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 Bruno Colson, Le général Rogniat, ingénieur et critique de Napoléon, Paris,

Economica, Bibliothèque Stratégique, 2006, 862 p.


Cet ouvrage volumineux, issu d’une thèse récente, présente en apparence toutes les
caractéristiques d’une biographie classique. En mobilisant une palette très riche de sources
(archives politiques, militaires, notariales et privées, écrits personnels, témoignages de
contemporains, combattants comme civils…) méthodiquement recoupées, elle paraît viser à
reconstruire l’exhaustivité linéaire d’une vie. Celle d’un « général intellectuel » de Napoléon,
Joseph Rogniat, reconstituée depuis les prodromes de sa lignée (vers 1622) jusqu’à ses
derniers instants, en mai 1840. Il y a même dédoublement partiel, puisque apparaît, en
contrepoint, la carrière de son frère aîné, Jean-Baptiste, notable assez atypique du Premier
Empire.
Or, il n’en est rien. Car l’auteur consacre une séquence, très dense, de son introduction
(p. 9-15) à confronter l’expérience du genre biographique à son domaine de recherche
privilégié, une histoire militaire renouvelée. Elle allie ainsi étude des institutions militaires,
des pratiques et des discours, envisagés suivant une relation systémique, dans une période
charnière, où le « Romantisme militaire »1, centré sur le chef et la bataille décisive, succède à
la guerre réglée et limitée des Lumières.
De fait, par opposition au Génie du Grand Siècle, celui du Premier Empire n’est
défriché que depuis peu, et B. Colson en éclaire la formation, l’esprit de corps et sa mentalité
spécifique au sein des officiers impériaux. L’analyse minutieuse des divers sièges conduits
par Rogniat au service de l’Armée d’Aragon, entre 1808 et 1812 (chapitre VII) s’avère
également intéressante. Il en va de même pour la rénovation de la citadelle de Valence ou son
emploi de la fortification passagère : l’exploitation des plans et rapports des archives du Génie
complète utilement divers chantiers archéologiques récents de la Péninsule ibérique,
notamment les travaux conduits par Juan Carlos Castillo Armenteros au château de Santa
Catalina de Jaén2.
En outre, cet ouvrage n’omet pas de prendre en compte l’impact de cette expérience
singulière, à la fois polymorphe et approfondie, sur l’art de la guerre occidental. Les
répercussions des conclusions doctrinales de Rogniat font l’objet d’un examen fouillé, p. 628-
644 s’agissant du court terme, p. 765-780 dans le « temps long ». Si de façon générale, le
« Vauban impérial » perpétue le modèle napoléonien, malgré sa polémique avec l’exilé de
Sainte-Hélène, il se montre novateur dans son domaine particulier. En effet, conscient des
progrès inéluctables de l’artillerie, il se distingue de ses collègues en prônant une fortification
éclatée, au service d’une défense active, lors du débat sur la future enceinte de Paris (1838-
1840).
L’analyse de la réception des écrits - longtemps et assez injustement méconnus - de
Rogniat consacrés à la poliorcétique et à la stratégie napoléoniennes, durant les XIX e et XXe
siècles, s’avère aussi intéressante que celle de leur maturation. En cela, nous disposons d’un
modèle de « biographie intellectuelle ».

Jean-Marc Lafon,
Agrégé et docteur en Histoire,
ATER à Montpellier III

1
Selon la formule de J. Lynn, Battle. A History of Combat and Culture, Westview Press, 2003.
2
J. C. Castillo Armenteros & M. C. Pérez Martínez, « De castillo medieval a fortificación francesa. El castillo de
Santa Catalina (Jaén) durante la Guerra de la Independencia », La Guerra de la Independencia (1808-1814).
Perspectivas desde Europa. III Jornadas sobre la batalla de Bailén y la España contemporánea, Universidad de
Jaén, 2002, p. 171-238.

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