollicitude […] compatissant et miséricordieux » dont ils se détournent
(reproche à l'encontre des juifs, souvent pour Jésus) ; ces éléments réunis montrent la prégnance
primordiale de Jésus, minorée progressivement.
L'aphorisme « Croyez en Moi et en Mon messager (Jésus) », cité en Q5/111, recompose
sans doute les propos de l'Évangile : « Croyez en Dieu, et croyez en moi. » Son but est clair, il faut
s'allier les arabes chrétiens.388 Ces propos sont sans doute une transposition ou composition des
Évangiles, mis ici dans la bouche d'Allah et les destinataires sont les « Apôtres de Jésus » existant
dans l'auditoire. Ce stratagème de locution d'Allah aux Apôtres et non à Jésus directement ‒ « J'ai
révélé aux Apôtres » – est surprenant, mais il a pour but unique d'amoindrir la prérogative trop
élevée de Jésus – ce cas n'est pas unique dans le Coran. Dans ce type de paroles rapportées, on voit
en effet les Apôtres présentés comme des interlocuteurs et donc prophètes d'Allah. La même
imprécision concernant « le Messager » existe à la sourate 43, verset 29, qui évoque un énigmatique
personnage : « Jusqu'à ce que la Vérité et un Messager leur vint et quand la Vérité leur vint : "C'est
de la magie évidente". » N'est-ce pas Jésus qui est décrit ici ? L'analyse codicologique montre aussi
les modifications codicologiques récurrentes autour du rasm Jésus et des mots du cotexte
(Documents 14) et par ailleurs, le rasm Mim ra, traduit par « Marie ». Mim ra, en araméen, signifie
« seigneur ». Le Coran n'a de cesse de rappeler les récriminations injustes des juifs du Talmud à
l'encontre de Jésus (la magie) et de Marie (l'infâmie : Q4/156, « l'énorme calomnie »), non pour
élever Jésus, mais pour récupérer la typologie chrétienne de la persécution au compte du nouveau
Messager.389
Enfin, l'étrange berceau (l-mahdi) présent en Q3/46, Q19/29, Q5/110, a une signification
plus haute en en araméen, il désigne « le guide de lumière ». 390 Le mot qui suit, traduit par
« maturité », a des notes de « puissance »
Dans le christianisme nestorien, le terme de « Christ » désigne la personne qui unit
parfaitement la nature humaine à la nature divine. Cette tendance prône une christologie valorisant
l’habitation du Logos dans la nature humaine et elle interroge la souffrance respective des natures
lors de la crucifixion et aussi distingue deux hypostases unies dans le Christ. Ces problématiques
sont au cœur de la christologie coranique : le Messie, fils de Marie possèderait ainsi une proximité
divine et une impossibilité de souffrir ni de mourir de par sa nature particulière. Le mot Messie, si
il englobe la nature divine ne pourrait en effet pas être crucifié et serait insaisissable à la mort. Le
Messie coranique est en suspension et n’a aucunement connu la mort car sa nature n’est pas
corruptible.
En conclusion, nous pouvons dire que le Coran aboutit à une théologie totalement
inachevée, du fait de son refus absolu de l'Incarnation et de ses conséquences immédiates sur la
rédemption. Elle déplace le retour du Messie et de la Restauration à la Fin des Temps. Elle ne
conduit pas les prédicats, comme « Adam est sans péché », à leurs aboutissements. De cette
libération par rapport au péché et de cette illusion de Crucifixion à l'insu des Juifs, le Coran ne tire
aucune conséquence ; non plus que de l'allègement de la lettre de la Loi insinuée par la fonction
coranique de Jésus, Maître de la Torah, sauf que le chameau devient licite (Q5/33). Le verset
Q4/155 391 explique toutes les ruptures du Pacte sont le fait des juifs plus que d’Adam, le Sabbat, la

388. Sourate 43, verset 63 : « Craignez Allah et Obéissez-moi. » (Jésus)


389 . La racine rswl est voisine de la racine araméen signifiant envoyé, missionnaire, apôtre : ‫ְשִליָחא‬
39086'‫ܕ‬/4. « Celui qui guide » Syr. TDN.102:19 : )‫ܗܪ‬E!‫ܕ) ܕ‬E^Zܿ ‫ ̈_ܬܢ‬T!‫ ܕ‬86'‫ܕ‬/4 B$?-‫ ܕ‬./-‫ « ܐ‬guide
ܿ
des âmes » Kays 153:13 : )‫;ܪ‬F‫ ܕ‬."Z(' ‫ܬ‬E- 86'ܵ‫ܕ‬/4‫ ܘ‬86GܵU`ܼܿ4‫ ܘ‬86T$4ܼܿ‫ ܘ‬8!‫?(ܪ‬4ܼܿ H- .‫;) ܗܼܘ‬TO « pour nous
le livre qui fait passer de la connaissance de la vérité ».
391. « Nous les avons maudits à cause de leur rupture de l'engagement et leur meurtre injustifié des
prophètes. » (Q4/155) ; « mais ils ont ouvertement rompu leur pacte » (Q5/13) ; « Engagement des enfants
prosternation devant la Porte, le meurtre des prophètes, l'énorme calomnie de Marie, leur
prétention d'assassinat de Jésus ‒ alors que seul Allah possède cette capacité (Q4/157)392 ‒ et leur
rupture des Pactes (Q5/13) : « Et puis à cause de la violation de l'engagement nous les avons
maudits. » La rupture du pacte des naṣara est, elle, partielle et involontaire : « Mais ils ont oublié une
partie de ce qui a été rappelé. »

E- AMBIGUITES ET SIMULACRES

Dans l'Ancien Testament, l'Alliance est pleinement nuptiale. Dieu n'a « connu » qu'Israël
(Amos). « Je vous ai aimés, dit Yahweh. » (Malachie) Dieu est remué aux entrailles pour son peuple,
Il livre son Nom, « créé l'homme à son image » et engage un dialogue, non pas dans la Bible, mais
qui est la Bible. La Bible est le testament de ce dialogue d'amour entre l'Éternel et sa créature.
L'Alliance, c'est l'Institutionnalisation de l'Amour mais dans la liberté. Ces deux mots, liberté et Amour,
semblent évacués du Coran. Allah, lui, est inconnaissable et il aime rarement. Ses 99 noms –
présents dans Le Coran, de façon dispatchée – tranchent singulièrement avec l'unique nom de Dieu
dans saint Jean. A aucun moment Dieu n'est dit « Amour ». N'y a-t-il aucun reliquat de cette
Miséricorde dans le Coran ?

La Bible continue : « Juda épouse la fille d'un dieu étranger ». La Bible regorge de ces images
nuptiales – et d'infidélités – qui fondent et fécondent le droit et induisent une profusion de
développements. L'Éternel, sans cesse, appelle du fond de ses entrailles pour qu'Israël entre dans
sa Loi. De nombreuses promesses et infidélités émaillent ce dialogue d'amour.

Dans le Coran, si l'exode de Moïse est ressassé, à aucun moment le mot « libérer » n'est
associé à celui-ci. Par ailleurs, aucune théologie n'explicite la Loi qu'aurait pu trouver, au désert,
Agar. L'image folklorique ne soutient aucune théologie, elle reste une typologie anecdotique. Allah
est sans cesse rappelé être le « Miséricordieux », mais ce mot signifie « aimer la misère » et jamais
on ne développe les hauts faits de celle-ci. Dans la Bible, cet amour de Miséricorde conduit à une
rencontre au Temple (de la Shekineh à Siméon), à une Histoire commune, un envoi du Messie, une
Incarnation, un partage des misères et une rédemption par la figure du Serviteur souffrant. Cette
figure, quant à elle, n'existe absolument pas dans le Coran, et elle dérange tellement la conscience
musulmane qu'elle est complètement évacuée ; l'effacement du visage souffrant du Messie est clair,
et ce dernier s'élève gaiement aux Cieux, laissant son sosie au supplice.393

d'Israël de n'adorer qu'Allah, de faire le bien envers Père et mères, orphelins, nécessiteux, d'avoir de bonnes
paroles, d'accomplir la salat, vous manquiez à vos engagements. » (Q3/77)
392. La sourate retire aux juifs la prétention d'avoir tué Jésus. Confirmant les propos de Jésus : « Personne ne
me l'ôte, mais je la donne de moi-même ; j'ai le pouvoir de la donner, et j'ai le pouvoir de la reprendre : tel est
l'ordre que j'ai reçu de mon Père. » Ici, wa ma est traduit par une négation, or en syriaque wma signifie « ce
que ». Le vocable walaken vient du syriaque lakhen, féminin pluriel : « à ou pour vous ». On trouve ce mot dans
Matthieu araméen 27-55 et il concerne les femmes qui suivent Jésus. Le mot šubbiha, en arabe comme en
syriaque, signifie « béni » š b w ḥ (šibbūḥ), « loué ». G. Swama propose cette traduction : « et ils disent : nous
avons tué le Messie Jésus, fils de Marie ; ce qu'ils tuèrent et ce qu'ils ont crucifié est béni pour vous comme
pour elles (les femmes qui l'ont suivi). »
393. Quelques repères textuels :
« Mon épouse je la conduirai au désert, je parlerai à son cœur. » Parler pour inscrire en son cœur la Loi. Loi
et Nuptialité sont liées dans la Bible.
« Dites à la Fille de Sion, ton Roi vient à Toi, plein de douceur et monté sur un âne. » Dans le Cantique, la
Fiancée est un jardin clos et une source scellée avec des grenades. » Ces trois éléments composent l'Eden
Le but ultime de l'Éternel est bien de faire partager ses délices avec les fils de l'homme et
d'habiter parmi les hommes.394 Cette cohabitation humano-divine vivement rejetée a cependant un
reliquat d'existence en islam. Mais là encore, les pointillés sont de rigueur ; le site mecquois, de
référence Abrahamique, est un lieu sanctifié par la Ka’ba (« Maison de Dieu »). Elle porte encore le
nom bien étrange de Bayt Allāh, « Demeure de Dieu ».395 Le musulman lui-même semble étonné de
cette appellation lorsqu'on l'interroge. Si aucune présence de Dieu de type Shekineh n'est admise,
pourquoi se rassembler autour d'une Demeure de celui-ci ? Cette « Maison de Dieu » est bien un
emprunt judaïque et un reliquat inexplicable au prédicat islamique affirmant la présence absolument
transcendante de Dieu. Cependant, forts de notre suspicion d'une strate plus ancienne, nous
essaierons de démasquer tous ces indices de Miséricorde divine en souffrance dans le corpus, des
vestiges qui n'auraient pas été l'objet de réécritures de la part des équipes califales souhaitant se
démarquer absolument des Gens du Livre.

Nous étudierons le cadre général dans lequel veut s'inscrire le drame coranique : celui de
Ténèbres qui luttent contre la lumière et empêchent la descente de la divine Parole, associée à la
kalima. Quel rapport particulier le Messie entretient avec celle-ci puisque l'Annonciation à Marie
cumule les mots « bonne nouvelle », kalima et « Messie » ? Le Messie est identifié à la kalima. Quelles
sont les implications d'une telle assertion ?

Nous admirerons, repérerons et baliserons aussi tous les volets de cette Alliance biblique
dans ces développements et déploiements inhérents à la Miséricorde de Dieu, latents dans le
Coran.396 Dieu désire plus que tout toucher le cœur de l'homme et y inscrire une Loi Nouvelle,
même dans le rabbinisme (Jérémie 31), et ainsi partager son Festin avec ses élus.397 Le Festin
messianique semble présent essentiellement dans la sourate « Al-Maïda » qui semble être une molle
concession à un auditoire chrétien ; le veau d'Abraham et de Sarah, lui, n'est pas partagé par les
trois Messagers et n'est porteur ni de délices, ni de joie ; au contraire, il est plein de menaces et de
crainte (Q11/70 : « Malheur à moi » !)

Pour recueillir ces reliquats d'Alliance et ses effleurements en chair, il faudra aussi sûrement
rejoindre et se plonger dans le Paradis coranique qui, lui, semble déborder de plaisirs ; mais, là

coranique. La Sion eschatologique est une mère qui donne le jour à ses enfants : « … mais de Sion chacun lui
dit : "Mère" car en elle chacun est né. » (Psaume 87, version grecque.)
Ezéchiel 16, 7-18 : « Je t'ai fait croître comme l'herbe des champs ; tu as grandi et tu t'es développée, tu es
devenue très, très belle : ta poitrine s'est formée, tes poils ont poussé, mais tu étais toujours complètement
nue. Quand j'ai repassé près de toi et que je t'ai revue, je me suis aperçu que tu avais atteint l'âge de l'amour.
Alors j'ai étendu sur toi le pan de mon manteau et j'ai couvert ta nudité. Je t'ai prêté serment pour conclure
une alliance avec toi ; le Seigneur, l'Éternel, le déclare. C'est ainsi que tu es devenue mienne. Je t'ai lavée à
grande eau pour nettoyer le sang qui te couvrait, puis j'ai enduit ton corps d'huile parfumée. Tu es devenue
extrêmement belle et tu es parvenue à la dignité royale… Tu as pris tes magnifiques bijoux faits de mon or
et de mon argent que je t'avais donné, tu en as fait des statues d'hommes et tu t'es livrée avec elles à la
prostitution. Tu as pris tes vêtements brodés pour couvrir tes idoles, et tu leur as offert mon huile et mon
encens. »
394. La Sagesse trouve aussi ses délices parmi les fils de l'homme.
395. WENSINCK, A. J. JOMIER, J. « Kaʿba. » Encyclopédie de l'Islam. Brill Online, 2016.
396. Cette thématique existe dans le Coran (sourate 3) qui dit communiquer le récit de la Miséricorde.
397. « Parabole d'un roi qui invita ses serviteurs à un banquet mais sans leur en fixer le temps.
Ceux d'entre eux qui étaient avisés se parèrent et s'assirent à la porte de la maison du roi,
disant : Est-ce qu'il manque quelque chose dans la maison du roi ? – Ceux d'entre eux qui étaient
insensés s'en allèrent à leur travail en disant : Y a-t-il un banquet sans peine ? – Soudain, le roi
manda ses serviteurs. Les avisés se présentèrent devant lui, parés, comme ils étaient, et les
Insensés, tels qu'ils étaient, tout sales ! Le roi se réjouit à la vue des avisés, et il se mit en colère
en voyant les insensés, Il dit : Ceux qui se sont parés pour le banquet, qu'ils s'assoient, mangent
et boivent. Ceux qui ne se sont pas parés pour le banquet, qu'ils se tiennent debout et
regardent. » (Shabbat 153 a)
encore, on semble s'écarter notoirement de la nuptialité de la Bible. Selon Lüling, ce thème
paradisiaque recouvre avant tout celui de la fertilité païenne antique, présente dans la Bible et
chassée par les prophètes ; nous comparerons ses hypothèses au texte. Car, en démultipliant Ève
et l’accompagnant de huris, comment la création pourrait-elle aspirer à être régénérée ? Comment
cette réorientation doctrinale fausse-t-il la création d'Ève unique à partir d'Adam ; comment la
rédemption sera-t-elle encore possible ?

Enfin, tout au long de cette analyse, nous solliciterons la question du psalmiste : « Qu'est-
ce que l'homme pour que tu penses à Lui ? » afin d'étudier ses répercussions coraniques de la
tendresse d'Allah, si elle existe. Car le fondement de l'Alliance biblique puise sa racine dans cette
question fondamentale de l’intérêt de Dieu pour l’homme du Psaume 84. Cette question a-t-elle un
sens dans le Coran ? Allah aime-t-il sa créature ? L'unique occurrence à l'affection d'Allah – « le
Tout affectueux » (Q85/14) – efface-t-elle la dureté d'Allah ? Est-ce du fond de ses entrailles,
comme l'exprime la redondance de son nom, raḥma398, qu'Allah donne sa Loi et permet le pardon
des péchés ? Le refus, violent et polémique, de l'envoi du Fils de Dieu sur terre est tonitruant dans
le Coran. Cette négation de l'engendrement divin, devenue profession de foi, semble induire
visiblement un durcissement dans les relations du Créateur à ses créatures et transformer l'Alliance en
Pacte.399 La prosternation obligatoire des anges devant Adam400 pourrait-elle être le signe d'une
Alliance particulière en vue du Christ et obtenue par lui ? Mais là encore cette requête envers les
anges n'a pas la portée ni les développements attendus. Cette inclination pourrait tout au plus
renforcer l'identité entre Adam et le Christ, prônée par le Coran, comme dans l'œuvre de Jacques
de Sarugh401 et dans celle de La Caverne des Trésors. Cependant, la négation de l'assertion biblique de
la Création d'Adam « à l'image d'Allah » fait retomber les maigres développements nuptiaux. Adam
demeure un « calife » (« lieutenant ») du monde fait pour Dieu. 402

o ḤĀǦǦ ET DESERT
Le désert biblique est le lieu de la rencontre et de la nuptialité. Le désert mecquois est celui
où la répudiée exprime son désespoir. Finalement Agar trouve un puits de zamzam. Le puits
symbolise La Loi. Bible contient les murmures, les paroles et les promesses de Dieu à son élu dans
la Loi, son peuple Israël, et par extension son épouse, l'élue de son cœur.403 Israël est à la fois un
lieu géographique et le peuple de l'Alliance ; ce vocable désigne, par extension, toute âme ouverte
à cette proposition nuptiale de Dieu. Cette extension de sens est déjà contenue dans la proposition
nuptiale d'Osée. Le but de tous les épisodes du peuple au désert est la rencontre au Sinaï, l'Alliance
à sceller, la Loi à recevoir. Dieu éduque en vue d'aider l'homme à recevoir la Loi de façon charnelle,
mais dans la Liberté et par Amour. Cette notion d'éducation d'Allah est absente du Coran. Dieu
n'a pas la patience paternelle. Dieu n'éduque pas sauf par le biais des prophètes, il punit toujours
de la même façon l'humanité. Les chapitres bibliques où ces notions sont visibles sont les suivants :

398. Répété à chaque fois deux fois et signifie « entrailles ». Selon Nöldeke, c'est le vocable du Talmud pour
désigner Dieu.
399. L'expression « fils de Dieu », même si elle n'est qu'honorifique, existe dans le judaïsme. Lors du don
de la loi, le peuple était devenu fils du Très Haut : « Voici que j'envoie mon ange. Il est écrit : Vous êtes des
dieux et des fils du Très Haut. Quand Israël était au pied du Sinaï et reçut la loi, le Saint, béni soit-il, dit à
l'ange de la mort : Tu as pouvoir sur tous les païens, mais pas sur ce peuple, car ils sont ma part, et comme
je vis toujours, ils vivront toujours. » (Targum Ex R 32,7)
400. Cette demande existe dans La vie grecque d'Adam et Eve.
401 . JACQUES DE SARUGH, Homélies contre les Juifs. Patrologia Orientalis (PO 174, 38.1). Brepols
Publishers, 1976, p. 242.
402. La prosternation concerne les arbres, les astres.
403. Isaïe 62, 3-5 : « Tu seras une couronne éclatante dans la main de l'Éternel, Un turban royal dans la
main de ton Dieu. On ne te nommera plus délaissée, On ne nommera plus ta terre désolation ; Mais on
t'appellera mon plaisir en elle, Et l'on appellera ta terre épouse ; Car l'Éternel met son plaisir en toi, Et ta
terre aura un époux. Comme un jeune homme s'unit à une vierge, Ainsi tes fils s'uniront à toi. Et comme la
fiancée fait la joie de son fiancé, Ainsi tu feras la joie de ton Dieu. »
Exode 19-24, où est décrit cet exode pour recevoir la Loi. Yahweh a choisi d'aimer Israël dans sa
souveraine liberté d'aimer ; cette élection (Deut. 4,37, 7,6, 10,15, 14,2) et cette Alliance se
manifestent par le don de la terre. L'Exode est l'épisode qui déploie cette Alliance. Le Coran semble
focaliser, lui-aussi, sur cet Exode et ressasse sans cesse cet épisode mais sans la quête de liberté qui
la soutient. Il utilise cet épisode de l'aggada pour en faire un commandement implicite nouveau qui
a de profonds échos dans l'âme islamique : « faire la hijra ». Cette loi est implicite et est portée
uniquement par des images de Moïse et d'Abraham, mais ces allusions restent au niveau du folklore
et aucun développement théologique ne les soutient. Ces images sont réinvesties par les
prédicateurs islamiques qui les brandissent, tel un étendard, pour établir l'État de la sharîa. Il s'en
suit visiblement ainsi une confusion des registres juridiques et folkloriques dans l'âme islamique.

Au cœur de l'Alliance, il y a la Loi. Au cœur de la Loi, il y a le Décalogue. Ces piliers


encadrent et conduisent à la libération. Le Décalogue commence magnifiquement : « Je suis le
Seigneur ton Dieu, qui t'a fait sortir d'Égypte, de la terre de servitude. » Cette parole est celle où
Dieu se présente ‒ « Je suis le Seigneur ton Dieu… » ‒ et par laquelle il rappelle que son œuvre est
de libération : « … qui t'a fait sortir d'Égypte, de la terre de servitude ». La Loi est offerte pour une
libération essentiellement intérieure, l'ennemi est le mal jugulé par l'obéissance à la Loi dans l'amour
et au désert.

Les scribes coraniques se servent de l'allégorie Agar/Sarah de l'Alliance de saint Paul et la


retournent en faveur des tribus, et uniquement pour valoriser Ismaël sur Isaac. La généalogie est
manifestement inversée par les commentateurs, puisque les musulmans associent la plupart du
temps le geste d'Abraham au sacrifice d'Ismaël. Cependant, la typologie de la fuite au désert est
reprise sans le volet de libération et d'obéissance à Dieu. Agar refusa d'obéir à sa maîtresse et
s'enfuit au désert. Le Coran n'est pas explicite sur cette question embarrassante et choisit de ne pas
évoquer Agar. Toutes les références d'Ismaël, sauf une, sont détachées d'Abraham ; Ismaël est
toujours encerclé d'illustres inconnus, et on ne sait rien sur lui. Agar n'est jamais citée, mais sera
présente au cœur du rituel de La Mecque404, uniquement pour justifier ce lieu déconnecté de la
Bible. Le Coran évoque Sarah, épouse stérile d'Abraham, qui va rire à l'étrange annonce, mais il
n'évoque jamais la femme esclave, bien qu'il se réclame d'Ismaël. Manifestement, le statut d'Agar
n'est pas sans poser de sérieux problèmes internes à la logique du texte et au droit de l'héritage.
Visiblement, plusieurs strates d'exégèse s'interpellent. Au final, le rituel d'Agar convoque à un bien
autre type d'exode que celui du peuple juif, puisque c'est à la fois une fugue de désobéissance et
une expulsion maritale qu'il célèbre. Agar n'est pas présente, en tant que telle, dans le Coran, mais
elle devient omniprésente par son représentant, Muḥammad, qui instituera dans une hagiographie
plus tardive405 le nouveau calendrier, celui qui compte à partir de l'épisode au désert, se fondant sur
une relecture de type mosaïque mêlé d'Hagarisme.

La primauté de la racine hjr (« émigration ») se lit à l'aune de la séparation tendue entre la


croyance et la mécréance. Cette tension entre ces deux attitudes est orientée progressivement vers
le combat. L'Hégire est assurément le fait fondateur revendiqué par l'islam, mais il ne s'agira pas
tant de la fuite de Muḥammad que de la séparation d'avec des païens de La Mecque et des mécréants
trinitaires confondus. Muḥammad est le prototype, le beau modèle de cette séparation. Cet exil
(cette fuite) n'est pas choisi, il est subi dans la tradition islamique. Ce thème de l’exil est décliné de
façon variée puisque l'exode de Moïse est décidé par Dieu, celui d'Agar est une punition alors que
celui de Muḥammad correspond à une stratégie militaire et politique. L'ère des Arabes, que citent
tous les chronographes contemporains, débute en 622, date à laquelle Héraclius a repris en main la
région. La coïncidence est troublante.

404. Durant ce dernier, les pèlerins imitent l'errance d'Agar à la recherche d'eau pour son fils.
405. Le professeur Imbert met en évidence la référence utilisée par les arabes épigraphes, contemporains :
l'ère des Arabes ; il n'est pas question d'ère de l'hégire à l'aube de l'islam.
Marie, elle aussi, est contrainte à une retraite au désert pour se séparer de l'incrédulité des siens. Elle
subit passivement le « Décret ». Jésus n'a non plus aucun libre arbitre. Ce dernier mot de « Décret »
est très exalté dans les Écrits Esséniens de Qoumrân. L'absence de liberté dans le Coran, tant pour
le Décret concernant Marie que celui relatif à Zacharie, positionne des antitypes. L'épisode
folklorique du harcèlement du Messager par l'ange Gabriel – jusqu'à vouloir se projeter dans le
vide – est, lui, un antitype du fiat marial. La liberté du fiat de Marie et du fiat de Jésus à Gethsémani
suit la liberté de Pâques. En respectant notre liberté, le Fiancé céleste du Cantique des Cantiques
s'élance tel une biche et s'offre ; mais Il attend notre fiat, notre « oui » libre à son invitation. Le
Cantique nous suggère : « Avec les temps sacrés je chanterai le Décret, par l'offrande des Lèvres Je
le bénirai selon le Décret gravé à Jamais », « Tandis que s'accomplit le Décret ». Or le mot ḥaqq406,
très prisé dans le Coran, signifie bien « gravure » de la Loi.407 L'explication chrétienne qui valorise
le fiat est proche de la recherche rabbinique, dans un rapprochement que les Sages rabbiniques
établissent entre le principe de liberté ‒‘hérout, en hébreu – et celui de l'Écriture « gravée » – qui se
dit ‘harout –, à savoir celle des Tables de l'Alliance. En ce sens, ils interprètent le verset : « Des
caractères gravés [‘harout] sur les Tables » (Chémot 32, 16) de la façon suivante : « Ne lis pas ‘harout
mais ‘hérout [libre] », car n'est libre que celui qui s'adonne à la Torah (Chémot Rabba 41). Quel est
le lien entre ces deux thèmes ?

C'est que, précisément, après avoir acquis une liberté spirituelle, en se détachant des
abjections idolâtres et de tous les courants de pensées erronées, que l’on peut accéder à la liberté
des corps, de la « chair » au sens paulinien du terme.408 Car la liberté matérielle résulte uniquement
de la liberté de la pensée, quand elle se rattache à l'authentique Vérité (qui est forcément gravée
comme le furent les Tables de la Loi). Aussi, comme le verset l'annonce, le commandement est
aussi une promesse, la Torah garantit que c'est en nous libérant des entraves de l'esprit que l'on
accédera à la Rédemption célébrée à Pessa’h. Ce thème de la liberté n'est pas traité dans le Coran.
Le libertin est le refus d'Allah. Le désert biblique est une expérience de liberté. Le désert coranique,
une expérience d'exclusion, de caprice, de désobéissance, une expérience de répudiation et de
radicalisation. La Bible nous présente la liberté, non pas comme une fin en soi, mais comme la
condition pour une relation. Dieu donne, il attend qu'Israël donne en retour. Pour donner, il faut
posséder. La liberté est la manière de qualifier la possession de soi. Dieu se fait proche : il se lie à
Israël par une alliance, il lui donne sa loi. Dieu, dans le Coran, affirme être « plus proche que la
veine jugulaire » (Q50/16), mais aucun développement ne confirme cette assertion qui est sans
cesse contredite par l'affirmation du caractère inconnaissable d'Allah.

Le désert est le lieu choisi pour le prototype de la Loi coranique, mais c'est un prototype
dépourvu de libération. Le Midrash de la Loi s'exprime en Agar au désert. Cependant, ce n'est plus le
lieu du dialogue amoureux de Jérémie. Le désert islamique n'est plus celui de la rencontre, c'est celui de
l'abandon, du bannissement et de la volonté d'éviter la contamination du monde. Le désert permet aussi l'expérience
de la proximité de Dieu. A ce titre, l'enfantement coranique de Marie « vers l'Orient » est très chargé
de typologie messianique. La mère du Messie se retire vers l'Orient. Elle devient aussi, par
l'invocation « sœur d'Aaron », Temple d'Alliance au désert. Le récit originaire de l'islam se lit dans

406. Traduit par « vérité », 300 occurrences : ḥā qāf qāf .


407. ‫ ומתחקק על תרין לוחי קיימא‬graver les deux tables de la loi, décret de la Loi.
408. Paul appelle « chair » tout ce qui rapproche l'homme de l'objet de sa convoitise, l'attire avec la
séduisante promesse d'une vie en apparence plus pleine (Ga 5,13-6,10). La chair (sarx) « se réfère » donc
tout autant à la « Loi » qu'à son infraction, et dans l'un comme dans l'autre cas elle promet ce qu'elle ne
saurait tenir… et c'est pourquoi « la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute
injustice des hommes qui tiennent la vérité captive dans l'injustice » (Rm 1,18) C'est pourquoi « la création
en attente aspire à la révélation des fils de Dieu ».
le rituel du pèlerinage de l'islam. Ce qui est mis en exergue dans ce rituel, c'est le courage d'Agar,
qui est bien supérieur à celui des Juifs d'origine. Selon saint Paul, Agar est liée à l'Arabie et à
l'esclavage de la Loi. Le rituel évoqué en Q2/126 est suivi de la répudiation symbolique des juifs et
chrétiens, le verset Q2/136 amalgamant les deux groupes, « Soyez Juifs ou Chrétiens […] Dis :
"Non nous croyons en ce que nous avons fait descendre vers Abraham, Ismaël et Isaac." » Le rituel,
ici, a valeur de midrash ou de texte fondateur. Cette figure toute paulinienne d'Agar arabe, expulsée au
désert, trouvera une résonnance chez les Califes pour se séparer du judaïsme et du christianisme. Mais le rituel – et
son folklore – n'est absolument pas fondé sur un droit divin. Il ne s'inscrit pas non plus dans
l'histoire réelle. C'est un midrash qui s'efforce de donner une valeur morale à une nouvelle
communauté qui se retire de l'Empire byzantin et intègre des éléments pagano-arabes. Tout est
juxtaposé, le folklore n'est pas associé à la jurisprudence divine par des déductions logiques.

Les « auteurs » du Coran reprennent beaucoup de la Haggada judaïque et des fragments de


la Halakha, mais sans aucune d'herméneutique entre les deux. Le cycle d'aller-retour (sept fois)
entre Safa et Marwa pourrait signifier l'effort d'Agar pour trouver de l'eau (la Loi) en plein désert
(idolâtrie). Ces deux hauteurs connotent en effet l'idolâtrie. La recherche d'eau d'Agar signifierait
sa quête de la Loi. Déjà, dans la Bible, Agar finit par apercevoir un puits, qui symbolise la Loi. « Le
puits c'est la Loi », dit l'Écrit de Damas. Comme dans le Seder pascal juif, le Musulman rejoue dans son
pèlerinage la scène primitive des actes de l'islam : il doit montrer qu'il renonce à Satan (l'idolâtrie) en le
lapidant, faire preuve de ténacité comme Agar, et boire l'eau du puits de Zemzem qui symbolise la
Loi. Si Agar, malgré l'hostilité de sa maitresse, fait preuve d'une foi pure et exemplaire, c'est que les
nouveaux ummis peuvent maintenant entrer dans la nouvelle Alliance. Le Dr. Khalifa de l'Université
Al-Azhar déclare : « le Coran est le Dernier Testament de Dieu », et J. Chabbi considère le motif
de l'Alliance comme fondamental au projet du prédicateur. Les « ummis arabes » sont maintenant à
l'intérieur et les juifs à l'extérieur. Par ce rituel, les muḥāǧǧirun s'emparent ainsi du Pacte et, par cet exode,
ils deviennent les vrais héritiers de la promesse, rejouant l'épisode de la substitution de Jacob.

La racine ha jim ra (‫ )ه ج ر‬semble posséder des sens assez éloignés les uns des autres :
« émigrer, fuir », mais aussi « éviter, divaguer »… Cette racine n'est pas anodine, puisqu'elle est celle non
seulement de « l'Hégire », mais aussi du nom propre « Agar » (arabe : ḥāǧǧar). Ce terme hijra est
souvent rendu par « émigration ». Les muḥāǧǧirun seraient ceux qui ont « émigré » avec le Prophète. On
trouve par exemple, en Q9/20, ce verset où il est question de « ceux qui ont cru, qui ont émigré et
qui ont combattu sur le sentier d'Allah ». En Q16/41, il est encore question de ceux qui ont ḥāǧǧaru
(« émigré ») pour Allah, les convertis. Mais en certaines occurrences, le rendu par « émigration »
paraît quelque peu forcé. Ainsi en Genèse 29/26, où Lot dit ceci : « inni (me voici) muḥāǧǧirun vers
mon Seigneur ». La traduction donne : « j'émigre vers mon Seigneur ». La difficulté de traduction de
cette racine hjr vient de son origine hébraïco-araméenne (gr). Dans cette optique, il faudrait traduire
la phrase attribuée à Lot : « Je me convertis à mon Seigneur. » Les premiers conquérants arabes
étaient appelés, dès le début, les muḥāǧǧirun et l'Hégire, l'événement fondateur, a son étymologie
dans Ḥāǧǧar (« Agar »). D'ailleurs, tout le rituel du Ḥāǧǧ (« pèlerinage ») reproduit l'errance d'Agar pour
trouver l'eau de son fils. Quant à Abraham, il représente à la fois le premier émigrant (il a vraiment quitté son
pays) et le premier prosélyte. L'ultime quête divine d'Abraham aboutira à une Alliance nouvelle annoncée par
Jérémie. Ce sera une Loi de chair.409 Cependant, les stades de l'Alliance sont graduels. Le nom choisi
pour les proto-musulmans, pour se désigner, a recours à cette racine mais est-ce par référence à
Abraham qui se convertit, à Ḥāǧǧar qui est bannie ou au Prédicateur qui se retire de l'Empire
byzantin ?

409. « J'inscrirai ma Loi, dans leur cœur. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n'auront plus besoin
d'instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère… Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu'aux
plus grands... Je pardonnerai leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés. » (Jérémie 31, 34)
o COMBATS
De quelle nature est le combat coranique ?

Considérons ce verset : « C'est Lui (Allah d'après les tafsirs) qui prie sur vous, ses Anges
pour vous faire sortir des Ténèbres à la Lumière. » (Q33/43)
Le Prologue de Jean et Isaïe 40, 3 s'articulent sur plusieurs mots clefs : « lumière,
témoignage, croire, homme envoyé de Dieu, Ténèbres, envoi, venir, appel (qara), aplanir le chemin,
une route pour Notre Dieu. » Le Coran, du début à la fin de sa prédication, développe sans cesse
ce drame des Ténèbres contre la Lumière, de l'erreur contre la vérité. Le mot même de Coran,
l'Appel (qara, « appel »), traverse par de nombreuses occurrences la Peshitta. Le drame coranique
est construit tout entier sur ces mots de saint Jean et d'Isaïe : d'abord, statistiquement, ces mots
clefs (lumière (43 occurrences), ténèbres (315 occurrences), vérité (287 occurrences), chemin (45
occurrences), voie (176 occurrences) sont très employés ; ensuite, parce chaque sourate suit ce plan
et utilise manifestement toutes les racines araméennes pour confondre son auditoire sur cette lutte
nécessaire. La plupart des mots qui supportent ce parallélisme ont une translitération directe de
l'araméen. 410 Le chemin, « voie de la droite », est traduit de façon complexe : huda (hā dāl yā),
« guide » en araméen ; sabil (sīn bā lām), « le joug » en araméen ou « l'irrigation », donnant le sens
« arroser » pour Allah411 (185 occurrences) ; ṣirat (45 occurrences), ṣād rā ṭa, « la ligne, la marque »
en araméen, la voie étroite, priée dans la Fatiha. Il faut éviter plus que tout « la voie tortueuse des
égarés, des maudits » (« tortueux », ṣād dāl dāl – « entraves », en araméen), comme le répète la Fatiha.
Nous voyons que l'expression « prendre le chemin d'Allah, le sentier d'Allah » est, à l'origine, un
sens araméen : « porter le joug du Seigneur ».412

Les « rebelles » sont fustigés par un flot de termes négatifs : mušrik (168 occurrences), kāfr
(« égarés », 304 occurrences) ; ḍād lām lām (« égarés, répudiés, schismatiques » en araméen, 64
occurrences) ; ʿayn mīm yā (« aveugles, sourds, muets, bestiaux », 14 occurrences pour aveugle) ; fā sīn
qāf (« désobéissance », 24 occurrences – « hypocrite » en arabe et « prostituées » en araméen). « Les
faux » (bā ṭā lām – « les inutiles, les divorcés, les virés »), « les déviants » (ghayn wāw yā – 22
occurrences). Les promesses de rétributions (nūn qāf mīm), d'apaiser le cœur (168 occurrences), de
suivre (136 occurrences), de guider (184 occurrences) sont pléthoriques. Le discours coranique est
non seulement polémique mais aussi injonctif. Les Epîtres de saint Pierre qui fulminent « ceux qui
sont comme des bêtes » sont bien douces à côté. La typologie du « cou raide » est omniprésente
dans le Coran.413

410 . « Nour : lumière » (43 occurrences) « Aya : signes divins » (382 occurrences) signes calqués sur
révélations .‫ «ܐܬ‬venues : jīm yā hamza : 278 occurrences) de Dieu, « chahada » (témoignage, 23
occurrences) « amin : croire » (577 occurrences) « ‫ « » ﻟﺰن‬descente » (273 occurrences dont certaines
spécifiques à Jésus lors de la descente de la Maïda) ( jīm yā hamza : « est venu » : 278 occurrences)
411. Sabil : « joug, porter, endurer ». P Mt5:18 : 8<ܵ;Oܸ (ܼ#ܼܿ ‫ܐܘ‬ ܿ )(ܵ #. Qumran, JLAtg, Gal, PTA, CPA, Sam,
ܼ ܼ
Syr, LJLA. TgJ Is46:7 : ‫ָנְטִלין ֵליה ַﬠל ַכתֵפיהוֹן ָסְבִלין ֵליה וַֻמְחִתין ֵליה ְבַאתֵריה‬. SamTgJ Gen21:18 : ‫ קומי סבלי ית רביה‬P
1K(1)5:23 « porter le joug » .
412. Qara : le mot signifie « verset biblique » ou « lecture biblique » en araméen. Gal, BabMBK, JBA. BR
1139:1(1) : ‫תלתיהון אמרו תלתה קריין מדמכין‬. PTSot17.d:15[2] : ‫מה דאישתעי קרייא אישתעית מתניתא‬. BT San
105b(32) : ‫ הוה קא מצער ליה בקראיי‬Bible, écritures Gal, JBA. « versets » .
ṣirāṭa (« code, marque » en syriaque, « dessiner » Syr. IshPs 1(4) : E-‫ܨ‬a+E`+ ‫;ܛ‬Oܿ(-‫ )ܘ‬et saint Ephrem de
Syrie (p. 260, Hymnes sur la Nativité) évoque ce chemin obstrué. « Car il ne pouvait tolérer le Miséricordieux
de voir que l'on obstruait son chemin en descendant il a ouvert le chemin en sortant par la Naissance il l'a
frayé. Il a choisi les Prophètes : ils ont dégagé le chemin, il a envoyé les Apôtres : ils ont aplani le sentier
pour les Nations. Béni soit celui qui a rendu praticables nos sentiers. »
413. « Ces gens-là sont comme des bêtes privées de raison, engendrées par la nature pour être capturées et
détruites ; outrageant ce qu'ils ignorent, ils seront détruits comme ces bêtes seront détruites ; ils subiront
l'injustice comme salaire de leur injustice. Ils pensent trouver leur plaisir à vivre dans les délices en plein
jour, ils ne sont que taches et défauts, en se délectant de leurs tromperies quand ils font bombance avec
vous. Ils ont les yeux remplis du désir d'adultère et sont insatiables de péchés. Ils séduisent les âmes mal
Tous ces mots semblent puiser au drame du Prologue, aux sources syriaques ; par leur
emploi massif, tous ces mots précités construisent cette trame coranique : « les Ténèbres ont refusé
la Lumière » et il faut se lancer dans ce combat pour faire triompher la vérité Q8/8, Q10/82, Q47/7
et la lumière. Il est difficile alors de ne pas envisager le Coran originel – du moins les feuillets –
dans une perspective de Salut du monde. La trame fondamentale est celle d'un messianisme
exacerbé. Le verset Q2/17 ouvre ce drame coranique dans sa splendeur : « … qui a allumé un feu »,
en symétrie à « la lumière est venue… mais le monde ne l'a pas reconnu » (saint Jean).

Donc, que faire, puisque « les ténèbres ont refusé l'Illumination » (Q2/17 et Q33/43).414 Le
verset Q2/17 brode à la fois autour du logion de la lumière sous le boisseau et sur l'épisode de la
Transfiguration. « … puis quand on a allumé un feu », l'illumination (ḍād wāw hamza) ne dure qu'un
instant, la transfiguration cesse et l'égarement de l'humanité revient, car c'est « une lumière qu'ils se
sont donnée » (Q2/17). Le temps de la révélation, des descentes des ayat, des « appels » (qara, 68
occurrences) se fracasse sur le temps des « sourds, aveugles, muets » que la Parole – Jésus – a
pourtant sans cesse guéris. La « répulsion » (kārihūn en arabe, « malades » en araméen) est éprouvée
(Q8/5) par « une partie (farîqan) des croyants ». Les malades (kərīhe415) de Jésus, eux, languissaient
le furqan (« salut » en araméen). Mais tous ces mots sont dévoyés de leur sens ; le furqan syriaque
devient le « discernement » coranique, et la maladie des malades évangéliques se transmue en
kārihūn (« répulsion ») coranique (41 occurrences), le sabil (« joug »), racine ibl, devient « chemin ».
Pourtant, ce combat de la vérité, ḥā qāf qāf (242 occurrences, « ce qui est gravé » en araméen), cette
lutte effrénée contre l'obscurité se déploie dans chaque sourate et chaque verset. Les Ténèbres
(ẓulumātin)416 veulent faire triompher l'erreur, la perversion – comme le sens araméen le signifie.
Elles luttent contre la Vie (Q8/6 « comme si on les poussait vers la Mort »), rendent malades
(Q8/5).

C'est un combat à mort, donc, qu'il faut mener pour Allah et pour le secourir (200
occurrences). Allah, par sa Parole (kalima, parole accomplie de Dieu par Jésus – Q8/7) voulait faire
triompher la lumière « afin qu'il fît triompher la vérité et anéantir l'erreur » (yubtillal, « anéantir » en
araméen – Q8/8); « il fit descendre de l'eau sur vous afin de vous purifier et d'écarter la souillure »
(ra jim zay417, en araméen, « convoitise du Diable »). Est-ce une allusion au baptême chrétien ou
nazaréen, puis aux ablutions islamiques ?

On trouve aussi fréquemment les locutions : « La lumière est venue », « clairement


apparue » (Q8/6), « et pourtant ils discutent » (Q8/6), « une lampe éclairante annonçant la grâce418 »
(Q33/46) ; « C'est au nom de la vérité que le Seigneur t'a fait sortir de Ta demeure » (Q8/5 ‒ baytika,
« Demeure de Dieu »)419, « il est venu à vous : ǧā’akum» (23 occurrences coraniques). Saint Jean
était friand d'expressions de ce type : « Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à

affermies, ils ont le cœur exercé à la cupidité : ce sont des enfants de malédiction. Abandonnant le droit
chemin, ils se sont égarés en s'engageant sur le chemin de Balaam fils de Bosor ; celui-ci fut heureux de
recevoir un salaire d'injustice. » (Deuxième Epître de saint Pierre, chapitre 2, 12-14)
414. binūrihim, ẓulumātin, aḍāatṣummun, buk'mun, ʿum'yun.
415. kariê (syriaque) : « malade » Syr, LJLA. P Gn25:8 : ":4‫;ܼܗ ܘ‬W‫ܘܐܬ‬. P 1S30:13 : .‫;ܗܬ ܗ‬W‫ܕܐܬ‬
416. Le mot « pervers » a la même racine qu'images et statues aussi. L'absence précoce de figuration au
Dôme du Rocher et la destruction des icônes à la Ka’ba par Muḥammad sont significatives d'un aniconisme
lié à une purification.
417. Cette thématique est chère à saint EPHREM, Hymnes sur la Nativité I, p. 44, Frère CASSINGENA-
TREVEDY : « Pure fut la nuit où se manifesta le Pur qui vint nous purifier ! Que le sentier de l'oreille soit
purifié, la vision de l'œil épurée, la pensée du cœur sanctifiée ! » (šaphy, nkaph, ṣall, qadéš).
418‫ܢ‬ ܼ ‫ܘ‬/$ܼ?d récompense est la translittération de fḍl, le « ḍ » arabe correspond au « ain » araméen.
419. Ez 45. 15 pour faire le rite d'absolution [kȃfar 2] sur le peuple ; Ez 45. 17 le rite d'absolution [kȃfar 2 ] en
faveur de la maison d'Israël (Bayt), Ez 45. 20 : « Vous ferez le rite d'absolution [kȃfar 2] de la Maison. »
l'existence, mais le monde ne l'a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu. »
Ces fragments sont interprétés par la biographie de Muḥammad qui aurait fui les siens. N'est-ce
pas une ultime théâtralisation d'un drame plus universel ? Ce segment qui revient sans cesse : « est
venu parmi vous » présente une proximité avec « Tu le dis, je suis Roi. Je suis né et je suis venu
dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jean 18, 37).420 « La voie droite qui guide » est
uniquement rapportée à Jésus, hudan wa nūrun, « chemin lumineux » – ou « connaissance de
Lumière » en araméen –421 (Q5/46, Q61/8 et 9/32)
Étrangement, les témoins et participants actifs de ce combat sont les « incrédules » (kāfirīn)
et les « secoureurs » (nṣar ) ou « gardiens victorieux » que sont les « Apôtres de Jésus » – qui sont
baptisés, positivement pour l'occasion, « accomplisseurs » ou « musulmans ». D’autres traductions
se contenteront de la traduction de « soumis » (Q5/111). L'importance exorbitante de la typologie
du « chemin, sabil » (180 fois) et de « l'exil, ḥjr » alors que les sens araméens de ces mots qui sont
« joug » et (« se convertir, se tourner vers Dieu ») nous laissent supputer une mise en scène
théâtralisée de la Foi et une construction tardive de la figure des opposants. Cet argument se déduit
du changement de sens donné aux mots. En outre, l'absence de compléments circonstanciels et de
nom réel, l'absence des noms de ces « chemins » permet d'affirmer que ce « chemin d'Allah » initial
est bien compris par l’auditoire comme le joug d'Allah constitué par la Loi. Joug que seul,
Israël avait accepté de porter. C’est le chemin annoncé par Isaïe. Les cadres narratifs ultérieurs
seront calqués sur ces trames générales du combat contre les Ténèbres via la hijra. Aussi cette
référence à l'Hégire est purement typologique et théologique.

La sourate Le Rang (Q61) unit le combat de Moïse et celui de Jésus – contre ces Ténèbres –
pour susciter les Alliés-combattants d'Allah (aimés de lui) : les Apôtres (éclatants de Blancheur : ḥā
wāw rā) « crurent et Allah les aida pour le triomphe ». Cette alliance fictive et militaire prouve encore
le caractère fabriqué de ce cadre général et mystique. Le motif de cette guerre sainte est le non-
accomplissement des Écritures – de l'Alliance – et le refus de la lumière d'Allah qui est Jésus. Toute
la sourate 61 semble consacrée à cette guerre pour Jésus. Il faut signaler la coïncidence historique
autour de la date de 622, où Héraclius lance sa guerre sainte pour restaurer la Croix de Jérusalem
et où Muḥammad se lance dans le jihad à Médine. Comme le souligne Robinson422, « Violence,
croyance et politique étaient étroitement liées ». Le verset 102 de la sourate 4 regroupe à lui seul les
4 occurrences coraniques du mot « arme » (sīn lām ḥā). Le butin à conquérir est étrangement le
« pardon des péchés » et la pureté.423 Dans cette sourate, la proximité de cette promesse de pardon
et de Jésus rappelle la version synagogale d'Isaïe 53, dans laquelle le Serviteur souffrant obtient le
pardon des péchés du peuple par son obéissance absolue.424

De même, la sourate 48 se consacre à « cette victoire éclatante ». Le pardon des péchés,


l'accomplissement de son bienfait et la descente de la Sakīna et le retour au Jardin sont liés à cette
victoire, ils trahissent les mobiles des prédications syro-araméennes. C'est la rétribution à l'effort
exigé. Le pardon des péchés est un leitmotiv récurrent du corpus (250 fois la racine ġfir).425 La

420. Une forte concordance existe entre vérité et kalima et entre kalima et Seigneur. Le mot parole en
araméen signifie aussi vérité. Le mot est à 90% associée à Dieu, les autres connotations sont la vérité, la
sakīna, l’accomplissement, la bénédiction, le salut par opposition à la damnation par le feu. Le terme sabaqat
qui l’accompagne et qui est traduit par préalable signifie en araméen « libération ».
421. bi-‛īsā bni maryama muṣaddiqan li-mā bayna yadayhi mina t-tawrāti wa-’ātaynāhu l-’inǧīla fīhi hudan wa-nūrun wa-
muṣaddiqan li-mā bayna yadayhi mina t-tawrāti wa-hudan wa-maw‛iẓatan li-l-muttaqīna
422. Ibid. P. 61.
423. ẓāhirīna : Qumran, JBA. 4Q537.1:1 : ‫וטהירן ]ידיהון‬
424. Dans le Coran, la résolution du péché d'idolâtrie s'effectue par le sacrifice de la vache rousse, mais il
n'y a pas de cadre théologique, ni de solution proposée à la résolution du péché en islam ; le Croyant
demande pardon à Allah directement, mais aucune procédure n'est proposée, aucune garantie n'est assurée.
425. GFIR .
naissance de Jésus est soulignée par un hapax arabe d'origine araméenne, naḥat, qui signifie
« délivrer » ; ceci indique les origines syriaques de ce combat, avant tout eschatologique (un terme
araméen désigne Jésus en Q3/45 : wajihan – « sauveur » en araméen, d'après G. Swama, et « illustre »
en arabe426). Le terme de « descente pour délivrer », nahat, est fréquent dans la Peshitta et chez
Ephrem pour désigner Jésus qui descend de la Montagne. Il faut préciser que la naissance de Jésus
était signalée, par Gazali, ayant eu lieu la nuit (nuit où, selon lui, les démons furent aux abois et les
idoles détrônées), et par deux fois, dans le Coran, la descente céleste se produit la nuit, comme le
célèbre Noël (Q97 et Q44 décrivent « La Nuit Bénie »). Un autre verset évoque une nuit comme
une oraison en des termes d’apocalypses syriaques. Le terme spécifique à Jésus, rafa – rā fā ʿayn, en
arabe, est positif (« élevé ») et il désignerait l'exaltation de dernière minute de Jésus aux cieux, et le
passage via l'araméen propose : « Tu m'as Élevé vers toi. »427 Sawma428 conteste cette traduction et
selon lui, les premiers traducteurs proposaient : « Tu m'as ressuscité vers Toi. » Ainsi, Jésus
bénéficie de vocables et prérogatives extraordinaires : « Parole-Verbe », « Parole accomplie qui
nourrit » et « exaltation divine ».429

o MARTYRS
Par ailleurs, l'emploi de ce vocable « accomplisseurs », pour désigner les Apôtres, n'est pas
une conciliation œcuménique tardive, mais bien un sens primitif du mot. « Ceux qui confirment
(muṣaddiqan) et accomplissent (shalem) ». Le rasm du terme « Apôtres de Jésus » est éthiopien,
« Éclatants de blancheur » « modèles de conduite » ; ce mot ne laisse aucune possibilité de
réorientation sémantique aux exégètes. Les šahid signalés sont bien, dans le Coran comme dans la
Peshitta, les Apôtres de Jésus (Q5/113, Q3/53 : « nous sommes témoins)430. Au jugement, dans le
Coran, ces derniers (placés au-dessus des autres croyants) seront des « Alliés d'Allah », combattant
pour la victoire de Jésus (sourate 61). Étrangement encore, pour renforcer dans la Foi (Q16/102)
les Apôtres (ici désignés uniquement par « musulmans » – accomplisseurs, aides), l'Esprit Saint
vient avec la vérité (ḥaqq = « vérités gravées »), guider et « annoncer la bonne nouvelle » (bušara).431
Cette prise en main est conduite par le Saint-Esprit 432 était intervenu uniquement pour Jésus
(Q2/87). En outre, l'Esprit Saint est signalé dans le Coran uniquement près de Marie et de Jésus et
des Apôtres (devenus musulmans pour s'approprier la présence spirituelle à leurs côtés). Le
Machia’h d’Hachem selon le rabbinisme est aussi assimilé au souffle divin. « L’esprit de Dieu
planait : signifie que c’est l’esprit du Machia’h (qui planait) » nous dit le Midrash Rabbah.433 Sur lui
reposera l'esprit de Dieu : esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de
science et de crainte de Dieu.

426 . G SAWMA, The Qur’an Misinterpreted mistranslated and misread, 2006, p 206. « Salut » Syr
Syr. TDN.128:7 : .‫ܬ‬aG<‫ ܘ‬."P:ܼ+ 8#‫ ܪܼܘ‬%Wܿ H4ܼ‫ ܕ‬."'/ܿS- ‫܂‬.‫ܬ‬E6:4E4‫ ܕ‬8!‫ ܗ‬8`P4 8!‫ ܐ‬RP4ܿ
427. SAWMA, The Qur’an Misinterpreted mistranslated and misread, p. 211.
428. SAWMA, The Qur’an Misinterpreted mistranslated and misread, p. 224.
429. Anagramme de Melta kul, signifiant « Parole Entière ».
430. shīn hā dāl, : wa-’iḏ ’awḥaytu ’ilā l-ḥawāriyyīna ’an ’āminū bī wa-bi-rasūlī qālū ’āmannā wa-šhad bi-’annanā c'est la
même racine dans la Peshitta, Matt. 26 :59, 26 :60, Marc 14 :57 ‫&ܕ‬%Matt 26:60 - ‫ ܶܘܐ ݂ܬܘ‬E`Uܰ ݁ F‫ܐ‬
ܰ ܶ Cܳ‫ܘ‬
ܶ ݁ ܶ ܳ ܳ ܺ
ܰ ݁ .‫; ܳܗ‬4ܰ‫ܗܝ ܶܘܐ‬E!ܰa4ܳ ‫ ܰܨܪܝ‬8!ܶ/Wܳ ݁ ‫ ܰܪ݁ܒ‬H'(݁ܶ'‫ܳܗ‬
‫ ܀‬H'‫ ܬܪ‬E+݂;J H'‫;ܰ'݂" ܶ݁ܕ‬#‫;) ݈ܐ‬JEFܽ‫ܶ݁ܕ) ݁ܕ‬/Oܳ .a:ܶSܺ ݁ OܰMatt 26:65 - 86ܳ4ܳ ‫ܶ݁(݂ܦ‬9 ݈
ܶ
/d݂‫ܳ݁ܕ‬E9 ܽ ݁ ‫? ݁ ܽ"ܘܢ‬GܰF 8Fܳ‫ ܳܗ‬.‫ܶ݁ܕ) ܳܗ‬/Oܳ H-ܰ H:?ܶ+݁"݂4ܶ %:Uܺ ݁ 4ܶMarc14:57 - ‫;ܘ‬4ܰ‫ܳ;) ܶܘܐ‬JEFܽ‫ܶ݁ܕ) ݁ܕ‬/Oܳ ‫ܗܝ‬E$ܰZ EGJܳ H'‫ ܶ݁ܕ‬H:Pܺ!ܳ‫ܐ‬
݈ ݈
ܰ ܺ ܳ ܰ ܽ ܺ ܳ
‫܀‬Marc 14:63 - ‫ܶ݁ܕ) ܀‬/Oܳ H- H:?ܶ+݁"݂4ܶ %:Uܺ ݁ 4ܶ 86ܳ4ܳ ;4ܰ‫ ܶܘܐ‬/6ܶ'‫݁ܬ‬EWܽ ݁ )‫ ܨܪ‬H'‫ ܶ݁ܕ‬8!ܶ/Wܳ ݁ ‫ܪ݁ܒ‬Luc 22:71 - ‫ ݁ܬܘ݂ܒ‬86ܳ4ܳ H';4‫ܐ‬
ܽ
‫ ܀‬/4ܶEd݁ H4ܶ H?GܰF ;:9 ܶ ݁ H6ܰ# )‫ܶ݁ܕ‬/Oܳ H-ܰ H:?ܶ+݁"݂4ܶLuc 24:48 - ‫ ܀‬H:-ܶ‫ܶ݁ܕ) ݁ܕܳܗ‬/Oܳ ‫ܢ‬E!ܽ‫ܐ‬ ܶ ‫ܰܘܐ! ݁ ܽ"ܘܢ‬
݈
431. « Nous l'avons traduit dans ta langue afin que tu annonces La bonne nouvelle mais pas sans exhorter
les gens pieux. » (Q19/97) Cette traduction de Manfred KROPP insiste sur le mot « traduire », au lieu de
« rendre facile » dans la traduction classique. KROPP Manfred, Conférences Islam : tradition écrite versus
tradition orale - au Collège de France - 17 octobre 2005
432. wa-’ātaynā ‛īsā bna maryama l-bayyināti wa-’ayyadnāhu bi-rūḥi l-qudusi. Littéralement, « conduit par la Main
du Saint Esprit », rasm yad : « main ».
433 https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/800973/jewish/Machiah-dans-les-sources.htm.
Cette proximité de l'Esprit Saint sur le Messie-Jésus est conforme aux sous-textes bibliques.
Le Coran épouse dans une strate initiale doctrinale les conceptions judéo-chrétiennes. Le
tutoiement familier d'Allah à Jésus, fils de Marie, n'étonne personne, il est modulé dans la traduction
par un futur « dira » (Q5/110) sans doute interpolé. « Allah dit : "O Jésus, fils de Marie, rappelle-
toi…" » Quel est l’effet de cette interpolation : « Allah dira », sinon pour atténuer un sens premier
et pour camoufler le rapt d'hymnes syriaques ariennes d'amour entre Allah et Jésus ? Un cantique
araméen brodant sur le dialogue d'Allah avec Jésus, psalmodié en liturgie, repris ensuite par un
prédicateur qui s'approprie à son compte ce dialogue en le projetant sur le compte d'une prophétie,
d'une révélation, expliquerait cette transposition frauduleuse. Quel scribe a pu interpréter les volontés
futures d'Allah ? Quelles sont les intentions pour théâtraliser ainsi le drame du Prologue ? Le segment
Johannique : « Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reçu » est repris par plus de 278
occurrences coraniques : « est venu… », « un Messager… parmi vous » (Q49/7) ; « Un messager
vous apportait des vérités contraires à vos souhaits » (Q2/87434) ; « venu(s/es) » (Q2/101, Q2/145,
Q2/209, Q2/253 ; Q3/49, Q3/50, Q3/60 ; Q9/128 ; Q5/70, 5/84, 5/110 ; Q6/5, 6/25, 6/3,
6/34, 6/124, 6/157 ; Q7/64 [un homme issu de vous], Q7/69, Q7/70, Q7/73, etc.).

Dans le Coran, les liens avec la Peshitta sont innombrables et ils renforcent cette identité
des drames, les Ténèbres veulent vaincre la Lumière. L'ensemble de ces parallélismes montre un
réemploi massif de segments du Prologue de saint Jean, des périphrases de saint Ephrem pour
désigner Jésus : « celui qui parfait tout » (kul, en Q3/49) ; « le Grand, Elevé » (rafi’uka) ; « le
Miséricordieux » (récit de Miséricorde, Q19) ; « la sagesse de Dieu » (Q3/48).435 Finalement, nous
observons un réinvestissement de racines et de topoï pour l'investiture de ce nouveau Prédicateur,
qui prend vie par les commentaires de bas de page ultérieurs puisque de nombreuses éditions (celles
de Blachère comprise) cherchent à donner un cadre au discours. Le Prophète, qui fait des
destinataires du message des voyeurs écoutant en cachette les secrets d'un acte des paroles divines,
secrets qui auraient été destinés, du moins dans certaines de ses parties, à lui le medium seul. Ce
Prédicateur, pour faire passer son Message, s'identifie totalement à Jésus.

Dans la Peshitta, Jésus est celui qui « Il a le pouvoir sur toutes choses » (ḥaylā wəšūlṭānā ᶜal
kulhon). Or cette racine araméenne « ḥayla », est celle qui caractérise le mieux Jésus coranique, qui
donne tout pouvoir aux Apôtres. Ce verbe (rendre licite) est utilisé, dans le Coran, spécifiquement
pour Jésus (Q3/50, Q7/157 ḥā lām lām), de plus, dans ce même verset, Jésus est omniscient et
Créateur, la racine bā rā hamza est traduite par « soigne », elle a pour équivalent bêt, reš. A signaler
que dans le Coran, une sourate parle d'Allah meilleur créateur, ce qui laisse supposer que d'autres
sont créateurs…) Il possède aussi l'omniscience (Q3/50), nūn bā hamza (« informe », 46 occurrences
pour Allah dans les sourates). (Voir Tableau 4 )

Pourquoi Jésus a-t-il pouvoir sur le licite donc La Loi ? La seule réponse vient de sa qualité
première, il est le verbe accompli d'Allah, kalima, mot construit sur l'araméen : kul melta. Cette
périphrase et bien d'autres semblent conçues par saint Éphrem. Jésus y est désigné par kul,
signifiant « l'univers, l'entier », dans quarante périphrases des Hymnes d'Éphrem. Le Coran copie
ces sources syriaques et l’emploi de kul (« tout ») est commun en syriaque et ne l’est pas en arabe.
Les midrashs évoquent quatre clefs de Dieu. Celle de la Pluie, celle de la nourriture, celle des
Tombeaux et celle de la stérilité. Jésus est clairement le détenteur de deux d'entre elles, puisqu'il

434. En Q2/87 qui évoque l'Esprit Saint, renforçant Jésus « venu », le mot tahwā présent traduit par « désir »
mais cette racine renvoie à « l'Essence divine » BHMQ 5.1.2.1.3 : création Syr. BHBS.M Met
5.2.3 : _'‫(ܪ‬64‫ ܕ‬8'‫ ܘܗ̈ܘ‬8:̈!Ed (?$+ 8F̈‫ܬ ܐܕ‬E6GG9ܿ"4 .
435. Les hymnes de Saint Éphrem sur la Pâque, quarante périphrases commençant par « kul » : tout, celui
qui parfait tout, qui renouvelle tout, qui pacifie tout. Il y a 99 hymnes d'Ephrem sur la Nativité comme les
99 noms d'Allah.
fait descendre la nourriture et se lève du Tombeau (Q72/19), la racine (qaf, waw, mim) signifie « se
dresser des morts », mais elle est lue et traduite avec minoration dans le sens de « se dresser ».
Luxenberg436 dénonce la confusion de transcription d’un scribe entre ‘bda et lbda traduit le verset
ainsi : « Après le Serviteur de Dieu se releva des morts et ils l’adorèrent ».
Le mot tahwā (2/87, 5/70) est traduit par « désir » mais cette racine renvoie à « l'Essence divine » ;
une de ces occurrences est associée à Jésus qui suit Moïse. Le sacrifice de la vache permet de
redonner la vie. Le cotexte évoque la sur éminence de Jésus.

2/87 wa-la-qad ’ātaynā mūsā l-kitāba wa-qaffaynā min ba‛dihī bi-r-rusuli wa-’ātaynā ‛īsā bna maryama l-bayyināti wa-
’ayyadnāhu bi-rūḥi l-qudusi ’a-fa-kullamā ǧā’akum rasūlun bi-mā lā tahwā ’anfusukumu
5/70 la-qad ’aḫaḏnā mīṯāqa banī ’isrā’īla wa-’arsalnā ’ilayhim rusulan kullamā ǧā’ahum rasūlun bi-mā lā tahwā
’anfusuhum farīqan kaḏḏabū wa-farīqan yaqtulūna
23 ’in hiya ’illā ’asmā’un sammaytumūhā ’antum wa-’ābā’ukum mā ’anzala Llāhu bihā min sulṭānin ’in yattabi‛ūna ’illā
ẓ-ẓanna wa-mā tahwā l-’anfusu wa-la-qad ǧā’ahum min rabbihimu l-hudā

Dieu a envoyé sa Révélation, sa lumière, il a fait descendre ses signes et les hommes l'ont
rejeté, nous clament saint Jean et le Coran. Ce drame fondamental est essentiel au Coran. Le
« butin » (nafal) signifie la prosternation devant Dieu, en araméen et dans Daniel ; ce mot est associé
au champ lexical du Pardon, de la chute, ce n'est que dans une lecture postérieure que le « butin »
deviendra matériel. Dans ces versets contenant nafal c'est le pardon tant désiré par le cœur de
l'homme cherchant sa tranquillité, qui est décrit. Nous pouvons en conclure que le Coran, dans
une strate primitive, a cherché simplement à redéfinir et reformuler le cadre du Pacte biblique ?
l’argumentation coranique est construite sur une charte divine basé sur des commandements et la
reconnaissance des signes. Et si le mot « Livre » sans cesse déclamé par le Coran désignait cette
charte ? Ainsi, le Coran nie-t-il l'Alliance de l'humanité avec la divinité, ou accuse-t-il une attitude
orgueilleuse de l'homme qui croit pouvoir obliger Dieu et ne s'abandonne pas à Sa Volonté mais
s'accroche à ses petites idoles ? Le fond de la polémique n'est-il pas contre ceux qui, au mépris de
ce Pacte, « échangent la vie présente contre la vie future » (Q2/86, Q2/17, Q2/175, Q3/177
– štarawu), « vendent le livre à vil prix », refusent l'échange proposé par Dieu (Q9/111) ? Les versets
37 à 60 de la sourate 18 expliquent le vrai associationisme : c'est l'homme qui oublie l'heure et
s'attribue une puissance à laquelle il s'associe. Peu de serviteurs d'Allah sont dans la gratitude, et
leur attitude priante dans l'angoisse, suivie généralement de l'ingratitude la plus totale, est fortement
décriée. L'ingratitude envers les prophètes qui viennent en Son nom complète le tableau de ces
ingrats.
Comment interpréter l’expression, « Allah prie sur vous et ses Anges pour vous faire sortir
des Ténèbres à la lumière » qui est présente aux versets (Q33/56 et Q33/43) ? Comment Allah
peut-il prier s'il est unitaire ? Le pluriel de Llāhumma est un indice, surtout lorsqu’il est placé en
cotexte avec Jésus. Cet indice s’explique par l’existence d’une strate doctrinale non unitaire. Par
ailleurs, comment à la vue de la stricte l'humanité, sans cesse revendiquée du Messager, expliquer « le
pardon d'une partie de vos péchés » qui serait assurée par le prédicateur (Q48/2) ? Là encore c’est le
fruit d’une évolution doctrinale où la Sakīna ("présence de Dieu") et le pardon divin ont eu une
habitation terrestre via un Messager quasi divin. Le verset 64 de la sourate 19 est le plus parlant de
cette trinité mouvante et effacée ; le verset 50 de la sourate 19 a pour sujet Allah – faisant fleurir 437

436 . LUXENBERG C. The Early History of Islam. A New Interpretation of the arabic Inscription. p.135.
437. wāw hā bā a pour équivalent H:^+/4 fleurir
sa Miséricorde (attribut) – et le verset 64 dit : « Nous ne descendons que sur ordre de ton
Seigneur. »438 Qui désigne ce locuteur angélique ?
Le mot ṣamad, si hermétique, désigne explicitement la Trinité puisqu’il signifie « insécable »
en araméen. Jésus, le Roi des rois, dont le Père aurait envoyé, s'il le lui avait demandé, « plus de
douze légions d'anges » (Matthieu 26,53), est copié fidèlement et devient : « Pourquoi ne nous es-
tu pas venu avec des Anges […] ? » (Q15/7). La Gloire et la majesté transcendante de Jésus, non
reconnues par les juifs, positionnent celles du nouveau Prédicateur ou sont un reliquat de segment
concernant Jésus, « même si ses Anges avaient déferlé, et que l'incroyance était restée totale ». « Je
vais vous aider d'un millier d'Anges déferlant » (Q8/9), « A Allah appartient la Royauté des Cieux »
(du verset Q48/14) ; le refrain de cette « Victoire Éclatante » n'est pas sans rappeler un thème
initialement afférent de Jésus, réaffecté postérieurement au nouveau Prédicateur. Le Credo
d'Aphraate comprend une profession de foi judéo-chrétienne primitive qui parle de l’envoi du
verbe dans le monde.439 Ainsi, l'envoi du Verbe de Dieu (kalima)440 sur les Prophètes se retrouve
dans un certain nombre de sourates (Q21/129, Q40/6, Q41/45, Q42/14, Q43/28, Q48/26,
Q39/19, Q37/171, Q23/100, Q3/39, Q3/45, Q14/26, Q11/119), et l'envoi et l’élection du Christ
dans le monde sont affirmés dans le Coran : Al Saddi441 commente : « Alors, la sœur de Marie – la
femme de Zacharie – vint la visiter et l'assister, et pendant son entraide elle sut que Marie était
enceinte et Marie lui parla de son état. La femme de Zacharie dit : "Je constate que l'enfant en mon
sein adore celui qui est en ton sein." »

o INCARNATION OU CHUTES ?

La racine arabe signifiant « bonne nouvelle » est très présente dans le Coran (bā shīn rā).
Cependant, son sens est totalement réorienté dans un sens purement islamique. Nous reviendrons
sur ces réorientations sémantiques fréquentes. Une Bonne Nouvelle judéo-chrétienne signifie que
Dieu ne vient pas pour condamner les hommes, mais vient pour les sauver. Le mot Évangile, qui
signifie « Bonne Nouvelle », affirme ainsi que c'est effectivement Dieu qui, après avoir envoyé des
messagers, est venu lui-même habiter parmi les hommes. On comprend les occultations nécessaires
des sens de ce mot.
Réinvestissons le schéma biblique dans lequel s'inscrit cette réorientation de la Bonne Nouvelle.
Le peuple de la Torah est l'épouse d'Israël (dans le rabbinisme, on trouve que la Torah elle-
même peut être qualifiée ainsi). Cette Alliance se scelle ainsi dans le don de la Torah, dans celui de
la Shekineh et celui du don de la terre : « J'ai levé ma main pour les faire passer du pays d'Égypte
dans un pays que j'avais cherché pour eux » (Ez 20, 6) – nous avons déjà évoqué ces motifs
coraniques. Nous y reviendrons à propos d'Abraham. L'Alliance et la Loi sont une première étape.
L'envoi de Messagers et du Messie est la suite de ce projet de Salut voulu par l'Éternel. A partir
d'Exode 25, Dieu exprime son projet : « Je veux demeurer au milieu de toi et tu vas me faire une

438. Blachère signale la variante « il ne descend ».


439. « Il faut croire en Dieu le Seigneur de toutes choses, qui a créé le ciel et la terre et les mers et tout ce
qu'ils contiennent. Il a fait Adam à son image ; il a donné la Loi à Moïse ; il a envoyé son Esprit sur les
prophètes ; ensuite il a envoyé son Christ dans le monde. Il faut croire en la résurrection des morts. Il faut
croire dans le sacrement du baptême. »
440. Ce terme serait connu des milieux ébionites selon P. RONCAGLIA, Ebionite and Elkesaite Elements in
the Koran. Koranic Allusions, The Biblical, Qumranian and pre-islamic background, 1971, p. 303.
441 . Exégèse du Cheikh 'Abd ar-Rahman As-Sa'dî. La personne du Christ dans l'Évangile et le Coran. Abd al-
Fadi.
demeure dans laquelle je vais habiter ». Moïse construira la demeure, une tente en réalité, la tente
du rendez-vous car c'est là que Dieu se laissera rencontrer.

Dans le Moyen-Orient antique, quand on imaginait une demeure pour Dieu, on construisait
un temple. La présence de Dieu sur terre est présente par la Sakīna dans le Coran, qui suit les traces
de la Shekineh, présence divine mais elle est traduite, de façon minorant, par « paix, sérénité ». On a
ici un exemple de réorientation sémantique de textes de doctrine biblique. La complète obéissance
d'Israël conduisait à la bénédiction et à la présence de Dieu dans la Demeure. Le Coran garde cet
aspect de la bayt Al ḥaram, d'un lieu unique où Dieu est présent au sein de la Ka’ba, modélisant par
sa forme le Saint des Saints. Ainsi, les figures coraniques du Tabernacle sont multiples mais
occultées. L'Appel biblique déchirant du Seigneur transparaît du verset 5 au verset 11 de la sourate
71.442 Le ḥiǧāban (Q19/17) de Marie et du temple (Q17/45) et le ḫiyāmi (« toile du tabernacle » –
Q55/72) du « cloître des pures (ḥūrin) » se répondent ; ainsi, les multiples allusions au Temple et à
la Sakīna trahissent cette habitation de Dieu avec les hommes. Marie, le prototype de la femme
pure qui garde sa virginité inviolée (tel un ḥaram 443 – Q66/12), doit demeurer dans la vision
coranique au Temple, bayt Al ḥaram car elle est elle-même un Temple. Le verset 64 de la sourate 19 est
très parlant : « nous ne descendons que sur ordre de Ton Seigneur », et il illustre ce rôle particulier
de l’habitation divine. Les musulmans se rendant à La Mecque recherchent cette présence d'Allah
particulière. Marie coranique tisse le voile (du Temple) et l'Esprit vient en elle (rûḥanâ) ; le rasm
bašra, qui est présent dans la sourate 19, peut être lu « homme » ou « bonne nouvelle ».444 Chez saint
Éphrem, on trouve déjà cette racine (šra) dans le sens « habitation de la Shekineh dans le Temple et
le sein de Marie ». Saint Éphrem mêle ces sens car, pour lui, les lignes écrites sont le lieu de la
manifestation divine. Cette racine se retrouve dans le mot « sourate » et dans les annonces des
naissances à Abraham et à Marie.

Un autre mot, wa-biya‛, manifeste explicitement ce lieu, cette demeure de l'Alliance ; c'est
un hapax, présent en Q22/40, qui signifie « allégresse » en araméen, il est traduit par « ermitages »
en arabe (avec une note de commerce, de contrat). Bibliquement, la promesse avait été scellée par
une alliance dans une autre scène nocturne, celle où Dieu apparut à Abraham dans une torche de
feu (Gn 15). Le lien entre Israël et la terre sera scellé par des liens de terre et de mariage.445 La
notion de fidélité est rappelée au verset 32 de la sourate 70 par l'expression‘wa-‛ahdihim rā‛ūna,
« garder l'engagement (le testament) avec fidélité », le mot qā’imūn est traduit par « vérité », alors
qu'il renvoie à l'Alliance ; ce renvoi est renforcé par le champ lexical de la transgression du
cotexte,‘‛ādūn (v. 31).446

Ces détournements sémantiques, qui vont de l'affectif vers la puissance, se constatent aussi
dans l'appellation d'Allah : 38 fois il est nommé l'azizu, « le chéri », mais les traducteurs s'orientent

442. « Seigneur ! J'ai prêché mon peuple nuit et jour. Ma prédication n'a fait qu'accroître leur aversion.
Chaque fois que je les ai prêchés afin que Tu leur pardonnes… En vérité, je les ai prêchés ouvertement puis
je leur ai donné avis et je leur ai parlé en grand secret. Implorez le pardon de votre Seigneur. » (Q71/20)
443 ‫ ִחצַנָיא‬fortifier (Q66/12)sa splendeur‫;ܓ‬d‫ܐ‬
En lien avec « la Fille de Sion » qui danse et se réjouit de porter le Roi d'Israël « en son sein (littéralement :
en ses entrailles de mère) » (Za 2,14-15), qui accouchera miraculeusement (Is 66,6-8), qui restera
éternellement « une fontaine scellée » (Ct 4,12) et « une porte fermée » (Ez 44,1-2).
444. « Bonne nouvelle joyeuse », sourate aurait cette origine. La Peshitta donne aussi le rasm sbr pour
« Évangile » donc « sr » « bsr » et « sbr » sont synonymes.
n+‫ « ܕ‬Bonne Nouvelle, Évangile ». Perrier signale que « sourate » vient de souartha, syriaque de « Bonne
Nouvelle » ; L'Évangile de la miséricorde, p. 450, Bušâra, en araméen, c'est la Bonne Nouvelle, mais également
l'Annonciation ou l'Évangile, bašîret, mubašîr signifie « le héraut, le messager, l'évangéliste, le missionnaire ».
445. Ces liens sont trahis par l'expression de Terre d'Islam.
446‘ahd :« mémoire, pacte » Syr. JoshStyl 44.15 : ‫ܕܘ‬/Zܼ‫;ܢ ܐܬ‬4‫ܘܗܝ ܕ‬% ̈ G-‫ ܕ‬84(Z
Syr. LSt.84:13 :‫ܘܢ‬/64 o+‫ܕ ܘܬܬ‬/Z‫ ܬܬ‬C‫ܕ‬
vers « la toute-puissance d'Allah ». « Allah infiniment Doux » apparaît à la sourate 31 ; « Je
n'opprime nullement mon serviteur » (Q50/29). La proximité charnelle de Dieu est aussi rappelée
par des expressions anatomiques : « plus proche que la veine jugulaire. » 447 Dieu accorde son
amour : lahumu r-raḥmānu wuddan (Q19/96).

o L'HEURE DES « DESCENTES » DU VERBE

Le Maître des Siècles (al-‛ālamīn) va plonger et chuter dans le temps pour vaincre le Monde et
le convaincre de péché. Le Coran, de par ses 185 occurrences de « descente », ne dit pas autre
chose, il limite seulement et très sérieusement « l'envoi ». Saint Éphrem évoque sans cesse la
descente (tanzil) de la Lumière. Dieu n'envoie, dans le Coran, que sa Parole. 448 Mais c'est une
incarnation limitée et incomplète. Le Coran n'explique pas comment s'effectue cette limite, ni
comment une partie s'extrait du tout, Lui, qui est insécable (Samad). Si Allah est insécable, lorsque
son Esprit et Sa Parole descendent, c'est donc une partie du tout qui vient. D'ailleurs, les relations
entre ciel et terre s'expriment dans un seul sens, mais les « descentes » sont nombreuses et plurielles.

Le Ciel, selon le Coran, envoie, lui : un Livre pour juger (Q4/105) ; la Sagesse et la grâce
(Q4/113) ; la lumière (Q4/174 – cotexte Jésus, Q7/157), la Table (Jésus, Q5/114, Q10/59), le
salut (Q8/41) ; la Sakina (Q9/26), le miracle, la balance, le trésor, le pouvoir (Q30/35), la science,
l'eau (Q25/48 ‒ lue par Lüling comme descente de Jésus) ; le châtiment, le Livre qui guide et qui
fait miséricorde (Q16/64), le rappel, la sourate (Q24/1 ‒ ou la bonne nouvelle), le fer, l'Esprit (avec
l'eau pure, Jésus et la miséricorde).449
Ces descentes et envois sont le seul fait de Dieu. Le Verbe de Dieu (kalima pour le Coran)
est « descendu » comme un souffle ayant effectivement pris chair par la Vierge Marie450, mais sans
son Fiat. C'est un décret qui n'a pas les fonctions évangéliques. Dans le christianisme, l'Alliance de
l'âme humaine à la volonté de Dieu sera scellée dans le Fiat de Marie451 et dans le Sang de l'Agneau
immolé ; prêtre et holocauste, le Verbe rouvre les portes du Paradis par son acte d'obéissance
absolu dans la chair. Les portes avaient été fermées par la désobéissance d'Adam dans la chair.
Selon le Coran et la Bible, l'Homme est chassé du Paradis, mais s'il y retourne, ce n'est qu'après sa
mort. Il n'y a pas de restauration globale de la chair sur cette terre. Jésus est bien « comme Adam »
dans la parénèse coranique, mais l'incarnation y est limitée et incomplète. L'obéissance a perdu sa
valence de miséricorde.
Le mot kalima n'aurait-il été utilisé dans une strate primitive rien que pour Jésus coranique ?
Nous le pensons du fait de l’association spécifique du personnage du Christ à l’acte de la Parole
(Q3/46). Quand Dieu Parle il créé, le Monde est contenu dans Sa Parole. Le Diatessaron arabe utilise
cette racine uniquement pour Jésus et pour Dieu. La Peshitta datant des premiers siècles est plus
sobre que le Diatessaron puisqu’elle utilise simplement l'expression commune « une parole » lors du

447. Veine qui est tranchée pour la viande kacher. Cette image illustre le thème de la présence de Dieu.
448. Le même rasm arabe est traduit par « une parole » dans le Coran et « Le Verbe de Dieu » dans la Bible
arabe.
449. Nous pensons avec Lüling que cette descente d'eau pure est celle de Jésus, du fait de la présence, dans
le cotexte, de Ruḥ et « Miséricorde ». Notons le lien implicite entre l'eau, au verset Q18/45, et l'avertissement
–voire l'immolation – du verset Q25/51 et la création en Q25/54. Et c'est Lui qui, de l'eau, a créé une
espèce humaine qu'Il unit par les liens de la parenté et de l'alliance.
450. l-masīḥu ‛īsā bnu maryama rasūlu Llāhi wa-kalimauhū ’alqāhā ’ilā maryama wa-rūḥun minhu. Le Messie Jésus,
fils de Marie, est inna-mâ (= « assurément » et non pas « seulement », araméen en-mâ), Messager de Dieu, Sa
parole qu'Il envoya à Marie, et un souffle (de vie) venant de Lui.
451. L'Incarnation et la Bonne Nouvelle qui s'annoncent se lit grâce au mot yubaširuki dont les deux racines
sémitiques lient la chair et la Bonne Nouvelle de l'Evangile. Mais Marie coranique n'a pas de Fiat à donner,
c'est un décret : ‘amran.
récit de l'Annonciation. La racine ‘mt ‫ אמת‬signifie Vérité (voir Annexe 9B). Ainsi le mot arabe pour
désigner le Christ est construit à partir de deux mots araméens (littéralement, cela signifie : toute la
Parole qui fait advenir l'accomplissement, la création) ; ainsi ce mot est l’équivalent parfait du
« Logos » de saint Jean, mais c'est un équivalent compris dans la conception islamique de façon
minorée. Si le Coran utilise volontiers ce vocable particulier pour désigner la parole divine
différente de la parole humaine et il impose ainsi la division de la Parole en deux, l'une créée, l'autre
incréée. Mais pourquoi, alors, le Coran utilise-t-il un mot emphatique constitué avec le suffixe
signifiant entier et un mot réservé à Allah pour désigner Jésus – mot signifiant « Verbe » dans le
Diatessaron ? Cette concordance entre le Diatessaron et le Coran, pour la définition de la fonction de
Jésus ne s’explique que par l’existence d’une strate coranique ancienne proche du Diatessaron et
d’une strate supérieure de lecture du Coran qui va diminuer l'impact de Jésus.

S’il ne semble pas y avoir eu de Bible complète en arabe avant le Coran (VIIIème siècle), il peut
y avoir eu des florilèges oraux et liturgiques en arabe. Selon Samir Arbache, les communautés
chrétiennes arabes ont pu avoir des traditions orales et liturgiques en arabe sans passer par l’écrit.452
A notre niveau, on peut juste conclure de cette analyse philologique que ce mot christologique vient
d'une strate inférieure d’obédience chrétienne véhiculée par une communauté en proie à des
rivalités sectaires, définissant Jésus comme un être quasi angélique, instrument spécifique et/ou
parole divins. L'incipit « la bonne nouvelle », devant ce mot « Parole », présent à l'Annonciation à
Marie (Q3/45), nous révèle une communauté développant son histoire du Salut. Chez ces tribus
arabes christianisées le mot a dû être forger dans le contexte des polémiques sur la nature du Christ
et a pu ainsi se retrouver simultanément dans Le Diatessaron arabe et le Coran.

D'autres traces de cette hypothèse subsistent, des reliquats de « salut » issus de strates
chrétiennes persistent. La liturgie syriaque utilise l'évocation « rahmaw daloho rabo wa forouqo dilan
yéchou » pour signifier ce programme salvifique et de miséricorde. Marie aurait secoué « un tronc de
Palmier » pour se consoler de la naissance de Jésus ; étrange, que Dieu demande à une jeune
accouchée, dans un désert, de secouer un tronc de palmier.

Cette histoire de « tronc » a une portée messianique et renvoie à Daniel.453 La signification


de la racine ṣād bā wāw – hapax (présent ici)– renvoie au baptême. 454 Les racines araméennes
orientent donc le sens vers une floraison nouvelle en fruit de l'arbre « coupé », dans le sens « flétri,
maudit ». Les racines baptismales sont enfouies. Le caractère du Roi-Messie, qui se lit par la
floraison du palmier, est lui aussi occulté par l'exégèse. Selon Abu Huraira, l'Apôtre d'Allah a dit :
« Le nom le plus terrible au Jour de la Résurrection, sera celui d'un homme qui s'appellera Malik
Al-Amlak (le Roi des rois). »455 Nous avons vu que le protoévangile de Jacques dit que le palmier
s'est incliné devant Marie. Dans les apocryphes, la Palme est l'arbre de vie écarté du Paradis, qui
retrouve sa place paradisiaque grâce à Marie ; aussi s'incline-t-il et retrouve-t-il sa place. La Palme
est le trophée chrétien de la Victoire sur la mort et le symbole judéo-chrétien du retour au Paradis.
La palme du martyr conduit aussi au Paradis. La nativité de Jésus au Palmier est donc une icône de
la rédemption, voilée par un mot chimérique, « secoue », qui discrédite une strate inférieure où le
Palmier s'incline et « verse le Fruit ». Cette lecture obvie est destinée à créer l'islam.456

452. Samir ARBACHE. L’Évangile arabe selon St Luc. Edition Safran. p.30. 2012.
453. « On te chassera du milieu des hommes, tu auras ta demeure avec les bêtes des champs, et l'on te
donnera comme aux bœufs de l'herbe à manger ; tu seras trempé de la rosée du ciel, et sept temps passeront
sur toi, jusqu'à ce que tu saches que le Très-Haut domine sur le règne des hommes et qu'il le donne à qui il
lui plaît. L’ordre de laisser le tronc où se trouvent les racines de l'arbre signifie que ton royaume te restera
quand tu reconnaîtras que celui qui domine est dans les cieux. »
454. ṣ b w y : « baptiser », mandéen.
455. SAHIH AL-BUKHARI, LIVRE 73, HADITH 224.
456. Selon F. Manns, dans Le Récit de la Dormition de Marie. Le symbole de la palme revient douze fois dans
l'Apocryphe. C'est le grand Ange, qui n'est autre que le Christ, qui vient l'apporter à sa mère pour qu'elle la
Le livre d'Énoch nous confirme cette valence de recouvrement de l'Éden annoncé par le
Palmier. « Parmi ces arbres, il y en avait un d'une odeur sans cesse renaissante, et tellement suave,
qu'il n'y en avait pas un dans le jardin d'Éden qui exhalât un parfum aussi délicieux. Ses feuilles, ses
fleurs, son bois, ne se flétrissaient jamais et ses fruits étaient beaux. Ses fruits ressemblaient aux
fruits du palmier. A cette vue, je m'écriai : voilà un arbre admirable à voir ; quelles belles feuilles,
quels fruits délicieux. Alors Michel, un des saints et glorieux anges qui m'accompagnaient, et qui
était à leur tête, me redit : Énoch, pourquoi ces questions au sujet de l'odeur de cet arbre […].
Quant à cet arbre à la suave odeur, dont le parfum n'a rien de charnel, personne n'y portera la main
jusqu'au jour du jugement. Quand les méchants auront été livrés aux tourments éternels, cet arbre
sera donné aux justes et aux humbles. Ses fruits seront réservés aux élus. Car la vie sera plantée
dans le saint lieu, du côté du septentrion, vers la demeure du Roi éternel. Alors ils se réjouiront et
tressailliront d'allégresse, dans le Saint des saints ; une odeur délicieuse pénétrera leurs os, et ils
couleront, comme tes ancêtres, une vie longue sur la terre ; et cette vie ne sera troublée ni par les
malheurs, ni par les peines, ni par les misères. Et je louais le Seigneur de gloire le Roi éternel, de ce
qu'il avait préparé cet arbre et avait daigné le promettre aux saints ».

F-LE MESSIE DU CALIFE

o L E M ESSIE SELON LA B IBLE ET LE C ORAN

Nous avons le cadre général dans lequel s'inscrit le drame coranique : celui de Ténèbres qui
luttent contre la lumière et empêchent la descente de la divine Parole. Cette dernière, qui est
identifiée à la kalima, intervient tout au long de ce drame. Le Messie entretient un rapport particulier
avec celle-ci, puisque l'Annonciation à Marie cumule les mots « bonne nouvelle » à « kalima » et à

transmette aux apôtres. Celui qui a planté le Paradis a chargé l'Ange de cette mission. En effet, dans la
tradition juive la palme est l'arbre de vie du Paradis. Le livre d'Hénoch éthiopien 24,3-4 en témoigne.
Plusieurs textes affirment que l'arbre de vie nourrira les élus : Il y a là des arbres de sagesse : ceux qui en
mangent possèdent une grande sagesse », affirme 1 Hénoch 32,3. La fête des Tentes met à l'honneur la
branche de palmier. En effet, tous les pèlerins qui montaient à Jérusalem pour la fête des Tentes devaient
apporter avec eux une branche de palmier, une branche de saule, un rameau de myrte et un fruit appelé
« Etrog ». L'interprétation de ces symboles varie dans le judaïsme. Souvent, un sens anthropologique leur
est donné. Philon d'Alexandrie voit par contre dans la célébration de la fête, qui exigeait du pèlerin d'habiter
sous des tentes pendant une semaine, le symbole du voyage mystique, de la migration du monde de la
matière au monde de l'Esprit (Spec II, 204-213). La palme, comme tous les symboles, a de nombreuses
valences qui peuvent se compléter. Elle évoque la victoire en 1 Mac 13,37 et 2 Mac 14,4. Elle signifie aussi
le juste pour souligner son sort dans le monde à venir : « De même que le palmier ne projette son ombre
qu'à une certaine distance, de même le juste ne reçoit sa récompense qu'après un certain temps, souvent
même il ne la reçoit que dans le monde à venir », déclare le Midrash Nombres Rabbah 3,1. La littérature
judéo-chrétienne avait repris ce symbole comme trophée de victoire. Dans le Pasteur d'Hermas, Similitude
8,2, les justes sont couronnés de palmes. Dans la Passion de Perpétue 10,9 le Christ apparaît tenant dans
ses mains un rameau vert où pendent des pommes d'or. Didyme l'Aveugle, dans son commentaire de
Zacharie 5,168, écrit : « De ce palmier dont il faut prendre les branches pour orner la tente, l'épouse chante
au Cantique des Cantiques : J'ai dit : Je monterai sur le palmier, j'en saisirai les extrémités (Ct 7,9) ». La
branche de palmier reçoit un supplément de sens : elle est rapprochée du Cantique des Cantiques.
L'apocryphe de la Dormition exploite ce même symbolisme lorsqu'il évoque la prière de Marie rentrée chez
elle après sa visite au Mont des Oliviers : « Je te bénis parce que j'ai été trouvée digne du baiser de ta chambre
nuptiale que tu m'avais promis. Je te bénis pour que je sois trouvée digne de participer à l'eucharistie parfaite
et à ton offrande de parfum suave qui est le partage de toutes les nations. » Pour l'auteur de l'Apocryphe de
la Dormition, Marie va entreprendre la migration de ce monde à l'autre dans trois jours. Inutile d'insister
sur le symbole bien connu des trois jours. Elle reçoit de la part de son fils, qui est présenté comme le grand
Ange, la certitude de la victoire finale. Par contre, la Jérusalem infidèle sera mise à l'épreuve et sera jugée. La
fête juive des Tentes met aussi à l'honneur la branche de palmier.
« Messie ». La kalima préside à sa naissance. La deuxième bonne nouvelle d'une naissance concerne
Abraham – Isaac et Jacob – ainsi que sa maison, objet de miséricorde et de bénédictions (Q11/71).
Lui-aussi « accomplit » la kalima (Q2/124). De par les innombrables malédictions contre les juifs
qui ont refusé et recouvert la messianité de Jésus, et l'insistance même à les maudire sur ce motif,
nous pouvons déduire que son rejet a constitué un nœud de cette trame narrative.

Le combat de Moïse contre les ténèbres a pris univoquement la figure de Pharaon, celui de
Jésus converge vers les juifs qui ont la prétention de l'avoir tué. Nous avons vu les prérogatives
inouïes du Verbe de Dieu et, ici, nous regarderons les fonctions spécifiques du Messie. Le Messie
possède des prérogatives particulières : celle de la Table, celle de nourrir et celle de confondre la
mécréance (Q5/115). Étrange nourriture, en effet, puisqu'une effroyable malédiction s'abat sur les
récalcitrants (?!). Étant donné le rôle eschatologique particulier de Jésus, nous pourrons étudier
dans le Coran les reliquats du motif du « Festin messianique ». Quels sont les liens entre la Loi, le
Messie, la Fin des Temps et le Festin ? Le Messie met-il fin à la Loi ? Quelle est la conception du
Messie dans le Coran ? Pourquoi est-ce Jésus qui assure la Cène (La Maïda) et qui effectue un retour
sur scène aux temps eschatologiques ?

Le quatrième livre d'Esdras présente une figure du Messie que nous considérons en
interaction avec les deux corpus présentés dans ce tableau. Le Messie, préexistant à la Création,
viendra à la fin des quatre royaumes. Il vaincra et imposera son règne, mais pour un temps programmé
seulement ; après quoi, il mourra lui-même, comme tout ce qui appartenait à « ce monde ». Nous
retrouvons ici, totalement, la vision du messianisme islamique qui suggère une mort de Jésus après
son retour. La reconstruction de Jérusalem est annoncée et, avec elle, la révélation de la justice ou
de la miséricorde divines liées au jugement. À la fin de l'histoire (toujours dans ce quatrième livre
d’Esdras), Sion apparaît vivante et transfigurée, la Loi à jamais reconstituée. L'affirmation de « deux
mondes » voulus par Allah est profondément judaïque. Cet « autre monde » est « circulaire », « ce
monde ci » prendra fin pour que tout revienne « comme au premier commencement ». Le moment
décisif de la fin de « ce monde » sera l'avènement du dernier des quatre royaumes ayant dominé les
étapes ultimes de l'histoire.457
Quelques jalons, éléments de comparaison sur le rôle du Messie :
DANS LA BIBLE ET LES ECRITS CHRETIENS DANS LE CORAN
Serviteur de l'Eternel (Isaïe 42,1 et 52,13) Serviteur. Jésus (Q43/57 et Q19/30)
Exemple de Justice Justice (Q43/63, Q3/50, Q2/213)
Jugera avec justice (Isaïe 11, 2 ; Zacharie 9,9 ; Samuel 7,12 ; Jugement par le Messager (Q24/51)
1 Chroniques 17,11 ; Michée 4,1)
Compassion divine

457. Nostalgique de l'ère du Temple (à la différence de Baruch II et III), le narrateur d'Esdras IV confesse un
judaïsme orthodoxe, ouvert lui-même à l'avenir rabbinique. Le temps de Dieu est révélé. Avec lui, l'histoire
véritable est ailleurs, hors du cadre de « ce monde » ; elle se situe dans l'histoire sans histoire de l'« autre
monde » ou « monde à venir ». Quoi qu'il en soit de l'échéance, la fin est annoncée comme imminente ; on
doit la considérer et la vivre comme telle. Le constat irrécusable de la contribution généralisée de l'humanité
au mal qui mine le monde, suscite dès lors une douloureuse question : celle de l'identité et du nombre des
hommes sauvés. Certes, Dieu a prévu « deux mondes », mais qui peut se montrer digne d'entrer dans le
second ? Là encore la réponse intervient, déconcertante mais stricte. Il faut penser la chose selon le registre
de l'incorruptibilité, ce qui est hors des moyens humains, et non d'après les codes de la corruptibilité. Car
on entrera dans l'« autre monde » sous le mode du Ressuscité. A noter ici l'omission du corps spécifique à
Esdras IV, qui ne connaît que l'âme, bonne ou mauvaise. L'omission du corps à l'heure du salut tranche
avec le système chrétien bâti sur le dogme de l'Incarnation. Rien, de plus, qui évoque un authentique
médiateur, le Christ en l'occurrence, ressuscité et vivant dans la gloire tandis que l'histoire de « ce monde »
suit toujours son cours. Pour le christianisme, vie dans la gloire veut bien dire vie dans « l'autre monde ».
Avec la séparation des « deux mondes » proposée par Esdras IV, il y a aussi la présentation d'un Messie au
règne limité sur la terre, idée présente dans l'eschatologie islamique.
« Quelle abondante rosée et quelle pluie descendue pour la « La seule parole des croyants, quand on les appelle vers Dieu et
fraîcheur des Nations. » (Hymne Pascale, V, St Ephrem.) Son messager, pour que celui-ci juge parmi eux, est : "Nous avons
entendu et nous avons obéi. Et voilà ceux qui réussissent." »
Signe de miséricorde, ses apôtres, compassion (Q19/21)
La Miséricorde et la pluie associée à Jésus (Q7/57 et Q25/48,
Q57/20)
Second Adam Jésus est comme Adam
Esprit de l'Éternel repose sur Lui Avec l'Esprit (Q19/17 et versets Q2/87, Q2/253, Q5/110)
Dieu manifesté dans la chair Jésus, bonne nouvelle de la Parole en Marie ; Jésus, fils de Marie
A la droite de Dieu (Q2/87 et Q2/253)
Les anges ont reçu ordre de l'adorer Racine araméenne « yad », « à droite »
Victoire Éternelle Refus d'Iblis d'adorer Adam et donc Jésus (Q61/14).
Les Apôtres crurent et Allah les aida pour le triomphe
(illumination)458 ‒ Combat, pardon des péchés ‒ Jésus ? (Q48/2)
Victoire, pardon des péchés, présence de Dieu et Paradis, bonne
nouvelle ; le rasm signifie ouverture divine selon Lughat Al Qur’an

Dans le rabbinisme, le Messie est porteur de Paix, prince de la Paix. Le Targum de Zacharie 6,
13 nous évoque : « Le Messie construira le Temple du Seigneur […] Il s'assoira pour gouverner […]
Conseil de paix entre les deux ». Le Targum d'Isaïe 9, 5 : « Il vit à jamais, le Messie. En ses jours, la
paix sera abondante. Il grandira la dignité de ceux qui peinent dans l'étude de la Loi. » Le Messie
reste le Maître de la Loi et de la Paix dans la tradition eschatologique du Coran. Dans la tradition
juive, le Roi-Messie est vraiment décrit comme un être absolument extraordinaire, à la fois terrestre
et céleste, et comme le démontre Paul Drach 459 : « La tradition de l'ancienne Synagogue a
constamment enseigné que le Rédempteur devait être un personnage divin » (de la partie II de
DHES 2, à partir de la page 385 : « Divinité du Messie »). Tous les prophètes attestent que le nom
divin YHWH est le nom du Messie lui-même. C'est particulièrement net chez Isaïe qui désigne,
avec toute la tradition juive, le Messie comme « Serviteur » de Dieu (Isaïe 42,1 ; 49,6 ; 57,13),
comme Goël Israël « Rédempteur » qui justifie Israël (Isaïe 53,5 ; 53,11 ; 59,20), comme « Saint
d'Israël » et comme « Sauveur d'Israël », après avoir répété de nombreuses fois que YHWH seul
doit porter ces titres (Is 33,22 ; 43,3 ; 43,11 ; 43,14 ; 44,6 ; 44,24 ; 47,4 ; 45,21 ; 48,17 ; 49,7 ; 49,26 ;
54,5 ; 54,8 ; 60,16 ; 63,16). Le Seigneur dit de lui-même : « Moi, moi, je suis YHWH, et en dehors
de moi il n'y a pas de sauveur » (Is 43,3 – d'après la traduction hébraïque de Paul Drach), et il dit
de son Messie : « C'est trop peu que tu sois pour moi un serviteur, pour relever les tribus de Jacob
et ramener les survivants d'Israël. Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut atteigne
jusqu'aux extrémités de la terre. »

Dans l'hymne VIII du rouleau des Hymnes de Qumran 460 , grotte I, il est question de
l'allégorie du Maître de Justice, source d'eaux vives, jardinier irrigant la terre aride. La figure ébionite du
Messie est angélo-morphe. Les ébionites ne récusent pas la titulature du Fils de Dieu, à condition
de ne pas mettre l'article devant « Fils ». Cette remarque de Bernard Dominique nous renvoie à
notre observation de l'ajout systématique d'une lettre d'une autre main devant Jésus ibn Mariam. Une
évolution du statut du Messie peut certainement pouvoir éclairer ces ajouts.
Le Messie est créé avant toutes les choses et est un Esprit supérieur aux anges, il a seigneurie
sur toute choses.461 Saint Paul ajoute une notion à cette vision du Messie : « … et proclame la bonne
nouvelle en annonçant : "Le Sauveur a tout payé". » Cette notion commerciale est en pointillé dans le
Coran, même si elle débitée au compte d'Allah. C'est une assertion coranique : Allah a acheté le Paradis

458. Resplendissant JLAtg, Syr, LJLA. TgJ Zec9:15 : ‫ ִויהוֹן ַמזֲה ִרין ִכדָמא ְדַמזַהר ַﬠל כוַֹתל ַמדְבָחא‬P Na3:3 : 8T:O‫ܘ‬
‫ܗܪ‬p4‫ܕ‬.
459. DRACH Paul, De l’harmonie entre l'Eglise et la Synagogue. Paul Mellier, Librairie-éditeur. P. 385 de la partie
II de DHES 2 : « Divinité du Messie ».
460. Écrits intertestamentaires, Edition Gallimard, p. 266.
461. DOMINIQUE Bernard, Les disciples juifs de Jésus. Éditions du Cerf, p. 330.
par la personne des croyants. 462 La traduction de Luxenberg du verset 86 de la sourate 11 donne : « le
commerce spirituel est le meilleur pour vous », suite au conseil de « donner bonne mesure ».463
Un autre motif des temps messianiques est le trône, particulièrement important dans la
vision politique de l'Islam. C'est un motif syriaque du VIIe siècle, « l'arrivée au mont Sion et la ville
du Dieu vivant, dans la Jérusalem céleste auprès des armées innombrables des anges et la vision du
siège de Dieu sur la terre, l'apparition du Dieu juge assis sur l'autel céleste et l'ancre divine ».464
Le Testament des douze patriarches présente souvent la résurrection comme le moyen qui
permettra aux israélites justes de participer aux événements messianiques. Dans Esdras IV 7, 32 la
résurrection suit immédiatement le règne messianique. Le Messie, appelé « mon Fils » par Dieu,
règnera quatre cents ans et mourra avec tous les humains.465 Le royaume messianique est, pour ces
auteurs, un prolongement du temps présent (1 Hén 5, 7 ; 10, 16-22). A partir du IIe siècle, le
rassemblement, l'identification des montagnes du Moria, du Sinaï466 et du Paradis, dans les textes
rabbiniques, sont fréquents. De nombreuses expressions sont appliquées au « Messie » dans les
manuscrits de Qumran. Il est associé à Dieu d'une manière vague, imprécise et fluctuante ; il intervient dans la
création du monde, dans le jugement final des nations, dans la rémission des péchés, dans l'enseignement de la Loi,
dans la réalisation de toutes les prophéties dont il est l'interprète définitif. Nous retrouverons, dans
le Coran, toutes ces hésitations dans les jugements portés par les disciples juifs du Christ sur la
personnalité du Christ.467

Dans l'ouvrage judéo-chrétien La Caverne des Trésors, le tombeau d'Adam, le lieu du Messie
et de la Création du Monde sont liés. Le mot résurrection apparaît 83 fois dans le Coran, avec la
racine bā ʿayn thā. Dans l'Antiquité, la montagne du Temple est le lieu de création d'Adam, le lieu
de son tombeau, le centre de la terre, la porte du Paradis et la porte du Shéol. Le Dôme du Rocher
est chargé –dans la glose islamique – de tous ces attributs. Al-Ḥaram aš-Šarīf est-il une métonymie
de plus pour ce centre de l'univers judaïque situé au Mont Moria ? Al-Ḥaram aš-Šarīf, puis Qarqaphta
(signifiant « chef et tête »), Golgotha (« le rond, la révélation »468), Rsiphta (« l'empierré ») sont les

462. Shin, ra, ya signifie « Négoce, échange » (9/111 2/102 12/21) štarā, ish'tarā , en araméen cette racine ich,
signifie « Adam » tarā, ‫טרי‬Syr. P 2Ch34:10 : .":+‫ ܕ‬/86FE?-‫ܘ‬/8';7-‫ܘ‬. : réparer. (Rachat d'Adam, ish) Allah
a acheté des croyants en échange du paradis. C'est une promesse authentique. Et le mot est araméen et
utilisé dans la Bible (Et tes péchés comme une nuée ; Reviens à moi, Car je t'ai racheté : Isaïe 44).
463. Pour Cromace d'Aquilée (dans son Sermon 4, 3), l'Église s'appelle « maison de commerce spirituel » où l'on
prête l'argent du ciel et où l'on gagne le royaume des cieux. « Pourquoi n'as-tu pas déposé ton argent au comptoir
des changeurs, afin qu'à mon retour je puisse exiger les intérêts ? » Cette notion est présente dans le Coran.
464. Histoire d'Héraclius (p. 74), Evêque Sébéos. Traduite par Macles.
465. Ce retour sur terre de Jésus le Messie et sa mort sont présents dans les Hadiths. « Dieu enverra le
Messie, fils de Marie, qui descendra sur le minaret blanc, dans la partie orientale de Damas. Il portera deux
vêtements, légèrement safranés, et se tiendra sur les ailes de deux anges. Lorsqu'il penchera la tête, des perles
de transpiration en tomberont ; et lorsqu'il la relèvera, des perles de transpiration voleront autour. Tout
mécréant qui sentira son odeur mourra ; et son souffle portera aussi loin que portera sa vue. » (Sahih Mouslim
2937) Puis, quarante ans après son retour sur terre, il mourra, et les musulmans accompliront pour lui la
prière funéraire. On peut comparer avec Éphrem : « Ta sueur même pour qui l'éponge est un baptême. »
(Hymnes sur la nativité, p. 237. Cerf.)
466. Saint Éphrem utilise fréquemment cette invocation présente dans le Coran : « Par le Mont Sinaï ».
467. On a trouvé à Qumran un fragment de la quatrième grotte où il est « salué du nom de fils de Dieu et
appelé Fils du Très Haut ». Mais de quelle divinité s'agit-il ? Il semble que la doctrine des ébionites ait varié
au cours des siècles. Dans les manuscrits de la Mer Morte on nous dit que « Dieu lui a fait connaître tous
les mystères des paroles de ses serviteurs, les prophètes » ; que « ceux qui méprisent sa parole seront
retranchés du monde, ceux qui n'ont pas reconnu son alliance » ; qu'il est le « prince de la Communauté ».
Dieu l'a établi maître de Justice « pour bâtir la communauté de Vérité qui ne chancellera pas », il leur a fait
connaître par son Oint, son Esprit Saint ».
468. Révélation, ôter la pierre, la rouler Syr. KwDW 384:23 : 867GZ‫ ܕ‬L'E- q$9ܿ ":W‫ ܐܘ‬%TJܿ RUP4‫ܕ‬
V$'‫ܕ‬a^- H4 8WEP#‫ܕ‬
quatre noms de ce lieu mythique dans La Caverne des Trésors. Dans le chiisme, l'avènement de la
Résurrection est intimement lié au « Retour » de l'imâm caché et à sa mission ultime de vaincre
définitivement les forces de l'Ignorance. La lecture chiite est plus proche des lectures midrashiques
et targumiques. Les Hadiths localisent ce lieu messianique en Syrie.

Cependant, les Califes ne peuvent pas abolir l'idée d'un Messie personnel ; cette idée est le
fond même de la tradition juive. Ils ne peuvent pas déclarer Muḥammad comme étant le Messie, il
ne peut être que le précurseur du Messie déjà venu et à venir et il faut que le Messie soit venu avant
lui pour l’annoncer. Pour pouvoir fonder une religion définitive, il faudrait se débarrasser de
l'attente d'un Messie futur. Ce sont les Califes qui s'en chargeront. Mais avant lui, il n'y a, pouvant
remplir le rôle de Messie, qu'un seul personnage : Jésus-Christ. Le reconnaître comme Messie et le
combattre, c'est extrêmement épineux. Mais, d'autre part, ne pas le reconnaître, c'est se faire juif.
Muḥammad se place dans ce dilemme, la seule situation intermédiaire est celle optée par une vue
nazaréenne : accuser les juifs de la rupture de la Mission du Messie et annoncer son Retour. Le
rabbinisme évoque aussi les deux Messies, le Messie fils de David et le Messie fils de Joseph qui est
le Messie de la guerre.469 Cette division de deux Messies est voulue par le rabbinisme pour détourner
l'interprétation d'Isaïe 53 qui désigne trop directement Jésus comme étant le Messie souffrant.
Selon Drach Paul, le Midrash Shir Hashirim et le Shemot Rabbah font de la mort du juste une
alternative à la Destruction du Temple. L’auteur trouve dans la Pesiqta Rabbati la figure du Messie,
fils d'Ephraïm, porte la notion d'expiation mais uniquement pour retourner le paradigme chrétien
du Juste souffrant et de l'expiation des péchés. Le Messie, dans le judaïsme, combat Gog et Magog,
ce qui revient à Jésus dans les Hadiths !

Le rapport entre le Messie et la Loi est totalement implicite dans le Coran et explicite
dans la Tradition où Jésus travaille à mettre tout sous la Loi de Dieu. Dans les Antiennes de Noël,
ce lien existe ; on lit :
« Ô Emmanuel, roi, législateur,
Espoir des nations et leur seul sauveur,
Venez ! Montrez-nous la route des cieux,
Venez ! Sauvez-nous, Seigneur notre Dieu ! »470
Jésus coranique est fonctionnellement et étymologiquement le Messie et il est celui qui peut
changer la Loi (voir : « rendre licite, purifier, couper en deux, rompre en vue de l'Alliance »). Il est
désigné par la racine nūn bā hamza signifiant « prophétiser ». Il est dans le Coran le Maître de l'heure,
donc du Temps, et le Maître du Festin. Il reprend ainsi sa fonction évangélique d'accomplir
l'histoire : « mon heure n'est pas encore venue », d'ailleurs son aphorisme : « Tout est accompli »
qui a un rapport avec celui de « musulman ».471

469. Un Cauchemar Nécessaire ? Gog et Magog d'après le Rav Tzaddoq haCohen. Pardès 2013/1 (N° 53),
pages 205 à 228.
470. Antienne Magnificat du 23 décembre et Matthieu Ch. 5.
« 17Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais parfaire.
18Car, je vous le dis en vérité, jusqu'à ce que passent le ciel et la terre, un seul iota ou un seul trait de la Loi

ne passera pas, que tout ne soit accompli. 19Celui donc qui aura violé un de ces moindres commandements,
et appris aux hommes à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le royaume des cieux ; mais celui
qui les aura pratiqués et enseignés, sera tenu pour grand dans le royaume des cieux. »
471 . Syr. P Lv23:15 : HG$G̈$F HZE^F̈ o^F .
Pièces Arabo-byzantines portant mḥmd menorah avec le titre Mḥmd Rassul Allah472

Si l'on suit les reconstructions de C.Luxenberg et de Lüling, par deux fois, le vocable qadr
(« destin », « puissance ») est associé à Jésus dans une sous-strate (Q97 et Q74). Cette étroite
concordance montre que la « puissance » est associée à Jésus. Est-ce un rappel de la victoire de
Jésus sur Satan ? Le Coran confirme cette particularité en le présentant préservé du péché, et la
Tradition le confirme en le faisant revenir dans le combat eschatologique contre le dajjal. Sa venue
lors du rassemblement des Messagers du verset Q5/109 offre une clef : « Au jour où Allah réunira
les Apôtres… » Suivent immédiatement l'évocation de Jésus (« Ô Jésus… ») et l'énumération de
tous les miracles accordés. Le verset 106 évoquait le testament et celui d'Allah. Les deux faux
témoins semblent être les comparses juifs et les naṣara, qui mentent sur le testament de Jésus. Le
verset 103 reprend les propos de Jésus relatifs aux traditions alimentaires inventées par les juifs.
Une des meilleures preuves de cette interprétation est l'attente islamique de Jésus pour réformer
certains points alimentaires sur terre, à son retour (l'extermination des porcs).

472 . ISRAEL NUMISMATIC JOURNAL 88/89. p 45.


Cependant, ce Messie dans le Coran est à la fois l'objet et la raison de la Loi. Jésus-Messie
n'a pu accomplir sa Mission ni imposer sa Loi, donc il sera le bras armé de la Loi dès son retour.
Dans les Targums d'Isaïe selon Paul Drach, le rôle de Messie-serviteur (Tg Is 52, 12) est
d'apporter la paix, le pardon des péchés mais il faut lui obéir473. Le Festin messianique culmine avec
la Parabole des dix vierges et de leurs lampes, citée à la fin de Matthieu dans les épisodes
eschatologiques. Le fait que plusieurs sourates coraniques brodent sur ce thème indique une
familiarité des prédications et une exploitation des préoccupations eschatologiques.
« Alors le Royaume des cieux sera semblable à dix vierges qui, ayant pris leurs lampes,
allèrent à la rencontre de l'époux. Cinq d'entre elles étaient folles et cinq, sages. Les
folles, en prenant leurs lampes, ne prirent point d'huile avec elles ; mais les sages
prirent, avec leurs lampes, de l'huile dans des vases. Au milieu de la nuit, on cria : "Voici
l'époux, allez à sa rencontre !" Alors toutes ces vierges se réveillèrent, et préparèrent
leurs lampes. Les folles dirent aux sages : "Donnez-nous de votre huile, car nos
lampes s'éteignent." Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : "Venez, les bénis
de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création
du monde. […] Je ne vous connais pas." » (Matthieu 25)
« Au jour où tu verras les Croyants et les Croyantes ayant leur lumière courant devant
eux et à leur droite, en ce jour… » ; « En ce jour où les hypocrites, hommes et femmes,
diront à ceux qui auront cru : "Attendez-nous ! (afin que) nous prenions de votre
lumière !", il sera répondu : "Revenez en arrière ! Cherchez (ailleurs) une lumière !"
Une muraille sera dressée entre eux, ayant une porte à l'intérieur de laquelle est la
Miséricorde, tandis qu'à l'extérieur, en face sera le Tourment… Qui donc consentira
à Allah un beau prêt, Allah lui doublera (sa récompense) et il aura une généreuse
rétribution, en ce jour… » ; « N'étions-nous pas avec vous ? »

Curieusement, les descriptions coraniques du Paradis insistent sur le thème du Festin. Ce


Festin est de type messianique si l’on considère la description particulière de l'habit de noces du
Royaume des élus. « Parés de bracelets d'or, de perles de soie, satin, brocart, cristal d'argent, coupes
cristallines, accoudés sur des divans, atteignant la Félicité par un divin breuvage. » Est-ce un reliquat
de cette Alliance, un désir de ce Festin ? Cette description correspond à Isaïe.474

Ce Messie-Jésus a pu cependant rendre « licite[s] » certaines nourritures. « Et me voici pour


confirmer ce qu'il y a devant moi du fait de la Torah, et pour vous rendre licite partie de ce qui
vous était interdit. » (Q3/50) Jésus aurait reçu, à la naissance, l'Écriture, la Sagesse, la Torah et
l'Évangile (Q3/48), et il aurait abrogé une partie de la Torah, sans toutefois préciser la nature de
cette abrogation. Dans l'eschatologie islamique, Jésus pourra revenir, et « achever » sa fonction de
Messie « accomplisseur » de la Cacherout et donc de législateur. « C'est parce qu'il faut arbitrer au
moyen de ce qu'Allah a fait descendre » (Q5/48) que le Messie, contré dans son action, doit revenir.

Donc, un point fort de convergence entre le christianisme et l'islam est cette fonction
messianique du Christ, tendue vers un retour physique et eschatologique, une lutte contre le mal.
L'autre objectif de Jésus vu par la Tradition sera d'intégrer le christianisme à l’islam, Jésus se
prosternera vers La Mecque. Un recueil de hadiths rapporte un rêve du prophète : « Aujourd’hui,

473. « Voici venir des Jours, dit le Seigneur, où je susciterai pour David un Messie de Justice ; il régnera
comme roi, il prospérera, il appliquera le droit, la vérité. Ils obéiront au Messie, fils de David, leur roi. »
474. « 10Je t'ai habillée d'une robe brodée et je t'ai chaussée de cuir fin. Je t'ai drapée dans du lin fin et je t'ai
couverte d'un manteau de soie. 11Je t'ai parée de bijoux : j'ai orné tes poignets de bracelets, et ton cou d'un
collier. 12J'ai mis un anneau à ton nez et des boucles à tes oreilles, j'ai posé sur ta tête un magnifique
diadème. 13Tu étais parée d'or et d'argent, vêtue de fin lin, de soie et d'étoffes précieuses brodées. Tu te
nourrissais de la farine la plus fine, de miel et d'huile. »
je me suis vu en rêve près de la Ka’ba. J’y ai vu un homme pâle et brun, le plus beau de tous les
hommes bruns qu’il se puisse voir. Il avait les cheveux les plus beaux qui retombaient derrière ses
oreilles. [] et de l’eau en dégoulinait. Il accomplissait le tour de la Ka’ba. [] « C’est le Messie, fils de
Marie ». Soudain, je vis un homme aux cheveux bouclés, aveugle de l’œil droit qui ressemblait à un
grain de raisin proéminent. [] « C’est le Dajjal»475

o L E J USTIFIÉ PAR L 'É CRITURE

Jésus, le kalima(t)-Allah, reçoit de Dieu la Torah (Q3/48), mais pas seulement. C'est ici une
image de la Parole en chair recevant la Parole. Le verset 79 de cette même sourate qui évoque un
humain recevant « le Livre », « la sagesse » et la « prophétie », se faisant adorer malgré lui, désigne
évidemment encore Jésus. « Il ne conviendrait pas à un être humain… ». La racine bṣr peut désigner
« la bonne nouvelle de tous ces dons » ou/et « un être de chair ». Le Coran oscille, mais cette
tergiversation confirme malgré elle une incarnation de la bonne nouvelle. Là encore, que signifiait
la primo-strate ? De plus, rappelons qu'Adam reçoit de Dieu la kalima et qu'il est pardonné (Q2/37).
Sans cette kalima préalable du Seigneur, à un terme déjà fixé, leur châtiment (à l'humanité) aurait
été inévitable. « N’eussent-été un décret préalable (kalima) de ton Seigneur et aussi un terme déjà
fixé, (leur châtiment) aurait été inévitable venue du Seigneur » (Q20/129) Abraham, en accomplissant
lors du sacrifice d'Isaac, est dit accomplir la kalima (Q2/124)(Les Écritures) . Donc nous pouvons
unir ces thèmes : kalima, Livre, la Loi.
Jésus reçoit, dans le Coran, le savoir, l'écriture. Le verset Q3/50 utilise le mot yadayyawa-
muṣaddiqan li-mā bayna yadayya mina t-tawrāti, ce mot signifie parfois « la main ». On peut imaginer
Jésus possédant la Torah dans sa main. Cela appelle quelques précisions. Dans l'Évangile, Jésus n'a
rien écrit, sauf une fois. Dans l'épisode de la femme adultère (Jean 8.1-11), les accusateurs qui
veulent prendre Jésus au piège l'invitent à prononcer un jugement sur la pécheresse. Ce jugement
– la lapidation – est requis par la Loi de Moïse, précisent-ils. Or, au moment où ils l'interpellent,
Jésus est en train d'écrire sur la terre avec un doigt (Jean 8, 6). Le verbe utilisé, katagrapho, n'est
utilisé qu'ici dans le Nouveau Testament. Le seul autre endroit dans la Bible où un doigt écrit
quelque chose se trouve dans le livre de l'Exode. Il s'agit des Tables de la Loi, et le doigt en question
est celui de Dieu (Exode 31, 18) ! Dans la version grecque, le verbe utilisé pour décrire ces Tables
est le même que pour Jésus, katagrapho, (Exode 32, 15-16). Le rapprochement est saisissant, entre
le doigt de Dieu et celui de Jésus, liés par un même verbe. Il y a comme une similitude de statut
entre Dieu et Jésus. Et cette similitude va plus loin. En colère contre un peuple pécheur, Moïse
avait jeté les Tables de pierre ; on invite Jésus à jeter des pierres sur une femme pécheresse. Les
Hadiths présenteront un Muḥammad appliquant cette pénalité, malgré son absence dans le Coran.
Une fois le jugement passé, Dieu écrira de nouvelles Tables pour Moïse. Une fois le
jugement suspendu, Jésus s'abaisse à nouveau pour écrire. Qu'avait-il écrit, au juste ? Jésus oppose
pour le divorce un texte de la Torah à un autre texte de la Torah : Deut. 24,1 par opposition à
Genèse 2,24. En fait, il hiérarchise les lois, en fonction de la volonté du Créateur qu'il connait. Le
rapport de Jésus à la Torah est souverain et le Coran exprime cette relation particulière. « Allah lui
enseigna l'écriture : la sagesse, la Torah et l'Injil. » Jésus est associé à l’enseignement du fait de la
concordance de la racine, ayn lam mim, « enseigne ». Le verset 14 de la sourate 61 concerne bien
« Jésus » donc les autres versets qui précèdent se réfèrent bien à ce messager, porteur de lumière.
Le verset 2 de la sourate 62 peut parfaitement continuer sur cette thématique puisqu'elle reprend
des dons spécifiques de Jésus : « sagesse, Livre, enseignement ». Les versets Q3/48 et Q5/110
reprennent ce pack de dons à Jésus, et ici il « va déclarer véridique ce qui a été donné avant moi de

475. Imam MUSLIM, Sahih Muslim, Al-Hadith, 2013, vol. 1, n° 425 [169], p. 183
la Torah et déclarer licite une partie de l'illicite ». Donc, Jésus a les pleins pouvoirs sur la Torah de
Moïse.

CHAIR INCORRUPTIBLE ENTRE CIEL ET TERRE

Le Coran n'a de cesse de rappeler la nécessaire persécution des Prophètes, condition sine
qua non de leur authenticité.476 Allah laisse faire ces persécutions même pour Muḥammad puisque
ce dernier va être empoisonné. Pourtant, pour Jésus, Allah aurait fait exception, il aurait fait illusion
et ramené le corps de chair de Jésus près de Lui, au ciel. Il est Vivant, certes, mais de quelle vie
s'agit-il ?
Les savants de l'islam vont, pendant plus d'un siècle, se déchirer pour comprendre et
interpréter le verset 157 de la sourate 4 sur « l'impression de la crucifixion » qui concerne les juifs.
Tabari, Razzi et Zamakhashari,477 le Mutazili ont consacré des volumes au fameux shubbiha lahum.478
Dans la sourate 9, si, comme le fait E.-M. Gallez479, on dépouille le texte de ses interpolations
tardives, on constate que les prédications syro-araméennes reprochent aussi aux juifs (l-yahûdu) de
« recouvrir » la Vraie lumière qui est Jésus. Dieu parachève sa lumière en Jésus. La sourate 43
explique encore que c'est bien un Messager de Dieu, ce Jésus, « et pourtant ton peuple s'en
détourne ». C'est « un chemin droit »480 qui, répété deux fois, permet d'affirmer la propriété de ce
segment : ṣirāṭa l-mustaqīma (« un signe pour l'Heure ») ; « on doit le suivre » (ttabi‛ṣirāṭa l-mustaqīma
– Q43/61 et Q3/31), et « obéir » (’aṭī‛ūni – Q43/59 à 64 : ‘aṭî) ; « Ayez-foi » (tamtarunna
– Q43/61).481 Cette sourate démarre avec deux lettres araméennes Ḥēth Mim signifiant « lumière de
l'esprit ». Jésus peut aussi « différer » (khā lām fā), « changer » – sous-entendu, la Loi – (Q43/61).482
Le Coran utilise pour Jésus, à la sourate 3, la racine wā fā yā qui, trente-trois fois (Q10/104,
Q12/101, Q13/40, Q16/28…), dans le Coran, signifie « la mort ». Donc, Jésus a bien subi la mort.
Il est ressuscité vivant Q19/33.

Basetti-Sani483 suggère que l’étoile du verset Q53/1 est le Christ, ainsi que la lumière des
versets Q 61/1, Q 57/12, Q 9/32.

Jésus coranique est la Voie de perfection, puisqu'il est le seul à devoir être suivi
explicitement (Q3/31) et à avoir Tout des Livres. C'est donc lui le sceau (ḥattam) de nuptialité
divine, selon saint Éphrem, puisqu'il est la Miséricorde de Dieu ; un attribut que lui reconnaît aussi
le Coran : « signe de miséricorde ». La liturgie chrétienne syriaque utilisait déjà ce terme pour

476. « Ceux donc qui ont émigré, qui ont été expulsés de leurs demeures, qui ont été persécutés dans Mon
chemin, qui ont combattu à mort, qui ont été tués » (Q3/195), Q2/61 : « et qu'ils tuaient sans droit les
prophètes. »
477. Muhammad az Zamkhashari Tafsîr al-kashsâf, Dâr al kutub al-‘ilmiya, Beyrouth, 1990, Vol. I, p.575.
478. Ce savant consacre ses études sur les anomalies grammaticales présentes dans ce verset (absence du
sujet pour un verbe passif). Pour Razi, Jésus fut crucifié dans son aspect humain (nâsût) mais pas dans son
âme ; son analyse suit celle des Nestoriens qui parlent de mort dans la nature (nâsût) mais vie dans la nature
divine (lâhut). Razi, al Tafsir al-Kabir Q4/157.
479. E.-M GALLEZ, Le Messie et son Prophète. Tome 2, 2005. p. 152.
480. APHRAHAT appelle Jésus par d'innombrables noms : « Et le Roi, le Roi Fils, Lumière de lumière,
Créateur et conseiller, et le Guide, et la voie, et Rédempteur, et Pasteur, Rassembleur, et la porte, et la Perle
et la lampe. La plupart de ces racines sont dans le Coran. Lumière sur lumière et Lampe (Q24/34) ;
Rédempteur (Q3/45) : Wajihan traduction Gabriel SWAMNA. Ibid.
481. Perfection, sanctification. Syr. P Ps18:26 : B4‫ ܬܬ‬8G:4‫ ܬ‬BZ‫ܘ‬.
CPA, Syr. P Job22 :3 : ‫"ܟ‬#s‫ ܐ!" ܐܘ‬B4"4‫ܕ‬
Plaisant, comblé des bienfaits Gal. SYAP 47:32 : ‫‛ אמן מנעמה‬amnā).
482. CPA, Sam, Syr, LJLA. AphDem11.214:5 : ‫ ܕܐܕܡ‬8G:J ./-‫] ܐ‬$#
483 BASETTI-SANI. Koran in the Light of Christ, p.154.
Jésus.484 Certes, les savants islamiques l'appliquent à Muḥammad, mais ce terme n'est pas, dans le
Coran, associé à un Messager, sauf au verset Q33/40. Cependant, l'origine manichéenne485 de cette
expression est incontestable, et conviendrait mieux à Jésus de par l'affectation de Tertullien et de
par la précision coranique : « n'a jamais été le père de l'un de vos hommes ». N'avoir aucun
descendant mâle n'est pas un argument d'autorité pour le milieu bédouin dont est issu le
Prédicateur. Seuls « ceux qui croient » adhèrent et sont scellés à l'Esprit Saint (Q16/102) ; c'est
l'unique occurrence où le verbe utilisé est yuṭabbita, « sceller » en araméen.486 Le vocable se trouve
seulement au verset Q83/24 dans un co-texte de « félicité » et de « vin scellé » ; un hapax, Illyum, non
transcrit par les traducteurs, est un terme araméen signifiant « la Félicité », nom divin.487

Jésus est Pur, zakiyyan, et vivant (Q19/33). Le Coran effectue donc, sans le vouloir, un lien
implicite entre le péché, la vie et la résurrection. Ce lien est présent dans la logique des musulmans.
On peut visiter la tombe de nombreux prophètes ou grands hommes, celle de Jésus est vide. Jésus
est le seul prophète qui soit encore vivant aujourd'hui, tous les autres sont morts et enterrés. La
mort est le salaire du péché, un homme sans péché ne peut pas être retenu par la mort qui est la
conséquence de la rupture avec Dieu. Allah avait dit à Adam : "Le jour où tu en mangeras tu
mourras." La mort est la conséquence du péché. Jésus a été une sorte de "nouvel Adam". Adam a
échoué mais Jésus est resté pur. Il inaugure une nouvelle humanité. »

La requête d'Abraham (yuzakkīhim) (Q2/125) d'envoyer un purificateur ne s'oriente que


vers Jésus. L'ange Gabriel dit à Marie (Q19/19) : « Je ne suis que le messager de ton Seigneur pour
te donner un garçon "pur" », c'est-à-dire sans péché, en effet, Jésus est le seul prophète, reconnu
par le Coran, qui n'a jamais commis de péché, de faute. Tous les autres prophètes, en commençant
par Adam, Abraham, David, Moïse, Salomon, ont péché, même Muḥammad. Il n'y a que Jésus qui
n'a jamais commis de faute dans le Coran. Dans l’islam, le dogme de l’immpeccabilité des prophètes
s’est imposé.
« A ceux qui croient (ainsi) Allah accordera son Amour. » Cette occurrence rare est sur la
sourate Marie, consacrée à Marie, et le cotexte est « Jésus » (Q19/96). Ceux qui kafar (« recouvrent »),
ce sont ceux qui ont pour objet le recouvrement, la messianité de Jésus. Dieu ne les aime pas.488 Ce
sont eux qui ne « croient pas » et s'enorgueillissent et le refusent comme Messie. Le mot « croyant »
coranique désignerait, non pas ceux qui croient en Allah (tout le monde à l'époque), mais ceux qui
sont croyants et fidèles en la messianité de Jésus, contrairement à ceux qui la recouvrent (kfr).
Enfin, pour clore cette spécificité de la chair incorruptible du Christ, attachons, à la lecture
de cet extrait de la traduction de Blachère, une lecture mot à mot récusant absolument cette non-
crucifixion, et montrant au contraire celle-ci comme le motif de la rupture du Pacte envers les Fils
d'Israël. Le verset 154 les accuse en raison du meurtre des Prophètes, ils sont maudits et exclus du

484. Ḏikru raḥmati (Q19/2).


485. Dictionnaire du Coran, p. 795.
ܿ
486. « Sceller » o+‫( ܬ‬qul nazzalahū rūḥu l-qudusi min rabbika bi-l-ḥaqqi li-yuṯabbita llaḏīna ’āmanū wa-
hudan wa-bušrā) Les deux vocables Esprit et Bonne nouvelle renvoient très souvent à Jésus puisqu'il est aussi
Esprit dans la logique coranique.
487. « Suprême, félicité, exaltation », Com-OA-OfA. Dan 4:22 : ‫ ַﬠד ִדּי־ִת ְנַדּע ִדּי־ַשִׁלּיט עליא‬TgJ Is14:14 : ‫ֵאיֵהי‬
‫ִﬠַלאיִמכוְּלהוֹן‬, Amu25 1.7 : ‫לאלהא עליא על כל פגע ועל כל מ ֗ו֗ם‬, P Ju1:15 : 8:5F ":+‫ ܘ‬.":$Z 8:5F ":+
."'"#‫ܬ‬
488. Dieu n'aime pas : Dieu n'aime pas les transgresseurs (Q2/190), le désordre (Q2/205), le kâfir usurier
(Q2/276), les kâfir-s (Q3/32), les injustes qui ne croient pas (Q3/57.140), celui qui agit avec arrogance ou
en traître et en pécheur (Q4/36.107), certaines paroles (Q4/148), les juifs semeurs de désordre sur la terre
(Q5/64), les transgresseurs (Q5/87), les gaspilleurs (Q5/141), les auteurs de désordre (Q7/31), les
transgresseurs (Q7/55), les traîtres (Q8/58), les orgueilleux (Q16,23), le traître (Q22,38), les arrogants
(Q28,76), les corrupteurs, (Q28/77), les infidèles (Q30/45), les présomptueux (Q31/18), les injustes
(Q42/40), les présomptueux (Q57/23).
Pacte. Leur prétention à cette mort les rend d'autant plus odieux, c'est l'unique sens de Q4/157.
C'est cette interprétation que développe Mahmoud Ayoub 489 , le refus exprimé ici concerne
uniquement l'impossibilité de tuer la Parole de Dieu. L'exégète Mu'tazilī Zamakhsharī, d'autre part,
commence son analyse de ce verset en le plaçant dans le contexte du passage plus large (4.152-7).
Il note surtout cette prétention des juifs d'avoir tué Jésus. Notre lecture araméenne suit celle de
Sawma et le mot chimérique shubbiha pourrait être une racine de « glorification » au lieu d' « illusion ».
La messianité est recouverte ; la lecture de la Torah, couverte par celle des Talmuds (c'est-
à-dire que la Torah est lue à travers les commentaires que font ces derniers). En effet, le Coran
reconnaît onze fois à ‘Isâ-Jésus le titre de « Messie », dont quatre sous la forme : « le Messie-Jésus ».
Et quel rôle jouerait le Messie, sinon le jugement ? Et le Coran lui-même dénonce les manières
dont cette messianité a été recouverte dans le passé, non seulement au moyen d'une lecture
« dissimulatrice » – « Tel est Issa, fils de Marie, Parole de vérité dont ils doutent » (Q19/34) –,
mais, dans la sourate 2, versets 89 à 91, nous avons un violent réquisitoire contre les juifs qui ont
refusé la vérité de Jésus-serviteur490 – les juifs, qui endossent ici une typologie toute chrétienne, et
sont chargés des propos mêmes du Christ qui leur reprochait leurs crimes des prophètes.
C'est à la lumière de ces éléments qu'il faut lire et comprendre le litigieux verset 157, « Tous
les gens du Livre auront foi en lui à sa Mort et au jour de la Résurrection il sera témoin contre eux »
(Q4/157), en écho de l'Évangile.491 « Il annonçait des vérités contraires à vos souhaits, vous vous
enflez d'orgueil ! Allah les a maudits à cause de leur infidélité et quand leur vint un livre confirmant
».492 Q2 /91 « Croyez à ce qu'Allah a fait descendre » et « ils rejettent le reste alors qu'il est la vérité
confirmant ce qu'il y avait déjà avec eux. » Relevons ce mot : « eux ». Le mot sous-entendu ici
concerne les juifs orgueilleux qui refusent Jésus, cette vérité confirmée et « confirmant », cette vérité
accomplissant ou justifiée par la Parole de Dieu – le Coran soutient bien des fois cette assertion :
« Sa Parole s'accomplit comme un décret ». Là encore, les racines de « confirmer » appartiennent
au champ lexical biblique. Les racines présentes exaltent la force, la puissance, la main. Dans saint
Jean, l'Esprit est donné à Jésus par le Père dans sa main.493 Saint Éphrem ne dit pas autre chose
dans son Commentaire du Diatessaron494 : « Si les Juifs pensent avoir pu, à cause de la faiblesse du Fils,
couvrir de déshonneur le corps qu'il avait revêtu […] si c'est à cause du corps qu'ils ont tué, ce corps

489. AYOUB M. The story of the passion, The Muslim World 70 (1980) p. 91-121.
490. Les expressions coraniques : « Le livre qui leur vint d'Allah : Q 2/101 »… « que la malédiction d'Allah
soit sur eux Q2/89 »… « révoltés à l'idée qu'Allah fasse descendre sur ceux de Ses Serviteurs » (‘ibadihi,
« serviteur », se référant à Jésus, voir Q19/30) ; « Nous croyons à ce qu'on a fait descendre à nous et ils
rejettent le reste, la vérité confirmant, « pourquoi avez-vous tué les prophètes d'Allah »Q2/91 sont à mettre
en parallèle avec « et que vous dites : Si nous avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas
joints à eux pour répandre le sang des prophètes. Vous témoignez ainsi contre vous-mêmes que vous êtes
les fils de ceux qui ont tué les prophètes. » Matth. Le terme de témoigner contre vous-mêmes est d'ailleurs dans le
Coran en sourate 4 verset 157 où Jésus sera juge et 𝑠̌ ahidâ.
491. « C'est pourquoi, quiconque me confessera devant les hommes, je le confesserai aussi devant mon Père
qui est dans les cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père
qui est dans les cieux. » Luc. 12/8.
492. Msddqn li : la lecture islamique fait de ce participe un verbe à l'actif, alors que le sens cohérent à
l'ensemble des occurrences est passif : justifié en fonction de ce qui se trouve dans l'Ecrit antérieur [la Torah] – ce
que Mondher Sfar a été l'un des premiers à comprendre. ‫ צדק‬est la racine utilisée.
ܿ ܿ
CPA (le97) Rom 6:7 : ."$U:O H4 ‫<(ܩ‬v4 ":4‫ ܕ‬w9 H'‫ܗܕ‬
JBA. BTŠab 156a (42) : ‫מאן דבצדק יהא גבר צדקן‬justice en Nabatéen, CPA. NabCvLet 2:.25 : mn ṣdq wršw
wtḥwm wḥlq wtqp wtḃt wqšm Vérité, être juste, charité.
493. « Accomplir, être à la droite de, dans la main de ». « Renforcé par l'Esprit Saint » ‘ayyadtuka : le rasm en
araméen donne « main » à toi (tuka) et ‘’ayyadnāhu. ’ayyadahum bi-rūḥin, les deux, main droite et esprit, sont
associés mais traduits par « secours » (Q58/22) ’ayyadtuka bi-rūḥi l-qudusi tukallimu (Q5/110). Le Père aime
le Fils et a tout donné dans sa main. Donc le même vocabulaire est utilisé dans le Coran et dans saint
Jean. Et le même Saint-Esprit qui « raffermit », en arabe, serait plutôt, en consultant l'araméen, celui qui
donne la rédemption, la grâce (tau, bêt, hê, thêt – repris en Q16/102, ṯabbita).
494. Saint Ephrem. Commentaire Diatessaron. Editions du Cerf, p. 368.
monta au ciel […] l'esprit de ceux qui le crucifiaient était enténébré et ils ne savaient pas quel soleil
était cloué. »
Nous constatons que les deux textes disent une même chose, les juifs prétendent avoir tué
le Messie, mais ce n'est qu'une conséquence de leur enténèbrement de l'esprit, ce corps qu'ils
pensent avoir tué est monté au Ciel. Le mot muṣaddiqan (ṣâd, dal, qaf) signifie à la fois « confirmer,
faire acte de vérité » ou « faire charité à Allah ».495 Dans le Coran, ce sont, soit Jean-Baptiste, soit
Jésus, soit un Livre qui endossent ce rôle de « faire vérité » et « accomplir ». Ils confirment « ce que
vous aviez avant ». Soit c'est « le Livre » qui confirme « le Livre », sans autre précision ; soit c'est
« le Livre » qui confirme le groupe et son leader, lesquels obtiennent ainsi l'héritage du Livre. Le
sens biblique donné dans Isaïe 44 est proche, mais ce dernier dévolue ce rôle à Dieu. Ce terme se
rapporte au Messie.
Q35/32 : « Nous fîmes héritiers du Livre ceux de Nos Serviteurs que nous avons
choisis. »
Isaïe 44 : « Et je tourne leur science en folie. Je confirme la parole de mon serviteur,
et j'accomplis ce que prédisent mes envoyés. »

Pour le verset Q35/31, E.-M. Gallez 496 et Mondher Sfar contestent la traduction
d'Hamidullah pour le rasm mṣddq disant : « confirmant ce qui est avant lui », il faut lire : « justifié en
vertu de ce qui est entre Ses mains », « ses mains » désignant les Mains de Dieu tenant la Torah et
« justifié » se référant au Messie-Jésus. La lecture islamique suppose que le Messager parle à des
polythéistes qui auraient la Bible avec eux ; il faut lire : « Nous t’avons révélé de l’Ecrit qui est vérité,
conformément à ce qui est dans Sa possession. » Le rasm ṣād dāl qāf désigne aussi « la vérité », mot
araméen du Talmud.497 L’expression « les mains de Dieu » étant classique dans la Bible. Retenons
qu'en araméen, vérité et charité sont liées. La lecture a pu être orientée par le changement de voyelle
mṣaddaqan (authentifié), mṣaddiqan (anthentifiant). On retrouve l'importance de l'Accomplir ; accomplir
(racine šlm), c'est faire la charité à Allah. Les dépenses sur le Sentier d'Allah complètent cet effort
vers la Vérité. Au verset 32 sourate 9 (+ dialectique avec le 33), les nazaréens (selon le père E.-M.
Gallez) reprochent aux Yahûd de mettre leurs rabbins à la place du Messie-Rabbi Jésus, qui est la
seule vraie lumière qui parachève la Torah.498 Et c'est encore et toujours dans l'évangile selon saint
Matthieu que l'on trouve la critique.

Nouveau Testament Coran


« Que votre lumière brille aux yeux des « Ils veulent éteindre avec leurs bouches la
hommes… de sorte qu'ils glorifient votre Père qui lumière d'Allah, alors qu'Allah ne veut que
est aux Cieux. Je ne suis pas venu abolir la Torah parachever Sa lumière… » (Q9/32)
ou les Prophètes [… mais les] parachever. » (Mt
5,16b-17)

« Le nom Jésus vient de l'hébreu Yeshoua et signifie "sauvé". Or il est écrit, dans le Coran,
‘Issa qui se rapproche plus d’Esaü (en hébreu ‘Esaw = façonné), le frère de Jacob selon la

495. Les occurrences sont : Q2/41, 2 /91, 2/97 ; Q3/3, 3/39, 3/50 ; Q4/47 ; Q5/46, 5/48 ; Q35/31 ;
Q37/52 ; Q46/12, 46/30 ; Q61/6. Marie possède aussi une occurrence (Q5/75).
496 . E-M GALLEZ. Le Messie et son prophète. p.464.
497. « Aumône, charité, justice, bienfait » (ṣodhé, dôlat, qûp).
498. « Mais toi qui portes le nom de Juif, qui te reposes sur la Loi, qui mets ta fierté en Dieu, toi qui connais
sa volonté et qui discernes l'essentiel parce que tu es à l'école de la Loi, toi qui es convaincu d'être toi-même
guide des aveugles, lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, éducateur des insensés, maître des tout-
petits, toi qui es convaincu de posséder dans la Loi l'expression même de la connaissance et de la vérité,
bref, toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ! » (Epître aux Romains 2,17-23).
Bible. Comment expliquer cette transcription confuse de l'hébreu à l'arabe ? Les rabbins utilisaient
entre eux un nom de code pour désigner Jésus et, par extension, le christianisme : « Edom ». Or,
Edom signifie « roux » en hébreu. Et comme la Rome chrétienne était symbolisée chez les rabbins
par la couleur pourpre, et que Esaü, l'ancêtre éponyme du royaume d'Edom, voisin du royaume de
Judée, était lui-même roux, alors Jésus ‒ le fondateur du christianisme – fut affublé par les rabbins
du nom de « Esaü le rouquin ». On peut juste remarquer la présence de cette prononciation dans
l'épigraphie de Jésus et ‘Isho chez les syriaques. Le mot « compassion » est associé à ceux qui suivent
Jésus (Q57/27– rafatan) ; juste après, il est demandé de croire en Allah et son Messager pour qu'il
accorde deux parts de Miséricorde et de lumière.
Dans le Coran, il n'est dit d'aucun être, sauf de Jésus, qu'il est « la parole de Dieu » ou
« l'Esprit de Dieu », qu'il est intime du Seigneur, exalté (rafa‛ahu). On peut dire qu'Esprit, ordre, vérité
et Jésus sont étroitement liés dans le Coran. On trouve très souvent, en cotexte, qul-bi-l- ḥaqqi, une
périphrase qui suit Jésus, donc lorsque nous lisons – en Q16/102 – « c'est le Saint-Esprit qui l'a fait
descendre avec la vérité gravée » (ḥaqqi, « ce qui est gravé » en araméen), il est question de Jésus ou
de Moïse. Le terme bšr (« bonne nouvelle »), à côté de cette référence à l'abeille évoquée dans la
sourate nous orientent vers Jésus car l’abeille c’est le symbole de l'Église qui butine les Écritures.
L'Esprit Saint « raffermit la foi » des « soumis » du verset Q16/ a une saveur évangélique. On peut
facilement conclure, au vu des occurrences coraniques, que le fameux Livre donné à Jésus, et
confirmant ou confirmé, est l'Injil. Mais, du point de vue islamique comme du point de vue
chrétien, cet Injil ne peut être équivalent aux Évangiles, écrits des Apôtres.

Mais le texte coranique est muet sur cette vision pourtant fondamentale. Elle est donc
postérieure à l'écriture du Coran, dans cette période de recomposition de la doctrine. On comprend
mal comment, dans une conception de puissance absolue de Dieu, qui, « s'il l'avait voulu aurait tué le
Messie » Q5/17, ce Tout-puissant laisse les juifs empêcher l'accomplissement de Sa Parole. Dans
cette conception du kalima(t), décret effroyable qui s'abat, l'échec du Messie n'a aucun sens. La
structure quasi identique des trois extraits499 montre cette prégnance du rôle du Verbe divin, sous
forme « Livre » ou de Jésus même dans cette fonction d'accomplissement et de puissance. La racine
yad, souvent proche du nom de Jésus, exalte encore plus cette puissance. Saint Paul dit que par la
Loi nous connaissons le Messie. Le Messie met-il pour autant fin à la Loi dans la conception
paulinienne ? La Loi a-t-elle été clouée sur le bois de la Croix en même temps que son Législateur ?
Dans le Nouveau Testament, Jésus fait souvent référence au Festin messianique. Notamment après
la déclaration du centurion romain : « ils seront à table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le
Royaume des Cieux » (Matthieu 8/11). Ou encore dans la parabole du festin messianique où les
gens heureux rejettent l'invitation ; les « pauvres, estropiés, aveugles et boiteux » comprennent
immédiatement que ce qui leur est proposé est intéressant pour eux. Cette parabole messianique
prend un sens pragmatique au verset Q24/61 : « Il n'y a pas d'empêchement à l'aveugle, au boiteux,
au malade, ainsi qu'à vous-mêmes de manger dans vos maisons, ou dans les maisons de vos pères. »
Plusieurs sourates coraniques brodent sur ce thème. Le Coran utilise massivement Jésus pour
réorienter son judaïsme et abolir la Cacherout, Jésus est présenté comme Maître de la Loi (Q4/157
à Q4/160, Jésus est une figure abolissant la cacherout, modèle rejeté des Juifs, Q3:50, «je rends
licite».

499. (Q5/48) wa-’anzalnā ’ilayka l-kitāba bi-l-ḥaqqi muṣaddiqan li-mā bayna yadayhi mina l-kitābi wa-muhayminan
‛alayhi fa-ḥkum baynahum bi-mā ’anzala Llāhu wa-lā tattabi‛ ’ahwā’ahum ‛ammā ǧā’aka mina l-ḥaqqi (Q3/2) nazzala
‛alayka l-kitāba bi-l-ḥaqqi muṣaddiqan li-mā bayna yadayhi wa-’anzala t-tawrāta wa-l-’inǧīla(Q61/6) wa-’iḏ qāla ‛īsā
bnu maryama yā-banī ’isrā’īla ’innī rasūlu Llāhi ’ilaykum muṣaddiqan li-mābayna yadayya mina t-tawrāti wa-mubašširan
bi-rasūlin ya’tī min ba‛dī smuhū ’aḥmadu
Il y aussi l'énigmatique verset 103 de la sourate 5 (la sourate « La table ») qui commence par
autoriser des animaux, « les bêtes de cheptel ». Ce verset n'est pas même explicité, les commentaires
évoquent de mystérieuses bêtes camélidés autorisées. Chacun de ses mots d’animaux semble plutôt
renvoyer à des rites de communautés de Qumran. Ainsi la racine bā ḥā rā 500 désigne l’élection, la
racine wāw ṣād lām a pour équivalent waṣīlatin en araméen et désigne la « purification », la racine
sīn yā bā renvoie à la sagesse due à l’âge ancien501. Ici s’illustre ces changements de « lunettes » ; dans
une strate un ce sont des règles de purification et dans la seconde ce sont un guide des animax
autorisés. Marc Philomenko502 voit lui-aussi, ici une allusion au Festin messianique, une règle de
Qumran. Le Combat des Fils des Lumières contre les Fils des Ténèbres exclut « les estropiés, les
aveugles et les boiteux », comme le signale le verset Q48/17, mais ne leur interdit pas le repas-
communauté dans la version communauté des anṣars. Le dernier mot désigne un autel. 503 Cet
exemple du festin messianique interprété comme un discours sur les camélidés montre bien la
corruption du discours. Le repas communautaire de ces Fils de Lumière, préfiguration du festin
avec le Messie, nous donne l'occasion excellente de parler du Testament.

En utilisant la terminologie de testament, la mort du testateur est nécessaire pour que


l'héritage soit accessible. L'homme ne peut en aucun cas déclencher cet avènement du Messie.
L'obéissance à la Loi prépare et accélère la venue du Messie dans la conception rabbinique. La
littérature rabbinique évoquait bien « la loi du Messie » qui serait une nouvelle interprétation de
celle-ci. Saint Paul a une autre vision du Messie : « et proclame la bonne nouvelle en annonçant : "Le
Sauveur a tout payé." » C'est une assertion coranique : Allah a acheté ‫ﺷﺘ ََﺮٰى‬
ْ ‫ ٱ‬le Paradis par la personne
des croyants (Shin, ra, ya = « Négoce, échange »).504

500. L’élection Qumran, JLAtg, Gal, PTA, LJLA. SYAP 36:1 : ‫ אתבח⸣ר זהרה לקידוש ירחין‬la lune est choisie
pour la sanctification des mois. PJ Lev5:8 : ‫ ויקרב ית מן דאתבחר לחטאתא‬l offrira celui qui avait été choisi
pour le sacrifice pour le péché.
ܵ
525. .‫ܬ‬Eܼ^:Oܼܿ sā’ibatin, en araméen, sybtyn : La marque du viel âge : JLAtg, PTA, Syr, LJLA. TN
Gen44:31 : ‫ ויחתון עבדך ית שיביתיה דעבדך אבונן‬Qumran, JLAtg, PTA, Sam.
La communauté de Qumran accordait-elle un privilège à la vieillesse ?
502. Marc PHILONENKO, Une règle essenienne dans le Coran. Semitica 22 (1975), p. 49-52. On peut aussi
citer : « Mais, lorsque tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles… »
(Luc 14,13)
Personnes exclues de la communauté : « paralysée des pieds ou des mains, boiteuse ou aveugle… que ces
personnes-là n'entrent pas pour prendre place au milieu de la communauté. » (P. 51, Ecrits
intertestamentaires.)
503. mā ǧa‛ala Llāhu min baḥīratin wa-lā sā’ibatin wa-lā waṣīlatin wa-lā ḥāmin wa-lākinna llaḏīna kafarū yaftarūna
‛alā Llāhi l-kaḏiba wa-’akṯaruhum lā ya‛qilūna « Allah n’a pas institué la bahira, la saibatin, la waṣilatin nile hamin »
baḥīratin wa-lā sā’ibatin wa-lā waṣīlatin wa-lā ḥāmin
baḥīratin b ḥ y r w t ˀ : (bḥīrū, bḥīrūṯā) vertu élection CPA, Syr, Man, LJLA. JBABowl 48.1:5 : ‫כולכון מלאכין‬
‫ « קדישין בחירין דכין וקדישין ניצחנין‬saint, élection, pure, saint ». « Préférence. Sélection Election »
ḥmn, « chapelle, autel », Palmyrene, Nabatean.
504. Llāha štarā -tawrāti wa-l-’inǧīli wa-l-qur’ān (Rachat d'Adam dans la Torah et l'Injil). Allah a acheté des
croyants en échange du paradis. C'est une promesse authentique. Et le mot est araméen et utilisé dans la
Bible (Et tes péchés comme une nuée ; Reviens à moi, Car je t'ai racheté : Isaïe 44) Ephrem « Seigneur Jésus-
Christ, je ne possède rien, je ne suis même pas capable de Vous payer en retour ce que je Vous dois. Car
par mes péchés innombrables j'ai dissipé mon capital et ses intérêts. Je Vous en supplie donc, n'exigez pas
de moi le capital que Vous m'avez donné, mon âme, non plus que l'intérêt et le lucre qu'a pris mon corps.
Dégagez-moi du poids énorme de mes dettes. » Starā signifie « marquer son esclave au fer »
‫ והנעלובתרבצאזיליוסטרובשנתאזיליועבדועלביתאזילי‬OfAEg.
« Restauration » Syr. P 2Ch34:10 : .":+‫ ܕ‬/86FE?-‫ܘ‬/8';7-‫ܘ‬.
Ce mot arabe contient à la fois le mot hébreu d'Adam ‫יש‬et le vocable utilisé dans La Caverne
des Trésors505, traduit par « restaura Adam » – « il dévasta le Shéol, anéantit le péché, rendit Satan honteux,
renonça aux démons, supprima les sacrifices et les autels et restaura Adam ». Saint Ephrem fait dire à
Jésus : « Je suis descendu à ta recherche pour te ramener à ton héritage. » Ce terme de Rachat apparaît
dans un terme traduit par « endettés », l'hapax amugh'ramūna, qui apparait au verset 66 de la sourate
56 et dont la racine araméenne évoque « le présent nuptial ». Le dictionnaire d'arabe donne deux
sens : « dette » et « amoureux, amant ». Ce mot, au sens fortement connoté de valence chrétienne,
est proche de l'image du « descendeur » de la pluie.506
C'est une forme verbale unique pour ce terme, une forme active. Ce détournement
sémantique de l'affectif vers la puissance se constate dans l'appellation d'Allah, 38 fois il est l'azizu,
en araméen « le chéri », mais un transfert sémantique est réalisé vers la « toute-puissance » d'Allah.
« Allah infiniment Doux » apparaît à la sourate 31 ; « Je n'opprime nullement mon serviteur »
(Q50/28). La proximité charnelle de Dieu est aussi rappelée par des expressions anatomiques telles
que « plus proche que la veine jugulaire. »507 Dieu accorde son amour, raḥmānu wuddan (Q19/96).
Sa tendresse (ḥanānan), il la donne à Jean-Baptiste.

Mais qui efface le décret divin ? N’est-ce pas le rôle du Messie ?

U N M ESSIE QUI APPLIQUE LE DÉCRET


Le Coran répond très clairement à cette question. C'est la kalima qui efface ou accomplit le
décret. « Or si l'arrêt décisif n'avait pas été prononcé » (Q42/21) – le Coran, ici, nous brode à partir
de l'Évangile : « Si je n'étais pas venu vous seriez sans péché mais désormais vous êtes
condamnés… ». Toute notre étude pointe vers une kalima, identifiée à Jésus. Les versets Q2/37,
Q20/129, Q3/45, Q66/12, Q14/26, Q4/171, Q6/115, Q7/137, Q10/33 (promesse, bénédiction,
héritage) ; Q9/40 (David), Q11/110 (Moïse, décret préexistant), Q23/100 (parole pour revenir sur
terre). Ces fonctions s'orientent de façon univoque vers la kalimat, Jésus effaceur du décret. Le mot
kalimat, incarné uniquement en Jésus, résume toute la puissance de cette dialectique car ce mot
kalimat qui en dérive n'est pas synonyme de « parole » dans le Coran (melta est la racine araméenne).508
Le diatessaron arabe utilise ce terme « kalimat » pour désigner « le Verbe », or le diatessaron est
antérieur au Coran.

505. SU-MIN-RI Andreas, Caverne des Trésors, Commentaire de la Caverne des Trésors, Étude sur l'histoire du texte et
des sources. Séries : Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, 581 Corpus Scriptorum Christianorum
Orientalium, Subsidia, 103 Peter Publisher, 2000. p. 173.
506. ’innā la-muġramūna On peut penser à : « Il a effacé l'acte dont les ordonnances nous condamnaient et qui
subsistait contre nous, et il l'a détruit en le clouant à la croix. » (Colossiens 2, 14)
69
’a-’antum ’anzaltumūhu mina l-muzni ’am naḥnu l-munzilūna
508. La traduction arabe du Nouveau Testament utilise cette expression qui devait donc exister avant le
Coran car il est plus logique d’imaginer un transfert d’une expression christologique depuis le Diatesseron
vers le Coran que l’inverse. La traduction arabe du Diatessaron l'utilise pour « Verbe ». Le verset Q14/24
confirme ses références à Jésus : « Allah propose en parabole sa Parole semblable à un arbre dont la racine
est ferme et dont la ramure transperce le ciel. »
ܳ
La Peshitta utilise melṯā '$݂#!ܶ Jean 1:1 - bərīšīṯ ᵓīṯaw wā melṯā wəhū melṯā ᵓīṯaw wā ləwāṯ ᵓălāhā wălāhā
ᵓīṯaw wā hū melṯā.

Sourates Sens
Q3/39 ; 3/45 et 3/64 ; 4/171 Zacharie. Jésus.
Q6/115 ; 7/137 Verbe de Dieu accompli. Promesse à Israël. Béni et
accompli.
Q11/110 (de son Seigneur) ; 11/119 (de son Décret divin accompli Moïse, Adam. Arrêt décisif
Seigneur) ; 20/129 (de son Seigneur) ; 39/19 ; 42/21 prononcé jugement divin. Parole éternelle de génération
(de jugement)509 en génération. Parole d'Allah.
Q43/98 ; 48/26 ; 42/14
Il faut rappeler le rôle biblique – fonction admise par l'auditoire judéo-chrétien – attribué à
la Parole de Dieu, puisque Jésus est le Verbe de Dieu attendu dans sa venue. Il soutient « toute
chose par la puissance de sa parole ». Sa parole a cette puissance divine par laquelle, non seulement
il a tiré toutes choses du néant et les a bien ordonnées, mais encore il maintient leur existence et
leur ordre, et les gouverne. Sans elle, sans son action constante, elles cesseraient d'exister ; elles
tomberaient dans la confusion et le néant. Les effets de cette puissance se manifestaient quand il
était sur la terre. Il tançait le vent et disait à la mer : « Fais silence, tais-toi ! » (Marc 4, 39) Cet effet
est visible dans le Coran. Par sa parole, Jésus coranique balaie l'infâme calomnie sur Marie. Le
Jésus-coranique est associé à la puissance créatrice de la Parole d'Allah, il est la Parole divine depuis
le berceau.

509. « Or si l'arrêt décisif n'avait pas été prononcé » (Q42/21) – le Coran semble broder à partir de
l'Évangile : « Si je n'étais pas venu vous seriez sans péché mais désormais vous êtes condamnés… »
Les traducteurs bradent le spirituel pour le décorum, le Festin messianique ouvert à tous
(contrairement à la Règle des communautés de Qumran) devient une banale admonestation
familiale. Là encore, les textes bibliques sont voilés et leur portée réelle, sous un imposant voile. Le
Coran esquisse, certes, le thème du Festin messianique et cite ce repas d'Abraham avec « les trois
invités » (selon la Tradition) ; cependant, la perspective messianique est voilée, son but n'est pas de
transmettre une bénédiction pour toutes les nations. Bien au contraire, la bénédiction (attribution
de fruits) est restreinte et se limite « à ceux qui parmi ses habitants auront cru en Allah et au Jour
dernier » (Q2/126).510 La typologie judaïque du pur et de l'impur, de l'élection, reprend le dessus. Le Festin
messianique devient un tribunal impitoyable où le pardon des soixante-dix fois sept fois n'existe plus. La Justice
balaye la Miséricorde. Cette expression existe dans le Coran, mais elle est rejetée. « Et si tu demandes
pardon pour eux soixante-dix fois, Allah ne pardonnera point ».

Dans l'Ancien Testament, le Festin messianique est inauguré par Abraham juste avant la
destruction de Sodome et Gomorrhe. La connexion Festin messianique et Destruction est donc
purement biblique. Isaac est une préfiguration du Messie, puisque c'est l'attitude d'Abraham,
d'immolation généreuse – qualifiée d'énorme rançon dans le Coran – qui a permis à Dieu de
s'engager et de prêter serment en faveur « de toutes les Nations de la terre en ta postérité parce que
tu as obéi à ma voix » (Genèse 22, 15). Ce Festin des Justes des temps messianiques est corroboré
par la révélation faite par Dieu à Abraham. Isaac est donc une préfiguration du Messie-Jésus, et ce,
même dans le Coran. En effet, la sourate 3 s'attache à montrer la continuité « entre famille
d'Abraham et d'Imran, descendants les uns des autres ». La sourate 11, verset 69, envoie les trois
émissaires qui abordent Abraham avec la double salutation paradisiaque que les anges offrent aux
Élus ; le veau rôti précède immédiatement l'annonce, à Sarah, de la descendance : « Isaac, et après
Isaac, Jacob ».

L'attente messianique exacerbée par le silence de Dieu et la disparition du prophétisme, après


la chute du second Temple, sont exprimées dans le verset 19 de la sourate 5 ; il suffit juste de
« rhabiller » Jésus. Ce rhabillage n'est pas un fantasme, ni un désir, il est logique de penser que les
chrétiens de Syrie n'ont pu « avaler » d'un coup Jésus. Il faut obligatoirement un hybride pour
effectuer une transition : Jésus-le loué, le loué- ḥmd, puis une forme particip mḥmd. La théorie de
l'évolution des idées nous y oblige. Bowman511 évoque, lui, un apport massif du monophysisme via
le Diatessaron ; il se base sur une version grecque où le mot Paraclet (παρακλητος /περίκλυτος) est
source de deux termes syriaques, l'un signifiant « avocat », l'autre « le loué » (ḥmd). Un argument en
faveur de cette hypothèse est le thème des versets précédents. Il est question de la nature de Jésus,
fils de Marie, et de l'affirmation de sa mort. Donc « notre Messager » se réfère juste à celui cité au
verset 17. Tesei T. confirme cette évolution, et invite à relire le Coran à partir de cette clef des
strates rédactionnelles reliées à l'émergence d'une nouvelle communauté idéologique.512 Le passage
coranique a été formulé et été transmis à la communauté proto-islamique par des chrétiens arabes
vivant sous la juridiction byzantine au moment des premiers contacts avec les membres de la
nouvelle communauté religieuse des prédicateurs arabes.

Ce rhabillage pourrait être encore plus osé, si nous lisions, l'invocation sur « la cité » évoquée au
verset Q90/1 comme une invocation sur le Fils d'Abraham, Isaac, préfiguration du Christ : « Je te
jure par cette cité » qui peut être lu « j’invoque Le Fils ».513 Cette lecture est encouragée par la suite :

510. Là encore ce sont des termes empruntés à Isaïe : « Heureux celui qui a une postérité dans Sion et une
parenté dans Jérusalem. » (Isaïe 31)
511. BOWMAN, The Debt of islam to monophysite syrian christianity, 1967, Ed. E.C.B Mac Laurin.
512. TESEI Tommaso, The Roman will win ! A qur’anic prophecy (Q30/2) in light of 7th century (2017) Conférence
à Tel-Aviv. De Gruyter. Der Islam 2018, 95 (1) : 1-29.
513. « O gens du Livre ! Notre Messager (Muhammad) est venu pour vous éclairer après une interruption
des messagers afin que vous ne disiez pas : "Il ne nous est venu ni annonciateur ni avertisseur." Voilà, certes,
que vous est venu un annonciateur et un avertisseur. » (Q5/19).
« Par le père et ce qu'il engendre », cette cité apparait aussi au verset Q2/126 et là aussi est mieux
rendue par « fais de ce fils un fidèle » plutôt que « fais de cette ville un lieu sûr». De plus, le terme
ḥā lām lām utilisé (Q90/2) se réfère spécifiquement à la Loi et signifie rendre licite et non pas
« résider » comme cela est traduit, donc ces deux versets se réfère souvent à Jésus.
lā ’uqsimu bi-hāḏā l-baladi
2 wa-’anta ḥillun bi-hāḏā l-baladi
3 wa-wālidin wa-mā walada
Il serait plus cohérent de lire :
lā ’uqsimu bi-hāḏā l-waladi
2 wa-’anta ḥillun bi-hāḏā l-waladi
3 wa-wālidin wa-mā walada

Ces deux passages se lisent comme une invocation à Isaac préfiguration du Christ. D'autres
évocations coraniques obscures – « Par l'aube ! Par les dix nuits ! Par le pair et l'impair ! Par le soleil
et sa clarté ! Par la lune quand elle le suit » (Q90 et 91) – ont des antécédents chez Éphrem :
« Louange à toi Seigneur car les deux luminaires sont symboles criant ta crucifixion ! Jour divisé et
unifié là aussi ; il est un, il est deux ! Jour double et simple ! Les luminaires… les voilà, serviteurs
du Fils adorable : le soleil par Trois et la lune par Six ! »514 Si nos regroupements sont justes, de la
sourate 2 à 90, le thème de l'attente du « Messie, fils d'Isaac » parcourt le corpus. Il faudrait
ultérieurement explorer la nature du Messie : est-ce un Élu ou un peuple élu ? On revient encore
ici sur la définition d'Israël et sa fonction messianique, et qui est, l'Israël d'Allah.

3- PROTOCOLES DE RUPTURES DES NUPTIALITES

« Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » (Gn 1, 27).

Dans ce développement nous montrons que le Coran valorise dans une strate primitive
l’union de l’homme à son épouse par l’emploi massif du terme azwaj et la reprise toute biblique de
la Création de l’âme de l’Homme, masculin et féminin (Q4/1). Nous montrons l’influence de deux
autres strates, l’une issue d’un messianisme apocalyptique et ascétique qui valorise la mort au
combat d’Allah et confine la femme dans le rôle passif de reproductrice de ces purs combattants –
faisant de Marie, le prototype parfait – et une strate persane qui ignore le concept de l’âme originelle
et pour qui le pardès est un immense banquet empli de bustan (jardin), ibriq : (aiguière), jawhar
(pierre), ’akwābin kānat qawārīra min fiḍḍatin (Cristal d’Argent) et de huris. Le thème de la résurrection
et de la quête des choses d'en haut se retrouve dans beaucoup de sourates et d'Épîtres. L'Épître
aux Colossiens comporte les parties suivantes : la résurrection, la quête des choses d'en haut, le fait
de mourir à soi-même, la collaboration aux œuvres de Dieu. Ces thématiques sont récurrentes dans
le Coran qui imite le dessein sapiential des Écritures antérieures et en épouse la même forme. Les
topoï du « travail agricole », « des ouvriers de Dieu », « l'endurance », « la vanité mondaine » sont
autant prisés par Paul que par les sourates.515

514. Hymne Pascale, Ephrem de Nisibe. VII Crucifixion, p. 243, Cerf.


515. Q42/20 : « Quiconque aura voulu labourer (le champ) de la vie dernière, nous accroîtrons son labour.
Quiconque aura voulu labourer (le champ de) la vie immédiate n'aura nulle part dans la vie dernière. » La
translittération araméenne ḥarṯa donne « labourer », Sam, Syr. P Lv21:5 : « déchirer et se repentir ». BT Yev
109b(7) : ‫דילמאגדלהומתחרטא־בה‬
« Moi, j'ai planté, Apollos a arrosé ; mais Dieu fait croître. Nous sommes ouvriers avec Dieu. Vous êtes le
champ de Dieu, l'édifice de Dieu ». (Epître de St Paul.) – Q6/135 : « O mon peuple, œuvrez à votre place
A-LA CONQUETE DU CIEL PAR LA TERRE
Le messianisme que nous avons dépisté dans le cœur du Coran est une vision de l'Histoire
dans laquelle les actions des hommes et celles de Dieu coopèrent à un sens : la seconde Création,
La Création restaurée dans sa gloire originelle. La résurrection des corps dont parle le Coran n'est pas
un artefact détaché des concepts d'Alliance et de messianisme. Elle est liée aux actes historiques de
Dieu en relation avec l'humanité et ce, du fait même de Sa promesse. C’est la Bonne nouvelle
biblique. A l'issue de cette Histoire, l'humanité doit être restaurée et l'homme doit recouvrer son
corps, glorieux. C'est l'accomplissement de la promesse qui se manifeste dans l'apparition du corps
glorieux de Jésus aux Apôtres. Toute l'espérance de cette restauration est fondée sur cette promesse :
Dieu a parlé et a promis à Abraham une descendance. Le Coran rappelle cet enjeu fondamental
biblique et le résume dans le mot : kalimat-Verbe : « Le Seigneur éprouva Abraham » – bi-kalimatin,
or la « Parole éternelle de Dieu », kalimatin minhu a un nom : « Jésus » (Q3/45, Q3/64, Q4/171,
Q3/39, Q6/115)516 – et ce Verbe accomplit (atamma [hunna] racine, tā mīm mīm) ; Allah répond :
« mon engagement… (Alliance) ».

Mais alors que le verset Q4/1517 reprend cette vision biblique de la Création et de son sens,
le retour à l’unité, la polygamie instaurée dans le verset Q24/1 et le harem avec les huris de l’Éden
font imploser l’unité de l’homme avec Dieu (nafsin wāḥidatin), de l’Adam masculin et féminin, âme
une, et originelle.

La Bible nous rappelle que toute l'Histoire participe à l'éternité de Dieu et devient sainte.
Pour saint Paul, le corps est le temple de l'Esprit Saint. La résurrection participe donc au schéma
global de restauration, et la transformation du corps va dans un sens angélique. La mort ayant été
abolie, les corps ressuscités n'ont plus besoin de se reproduire, ni donc de s'accoupler. Le paradis
coranique, en sa strate finale, est lui un paradis hyper-matérialiste figé dans une nostalgie de la chair
déchue où l’âme originelle n’est pas unifiée et se défoule dans une multitude de créatures qui ne
sont pas issues de son côté. Il est impossible que les auditeurs chrétiens ou juifs soient entrés dans
cette vision. Il est impossible que la strate première l'ait acceptée. Ainsi on peut dire que le Coran
dans plusieurs sourates dérape de ses rails judéo-chrétiens sur ces corrélations fondamentales entre
Résurrection, Messianisme et Rédemption.

Rappelons que Coran n’a de cesse de signaler les deux œuvres d'Allah, la Création et la
Résurrection des corps mais La Rédemption est gommée littéralement par l’effacement des modes bibliques de
Salut par le Messie et de l’intercession. Allah n'a pas à racheter l'homme, c'est l'homme qui paye sa dette,
seul, avec une lourde prédestination. Suite à l’effacement de l’intercession, la seule garantie du Salut

tout comme j'œuvre. » – « A chacun Dieu a donné son ministère… chacun recevra sa propre récompense
selon son travail, nous sommes les ouvriers de Dieu. »(Corinthiens 3, 1-23) – « Dieu n'est-il pas suffisant
pour ses esclaves, il leur paie leur salaire. » (Q10/72 et Q26/109) – « Qu'est la jouissance de la vie immédiate
au prix de la vie dernière, sinon peu de chose ? Pour vous les hommes, ont été parés (de fausses apparences)
de l'amour des voluptés tirées des femmes, des "qintâr" » thésaurisés d'or et d'argent. C'est la jouissance
immédiate, alors qu'auprès d'Allah est le beau lieu de retour. » (Q3/14) – « Car la création a été soumise à
la vanité, non de son gré, mais à cause de celui qui l'y a soumise. » (Romains 8, 20) – « Tuez-vous vous-
mêmes. » (Q2/51) Cela signifie que l'idolâtrie conduit à la mort de l'âme.
516. Le verset 115 sur la parole accomplie et éternelle répond au verset 110 qui explique le rejet de celle-ci
« parce qu'ils n'ont pas cru la première fois, nous détournerons leurs cœurs et leurs yeux ; nous les laisserons
marcher aveuglement dans leur rébellion. » Selon saint Paul et son Epître aux Romains, « des juifs ont cru
mais d'autres ont été rendus incapables de comprendre, conformément à ce qui est écrit : Dieu a frappé
leur esprit de torpeur, leurs yeux de cécité et leurs oreilles de surdité, et il en est ainsi jusqu'à ce jour » (v. 7,
8, adaptant Deutéronome 29,4 et Isaïe 29, 9-10). La minorité a accepté l'Évangile ; les autres l'ont refusé
parce que Dieu les a abandonnés à leurs penchants.
517 . Q4/1 : yā-’ayyuhā n-nāsu ttaqū rabbakumu llaḏī ḫalaqakum min nafsin wāḥidatin wa-ḫalaqa minhā zawǧahā 1.
Ô hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être, et a créé de celui-ci son épouse.
est le sacrifice de ses biens, corps compris, au combat. Il faut sacrifier ce qui est « cher », voire sa
vie (Q9/111), c’est l’auto-rédemption.

Des témoignages contemporains relatés dans La Doctrina Jacobi évoquent cette prérogative
de Muḥammad de posséder « les clefs du Paradis » ; au vu des faits historiques de la montée de la
troupe arabe sur Jérusalem, on peut supputer que tous les signes messianiques devaient être là. Les
Clefs de la Jérusalem terrestre (lieu caché de l’Éden) étaient à saisir depuis l’effondrement des deux
Empires. Le temps de la guerre sainte et nécessaire pour faire advenir Le Messie était consommé.
Édouard-Marie Gallez,518 évoque Le Deuxième livre de Baruch ou Livre syriaque de Baruch, un apocryphe
datant des années 80 après Jésus-Christ. Tout en prônant l'observation scrupuleuse de la Loi dans
le présent, ce texte annonce dans l'avenir un monde nouveau et bien concret, une bonne nouvelle qui
viendra sur la terre après les douze époques de cette vallée de larmes. Alors, le Messie, comparé à
une vigne et aussi à une source d'eau vive, règnera sur le monde entier, et Jérusalem (avec son
Temple) sera rebâtie. Ce n'est qu'au terme du règne messianique qu'aura lieu la résurrection des
corps : « C'est pour toute la terre que cela arrivera… Dès que sera accompli ce qui doit arriver dans
ces parties (du temps), le Messie commencera de se révéler.

Motif des raisins au Dôme du rocher

Cependant, dans la vision messianiste précitée, issue du judéo-christianisme, le Paradis est


un lieu où toute relation charnelle devient superflue puisque l’âme unifiée des origines sera comme
l’Ange nos disent les aphorismes de Jésus.519 Déjà Le Coran en refusant à la fois l'Incarnation du
christianisme et son corollaire d’habitation hébraïque – « le Verbe s'est fait chair » a fait échouer la
divinisation de la chair qui ne peut plus se faire Verbe. La traduction « Et la parole a été faite chair,
et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité520 » ne montre pas que la Parole « fait son
paradis – gen – d’être unie à nous la chair – besrā ». Une meilleure traduction serait : « Les délices du
Verbe de Dieu est de s’unir sous le dais nuptial avec l’homme. »

Ainsi la chair coranique sans la rédemption reste chair même au ciel et s’y livre aux mêmes
activités. Ici le messianisme proto-islamique se vide de la vision béatifique et n'envisage plus une
restauration de la terre par le ciel : c'est la terre qui conquiert et envahit le ciel. Jérusalem se vide de
son ciel. Ce nouveau messianisme s'écarte des vues classiques, au point qu'il révoque les
prérogatives du Messie et confie ces dernières à ceux qui préparent militairement le sabil Allah. La
Jérusalem n'est plus spiritualisée, elle n’est plus que terrestre et à conquérir par les armes. Bruno

518. E.M Gallez, Ibid., p. Tome 1. p. 213.


519. « A la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes de maris, mais ils seront
comme les anges de Dieu dans le ciel. » (Matthieu 22 / 30).
520 wəmelṯā besrā həwā waggen ban waḥzayn šūḇḥēh šūḇḥā ᵓayḵ dīḥīḏāyā dəmen ᵓaḇā damle ṭaybūṯā wəqūštā .
Eymard traduit le verset Q4/91521 par : « ne prennent la route de la Salem ». Les noces de l’âme
avec l'Époux céleste sont évoquées par le Cantique des Cantiques ; les noces de l’Éden coranique
se réduisent pour les combattants aux sentiers d'Allah au contact avec des ḥūri, vierges (de 33 ans).
Ce mot a un lien étroit avec la pureté et la virginité. La seconde allusion à la virginité de la femme
concerne Marie, la mère du Messie. Il y a donc un lien étroit entre le messianisme et la virginité.
Marie coranique est la vierge absolue – sa virginité est rappelée de façon ostentatoire – et c’est elle
qui enfante le Messie. De même les Apôtres, « les secours d'Allah et de Jésus » seront placés au-
dessus de tous (Q4/159) et sont nommés ḥawâriyyuna (« Blancheurs » en éthiopien), à partir cette
racine ‫ُﺣﻮر‬. Ils (les Apôtres) « triomphèrent » (Q61/14). Les futurs combattants d'Allah, à leur suite
triompheront et seront récompensés par des pures, des vierges éternelles. La femme en Islam offre
son corps pour cette conception de vaillants « secours d’Allah ».

Le Coran a donc un dilemme corporel ; s'il reconnaît la beauté des corps522, c'est pour
immédiatement annoncer des calamités. Aucune joie n'y est décrite, le « réjouissez-vous » biblique
s'estompe, sauf pour Marie. Aucun corps n’est décrit, ni celui des vierges ni celui le corps d'aucune
femme. Celui des vierges est juste suggéré par la démultiplication des commentaires qui, de deux
morphèmes « whr », aboutissent à des descriptions dithyrambiques « des vierges aux grands yeux
chastes et beaux ». Les héritiers du Paradis « sont ceux qui s'acquittent de la zakât, ṣalat » (vision
classique) et « préservent leurs sexes… de tout rapport sauf d'avec leurs épouses et esclaves »
(Q23/6 et Q70/29). Là encore, l’élan monastique d’une strate biblique, est effacé sous un appel à
la débauche destiné à pousser au combat. Or le rasm « d'anges » s'identifie avec celui « d'esclaves ».
On peut penser que la lecture initiale ne concernait pas un ḥarem. Cette lecture nous éloigne
considérablement de la glorification du corps dans la Bible. La circoncision, marque physique et
signe de l'amour d'Alliance de Dieu, disparaît ; sa lecture a changé de sens pour les musulmans. La
chasteté est exaltée dans le premier élan de la phrase, puis semble modérée par les interpolations
ultérieures. Elle devient un rite pesant puisque déconnecté de l'Alliance. Cette dissociation est
incompatible avec la rédemption du corps.

A chaque fois que des descendants d'Abraham vivaient dans l'union la réalité du don de
leur personne dans le mariage, la circoncision leur rappelait la promesse divine d'un amour fécond.
L'Église voyait dans ce signe corporel de l'Ancienne Alliance la préfiguration de la Nouvelle
Alliance (don total, sincère, fidèle et fécond du corps du Christ). Dans le Christ mis à nu et par son
corps donné pour nous, l'Alliance promise à Abraham est accomplie ; la fécondité promise par le
signe de la circoncision est accomplie dans le sacrifice parfait eucharistique : « Femme, voici ton
fils » (Jn 19,26). Le corps est le témoin du don fondamental qu'est la Création, et ainsi le témoin
de l'Amour qui en est à l'origine. L'Incarnation est indissociable de la Rédemption puisque cette
dernière n’a été accomplie que par et lors de la venue du Verbe dans la Chair. Le corps de Jésus
par la présence du verbe est incorruptible. Saint Athanase523 résume avec une force et une insistance
extraordinaires toute l'œuvre du Salut dans le mystère du Verbe qui se fait chair pour ramener toute
chair au Verbe : « Dorénavant, la chair n'est plus chose terrestre, elle est faite Verbe à cause du
Verbe de Dieu qui pour nous est devenu chair. » Elle peut dire alors : « Oui, je suis faite de terre et
mortelle par nature ; mais je suis devenue la chair du Verbe : il a porté mes épreuves, bien qu'il fût
impassible, et moi j'en ai été affranchie. » A la manière, en effet, « dont le Seigneur, ayant revêtu un
corps, est devenu homme, ainsi, nous, les hommes, nous sommes divinisés dans le Verbe, ayant
été assumés à travers sa chair, et nous sommes désormais devenus héritiers de la vie éternelle ».

521. Volume 3, p. 106. Le Coran, traduction et commentaire systématique, Tome III - Frère Bruno Bonnet-Eymard
522. « Il vous a donné votre forme et quelle belle forme ! »
523. SAINT ATHANASE D'ALEXANDRIE. Traité sur l'Incarnation du Verbe (20-21 : La Rédemption),
Trad. et notes de P. Th. Camelot o.p., SC n°18, Le Cerf, 1946.
Cette nécessaire intervention de Dieu sur le corps terrestre est tangible dans le Coran notamment
dans le revêtement après le péché d'Adam et Eve, revêtement effectué par Allah.

La masculinité et la féminité sont les signes originels du don créatif divin. La différenciation
biblique du corps comporte trois grandes dimensions : tout d'abord, la complémentarité dans la
différence ; puis l'altérité, la communion sources de fécondité. Or le Coran parle sans cesse de ce
couple fondamental, pourtant d'importantes interpolations et lectures idéologiques essaient de
modifier ce statut et notamment celles qui touchent les « demeures » de l'au-delà. Les sourates
témoignent de cette union originelle entre amour et corps, entre femme et homme (Q6/143,
Q11/40, Q35/11, Q39/6, Q42/11, Q51/49, Q53/45, Q75/39, Q78/8). « Nous vous avons créés
par couple. » « Il vous a créés d’une personne unique et Il a tiré d’elle son épouse. » L’homme et
sa femme constitue d’après ce verset, une âme et essence unique puisque le terme nafsin waḥidatin est
utilisé aussi pour définir Dieu. Le mot azwaj (« couple ») utilisé désignerait le groupe des ḥūri, ceci
est incorrect puisqu'il désigne un groupe et donc n'implique plus une dualité. Il existe un terme
pour « accoupler », naqah, qui n'est pas utilisé.

Cependant le verset 70 de la sourate 43 indique que l’homme retrouvera dans la joie son
épouse au Paradis et ils seront « ré-assemblés » (ḥā bā rā) ce qui suppose une réunification après la
division des origines.

Ainsi, l'hypothèse de Luxenberg, de lire le paradis coranique comme une promesse de lieu
de béatitude éternelle – installés entre les raisins plutôt qu’en compagnie des demoiselles –, est
intéressante ; elle propose une continuité avec le judéo-christianisme et résout cette rupture brutale
et si peu développée.

Un premier argument en faveur de ses vues vient des sources islamiques elles-mêmes, ainsi
tous les Hadiths envisagent un paradis empli de raisins524 ; le Dôme du Rocher, lieu eschatologique
expose le motif de ses raisins.

Un autre argument en faveur de cette continuité doctrinale se lit dans le script actuel du
Coran lui-même : le pèlerinage islamique débute avec l'annonce de l'apocalypse et de fin de la chair.
Toute femelle enceinte avortera (Q22/2). Les descriptions du pèlerinage semblent elles-mêmes
enchâssées dans cette primo-espérance eschatologique lié au Retour du Messie et à cette fin de la
chair. Il suffit de relier les Hadiths déjà cités et la sourate 22. La « bonne nouvelle » concerne la
naissance, désignée par la racine bsr, l'avortement évoqué par le verset précité, symbolise la Fin des
Temps : « Les femmes qui allaitent oublieront de le faire et les femmes enceintes avorteront. » Ainsi
cette prophétie (Q22/2) annonce bien le temps de la fin de la chair. Ainsi la fin de la reproduction,
elle aussi, est écartelée entre deux strates. Elle n'aura plus de raison d'être à la Fin des Temps.525 La
résurrection liée à la fin de la reproduction (« avorteront ») sont les thèmes de la sourate 22 et ils
débouchent sur une immolation, un sacrifice nécessaire. Nous pensons donc que des bribes de
discours bibliques sont relus à l’aune d’un discours perse ignorant ces corrélations fondamentales entre
Résurrection, Messianisme et Rédemption.

524. Hadith Malik : Book 12 : Hadith 12.1.2, Bukhari : Book 7 : Volume 62 : Hadith 125 « Messager d'Allah,
nous t'avons vu chercher quelque chose pendant que tu étais debout ici et alors nous t'avons vu se retirer. "
Il a dit : "J'ai vu le Jardin et j'ai tendu la main vers une grappe de raisin, et si je l'avais pris, vous auriez pu en
manger pendant aussi longtemps que ce monde a duré. Alors j'ai vu le Feu – et je n'ai jamais rien vu de plus
hideux que ce que j'ai vu aujourd'hui – et j'ai vu que la plupart de ses gens étaient des femmes" ».
525. Selon Rav, dans le monde à venir, on ne mange, ni ne boit, ni se reproduit (Berakhot 17 a). Le paradis
coranique lui n’évoque pas les raisins, seuls les jardins terrestres coraniques évoquent ce motif.
B- ALLAH REPUDIE SA CREATURE
Bibliquement, l'alliance va jusqu'au mariage. Osée est d'abord un homme dont le mariage tourne
au désastre – qu'il épouse une femme qui se détourne de lui pour multiplier les adultères, se
prostituer, ou qu'il épouse, sur ordre de Dieu, une prostituée ; mais c'est au cœur de cette expérience
désastreuse que va surgir une parole prophétique. Le mariage est blessé, rompu. Il devient une
image de la relation d'Israël à Dieu, de l'Alliance bafouée et rompue. Osée est le prophète de l'alliance
trompée. C'est le premier à développer l'alliance sur le modèle de la relation d'amour. Dieu n'est pas
simplement un père pour Israël, père exigeant, mais qui apprend à marcher, à être libre. Il est aussi
un époux qui aime et se donne, et attend en retour un même engagement de tout l'être. Pourtant
Dieu, à travers Osée, ne va pas se résigner à la sanction : « Je vais prendre ta main et t'emmener
avec moi. Je vais t'emmener là où tu as connu ton amour d'origine. Je vais t'emmener au désert et
je parlerai à ton cœur. Je vais refaire ton cœur par mes propres paroles et je conclurai avec toi une
alliance nouvelle. » Israël s'est perverti, non plus au désert, mais dans la terre promise et possédée.
Israël a trouvé que la terre était bonne, s'est installé. Oublieux de Dieu, il n'a pas regardé vers le
ciel, mais a gardé les yeux au sol et les a détournés vers des constructions de ses mains. Ces noces
de l'âme avec Dieu, d'Israël et Yawhé, se déploient à travers de multiples refus et péripéties ; depuis
son expulsion du Paradis, Dieu s'enquiert de sauver l'homme. De son divin doigt, il grave les tables
de la Loi sur la pierre comme il avait demandé que soit inscrite son Alliance dans la chair par la
circoncision.

Dieu veut donc épouser Sa Création. La Bible utilise nombre de métaphores pour décrire la
relation de Dieu avec l'humanité : le Père et ses enfants, le Maître et ses serviteurs, le berger et son troupeau, le
vigneron et la vigne. L'une d'entre elles trouve toutefois une résonnance particulière : celle de la relation
amoureuse, du Fiancé et de la Fiancée, celle de l'Époux et de l'Épouse. Les Écritures tout entières racontent
en effet l'histoire d'un mariage : elle s'ouvre sur la création de l'homme et de la femme et sur leur
appel à être « une chair ». Dans l'Ancien Testament, les prophètes parlent de l'amour de Dieu
comme celui du mari pour sa femme. Le Cantique des Cantiques, poème situé exactement au milieu
de la Bible, a donné à de nombreux mystiques les mots pour décrire leur relation au Christ. Le
Christ incarne réellement dans les Évangiles l'amour divin, devenant une chair avec l'humanité et
donnant son corps. Le mot raḥīm (« Amour »), dans la Peshitta, est réinvesti de façon déviée dans le
Coran. Enfin, la Bible s'achève sur la vision des noces de l'Agneau (Ap 19, 7. 9). Observons que
les premiers mots prononcés dans la Bible sont ceux d'Adam s'émerveillant à la vue de sa fiancée nue :
« Cette fois-ci, la voilà ! » (Gn 2, 23). Les derniers mots sont ceux de la Fiancée désirant le don de
son Fiancé : « L'Esprit et l'Épouse disent : "Viens !" [...] Viens Seigneur Jésus ! » (Ap 22,17-20). Les
musulmans attendent eux aussi ce Retour.

Tout cela est dit dans la Lettre aux Éphésiens. Dans le « grand mystère » du Christ et de
l'Église se trouve introduite l'éternelle « unité des deux », constituée dès le « commencement » entre
l'homme et la femme. Le Christ, en instituant l'Eucharistie, voulait de cette façon exprimer la
relation entre l'homme et la femme, voulue par Dieu tant dans le mystère de la Création que dans
celui de la Rédemption. Cette alliance est aussi signifiée dans la chair par la circoncision. Ces deux
thèmes de l'Alliance et de la chair exaltée sont renvoyés au séjour des délices des valeureux
combattants. Le signe corporel de l'Alliance – institué par : « Vous vous circoncirez ; et ce sera un
signe d'alliance entre moi et vous. On devra circoncire celui qui est né dans la maison et celui qui
est acquis à prix d'argent ; et mon alliance sera dans votre chair une alliance perpétuelle »526 –, n'est
pas repris. Le Coran ne parle aucunement de circoncision. Pourtant, la légende islamique prend le
pas et présente une circoncision miraculeuse par des anges de l'envoyé.527 Cet ajout des traditions
montre le caractère inachevé du corpus coranique, quant à son traitement de ce thème de la chair,

526. Genèse 17/10.


527. MUSLIM (413 [162]), Tome 1, p. 176.
et la réactualisation progressive du corpus et des réattributions fluctuant sur les héros. Les
développements sur les vierges du paradis semblent bien des affabulations tardives ou des
concessions persanes.528 Il faut signaler que la variabilité et l’évolution progressive des textes est
une pratique courante durant toute l'Antiquité, les textes rabbiniques sont sans cesse relus et
développés.

L'Éternel, sans cesse, appelle du fond de ses entrailles pour qu'Israël entre dans sa Loi. De
nombreuses promesses et infidélités émaillent ce dialogue d'amour. L'islam fait d'Agar – la
répudiée, l'esclave bannie par Abraham – le bras droit de son droit, et fait du fils de la bannie
l'héritier de la promesse, en contradiction absolue avec la Bible. Mais ces annonces restent en
pointillé et se perdent dans les mirages du désert de Pharan qui est délocalisé, au fil du temps, vers
le Hedjaz.
L'exode (hijra), que célèbre le rituel islamique, ressemble à cette quête de la Loi par Agar
dans le désert d'Arabie. Est-ce une quête d'eau puisée à la source de la Bible ou une simple reprise
rhétorique et rabbinique de saint Paul ? 529 Au demeurant, ces allégories de l'héritage sont
reprises mais sont inconciliables avec le statut d'esclave. Comment Abraham aurait-il pu concilier
d’ailleurs cette rupture de sa chair puisque dans la vision islamique, il se partage entre deux épouses,
deux sites. En conclusion, cet exode d'Agar et son étrange quête de la Loi ne peuvent libérer, car
il entretient une dynamique de l'esclavage, selon saint Paul. Ils ne sont que simulacre de l’Alliance.
D’ailleurs, comment le fils de la répudiée dans la Bible et de la non-nommée dans le Coran pourrait
« porter » la Loi et l'Alliance libératrice ?

C- RUPTURE DE L’ÂME ORIGINELLE : UNE CHAIR PERSANE


Les ḥūri viennent-elles rompre cette harmonie divine du couple, témoin de la bonne
nouvelle de la Création, témoin de l'amour de Dieu ? Comment le Paradis pourrait être recouvré,
si Ève, sortie unique du sein d’Adam, se retrouve à partager ce dernier ? Les vierges sont-elles des
promesses de jouissances charnelles ou dévoilent-elles des typologies de délices spirituelles, déjà
suggérées dans le Cantiques des Cantiques ? Ne sont-elles pas les « vierges cloîtrées sous de lourds
voiles », consacrées à un ordre monastique (Q55/72) ? Cette réinterprétation du rasm demandera
une analyse sérieuse. Les « houris » (ḥūri) sont-elles un artefact califal perse et irréel, destiné à
détourner le regard de l'essentiel, le rasm ‫ﺣﻮر‬
ُ est-il vraiment là se demande Luxenberg ? Désigne-
t-il, dans sa strate initiale, la même promesse ? Gilles Courtieu530 démontre l’apport persan aux
descriptions coraniques du Paradis.

Faisons ici quelques remarques formelles. Le Codex Weztstein II (1913), daté de 662 à 775,
nous a intéressés par sa datation et son caractère assez complet (85%). Le mot ḥūri y a de nombreux

528. L'organisation du harem des rois de Perse. Sa surveillance et sa police intérieure étaient confiées à des
eunuques, connus à la cour des rois mèdes bien avant l'origine de la monarchie perse, et rendus nécessaires
par l'usage de la polygamie. Ces eunuques et les femmes qui entouraient le roi obtenaient facilement une
influence qui, sous un prince faible, dégénérait souvent en une espèce de tutelle, et leur livrait les rênes du
gouvernement. L'intérieur de ces gynécées est dépeint très fidèlement dans l'histoire d'Esther, et Hérodote
nous initie dans les mystères de ces harems par le récit d'une intrigue de cour du temps de Xerxès. Le harem
était divisé en deux appartements ou corps de logis : les femmes ne passaient du second, habité par les
dernières arrivées, dans le premier, qu'après avoir été admises à partager la couche du roi. L'étiquette à la
cour de Perse exigeait qu'une beauté nouvellement arrivée se servît pendant un an de parfums, pour être
reconnue digne des embrassements du despote. Le nombre des concubines devait être assez grand pour lui
offrir tous les jours une nouvelle victime.
529. Saint Paul est bien connu des savants de l'islam : les témoignages d'érudits musulmans, tels Al Tabari,
Ibn Ishaq, Al Thalabi, Al-Qurtubi, soutiennent que saint Paul est un envoyé de Dieu.
530. COURTIEU Gilles, L’énigme du cristal d’argent. p.131. INARAH 10.
ou quasi homographes ‫ خ و ر‬, ‫ج و ز‬, ‫ﺣَﺰن‬ َ . Ce codex présente des variantes de ductus avec le
codex normalisé, de nombreuses ratures, des réécritures impressionnantes sur les sourates
mecquoises rendant la calligraphie incertaine et enfin des collages papier. Les ḥūri du verset Q55/72
sont dites maqṣûr, de l'araméen signifiant « forteresses ».

Elles sont dites « cloîtrées (qṣr) dans les tentes (ḥiyam –"tabernacle" en éthiopien) ». Ce mot
désigne la tenture du tabernacle sacré531. Ces réorientations sémantiques étrangères à la logique
judéo-chrétienne concernent souvent des points clefs du nouveau dogme. Déjà, aux juifs qui
s'inquiétaient de mariage dans l'Eden, Jésus avait répondu par la rupture de l'ordre divin induit par
le divorce. L'Eglise est l'écho de cet ordre et Corps mystique du Christ. Elle est le signe de l'Alliance
de l'homme avec Dieu dans le Christ, le sacrement universel du salut, en liaison avec le « grand
mystère » de la Création de l'homme, homme et femme, et avec la vocation des deux à l'amour
conjugal, à la paternité et à la maternité. « Une seule chair » (cf. Gn 2, 24 ; Ep 5, 31-32), c'est-à-dire
dans la réalité du mariage et de la famille. Pourtant, ces analyses qui montrent l'effacement du
Mystère de l'ordre de la Création doivent être modulées par la philologie.

Comment expliquer leur apparition ? Des lettres sont souvent douteuses quant à
l'affectation de leur valeur réelle.532 Les rasm sont, au vu de l'indifférenciation totale entre plusieurs
consonnes et de la variabilité extrême de calligraphie, de l'absence de vocalisation et de l'intensité
du polysémantisme des mots, totalement flous et susceptibles de faire l'objet de traductions
contradictoires533.

Cet aparté nous permet de comprendre l'origine de ces « houris » qui détruisent l'ordre de
la Création par couple, l'ordre du corps humain. Elles existent avec la valeur de « demoiselles » mais
en persan. Dans le zoroastrisme, les héros été récompensés dans l'après vie par de belles demoiselles.
L'âme est conduite par sa daena (la conscience représentée sous les traits d'une jeune fille) vers le
pont chinvat,534 celui du jugement. L’expression l-ṣirāṭa désigne selon le dictionnaire le « pont plus
fin qu’un cheveu et plus tranchant qu’une épée au-dessus de l’Enfer. » Là, les actions, les pensées
et les paroles sont pesées. Si le bien l'emporte sur le mal, la conscience de l'homme le conduit au
ciel. Si le mal l'emporte, elle le conduit dans un enfer, la Maison du Mensonge. Le thème de la
balance et du pont ainsi que la pression des mots « vérité » et « mensonge » sont partagés avec notre
corpus. La rupture herméneutique est si forte avec le judéo-christianisme que nous considérons
une forte suspicion de réorientation sémantique d'origine persane, puisque le mot y a cette valeur.

Ainsi le mot bušâra, employé dans la bouche des anges pour aborder Marie, sonde l'intensité
du Mystère messianique et rétablit ces liens entre corps, Alliance, Cité-Maison de Dieu et Messie.
L'emploi, en Q24/1, de l'expression « descente de sourate » – qui pourrait être traduit par «

531. JEFFERY Arthur, The Foreign Vocabulary of the Qur’ān, Baroda, 1938. p.127.
532. Le kāf, déjà indifférencié d'avec le dal et donc le dal, des lettres peuvent en outre subir des interversions :
le kāf et ṭha.
533. Cette préoccupation pour les fruits se trouve aussi avec l'hapax abbâ (Q80/32) signifiant « fruits mûrs »
en araméen. D'après Lüling, la strate supérieure de la main des scribes chargés d'inventer l'islam (sourates 56,
96 et 80) exhibe un retour des typologies de la fertilité, bannies du christianisme trinitaire. La racine est ʿayn
yā nūn, elle est traduite par « yeux » mais peut signifier « printemps ». De nombreux sens existe pour ce mot
‘ayn : 21 fois « œil » 11 fois « source d’eau », 15 fois avec un sens figuré, quatre fois le mot ‘yn au pluriel Q37/
48; Q44/ 54; Q52/ 20; Q55/ 22, trois fois comme adjectif avec le mot ḥūr, dont deux fois précédé par le
verbe zawwaǧnāhum, « Nous leur avons donné pour épouses des « houris » aux grands yeux » qui signifierait
« [des « houris » aux] yeux, grands et beaux » Une fois ‘ynun est combiné avec qāṣirāt ṭṭarf ; or cette expression :
qāṣirāt ṭṭarf est aussi mentionnée avec atrābun . En mettant en parallèle les deux expressions, le Père Skandar
suppose que les deux mots ‘ynun, atrābun pourraient être synonymes.
534. MOLE. Daēnā, le pont Cinvat et l'initiation dans le Mazdéisme. Revue de l'histoire des religions Année
1960 157-2 pp. 155-185.
révélation de la bonne nouvelle » – renforce ces liens. Au commencement de la création biblique,
la bonne nouvelle de tout l'Univers est le corps humain, qui va achever toute l'œuvre créatrice du
Dieu tout-puissant.

A propos de cette rupture de l’harmonie biblique de la chair, Olivier Hanne535 souligne


l’interpolation à la sourate 23 des versets 11 à 15 qui détruisent la cohérence globale du texte, il
nous dit : « il paraît évident que le texte fut révisé, jusqu’à intégrer des passages postérieurs au milieu
de séquences déjà cohérentes, avec leur propre rythmique et leur propre sens, d’où certains
assemblages hétéroclites. Le groupe de versets 10-13/15-16 constituait une séquence primordiale,
avec sa propre thématique, une scansion rapide et des rimes cohérentes deux à deux (10-11 ; 12-
13; 15-16). Mais on y inséra par la suite le verset 14, différent par le ton et la longueur, que l’on
chercha – sans y parvenir – à faire rimer avec les versets 12 et 13. Le codex coranique aurait donc
trouvé sa cohérence plus tardivement que ne laisse supposer la vulgate. » La collecte des sourates,
leur contenu et leur mise en forme ne peuvent dater d’avant le début du VIIIe siècle, voire, pour les
modalités de sa récitation, d’avant le Xe siècle ».

D-L'ABD ALLAH : LE CONTRACTUEL


Le serviteur ignore tout de son Maître. L'agnosticisme coranique est une conséquence de
ce modèle relationnel ; on ne sait rien sur Dieu. L'effacement de la Trinité se faisant au fil des
réécritures, le savoir sur Dieu s'étiole. L'énorme gain commercial, le câble536 et l'image de l'esclave
sont très présents dans le Coran. Ce mot de habl avait pourtant, dans les langues ASA537, le sens
d'Alliance. La servitude du joug est prégnante, car il existe une typologie très négative et
oppressante du mot mīṯāq, pacte tribal sans gage d'amour. L'image concrète véhiculée par la racine
wthq est celle du lien et de la corde à l'aide desquels on attache une personne ou un animal (Ibn
Manẓûr, Lisân al-'arab rac. wthq).538 Le Coran parle aussi de « câble » (habl) : « Et cramponnez-vous
tous ensemble au Habl (câble) d'Allah et ne soyez pas divisés ; et rappelez-vous le bienfait d'Allah
sur vous. »

Le mot diaṯiqqi, en araméen, signifie « Alliance » ; les dictionnaires arabes anciens


s'accordent sur le fait que le nom verbal thiqa est utilisé sous une forme invariable épicène afin de
qualifier une personne digne de confiance, respectant un engagement ou un pacte d'allégeance
(mîthâq). Selon Imbert 539 , « dire Allâh thiqa revient à exprimer symboliquement un lien entre
l'homme et la divinité, semblable aux liens unissant les contractants d'une alliance. Le terme français
"confiance" rend confusément cette idée et sans doute faudrait-il lui préférer celui d'allié,
étymologiquement celui avec lequel on se lie sur la base de la confiance.

Quelques données statistiques des épigraphistes, à l'échelle du site de Badâ, dans le nord-
ouest de l'Arabie Saoudite, permettent de mieux appréhender cette question. Le site a livré 210
graffiti (Kilâbî, 1995) parmi lesquels la racine wthq apparaît 73 fois (35%) sous sa forme de nom

535. HANNE Olivier. Le Coran à l’épreuve de la critique historico-philologique. Ecueils de l’hypercritique, impasses de la
littéralité. L’hypercritique et le littéralisme dans la démarche historienne, Madalina Vartejanu-Joubert, Mar
2012, La Roche sur Yon, France.
536. Al-QURṬUBI Al-Jami’li-aḥkâm al-Qur’ân, ed. Hisham Samîr al-Bukhâri, Ryad Dâr ‘Alam al kutub, 2003,
p. 174, donne le sens d'Alliance à cette racine ḥabl (Q3/103) et (Q3/112).
537. Selon Hani Hayaneh, The usage of Ancient South Arabian (ASA) and other Arabian languages as an
etymological source for Qur’ânic vocabulary, p. 117.
538. Deux racines « le Câble », l'une traduite par « le garrot d'Allah », l'autre par « enchaîner au cou ».
(Q47:4:11) l-wathāqa (89/26:3) wathāqahu. Certains philologes lui donnent le sens d'Alliance.
539. IMBERT Frédéric, L'Islam des pierres : l'expression de la foi dans les grafiti arabes des premiers siècles,
REMM 129, 2014, p. 65.
(thiqa) ou de verbe (yathiq) mais jamais en présence de la basmala.540 La basmala puise probablement
dans des formules liturgiques nestoriennes et sont proches d'eulogies mazdéennes » ; « La formule
introductive "bismi Llâh [al-Raḥmân al-Raḥîm]" est totalement absente de ce corpus de Badâ, ce qui
nous porte à croire que la basmala et les formules contenant (thiqa) ou (yathiq) n'appartiennent pas à
la même phase de développement formulaire. La basmala va contaminer l'ensemble des textes
épigraphiques vers 70 pour devenir une formulation liminaire quasiment obligatoire ; son absence
systématique à Badâ permet d'avancer l'hypothèse selon laquelle les formules avec la racine wthq
seraient antérieures à l'expansion des formules consacrées basmala et shahâda. Ceci ne signifie pas
que les expressions en wthq vont disparaître totalement puisque nous les retrouvons tardivement,
en 175 de l'Hégire, sans la basmala à al-Ruddâf près de Ṭâ’if (Ḥârithî) comme en 204 de l'Hégire
avec la basmala (Fa’ar).

La citation de formules stéréotypées sur de longues périodes doit sans doute beaucoup à la
recopie des contenus, au sein d'un même site, sur des ensembles de rochers où les graffiti
s'amassent, ainsi qu'à la répétition en chaîne des mêmes contenus et invocations. Finalement, rien
ne contredit que ces formules les plus anciennes construites sur wthq aient pu être ce que nous
serions en droit d'appeler des pré-shahâda). » J. Chabbi lit le Coran dans la perspective d'Alliance de
la tribu de Muḥammad à la divinité. Il est certain que certains fragments du corpus expriment ce
désir d'allégeance divine et les conceptions tutélaires arabes pré-islamiques sont mêlées avec des
conceptions judéo-chrétiennes. Le Seigneur est le wali qui protège et procure une défense (naṣir).
Imbert signale la racine wṣy dans des requêtes d'Alliance divine. Le rasm mḥmd n'apparaît que 17
fois sur 435 graffiti du Negèv et apparaît en 738 pour la première fois.

Le serviteur de Dieu, l'‘Abd Allah, est le bras puissant du pouvoir. On peut se demander le sens
profond du nom pris par le Calife ‘Abd al-Malik et la signification de son inscription du Dôme qui
valorise essentiellement Jésus, sous ce vocable. Son nom et son rôle est mis en exergue, il l'est dans
l'Exthésis d'Héraclius à Sainte-Sophie. Les Empereurs Byzantins frappaient « serviteurs du Christ »,
sur les pièces. C’est le titre qu’il donne à Jésus dont il se targue. Et le personnage de Muḥammad
sera décrété le fils de cet ‘Abd Allah dans la biographie islamique, les deux mots étant aussi utilisé
dans le christianisme syriaque541. La quête d'une protection divine et la formulation d'un contrat
de protection observé par les épigraphes rejoignent les inscriptions frappées sur les pièces
Umayyades.542

Le nouvel Empire passe un contrat avec la divinité. On peut s'interroger sur le choix de Damas
et de l'effigie de saint Jean Baptiste543 sur les pièces de monnaie califales de Mû’âyiya et de la
figuration, sur les Corans, des sanctuaires de Damas, plutôt que de ceux de Médine ou de La
Mecque.

540. HOYLAND Robert, The Content and Context of Early Islamic Inscriptions, Jerusalem Studies in Arabic and
Islam 21, 1997, p. 77-102.
349. Kiltz, David, ''The Relationship between Arabic Allāh and Syriac Allāha'', Der Islam 88:1 (2012): 33-50.
542. Bism Allāh al-ʿazīz, Au nom d'Allah, le grand. Naṣr Allāh al-ḥaqq (Allah puisse donner la victoire) muṣʿab
ḥasbuhu Allāh, bism Allāh / rabb ḥarasahu (Au nom d'Allah, Puisse Allah le protéger) bism Allāh / baraka (bénis).
bism Allāh / al-ʿAẓīm (le puissant).
543. Janine SOURDEL-THOMINE, Dominique SOURDEL, Jean-Michel MOUTON, Clement MOUSSE,
La découverte d'un culte de nab¯ ı Zakariyya à la grande mosquée de Damas à l'époque ayyoubide ; der islam 2013 ; 90 (2)
41244 DE GRUYTER.
E- MON ROYAUME EST DE CE MONDE

Le Messie n'est pas la fin de la Loi, mais le but vers lequel pointe la Loi ; nous n'avons plus
besoin d'un pédagogue 544 , car la Loi est une part de nous-mêmes, comme l'est le
Messie. « Anéantissons-nous donc la loi par la foi ? Loin de là ! Au contraire, nous confirmons la
loi. » Saint Paul n'a jamais dit que la Loi était sans importance, nous avons besoin des deux, de la
foi comme de la loi.545 Le respect absolu de la Loi « accélérait-il » la venue du Messie ? Dans cette
vision synagogale, l'Israël de Dieu peut influer sur ce retour ; cette vision semble imprégner le
corpus coranique.

Des pièces de monnaie de l'Empire califal exhibent un non moins étrange « Moussa, rassoul
Allah » et bien d'autres titres, « le protecteur », manṣour , « le lieutenant ».
Présentons ici les résultats de C. Robin qui a trouvé une inscription gravée en 523 par le
général du roi Joseph dans la région de Najran. Dieu des juifs est associé à Mḥmd. Le prophète de
la Yamama se faisait appeler « Rahman de la Yamama ». Mḥmd est très certainement un titre divin.

Rb hd b-Mḥmd

Allah b- ḥmd est aussi le motto des pièces sassanides à l’effigie de Choroès

Allah l- ḥmd : avec la grâce de Dieu Allah l-ḥmd : avec la louange d’Allah

544. « Il a effacé l'acte dont les ordonnances nous condamnaient et qui subsistait contre nous, et il l'a détruit en le
clouant à la croix » (Colossiens 2, 14) et « car le Christ est la fin de la loi, pour la justification de tous ceux qui
croient » (Romains 10, 4). Ainsi, le terme « dogme » dans ce cas-ci ne désigne pas la Loi de Yahvé, mais les décrets
ou ordonnances créés par l'homme : « des fables judaïques et à des commandements d'hommes qui se détournent
de la vérité » (Tite 1, 14). Le mot grec pour « fin » dans le passage de Romains est « telos » qui signifie : « définir
comme un point ou un but défini, l'objectif comme limite à atteindre ».
« Ainsi la loi a été comme un pédagogue pour nous conduire [au Messie], afin que nous fussions justifiés par
la foi. La foi étant venue, nous ne sommes plus sous ce pédagogue. » (Galates 3, 24-25)
545. « Ignorez-vous, frères, – car je parle à des gens qui connaissent la loi – que la loi exerce son pouvoir sur
l'homme aussi longtemps qu'il vit ? Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché ? Loin de là ! Mais je n'ai
connu le péché que par la loi. Car je n'aurais pas connu la convoitise, si la loi n'eût dit : Tu ne convoiteras
point… La loi donc est sainte, et le commandement est saint, juste et bon. » (Romains 7 : 1, 7, 12)
Titres sur pièces sassanides : la racine mḥmd est un titre associé à l’Empereur sassanide

Le titre Rassul Allah est associé à Choroès II

L E M ESSIE ET LE MAL

L'homme et le Messie en particulier, peut-il influer sur le cours divin ? Le Messie ne change rien
à cet état de fait de constatation du péché personnel. Le Jésus des Évangiles montre bien que le
Royaume est au-dedans de nous et le Messie ne résout le problème du mal qu'en partant du cœur de
l'homme. Le problème du mal est évoqué dans le Coran mais il est uniquement lié à la désobéissance
à la Loi, toutes les sociétés appliquant la sharîa avec ferveur pensent éradiquer le mal de cette façon
par une application méthodique et systématique de la Loi. Si Allah permet au méchant de prospérer
malgré cette désobéissance ce n’est que pour accroître son châtiment dans l'au-delà. Ceci est une
idée rabbinique et non-chrétienne. La littérature rabbinique soutient que Dieu permet aux mauvais
de prospérer « dans le but de les plonger dans la plus basse profondeur de l'enfer ». Le verset Q9/85
dit ainsi : « Que ni leurs biens ni leurs enfants ne te soient un attrait ! Allah veut seulement de leur
fait les tourmenter en la vie immédiate et que leurs âmes s'exhalent alors qu'ils sont infidèles. »
Allah ne cherche pas ainsi le salut du plus grand nombre d'âmes. Si les bons sont punis et testés
sur terre ce n’est que pour être encore plus éclatants de lumière à la rétribution. Parfois, le Coran a
une autre vision du mal : « tout malheur qui vous atteint est dû à ce que vos mains ont acquis ». La
rétribution intervient dans le Coran comme dans le judaïsme, juste après la mort. Le Messie de
l’islam n’intervient que dans un combat général du « Bien » contre « le Mal », combat extérieur, des
« purs » contre « les impurs ». Donc, les thèmes du mal et du Messie sont liés.

U N M ESSIE DE LA GUERRE
Dans la littérature intertestamentaire et le Coran, le Messie est un Messie de guerre.
Théophane d'Édesse et la Doctrina Jacobi546 évoquent un « Muḥammad » auquel les juifs se sont
« attachés » ; certains d'entre eux interprétant la propagande militaire de Muḥammad selon leurs
espérances messianiques dédoublées en deux Messies. Les juifs ont-ils pu faire semblant de le
prendre pour le nouvel Elie, lui apportant leur soutien pour s'en débarrasser une fois les Romains
chassés ? La typologie du Messie-guerrier le montre prenant la royauté par le fer des armes. Le
Rouleau de la guerre nous dit :

« Rassemblez vos forces pour le combat de Dieu car c'est aujourd'hui l'heure du
combat, vaillant emmène tes captifs, exerce ton pillage, ô valeureux mets la main sur
la nuque de tes ennemis, ne retournez-pas en arrière car ils sont une congrégation impie
». Sur les étendards on écrira : « Dieu est grand. »547
Dans Hénoch 1-52, il est question d'une montagne de fer et des autres montagnes métalliques
destinées à accueillir le Messie et « à l'aider à commander et à prendre le pouvoir sur terre ». La
sourate 57, intitulée « Le fer », réitère plusieurs fois : « A lui la royauté des Cieux et de la Terre », il
faut « faire la dépense dans le chemin d'Allah » ; et cette sourate évoque la descente du fer, au même
titre que l'Écriture, la Balance (voir ci-dessous, réécriture sur le mot fer).548 Le mot traduit par
« Balance » signifie « Justice incarnée » en araméen.

Le Coran n'est pas avare en champ lexical de la guerre, mais là encore la concentration sur la
présentes dans le rangement chronologique, les interpolations manifestes document et les
nombreuses fitnas postérieures à la mort du Messager, permettent de supposer une intensification
de la composante violence plutôt contemporaine à la période d’édition du corpus.

Cette concentration est à moduler car une forte proportion de cette racine est employée pour
nier la mort du Christ. Ainsi pour 19 qatala (« tuer à mort ») présents (Q2/72, Q2/251, Q3/183,
Q4/92, Q4/157 x4, Q5/30, Q5/31, Q5/32, Q5/95, Q5/140, Q8/17, Q18/74, Q20/40, Q28/19
et Q28/33) plusieurs sont consacrés à cette problématique de la mort du Christ. Par ailleurs, il faut
songer, une fois de plus, au sens de certains mots : le mot ḥreḇ, ḥarbā, univoquement traduit par
« guerre », signifie fondamentalement « l'épée » dans le sens donné par la Peshitta, une épée à la
fois justice et Parole de Dieu. « Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne
suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. »549

Dans l’Histoire d’Héraclius (chapitre I), Sébéos550 évoque le Verbe de Dieu comme un assistant
de guerre : « le Verbe de Dieu vint au secours des Arméniens, il souleva un vent violent et le
répandit sur l'armée persane ». Le Coran partage cette vue d'Allah qui participe à la stratégie
militaire. De plus, Jésus, Le décret coranique, est le maître du Temps, de l'Heure 551, contrairement aux

546. Doctrina Jacobi in Patrologia Orientalis, 1903, vol. VIII, p.715.


547. Rouleau de la guerre, Ecrits intertestamentaires La Pleiade. p.199.
548. « Accomplir le sens exact de la Torah tout ce qui se trouve dans l'ultime Midrash de la Loi. » (4Q266
18) ; « O gens du Livre pourquoi obstruez-vous la voie d'Allah et la rendez-vous tortueuse ? », tabġūnahā
« ruiner, sceller, noyer » Syr. AphDem6.110:20 : ‫ܕܡ‬C "?^<‫ ܕ‬.E# ‫;ܬ‬+Syr. DiotT 6:3 : ‫"ܗ‬Jp?+ H:̈!‫ ܐ‬o^ܼ<
(Q3/99), « occulter » taṣuddūna JBA. BT Men 98b(34) : ‫דמצדד להו אצדודי‬
ܳܶ ܺ ܶ ܳ ܺ ܽ ܶ ܳ
549. 8+݁ܳ;#ܰ C‫ܐ‬ 86ܳ:Fܰ 84ܶ‫ܐ ݂ܬ'݂" ܰ݁ܕܐܪ‬ C 8Zܳ‫ܪ‬a+ܰ ݁ 86ܳ:Fܰ 84ܶ‫݁^;ܘܢ ܶ݁ܕܐ ݂ܬ'݂" ܰ݁ܕܐܪ‬O‫ ݁ܬ‬C
550 . Histoire d’Heraclius par l’Evêque Sébéos, taduite par Fréderic Macler.
http://remacle.org/bloodwolf/historiens/sebeos/heraclius.htm.
551. Q43/59. Il (Jésus) n’était qu’un Serviteur que Nous avions comblé de bienfaits et que Nous avions
désigné en exemples aux fils d’Israël. 60. Si Nous voulions, Nous ferions de vous des Anges qui vous
succéderaient sur la terre. 61. Il sera un signe au sujet de l’Heure. N’en doutez point. Et suivez-moi : voilà
un droit chemin.
Évangiles 552. Seul le Coran octroie à Jésus d'être le Signe de l'Heure, renforçant encore son pouvoir
eschatologique. De plus, dans les Hadiths, Jésus accomplit sa Mission à son retour puis se marie,
renforçant, dans l'esprit des exégètes, cette confusion de Jérusalem terrestre et céleste commise par
ces derniers.553

Revenons sur l'importance du motif de l'obéissance, avec cette nouvelle vue eschatologique.
L'Apocalypse souligne cette guerre eschatologique contre sont ceux qui observent les
commandements et qui ont la foi en Jésus le Messie et la jouissance de l'arbre de vie ; le Coran
désigne l'arbre de Zaqun comme l'arbre de mort, par opposition à cet arbre de vie. « Au vainqueur,
je ferai manger de l'arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu ». (Ap 2,7) Il s'agit probablement de l'Arbre
dont Adam a dégusté le fruit.554 Les signes de la Fin des Temps, dans la tradition islamique, sont
axés sur cette désobéissance et iniquité généralisées. Le Coran se fait l'écho de la conception
eschatologique du Livre des Jubilés.555 Eschatologie et messianisme sont liés dans la conscience
islamique.556

Avers : Constantin IV, Revers : Tibère et Héraclius

552. « Quant au jour et à l'heure où cela se produira, personne ne les connaît, ni les anges du ciel, ni même
le Fils ; personne, sauf le Père, et lui seul. » Matthieu 24.36.
553. « Et je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu
et il n'y avait plus de mer. Et je vis descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la ville sainte, une Jérusalem nouvelle,
vêtue comme une nouvelle mariée parée pour son époux. » (Apocalypse de St Jean, 21, 1-2)
554. « Et le dragon fut irrité contre la femme, et il s'en alla faire la guerre au reste de sa postérité, à ceux qui
gardent les commandements de Dieu et qui gardent le témoignage de Jésus. » (Apocalypse 12, 17)
Apocalypse 14, 12 : « C'est ici la persévérance des saints, qui gardent les commandements de Dieu et la foi
en Jésus. » « Bénis sont ceux qui font ses commandements, afin d'avoir droit à l'arbre de vie, et d'entrer par
les portes dans la ville ! » (Apocalypse 22, 14)
555. « A cause des grands méfaits qu'ils commettront, parce qu'ils abandonneront les ordonnances du pacte
établi par le Seigneur entre Lui et eux pour qu'ils le gardent et exécutent tous Ses commandements, toutes
Ses ordonnances et toute Sa Loi sans que personne ne s'en écarte à droite ou à gauche. Eh bien la terre sera
dévastée à cause de toutes leurs œuvres ; il n'y aura ni grain, ni vin, ni huile parce que toutes leurs œuvres
ne sont que rébellion… Ils combattront l'un contre l'autre, jeunes, contre vieux et vieux contre jeunes, le
pauvre contre le riche, le petit contre le grand, le pauvre contre le prince à cause de la Loi et de l'Alliance…
les têtes des enfants seront couvertes de cheveux blancs et un nourrisson de trois semaines aura l'air aussi
vieux qu'un centenaire… » (Livre des Jubilés) ; « Comment vous préserverez-vous, si vous mécroyez, d'un
jour qui rendra les enfants comme des vieillards aux cheveux blancs ? » (Q73/17)
556. « Parmi les Signes annonciateurs de l'Heure : les mauvaises personnes seront honorées, les bonnes
rabaissées, les actes et pratiques se feront rares tandis que l'on parlera beaucoup… » (Hâkim) ; « Quand le
commandement sera confié à ceux qui n'en sont pas dignes… » (Boukhâri) ; « L'Heure ne viendra pas avant
que la terre des arabes ne soit couverte de ruisseaux… » (Ahmad, Mouslim, Hâkim) ; « Quand les déserts
seront construits et les villes détruites… » (Tabrâni) ; l'impudeur et le vice se répandront, avec notamment
la généralisation de l'homosexualité et du lesbianisme. Parmi les Signes de l'Heure : l'apparition de la
grossièreté et de l'indécence… » (Tabrâni) ; « Quand les hommes se satisferont des hommes et les femmes
des femmes. » (Tabrâni) ; « (quand)… prolifèreront les enfants adultérins. » (Tabrâni) ; « … les femmes
seront dévêtues tout en étant habillées… » (Ahmad et Hâkim) ; « Parmi les signes de l'Heure » : « … (la
généralisation) de l'adultère » (Boukhâri)
GLOBE SURMONTE DE LA CROIX VICTORIEUSE : PAX CHRISTIANA

Image du Christ régnant et de la Croix


Motif Croix de la Victoire et / Croix et globe en 668 Constantin IV, 557 motif repris par les pièces
arabo-byzantines.
Le globe symbolise la pax christiana, c’est une image du Christ Soleil selon Anastase le
Sinaïte (Hexaemeron) « Multos enim habet prinripatus so justitiae »
Le globe du cosmos et la croix du Golgotha avec marche sont le symbole de la victoire
constantinienne, image de la concorde absolue entre pouvoir au ciel et sur terre.

Les images du Christ achiropiites (non créées par main d’homme) sont des images de la
théocratie. Elles montrent un Christ souverain et victorieux sur la Perse impie puisque la victoire
est attribuée à l’image d’Édesse. L’image miraculeuse du Christ était le labarum durant les guerres
persiques de Constantin et était considérée comme les Tables de la Loi.
Le mot Nika victoire en grec ou Victoria.
Seigneur du basileus régnant (Rex regantium pour le Christ, servus Christi)
A l’avers, Le Christ est l’Empereur suprême et
Les trois Empereurs étaient assimilés à la Trinité
Le Christ Pantocreator figure du prince seul (ahd), Constantin IV Roi des régnants,
envoyé du Seigneur

557. Code british museum B.12496.


Avers : Les trois princes co-régnants étaient associés à La Trinité. En 685 Constantin IV
réussi à écarter ses deux frères du pouvoir. Revers : Allah redevient Un. Gloire (Mhmd) à Son
Logos, son envoyé (rassul) qui l’Empereur régnant désormais seul. L’Empereur byzantin est
souvent exprimé par « serviteur de Dieu » (doulos) ce qui correspond à ‘Abd Allah.

Pièce arabe : Allah est Un, Mhmd rassul : nous traduisons par
Gloire à l’Envoyé (qui est l’Empereur, Le Calife)

F-DES SCHEMAS DOCTRINAUX PAULINIENS


On retrouve aussi, à l'occasion du Rappel du Pacte, des incitations à la conversion et au
renoncement qui sont très présentes dans la Bible, que ce soit dans la bouche des Prophètes ou
dans celle du Christ. Ces rappels de l'histoire sainte pour aboutir à la conversion, à la nouvelle
Alliance puis à l'eschatologie, sont les outils pauliniens par excellence. Regardons les fonctions
théologiques et eschatologiques du Rappel coranique, ainsi que les similitudes et les divergences
avec saint Paul. La rébellion de l'homme est la cause du Rappel coranique ; la désobéissance d'Adam
attend un surcroît d'obéissance de ses descendants. Cette rébellion de l'homme, spécifiquement
incarnée en celle d'Israël, est un thème hautement biblique et paulinien. L'ingratitude des hommes
envers le Seigneur revient de manière récurrente dans toutes les sourates, et notamment celles qui
correspondent à l'annonce du Jugement dernier. Cet état de l'homme est qualifié par des mots
forts : « rébellion » (Q6/10) et « aveuglement total ».
La violence et les incitations à l'extermination se manifestent par un état de rébellion contre
la Loi et l'Alliance. On a, en fait, à peu près toujours affaire, dans le Coran, à la même histoire qui
se répète : 1) envoi d'un prophète à un peuple qui « rappelle » (la Loi identique) ; 2) incrédulité du
peuple ; 3) punition divine – « peuple de Noé, ‘Aad, ṯhamûd, Madyan, villes renversées » (Q9/70),
ce thème de la destruction est lié à celui de l'envoi préalable d'un avertissement.
Cette notion de transmission scripturaire d'un savoir eschatologique semble apparaître
d'abord chez Éphrem de Nisibe qui, comme dans le Coran, appelle la malédiction sur ceux qui
« ricanent de ce message ». Dans l'Épître aux Galates, saint Paul évoque le don du livre de l'Évangile
dans des termes qui ressemblent à ceux du Coran. Là où saint Paul évoque « un Évangile descendu
du Ciel par des Anges », le Coran se lamente de l'absence de ce miracle pour Muḥammad. Il faut
garder à l'esprit que ce terme, dans la bouche de saint Paul, ne désigne nullement les quatre
Évangiles canoniques. A noter que cette descente clefs en main d'un livre appelé Évangile, pour
saint Paul, a des similitudes avec cet Injil reçu par Jésus. L'indice qui permet de faire le lien est ce
mode de descente céleste mentionné : « Si un ange vous livrait un autre Évangile. » Le Coran
évoque ce mode de livraison de la révélation. Dans les deux cas, dans le Coran et les Épîtres, c'est
le terme grec qui est utilisé. Une loi coranique sur le langage justifierait d'avantage un mot araméen :
bushra. Le mot bushra, lui, va être constamment réorienté, tout en gardant un fond de joie et de
naissance. La descente du Livre par les anges est aussi une croyance manichéenne.
Gabriel est l'agent de la communication céleste, et son rôle privilégié dans le christianisme
justifie son réemploi dans le Coran et surtout dans la Tradition. Plusieurs milliers de visites au
Messager sont recensées. Cet emploi du terme grec Injil prouve, une fois de plus, le caractère pluriel
des sources utilisées.
Les trois parties classiques des Épîtres de saint Paul se retrouvent dans l'argumentation
coranique : le salut d'Israël, la relecture de l'histoire – avec souvent saint Jean-Baptiste comme
transition – et l'eschatologie. Saint Jean-Baptiste a un aspect particulier dans le Coran ;
l'Annonciation à Zacharie suit un parallélisme parfait avec l'Annonciation à Marie. Mais ce
parallélisme ne suit pas la progression de l'histoire du Salut, puisque Jean-Baptiste ne sert plus à
rien. Le tableau suivant montre les parallélismes coraniques entre l'Annonciation à Zacharie et
l'Annonciation à Marie. Marie-Thérèse Urvoy note le traitement parallèle entre Yaḥyâ et Jésus à
des fins de dévalorisation de ce dernier.558 Ces techniques de mise en parallèle ont pour but de
mettre en sourdine son titre de Fils de Dieu. L'appellation « fils de Marie » est elle aussi dépréciative
pout une culture sémitique où l’on est nommé par rapport à son père.
Annonciation à Zacharie Annonciation à Marie
« Nous t'annonçons la bonne nouvelle d'un garçon. » « Je suis un messager de ton Seigneur pour te donner
« Mon Dieu comment puis-je avoir un fils ? » un fils pur ».
« Comment puis-je avoir un fils ? »
« Votre Seigneur a dit : cela est facile pour moi. » « Votre Seigneur a dit : cela est facile pour moi je vais
« Tient fermement la Torah » (dans ses mains) faire un signe de nous. »
« Tient fermement la Torah » (dans ses mains)
Silence Silence
Temple Temple
Bonne nouvelle Bonne nouvelle
Q3/38 Q3/45 ‒ « Enceinte », Peshitta

558. L’action psychologique dans le Coran. P. 57.


waᶜnā mallaḵā wemmar lēh ᵓennā nāgaḇrīeldəqāem nā qəḏām waᶜnā mallaḵā wemmar lēh ᵓennā nā gaḇrīel dəqāem nā qəḏām
ᵓălāhā weštalḥeṯ demmallel ᶜammāḵ wessabbərāḵ hālēn ᵓălāhā weštalḥeṯ demmallel ᶜammāḵ wessabbərāḵ hālēn
« L'ange lui répondit : Je suis Gabriel, je me tiens devant « Et voici, tu deviendras enceinte, et tu enfanteras un
Dieu ; j'ai été envoyé pour te parler, et pour t'annoncer fils, et tu lui donneras le nom de Jésus. »
cette bonne nouvelle. »

Juifs et naṣara, auparavant implicitement et amplement sollicités à propos de l'Alliance, sont,


à la sourate 2 (verset 124), confondus dans la même réprobation : « Mon alliance ne prend pas fin
du fait de ceux qui sont dans les ténèbres. » Dieu proposerait, dans ce passage, une réorientation
et une récupération de l'Alliance à la saint Paul, via Ismaël cette fois-ci. Pourtant, ce personnage
aurait été déjà un avertisseur aux Arabes, d'après le Coran. Qui est donc le premier avertisseur aux
Arabes ? Muḥammad ou Ismaël ? Ismaël est déclaré prophète, donc, s'il est le père de la Nation
arabe, comment expliquer l'assertion coranique du prophétisme premier de Muḥammad aux
Arabes ? « Nous leur avons envoyé aucun avertisseur avant toi ? » (Q34/44). Cette assertion ne
colle pas avec le prophétisme supposé de l'ancêtre des Arabes. Le Coran affirme aussi le caractère
novateur de Muḥammad auprès des Arabes, son apport livresque. Dieu est mis en scène, ici, pour
redistribuer solennellement le témoin de cette Alliance en faveur d'« Abraham et d'Ismaël ». « Et
rappelez-vous le bienfait de Dieu sur vous, ainsi que l'alliance qu'Il a conclue avec vous, quand
vous avez dit : "Nous avons entendu et nous avons obéi." Et craignez Dieu. Car Dieu connaît
parfaitement le contenu des cœurs. » (Q5/7) Le Coran se positionne dans un balancement
polémique contre les deux communautés qui l'ont précédé. Les prétentions des uns et des autres
vis-à-vis de l'Alliance sont dénoncées.
Les païens, les Gentils et les idolâtres du Coran sont-ils ceux des Épîtres et ceux d'époques
plus anciennes ?
Des personnes mauvaises semblent peupler le Coran et sont sans cesse prises à partie. Tous
les opposants à la prédication coranique sont au rendez-vous, opposants fictifs, potentiels ou
opposants des générations futures ? Ou bien opposants des temps passés ? Qui sont ces
« hypocrites » ? Les « perdants » ? Les « pervers » ? Les polythéistes, les « associateurs » ?559 Seule la
sourate 18 entreprend une vraie explication du sirk avec la parabole des deux hommes dont l'un
oublie l'heure et se satisfait de son jardin de vigne et l'autre reconnaît la grâce de Dieu en ses
possessions, « associer quelque chose à Dieu c'est donc aimer des créatures plus que Dieu ».

Le corpus coranique ne doit pas être confondu avec le discours des exégètes et des
historiographes musulmans de l'époque abbasside qui vivaient dans un contexte de société
totalement différent ; il y eut très vraisemblablement deux mouvements : au début, une coranisation
d'éléments bibliques pour s'autonomiser et, ensuite, la biblisation d'éléments coraniques pour
s'attirer des alliances. La synthèse de Mehdi Azaïez560 ‒ qui analyse le contre-discours ‒ montre
l'évolution de ce dernier puisqu'il y a, selon lui, « construction d'une figure de l'opposant en
adéquation avec la visée d'un discours qui souhaite convaincre. Pour le contre-discours
eschatologique, l'opposant interroge puis s'étonne puis insulte et s'exaspère ; à la question de
l'historien qui s'interroge sur l'identité des opposants du Coran, ils sont d'abord et avant tout les
opposants tels que le Coran se les construit et se les représente. »

Le polysémantisme du corpus est total aussi les exégètes de la sourate 18 profitent de ce


flou du corpus pour amalgamer les chrétiens trinitaires fraîchement conquis aux idolâtres antiques,
mais le texte renseigne bien le contexte païen du quatrième siècle de croyants : des chrétiens qui

559. « Qui peuvent être contemporains qui ont des associés intercesseurs. » (Q6/94)
560. AZAIEZ Mehdi De Gruyter. Volume 30. Le contre-discours et de la riposte coranique. 2012, p 156 -
157 et p 164- 167.
refusent de sacrifier aux idoles. Pourtant, le Coran semble associer ces tyrans-idolâtres des martyrs
chrétiens aux associateurs chrétiens, l'appareil exégétique confond volontairement les notions
distinctes, ainsi en est-il pour la traduction arabe d'une fausse translittération araméenne du mot
grec paraklétos confondu avec périklétos !561

En attendant, les mots pour définir ces mauvaises personnes sont si flous qu'ils
fonctionnent essentiellement pour juguler tout opposant. Patricia Crone,562 dans son article « The
Religion of the Qur’ânic Pagans », cherche à les identifier, en vain. Les mushrikûn croient au même Allah
que le messager et ont les mêmes référents bibliques. Simplement, ils donnent des partenaires
(ašrakū) à Dieu ; certains passages disent qu'ils « ont donné des pairs Dieu » (gǎ'alū li-Llâhi andādan) :
Q14/30, Q39/8, Q41/9, Q19/81, Q21/24, Q21/43, Q36/23, Q46/28 et Q18/15. Les mushrikûn
traversent les siècles, Noé les affronte (Q71/23), les âds (Q46/22), Hûd (Q11/53), et aussi Jésus
(Q43/58) : « Nos dieux sont meilleurs ou bien lui ? » Cette dernière remarque montre un Jésus
refusé car « non perçu comme meilleur Dieu » ! Ces mushrikûn donnent de la « progéniture à Allah »
(Q6/101, Q10/68, Q17/111, Q18/4, Q19/35, Q23/91, Q43/81) et en même temps féminisent
les anges. Les mushrikûn prient bien Allah, mais, simultanément, des « partenaires d'Allah ». Ces
partenaires sont souvent des femmes : « Ce sont des femelles qu'ils invoquent. » (Q4/117) La faute
des mushrikûn est essentiellement cultuelle – en cas de danger, ils prient « des partenaires ». L'analyse
philologique de la racine srp traduite par « rebelles » montre une origine proche du « feu ». Les
versets 43 à 47 de la sourate 40 semblent bien décrire un rituel du feu : « outranciers sont les gens
du feu » ‒ yataḥājjūna, lui, est traduit par « disputer », alors qu'il a pour racine « célébrer » –, ils se
livrent « matin et soir » au feu. Les panégyriques de Georges Pisidès insistent beaucoup sur les
impies perses qui vouent un culte au feu. 563

La progéniture qu'ils attribuent à Allah est au pluriel bien plus qu'au singulier ou au duel
(une seule occurrence pour le Messie et ‘Uzayr). Ces mushrikûn croient en Allah, mais ne
comprennent pas l'expression raḥmân et n'adaptent pas leur comportement à leur foi. Le Coran ne
fait jamais allusion à l'existence d'idoles, sauf dans le sanctuaire abrahamique ; pourtant, il ne
mentionne jamais Hubal – à l'exception éventuelle de Q4/60, relative à Médine. Il ne mentionne
jamais le personnel religieux païen, ni les sanctuaires païens ou d'autres objets païens parmi les
contemporains du Messager, ni ne menace la destruction de ces choses ou de leurs dires dans leur
époque. Les idoles sont décrites surtout dans les histoires bibliques ; les idoles de son temps sont
purement conceptuelles, le Messager se voit comme brisant les idoles, comme un éradicateur des
croyances erronées. Ses adversaires païens adoraient le même Dieu comme il l'a fait, mais ils avaient
des vues incompatibles avec l'unité de Dieu, comme lui le voit. Leurs idoles n'ont plus à voir avec
l'idolâtrie païenne dans le sens littéral, mais le sens conceptuel. Aux versets Q16/20 et Q39/43, il
est question d'idoles qui sont mortes et qui attendent leur résurrection. « Ceux que vous invoquez
en dehors de Dieu sont des serviteurs comme vous. » Donc, il est difficile de croire que les idoles
soient inanimées.

561. Selon E.-M. Gallez : « La transcription du mot grec, souffleur, donne brklts et est confondu avec l'autre
mot grec périklutos, loué. » Site le Messie et son Prophète.
562. CRONE Patricia, « The Religion of the Qur’ânic Pagans : God and the lesser Deities, Arabica 57, 2010, p 151-
200.
563 . Srp « brûler » (Q5/32, Q6/141, Q7/31, Q10/12, Q10/83, Q21/9, Q26/15, Q40/28, Q40/34,
Q40/43, Q44/31, Q51/34), JLAtg, Gal, Sam, JBA, LJLA. KohR[1]15:3(15) : ‫ויהב על ההוא מסמרא‬
‫ושרפיה‬. SamLit 4:030 : ‫רחמיך אלופים טפים להבי חוביה דלנן שרפים‬. « Etre brûlé »
Gal, JBA. PTŠab7.a:3[2]var. : ‫( מצדתא הוא פריסן והוויין משתרפן גו שימשא‬40:47:2) yataḥājjūna « disputer » racine
ḥa jim jim.
Si nous nous basons sur les éléments du Coran seul, les mušrikūn étaient des monothéistes
qui adoraient le même Dieu que le Messager, mais qui ont également vénéré des divinités et des
anges ‒ certains sont identifiables comme des divinités arabes –, et aussi le soleil et la lune.

L'argument sur l'impossibilité de deux Dieux, retranscrit en Q21/22564 , est semblable à


celui de Lactance dans Epitomé II, IV, V. 565 L'argument sur l'inconnaissance absolue de Dieu
(Q16/74) semble lui aussi être un emprunt à la philosophie grecque. Les mušrikûn voient les êtres
divins moindres, comme des médiateurs entre eux et Dieu, et ils ne répugnent pas à recourir à « des
femelles » – le reproche de voir les anges comme des femelles est à associer à cette critique. Et
quoique ces mêmes mušrikūn leur consacrent des prières, des offrandes, ils ne sont pas accusés de
les adorer à la place de Dieu, ou même de se livrer à des pratiques incompatibles avec le
monothéisme – ils considèrent ces êtres inférieurs, mais saints, vénérant leurs images, établissant
des sanctuaires pour eux, leur faisant des pèlerinages ou reportant, au personnel religieux de leurs
sanctuaires, les noms arabes attribués à certains de ces êtres – et ne sont pas dénoncés en termes
issus de la polémique biblique contre l'idolâtrie, le Messager ne dit jamais que les mušrikūn étaient
païens. En effet, comme Ibn 'Abd al-Wahhāb l'a tout à fait correctement observé, ils sont accusés
de péchés plus légers contre le monothéisme. Lüling se penche sur la question et signale que
mušrikūn est un terme pré-islamique utilisé contre les chrétiens trinitaires. Le terme šuraka est
employé dans la littérature pré-islamique et désigne le culte pluriel à d'autres déités ou créatures. Si,
à l'origine, ces deux affectations sémantiques étaient différentes, elles ont été mêlées par la suite.
L'utilisation du vocable istišrak (en ancien arabe), chez les chrétiens, pour exprimer le culte
eucharistique, n'a pas dû simplifier cette répartition des sens. Pines566, qui étudie le Tathbit d'Abd
al-jabbar, propose une récupération d'une argumentation antichrétienne provenant d'une
communauté judéenne.

Selon Wellhausen567, pour le païen, Allah était un Dieu créateur qui avait toujours été trop
élevé pour être approché directement, une nouvelle divinité trop universelle pour avoir une maison
et un culte dans une place. Les indications fournies par le verset 194, « ceux que vous invoquez en
dehors d'Allah sont des serviteurs comme vous », et le verset 21 de la sourate 16, « ceux qu'ils
invoquent en dehors d'Allah ne créent rien », renverraient indirectement aux Psaumes 115 et 135 :
« Ils ont des yeux mais ne voient pas, des oreilles… »568 P. Crone569 remarque que la polémique
utilisée est celle d'une autre époque où les idoles florissaient. Le culte des anges est aussi incriminé.
Les djinns sont des créatures occultes. Cette pluralité aurait engendré du désordre et le chaos. Les
arguments de Grégoire de Naziance sont repris intégralement dans le Coran : « s'il y avait dans le
ciel d'autres divinités qu'Allah tous deux seraient en grand désordre » (Q21/22). En conclusion, les
mušrikūns sont des monothéistes qui s'appuient sur la Bible, mais qui vénèrent d'autres déités en sus
d'Allah.

564. « S'il y avait des divinités autres qu'Allah tous deux seraient certes dans le désordre. »
565. L'argument principal du Messager contre la multiplicité des dieux serait issu de Lactantius (Divine
Institutes, I, p. 3, 17-19), Eusèbe (Laus Constantini III, p. 6).
566. PINES SHLOMO, The jewish christians of the early centuries according to a new source, p. 1-70, in proceedings of
the Israel Academy of sciences and humanities, vol II n °15. Central press Jérusalem, 1966.
567. WELLHAUSEN J. (1887) Reste Arabischen Heidentums, Berlin, p. 214 et Wellhausen Julius « Lieder der
Hudhailiten, arabisch und deutsch » In J. Wellhausen, Skizzen und Vorarbeiten : Erstes Heft, Teil 2, Berlin,
1884.
568. « Leurs idoles sont de l'argent et de l'or, Elles sont l'ouvrage de la main des hommes. (5) Elles ont une
bouche et ne parlent point, Elles ont des yeux et ne voient point, (6) Elles ont des oreilles et n'entendent
point, Elles ont un nez et ne sentent point, (7) Elles ont des mains et ne touchent point, Des pieds et ne
marchent point, Elles ne produisent aucun son dans leur gosier. (8) Ils leur ressemblent, ceux qui les
fabriquent, Tous ceux qui se confient en elles.»
569. CRONE P, Arabica 57, 2010, p. 151-200.
Le culte des anges chez les juifs est présent dans le Testament de Lévi et chez certains
Rabbis, notamment le Rabbi Eleazar Kallir au VIe siècle. Les juifs n'invoquaient pas moins de 21
anges et certaines inscriptions épigraphiques de Palestine sont des indices de pratiques des
mushrikûn. Origène, dans son livre Contre Celse, associe le culte des anges à la pratique de la
sorcellerie. Les anges, dans le judaïsme, sont appelés « fils de Dieu » ou « dieux ». Paul, dans l'Epître
aux Colossiens, condamne le culte des anges, les jours, les lunes. Ces pratiques sont si fortes que le
Coran s'en accommode (Q2/194 et Q2/217 et Q2/197). Pour saint Paul, se plier aux pressions rituelles
de l'Ancienne Loi, c'est non pas obéir au seul vrai Dieu mais aux Puissances angéliques et astrales.
L'asservissement à la Loi est un asservissement aux éléments du monde. Etienne, dans les Actes
des Apôtres, accuse les juifs d'être esclaves des puissances angéliques, « livrés au culte des armées
du ciel » que saint Jérôme assimile aux anges déchus. L'apologiste Aristide accuse les juifs d'adorer
plus les anges que Dieu. Selon la Kerygma Petrou citée par Clément d'Alexandrie, « leur culte (des
juifs) va aux Anges et aux Archanges ». Origène refuse, contrairement à un judéo-christianisme
primitif, de les vénérer et de les adorer. Certains papyrus juifs attestent de commerce avec les anges,
d'opérations cultuelles, et le Testament des 12 Patriarches évoque comme médiateur l'Ange
d'Abraham.
La sourate 2 explique le but du Coran, des mécréants ont mis la lumière sous le boisseau,
« puis quand le feu a illuminé tout à l'entour, Allah les a abandonnés aux ténèbres », « à des sourds,
muets, aveugles », « à des cœurs malades », « à des semeurs de corruption ». L'identité des
destinataires apparaît au verset 47 : « O enfants d'Israël, rappelez-vous Mon bienfait dont je vous
ai comblé, je vous ai préféré à tous les peuples. » Nous sommes projetés dans un épisode biblique
où Yahvé se plaint d'Israël. Tous les faits attribués à Muḥammad peuvent être lus comme des
épisodes mosaïques. Ainsi Q8/30, « le moment où les mécréants complotaient contre toi ? », peut
être l'écho de Nb. 16 : Coré, Dathan et Abiron se soulevèrent contre Moïse et Aaron ; « Moïse dit
à Coré : « "[…] Est-ce trop peu pour vous que le Dieu d'Israël vous ait séparés […] pour faire le
service de la Demeure de Yahvé ? » Et Yahvé parla à Moïse : « "Je les consumerai en un instant... "
[…] Le sol se fendit la terre ouvrit sa bouche et les engloutit… »570

La polémique du Coran qui reprend des arguments de juifs contre l'associationnisme


attribué aux chrétiens semble être, dans son style, l'écho profond de celles d'Aphrahat, auteur
chrétien syrien du IIe siècle.571

570. « Qu'ont-ils donc qu'Allah ne les châtie pas alors qu'ils repoussent de la mosquée sacrée quoiqu'ils n'en
soient pas les gardiens…Goûtez donc au châtiment à cause de votre mécréance !» – Q8/30 : « Vous avez
imploré l'arbitrage d'Allah et vous connaissez la sentence. » – « Leur prière auprès de la Maison n'est que
sifflement » ; « Demain Yahweh fera connaître celui qui est à lui et qui est saint » ; « vous ambitionnez le
sacerdoce, le feu consuma deux cent cinquante hommes qui offraient le parfum. » (Nb. 16) – « Tu t'ériges
en Maître sur nous. » (Nb. 16.) – « Obéissez à Allah et son Messager. » (Q8/20)
571. « 1. (Ceci est) une réponse contre les Juifs qui blasphèment contre les personnes rassemblées parmi les
Gentils. Ils disent ainsi, vous adorez et servez un homme qui a été engendré, un Fils de l'Homme qui a été
crucifié, et vous appelez un fils de l'homme, Dieu. Dieu n'a pas de fils, vous dites au sujet de ce crucifié
Jésus, qu'Il est le Fils de Dieu. Ils présentent comme argument, la Parole de Dieu : - Je suis Dieu et il n'y a
point d'autre à côté de Moi (Deutéronome 32,39). - Vous ne devez pas adorer un autre Dieu (Exode
34,14). Par conséquent, (disent-ils), vous opposez à Dieu, un homme. 2. Je vais vous instruire à ce sujet,
alors que nous accordons avec eux qu'il est homme, et nous avons en même temps l'honneur de l'appeler
Dieu et Seigneur, mais ce n'est en aucune façon nouvelle. Pourtant, il est une chose sûre, Jésus notre
Seigneur est Dieu et le Fils de Dieu et le Roi, le Roi Fils, Lumière de lumière, Créateur et conseiller, et le
Guide, et la voie, et Rédempteur, et Pasteur, Rassembleur, et la porte, et la Perle et de la lampe… Mais nous
laisserons de côté tout (le reste) d'entre eux, et de prouver à son sujet, que Celui qui est venu de Dieu est le
Fils de Dieu Et (est) Dieu. 3. Le nom vénéré de la Divinité a été appliqué également aux hommes justes, et
ils ont été tenus dignes d'être appelé par elle. Et les hommes avec lesquels Dieu était content, il les a appelés,
Mon fils, et mes amis. Quand il a choisi Moïse Son ami et son bien-aimé et ils le firent chef et enseignant et
prêtre à son peuple, il l'a appelé Dieu. Car il lui dit : - Je vous ai fait un Dieu jusqu'à pharaon (Exode 6,1).
Et il lui a donné son prêtre pour un prophète, et Aaron votre frère doit parler pour vous jusqu'à pharaon,
Et vous serez à lui en tant que Dieu, Et il sera pour vous un interprète (Exode 7). Ainsi, non seulement
Du fait même de la rébellion et du šhirk de ces mécréants, le Coran peut démarrer et
expliquer l'histoire des Alliances depuis Adam. Les « associateurs » ne peuvent être spécifiquement
confondus univoquement avec les chrétiens, car les premiers « associateurs » signalés sont Adam
et Eve (Q7/189) et dans le rappel des 10 commandements de Moïse, l'associationnisme est signalé.
Dans le verset Q22/17, les « associateurs » sont opposés aux sabéens, chrétiens et zoroastriens. Les
« Gentils » : une sourate qualifie Muḥammad d' « apôtre des Gentils ». Le mot Ummi étant traduit
par « Gentils ». Comment cela est-il possible ?

Le grec de la Septante, τα ̀ ε θ́ ν η, est lui-même une traduction de l'hébreu gôyîm, « peuples »,


d'où « tous ceux qui n'appartiennent pas à la nation israélite ». Le terme ḥanif signifie, en araméen,
« païen ». Comment un terme signifiant « païen » peut-il être associé et juxtaposé au mot
« musulman » ? Il faut se référer à l'Épître aux Romains qui valorise les païens, les Gentils : « Car
je ne rougis pas de l'Évangile : il est force de Dieu pour le salut de tout croyant, du Juif d'abord,
puis du Grec. » Le mot « Grec » est mis en opposition au mot « Juif ». Et saint Paul est l'Apôtre
des Gentils. Dans la Peshitta, le mot ḥanpâ est très courant et valorise ce terme dans la perspective
de saint Paul (dans l'Épitre aux Romains) : « Nous disons que la foi d'Abraham lui fut comptée
alors qu'il était incirconcis. Car nous disons "la foi fut comptée à Abraham comme justice." Comment
donc lui fut-elle imputée ? Alors qu'il était circoncis, ou quand il était incirconcis ? Non, pas après
la circoncision mais avant. »572 Notons que « justice », en araméen, se traduit par din. L'argument
coranique sur Abraham est une reprise de saint Paul dans l'Epître aux Romains. Nous montrons
que la verve paulinienne est réinvestie de façon fragmentaire dans plusieurs recoins du corpus.573
Cependant, cette reprise rencontre des difficultés d'argumentation, puisque trois versets affirment
des postulats contraires : le caractère ancien de l'avertissement aux Arabes, par le biais d'Ismaël, et
le caractère innovant de l'avertissement aux Arabes (Q19/55, Q32/2 et Q34/43).

Dans le Coran, le mot Ummi a deux sens : « Gentil »/« analphabète », (analphabète dans le
sens « qui ne lit pas la Torah »). Les Arabes sont associés aux analphabètes (de la période dite la
jâhiliyya), « ils n'ont pas de Livre ». Muḥammad est « l'Apôtre Ummi », donc l'Apôtre des Gentils
(Q7/157). Les « infidèles » ou « Gentils » sont décrits à la sourate 2, à partir de l'épisode de la
descente de la sakīna « sur son Apôtre et sur les croyants » (Q2/26), un autre épisode décrit l'entrée
dans un masjid « la tête rasée » (sourate « La victoire »). On voit que ces termes ne sont pas liés à la
contemporanéité de Muḥammad et qu'ils se réfèrent à des événements de la Bible. Le motif du
Jugement dernier dans la dramatisation du refus de la Loi est tenace. Pourquoi plus de deux cent
passages concernent-ils le Jugement dernier ? Plus de cinq cents versets décrivent les conséquences
du désordre fondamental et absolu : la mécréance. Saint Paul se référait, lui aussi, à « la colère de
Dieu qui éclate du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes retenant la vérité
captive » sur le Juif avant le Grec. Son discours s'organise sur la polémique.574

Quelles sont les fonctions textuelles des Pervers et d'Abraham ? Leur fonction de la
polémique est-elle de conduire au combat armé ? Le pivot se fait sur Abraham. Le fond des Epîtres

pharaon a-t-il fait Moïse Dieu, Mais aussi vers Aaron le saint prêtre, Il a fait Moïse Dieu. 4. Encore une fois,
concernant le titre Fils de Dieu, par lequel nous l'avons appelé, ils disent que bien que Dieu n'a pas de fils,
vous faites de ce crucifié Jésus le premier-né fils de Dieu. Pourtant, Il a appelé Israël son premier-né quand
il a envoyé à pharaon par Moïse et lui dit, Israël est mon premier-né ? J'ai dit à vous, laissez aller mon fils
pour me servir, et si vous n'êtes pas prêt à le laisser aller ! Je tuerai ton fils, ton premier-né (Exode 4,22-
23). »
572. Épître aux Romains.
573. HAMILTON Gibb (cité par Nicolaï SINAÏ) constate que la sourate 53, des versets 38 à 42, copie les
Épitres de saint Paul : « tous doivent porter leur fardeau et l'homme n'a rien que ce à quoi il s'efforce ».
574. La vie éternelle à ceux qui, par leur persévérance dans le bien, cherchent la gloire, l'honneur et
l'immortalité. Mais la colère et l'indignation aux enfants de contention indociles à la vérité.
de saint Paul est d'essayer d'unir les ummis, « Gens des Nations », aux « détenteurs du Livre ». Ce
fond paulinien rejoint la pensée fondatrice de cette nouvelle « Alliance », prémices de Charte de la
Médine. « Comment seront-ils quand nous les aurons rassemblés en un jour sur quoi il n'y a point
de doute », « ceux qui ont reçu une part du Livre et qui sont invités au Livre entier » et « c'est un
récit de la miséricorde de ton Seigneur ». Cette velléité unificatrice est un bien textuel de saint Paul :
« Je vous exhorte à avoir le même langage, qu'il n'y ait pas de scission parmi vous et que vous soyez
parfaitement unis dans un même esprit et un même sentiment.575

Le Coran a beaucoup d'ennemis, il se bat sans cesse contre des opposants non identifiés
mais dont la figure est construite. Insatiable, il les dénonce, les menace, les maudit et les plonge
dans un Enfer. Sans sa polémique contre les pervers, les « associateurs », le Coran perdrait sa
moelle. Le Coran est en permanence dans la réfutation. La polémique pousse parfois le discours
jusqu'à ordonner le combat. Dans ce référentiel, le mot « perversité » est intimement lié à l'oubli de
Dieu. Cet obscurcissement des facultés est symbolisé et désigné par le voile ; à la mort, Dieu ôte
« le bandeau » de l'ignorance mystique de l'homme. Aussi, on peut dire que le combat coranique est
d'abord dirigé contre l'aveuglement et la perversité foncière de l'homme en général et celle des juifs en particulier.
L'agonie de la mort est cet instant particulier où le voile se déchire, et où la vérité unique de la vie
céleste éclate et triomphe. Cependant, si l'expression « en vérité » est lancinante jusqu'à la nausée,
le vocable n'est jamais défini. C'est, au final, une vérité sans visage, toujours associée à Allah et à la
révélation de la mort. Si la parole d'Allah est vérité dans le Coran, « Dieu est véridique » chez saint
Paul. Ce thème du bandeau et de l'endurcissement d'Israël est aussi très choyé par saint Paul.

La croyance coranique est liée à la vérité, et il faut combattre physiquement pour la faire
triompher et se faire les « auxiliaires d'Allah ». Là encore, on croit entendre saint Paul et sa virile
injonction : « soyez les collaborateurs de Dieu ». La « Maïda » coranique (Q5/113) est liée à la
découverte de la vérité et au témoignage de la vérité. Allah promet, par le biais des Apôtres qui
demandent un miracle, un châtiment effroyable aux mécréants de la nourriture céleste. Comment
ne pas songer aux pèlerins d'Emmaüs et aux avertissements virils de saint Paul sur la foi nécessaire ?
Dans les dernières sourates (selon l'ordre chronologique), les gens du Livre sont dits être « témoins
de la vérité » mais mêler le faux avec le vrai. La fonction des juifs dits « pervers » est de rejeter Jésus,
le Messie, et d'expliquer le rejet de Muḥammad (Q5/155). Là encore des éléments pauliens sont
repris, et ce refus des chrétiens vis-à-vis de Muḥammad permet de proclamer l'abrogation du
judaïsme et du christianisme. Le rejet de Jésus par les juifs est au final un argument sotériologique
pour ne pas retourner au judaïsme.

L'abrogation de l'Alliance d'Israël par Dieu trouve son argument le plus puissant dans le
rejet du prophète Jésus (Q4/159-160, Q5/70). Les juifs sont dits : « transgresseurs », « voilant la
vérité », « perfides », « railleurs », « ingrats ». De nombreuses sourates détaillent ce rejet de Jésus et
la nécessité de revenir au Livre entier, composé de la Torah et de l'Injil (Q61/6, Q62/5, Q9/32).
La sourate 3 nous dit : « Venez au Livre entier » (?), « Allah a élu la famille d'Abraham et la famille
d'Imran. » Jésus est, nous le verrons, utilisé pour son pouvoir à abroger la Loi mosaïque. Cette
prérogative d'abrogation, Jésus l'utilisait pour rappeler l'intégrité du mariage monogamique, dont
les déviances furent tolérées par la Loi mosaïque à cause de la dureté de cœur. Ce schéma est utilisé

575. « Accueillez-vous donc les uns les autres, comme le Christ vous a accueillis, pour la gloire de Dieu.
J'affirme, en effet, que le Christ a été ministre des circoncis, pour montrer la véracité de Dieu, en
accomplissant les promesses faites à leurs pères, tandis que les Gentils glorifient Dieu à cause de sa
miséricorde, selon qu'il est écrit : "C'est pourquoi je te louerai parmi les nations, et je chanterai à la gloire
de ton nom." » (Épître aux Romains 15,7)
par le Coran pour les lois de Cacherout qui deviennent, selon le Coran, de même nature que les
lois de mariage (Genèse, Matthieu 19 et Ephésiens).
Le rejet de Jésus est la pierre d'achoppement qui renvoie l'Alliance aux Gentils, aux ummis qui n'ont
pas de Livre :

Selon saint Paul, la Foi d'Abraham est un pivot théologique pour expliquer
le plan de Dieu, le Coran reprend ce ressort à son compte.

La sourate 19 reprend le style de l’énumération : « Rappelle Abraham », « Rappelle


Moïse » des héros de la foi de l’Epître aux Hébreux « Par la foi, Isaac… »
/« Par la foi, Abel… » « Par la foi, Enoch… »576

Adaptation et reprise coraniques des rhétoriques de saint Paul


« O détenteurs de l'Écriture ! Vous ne serez pas dans le vrai avant d'avoir traduit en
actes la Torah, l'Évangile et ce qu'on a fait descendre vers vous. » (Q5/68)
« Quand nous fîmes alliance avec Noé, Abraham, Moïse, Jésus fils de Marie et avec
toi Nous fîmes avec eux une alliance nouvelle. » ‒ « Mon alliance ne prend pas fin du
fait de ceux qui sont dans les ténèbres. » ‒ « Aujourd'hui J'ai parachevé pour vous
votre religion et accompli mon bienfait. » (Q5/3)

576 .« C'est par la foi que Jacob mourant bénit chacun des fils de Joseph et qu'il se prosterna appuyé
sur le sommet de son sceptre. C'est par la foi que Joseph, près de sa fin, fit mention de la sortie des
fils d'Israël, et qu'il donna des ordres au sujet de ses restes. C'est par la foi que Moïse à sa naissance,
fut caché… » ( Epître aux Hébreux 11,21)
« Et puis à cause de leur violation de l'engagement, nous les avons maudits et
endurcis leurs cœurs, ils détournent les paroles (kalima). » (Q5/13)

Dans le Coran, les schémas pauliniens sont adaptés, un retour à la Foi d'Abraham est requis
et un retour à « La Maison » est nécessaire, du fait du mépris des juifs de la Torah qu'ils portent
comme un âne porterait un livre (Q61). Le reproche massif d'associationnisme à l'égard des
chrétiens semble plus tardif et appartenir à une strate différente comme le montre le décalage
doctrinal entre le discours du dôme du Rocher et celui de la sourate 5 et les réécritures manifestes
sur tuer et m𝑠̆ 𝑟𝑘 .
En effet, ces motifs de combat contre les mécréants et les associateurs sont absents du
dôme du rocher. La codicologie montre en effet un diacritisme différent suivant les sourates. Par
ailleurs, les rasm de ce crime sont très variés et peuvent recouvrir, en araméen, des notions de
blasphème et de trahison. Ainsi, ’andādan peut signifier en recourant à son sens araméen à
« commettre l'abomination », au lieu d' « associer ». Le terme ttaḫaḏa peut, lui, signifier « prendre
des Alliés, adopter » ou « donner des égaux à Allah ». Ce mot est utilisé indistinctement pour décrier
les idolâtres de l'Antiquité et les chrétiens. Cette confusion et ce manque de discernement sont
surprenants de la part des commentateurs. Il faut signaler ici les panégyriques de George Pisidès
contre Choroès. Ce dernier était décrit comme « l'esclave des Etoiles » 577 et reprenait ce titre
revendiqué dans une lettre à Constantin II : « Shapur, Roi des Rois, partenaire des Etoiles, frère du Soleil
et de la lune. » Rome l'accusait d'associationnisme aux forces cosmiques. Cette identification de
Pharaon au « Roi des Rois » est d'autant confirmée par la présence de Haman au côté de Pharaon.
« Haman : allume-moi du feu sur l'argile puis construis-moi une tour pour trouver le Dieu de
Moïse ! » (Q28/38) Cette accusation reprend le thème d'adorer le feu, présent dans les homélies de
Pisidès.
La sourate 5, qui est la seule à être violemment antitrinitaire, possède de belles rimes en im
et un. Ces dernières vont être interrompues par une injonction contre l'associationisme des
chrétiens, verset 72, avec une rupture de la rime par anṣar. La même rupture s'observe pour la
sourate 19 à partir des versets 80. Les palimpsestes de Bonham cités par Alba Fedeli578 signalent

577. PISIDES Georges, Paschalion seu chronicon paschale a mundo condito ad Hreclii annum XX.
578. ALBA FEDELI, Early evidence of variant reading in Qur’âni manuscripts. OHLIG Karl-Heinz – PUIN Gerd-
R, The-Hidden-Origins-of-Islam-New-Research-into-Its-Early-History- Prometheus Book, 2009, p. 311-334.
des versions différentes des versets 41 à 54 de la sourate 3. Toutes ces remarques confortent des
probables gloses textuelles sur les versets concernant le christianisme.
Le caractère polémique, visiblement introduit tardivement, se manifeste dans le motif
coranique d'Abraham ; ce dernier ne vise pas une quelconque inclusion fraternelle mais il est brandi
marqueur de différenciation (Q2/130 et 135, Q4/125, Q6/161, Q16/123). Nous pouvons en
supputer son caractère tardif comme marqueur d'identité. Le traitement d'Abraham coranique est
résolument un thème polémique et d'opposition, qui, comme le remarque Rémy Brague579 « permet
à l'islam de se présenter comme la dernière et la première des religions » ; ce personnage montre
l'infidélité du peuple juif pour s'en détacher, tout en empruntant ses structures.
Ce mot « pervers » a donc une fonction de démarcation dans la rhétorique de saint Paul
comme dans celle du Coran ; le clivage entre les deux discours est cependant très grand. Le Coran
occulte totalement la liberté humaine. L'obéissance à Dieu devient écrasement. C'est ainsi qu'une rhétorique
identique conduit finalement à des orientations bien différentes. Le clivage se fait au niveau de la
liberté, qui n'existe pas dans le Coran. A-t-on même la liberté d'obéir ? Pas du tout, le bien et le mal
sont prédéterminés. Al-Imân signifie « croyance et conviction fermes » et ce vocable ne ressemble
pas du tout à un choix. La prédestination du bien et du mal ressemble à un décret implacable,
comme le précisent ces versets : « Nous avions décrété qu'elle serait parmi ceux restés en arrière »
(Q27/57), « Allah égare qui Il veut » (Q74/31 et Q35/8). L'idée d'une loi naturelle et du libre arbitre
est étrangère au texte (Q80/19, Q36/7, Q16/36, Q32/13). L'attitude religieuse coranique
fondamentale est l'obéissance. La désobéissance représente le mal sous toutes ses formes.
L'intercession pour les mécréants, fondamentalement les désobéissants, est rejetée, le grand
référent étant Abraham (Q9/114) – qui cherche à intercéder en faveur de son père. Là où saint
Paul parle de l'obéissance à Dieu « afin que tous soient soumis à Dieu », le Coran proclame un
caprice d'Allah. L'obéissance paulinienne est le chemin de croissance et donc de liberté de la
personne consentant à accueillir un projet ou une volonté différente de la sienne. Cette volonté
divine n'humilie pas ou n'abaisse pas, mais fonde la dignité humaine, elle n'est pas impitoyable et
accepte l'intercession d'Abraham. En même temps, la liberté est aussi en soi un chemin
d'obéissance, parce que c'est en obéissant comme un fils au projet du Père que le croyant réalise
son être libre. Il est évident qu'une telle obéissance exige de se reconnaître comme fils et de se
réjouir d'être fils, parce que seuls un fils et une fille peuvent se remettre librement dans les mains
du Père. L'obéissance coranique, en niant et la dignité d'enfants de Dieu et le libre arbitre, devient
un esclavage aux forces du Mal.580

En conclusion, le Coran utilise massivement tous les éléments d'une thématique biblique
(sous forme fragmentée), mais provoque des inflexions théologiques très nettes que nous pisterons
en partie 2 et 3. Le Coran se positionne en Maître du Pacte, plein d’Intemporalité et d’omniscience.

CONCLUSION

579. BRAGUE Rémi, La Loi de Dieu, Folio Essai, 2008.


580. Quelques occurrences du rasm brr, bā rā rā (Q3/193, Q3/198, Q5/96, Q83/18, Q83/22, Q76/5,
Q6/59, Q6/6, Q6/97, Q10/2, Q17/67), traduit par « terre » ou « juste » ; l'araméen donne : « terre » ou
« fils ».
Le Coran déclame sans cesse l'épopée des hauts faits de l'Alliance. Il ne fait que cela. Il
regorge de toutes les typologies de celle-ci : exode réactualisé en hiǧra, invocations enflammées au
Mont Ṭūr sīnīn – Sinaï transplanté en Arabie méridionale –, hyper sacralisation et focalisation de
l'espace divin – maison de Dieu581 et espaces consacrés à Dieu (ḥaram ) – descentes incessantes de
signes –‘ayat582 –, Shekinah583 apaisante accompagnant l’ouverture584 de l’ultime combat et enfin de
l’Esprit Saint planant sur certains élus, élevés (2/253, 19/17, 4/171, 2/87, 16/102). Cette Shekinah,
manifestation particulière de la présence de Dieu, en certains lieux ou à certaines personnes, dans
des circonstances exceptionnelles – sur le Sinaï (Ex 24, 14-15), dans la tente de réunion (Ex 40. 34-
35) et dans le Temple de Jérusalem (1 R 8, 10-11 ; Ez 43,4-6), la montagne du sanctuaire –
« descend » sur le messager aux sourates 2, 9, 48 x2 –585 lors d’un combat eschatologique.
Le mot qiyāman, utilisé au verset 97 de la sourate 5, peut lui aussi signaler « alliance » car il
est référencé dans la Peshitta et toutes les traductions araméennes de l'Ancien Testament (Pseudo-
Jonathan et Ongelos – Gen. 17/2).586 Luxenberg propose cette traduction : « Dieu a fait la Ka’ba (cube
du Saint des Saints), la Maison (interdite du Temple), une Alliance pour les hommes. » Les
différents vocables utilisés pour signifier ce lien entre le ciel et la terre, ce Pacte, sont variés. Ils sont
présentés aux versets suivants, mīṯāq ‘ahd 587 a‘d ; ḥabl (Q3/103, 112) ; qasam588.
Oui, Le Coran est le puits où toutes les figures et préfigurations de la nuptialité bibliques
vont surgir pêle-mêle et fusionner de façon surprenante. Oui, la nuptialité du Coran est
omniprésente, mais c'est enrubanné sous les voiles des traductions qui l'étouffent et la brident,
comme le montrent ces réorientations intensives du sens de la racine sīn kāf nūn, déconnectée
progressivement de toute notion connotant la présence de Dieu589 et de celle de qiyāman, comprise
comme un élément symbolique et gestuel. Oui ce corpus est un magistral hypertexte qui relie et
tisse sans cesse les fils d'or de l'Alliance mosaïque et évangélique. Il reflète à n’en pas douter, la
formation syro-araméenne des prédicateurs pétris de psalmodies d'homélies syriaques et celles des
scribes judéo-arabes réquisitionnés pour cette tâche.
Les travaux d’E.Cellard590 montrent que les lecteurs coraniques se comportent comme de
véritables philologues interprétant un rasm obscur. Aussi, sous le calame des scribes réquisitionnés –
pétris de récits bibliques dont parle la tradition islamique tel Zayd b. Thābit – et de ces lecteurs-
philologues, le désir de pacte mosaïque est fébrile et véhément ; les thèmes de l'exode, du Sinaï, de
l'obéissance et de la Loi martèlent inlassablement la récitation de l'Alliance. Cependant, cette
Alliance est virtuelle et mythique puisque sa réactualisation se fait en émiettant et dispersant les
sources bibliques et en répudiant leurs herméneutiques. Seul leur acte d’écrire ce corpus, cet umm
al kitab des arabes ummis, est érigé comme une pierre angulaire et vénérable, seul l’acte de le réciter
fédère la umma, « meilleure communauté » garante et gérante du kutiba (ce qui est prescrit). François

581. Le segment yabītūna li-rabbihim peut signifier : « maison du Seigneur ».


582. Le Ciel envoie : un Livre pour juger (Q4/105) ; la Sagesse et la grâce (Q4/113) ; la lumière (Q4/174
– cotexte Jésus, Q7/157), la Table (Jésus, Q5/114, Q10/59), le salut (Q8/41) ; la Sakina (Q9/26), le miracle,
la balance, le trésor, le pouvoir (Q30/35), la science, l'eau (Q25/48 ‒ lue par Lüling comme descente de
Jésus). Il envoie aussi le châtiment, le Livre qui guide et qui fait miséricorde (Q16/64), le rappel, la sourate
(Q24/1 ‒ ou la bonne nouvelle), le fer, l'Esprit (avec l'eau pure, Jésus et la miséricorde).582
583. Sīn kāf nūn.
584. al-fatḥ Et non la victoire.
585. Ces versets sont absents dans la scriptio inferior du DAM 27.
586.http://cal1.cn.huc.edu/showtargum.php?bookname=01&chapter=17&verse=2&Peshitta=ON&Sam.
587. Commémoraison en araméen (Homélies d’Aphraates). ‫ܕܬܟ‬/Z
588. Prophétie en araméen.
589. Lughat ul qur’an.
590. E. CELLARD. La vocalisation des manuscrits coraniques dans les premiers siècles de l’islam. In F. DÉROCHE, C.
ROBIN ET M.ZINK éd., Les origines du Coran, le Coran des origines, AIBL, 2015.
Jourdan591 souligne justement l'inversion chronologique : le Livre sacré des juifs et chrétiens suit
toujours un acte de l’Alliance, alors que la Vulgate précède le Pacte mythique et purement littéraire.
En ressassant de façon incessante ces faits puisés aux racines du Deutéronome et en les
mettant en branle dans le combat pour la croyance en lui-même, le Coran cherche à se faire et se
définir en tant que Le sceau de l'Alliance, l’alpha et l’oméga de cette dernière. Le « Pacte » doit être
compris comme l'Acte écrit, donc scellé, de l'Alliance, Acte sacré qui englobe toutes les alliances,592
acte légalisé qui transcrit et accuse à chaque récit, l’histoire des Alliances rompues. Le Coran est
l'hypertexte écrit, une fois pour toute, la quintessence de tous les Actes des Alliances, il se présente
comme le Testament rectifié.

Aussi les logia justifiant la fondation de ce nouveau Pacte implicite, brodent invariablement
sur cet épisode mosaïque de la réception ratée de la Loi. En dépit de ses variantes, le principal récit
fondateur du Coran et de son Pacte est incontestablement le don de la Torah à Moïse au Sinaï. Le
« Rappel » de cet épisode mosaïque ne peut ni concerner des polythéistes présupposés, ni des
judéo-chrétiens déjà convaincus et informés de l’Alliance. Cela ne peut être qu’une composition
d'une reconstruction idéologique, sélectionnant des biens textuels chargés d’Alliance pour fixer une
histoire sacrée liée aux conquêtes. « N'avait-il pas pris d'eux le pacte du Livre ? » déclame le verset
169 de la sourate 7 ; en effet, si on remplace le mot « Livre » par « Tables de la loi » et le mot
« Pacte » par « Alliance », on retrouve une notion judéo-chrétienne. « N'avait-il pas pris d'eux
l’Alliance de la Loi ?

Pour Jacques d'Edesse593, le christianisme est essentiellement l'Alliance de Dieu avec les
êtres humains ; Alliance qui commença à la création du premier homme à l'image de Dieu. Le
Dôme du Rocher, premier sanctuaire islamique est porteur de telles spéculations associées au
Paradis.

Dans le judaïsme, il y a une seule Alliance. La Torah est un joug pesant pour le peuple élu
(Deutéronome 6, 4-9) ; l'Alliance du Sinaï engendre l'esclavage, et cela est repris dans le Coran,
avec ironie, à la sourate 62. Saint Paul évoque bien deux Alliances : l'Alliance nouvelle, inaugurée
par Jésus-Christ et préfigurée par Isaac puis celle de Moïse (au Mont Sinaï arabe) dont hérite Isaac
et l'Alliance primitive, avec Agar qui figure l'ancienne Alliance, (alliance en Jésus-Christ). C'est une
généalogie allégorique, car Agar n'est pas dans la lignée de Moïse. Le texte de saint Paul est
complètement retourné puisque, désormais, c'est l'allégorie des frères Ismaël et Isaac (en pointillé dans
le Coran) qui s'exprime dans la Tradition islamique. Cette dernière confirme d'abord Isaac, puis
Ismaël, suite à des considérations cartographiques ; la distance considérable à parcourir pour Isaac
pour se rendre à La Mecque freine les spéculations.594
Dans le schéma paulinien (et la prophétie de Jérémie), l'évolution du rapport à la Torah se
fait grâce à une circoncision du cœur humain et à la venue de l'Esprit Saint ; cette progression
voulue par le Verbe et la volonté du Père devient impossible avec la doxa islamique, le rapport à la
Torah redevient un carcan encore plus redoutable, puisqu'une exégèse de type rabbinique est
désormais interdite. Le mode de rapport à la Parole de Dieu instauré par saint Paul est un mode de
libération induit par l'Incarnation du Verbe. Aussi tout le ressort de l'argumentation paulinienne

591. F. JOURDAN. Conférence à Lorient, 2017.


592. 81. « Et lorsque Dieu prit cet engagement des prophètes : Chaque fois que Je vous accorderai un Livre
et de la Sagesse, et qu’ensuite un messager vous viendra confirmer ce qui est avec vous, vous devez croire en
lui, et vous devrez lui porter secours. Il leur dit : "Consentez-vous et acceptez-vous Mon pacte à cette
condition ?" »
593. British Library (BL 12, 154, fol. 164-165; BL 17, 193, fol. 58). Tannous, Syria between Byzantium and
Islam, 216-217.
594. Les commentateurs vont suggérer la possibilité de voyages avec Al Buraq pour Abraham.
théologique est dévié à la seule fin d'affirmer la pérennité de l'alliance de Dieu avec Abraham, via
Ismaël, ancêtre éponyme des Arabes. Toute la Bible se trouve ramenée à une seule « alliance »,
celle que Dieu aurait contractée avec Abraham et son fils Ismaël (Q2/125). Toutefois, cette
justification testamentaire via le fils de la bannie (islamiquement parlant) coexiste avec une
généalogie classique de la Prophétie par Isaac (Q27). L'islam utilise donc une double chronologie
et une double généalogie, celle de Sarah et Jacob, celle d'Ismaël ; ce dernier surgit du corpus de
façon inopinée et incohérente, rien n'est dit de sa généalogie ni de ses actes en direction du Salut
ou de ce « peuple purifié » à venir (Q2/128 et Q2/129)595
La mission ratée de Législateur attribuée à Jésus, permet par contre, une entrée en piste de
son jumeau arabe qui va « parfaire la religion » et pousser au combat les anṣar aides ou naṣar, les
chrétiens du Christ. 596 Bref, pour convaincre et vaincre les chrétiens, quoi de mieux qu'une
annonciation d'Aḥmad par Jésus et qu'une mobilisation des troupes anṣar (« secoureurs » d'Allah)
chez les nṣar (« chrétiens »).
Ce combat contre l'ennemi ontologique d'Allah mobilise l'énergie fondamentale de tout
être depuis l'aube des temps, puisque ce combat ouvre en même temps l'Eden et la Terre sainte ;
la route du sanctuaire n'est plus obstruée : « Nous dîmes : entrez dans cette ville, mangez de ses
produits à satiété, partout où vous voudrez ; franchissez-en la porte en vous prosternant et dites :
"Pardon, nous vous pardonnons." » (Q2/58) L'ennemi ontologique est celui qui refuse la royauté
totale de Dieu sur sa Création, sous-lieutenance du Calife (‘Abd al-Malik). L'ennemi est l'homme
ingrat qui préfère la vie trompeuse à celle de l'au-delà, celui qui soustrait ses biens à la Cause.
L'ennemi devient progressivement l'Empire byzantin, sa gouvernance, ses taxes et son trinitarisme
– les Ghassanides (vers la Syrie), confédérés à l'Empire byzantin, étant monophysites. Au fur et à
mesure des alliances, les mušrikun varient, mais ils sont toujours des menteurs, ils mentent toujours
au sujet du Verbe (les chrétiens) ou rejettent le Verbe de Dieu (les juifs).

Le Pacte mosaïque est bien la pierre angulaire de la Vulgate car La Loi est un incontournable
pour se définir. Des extraits de mouture rabbinique des Talmuds remplissent, cette fonction.
L'équipe exégétique suggère un nouveau prédicateur recevant la Torah, du fait du non-
accomplissement de cette dernière par les juifs. Il lui faut à la fois reconnaître cette Loi, cette
bénédiction, cette lumière, cette descente sur les Fils d'Israël, tout en détournant en pointillé et
furtivement le réceptacle. Aussi, la seule Loi qui est officiellement mise en avant est bien celle de
la Torah. Cependant, la récupération de la Torah se fait hors du sol, hors du temps, hors du peuple,
hors du schéma salvifique voulu par Dieu. L'Alliance biblique est située dans l'Histoire et n'est pas
en dehors de celle-ci. Dans le Coran, tout est mythique et intemporel, sauf l'investiture de la terre.
Cette incompréhension du déploiement du Salut est issue de la pensée syriaque et notamment de
celle de Jacques d'Edesse. Ce dernier ne s’attache pas à l’idée d'une histoire du développement de
la Révélation, mais connaît juste le principe de l'Alliance unique renouvelée plusieurs fois entre
Dieu et l'humanité ainsi que l'envoi continu des prophètes.

La « conquête » de « la Terre » sera sanctifiée, justifiée, sacralisée par une traversée effective
du Jourdain – selon les récits et justifiée a posteriori par un vol vers Jérusalem puis un second envol
vers les Cieux. Ainsi l’analogie avec Moïse qui n’atteint que les alentours de la terre sainte sera totale.
Ainsi donc, la conquête de l'espace est première dans le corpus et dans l'histoire, mais elle
correspond à essentiellement une géopolitique initiée par l'Empereur byzantin puisque le calendrier
dit arabe débute l’année de reconquête initiée par Héraclius. La bataille de Mutah est le seul fait
avéré historiquement qui se trouve décrit dans le Coran (sourate 30). La Victoire est lue à la lumière

595. Avec un écho de l'Epître à Tite : « Et de se faire de nous un peuple purifié, agréable, et zélé pour les
bonnes œuvres. Dis ces choses, et exhorte. »
596. Il est impossible dans les manuscrits anciens de différencier.
d'un transfert de l'Alliance et les schémas de saint Paul sur les deux alliances sont fort utiles pour
l'expliquer. Ils sont adaptés aux deux fils d’Abraham.

L'itinéraire suivi par les troupes de Muḥammad venant de Médine semble calqué sur celui
des Hébreux ; l'itinéraire littéraire et théologique suivi fut celui tracé par tous les Messagers en
simultané, avec une triangulation Moïse, Abraham, Jésus, pour se frayer une issue. Si,
physiquement, il avait fallu arriver en face du Jourdain dont le passage était le signe de la conquête
victorieuse de « la Terre »597, théologiquement il fallait maintenant arriver à se frayer un passage
entre ces deux murailles des flots tumultueux du rabbinisme et du christianisme qui, à chaque pas,
pouvaient engloutir cette reconstruction de l'Alliance.
Cependant, les récits bibliques de l'Alliance sont insécables de la rédemption déployée dans
le temps depuis la chute adamique. Les récits coraniques sur le Pacte, eux, sont ficelés par
l'obéissance aux conquêtes dans le sabil Allah, chemin confus vers Jérusalem et l'Eden. Les récits
de l’itinéraire des troupes arabes s’accrochent aux récits des itinéraires des Hébreux et sont comme
insérés, manu militari en phase terminale de composition. En sont témoin les allusions à la bataille
de Badr, allusions quasi sibyllines ainsi que les réorientations sémantiques.

Ainsi le vocable al-fatḥ est traduit par victoire mais il signifie d’abord « ouverture » et
ouverture de quoi, sinon du paradis. Ainsi, sourates 48 et 9 vont subir des modifications
importantes pour greffer Muḥammad et son épopée. Car le seul Combat dont il était question dans
une strate primitive était celui des Ténèbres contre la Lumière, annoncé dès les premiers versets de
la sourate 2 (v. 17), combat qui aboutit, dans une lecture de la sirah, à la naissance lumineuse de
Muḥammad, flambeau combattif. 598 Le mot ḥarbā, $!݁ܳ'%ܰ univoquement traduit par « guerre »,
signifie aussi « l'épée », « le lieu détruit », les paroles magiques.599 La Parole de Dieu possède aussi
cette double acceptation dans la Peshitta. La racine arabe ḥā ra ba est associée simultanément à la
guerre et au lieu de la prière de Marie au Temple (qui a été détruit deux fois). Dans Heraclius, Sébéos
évoque le Verbe de Dieu comme un assistant de guerre : « le Verbe de Dieu vint au secours des
Arméniens, il souleva un vent violent et le répandit sur l'armée persane ». Le Coran partage cette
vue d'Allah qui participe à la stratégie militaire. De plus, Jésus, Le décret coranique, est le maître du
Temps, de l'Heure600 et demande l’aide combattive de ses Apôtres.

L'Alliance d'un peuple avec Dieu qui sauve, dans l'espace, devient un Pacte arabe d'une
communauté qui ordonne le Bien et interdit le blâmable, et qui s'auto-proclame l'Elue dans le
contrat écrit de ce pacte, le Coran. L’impératif absolu d'investir la Loi se fait par la promulgation du
dogme de l'obéissance : obéissance réclamée par-delà la mort de l'objet du droit, le Muḥammad des
Califes ; obéissance califale où sans cesse se déploie un « associationnisme » manifeste qui unit une
« binarité » : Allah et le Messager. L'attente et l'espérance bibliques ne sont plus associées à cette
obéissance ; la rédemption (furqan) devient «le discernement » ; la posture est désormais celle de la
sagesse pragmatique, celle de la justification de la conquête depuis un système bureaucratique
abbasside. L'histoire de Pharaon est ressassée et elle est l'allégorie qui justifie le nouveau départ,
l'hégire des coalisés du nouveau Pacte arabe ou « la conversion » de ces accomplisseurs

597. Ainsi en fut-il des Hébreux de l'Exode selon ce que décrit la Bible (cf. Nombres 33).
598 . Ce Combat des Ténèbres contre la Lumière est mis en vers dans de nombreux Hymnes d'Ephrem et
textes gnostiques. « Les ténèbres ont cédé et la lumière a triomphé pour proclamer la victoire du Premier-
né. »598
599. L’épée TAD C1.1(Ahiqar) .161 : ‫ חרב תדלח מין שפין בין רעין טבן‬épée P Gn3:24 : xd‫"ܗ‬4‫ ܕ‬8+;#‫ ܕ‬. P
Ju7:22 . BT Tan 21a(45) : ‫ חרבא דמשה שאדי מניה עפרא והוו חרבי‬: épée de Moïse : collection de mots magiques
JBA, JBAg, LJLA. HM(1) 87:(1)8 : ‫ בשם מארי כל קדישייא ועד תכלית חרבא‬.
600. « Quant au jour et à l'heure où cela se produira, personne ne les connaît, ni les anges du ciel, ni même
le Fils ; personne, sauf le Père, et lui seul. »
« musulmans » qui s'extirpent de l'Empire byzantin. L'obéissance est exigée de façon absolue par
ces lieutenants d'Allah que sont les Califes ; le plus illustre d'entre eux, en nouveau David, nommera
son fils Souleyman (Salomon) et bâtira le Dôme sur le Rocher. La « meilleure communauté »
conquérante de la Terre porterait très haut la Torah, lumière éternelle, et la porterait non plus
comme l'âne (Q62/2) ou les Bestiaux (Q6). Elle ne serait plus divisée. « Cette communauté, la vôtre
est une seule communauté et Je suis votre Seigneur mais ils se sont divisés. » La « meilleure
communauté », unie par le Câble d'Allah, porterait la Torah et l'appliquerait envers et contre tous.
La terre mosaïque promise avait été conquise, mais le Messie-Jésus n'était pas redescendu ou la Fin
des Temps promise par Muḥammad, pas advenue. Le passage du Jourdain à pied sec fut plus aisé
à réaliser que celui de ce retournement théologique inattendu. Les reprises des motifs et chemins
mosaïques seuls n'auraient jamais pu permettre de s'emparer simultanément de la terre et de
l'Alliance sans ce Retour du Messie.
Ainsi le nœud coranique, relecture midrashisante de la conquête de la terre de l'Alliance, ne
put ne se déployer qu'au sein du drame johannique. C'est celui du drame de l'Alliance humano-
divine sans cesse rejetée, du combat des Lumières contre les Ténèbres. Le Verbe est descendu et
les hommes l'ont rejeté. Les hommes, surtout juifs, s'en sont enorgueillis. Ce drame est le thème
de prédilection des homélies syriaques de l'Antiquité tardive. « Il est descendu » avec ses signes, ses
livres et sur les Prophètes, mais « ils violèrent l'engagement », « une fois le châtiment éloigné »
(Q7/135).601 Les auteurs syriaques fustigent sans cesse, dans les mêmes termes, l'incapacité des juifs
à reconnaître les signes de Dieu. Les querelles christologiques furent un puissant facteur d'identité
culturelle pour s'opposer à l'Impérialisme, la christologie coranique participe à cette crise identitaire.
L'Ecriture est le lieu de la Manifestation du Verbe qui descend et qui doit être « récité », c'est-à-dire
s'incarner dans l'être et qui, surtout, doit harmoniser et soumettre les sujets à l'idéologie. Le Verbe-
Jésus est aussi descendu pour purifier, comme la supplique d'Abraham l'avait manifestée : « envoie-
leur un messager pour les purifier » (wa-yuzakkīhim). L'hymne d'Ephrem – « Pure fut la Nuit où se
manifesta le Pur qui vint nous purifier » – résonnait encore aux mémoires. L'étude des Ecritures
pouvait aussi, dans un sens rabbinique, induire un retournement eschatologique et agir sur le Retour
du Messie.602
Pour se saisir de l’Alliance, il fallait à la fois réussir la mainmise sur le Messie
Verbe de Dieu et sur sa fonction sur la Torah, tout en réactivant certaines des lois
mosaïques et talmudiques. La figure de Jésus va permettre aux scribes de s'octroyer le pouvoir
de digérer la Cacherout, d'accaparer la Torah, seule Loi de Dieu identifiée dans le Coran. Ainsi, cette
figure messianique va être investie de fonctions novatrices et abrogatives déjà entrevues dans le
christianisme, mais elle va être renvoyée à la Fin des Temps. L'Alliance biblique positionne l'âme
dans une posture de désir de son Salut inauguré par Dieu. Toutes ces notions sont absentes du
Coran. Le processus d'attente coranique devient uniquement eschatologique. Il n'y a plus une
espérance de Dieu précédant celle de l'homme. Il n'existe pas d'Alliance « éternelle » dans le Coran,
car Israël la perd ; c'est juste un rappel des rébellions de l'homme, une invention du « Pacte des
prophètes » (en pointillé au Sinaï), une espèce de Pacte immémorial et intemporel absolument
nécessaire pour placer le nouveau Prophète régent. Il n'y a plus de graduation dans l'espérance.
L'ultime horizon est la terre et sa jouissance sans entrave. Certes, à l'aune de ces vues, la descente
du Paradis est réinvestie, et la perte des vêtements de lumière, rappelée, conforme aux récits
liturgiques syriaques ; mais le chemin est dévié. Même s'il reste des vestiges de désir de retour à
l'Eden, grâce au Verbe (kalima) qui « descend », même si Jésus est un second Adam, le retour vers
l'Eden se fera par le combat contre l'ennemi ontologique.

601.pܵ9 ܿ
ܼ ‫ ܕܪܼܘ‬, le vocable issu de la racine arabe rā jīm zāy signe la divine colère.
602. Dans le Livre des Jubilés, Ismaël et Isaac sont cités ensemble pour célébrer la fête des Prémices. A la
mort d'Abraham sont présents Jacob, Rebecca, Isaac et Ismaël.602 Ce livre décrit les affres eschatologiques
qui surviennent du fait de l'abandon du Pacte établi entre Dieu et eux. La rébellion de l'homme conduit à
la destruction de la terre. Le retournement eschatologique se fait lorsque l'étude des lois revient.
Si la Torah est un pur motif pour positionner un cadre narratif de l'Alliance, il fallait un
élément déclencheur pour dramatiser l'entrée de Muḥammad. Ce motif, c'est le Messie en échec.
Jésus est cet élément déclencheur, il est la pierre d'achoppement qui permet à Allah une nouvelle
tentative pour confondre l'humanité. Il est le « signe » qui confond les juifs, la Torah en sa main.
Impossible, sans Jésus, de s'opposer aux juifs. Les versets flous et imprécis sur la Loi de l'Injil
rendent la tâche du législateur difficile, puisque le Coran reconnaît que l'Injil confirme la Torah et
que la législation se fait grâce à ses descentes célestes successives et identiques mais ce flou facilite
le travail du politique et permet l'aliénation des deux concurrents. La Loi de la Sunna, basée sur la
vie et les dires supposés de Muḥammad, jouera le même rôle que le Deutéronome (deuxième Loi
qui suit l'exode de Moïse) pour se composer un cadre législatif.
Si dans une strate primitive du Coran c’est Le Messie, Verbe de Dieu qui applique le décret et
rouvre la porte de l’Eden, dans une strate secondaire ces prérogatives vont migrer sur le porte-
parole ‫שלח‬, l’envoyé [de la parole d’Allah].

Le Coran évoque sans cesse l’expulsion du Paradis et le combat sur le sentier qui est celui
du retour au paradis. C'est le porteur ou l’envoyé de la kalima qui efface ou accomplit le décret et
qui a cette fonction d’avertir et de porter la parole-décret. Or le Coran pointe univoquement vers
une kalima, associée à l’identité de Jésus (4/171). Les versets Q2/37, Q20/129, Q3/45, Q66/12,
Q14/26, Q4/171, Q6/115, Q7/137, Q10/33 (promesse, bénédiction, héritage) ; Q9/40 (David),
Q11/110 (Moïse, décret préexistant), Q23/100 (parole pour revenir sur terre). Ces fonctions
s'orientent de façon univoque vers la kalima, Jésus effaceur du décret. Le mot kalima, incarné
uniquement en Jésus, résume toute la puissance de cette dialectique car ce mot n'est pas synonyme
de « parole » dans le Coran.603
Cette expression araméenne existe dans le sens de vérité. Elle signifie aussi vérité dans les
manuscrits de Qumran. 1QapGen 6.2604 , « je vis toute ma journée dans la vérité et je marche
dans les voies de la vérité éternelle ‫ܝ‬-*ܼܿ‫ܐ‬ ܽ
ܸ 1/! toujours. 605 .

Il faut rappeler le rôle biblique et la fonction admise par l'auditoire judéo-chrétien – attribués
à la Parole de Dieu, puisque Jésus est le Verbe de Dieu attendu dans sa venue. Il soutient toute
chose par la puissance de sa parole, les éléments (le vent) lui obéissent. Sa parole a cette puissance
divine par laquelle, non seulement il a tiré toutes choses du néant et les a bien ordonnées, mais
encore il maintient leur existence et leur ordre, et les gouverne. Sans elle, sans son action constante,
elles cesseraient d'exister ; elles tomberaient dans la confusion et le néant. Les effets de cette
puissance se manifestaient quand il était sur la terre. Il tançait le vent et disait à la mer : « Fais
silence, tais-toi ! » (Marc 4, 39) Cet effet est visible dans le Coran. Par sa parole, Jésus coranique
balaie l'infâme calomnie sur Marie. Le Jésus-coranique est associé à la puissance créatrice de la
Parole d'Allah, il est la Parole divine depuis le berceau. Jésus cherche le soutien de ses Apôtres en
Q3/52 et la référence évangélique est invoquée dans deux passages guerriers (Q48/29 et Q9/111).
L’omniprésence de la racine ra sin lam n’a pas été analysée. L’origine est ‫ שלח‬et signifie « l’envoyé
d’un ordre ou d’un message » 606 .

603. La traduction arabe du Nouveau Testament utilise cette expression qui devait exister avant le Coran.
La traduction arabe du Diatessaron l'utilise pour « Verbe ». Le verset Q14/24 confirme ses références à Jésus :
« Allah propose en parabole sa Parole semblable à un arbre dont la racine est ferme et dont la ramure
transperce le ciel. »
604 ‫וקושטא כול יומי דב֗רת והוית מהלך בשבילי אמת עלמא‬
ܿ
605. Syr. KwD2 61:18 .$543‫ ܘ‬75/3‫ ܕ‬738 <;:9 ‫ܝ‬-*‫ ܐ‬1/! >=
606 . Ezra7:14 : ‫ ִמן־ְֹקָדם ַמְלָכּא ְוִשְׁבַﬠת ָיֲﬠֹטִהי ְשִׁליַח ְלַבָקָּרא ַﬠל־ ְיהוּד‬une parole a été envoyé par le roi pour
investir la Judée.
L'adhérence au Pacte arabe et la recherche d'unification des croyants sous une bannière de croyance
minimaliste est significative d'un désir d'alliance humaine. Mais quelle est la part d'initiative d'Allah
dans cette nouvelle composition et, surtout, quel traitement réserve-t-elle à Israël, à l’Eglise, nouvel
Israël et à leurs alliances ?
Les deux flancs des flots équidistants seront repoussés comme étant les ennemis
archétypiques et polymorphes. « Les associateurs » seront, à travers les siècles, les ennemis des
« accomplisseurs » du Pacte. Après avoir désigné le mauvais pour susciter des alliances humaines, le
Coran va abrahamiser pour repousser les deux flancs concurrents et les renvoyer à l'instant mythique de
la pureté du dîn. Le Coran renvoie aussi simultanément à sa propre origine, qui est en fait celle du
Logos.

L'inauguration du prototype du mušrik, le mauvais croyant, est l'un de ces procédés les plus
géniaux pour neutraliser les ennemis de cette réécriture du Pacte qui sont les détenteurs du Livre.
Manifestement, de par ses contours flous et fluctuants, ces ennemis provoquent l'alliance des forces
vives. En effet, si les mušrikun étaient de réels ennemis, leurs tares seraient définies, ils seraient
localisés. Ils sont si évanescents que nous croyons qu'ils sont un artefact littéraire pour figer le texte
dans sa mouture finale vers un ennemi protéiforme traversant les siècles, l'opposant au Pacte des
Arabes607. Tout au long de nos études, nous avons dégagé le caractère stratifié des écritures et
processus éditoriaux. Là encore les maintes réécritures observées par nous608 sur le ductus du mot
qatala indique une postériorité de la valorisation du combat à l’installation des arabes plutôt
pacifique. Les sources islamiques suggèrent que les Arabes se sont soudainement réunis sous la
bannière de l’islam et ont lancé une campagne militaire sans fin. Cependant un large éventail de
sources – principalement chrétiennes – en syriaque, grec, latin, arménien font mention de
conquêtes bien avant l’apparition de documents islamiques. Ces sources changent
considérablement l’image des conquêtes. Les tribus arabes, avec d’autres peuples, tels que les Turcs
et les Avars, avaient déjà commencé à faire des raids à la fois sur l’Empire byzantin et l’empire
sassanide bien avant l’islam comme le souligne Hoyland dans La Voie de Dieu. Ainsi en 610, « une
bande d’Arabes vint d’Arabie dans les régions de Syrie et ils pillèrent, dévastèrent de nombreuses
terres, massacrèrent beaucoup d’hommes et brûlèrent sans compassion » 609
L'extermination farouche et fébrile de l'ennemi de ces Pactes y est sans cesse exigée, la « meilleure
communauté » qui sera l'Elue y est sans cesse convoquée, l'exode, le long de ce chemin d'Allah,
recommandé. Là encore l’hypothèse d’une strate tardive d’intensification les versets Q9/113,
Q9/125, Q9/84, Q9/80 analysés par E. Puin montrent l’absence de certains mušrikina et kafirun.
Comme l’a montré G. Hawting cité par A.-L.de Premarre,610 le terme coranique du šhirk est un
concept polémique visant non pas, des « idolâtres » ou des « polythéistes » mais des monothéistes
ainsi stigmatisés par leurs adversaires monothéistes en différentes situations. « C’est dans cette ligne
qu’il faut comprendre le langage coranique. Celui-ci est significatif non pas de l’état réel d’une
religion polythéiste en Arabie, mais d’une polémique des premières décennies de l’islam contre des
adversaires qui sont eux-mêmes monothéistes. Ce genre de langage polémique sera également
utilisé par les musulmans entre eux, selon leur appartenance à différents courants religieux ou
politiques, depuis le premier siècle jusqu’aujourd’hui.

607 . La preuve de ces glissements se voit dans la traduction systématique erronée du mot fitna par
« associateur » (Q2/93).
608. MRAIZIKA-CHAUSSY Florence. Inarah 10, Le rite islamique. 2019.
609 HOYLAND Robert. dans La Voie de Dieu. p. 60.
610 . Recension pour Hawting Gerald R., The Idea of Idolatry and the Emergence of Islam. From Polemic to History.
Cambridge Studies in Islamic Civilization.
Selon Hoyland « Les conquêtes arabes n’ont pas été initiées par Muhammad seul, mais ont
commencé avant lui. » 611 L’analyse des sources non islamiques associée à un examen des
inscriptions et des pièces de monnaie montre que l’islam n’existait pas au moment des premières
conquêtes. Hoyland note qu’il n’existe « aucune preuve de l’islam » avant le règne du calife
omeyyade Abd al-Malik (685–705). Le christianisme se répandait parmi les Arabes à l’aube de
l’islam. Cela est attesté par une inscription arabe-grecque datée 567 dans le sud de la Syrie sur un
martyrion chrétien. Ce graffito (document 2) du cinquième siècle prouve que l’arabe était déjà utilisé
pour la diffusion du christianisme. Hoyland montre que l’arabe – comme l’araméen/syriaque –
était avant tout une langue chrétienne. C’était la situation culturelle idéale pour l’arrivée d’une figure
prophétique qui aurait prétendu recevoir la parole d’Allah en arabe d’un ange. Au début, les
conquêtes étaient « arabes » et pas encore « islamiques ». Les conquérants arabes s’installaient
généralement dans les villes de garnison et évitent de se mêler aux populations conquises (par
exemple pour ce qui est de la conquête de l’Égypte en 640). Pendant longtemps, les postulants à
l’islam avaient besoin de s’associer à une famille arabe. Quand l’islam s’est finalisé au début du
VIIIe siècle, la guerre était naturellement déjà traitée comme un élément central de la foi. Le
développement doctrinal de l’islam a donc impliqué l’incorporation d’une culture militante de la
conquête. Les doctrines islamiques sur le jihâd, ont été façonnées et canonisées seulement durant
cette période.

Donc il avait fallu s'allier le flanc du christianisme qui, haut et fort, clamait maudit le premier
flanc, celui des eaux du rabbinisme. Les exégètes se sont unis à ce second flanc pour clamer : « le
Peuple vaurien qui cherche notre mort […] (le peuple) à la main maculée du sang des animaux (et)
dégoûtante […] la main qui assassine, salie du sang des Prophètes. Ce peuple est un vrai porc vautré
dans le sang. »612 – « La foudre les frappa pour leur tort, ils adoptèrent le veau, nous avons brandi
au-dessus d'eux le Mont, nous les avons maudits à cause de leur rupture de l'Alliance, à cause de leur
mécréance, de l'énorme calomnie contre Marie et leur parole, nous avons tué le Messie. » (Q4/154 à 157) Ainsi,
le thème de la rébellion de la race élue se trouve être le cœur même du drame coranique et il prend
part aux polémiques sur l'Alliance des chrétiens et des rabbins. Si l'ingratitude et la rébellion de la
créature balayent l'intégralité du corpus, celles des Fils d'Israël sont prégnantes.

Les exégètes vont redéployer l'histoire réelle et dévier celle du Salut : ils vont d'abord postuler une
vision talmudique, selon laquelle un peuple aimé d'Allah doit accepter la Loi et la porter pour arrêter
l'ire divine. Dieu avait créé le monde sous la condition suivante : il ne perdurerait que si Israël
acceptait la Torah ; dans le cas contraire, tout le vaste univers disparaîtrait et retournerait au vide
total d'avant la création. Dès lors qu'Israël avait pris sur lui cette responsabilité, il n'y avait plus de
retour possible. En suspendant la montagne au-dessus d'Israël, Dieu a montré que les Bénis-Israël
avaient effectivement choisi de devenir les « anges » destinés à Le servir, et que la création existerait
par son mérite. A partir de ce moment-là, ils ne pouvaient plus se décharger du fardeau. Dans la
conception islamique, les fils d'Israël ont perdu cette fonction, il n'y a donc plus personne pour
recouvrer la grâce perdue par la faute des origines lorsqu'Adam et Eve ont été chassés – même si
Adam semble avoir été pardonné dans le Coran. L'univers risque de basculer dans le chaos, sauf si
une communauté reprend à temps l'engagement et entre dans le vrai dîn (Q2/64). La surabondance
de requêtes de pardon prouve ces tergiversations théologiques. L'intercession est progressivement
bannie, mais va réapparaître, au fil des éditions, au profit du nouveau Prédicateur.
Cependant, la vêture de Lumière portée par le couple originel n'est jamais recouvrée, le
corps n'est plus la bonne nouvelle, Adam ne retrouvera jamais l’intégrité de son âme, l'Ève de l'Éden.
Les tafsirs ont cherché à définir une nouvelle doctrine ont été ballotés entre plusieurs théologies.

611. HOYLAND Robert. In God's Path: The Arab Conquests and the Creation of an Islamic Empire,
2014.
612. Hymne Pascal XIX, St Ephrem.
Ils optent parfois pour des bribes de doctrine chrétienne dans laquelle Jésus est semblable à Adam
mais ils n'épuisent pas alors totalement la puissance de cette expression. Bien au contraire, ils
adoucissent son sens en défaveur du Salut et en faveur du dîn. Ils occultent radicalement les fonctions
salvatrices du Christ. Si Jésus crée à la façon d'Allah avec la glaise et s'il peut, par décret créateur,
insuffler l'âme dans la glaise et la vie par la Parole, des ajouts ultérieurs (avec la permission d'Allah)
ou des sourates plus tardives (comme la sourate 5) réajusteront Jésus au niveau minimal. Alors que
le verset 49 de la sourate 3 souligne que Jésus ne se meut – et donc ne parle – qu'avec la permission
d'Allah, au verset 116 de la sourate 3 il est suspecté et questionné par Allah au sujet de l'adoration
dont il fait l'objet. Ces deux versets montrent une stratification de composition. Les Califes
préfèrent parfois la théologie judaïque qui impose la construction du Temple613 ; l'accomplissement
de rites particuliers indispensables au Salut obtient leur adhésion ; enfin, ils conservent jalousement
des bribes de la théologie anti-nicéenne où Jésus, le Messie, le kalima implacable d’Allah, va tout
restaurer et tout accomplir. Jésus est le Maître du décret foudroyant – représenté avec l'épée –, mais
les Califes le renvoient à la Fin des Temps. Au final, le recouvrement de cette grâce perdue devra
se faire au combat pour l'établissement du dîn. L'espace théologique que tracent les prédicateurs
puis les exégètes est toujours à équidistance des flots rabbiniques et de ceux des chrétiens. Cette
position de centre de gravité permet de se frayer un chemin et, surtout, d'accaparer l'adhésion de
tous. La multiplicité syriaque des Alliances et l'unicité de l'Alliance des Fils d'Israël sont tout autant
repoussées. Le mot même de Calife est lié à l’épisode mosaïque des tables brisées au verset 7/150
et à ce décret de Dieu. Au verset 2/80 la racine kha lam fa signifie « briser l’alliance ».
Le Paradis mêle des visions des hauts lieux, diverses et variées, tout autant bibliques que
persanes. La vision béatifique semble occultée, et seule la mort en martyr semble en garantir l'accès
direct. Le refus de la Bonne Nouvelle de l'Incarnation rend tortueux le chemin du retour à l'Éden.
Le motif de l'Enfer est d'un emploi aussi redoutable que variable : le nombre d'élus n'est pas le
même en fonction des sourates. Il diminue ou est constant avec les générations : Q56/13.
La sourate 2 narre dans ses débuts, l’histoire de la chute du Paradis et du recouvrement du salut
avec Moïse et la c’est sourate 48 qui porte le titre d’« ouverture » –comme celui de la sourate1– qui
exprime ce pardon des péchés.614 Le mot tahwā du verset Q2/87615 est traduit par « désir » mais
cette racine renvoie à « l'Essence divine »616 et une des occurrences de ce vocable est associée à
Jésus qui suit Moïse. Le sacrifice de la vache permet de redonner la vie.617
Al-fatḥ est l’ « ouverture » triomphante est celle des portes du paradis, où les péchés sont
pardonnés (Q48/14, Q48/2, Q48/11 et Q48/27). L’ouverture du Paradis est initiée par Marie se
nourrissant du fruit du palmier, banni de l’Eden. La sourate 9 liée à la sourate 48 par ses
thématiques est suivie de la sourate 19 (DAM 27, scriptio inférieure). La sourate 9 s’intitule « la

613. Le voyageur chrétien Arculfe la décrira en 670 : « Dans ce lieu fameux où il y eut une fois un Temple
magnifiquement construit, situé dans le voisinage du mur de l'est, les Sarrasins aménagent un emplacement
quadrangulaire de prière édifié de manière simple de planches dressées et de grandes poutres sur ce qui
restait de ruines. On dit qu'elle peut contenir 3000 personnes à la fois. Le pèlerin Arculfe et le roi Mavias :
la circulation des informations à propos des « sarrasins » aux VIIème-VIIIème siècles, de Jérusalem à Iona et
Yarrow (2013). HOYLAND. Robert. Dans la voie de Dieu p 68.
614. Q2/9 « Annonce à ceux qui croient et pratiquent de bonnes œuvres qu’ils auront pour demeures des
jardins sous lesquels coulent les ruisseaux ; chaque fois qu’ils seront gratifiés d’un fruit des jardins ils diront
: C’est bien là ce qui nous avait été servi auparavant. » « Entrez dans cette ville, et mangez-y à l’envie où il
vous plaira ; mais entrez par la porte en vous prosternant et demandez la rémission (de vos péchés) ; Nous
vous pardonnerons vos fautes ».
615. Wa-la-qad ’ātaynā mūsā l-kitāba wa-qaffaynā min ba‛dihī bi-r-rusuli wa-’ātaynā ‛īsā bna maryama l-bayyināti wa-
’ayyadnāhu bi-rūḥi l-qudusi ’a-fa-kullamā ǧā’akum rasūlun bi-mā lā tahwā ’anfusukumu stakbartum fa-farīqan
kaḏḏabtum wa-farīqan taqtulūna
616. Avec l’Etre.
617. Le cotexte évoque l’élection de Jésus.
repentance ». Les sabaq ‫שבקת‬, les anṣar,618 du verset Q9/100 renvoie à cette notion de « pardonné »,
et muhājirīna 9/100 à la conversion (Q26/29, cette racine signifie se convertir).619
La nativité de Jésus au pied du « tronc du Palmier » qui produit « des dates fraîches » est donc
une icône de la rédemption, l’arbre est coupé et il refleurit. Le Palmier s'incline et « verse le Fruit »
dans Le proto-évangile de Jacques. Dans les apocryphes, la Palme est l'arbre de vie écarté du Paradis,
qui retrouve sa place paradisiaque grâce à Marie ; aussi s'incline-t-il devant elle et retrouve-t-il sa
place. La Palme est le trophée chrétien de la Victoire sur la mort et le symbole judéo-chrétien du
retour au Paradis. La palme du martyr conduit aussi au Paradis. Cette option est rappelée au verset
Q9/111 en référence à l’Injil. L’autre référence est en Q48/29. Cette lecture obvie est destinée à
créer l'islam. Le Ramaḍan que l’on rompt avec des dattes est présenté comme une rédemption, une
réouverture des portes du Paradis.

Dès l'aube de ce moment mythique – que nous conte le Coran–, juifs et chrétiens ont refusé la
pureté du dîn d'Abraham (Q2/135, Q2/140, Q2/130). Leur condamnation est éternelle, puisque
prononcée par lui, le Logos incréé. Par cette hagiographie, l’appareil exégétique va ainsi aliéner le passé
des deux grands détenteurs de l'Alliance. Le ressort de saint Paul pour redéfinir l'Alliance est ainsi
totalement désactivé. Les reliquats des rituels pagano-arabes vont être purifiés par Abraham, à La
Mecque, par-delà les siècles, en son prolongement : Muḥammad. La première « Maison » édifiée le
fut par Abraham, à la fois à Jérusalem, au Dôme du Rocher, par son lieutenant ‘Abd al-Malik, et à
la Ka’ba par son lieutenant Ibn Zubayr. Ibn Zubayr fut crucifié par ‘Abd al-Malik. Le mot « Bakka »
(d verset Q3/96) lu « Mekka » permet cette double lecture et réconcilie ce double pèlerinage.620

A un instant t, les groupes de la « coalition » vont vouloir rassembler leurs versions


différentes du récit des Alliances et vont vouloir donner le Livre entier à ces communautés rivales.
Cet œcuménisme avant l'heure ne peut servir qu'une Alliance politique et humaine.621 « Venez ô
gens du livre à une parole commune entre nous et vous pour que n'adorions qu'Allah » ; « Vous
devez avoir Foi dans le Livre entier. » Abraham est pris alors à parti puisqu'il est dit n'être ni juif ni
chrétien, mais « croyant »622 ; Abraham et ses fils arabes, Ismaël puis Muḥammad, sont associés pour
la fondation de « la Maison » du culte primitif et pur voué à Dieu. Il y a là une volonté manifeste
de syncrétisme sur une base théologique simpliste, un désir d'unifier les communautés en présence
et d'associer les Arabes au Livre, à la promesse, à l'Alliance par Ismaël. La Trinité est fortement
associée à l'Empire byzantin, et les querelles christologiques sont des facteurs d'autonomie vis-à-
vis de ce dernier. Ce syncrétisme est manifeste sur les pièces de monnaie où tous les motifs
byzantins sont réinvestis. La sourate 2, avec son épisode fondateur abrahamique de la prière
« d'intercession » d'Abraham pour sa descendance soumise, a pour fonction de présenter Ismaël
détenteur du Pacte et de convoquer le nouveau peuple élu à des rites expurgeant progressivement
tout sacerdoce. Le sang de l'Alliance est éliminé. Même si l'intercession d'Abraham pour le repentir

618. ‫ נצר‬à la dévotion.


619 Abraham, il est à la fois le premier émigrant (il a « vraiment » quitté son pays) et le premier prosélyte. Il
est le « ger » absolu, Gn 19,9. Les « émigrés » sur le chemin d’Allah seraient donc plutôt les prosélytes
d’Allah. Cette ambiguïté entre statut civil (émigré/autochtone) et statut religieux (prosélyte/ancienne foi) a
été construite et forgée par le midrash juif, puis dans la langue hébraïque, elle se serait ensuite solidifiée au
point que l’Arabe coranique n’est plus en mesure de dissocier mentalement les deux sens : émigrer/devenir
prosélyte. »
620. Ce mot Bekka » ou « Bakka » peut encore être trouvé dans des cartes de Jérusalem comme étant le nom
d'une vallée à 5 km au sud-ouest du Mont du Temple.
621 . On verra que cet objectif annoncé dans le texte coranique sera confié à l'ambassadeur Amrou
(chronique du premier dialogue Islamo-chrétien entre un compagnon de Muḥammad et le Patriarche
Jacobite).
622. Le mot « musulman » des commentateurs perses est évidemment un ajout de l'équipe des tafsirs, il faut
le traduire par « croyant ». Le mot « musulman » n'existait pas en 622, puisque la communauté était disparate
et n'avait aucun livre. Les « Musulmans » étaient désignés par « Magrayes », c'est-à dire « ceux de l'exode ».
n'est pas accomplie (Allah n'y répond pas), le lieu de l'acte ‒ devenu « la Maison » d'Allah623 –, la
présence d'Ismaël et sa requête d'un Messager « issu d'eux » pour « enseigner le Livre, la sagesse et
les purifier », sont une mise en scène d'un acte d'Alliance version arabe. Cet épisode est placé après
le rappel des bienfaits sur Israël auquel « le livre à réciter » était confié. Il est clair que ces
occurrences se rapportent à porter la Torah, l'Alliance et à l'accomplir. L'investiture d'Ismaël se fait
par codicologie ‒ tentatives manifestes de surimpression –, mais le parchemin est réticent.624 Le
recours à Abraham par qui toutes les familles de la terre sont bibliquement bénies, et le monde
restauré en vertu de la divine promesse, est obvie, Abraham est devenu l'accusateur des infidèles
du Pacte et le purificateur du ḥaram.

La différence fondamentale de rhétorique, de rythmique et de sémantique au sein d’une


même sourate, les sens variés des racines, les versions différentes des mêmes récits nous obligent
à considérer plusieurs périodes éditoriales et plusieurs « équipes » du fait de l’hétérogénéité des
matéraux. Certaines sourates sont des prédications monothéistes peu travaillées, d’autres narrent
une histoire sainte qui essaie de comprendre le succès de cette conquête de la terre et ces passages
procèdent à des gloses interprétatives. La mouture finale des logia prophétiques est relue l'épopée
titanesque des Arabes conquérants de la Terre sainte à la lecture de l'Epître aux Galates. Le corpus
coranique est un corpus fortement composite dont l'édition a été faite à la va vite et d’une façon
extrêmement maladroite. Cette dispersion a tenté d’étaler et de disperser des textes connus par le
public auquel il s’adressait. La connexion très forte avec un original d'une communauté sectaire et
apocalyptique et qui existe entre des fragments épars dans différentes sourates laisse à présumer
l'existence de textes sources plus unifiés sur certains thèmes, notamment le thème du Logos-
informateur des Prophètes, Logos insufflé en Marie, matrice du Verbe ‘Isâ, Logos-Ecriture et
Alliance.

Le polysémantisme, la réorientation et les commentaires seront les techniques pour absorber


et flatter tous les sujets de l'Empire, mais surtout pour se mettre au service de l'idéologie califale.
Alors comment, au vu des contradictions internes au texte, résoudre radicalement le problème de
la présence incongrue d'Ismaël ? De même que saint Paul, dans son allégorie d'Isaac, avait fait de
celui-ci l'ancêtre du Christ pour l'Alliance, de même les prédicateurs font d'Ismaël le père de
Muḥammad. Ismaël devient ainsi l'ancêtre de Muḥammad pour l'Alliance ; le Christ et Muḥammad
sont comme des frères animés chacun du désir d'entrer à Jérusalem, l'un monté sur l'ânesse, l'autre
sur la chamelle. L'imposant contre-discours est là, il veut produire un passé convaincant qui donne
du sens à un présent transformé par les conquêtes territoriales. C'est la strate de prise en mains de
l'Alliance virtuelle et en pointillé.

Rien dans le Coran lui-même n’est précis quant à la fixation des origines du pur islam ; il
oscille sans cesse, dans sa théologie des origines, en fixant parfois « Muḥammad » le premier
musulman ; parfois c'est « Adam », parfois c'est « Abraham », parfois c'est « toi » (Q39/12). Le flou
des pronoms personnels, là-encore, embrouille tout le monde. Le Coran est le texte où tout un
chacun peut projeter ces mirages. Abraham intercède pour obtenir l'acceptation, pour lui et sa
descendance, d'un repentir : tuwwâbu (v. 128), preuve que le pardon qu'aurait obtenu Adam est loin
d'avoir convaincu les croyants des origines. La supplique de pardon est omniprésente dans le Coran
et dans l'épigraphie préislamique. Adam et Eve et l'humanité entière ont pourtant été chassés du
Paradis (Q2/35). Au Paradis recouvré, il est signalé qu'aucun fruit ne sera défendu. L'Enfer est
rempli, selon le verset Q83/8625. La porte est étroite et l'Enfer avide. La parabole des Lumières revient

623. Dans l'Antiquité tardive, la localisation du sacrifice d'Isaac est clairement identifiée avec le Golgotha :
« La montagne de Jésus, centre de la terre, tombeau d'Adam et autel de Melkisédeq. » La Maison d'Allah
condense toutes ces fonctions sacrées et antiques.
624. Des lettres sont souvent douteuses quant à l'affectation de leur valeur réelle.
625. Le sijjin vient de l'araméen signifiant « la foule ».
souvent, et la Justice coranique utilise l'image d'une muraille avec une porte nommée Miséricorde
et une face sur l'Enfer. L'Enfer et la Miséricorde sont les deux faces d'une même porte. De
nombreux segments associent Pardon et Paradis. Ce Paradis ne sera accessible qu'avec la croyance
en Allah et son secours jusqu'au combat – une notion de Rachat qui passe en pointillé (à travers la
racine fā dāl yā).626
Les informations issues du Coran sont bien oscillantes sur le culte. Le « rite » est quasiment
déconnecté de toute notion de sacrifice. Les sourates évoquent, par ailleurs, des conflits de Masgid627
et des désaccords sur le vrai site de la piété originelle pour obtenir « bonne attribution » (sourate
9). Des désaccords idéologiques et politiques628 expliqueraient facilement ce côté décousu de la
doctrine pour retourner au paradis, ainsi que les désorientations doctrinales et de qibla (traditions)
qui ont suivi le décès du fondateur. Abraham sera finalement la « passerelle herméneutique » entre
ces deux lieux sacrés. L’anticalife Ibn Zubayr retrouve justement vers 680, les vraies fondations du
sanctuaire d'Abraham. Le motif d'Abraham, maître de « la Maison » uniquement aux sourates 2 et 22,
semble être une trouvaille tardive pour sortir d'un imbroglio théologique, gérer une fitna. Ce très
faible poids, en sourates et en lignes, d'Abraham gérant de l'Antique Maison, dévoile un subterfuge
littéraire pour sortir de cette entreprise militaire pleine de dépits et de gloires. Si on écoute les
historiens, les premiers muhagirun sont repoussés par les juifs rabbiniques – et ainsi naissent de
nombreuses scissions. Son représentant, Ismaël, concurrent de l'héritage et ancêtre éponyme de
Muḥammad, n'est pas présent à la sourate 22 pourtant consacrée au pèlerinage célébrant l'exil de
sa mère.

L'introduction de la figure de Muḥammad, justification du Calife, permet un durcissement


contre les ennemis du pouvoir, il devient celui qui a accompli le Décret. Le titre musulman signifie
« accomplisseur » et celui d'anṣar, « secoureurs ». L'union entre les membres de la nouvelle
communauté sera la base du Pacte de Médine, et toute opposition sera combattue. Si le Qur’an
recherche l'Alliance, un partenariat où Allah retrouve sa totale souveraineté, où les croyants sont
disposés à donner leur vie, les Califes profitent avantageusement de ce système. La gestion de cette
confédération arabe tire avantage de cette conception politique où le régent tient la place d'Allah,
en attendant le Messie. L'aniconisme des pièces de monnaie surgit seulement après un différend
(entre le Calife et Justinien II) sur le tribut et la représentation iconique exigée dessus. Le mot
« pervers » qui est omniprésent dans le corpus a une tout autre signification en araméen : il désigne
l'icône, la statue. L'image d'Edesse appartenait à Mu’awiya et était le signe divin d'une justification
de la régence. Dans son étape de différenciation, le proto-islam a rejeté le concurrent politique,
après que ce dernier a réclamé un tribut en pièces frappées à l'effigie du Christ-Régent et lui a substitué
un aniconisme au titre de Calife d’Allah.
Les « auteurs du Coran » se fondent sans cesse sur une condamnation de l'incapacité des Ahl
al kitâb 629 à accomplir la Loi, c’est l’accusation de rupture de façon permanente qui donne
l’existence à l’umma, la communauté sans livre. La racine du mot Calife (kha la fa) désigne la rupture
de l’Alliance de la part des hommes mais l’absence de rupture dans la parole d’Allah aux versets
Q2/80, Q3/9, Q20/86, Q9/77, Q3/194, Q30/6, Q39/20. 630 Cette volonté d'accomplir les
Écritures est un point capital de la strate primitive. Le temps de l’accomplissement de ces Écritures
évoque est celui la recréation perpétuelle de ce jardin-paradis. Cette conception a germé au cours

626. PTA, Sam. TN Lev22:27 : ‫ופדה‬.


627. Ce mot signifie « se prosterner » et donc « adorer », sens biblique. Q8/34 : « Qu'Allah ne les châtie pas
alors qu'ils repoussent de la Mosquée. » Q9/107 : Ceux qui ont édifié une mosquée […] de rivalité. »
628. En 692, La Ka'ba est assiégée une nouvelle fois par Al-Hajjaj Ibn Yusuf Taqaf'i ‫اﻟﺤﺠﺎج ﺑﻦ ﯾﻮﺳﻒ اﻟﺜﻘﻔﻲ‬,
envoyé d'un autre calife omeyyade ‘Abd al-Malik La Ka'ba fut une nouvelle fois incendiée et détruite par
catapultes.
629. « Ne discutez avec les gens de l'Écrit que de la manière la meilleure. » (Q29/46)
630. lā yuḫlifu Llāhu.
des deux premiers siècles de notre ère, rejouant et transfigurant l'unité des cieux et de la terre dans
le Verbe alchimique, par l'avènement du Messie, secoureur d'Allah dans son Assemblée. La Vulgate
tresse sans cesse et de façon inextricable des paroles bibliques avec des malédictions proférées à
l'égard du peuple des Écritures. Le caractère incréé revendiqué pour la Vulgate donne une portée
intemporelle aux condamnations.
Concernant le statut de Jésus, l'analyse littéraire et celle de la codicologie montrent une réelle
volonté d'effacer ce rôle de Messie ou, du moins, de le mettre à niveau avec son nouveau frère.
Déçus de leur attente messianique et perdus dans ces dédales théologiques ou entredéchirés entre
eux, les Califes ont imaginé un retour à leurs sources. L'occultation des pouvoirs de Jésus fut
progressive. ‘Isâ, en sous-strate araméenne, est sublime, revêtu des oripeaux califaux, dépouillé de
sa Croix et partageant l'écarlate avec son double, le Glorifié devient le glorifiant. Le vocable mḥmd
(« position de gloire ? ») utilisé aussi en (Q17/79) pouvait désigner visiblement Jésus, puisque la
Croix et ce logo sont juxtaposés sur des pièces de monnaie. Le Prédicateur du retour du Messie a
dû progressivement substituer celui qu'il annonçait, les « conquêtes » victorieuses devenant le nœud
du transfert. De nombreuses désignations coraniques « Messager » désignent visiblement Jésus,
puisqu'un messager en annonce un autre. Aussi, au verset Q48/9 – « Nous t'avons envoyé pour
que vous croyez en Allah et Son messager » –, l'envoyé ne peut se référer à Muḥammad le locuteur
ne peut être Allah non plus, il y a ici au minimum trois personnes : l’envoyeur, Allah, le Messager.

L'investiture officielle de Muḥammad est le fait ‘Abd al-Malik et des 6 inscriptions identiques
et stéréotypées du Dôme du Rocher : « Mḥmd est le messager » – peut être lue et interprétée sous
cette version : « Loué soit Le messager » car ces affirmations sont identiques et toutes coincées
entre des discours sur Jésus. Jésus représente le réel discours littéraire de ces inscriptions, avec un
débat sur son rôle réel pour ‘Abd al-Malik. Le Dôme a pour vocation de se séparer du christianisme
politiquement et théologiquement, aussi le rôle de Jésus se dilue-t-il progressivement avec
l'imposition de ce prophète post-mortem – qui était sûrement un prédicateur et général de son temps.
La victoire sur la terre impulsée par lui fut le seul miracle qui a justifié le transfert. Il est aussi
possible d'envisager qu'un transfert ait eu lieu, en vertu de combats en direction de Jérusalem – avec
des échos, dans l'histoire, de la chamelle d'Allah exterminée par des méchants (Juifs) qui, trois jours
après, seront punis par un cataclysme.

Le dernier point entrevu est le rapport entre le Messie et la Loi. Là encore, l'appareil
exégétique s'empare du Christ. Face à ses adversaires, scrupuleux observateurs de la Loi, Jésus se
plaçait dans une situation eschatologique du Royaume des Cieux. Seul le Messie pouvait accomplir
la Loi. La Pentecôte fête le don de la Loi au peuple ; les prescriptions juridiques et les traditions de
la jurisprudence n'ont plus lieu d'être car la Loi est accomplie et condensée en Jésus-Christ. Jésus,
de ses doigts de Dieu, n'écrit rien, sauf des mots mouvants sur le sable (à propos notamment de la
femme adultère qu'il ne condamne pas), à l'opposé du granit des Tables. Il renverse tout en
accomplissant la Loi. La Crucifixion de Jésus (qui est Dieu et Maître de la Loi) se fait aussi au nom
du premier commandement de la Loi mosaïque de Dieu. Dieu renverse la Loi en accomplissant la
Loi. L'accomplissement des Écritures ne peut être que le fait du kalima(t)-Allah. La mort du Verbe
de Dieu (Loi) ne s'accomplit que par le Verbe de Dieu qui proclame que tout est accompli. « Tout
est accompli » : par cette parole, Jésus achève cet accomplissement annoncé au début de sa
prédication. L'eschatologie islamique, elle aussi, se fixe dans cette attente de Jésus-juge et de Jésus-
restaurateur, mais cette espérance semble inachevée.

Les « collectionneurs » des logia prophétiques et les lecteurs et exégètes du corpus prennent
fondamentalement le contre-pied de l'Acte créateur de Jésus. Le Coran se fonde sur la position de
Jésus venu accomplir la Loi et en abolir certains points, uniquement pour justifier son propre
pouvoir législatif (auto-proclamé) d'abrogation. Il fonde son droit divin via Jésus. ‘Isâ, « Verbe de
Dieu » (kalima(t)-Allah), « parlant au berceau », « justifiant sa mère », condamne, avec David, les
juifs falsificateurs et recouvreurs à son propos. Le kalima(t)-Allah fait évoluer cette immutabilité de
l'Écriture de la Torah et, jusqu'à son retour eschatologique, Jésus investit et installe son bras droit,
Muḥammad, armé du calame d'Allah. La Vulgate occulte l'aspect mystique de cette connaissance de
Dieu par le Verbe, seul l'aspect légaliste du Verbe triomphe. En effet, seul « le Verbe de Dieu »
peut rendre licite l'illicite, Jésus a uniquement des fonctions sur la Loi, qui doit être partiellement
abrogée.
La négation de la Croix est plus islamique que coranique, elle est une nécessité d'une relecture
exégétique abolissant l'Accomplissement des Ecritures par le Sang, elle est un impératif absolu pour
dissimuler le dernier Testament. Finalement, le premier Testateur de Dieu, Moïse, par ses Tables
préparait le cœur à recevoir Sa Loi gravée dans la chair du cœur, en vertu de la mort du second
Testateur. Les versets Q4/171 à 175, en sous-strate très positifs pour le Christ, sont réécrits dans
plus de 3 codex et brûlés dans un quatrième, et sont intégralement remaniés pour soutenir la
nouvelle définition de Jésus affirmée en Q5/116 : « Dieu seul est Dieu, Dieu seul est Seigneur,
Dieu seul est juge ; Dieu seul est vivant. » Dans certaines lectures chrétiennes, le premier Testament
avait été occulté, la pédagogie de Dieu, incomprise, et l'axe de l'espérance messianique, perverti. La
lecture islamique s'est emparée de ces déviations et hésitations, et a postulé le Testateur
parfaitement Vivant, récusant en même temps l'orgueil d'Israël en Q4/157.
La Parole de Dieu exprimée en Jésus la veille de sa Mort serait désormais dépourvue de
validité, oscillant entre l'appel d'une table volante et des menaces féroces. Le nouveau Testament
de Dieu en Jésus est, pour l'islam, une lettre morte, et le Sang de l'Alliance préfigurée par Moïse et
accomplie par Jésus est devenu une encre illisible via les Califes. Le premier Testateur ayant brisé
les Tables, le Second étant coincé entre ciel et terre, l'héritage était libre. Il n'y avait plus qu'à fermer
la Porte du Messie et clore celle de l'interprétation ; la seule lecture autorisée serait celle des Califes
aux encres multicolores et aux calligraphies protéiformes. La Loi, réduite et condensée grâce au
Messie-Jésus, serait redéployée à partir de son double qui allait incarner la sharîa par-delà sa mort.
La Vulgate d'Uthman, et non la lecture exégétique des primo-feuillets (le Qur’an), postule de sa
propre autorité le nouveau Contrat avec sa communauté à qui elle donne sa nouvelle législation
(Q5/48), laquelle devra débusquer le širk partout, après avoir réduit de façon ambiguë les
prétentions des deux autres tenants de l'Alliance. Si elle éliminait ces prétentions totalement, elle
perdait toute légitimité, se réclamant elle aussi de cette notion d'Alliance biblique. La relecture
exégétique des primo-feuillets devait avoir une notion de l'Alliance purement judéo-chrétienne très
proche de celle des sectes ébionites ou elkasaïtes.
Ainsi, depuis l'outre-tombe, le Prédicateur des primo-feuillets subissait une captation de son
avertissement apocalyptique sur l'Heure, et endossait les habits de celui qu'il avait sans cesse loué
et annoncé ; Muḥammad était mis au service de l'équipe exégétique pour proclamer de façon
intemporelle la « descente » fulgurante de la Vulgate, véritable Testament des Califes, à la place de
« la descente » du kalima rejeté par les hommes en rébellion contre l'Alliance. La mort du dépositaire
des feuillets étant constatée, il devenait le médiateur très loué du nouveau Pacte, écrit pour conférer
à ces confédérés l'héritage : « Et sur toi (Muḥammad) nous avons fait descendre le Livre […] Juge
[…] A chacun de vous nous avons assigné une charia, une législation… » (Q5/48) ; « Vous êtes la
meilleure communauté qu'on a fait surgir pour les hommes. »
Le Coran déclame sans cesse l'épopée des hauts faits de l'Alliance. Il ne fait que cela. Il
regorge de toutes les typologies de celle-ci : exode réactualisé en hiǧra, invocations enflammées au
Mont Ṭūr sīnīn – Sinaï transplanté en Arabie méridionale –, hyper sacralisation et focalisation de
l'espace divin – maison de Dieu631 et espaces consacrés à Dieu (ḥaram ) – descentes incessantes de
signes –‘ayat632 –, Shekinah633 apaisante accompagnant l’ouverture634 de l’ultime combat et enfin de
l’Esprit Saint planant sur certains élus, élevés (2/253, 19/17, 4/171, 2/87, 16/102). Cette Shekinah,
manifestation particulière de la présence de Dieu, en certains lieux ou à certaines personnes, dans
des circonstances exceptionnelles – sur le Sinaï (Ex 24, 14-15), dans la tente de réunion (Ex 40. 34-
35) et dans le Temple de Jérusalem (1 R 8, 10-11 ; Ez 43,4-6), la montagne du sanctuaire –
« descend » sur le messager aux sourates 2, 9, 48 x2 –635 lors d’un combat eschatologique.
Le mot qiyāman, utilisé au verset 97 de la sourate 5, peut lui aussi signaler « alliance » car il
est référencé dans la Peshitta et toutes les traductions araméennes de l'Ancien Testament (Pseudo-
Jonathan et Ongelos – Gen. 17/2).636 Luxenberg propose cette traduction : « Dieu a fait la Ka’ba (cube
du Saint des Saints), la Maison (interdite), une Alliance pour les hommes. » Les différents vocables
utilisés pour signifier ce lien entre le ciel et la terre, ce Pacte, sont variés. Ils sont présentés aux
versets suivants, mīṯāq ‘ahd 637 a‘d ; ḥabl (Q3/103, 112) ; qasam638.
Oui, Le Coran est le puits où toutes les figures et préfigurations de la nuptialité bibliques
vont surgir pêle-mêle et fusionner de façon surprenante. Oui, la nuptialité du Coran est
omniprésente, mais c'est enrubanné sous les voiles des traductions qui l'étouffent et la brident,
comme le montrent ces réorientations intensives du sens de la racine sīn kāf nūn, déconnectée
progressivement de toute notion connotant la présence de Dieu639 et de celle de qiyāman, comprise
comme un élément symbolique et gestuel. Oui ce corpus est un magistral hypertexte qui relie et
tisse sans cesse les fils d'or de l'Alliance mosaïque et évangélique. Il reflète à n’en pas douter, la
formation syro-araméenne des prédicateurs pétris de psalmodies d'homélies syriaques et celles des
scribes judéo-arabes réquisitionnés pour cette tâche.
Les travaux d’E.Cellard640 montrent que les lecteurs coraniques se comportent comme de
véritables philologues interprétant un rasm obscur. Aussi, sous le calame des scribes réquisitionnés –
pétris de récits bibliques dont parle la tradition islamique tel Zayd b. Thābit – et de ces lecteurs-
philologues, le désir de pacte mosaïque est fébrile et véhément ; les thèmes de l'exode, du Sinaï, de
l'obéissance et de la Loi martèlent inlassablement la récitation de l'Alliance. Cependant, cette
Alliance est virtuelle et mythique puisque sa réactualisation se fait en émiettant et dispersant les
sources bibliques et en répudiant leurs herméneutiques. Seul leur acte d’écrire ce corpus, cet umm

631. Le segment yabītūna li-rabbihim peut signifier : « maison du Seigneur ».


632. Le Ciel envoie : un Livre pour juger (Q4/105) ; la Sagesse et la grâce (Q4/113) ; la lumière (Q4/174
– cotexte Jésus, Q7/157), la Table (Jésus, Q5/114, Q10/59), le salut (Q8/41) ; la Sakina (Q9/26), le miracle,
la balance, le trésor, le pouvoir (Q30/35), la science, l'eau (Q25/48 ‒ lue par Lüling comme descente de
Jésus). Il envoie aussi le châtiment, le Livre qui guide et qui fait miséricorde (Q16/64), le rappel, la sourate
(Q24/1 ‒ ou la bonne nouvelle), le fer, l'Esprit (avec l'eau pure, Jésus et la miséricorde).632
633. Sīn kāf nūn.
634. al-fatḥ Et non la victoire.
635. Ces versets sont absents dans la scriptio inferior du DAM 27.
636 .http://cal1.cn.huc.edu/showtargum.php?bookname=01&chapter=17&verse=2&Peshitta=ON&Sam
.
637. Commémoraison en araméen (Homélies d’Aphraates). ‫ܕܬܟ‬/Z
638. Prophétie en araméen.
639. Lughat ul qur’an.
640. E. CELLARD. La vocalisation des manuscrits coraniques dans les premiers siècles de l’islam. In F. DÉROCHE,
C. ROBIN ET M.ZINK éd., Les origines du Coran, le Coran des origines, AIBL, 2015.
al kitab des arabes ummis, est érigé comme une pierre angulaire et vénérable, seul l’acte de le réciter
fédère la umma, « meilleure communauté » garante et gérante du kutiba (ce qui est prescrit). François
Jourdan641 souligne justement l'inversion chronologique : le Livre sacré des juifs et chrétiens suit
toujours un acte de l’Alliance, alors que la Vulgate précède le Pacte mythique et purement littéraire.
En ressassant de façon incessante ces faits puisés aux racines du Deutéronome et en les mettant
en branle dans le combat pour la croyance en lui-même, le Coran cherche à se faire et se définir en
tant que Le sceau de l'Alliance, l’alpha et l’oméga de cette dernière. Le « Pacte » doit être compris
comme l'Acte écrit, donc scellé, de l'Alliance, Acte sacré qui englobe toutes les alliances,642 acte
légalisé qui transcrit et accuse à chaque récit, l’histoire des Alliances rompues. Le Coran est l'hypertexte
écrit, une fois pour toute, la quintessence de tous les Actes des Alliances, il se présente comme le
Testament rectifié.

Aussi les logia justifiant la fondation de ce nouveau Pacte implicite, brodent invariablement
sur cet épisode mosaïque de la réception ratée de la Loi. En dépit de ses variantes, le principal récit
fondateur du Coran et de son Pacte est incontestablement le don de la Torah à Moïse au Sinaï. Le
« Rappel » de cet épisode mosaïque ne peut ni concerner des polythéistes présupposés, ni des
judéo-chrétiens déjà convaincus et informés de l’Alliance. Cela ne peut être qu’une composition
d'une reconstruction idéologique, sélectionnant des biens textuels chargés d’Alliance pour fixer une
histoire sacrée liée aux conquêtes. « N'avait-il pas pris d'eux le pacte du Livre ? » déclame le verset
169 de la sourate 7 ; en effet, si on remplace le mot « Livre » par « Tables de la loi » et le mot
« Pacte » par « Alliance », on retrouve une notion judéo-chrétienne. « N'avait-il pas pris d'eux
l’Alliance de la Loi ?

Pour Jacques d'Edesse643, le christianisme est essentiellement l'Alliance de Dieu avec les
êtres humains ; Alliance qui commença à la création du premier homme à l'image de Dieu. Le
Dôme du Rocher, premier sanctuaire islamique est porteur de telles spéculations associées au
Paradis.

Dans le judaïsme, il y a une seule Alliance. La Torah est un joug pesant pour le
peuple élu (Deutéronome 6, 4-9) ; l'Alliance du Sinaï engendre l'esclavage, et cela est repris dans le
Coran, avec ironie, à la sourate 62. Saint Paul évoque bien deux Alliances : l'Alliance nouvelle,
inaugurée par Jésus-Christ et préfigurée par Isaac puis celle de Moïse (au Mont Sinaï arabe) dont
hérite Isaac et l'Alliance primitive, avec Agar qui figure l'ancienne Alliance, (alliance en Jésus-Christ).
C'est une généalogie allégorique, car Agar n'est pas dans la lignée de Moïse. Le texte de saint Paul
est complètement retourné puisque, désormais, c'est l'allégorie des frères Ismaël et Isaac (en pointillé
dans le Coran) qui s'exprime dans la Tradition islamique. Cette dernière confirme d'abord Isaac,
puis Ismaël, suite à des considérations cartographiques ; la distance considérable à parcourir pour
Isaac pour se rendre à La Mecque freine les spéculations.644
Dans le schéma paulinien (et la prophétie de Jérémie), l'évolution du rapport à la
Torah se fait grâce à une circoncision du cœur humain et à la venue de l'Esprit Saint ; cette
progression voulue par le Verbe et la volonté du Père devient impossible avec la doxa islamique, le
rapport à la Torah redevient un carcan encore plus redoutable, puisqu'une exégèse de type

641. F. JOURDAN. Conférence à Lorient, 2017.


642. 81. « Et lorsque Dieu prit cet engagement des prophètes : Chaque fois que Je vous accorderai un Livre
et de la Sagesse, et qu’ensuite un messager vous viendra confirmer ce qui est avec vous, vous devez croire
en lui, et vous devrez lui porter secours. Il leur dit : "Consentez-vous et acceptez-vous Mon pacte à cette
condition ?" »
643. British Library (BL 12, 154, fol. 164-165; BL 17, 193, fol. 58). Tannous, Syria between Byzantium and
Islam, 216-217.
644. Les commentateurs vont suggérer la possibilité de voyages avec Al Buraq pour Abraham.
rabbinique est désormais interdite. Le mode de rapport à la Parole de Dieu instauré par saint Paul
est un mode de libération induit par l'Incarnation du Verbe. Aussi tout le ressort de l'argumentation
paulinienne théologique est dévié à la seule fin d'affirmer la pérennité de l'alliance de Dieu avec
Abraham, via Ismaël, ancêtre éponyme des Arabes. Toute la Bible se trouve ramenée à une seule
« alliance », celle que Dieu aurait contractée avec Abraham et son fils Ismaël (Q2/125). Toutefois,
cette justification testamentaire via le fils de la bannie (islamiquement parlant) coexiste avec une
généalogie classique de la Prophétie par Isaac (Q27). L'islam utilise donc une double chronologie
et une double généalogie, celle de Sarah et Jacob, celle d'Ismaël ; ce dernier surgit du corpus de
façon inopinée et incohérente, rien n'est dit de sa généalogie ni de ses actes en direction du Salut
ou de ce « peuple purifié » à venir (Q2/128 et Q2/129)645
La mission ratée de Législateur attribuée à Jésus, permet par contre, une entrée en
piste de son jumeau arabe qui va « parfaire la religion » et pousser au combat les anṣar aides ou naṣar,
les chrétiens du Christ.646 Bref, pour convaincre et vaincre les chrétiens, quoi de mieux qu'une
annonciation d'Aḥmad par Jésus et qu'une mobilisation des troupes anṣar (« secoureurs » d'Allah)
chez les nṣar (« chrétiens »).
Ce combat contre l'ennemi ontologique d'Allah mobilise l'énergie fondamentale de tout
être depuis l'aube des temps, puisque ce combat ouvre en même temps l'Eden et la Terre sainte ;
la route du sanctuaire n'est plus obstruée : « Nous dîmes : entrez dans cette ville, mangez de ses
produits à satiété, partout où vous voudrez ; franchissez-en la porte en vous prosternant et dites :
"Pardon, nous vous pardonnons." » (Q2/58) L'ennemi ontologique est celui qui refuse la royauté
totale de Dieu sur sa Création, sous-lieutenance du Calife (‘Abd al-Malik). L'ennemi est l'homme
ingrat qui préfère la vie trompeuse à celle de l'au-delà, celui qui soustrait ses biens à la Cause.
L'ennemi devient progressivement l'Empire byzantin, sa gouvernance, ses taxes et son trinitarisme
– les Ghassanides (vers la Syrie), confédérés à l'Empire byzantin, étant monophysites. Au fur et à
mesure des alliances, les mušrikun varient, mais ils sont toujours des menteurs, ils mentent toujours
au sujet du Verbe (les chrétiens) ou rejettent le Verbe de Dieu (les juifs).

Le Pacte mosaïque est bien la pierre angulaire de la Vulgate car La Loi est un
incontournable pour se définir. Des extraits de mouture rabbinique des Talmuds remplissent, cette
fonction. L'équipe exégétique suggère un nouveau prédicateur recevant la Torah, du fait du non-
accomplissement de cette dernière par les juifs. Il lui faut à la fois reconnaître cette Loi, cette
bénédiction, cette lumière, cette descente sur les Fils d'Israël, tout en détournant en pointillé et
furtivement le réceptacle. Aussi, la seule Loi qui est officiellement mise en avant est bien celle de
la Torah. Cependant, la récupération de la Torah se fait hors du sol, hors du temps, hors du peuple,
hors du schéma salvifique voulu par Dieu. L'Alliance biblique est située dans l'Histoire et n'est pas
en dehors de celle-ci. Dans le Coran, tout est mythique et intemporel, sauf l'investiture de la terre.
Cette incompréhension du déploiement du Salut est issue de la pensée syriaque et notamment de
celle de Jacques d'Edesse. Ce dernier ne s’attache pas à l’idée d'une histoire du développement de
la Révélation, mais connaît juste le principe de l'Alliance unique renouvelée plusieurs fois entre
Dieu et l'humanité ainsi que l'envoi continu des prophètes.

La « conquête » de « la Terre » sera sanctifiée, justifiée, sacralisée par une traversée effective
du Jourdain – selon les récits et justifiée a posteriori par un vol vers Jérusalem puis un second envol
vers les Cieux. Ainsi l’analogie avec Moïse qui n’atteint que les alentours de la terre sainte sera totale.
Ainsi donc, la conquête de l'espace est première dans le corpus et dans l'histoire, mais elle
correspond à essentiellement une géopolitique initiée par l'Empereur byzantin puisque le calendrier

645. Avec un écho de l'Epître à Tite : « Et de se faire de nous un peuple purifié, agréable, et zélé pour les
bonnes œuvres. Dis ces choses, et exhorte. »
646. Il est impossible dans les manuscrits anciens de différencier.
dit arabe débute l’année de reconquête initiée par Héraclius. La bataille de Mutah est le seul fait
avéré historiquement qui se trouve décrit dans le Coran (sourate 30). La Victoire est lue à la lumière
d'un transfert de l'Alliance et les schémas de saint Paul sur les deux alliances sont fort utiles pour
l'expliquer. Ils sont adaptés aux deux fils d’Abraham.

L'itinéraire suivi par les troupes de Muḥammad venant de Médine semble calqué sur celui
des Hébreux ; l'itinéraire littéraire et théologique suivi fut celui tracé par tous les Messagers en
simultané, avec une triangulation Moïse, Abraham, Jésus, pour se frayer une issue. Si,
physiquement, il avait fallu arriver en face du Jourdain dont le passage était le signe de la conquête
victorieuse de « la Terre »647, théologiquement il fallait maintenant arriver à se frayer un passage
entre ces deux murailles des flots tumultueux du rabbinisme et du christianisme qui, à chaque pas,
pouvaient engloutir cette reconstruction de l'Alliance.
Cependant, les récits bibliques de l'Alliance sont insécables de la rédemption déployée dans
le temps depuis la chute adamique. Les récits coraniques sur le Pacte, eux, sont ficelés par
l'obéissance aux conquêtes dans le sabil Allah, chemin confus vers Jérusalem et l'Eden. Les récits
de l’itinéraire des troupes arabes s’accrochent aux récits des itinéraires des Hébreux et sont comme
insérés, manu militari en phase terminale de composition. En sont témoin les allusions à la bataille
de Badr, allusions quasi sibyllines ainsi que les réorientations sémantiques.

Ainsi le vocable al-fatḥ est traduit par victoire mais il signifie d’abord « ouverture » et
ouverture de quoi, sinon du paradis. Ainsi, sourates 48 et 9 vont subir des modifications
importantes pour greffer Muḥammad et son épopée. Car le seul Combat dont il était question dans
une strate primitive était celui des Ténèbres contre la Lumière, annoncé dès les premiers versets de
la sourate 2 (v. 17), combat qui aboutit, dans une lecture de la sirah, à la naissance lumineuse de
Muḥammad, flambeau combattif. 648 Le mot ḥarbā, $!݁ܳ'%ܰ univoquement traduit par « guerre »,
signifie aussi « l'épée », « le lieu détruit », les paroles magiques.649 La Parole de Dieu possède aussi
cette double acceptation dans la Peshitta. La racine arabe ḥā ra ba est associée simultanément à la
guerre et au lieu de la prière de Marie au Temple (qui a été détruit deux fois). Dans Heraclius, Sébéos
évoque le Verbe de Dieu comme un assistant de guerre : « le Verbe de Dieu vint au secours des
Arméniens, il souleva un vent violent et le répandit sur l'armée persane ». Le Coran partage cette
vue d'Allah qui participe à la stratégie militaire. De plus, Jésus, Le décret coranique, est le maître du
Temps, de l'Heure650 et demande l’aide combattive de ses Apôtres.

L'Alliance d'un peuple avec Dieu qui sauve, dans l'espace, devient un Pacte arabe d'une
communauté qui ordonne le Bien et interdit le blâmable, et qui s'auto-proclame l'Elue dans le
contrat écrit de ce pacte, le Coran. L’impératif absolu d'investir la Loi se fait par la
promulgation du dogme de l'obéissance : obéissance réclamée par-delà la mort de l'objet
du droit, le Muḥammad des Califes ; obéissance califale où sans cesse se déploie un
« associationnisme » manifeste qui unit une « binarité » : Allah et le Messager. L'attente
et l'espérance bibliques ne sont plus associées à cette obéissance ; la rédemption (furqan) devient
«le discernement » ; la posture est désormais celle de la sagesse pragmatique, celle de la justification

647. Ainsi en fut-il des Hébreux de l'Exode selon ce que décrit la Bible (cf. Nombres 33).
648 . Ce Combat des Ténèbres contre la Lumière est mis en vers dans de nombreux Hymnes d'Ephrem et
textes gnostiques. « Les ténèbres ont cédé et la lumière a triomphé pour proclamer la victoire du Premier-
né. »648
649. L’épée TAD C1.1(Ahiqar) .161 : ‫ חרב תדלח מין שפין בין רעין טבן‬épée P Gn3:24 : xd‫"ܗ‬4‫ ܕ‬8+;#‫ ܕ‬. P
Ju7:22 . BT Tan 21a(45) : ‫ חרבא דמשה שאדי מניה עפרא והוו חרבי‬: épée de Moïse : collection de mots magiques
JBA, JBAg, LJLA. HM(1) 87:(1)8 : ‫ בשם מארי כל קדישייא ועד תכלית חרבא‬.
650. « Quant au jour et à l'heure où cela se produira, personne ne les connaît, ni les anges du ciel, ni même
le Fils ; personne, sauf le Père, et lui seul. »
de la conquête depuis un système bureaucratique abbasside. L'histoire de Pharaon est ressassée et
elle est l'allégorie qui justifie le nouveau départ, l'hégire des coalisés du nouveau Pacte arabe ou « la
conversion » de ces accomplisseurs « musulmans » qui s'extirpent de l'Empire byzantin.
L'obéissance est exigée de façon absolue par ces lieutenants d'Allah que sont les Califes ; le plus
illustre d'entre eux, en nouveau David, nommera son fils Souleyman (Salomon) et bâtira le Dôme
sur le Rocher. La « meilleure communauté » conquérante de la Terre porterait très haut la Torah,
lumière éternelle, et la porterait non plus comme l'âne (Q62/2) ou les Bestiaux (Q6). Elle ne serait
plus divisée. « Cette communauté, la vôtre est une seule communauté et Je suis votre Seigneur mais
ils se sont divisés. » La « meilleure communauté », unie par le Câble d'Allah, porterait la Torah et
l'appliquerait envers et contre tous.
La terre mosaïque promise avait été conquise, mais le Messie-Jésus n'était pas redescendu ou la Fin
des Temps promise par Muḥammad, pas advenue. Le passage du Jourdain à pied sec fut plus aisé
à réaliser que celui de ce retournement théologique inattendu. Les reprises des motifs et chemins
mosaïques seuls n'auraient jamais pu permettre de s'emparer simultanément de la terre et de
l'Alliance sans ce Retour du Messie.
Ainsi le nœud coranique, relecture midrashisante de la conquête de la terre de l'Alliance, ne
put ne se déployer qu'au sein du drame johannique. C'est celui du drame de l'Alliance humano-
divine sans cesse rejetée, du combat des Lumières contre les Ténèbres. Le Verbe est descendu et
les hommes l'ont rejeté. Les hommes, surtout juifs, s'en sont enorgueillis. Ce drame est le thème
de prédilection des homélies syriaques de l'Antiquité tardive. « Il est descendu » avec ses signes, ses
livres et sur les Prophètes, mais « ils violèrent l'engagement », « une fois le châtiment éloigné »
(Q7/135).651 Les auteurs syriaques fustigent sans cesse, dans les mêmes termes, l'incapacité des juifs
à reconnaître les signes de Dieu. Les querelles christologiques furent un puissant facteur d'identité
culturelle pour s'opposer à l'Impérialisme, la christologie coranique participe à cette crise identitaire.
L'Ecriture est le lieu de la Manifestation du Verbe qui descend et qui doit être « récité », c'est-à-dire
s'incarner dans l'être et qui, surtout, doit harmoniser et soumettre les sujets à l'idéologie. Le Verbe-
Jésus est aussi descendu pour purifier, comme la supplique d'Abraham l'avait manifestée : « envoie-
leur un messager pour les purifier » (wa-yuzakkīhim). L'hymne d'Ephrem – « Pure fut la Nuit où se
manifesta le Pur qui vint nous purifier » – résonnait encore aux mémoires. L'étude des Ecritures
pouvait aussi, dans un sens rabbinique, induire un retournement eschatologique et agir sur le Retour
du Messie.652
Pour se saisir de l’Alliance, il fallait à la fois réussir la mainmise sur le Messie
Verbe de Dieu et sur sa fonction sur la Torah, tout en réactivant certaines des lois
mosaïques et talmudiques. La figure de Jésus va permettre aux scribes de s'octroyer le pouvoir
de digérer la Cacherout, d'accaparer la Torah, seule Loi de Dieu identifiée dans le Coran. Ainsi, cette
figure messianique va être investie de fonctions novatrices et abrogatives déjà entrevues dans le
christianisme, mais elle va être renvoyée à la Fin des Temps. L'Alliance biblique positionne l'âme
dans une posture de désir de son Salut inauguré par Dieu. Toutes ces notions sont absentes du
Coran. Le processus d'attente coranique devient uniquement eschatologique. Il n'y a plus une
espérance de Dieu précédant celle de l'homme. Il n'existe pas d'Alliance « éternelle » dans le Coran,
car Israël la perd ; c'est juste un rappel des rébellions de l'homme, une invention du « Pacte des
prophètes » (en pointillé au Sinaï), une espèce de Pacte immémorial et intemporel absolument
nécessaire pour placer le nouveau Prophète régent. Il n'y a plus de graduation dans l'espérance.
L'ultime horizon est la terre et sa jouissance sans entrave. Certes, à l'aune de ces vues, la descente
du Paradis est réinvestie, et la perte des vêtements de lumière, rappelée, conforme aux récits

651.pܵ9 ܿ
ܼ ‫ ܕܪܼܘ‬, le vocable issu de la racine arabe rā jīm zāy signe la divine colère.
652. Dans le Livre des Jubilés, Ismaël et Isaac sont cités ensemble pour célébrer la fête des Prémices. A la
mort d'Abraham sont présents Jacob, Rebecca, Isaac et Ismaël.652 Ce livre décrit les affres eschatologiques
qui surviennent du fait de l'abandon du Pacte établi entre Dieu et eux. La rébellion de l'homme conduit à
la destruction de la terre. Le retournement eschatologique se fait lorsque l'étude des lois revient.
liturgiques syriaques ; mais le chemin est dévié. Même s'il reste des vestiges de désir de retour à
l'Eden, grâce au Verbe (kalima) qui « descend », même si Jésus est un second Adam, le retour vers
l'Eden se fera par le combat contre l'ennemi ontologique.

Si la Torah est un pur motif pour positionner un cadre narratif de l'Alliance, il fallait un
élément déclencheur pour dramatiser l'entrée de Muḥammad. Ce motif, c'est le Messie en échec.
Jésus est cet élément déclencheur, il est la pierre d'achoppement qui permet à Allah une nouvelle
tentative pour confondre l'humanité. Il est le « signe » qui confond les juifs, la Torah en sa main.
Impossible, sans Jésus, de s'opposer aux juifs. Les versets flous et imprécis sur la Loi de l'Injil
rendent la tâche du législateur difficile, puisque le Coran reconnaît que l'Injil confirme la Torah et
que la législation se fait grâce à ses descentes célestes successives et identiques mais ce flou facilite
le travail du politique et permet l'aliénation des deux concurrents. La Loi de la Sunna, basée sur la
vie et les dires supposés de Muḥammad, jouera le même rôle que le Deutéronome (deuxième Loi
qui suit l'exode de Moïse) pour se composer un cadre législatif.
Si dans une strate primitive du Coran c’est Le Messie, Verbe de Dieu qui applique le décret et
rouvre la porte de l’Eden, dans une strate secondaire ces prérogatives vont migrer sur le porte-
parole ‫שלח‬, l’envoyé [de la parole d’Allah].

Le Coran évoque sans cesse l’expulsion du Paradis et le combat sur le sentier qui est celui
du retour au paradis. C'est le porteur ou l’envoyé de la kalima qui efface ou accomplit le décret et
qui a cette fonction d’avertir et de porter la parole-décret. Or le Coran pointe univoquement vers
une kalima, associée à l’identité de Jésus (4/171). Les versets Q2/37, Q20/129, Q3/45, Q66/12,
Q14/26, Q4/171, Q6/115, Q7/137, Q10/33 (promesse, bénédiction, héritage) ; Q9/40 (David),
Q11/110 (Moïse, décret préexistant), Q23/100 (parole pour revenir sur terre). Ces fonctions
s'orientent de façon univoque vers la kalima, Jésus effaceur du décret. Le mot kalima, incarné
uniquement en Jésus, résume toute la puissance de cette dialectique car ce mot n'est pas synonyme
de « parole » dans le Coran.653
Cette expression araméenne existe dans le sens de vérité. Elle signifie aussi vérité dans les
manuscrits de Qumran. 1QapGen 6.2654 , « je vis toute ma journée dans la vérité et je marche
dans les voies de la vérité éternelle ‫ܝ‬-*ܼܿ‫ܐ‬ ܽ
ܸ 1/! toujours. 655 .

Il faut rappeler le rôle biblique et la fonction admise par l'auditoire judéo-chrétien – attribués
à la Parole de Dieu, puisque Jésus est le Verbe de Dieu attendu dans sa venue. Il soutient toute
chose par la puissance de sa parole, les éléments (le vent) lui obéissent. Sa parole a cette puissance
divine par laquelle, non seulement il a tiré toutes choses du néant et les a bien ordonnées, mais
encore il maintient leur existence et leur ordre, et les gouverne. Sans elle, sans son action constante,
elles cesseraient d'exister ; elles tomberaient dans la confusion et le néant. Les effets de cette
puissance se manifestaient quand il était sur la terre. Il tançait le vent et disait à la mer : « Fais
silence, tais-toi ! » (Marc 4, 39) Cet effet est visible dans le Coran. Par sa parole, Jésus coranique
balaie l'infâme calomnie sur Marie. Le Jésus-coranique est associé à la puissance créatrice de la
Parole d'Allah, il est la Parole divine depuis le berceau. Jésus cherche le soutien de ses Apôtres en
Q3/52 et la référence évangélique est invoquée dans deux passages guerriers (Q48/29 et Q9/111).

653. La traduction arabe du Nouveau Testament utilise cette expression qui devait exister avant le Coran.
La traduction arabe du Diatessaron l'utilise pour « Verbe ». Le verset Q14/24 confirme ses références à Jésus :
« Allah propose en parabole sa Parole semblable à un arbre dont la racine est ferme et dont la ramure
transperce le ciel. »
654 ‫וקושטא כול יומי דב֗רת והוית מהלך בשבילי אמת עלמא‬
ܿ
655. Syr. KwD2 61:18 .$543‫ ܘ‬75/3‫ ܕ‬738 <;:9 ‫ܝ‬-*‫ ܐ‬1/! >=
L’omniprésence de la racine ra sin lam n’a pas été analysée. L’origine est ‫ שלח‬et signifie « l’envoyé
d’un ordre ou d’un message » 656 .
L'adhérence au Pacte arabe et la recherche d'unification des croyants sous une bannière de croyance
minimaliste est significative d'un désir d'alliance humaine. Mais quelle est la part d'initiative d'Allah
dans cette nouvelle composition et, surtout, quel traitement réserve-t-elle à Israël, à l’Eglise, nouvel
Israël et à leurs alliances ?
Les deux flancs des flots équidistants seront repoussés comme étant les ennemis
archétypiques et polymorphes. « Les associateurs » seront, à travers les siècles, les ennemis des
« accomplisseurs » du Pacte. Après avoir désigné le mauvais pour susciter des alliances
humaines, le Coran va abrahamiser pour repousser les deux flancs concurrents et les
renvoyer à l'instant mythique de la pureté du dîn. Le Coran renvoie aussi simultanément
à sa propre origine, qui est en fait celle du Logos.

L'inauguration du prototype du mušrik, le mauvais croyant, est l'un de ces procédés les plus
géniaux pour neutraliser les ennemis de cette réécriture du Pacte qui sont les détenteurs du Livre.
Manifestement, de par ses contours flous et fluctuants, ces ennemis provoquent l'alliance des forces
vives. En effet, si les mušrikun étaient de réels ennemis, leurs tares seraient définies, ils seraient
localisés. Ils sont si évanescents que nous croyons qu'ils sont un artefact littéraire pour figer le texte
dans sa mouture finale vers un ennemi protéiforme traversant les siècles, l'opposant au Pacte des
Arabes657. Tout au long de nos études, nous avons dégagé le caractère stratifié des écritures et
processus éditoriaux. Là encore les maintes réécritures observées par nous658 sur le ductus du mot
qatala indique une postériorité de la valorisation du combat à l’installation des arabes plutôt
pacifique. Les sources islamiques suggèrent que les Arabes se sont soudainement réunis sous la
bannière de l’islam et ont lancé une campagne militaire sans fin. Cependant un large éventail de
sources – principalement chrétiennes – en syriaque, grec, latin, arménien font mention de
conquêtes bien avant l’apparition de documents islamiques. Ces sources changent
considérablement l’image des conquêtes. Les tribus arabes, avec d’autres peuples, tels que les Turcs
et les Avars, avaient déjà commencé à faire des raids à la fois sur l’Empire byzantin et l’empire
sassanide bien avant l’islam comme le souligne Hoyland dans La Voie de Dieu. Ainsi en 610, « une
bande d’Arabes vint d’Arabie dans les régions de Syrie et ils pillèrent, dévastèrent de nombreuses
terres, massacrèrent beaucoup d’hommes et brûlèrent sans compassion » 659
L'extermination farouche et fébrile de l'ennemi de ces Pactes y est sans cesse exigée, la « meilleure
communauté » qui sera l'Elue y est sans cesse convoquée, l'exode, le long de ce chemin d'Allah,
recommandé. Là encore l’hypothèse d’une strate tardive d’intensification les versets Q9/113,
Q9/125, Q9/84, Q9/80 analysés par E. Puin montrent l’absence de certains mušrikina et kafirun.
Comme l’a montré G. Hawting cité par A.-L.de Premarre,660 le terme coranique du šhirk est un
concept polémique visant non pas, des « idolâtres » ou des « polythéistes » mais des monothéistes
ainsi stigmatisés par leurs adversaires monothéistes en différentes situations. « C’est dans cette ligne
qu’il faut comprendre le langage coranique. Celui-ci est significatif non pas de l’état réel d’une
religion polythéiste en Arabie, mais d’une polémique des premières décennies de l’islam contre des
adversaires qui sont eux-mêmes monothéistes. Ce genre de langage polémique sera également

656 . Ezra7:14 : ‫ ִמן־ְֹקָדם ַמְלָכּא ְוִשְׁבַﬠת ָיֲﬠֹטִהי ְשִׁליַח ְלַבָקָּרא ַﬠל־ ְיהוּד‬une parole a été envoyé par le roi pour
investir la Judée.
657 . La preuve de ces glissements se voit dans la traduction systématique erronée du mot fitna par
« associateur » (Q2/93).
658. MRAIZIKA-CHAUSSY Florence. Inarah 10, Le rite islamique. 2019.
659 HOYLAND Robert. dans La Voie de Dieu. p. 60.
660 . Recension pour Hawting Gerald R., The Idea of Idolatry and the Emergence of Islam. From Polemic to History.
Cambridge Studies in Islamic Civilization.
utilisé par les musulmans entre eux, selon leur appartenance à différents courants religieux ou
politiques, depuis le premier siècle jusqu’aujourd’hui.
Selon Hoyland « Les conquêtes arabes n’ont pas été initiées par Muhammad seul, mais ont
commencé avant lui. » 661 L’analyse des sources non islamiques associée à un examen des
inscriptions et des pièces de monnaie montre que l’islam n’existait pas au moment des premières
conquêtes. Hoyland note qu’il n’existe « aucune preuve de l’islam » avant le règne du calife
omeyyade Abd al-Malik (685–705). Le christianisme se répandait parmi les Arabes à l’aube de
l’islam. Cela est attesté par une inscription arabe-grecque datée 567 dans le sud de la Syrie sur un
martyrion chrétien. Ce graffito (document 2) du cinquième siècle prouve que l’arabe était déjà utilisé
pour la diffusion du christianisme. Hoyland montre que l’arabe – comme l’araméen/syriaque –
était avant tout une langue chrétienne. C’était la situation culturelle idéale pour l’arrivée d’une figure
prophétique qui aurait prétendu recevoir la parole d’Allah en arabe d’un ange. Au début, les
conquêtes étaient « arabes » et pas encore « islamiques ». Les conquérants arabes s’installaient
généralement dans les villes de garnison et évitent de se mêler aux populations conquises (par
exemple pour ce qui est de la conquête de l’Égypte en 640). Pendant longtemps, les postulants à
l’islam avaient besoin de s’associer à une famille arabe. Quand l’islam s’est finalisé au début du
VIIIe siècle, la guerre était naturellement déjà traitée comme un élément central de la foi. Le
développement doctrinal de l’islam a donc impliqué l’incorporation d’une culture militante de la
conquête. Les doctrines islamiques sur le jihâd, ont été façonnées et canonisées seulement durant
cette période.

Donc il avait fallu s'allier le flanc du christianisme qui, haut et fort, clamait maudit le premier
flanc, celui des eaux du rabbinisme. Les exégètes se sont unis à ce second flanc pour clamer : « le
Peuple vaurien qui cherche notre mort […] (le peuple) à la main maculée du sang des animaux (et)
dégoûtante […] la main qui assassine, salie du sang des Prophètes. Ce peuple est un vrai porc vautré
dans le sang. »662 – « La foudre les frappa pour leur tort, ils adoptèrent le veau, nous avons brandi
au-dessus d'eux le Mont, nous les avons maudits à cause de leur rupture de l'Alliance, à cause de leur
mécréance, de l'énorme calomnie contre Marie et leur parole, nous avons tué le Messie. » (Q4/154 à 157) Ainsi,
le thème de la rébellion de la race élue se trouve être le cœur même du drame coranique et il prend
part aux polémiques sur l'Alliance des chrétiens et des rabbins. Si l'ingratitude et la rébellion de la
créature balayent l'intégralité du corpus, celles des Fils d'Israël sont prégnantes.

Les exégètes vont redéployer l'histoire réelle et dévier celle du Salut : ils vont d'abord postuler une
vision talmudique, selon laquelle un peuple aimé d'Allah doit accepter la Loi et la porter pour arrêter
l'ire divine. Dieu avait créé le monde sous la condition suivante : il ne perdurerait que si Israël
acceptait la Torah ; dans le cas contraire, tout le vaste univers disparaîtrait et retournerait au vide
total d'avant la création. Dès lors qu'Israël avait pris sur lui cette responsabilité, il n'y avait plus de
retour possible. En suspendant la montagne au-dessus d'Israël, Dieu a montré que les Bénis-Israël
avaient effectivement choisi de devenir les « anges » destinés à Le servir, et que la création existerait
par son mérite. A partir de ce moment-là, ils ne pouvaient plus se décharger du fardeau. Dans la
conception islamique, les fils d'Israël ont perdu cette fonction, il n'y a donc plus personne pour
recouvrer la grâce perdue par la faute des origines lorsqu'Adam et Eve ont été chassés – même si
Adam semble avoir été pardonné dans le Coran. L'univers risque de basculer dans le chaos, sauf si
une communauté reprend à temps l'engagement et entre dans le vrai dîn (Q2/64). La surabondance
de requêtes de pardon prouve ces tergiversations théologiques. L'intercession est progressivement
bannie, mais va réapparaître, au fil des éditions, au profit du nouveau Prédicateur.

661. HOYLAND Robert. In God's Path: The Arab Conquests and the Creation of an Islamic Empire, 2014.
662. Hymne Pascal XIX, St Ephrem.
Cependant, la vêture de Lumière portée par le couple originel n'est jamais recouvrée, le
corps n'est plus la bonne nouvelle, Adam ne retrouvera jamais l’intégrité de son âme, l'Eve de l'Eden.
Les tafsirs ont cherché à définir une nouvelle doctrine ont été ballotés entre plusieurs théologies.
Ils optent parfois pour des bribes de doctrine chrétienne dans laquelle Jésus est semblable à Adam
mais ils n'épuisent pas alors totalement la puissance de cette expression. Bien au contraire, ils
adoucissent son sens en défaveur du Salut et en faveur du dîn. Ils occultent radicalement les fonctions
salvatrices du Christ. Si Jésus crée à la façon d'Allah avec la glaise et s'il peut, par décret créateur,
insuffler l'âme dans la glaise et la vie par la Parole, des ajouts ultérieurs (avec la permission d'Allah)
ou des sourates plus tardives (comme la sourate 5) réajusteront Jésus au niveau minimal. Alors que
le verset 49 de la sourate 3 souligne que Jésus ne se meut – et donc ne parle – qu'avec la permission
d'Allah, au verset 116 de la sourate 3 il est suspecté et questionné par Allah au sujet de l'adoration
dont il fait l'objet. Ces deux versets montrent une stratification de composition. Les Califes
préfèrent parfois la théologie judaïque qui impose la construction du Temple663 ; l'accomplissement
de rites particuliers indispensables au Salut obtient leur adhésion ; enfin, ils conservent jalousement
des bribes de la théologie anti-nicéenne où Jésus, le Messie, le kalima implacable d’Allah, va tout
restaurer et tout accomplir. Jésus est le Maître du décret foudroyant – représenté avec l'épée –, mais
les Califes le renvoient à la Fin des Temps. Au final, le recouvrement de cette grâce perdue devra
se faire au combat pour l'établissement du dîn. L'espace théologique que tracent les prédicateurs
puis les exégètes est toujours à équidistance des flots rabbiniques et de ceux des chrétiens. Cette
position de centre de gravité permet de se frayer un chemin et, surtout, d'accaparer l'adhésion de
tous. La multiplicité syriaque des Alliances et l'unicité de l'Alliance des Fils d'Israël sont tout autant
repoussées. Le mot même de Calife est lié à l’épisode mosaïque des tables brisées au verset 7/150
et à ce décret de Dieu. Au verset 2/80 la racine kha lam fa signifie « briser l’alliance ».
Le Paradis mêle des visions des hauts lieux, diverses et variées, tout autant bibliques que
persanes. La vision béatifique semble occultée, et seule la mort en martyr semble en garantir l'accès
direct. Le refus de la Bonne Nouvelle de l'Incarnation rend tortueux le chemin du retour à l'Eden.
Le motif de l'Enfer est d'un emploi aussi redoutable que variable : le nombre d'élus n'est pas le
même en fonction des sourates. Il diminue ou est constant avec les générations : Q56/13.
La sourate 2 narre dans ses débuts, l’histoire de la chute du Paradis et du recouvrement du salut
avec Moïse et la c’est sourate 48 qui porte le titre d’« ouverture » –comme celui de la sourate1– qui
exprime ce pardon des péchés.664 Le mot tahwā du verset Q2/87665 est traduit par « désir » mais
cette racine renvoie à « l'Essence divine »666 et une des occurrences de ce vocable est associée à
Jésus qui suit Moïse. Le sacrifice de la vache permet de redonner la vie.667
Al-fatḥ est l’ « ouverture » triomphante est celle des portes du paradis, où les péchés sont
pardonnés (Q48/14, Q48/2, Q48/11 et Q48/27). L’ouverture du Paradis est initiée par Marie se
nourrissant du fruit du palmier, banni de l’Eden. La sourate 9 liée à la sourate 48 par ses

663. Le voyageur chrétien Arculfe la décrira en 670 : « Dans ce lieu fameux où il y eut une fois un Temple
magnifiquement construit, situé dans le voisinage du mur de l'est, les Sarrasins aménagent un emplacement
quadrangulaire de prière édifié de manière simple de planches dressées et de grandes poutres sur ce qui
restait de ruines. On dit qu'elle peut contenir 3000 personnes à la fois. Le pèlerin Arculfe et le roi Mavias :
la circulation des informations à propos des « sarrasins » aux VIIème-VIIIème siècles, de Jérusalem à Iona et
Yarrow (2013). HOYLAND. Robert. Dans la voie de Dieu p 68.
664. Q2/9 « Annonce à ceux qui croient et pratiquent de bonnes œuvres qu’ils auront pour demeures des
jardins sous lesquels coulent les ruisseaux ; chaque fois qu’ils seront gratifiés d’un fruit des jardins ils diront
: C’est bien là ce qui nous avait été servi auparavant. » « Entrez dans cette ville, et mangez-y à l’envie où il
vous plaira ; mais entrez par la porte en vous prosternant et demandez la rémission (de vos péchés) ; Nous
vous pardonnerons vos fautes ».
665. Wa-la-qad ’ātaynā mūsā l-kitāba wa-qaffaynā min ba‛dihī bi-r-rusuli wa-’ātaynā ‛īsā bna maryama l-bayyināti wa-
’ayyadnāhu bi-rūḥi l-qudusi ’a-fa-kullamā ǧā’akum rasūlun bi-mā lā tahwā ’anfusukumu stakbartum fa-farīqan
kaḏḏabtum wa-farīqan taqtulūna
666. Avec l’Etre.
667. Le cotexte évoque l’élection de Jésus.
thématiques est suivie de la sourate 19 (DAM 27, scriptio inférieure). La sourate 9 s’intitule « la
repentance ». Les sabaq ‫שבקת‬, les anṣar,668 du verset Q9/100 renvoie à cette notion de « pardonné »,
et muhājirīna 9/100 à la conversion (Q26/29, cette racine signifie se convertir).669
La nativité de Jésus au pied du « tronc du Palmier » qui produit « des dates fraîches » est donc
une icône de la rédemption, l’arbre est coupé et il refleurit. Le Palmier s'incline et « verse le Fruit »
dans Le proto-évangile de Jacques. Dans les apocryphes, la Palme est l'arbre de vie écarté du Paradis,
qui retrouve sa place paradisiaque grâce à Marie ; aussi s'incline-t-il devant elle et retrouve-t-il sa
place. La Palme est le trophée chrétien de la Victoire sur la mort et le symbole judéo-chrétien du
retour au Paradis. La palme du martyr conduit aussi au Paradis. Cette option est rappelée au verset
Q9/111 en référence à l’Injil. L’autre référence est en Q48/29. Cette lecture obvie est destinée à
créer l'islam. Le Ramaḍan que l’on rompt avec des dattes est présenté comme une rédemption, une
réouverture des portes du Paradis.

Dès l'aube de ce moment mythique – que nous conte le Coran–, juifs et chrétiens
ont refusé la pureté du dîn d'Abraham (Q2/135, Q2/140, Q2/130). Leur condamnation
est éternelle, puisque prononcée par lui, le Logos incréé. Par cette hagiographie,
l’appareil exégétique va ainsi aliéner le passé des deux grands détenteurs de l'Alliance.
Le ressort de saint Paul pour redéfinir l'Alliance est ainsi totalement désactivé. Les
reliquats des rituels pagano-arabes vont être purifiés par Abraham, à La Mecque, par-delà les siècles,
en son prolongement : Muḥammad. La première « Maison » édifiée le fut par Abraham, à la fois à
Jérusalem, au Dôme du Rocher, par son lieutenant ‘Abd al-Malik, et à la Ka’ba par son lieutenant
Ibn Zubayr. Ibn Zubayr fut crucifié par ‘Abd al-Malik. Le mot « Bakka » (d verset Q3/96) lu
« Mekka » permet cette double lecture et réconcilie ce double pèlerinage.670

A un instant t, les groupes de la « coalition » vont vouloir rassembler leurs versions


différentes du récit des Alliances et vont vouloir donner le Livre entier à ces communautés rivales.
Cet œcuménisme avant l'heure ne peut servir qu'une Alliance politique et humaine.671 « Venez ô
gens du livre à une parole commune entre nous et vous pour que n'adorions qu'Allah » ; « Vous
devez avoir Foi dans le Livre entier. » Abraham est pris alors à parti puisqu'il est dit n'être ni juif ni
chrétien, mais « croyant »672 ; Abraham et ses fils arabes, Ismaël puis Muḥammad, sont associés pour
la fondation de « la Maison » du culte primitif et pur voué à Dieu. Il y a là une volonté manifeste
de syncrétisme sur une base théologique simpliste, un désir d'unifier les communautés en présence
et d'associer les Arabes au Livre, à la promesse, à l'Alliance par Ismaël. La Trinité est fortement
associée à l'Empire byzantin, et les querelles christologiques sont des facteurs d'autonomie vis-à-
vis de ce dernier. Ce syncrétisme est manifeste sur les pièces de monnaie où tous les motifs
byzantins sont réinvestis. La sourate 2, avec son épisode fondateur abrahamique de la prière
« d'intercession » d'Abraham pour sa descendance soumise, a pour fonction de présenter Ismaël
détenteur du Pacte et de convoquer le nouveau peuple élu à des rites expurgeant progressivement

668. ‫ נצר‬à la dévotion.


669 Abraham, il est à la fois le premier émigrant (il a « vraiment » quitté son pays) et le premier prosélyte. Il
est le « ger » absolu, Gn 19,9. Les « émigrés » sur le chemin d’Allah seraient donc plutôt les prosélytes
d’Allah. Cette ambiguïté entre statut civil (émigré/autochtone) et statut religieux (prosélyte/ancienne foi) a
été construite et forgée par le midrash juif, puis dans la langue hébraïque, elle se serait ensuite solidifiée au
point que l’Arabe coranique n’est plus en mesure de dissocier mentalement les deux sens : émigrer/devenir
prosélyte. »
670. Ce mot Bekka » ou « Bakka » peut encore être trouvé dans des cartes de Jérusalem comme étant le nom
d'une vallée à 5 km au sud-ouest du Mont du Temple.
671 . On verra que cet objectif annoncé dans le texte coranique sera confié à l'ambassadeur Amrou
(chronique du premier dialogue Islamo-chrétien entre un compagnon de Muḥammad et le Patriarche
Jacobite).
672. Le mot « musulman » des commentateurs perses est évidemment un ajout de l'équipe des tafsirs, il faut
le traduire par « croyant ». Le mot « musulman » n'existait pas en 622, puisque la communauté était disparate
et n'avait aucun livre. Les « Musulmans » étaient désignés par « Magrayes », c'est-à dire « ceux de l'exode ».
tout sacerdoce. Le sang de l'Alliance est éliminé. Même si l'intercession d'Abraham pour le repentir
n'est pas accomplie (Allah n'y répond pas), le lieu de l'acte ‒ devenu « la Maison » d'Allah673 –, la
présence d'Ismaël et sa requête d'un Messager « issu d'eux » pour « enseigner le Livre, la sagesse et
les purifier », sont une mise en scène d'un acte d'Alliance version arabe. Cet épisode est placé après
le rappel des bienfaits sur Israël auquel « le livre à réciter » était confié. Il est clair que ces
occurrences se rapportent à porter la Torah, l'Alliance et à l'accomplir. L'investiture d'Ismaël se fait
par codicologie ‒ tentatives manifestes de surimpression –, mais le parchemin est réticent.674 Le
recours à Abraham par qui toutes les familles de la terre sont bibliquement bénies, et le monde
restauré en vertu de la divine promesse, est obvie, Abraham est devenu l'accusateur des infidèles
du Pacte et le purificateur du ḥaram.

La différence fondamentale de rhétorique, de rythmique et de sémantique au sein d’une


même sourate, les sens variés des racines, les versions différentes des mêmes récits nous obligent
à considérer plusieurs périodes éditoriales et plusieurs « équipes » du fait de l’hétérogénéité des
matéraux. Certaines sourates sont des prédications monothéistes peu travaillées, d’autres narrent
une histoire sainte qui essaie de comprendre le succès de cette conquête de la terre et ces passages
procèdent à des gloses interprétatives. La mouture finale des logia prophétiques est relue l'épopée
titanesque des Arabes conquérants de la Terre sainte à la lecture de l'Epître aux Galates. Le corpus
coranique est un corpus fortement composite dont l'édition a été faite à la va vite et d’une façon
extrêmement maladroite. Cette dispersion a tenté d’étaler et de disperser des textes connus par le
public auquel il s’adressait. La connexion très forte avec un original d'une communauté sectaire et
apocalyptique et qui existe entre des fragments épars dans différentes sourates laisse à présumer
l'existence de textes sources plus unifiés sur certains thèmes, notamment le thème du Logos-
informateur des Prophètes, Logos insufflé en Marie, matrice du Verbe ‘Isâ, Logos-Ecriture et
Alliance.

Le polysémantisme, la réorientation et les commentaires seront les techniques pour absorber


et flatter tous les sujets de l'Empire, mais surtout pour se mettre au service de l'idéologie califale.
Alors comment, au vu des contradictions internes au texte, résoudre radicalement le problème de
la présence incongrue d'Ismaël ? De même que saint Paul, dans son allégorie d'Isaac, avait fait de
celui-ci l'ancêtre du Christ pour l'Alliance, de même les prédicateurs font d'Ismaël le père de
Muḥammad. Ismaël devient ainsi l'ancêtre de Muḥammad pour l'Alliance ; le Christ et Muḥammad
sont comme des frères animés chacun du désir d'entrer à Jérusalem, l'un monté sur l'ânesse, l'autre
sur la chamelle. L'imposant contre-discours est là, il veut produire un passé convaincant qui donne
du sens à un présent transformé par les conquêtes territoriales. C'est la strate de prise en mains de
l'Alliance virtuelle et en pointillé.

Rien dans le Coran lui-même n’est précis quant à la fixation des origines du pur islam ; il
oscille sans cesse, dans sa théologie des origines, en fixant parfois « Muḥammad » le premier
musulman ; parfois c'est « Adam », parfois c'est « Abraham », parfois c'est « toi » (Q39/12). Le flou
des pronoms personnels, là-encore, embrouille tout le monde. Le Coran est le texte où tout un
chacun peut projeter ces mirages. Abraham intercède pour obtenir l'acceptation, pour lui et sa
descendance, d'un repentir : tuwwâbu (v. 128), preuve que le pardon qu'aurait obtenu Adam est loin
d'avoir convaincu les croyants des origines. La supplique de pardon est omniprésente dans le Coran
et dans l'épigraphie préislamique. Adam et Eve et l'humanité entière ont pourtant été chassés du
Paradis (Q2/35). Au Paradis recouvré, il est signalé qu'aucun fruit ne sera défendu. L'Enfer est

673. Dans l'Antiquité tardive, la localisation du sacrifice d'Isaac est clairement identifiée avec le Golgotha :
« La montagne de Jésus, centre de la terre, tombeau d'Adam et autel de Melkisédeq. » La Maison d'Allah
condense toutes ces fonctions sacrées et antiques.
674. Des lettres sont souvent douteuses quant à l'affectation de leur valeur réelle.
rempli, selon le verset Q83/8675. La porte est étroite et l'Enfer avide. La parabole des Lumières revient
souvent, et la Justice coranique utilise l'image d'une muraille avec une porte nommée Miséricorde
et une face sur l'Enfer. L'Enfer et la Miséricorde sont les deux faces d'une même porte. De
nombreux segments associent Pardon et Paradis. Ce Paradis ne sera accessible qu'avec la croyance
en Allah et son secours jusqu'au combat – une notion de Rachat qui passe en pointillé (à travers la
racine fā dāl yā).676
Les informations issues du Coran sont bien oscillantes sur le culte. Le « rite » est quasiment
déconnecté de toute notion de sacrifice. Les sourates évoquent, par ailleurs, des conflits de Masgid677
et des désaccords sur le vrai site de la piété originelle pour obtenir « bonne attribution » (sourate
9). Des désaccords idéologiques et politiques678 expliqueraient facilement ce côté décousu de la
doctrine pour retourner au paradis, ainsi que les désorientations doctrinales et de qibla (traditions)
qui ont suivi le décès du fondateur. Abraham sera finalement la « passerelle herméneutique » entre
ces deux lieux sacrés. L’anticalife Ibn Zubayr retrouve justement vers 680, les vraies fondations du
sanctuaire d'Abraham. Le motif d'Abraham, maître de « la Maison » uniquement aux sourates 2 et 22,
semble être une trouvaille tardive pour sortir d'un imbroglio théologique, gérer une fitna. Ce très
faible poids, en sourates et en lignes, d'Abraham gérant de l'Antique Maison, dévoile un subterfuge
littéraire pour sortir de cette entreprise militaire pleine de dépits et de gloires. Si on écoute les
historiens, les premiers muhagirun sont repoussés par les juifs rabbiniques – et ainsi naissent de
nombreuses scissions. Son représentant, Ismaël, concurrent de l'héritage et ancêtre éponyme de
Muḥammad, n'est pas présent à la sourate 22 pourtant consacrée au pèlerinage célébrant l'exil de
sa mère.

L'introduction de la figure de Muḥammad, justification du Calife, permet un durcissement


contre les ennemis du pouvoir, il devient celui qui a accompli le Décret. Le titre musulman signifie
« accomplisseur » et celui d'anṣar, « secoureurs ». L'union entre les membres de la nouvelle
communauté sera la base du Pacte de Médine, et toute opposition sera combattue. Si le Qur’an
recherche l'Alliance, un partenariat où Allah retrouve sa totale souveraineté, où les croyants sont
disposés à donner leur vie, les Califes profitent avantageusement de ce système. La gestion de cette
confédération arabe tire avantage de cette conception politique où le régent tient la place d'Allah,
en attendant le Messie. L'aniconisme des pièces de monnaie surgit seulement après un différend
(entre le Calife et Justinien II) sur le tribut et la représentation iconique exigée dessus. Le mot
« pervers » qui est omniprésent dans le corpus a une toute autre signification en araméen : il désigne
l'icône, la statue. L'image d'Edesse appartenait à Mu’awiya et était le signe divin d'une justification
de la régence. Dans son étape de différenciation, le proto-islam a rejeté le concurrent politique,
après que ce dernier a réclamé un tribut en pièces frappées à l'effigie du Christ-Régent et lui a substitué
un aniconisme au titre de Calife d’Allah.
Les « auteurs du Coran » se fondent sans cesse sur une condamnation de l'incapacité des Ahl
al kitâb 679 à accomplir la Loi, c’est l’accusation de rupture de façon permanente qui donne
l’existence à l’umma, la communauté sans livre. La racine du mot Calife (kha la fa) désigne la rupture
de l’Alliance de la part des hommes mais l’absence de rupture dans la parole d’Allah aux versets
Q2/80, Q3/9, Q20/86, Q9/77, Q3/194, Q30/6, Q39/20. 680 Cette volonté d'accomplir les

675. Le sijjin vient de l'araméen signifiant « la foule ».


676. PTA, Sam. TN Lev22:27 : ‫ופדה‬.
677. Ce mot signifie « se prosterner » et donc « adorer », sens biblique. Q8/34 : « Qu'Allah ne les châtie pas
alors qu'ils repoussent de la Mosquée. » Q9/107 : Ceux qui ont édifié une mosquée […] de rivalité. »
678. En 692, La Ka'ba est assiégée une nouvelle fois par Al-Hajjaj Ibn Yusuf Taqaf'i ‫اﻟﺤﺠﺎج ﺑﻦ ﯾﻮﺳﻒ اﻟﺜﻘﻔﻲ‬,
envoyé d'un autre calife omeyyade ‘Abd al-Malik La Ka'ba fut une nouvelle fois incendiée et détruite par
catapultes.
679. « Ne discutez avec les gens de l'Écrit que de la manière la meilleure. » (Q29/46)
680. lā yuḫlifu Llāhu.
Écritures est un point capital de la strate primitive. Le temps de l’accomplissement de ces Écritures
évoque est celui la recréation perpétuelle de ce jardin-paradis. Cette conception a germé au cours
des deux premiers siècles de notre ère, rejouant et transfigurant l'unité des cieux et de la terre dans
le Verbe alchimique, par l'avènement du Messie, secoureur d'Allah dans son Assemblée. La Vulgate
tresse sans cesse et de façon inextricable des paroles bibliques avec des malédictions proférées à
l'égard du peuple des Écritures. Le caractère incréé revendiqué pour la Vulgate donne une portée
intemporelle aux condamnations.
Concernant le statut de Jésus, l'analyse littéraire et celle de la codicologie montrent une réelle
volonté d'effacer ce rôle de Messie ou, du moins, de le mettre à niveau avec son nouveau frère.
Déçus de leur attente messianique et perdus dans ces dédales théologiques ou entredéchirés entre
eux, les Califes ont imaginé un retour à leurs sources. L'occultation des pouvoirs de Jésus fut
progressive. ‘Isâ, en sous-strate araméenne, est sublime, revêtu des oripeaux califaux, dépouillé de
sa Croix et partageant l'écarlate avec son double, le Glorifié devient le glorifiant. Le vocable mḥmd
(« position de gloire ? ») utilisé aussi en (Q17/79) pouvait désigner visiblement Jésus, puisque la
Croix et ce logo sont juxtaposés sur des pièces de monnaie. Le Prédicateur du retour du Messie a
dû progressivement substituer celui qu'il annonçait, les « conquêtes » victorieuses devenant le nœud
du transfert. De nombreuses désignations coraniques « Messager » désignent visiblement Jésus,
puisqu'un messager en annonce un autre. Aussi, au verset Q48/9 – « Nous t'avons envoyé pour
que vous croyez en Allah et Son messager » –, l'envoyé ne peut se référer à Muḥammad le locuteur
ne peut être Allah non plus, il y a ici au minimum trois personnes : l’envoyeur, Allah, le Messager.

L'investiture officielle de Muḥammad est le fait ‘Abd al-Malik et des 6 inscriptions identiques
et stéréotypées du Dôme du Rocher : « Mḥmd est le messager » – peut être lue et interprétée sous
cette version : « Loué soit Le messager » car ces affirmations sont identiques et toutes coincées
entre des discours sur Jésus. Jésus représente le réel discours littéraire de ces inscriptions, avec un
débat sur son rôle réel pour ‘Abd al-Malik. Le Dôme a pour vocation de se séparer du christianisme
politiquement et théologiquement, aussi le rôle de Jésus se dilue-t-il progressivement avec
l'imposition de ce prophète post-mortem – qui était sûrement un prédicateur et général de son temps.
La victoire sur la terre impulsée par lui fut le seul miracle qui a justifié le transfert. Il est aussi
possible d'envisager qu'un transfert ait eu lieu, en vertu de combats en direction de Jérusalem – avec
des échos, dans l'histoire, de la chamelle d'Allah exterminée par des méchants (Juifs) qui, trois jours
après, seront punis par un cataclysme.

Les « collectionneurs » des loggia prophétiques et les lecteurs et exégètes du corpus prennent
fondamentalement le contre-pied de l'Acte créateur de Jésus. Le Coran se fonde sur la position de
Jésus venu accomplir la Loi et en abolir certains points, uniquement pour justifier son propre
pouvoir législatif (auto-proclamé) d'abrogation. Il fonde son droit divin via Jésus. ‘Isâ, « Verbe de
Dieu » (kalima(t)-Allah), « parlant au berceau », « justifiant sa mère », condamne, avec David, les
juifs falsificateurs et recouvreurs à son propos. Le kalima(t)-Allah fait évoluer cette immutabilité de
l'Écriture de la Torah et, jusqu'à son retour eschatologique, Jésus investit et installe son bras droit,
Muḥammad, armé du calame d'Allah. La Vulgate occulte l'aspect mystique de cette connaissance de
Dieu par le Verbe, seul l'aspect légaliste du Verbe triomphe. En effet, seul « le Verbe de Dieu »
peut rendre licite l'illicite, Jésus a uniquement des fonctions sur la Loi, qui doit être partiellement
abrogée.
La négation de la Croix est plus islamique que coranique, elle est une nécessité d'une relecture
exégétique abolissant l'Accomplissement des Ecritures par le Sang, elle est un impératif absolu pour
dissimuler le dernier Testament. Finalement, le premier Testateur de Dieu, Moïse, par ses Tables
préparait le cœur à recevoir Sa Loi gravée dans la chair du cœur, en vertu de la mort du second
Testateur. Les versets Q4/171 à 175, en sous-strate très positifs pour le Christ, sont réécrits dans
plus de 3 codex et brûlés dans un quatrième, et sont intégralement remaniés pour soutenir la
nouvelle définition de Jésus affirmée en Q5/116 : « Dieu seul est Dieu, Dieu seul est Seigneur,
Dieu seul est juge ; Dieu seul est vivant. » Dans certaines lectures chrétiennes, le premier Testament
avait été occulté, la pédagogie de Dieu, incomprise, et l'axe de l'espérance messianique, perverti. La
lecture islamique s'est emparée de ces déviations et hésitations, et a postulé le Testateur
parfaitement Vivant, récusant en même temps l'orgueil d'Israël en Q4/157.
La Parole de Dieu exprimée en Jésus la veille de sa Mort serait désormais dépourvue de
validité, oscillant entre l'appel d'une table volante et des menaces féroces. Le nouveau Testament
de Dieu en Jésus est, pour l'islam, une lettre morte, et le Sang de l'Alliance préfigurée par Moïse et
accomplie par Jésus est devenu une encre illisible via les Califes. Le premier Testateur ayant brisé
les Tables, le Second étant coincé entre ciel et terre, l'héritage était libre. Il n'y avait plus qu'à fermer
la Porte du Messie et clore celle de l'interprétation ; la seule lecture autorisée serait celle des Califes
aux encres multicolores et aux calligraphies protéiformes. La Loi, réduite et condensée grâce au
Messie-Jésus, serait redéployée à partir de son double qui allait incarner la sharîa par-delà sa mort.
La Vulgate d'Uthman, et non la lecture exégétique des primo-feuillets (le Qur’an), postule de sa
propre autorité le nouveau Contrat avec sa communauté à qui elle donne sa nouvelle législation
(Q5/48), laquelle devra débusquer le širk partout, après avoir réduit de façon ambiguë les
prétentions des deux autres tenants de l'Alliance. Si elle éliminait ces prétentions totalement, elle
perdait toute légitimité, se réclamant elle aussi de cette notion d'Alliance biblique. La relecture
exégétique des primo-feuillets devait avoir une notion de l'Alliance purement judéo-chrétienne très
proche de celle des sectes ébionites ou elkasaïtes.
Ainsi, depuis l'outre-tombe, le Prédicateur des primo-feuillets subissait une captation de son
avertissement apocalyptique sur l'Heure, et endossait les habits de celui qu'il avait sans cesse loué
et annoncé ; Muḥammad était mis au service de l'équipe exégétique pour proclamer de façon
intemporelle la « descente » fulgurante de la Vulgate, véritable Testament des Califes, à la place de
« la descente » du kalima rejeté par les hommes en rébellion contre l'Alliance. La mort du dépositaire
des feuillets étant constatée, il devenait le médiateur très loué du nouveau Pacte, écrit pour conférer
à ces confédérés l'héritage : « Et sur toi (Muḥammad) nous avons fait descendre le Livre […] Juge
[…] A chacun de vous nous avons assigné une charia, une législation… » (Q5/48) ; « Vous êtes la
meilleure communauté qu'on a fait surgir pour les hommes. »

Le Parchemin d’Istanbul
2/87 98/4 Élevé 3/55 2/87 Q5/111 Q5/110
3/49, 3/50, 5/110 2/253, 3/33 2/253 3/31 CROIRE 3/48
Exemple Comblé 4 /158 5/110 Faḍḍalnā Favorisé 3/2
Béni 19/30 Daraǧātin Main Du St Esprit Q2/253 Nazzala ‛Alayka L-
Oint 19/32 INTIME ALLAH Bayyināti Wa- Q17/21 Kitāba Bi-L-Ḥaqqi
Serviteur Comblé Muqarrabīna 3/45 ’Ayyadnāhu Bi- Pardon Des Péchés Muṣaddiqan Li-Mā
Bayna Yadayhi Wa-
De Bienfaits Bonne Nouvelle Rūḥi Effacés Q57
’Anzala T-Tawrāta
43/59, 19/30, 3/50 Sagesse 2/253 Q43/61 Wa-L-’Inǧīla
Mère Elue 43/63 VIVANT Q19 Obéis Au Messager
Ṣṭafāki 3/42 Croire En Lui 5/111 INSUFFLER Et Le Livre permet De
Pur Le Suivre ’Anfuḫu Allah juger 2/213
Wa-Ṭahharaki Retour Vers Lui Ressusciter 5/110 Chemin Droit Q19/30
ORIENT 19 3/55 5/78 ’Uḥyi L-Mawtā Paradis Verset 70 Confirmant Vérité
MESSIE TEMOIN DE 3/49 5/110 Pardonnera Q19
Sauveur Waǧīhan TOUS Q4/159 CREER Etanche Soif Parole De Vérité
3/45 Yaḫluqu Q3/47 Q19/32 Q19/34
’Ubri’u Q3/50 Licite
Illumination Obéir Q3/50
Signe de Bā Rā Ṣād Véridique
Miséricorde ‫אברצ‬ Q3/62 Q19/34
Q19/21 NOURRITURE Q2/253
Allah met Ses DIVINE
Délices Q5/110

Tableau 4 : récapitulatif des attributs et prérogatives de Jésus


A) Le motif du Raisin dans les Eglises d’Arabie (Barabara Finster)
B) Dôme du Rocher –Grappes de Raisin.

D)

Dôme du Rocher Mhmd , peut être lu « Prié…. Soit le Serviteur et Messager d’Allah »

E) F)
Jésus le Messie 681

681. Inarah.de
Loué Soit le Serviteur. A lui appartient la souveraineté des cieux et de la terre. Il fait vivre et il fait
mourir, il est omnipotent. Je suis le serviteur d’Allah qui m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète.
O Gens du Livre cessez de vous disputer et ne dites d’ALLAH que la Vérité. Le messie Jésus fils de Marie
vraiment il est le Messager et sa Parole insufflée en Marie vient d’Allah, Croyez en Allah et ses Messagers.
Cessez de dire trois. Allah est un. Il est glorieux pour avoir un enfant. Le Messie se glorifie d’être un serviteur
d’Allah et ceux qui se trouvent indignes de l’adorer
….Jésus fils de Marie

Allah atteste et Ses Anges il n’y a point de divinité à part Lui… Certes la religion acceptée d’Allah est
l’Islam

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