Vous êtes sur la page 1sur 2

Hervé DRÉVILLON, Bertrand FONCK & Michel ROUCAUD (dir.

), Guerres et armées
napoléoniennes. Nouveaux regards, Paris, Nouveau Monde/Fondation Napoléon/Ministère de
la Défense, 2013, 562 p., 29 €, ISBN : 978-2-36583-851-1
Lorsque N. Petiteau lança l’exploration de Voies nouvelles pour l’histoire du Premier
Empire (2003), la dimension militaire en était presque totalement absente, illustration
flagrante du discrédit durable affectant « l’histoire-bataille ». La substantielle conclusion d’A.
Forrest à ce colloque de l’automne 2012 démontre la révolution historiographique survenue
entre-temps, impulsée par ses propres travaux – notamment Napoleon’s Men. The soldiers of
the Revolution and Empire (2002), récemment traduit – et ceux de nombreux jeunes auteurs,
dont la plupart ont participé aux actes. C’est dire la richesse de ce volume, qui prolonge sur ce
point la remarquable fresque brossée par A. Lignereux, L’Empire des Français 1799-1815
(2012).
Outre des synthèses bienvenues, dues à des spécialistes confirmés (A. Crépin pour la
conscription, J.-F. Brun pour l’organisation opérationnelle de la Grande Armée, J.-P. Bertaud
s’agissant du regard pour le moins contrasté des civils sur l’institution militaire…), l’ouvrage
offre plusieurs nouveautés stimulantes. Il permet d’abord la vulgarisation de travaux récents,
qu’il s’agisse de recherches personnelles (la relecture de la campagne de Russie par M.-P.
Rey) ou de thèses publiées depuis peu, voire encore inédites. G. Candela analyse ainsi la
genèse du système militaire napoléonien, antérieure au laboratoire que constitua l’Armée
d’Italie en 1796-1797, tandis que G. Lepetit évoque la création de la Gendarmerie d’Espagne,
principal vecteur de la contre-guérilla dans la majeure partie du tiers septentrional de la
Péninsule. De son côté, D. Rouanet défriche le versant français de son sujet, la captivité de
guerre, notamment à travers les expériences paroxystiques que furent l’Espagne (1808-1814)
et la Russie, en 1812.
D’autre part, chaque partie de l’ouvrage s’ouvre par une focale consacrée aux riches
sources du Service Historique de la Défense sur la période, d’autant plus pertinente que leur
consultation n’est pas toujours aisée pour les historiens, surtout s’ils sont provinciaux. J’ai
trouvé les mises au point de F. Houdecek, M. Roucaud et B. Lagarde concernant la
correspondance impériale ou les registres matricules particulièrement utiles. D’autres
présentations, en revanche, envisagent un domaine plus circonscrit, comme la proclamation
d’Austerlitz (B. Fonck), exemple supplémentaire de réécriture officielle d’une victoire (certes
des plus symboliques pour le régime), ou l’affaire Malet (A. Boulant).
En outre, la dernière section se centre sur les représentations de l’armée impériale dans
le temps long. Au-delà d’aspects traditionnels et relativement bien connus (propagande à
travers les fameux Bulletins, traités militaires, symbolique…), plusieurs contributions
insistent avec raison sur un angle muséographique longtemps négligé (Y.-M. Rocher, E.
Robbe). Enfin, si d’autres traces mémorielles, en particulier archéologiques (camps et
fortifications, champs de batailles, ossuaires et charniers…), ne sont pas abordées ici, c’est
qu’elles ont fait l’objet de travaux antérieurs, comme dans Les ombres de l’Empire, hors-série
n°5 des Cahiers d’études et de recherches du musée de l’Armée (2011).
Surtout, le colloque répond pleinement à son titre en participant aux divers chantiers
en cours de l’historiographie napoléonienne. S’inscrivant dans la lignée des derniers travaux
de N. Petiteau, J. Hantraye s’attache à analyser le rapport à l’espace d’une génération arrachée
à ses « petites patries » dans une expérience sans précédent de conquête/découverte du
continent européen. Dans cette optique, il utilise principalement la riche matière fournie par
les mémorialistes, en l’occurrence français et germaniques. Par ailleurs, plusieurs auteurs
s’engagent dans une relecture politique du régime sous l’angle de l’analyse de différentes
formations militaires ou paramilitaires décidées par l’Empereur. Ainsi, la résurgence de
structures d’Ancien Régime apparaît nettement dans l’organisation empirique de troupes
sociales (avec l’exemple révélateur du régiment de la Tour d’Auvergne détaillé par B. Gainot)
ou dans le recours à un clientélisme nobiliaire. L’expérience éphémère des gendarmes
d’ordonnance fut un demi-échec, qui déjoua le poids des traditions en permettant le ralliement
de certains aristocrates à Napoléon (F. Houdecek) sans pour autant réaliser son idéal de fusion
des deux noblesses. D’autres unités supposent, en revanche, une claire volonté d’innovation :
ainsi des troupes coloniales « blanches » spécifiques que le Consulat puis l’Empire
s’efforcèrent sans grand succès de créer et d’opposer à la thalassocratie anglaise (B. Lesueur).
Il s’agissait de rompre tant avec les milices monarchistes qu’avec l’héritage révolutionnaire
d’armées de couleur, surtout à Haïti. De même, la Gendarmerie, au-delà de ses missions
affichées, devient un instrument de surveillance politique : C. Rougier le démontre pour la
Gironde, département frondeur, bastion de l’insoumission, fortement affecté par le Blocus
britannique puis par les incessantes réquisitions nécessaires à l’entretien des forces impériales
en route pour la Péninsule ibérique, dès l’automne de 1807.
Enfin, trois importantes communications abordent le débat de la qualification des
guerres napoléoniennes, suscité par la thèse de J.-Y. Guiomar et D. A. Bell d’une apparition
précoce de la guerre totale, liée aux bouleversements politiques de la période plutôt qu’à la
Grande Guerre. Précisons que cette thèse n’est pas si récente : on en trouve les premières
formulations dans des essais écrits durant la « sortie » de la Seconde Guerre mondiale,
notamment chez J. U. Nef (La route de la guerre totale, 1949) ou R. Caillois (Bellone ou la
pente de la guerre, 1963). M. Barros nuance le topos de guerre-éclair napoléonienne en se
focalisant sur une dimension méconnue des conflits du Premier Empire, la poliorcétique.
Cette dernière est examinée dans une perspective d’ensemble, nourrie par les travaux
immédiats de vétérans du Génie tels Jones ou Belmas. C’est à la fois l’intérêt et la limite de sa
démarche, d’autant qu’elle se double d’une histoire plus classique des fortifications. Ainsi, s’il
tend à relativiser la spécificité du cas espagnol (notamment en le comparant à la Campagne de
1813 en Allemagne), il ne prend quasiment pas en compte les apports récents de
l’historiographie de la Guerra de la Independencia en la matière, qui lui auraient permis
d’enrichir, sinon d’affiner, son analyse. Pour sa part, H. Drévillon revisite de façon stimulante
l’exégèse militaire napoléonienne de Clausewitz à Foch et Jaurès, pour en éclairer les enjeux
politiques sous-jacents. Il en profite pour critiquer la notion même de guerre totale et
relativiser la rupture survenue entre l’Ancien Régime et le Premier Empire sur le plan
militaire. Les arguments finaux d’A. Forrest ne manquent pourtant pas de poids : la logistique,
la propagande et l’organisation économique impériales constituent bien autant de vecteurs
inédits d’une totalisation de la guerre…
Principal bémol, l’approche anthropologique du combat et des combattants, appelée
par N. Petiteau dans un article programmatique (Revue d’Histoire du XIXe siècle, 30, 2005) et
très présente dans un colloque qu’elle a co-organisé depuis (Les Européens dans les guerres
napoléoniennes, 2012) apparaît ici en retrait. De fait, si quelques auteurs l’abordent par « la
bande », seul M. Roucaud s’en inspire vraiment. Étudiant la mortalité de la Grande Armée
sous différentes facettes (évolution, distribution…), il aborde aussi le problème des blessures
et des névroses, dans le prolongement de la thèse de S. Calvet (Destins de braves. Les
officiers charentais de Napoléon au XIXe siècle, 2010) et d’un des derniers dossiers
thématiques de Napoleonica. La Revue (17, 2013).
Bref, cet ouvrage frappe d’abord par sa cohérence, chose rare s’agissant des actes d’un
colloque. Par sa volonté d’exhaustivité, il constitue à la fois un état des sources et un bilan
historiographique, sans négliger l’ouverture de pistes de recherche. En cela, l’entreprise,
ambitieuse, s’avère globalement réussie.

Jean-Marc Lafon
CRISES, Montpellier III

Vous aimerez peut-être aussi