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Enjeux guerriers et spirituels

de la figure du combattant
à l’époque romane,
essai introductif1
Sébastien FRAY
Maître de conférences en histoire du Moyen Âge, Université de Saint-Étienne,
LEM-CERCOR UMR CNRS 8584

Organiser en 2017 un colloque sur le combattant à l’époque romane


à Issoire, c’était en quelque sorte « trente ans après », pour paraphraser en
le déformant un peu un titre d’Alexandre Dumas, père de combattants
romanesques s’il en fut. En 1987, la SHMESP tenait, en effet, son congrès
annuel, consacré au Combattant au Moyen Âge2. Si ce colloque ne donnait
aucune définition préalable du combattant, la lecture de l’ensemble des
communications montre que c’est bien le sens militaire du terme qui a
été au cœur des préoccupations des intervenants. C’était le résultat d’un
changement d’orientation dans l’étude de la guerre au Moyen Âge, sous
l’influence de la New military history. On le sait3  : l’histoire militaire
s’est construite comme une annexe des états-majors, destinée à recueillir
des expériences susceptibles de nourrir la réflexion théorique et pratique
des officiers, de Clausewitz à Foch ; elle servait à nourrir l’enseignement
prodigué à l’école de guerre. Il existait par ailleurs l’histoire bataille des
historiens, peu attentive aux réalités du combat, insistant surtout sur leurs
conséquences politiques. Cette dichotomie s’efface au cours des années
1970  : la thèse d’État de Philippe Contamine en 1972 réinscrit dans sa
dimension sociale le fait guerrier médiéval en insistant sur sa volonté de
connaître les combattants4, précédant de quelques années une synthèse
magistrale, qui reste encore largement d’actualité5  ; l’année suivante,
Georges Duby étudie la bataille de Bouvines en insistant sur la mise en
perspective du récit, déconstruisant l’événement militaire pour mieux
le reconstruire sous l’angle de la mémoire collective6  ; en 1976, John
Keegan étudie les trois batailles d’Azincourt (1415), Waterloo (1815) et
de la Somme (1916) dans une perspective diachronique, en se plaçant
volontairement d’un point de vue d’en bas (from below), qui insiste sur la
perspective du simple combattant, confronté à la saturation des sensations,
à la confusion des sentiments, aux contraintes matérielles du terrain, aux

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

conditions météorologiques et au maniement des armes7. Il faut y ajouter,


quelques années plus tard, un ouvrage important de Franco Cardini, qui
ouvre le questionnement sur les rapports entre guerre et histoire culturelle8.
Tout ceci conduit à construire une anthropologie historique de la guerre,
qui se retrouve pour partie dans le congrès de la SHMESP en 1987. Cette
évolution est aussi caractéristique d’un retournement historiographique
plus général : on glisse alors de l’étude des structures vers celle des acteurs de
l’histoire. L’écriture de l’histoire de la guerre du point de vue du combattant
s’est imposée dans toutes les périodes, tant en histoire contemporaine9, que
s’agissant de l’Antiquité10. Aujourd’hui, l’histoire militaire est devenue un
sujet d’étude légitime de la part des historiens11, dans toutes ses dimensions,
y compris les rapports entre écriture et fait guerrier12.
La guerre et ceux qui la font se sont ainsi inscrits pleinement dans le
champ des études médiévales. En France, ce fut souvent en relation avec
des questionnements plus amples13 : chevalerie et guerre sainte chez Jean
Flori ; guerre seigneuriale et société féodale chez Dominique Barthélemy ;
guerre et apparition de l’État chez Xavier Hélary, dans le sillage de Philippe
Contamine. Je mets ici à part l’histoire extrêmement ambitieuse du rapport
de la culture occidentale à la violence mise en œuvre par Philippe Buc, dont
la trajectoire personnelle mêle les différentes historiographies française,
américaine et germanique14. Quoiqu’il en soit, le principal foyer de
dynamisme sur le sujet de la guerre demeure anglo-saxon : il est impossible
à cet égard de passer sous silence la carrière de John France15 ; mentionnons
également le Journal of medieval military history, fondé en 2003 sous l’égide
de Bernard S. Bachrach, qui envisage la guerre sous l’angle d’un fait social
total. De même, les travaux initiés par Damien Kempf, Marcus Bull et
Jay Rubenstein ont renouvelé en profondeur l’histoire des croisades avec
le passage d’une étude des res gestae à celle des historiae rerum gestarum16,
prenant en compte la question de la tradition manuscrite17.
En histoire médiévale aussi, le combattant est au cœur d’un certain
nombre de recherches et je resserrerai ici ma focale sur la période qui nous
intéresse, les Xe-début XIIIe siècles inclus. Les études de John Bliese sur les
harangues des chefs de guerre les traitent comme des discours recomposés,
des morceaux de rhétorique mais qui se veulent vraisemblables et donc qui
reflètent ce qui est susceptible de galvaniser les combattants ; parce qu’ils
sont stéréotypés, ils expriment des valeurs communes pour lesquelles les
combattants sont prêts à braver la mort, à surmonter leur peur18. L’approche
des combattants a également nourri d’importantes thèses françaises : celle
d’Abbès Zouache sur l’histoire comparée des armées franques et musulmanes
en Syrie, soutenue en 2005, sur laquelle je reviendrai19 ; celle de Xavier
Storelli, sur la mort et le chevalier dans l’historiographie anglo-normande
(XIe-XIIIe siècles) qui rencontre évidemment la question du combattant,

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

soutenue en 200920 ; celle d’Esther Dehoux sur le culte des saints guerriers
en France aux XIe-XIIIe siècles, soutenue en 201021. Mentionnons encore la
synthèse éclairante livrée par Damien Carraz sur les templiers et la guerre22,
ainsi que les recherches en cours d’Elizabeth Lapina sur la représentation
iconographique des croisés23. Tous ces travaux soulignent la fécondité du
thème d’étude du combattant pour l’appréhension des sociétés du Moyen
Âge central (Xe-début XIIIe siècles).

1. Le combattant, de l’objet d’étude contemporain


à celui des médiévistes
Pourquoi cet intérêt pour le combattant ? En relisant le colloque de
1987, on est frappé par le fait qu’il ne fait état d’aucun besoin de définir le
combattant. Il s’est tenu dans le monde de la guerre froide, certes finissante,
celui des guerres entre États avec une définition claire, évidente pour tous,
des combattants. Nous ne sommes plus si naïfs. L’historiographie des
trente dernières années, appliquée aux guerres du XXe siècle, nous a appris
que les choses n’étaient pas si simples et que ces conflits se caractérisaient
au contraire par un effacement des limites entre front et arrière, entre
combattants et non combattants, mobilisés par la guerre et cibles des actions
militaires (bombardements par exemple). Depuis 1991, la multiplication
des guerres asymétriques, qui opposent non deux États mais un État et
des groupes armés, dont relève le terrorisme islamiste actuel, a rendu la
notion de combattant plus floue encore. Nous vivons aujourd’hui la remise
en question du monopole de l’exercice légitime de la violence par l’État,
qui caractérisait aux yeux de Max Weber l’État moderne24. Nous mettant
à l’écoute des leçons de Lucien Febvre25, il faut mesurer la manière dont
le contexte dans lequel nous vivons et travaillons pèse sur nos opérations
intellectuelles, suscite de nouveaux questionnements : non pour recourir au
passé comme réservoir d’arguments de propagande, ni pour y importer des
notions anachroniques, notre métier consiste justement à souligner ce qui
fait distance entre le passé et nous, combien il nous est étrange, voire même
étranger. Si l’on en parle, ce n’est donc pas pour ouvrir le champ à des
comparaisons qui seraient déraisonnables, à des rapprochements hasardeux
et polémiques, mais, au contraire, pour mettre à distance nos inquiétudes et
nos préjugés. En clarifiant ce que notre questionnement doit à aujourd’hui,
il s’agit en somme avec Paul Ricoeur de mieux distinguer entre la subjectivité
positive (celle qui motive l’étude) et la subjectivité négative des passions
tristes (la colère, le chagrin, le ressentiment et la haine), dont l’historien doit
faire l’effort de s’abstraire26. Il ne s’agit pas de nier que notre thème entre en
résonnance avec des questionnements politiques très actuels, mais de tenir à
distance l’actualité, le temps de pouvoir exposer et enrichir avec sérénité les
connaissances historiques, ce qui est la raison d’être des colloques d’Issoire.

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

À partir des travaux antérieurs, on peut tenter une esquisse du combattant


aux Xe-début XIIIe siècles. La chose n’est pas simple. Grammaticalement,
« combattant » constitue un cas de participe présent substantivé. En ancien
français, on rencontre le mot dès la chanson de Roland, vers 1100 : « de
ceux de France, vingt mille combattants » (« De cels de France XX milie
cumbatanz »)27. Le mot est issu du latin combattuere, attesté au VIe siècle,
signifiant lutter contre28. Le combattant est celui qui prend part au combat,
collectif ou individuel. Concrètement, quatre configurations peuvent se
rencontrer s’agissant de l’époque qui nous intéresse. La première est celle
du combat individuel, ou duel, qui peut s’inscrire dans des contextes très
divers : dans l’imaginaire des romans de chevalerie, dans les représentations
inspirées de la Bible (c’est le cas pour David et Goliath, sur la couverture, ou
du combat de Samson et du lion, étudié ici même par Raphaël Guesuraga),
dans le cadre judiciaire aussi29. Le deuxième cas de figure est celui de la
chevauchée, qui correspond à la guerre (la werra ou bellum) des sources,
à ne pas confondre avec la nôtre, qui englobe la bataille, alors que les
médiévaux distinguent entre guerre et bataille : la chevauchée se pratique
aux beaux jours, elle consiste en une expédition de pillage et de dévastation
des ressources ennemies, elle tient du raid et de l’escarmouche. La bataille,
quant à elle, est rare (Guillaume le Conquérant n’en livre que deux au cours
de sa vie) : elle concentre l’affrontement en un temps bref (journée) et un
espace restreint, avec une mise en scène liturgique (on communie avant30).
Elle relève du jugement de Dieu, il s’agit d’un coup de dé qui dénoue les
situations et bouleverse les équilibres31 : on connaît bien le cas de Bouvines,
en 1214, qui consacre l’hégémonie de Philippe Auguste en Europe32. Le
tournoi, qui permet de s’illustrer, s’y apparente. Dernière configuration
possible, le siège de ville, de forteresse majeure ou de château de second
ordre, met en jeu la gestion du temps (il faut choisir d’affamer ou de donner
l’assaut) et un savoir-faire technique, la poliorcétique.
Néanmoins, dans la société médiévale, le combat physique ne se
distingue pas toujours clairement du combat spirituel. On sait que dans
la société des Xe-XIIe siècles, les moines prétendent combattre le diable
par la prière. Se revendiquant comme les véritables milites, les moines sont
littéralement fascinés par le langage et la culture guerrière, réinterprétés en
termes spirituels, comme l’a bien vu Kathleen Allen Smith33. En matière
monumentale, la période étudiée ici est aussi celle de la mise en scène
dans la sculpture romane de la supériorité du combat spirituel à travers les
représentations très guerrières d’affrontements entre vices et vertus, héritées
de la psychomachie de Prudence, transmise par les manuscrits carolingiens34.
Pour les hommes de ce temps, le combat n’est donc pas forcément physique.
Il y a là une ambiguïté dont les médiévaux ont conscience et dont ils jouent :
chez Grégoire VII lui-même, l’expression « service militaire du Christ »

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

s’entend parfois dans un sens spirituel, parfois au sens guerrier littéral,


d’autres fois encore en jouant sur un flou volontaire35. On comprend dès
lors que la représentation de guerriers mythiques puisse relever d’enjeux
prioritairement spirituels, comme le souligne Mathieu Beaud dans le présent
volume, à propos de Roland et d’Olivier. S’agissant de cet entremêlement,
le cas de la première croisade est éclairant comme peut l’être un cas-
limite : les croisés partent pour obtenir la rémission de leurs péchés, dans
le cadre d’un pèlerinage en armes qui s’inscrit aussi dans une perspective
eschatologique forte les poussant à prendre part à la bataille entre le Christ
et l’Antéchrist. Le récit de Raimond d’Aguilers sur la prise de Jérusalem en
1099 est particulièrement révélateur : le chroniqueur méridional rapporte
que de nombreux Francs ont dit avoir vu Adémar de Monteil, mort l’année
précédente à Antioche, avoir été le premier à escalader les remparts de
Jérusalem, encourageant tous à le suivre36. Un mort (pourtant non saint,
puisque le même chroniqueur raconte comment Adémar a subi des peines
purgatoires) se trouve à la tête des combattants du Christ, cas peu fréquent,
lié à la dimension eschatologique très forte du récit.
Le rapport métaphorique entre combat physique et combat spirituel
s’inscrit dans une longue trajectoire de spiritualisation de la guerre, dont
Philippe Buc a rendu compte37. La métaphore des armes spirituelles contre
le Diable apparaît dès l’épître de Paul aux Ephésiens (6, 11-17). Au fil
des siècles et des commentaires, on glisse peu à peu du combat contre les
croyances déviantes à la lutte contre ceux qui y croient, d’abord par la prière
(les armes restent des métaphores spirituelles). Mais vers 1120, Baudri de
Bourgueil prête à Urbain II d’avoir prononcé un sermon énonçant que les
ennemis au service des démons doivent être combattus par des armes bien
réelles38. Une vingtaine d’années plus tard, Bernard de Clairvaux rédige
son De laude novae militiae pour convaincre l’aristocratie de renoncer à
la chevalerie du siècle et de rejoindre celle du Christ au sein du Temple,
en vue de combattre contre les Sarrasins : il reprend lui aussi l’épître de
Paul mais c’est pour mettre sur le même plan la lutte spirituelle contre les
démons et celle livrée de manière physique contre des êtres de chair et de
sang ; tuer un ennemi des croisés, assimilé à un ennemi du Christ, ne serait
pas un homicide mais un malicide, si l’on ne peut trouver un autre moyen
de l’empêcher de nuire39. Voilà qui nous ramène au fait guerrier, dont on
aura compris combien il mêle enjeux religieux et proprement militaires en
ce qui concerne l’époque étudiée.

2. Guerres et combattants à l’époque romane


Les historiens ont fait remarquer combien il est difficile de définir avec
précision ce qu’est la guerre au Moyen Âge, du moins par rapport à la

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

guerre moderne entre États. C’est qu’un chef de bande et un roi peuvent
faire la guerre de la même manière et à la même échelle. Dans les faits,
il est impossible de distinguer entre des guerres publiques qui seraient
conduites par des gouvernants et d’autres qui seraient privées parce que
mettant en jeu de simples individus. D’ailleurs, c’est seulement dans les
théories des derniers siècles du Moyen Âge que cette distinction apparaît
véritablement et il faut se garder de les rétrojeter dès que l’on voit apparaître
au cours de notre période les expressions « guerre publique » ou « guerre
privée » : elles sont très souvent employées dans un but polémique, servant
à légitimer ou au contraire à disqualifier tel ou tel conflit. Par conséquent,
étudier la guerre aux Xe-début XIIIe siècles pourrait très facilement revenir
à étudier la violence, mais l’on y perdrait de diluer le sujet au point de le
rendre inopérant. Or, on l’a vu, on ne peut se fier sans distance critique au
vocabulaire des sources, dans lesquelles la « guerre » désigne souvent la seule
chevauchée, au détriment de la bataille et du siège. Puisqu’il s’agit de tracer
des limites à nos investigations, on s’inspirera ici de la définition proposée
par Helen Nicholson, qui a le mérite d’allier simplicité et efficacité : la
guerre implique un ou plusieurs affrontements armés entre deux groupes
de personnes40.
À une exception près, particulièrement heureuse, celle des Petchenègues
de Damien Glad, l’essentiel des communications publiées ici se concentre
sur l’Occident des Xe-début XIIIe siècles inclus. Ce n’est pas là l’effet d’une
volonté des organisateurs du colloque mais un reflet des propositions reçues,
dont fort peu portaient sur les combattants extra européens, ce que l’on ne
peut que regretter. Les travaux d’Abbès Zouache soulignent pourtant tout
l’intérêt d’une histoire croisée des combattants francs et musulmans pour
mieux comprendre la conflictualité qui les oppose au cours du XIIe siècle41 :
ils montrent combien la question du djihad en réponse à la croisade est
complexe et fluctuante, relevant de stratégies de ralliement des populations
aux dirigeants, y compris et autant à des fins internes ; ils mettent fin au
mythe des armées musulmanes très nombreuses et composées de cavaliers
légers à l’arrivée des croisés (elles sont de faible nombre avec domination
de cavaliers lourds)  ; ils insistent enfin sur les évolutions tactiques que
les affrontements générèrent dans les deux camps (progrès francs dans la
poliorcétique, c’est-à-dire la guerre de siège, renforcement de la cohésion
franque avec un début d’intégration des piétons aux tactiques de cavalerie
lourde, renforcement de la mobilité musulmane pour échapper aux charges
franques…).
Puisque nous en resterons pour l’essentiel à l’Occident, le moins que
l’on puisse dire est que cette région du monde est marquée par la violence
guerrière durant les Xe-début XIIIe siècles inclus. L’essentiel relève plutôt
d’affaires de niveau local. C’est la guerre féodale de voisinage de Dominique

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

Barthélemy42, chez qui on rencontre de belles pages qui la décrivent bien,


rédigées à partir de l’analyse des textes de Flodoard et de Richer de Reims :
il s’agit de petites expéditions militaires qui consistent à aller ravager
les terres de l’adversaire afin d’établir un nouveau rapport de force plus
favorable, en vue de l’inévitable négociation débouchant sur un compromis,
qui, lui-même, ne durera qu’un temps. La pratique guerrière est faite de
chevauchées, de coups de main, de sièges de châteaux périphériques43 ; les
protagonistes ne cherchent pas la bataille décisive, la guerre est opposée
à la bataille, comme l’indiquait déjà Georges Duby44. On constate les
mêmes phénomènes plus au sud, par exemple dans le Massif Central des
Xe et XIe siècles45, ou plus à l’ouest : c’est cette petite guerre entre seigneurs
qu’évoquent les graffitis remarquables de l’église de Moings (Charente-
Maritime), datés de la première moitié du XIIe siècle46. Quoique dûment
désignés comme guerres par les contemporains, ces affrontements ont
rarement pour objectif de détruire celui qui est moins un ennemi qu’un
adversaire. En effet, la société féodale est « visqueuse47 » : les combattants
opposés sont liés entre eux par de multiples liens sociaux, sans compter ceux
de leurs vassaux et fidèles, qui les conduisent à se ménager ; tout mouvement
dans un sens fait l’objet de contre-poussées, les coalitions se délitant et les
seigneurs et vassaux qui ont des liens avec les deux adversaires choisissant
de maintenir un certain équilibre, ce qui empêche tout triomphe véritable.
Cette omniprésence de la petite guerre du dedans doit être rapprochée
d’un changement important dans l’idéel, c’est-à-dire dans la façon de
concevoir l’articulation de la société48. Jean-Pierre Devroey a rappelé
l’apparition au VIIIe siècle d’une division binaire des dirigeants de la société
chrétienne occidentale entre orants et guerriers, pour reprendre les termes
employés dans une lettre du pape Zacharie vers 74749. Cette bipartition
de l’ancienne élite nourrira les développements très carolingiens sur les
deux milices, celle des clercs et celle des guerriers, qui ont conduit Janet
Nelson et Karl Leyser à parler d’une première chevalerie50, d’autant que
ce schéma dual reste assez fréquemment employé jusqu’au XIe siècle. Il
faut y voir une promotion du fait guerrier comme composante majeure de
l’identité du dirigeant politique. Vers 860, Haymon d’Auxerre va, quant à
lui, christianiser le vieux schéma trifonctionnel en divisant la société entre
clercs, guerriers et paysans51. Cette façon de penser la société se diffuse
parmi les «  clercs idéologues  » au cours des Xe et XIe siècles, avant de
connaître la fortune que l’on sait52. Jean-Pierre Devroey y voit l’émergence
des gouvernés, jusqu’ici largement impensés et cette perspective est tout à
fait juste53. Mais cette émergence de la question des gouvernés se fait sous
l’angle de la protection qui doit leur être accordée : elle relève donc aussi
d’un mouvement de confiscation de la fonction guerrière au profit des élites
aristocratiques, chargées de protéger les paysans. Dès le premier tiers du

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

Xe siècle, dans un chapitre un peu trop célèbre de la Vita Geraldi, Odon


de Cluny (dont la pensée n’est pourtant pas trifonctionnelle54) justifie la
sainteté de Géraud, en dépit de son appartenance à l’élite guerrière, par le fait
qu’en tant qu’« homme laïc placé dans l’ordre des guerriers » (« laico homini
in ordine pugnatorum positum »), il avait la mission de porter le glaive afin de
défendre « le peuple désarmé » (« inerme vulgus »), assimilé à du bétail qu’on
doit protéger des loups55. Mais chez Odon, le recours aux armes doit être
essentiellement dissuasif et il s’oppose en réalité nettement à une idéologie
de la vengeance guerrière, répandue dans l’aristocratie, qu’il a rapportée au
chapitre précédent et qui justifie le fait de guerroyer par la nécessité de se
défendre et de protéger les paysans56. Odon n’invente donc pas le fait de
réserver la fonction guerrière à l’élite, ni celui de justifier la domination
de cette dernière par la protection accordée, il essaye de réinterpréter ces
thématiques dans un sens qui lui paraît plus convenable. Un siècle plus
tard, dans un autre texte bien connu des médiévistes, le vieil évêque de
Laon Adalbéron définit le rôle de la noblesse par le fait de guerroyer pour
protéger les autres, ce qui – on vient de le voir – n’a rien d’original ; ce
qui est nouveau, c’est que le prélat glisse du constat que les paysans sont
protégés à celui de les considérer comme des serfs, guerriers et paysans étant
gouvernés par deux lois distinctes57. Justement, une des marques de la liberté
au haut Moyen Âge était en théorie le fait de servir à l’armée et donc de
porter les armes58 : dans ces conditions, on comprend bien comment l’idée
que les paysans ne devaient plus avoir recours aux armes (puisqu’il faut les
défendre) a pu conduire naturellement à les considérer comme non libres
et à réserver aux seuls nobles, en tant que combattants, la véritable liberté.
On discerne ainsi, au cours des Xe et XIe siècles, la diffusion d’une idéologie
du monopole de la violence légitime au bénéfice de l’aristocratie, qui justifie
aux yeux des contemporains la seigneurie qu’elle exerce sur les hommes.
Le phénomène relève de l’ordre de l’idéel mais il a certainement joué un
rôle majeur dans la trajectoire de l’Occident en termes de conception du
pouvoir. Il faut en effet le rapprocher de ce que l’on a dit plus haut de la
guerre féodale, ce qui permet de comprendre le rôle que cette dernière
joue tant dans la reproduction que dans l’enchantement de la domination
sociale, pour s’inspirer du vocabulaire de Pierre Bourdieu : la guerre féodale
(qui revient chaque année) rend nécessaire la protection que seigneurs et
chevaliers imposent aux paysans, qu’ils leur font payer, tout en justifiant,
tant à leurs propres yeux qu’au regard de ceux qu’ils dominent, l’exercice
de leur domination par le fait qu’ils les défendent contre les autres seigneurs
avec qui ils guerroient59, l’ironie étant que les petites guerres en question
s’inscrivent dans le cadre de l’interaction féodale entre dominants60.
Née de l’éclatement politique de l’empire carolingien, liée à la
recomposition des pouvoirs depuis la fin du IXe siècle, la guerre féodale a

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

été l’objet d’essais de régulation (et non d’interdiction). C’est l’objet des
conciles que l’historiographie a regroupés sous le qualificatif impropre de
« paix de Dieu » et qu’il vaut mieux désigner, avec Dominique Barthélemy,
par le terme de « paix diocésaine ». Ils sont réunis, à partir de la fin du
Xe siècle, par des évêques (parfois des princes aussi) en Aquitaine d’abord,
avant diffusion à d’autres régions : on y réaffirme la nécessité de défendre
les biens ecclésiastiques contre les pillards, de protéger les désarmés (le
corps du paysan, puis ses biens, en particulier sa maison), on y rappelle
que les clercs ne doivent pas porter les armes. La chose relève également
d’un programme de réforme morale, en particulier du clergé, tout en étant
dotée d’une dimension eschatologique marquée : « sans la paix personne
ne verra le Seigneur » (« sine pace nemo videbit Dominum ») affirme-t-on
à Saint-Paulien, vers 99461. Mais surtout, après avoir fait jurer la paix, on
y organise des ligues diocésaines (ou communes) susceptibles de faire la
guerre aux récalcitrants, sous la conduite du pasteur diocésain62. La paix
ne doit pas être considérée ici comme un état mais comme un processus
de pacification, au besoin par les armes. Partie de Catalogne, à partir de
1027, la Trêve de Dieu vise, elle, à multiplier les jours pendant lesquels
la guerre est interdite : généralisée par Urbain II au concile de Clermont
en 1095, elle ne laisse à son paroxysme pas plus de 80 jours dans l’année
au cours desquels guerroyer. Dans l’empire aussi, on a cherché à entraver
la guerre vicinale : d’abord par les multiples « accords de paix » conclus
sous l’égide des rois de Germanie Conrad II (1024-1039) et Henri III
(1039-1056), puis la proclamation d’une paix impériale par Henri IV, à
Mayence, en 1103, qui ouvrit la voie aux paix royales de ses successeurs,
manifestant la force de la royauté germanique aux XIIe et XIIIe siècles63 ;
Frédéric Barberousse proclame la paix en Italie en 115864. Si les Capétiens
se sont longtemps tenus éloignés de la paix, Louis VI et surtout Louis VII
s’emparent de cette thématique : le second décrète en 1155, à Soissons, la
première paix générale du royaume, valable pour dix ans65. Dans le Midi,
les paix diocésaines demeurent vigoureuses jusqu’à la fin du XIIe siècle,
avant d’être relayées par celles des princes  : Richard Cœur de Lion en
Aquitaine dès la fin du fin XIIe siècle, le comte de Provence au début du
siècle suivant66. Quant à l’interdiction des guerres privées par Louis IX au
milieu du XIIIe siècle67, elle doit être interprétée comme une volonté de
confisquer au profit du pouvoir royal le monopole de la violence légitime,
qui était jusqu’alors partagé par l’ensemble des seigneurs, ce qui constitue
sans doute un des jalons d’émergence de l’État moderne.
Cette petite guerre interne n’épuise cependant pas le sujet et il ne faut
pas hésiter à changer d’échelle. Au début de la période, l’Europe est en proie
à la dernière vague d’invasions, chère à Lucien Musset68 : les Normands, qui
se sédentarisent et s’intègrent au monde franc en 911, la piraterie sarrasine

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

en Méditerranée, qui menace tant la Provence que l’Italie, sans oublier


le Languedoc69, les Hongrois, qui ravagent l’Occident en y laissant un
souvenir de terreur durable70, avant d’être défaits par Otton Ier, en 955, au
Lechfeld. Les grandes entreprises militaires ne sont pas tout à fait absentes :
expeditio italica (romana à partir de 1135) de chacun des rois de Germanie
pour se faire couronner empereur à Rome71, conquête de l’Angleterre par
Guillaume le Conquérant en 106672, campagnes générées par la querelle des
Investitures entre le Pape et l’empereur dans la seconde moitié du XIe siècle,
laquelle rebondit au siècle suivant73, grande guerre méridionale entre comtes
de Toulouse et comtes de Barcelone à partir de 111274, affrontement des
Plantagenêt et des Capétiens à partir du milieu du XIIe siècle75. Le plus
frappant demeure toutefois le début de la dilatation de l’Europe, pour
parler comme Robert Fossier76  : christianisation des Hongrois et des
Polonais à partir du début du XIe siècle, poussée pluriséculaire du royaume
de Germanie au détriment des Slaves à l’est, christianisation et intégration
progressive à l’Occident du monde scandinave, début de la Reconquista
(qui, en réalité, est plutôt une conquête, à en croire les spécialistes) en
Espagne au milieu du XIe siècle, entreprises normandes en Méditerranée
(Italie du Sud, Sicile, voire Afrique du Nord), croisades et création des
États latins d’Orient en Terre Sainte. Le fait est trop connu pour qu’on
s’y attarde : la Chrétienté occidentale passe d’une position défensive à une
expansion dans laquelle le fait guerrier joue un rôle non négligeable, même
s’il n’est pas exclusif. Les causes de ce retournement sont multiples et si
complexes qu’on ne saurait en débattre ici, d’autant que le sujet nourrit les
discussions entre historiens depuis très longtemps.
Un aspect très présent dans l’historiographie, sur lequel Jean Flori a
insisté en prolongeant les travaux de Carl Erdmann77, est la sacralisation
de la guerre78. À l’origine, le christianisme se caractérisait par le refus de la
violence, même défensive, a fortiori de la guerre : « si quelqu’un te frappe
sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre » (Matthieu 5, 39). Une telle
attitude se retrouve encore dans la vie de saint Martin, composée par Sulpice
Sévère à l’extrême fin du IVe siècle : le saint refuse de combattre parce qu’il
est chrétien. Au début du Ve siècle, Augustin a conduit à une première
évolution en précisant que la guerre est juste quand elle est défensive et
conduite sans excès par une autorité légitime. La légitimation de la guerre
s’accentue à l’époque carolingienne (les victoires étant très souvent évoquées
comme des signes de l’intervention providentielle de Dieu en faveur des
Francs), voire donne lieu à une véritable sacralisation quand il est question
de la défense de Rome et de Saint-Pierre face aux Sarrasins. Très progressive,
la construction de la notion de guerre sainte aurait donc eu lieu avant même
la première croisade, même si cette dernière pousse encore plus loin cette
logique. La sacralisation de la guerre est d’ailleurs poussée à son terme avec

14
ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

la mise en place des ordres militaires au long du XIIe siècle, en Terre Sainte
d’abord, puis en Espagne et en Germanie79. Premiers à arborer un double
ethos chevaleresque et monastique, mis en cause sur ce point, les Templiers
furent saisis de doutes sur la possibilité de faire leur salut de la sorte, d’où
le fait de s’en remettre aux avis d’Hugues de Saint-Victor et de Bernard de
Clairvaux pour être rassurés80. Des critiques très dures à l’égard des ordres
militaires ont toutefois perduré chez Isaac de l’Étoile, Guillaume de Tyr ou
Gautier Map81. L’idée de religieux combattant ne faisait pas l’unanimité
dans la société médiévale.
Il ne faut pas survaloriser l’effet des innovations techniques sur les
évolutions historiques82. Pour autant, il est impossible de ne pas dire un
mot de la révolution technique qui affecta le maniement de la lance durant
la période dont il est question ici. Les usages anciens consistaient à se servir
de la lance comme d’un javelot ou comme d’une arme d’estoc, servant
à percer l’ennemi ; encore documentées dans la broderie de Bayeux, ces
façons de faire mettaient en jeu des lances légères83. L’intérêt du cheval tient
alors surtout à ses qualités de rapidité (qui permet la fuite ou la surprise)
et de vivacité (pour manœuvrer au mieux au corps à corps), ce dont sont
parfaitement conscients certains hagiographes au XIe siècle84. La grande
nouveauté, qui apparaît également sur la broderie de Bayeux, consiste dans
l’usage couché sous le bras de la lance, lors d’une charge, qui donne une
force de percussion beaucoup plus importante. Elle nécessite des lances plus
lourdes, une meilleure assise aussi du cavalier, les progrès dans le ferrage
et le harnachement des montures venant alors s’ajouter aux étriers, déjà
connus au haut Moyen Âge85. Toutefois, les chevaux sont encore petits et il
n’y a pas de puissance de choc collective à Hastings, où il a fallu ouvrir les
rangs des housecarls saxons à coup de flèches et, surtout, en feignant une
retraite qui a permis de disloquer leur mur de boucliers86. Mais on connaît
ensuite une évolution rapide vers des montures plus puissantes et la mise en
œuvre de charges collectives de cavalerie lourde, fondées sur la cohésion des
unités (échelles) engagées : dès la seconde moitié du XIIe siècle, la chose est
bien documentée concernant les Templiers, qui ont certainement poussé
le système à son paroxysme87. Dans le même temps, comme le rappelle
ici même Yoann Solirenne, l’armement défensif des chevaliers connaît
également des progrès importants, tant en ce qui concerne l’armure, que le
casque et la protection des montures. Le maniement de l’écu change aussi,
comme le révèle Gilles Martinez. On comprend dès lors que, jusqu’à la
fin du XIIe siècle, le chevalier (miles) soit considéré comme le combattant
par excellence chez les chroniqueurs88. Cette prédominance reflète les
conceptions de l’élite elle-même : rappelons à cet égard le jugement de
Frédéric II au XIIIe siècle, affirmant que « la parure de l’empire et notre
puissance résident spécialement dans la multitude des chevaliers »89. Mais le

15
LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

combat ne se fait pas toujours à cheval. On a mentionné plus haut le mur de


boucliers anglais à Hastings ; on en sait peu sur ces murs de boucliers, peut-
être pas spécifiquement anglais : un chapiteau de Brioude, du XIIe siècle,
assez énigmatique (peut-être évoque-t-il une bataille biblique), représente
des chevaliers à pied, en armures, qui se couvrent les uns les autres de leur
écu, en ordre serré90. L’usage tactique de chevaliers démontés est d’ailleurs
assez connu en Germanie et en Angleterre91. Chez les Gallois étudiés par
Élodie Papin, on trouve aussi des chevaliers qui n’ont pas honte de recourir
aux armes traditionnelles que sont pour eux arcs et flèches.
En outre, les chevaliers ne se réduisent pas à être des guerriers. La période
étudiée est aussi celle d’un développement d’une culture chevaleresque, qui,
si elle n’est jamais très loin du maniement des armes, ne s’y réduit pas.
Hérité de la remise d’armes altimédiévale, l’adoubement signale d’abord que
le jeune qui en bénéficie est apte « à régir la seigneurie ancestrale »92 : loin
de s’opposer à elle, la vie chevaleresque illustre le versant viril de la noblesse,
dont elle constitue une déclinaison performative (en simplifiant : on naît
noble, on agit en chevalier). Nés des pratiques de la guerre féodale, les
tournois relèvent d’une sociabilité chevaleresque, dans laquelle on cherche
à s’illustrer autant qu’à s’enrichir (par la rançon des adversaires vaincus)93.
Leur condamnation par l’Église n’empêche nullement le développement
de la fête chevaleresque, occasion de rechercher la gloire et la prouesse,
notion chère à Richard Kaeuper94. Le maintien des tournois souligne
d’ailleurs l’autonomie intellectuelle et idéologique de l’aristocratie vis-à-vis
des discours émanant des clercs, que trop d’historiens ont encore tendance
à ignorer. De fait, le milieu chevaleresque se caractérise aussi par ses propres
usages, dont témoigne assez bien la littérature95, en particulier les chansons
de geste : assises sur un imaginaire fondé sur l’honneur et sur la faide96,
elles insistent sur la valeur du courage, dont on a pu situer la naissance
au XIIe siècle97. Encore faut-il aussi prendre en compte ce que révèlent les
pratiques, c’est-à-dire une culture du ménagement entre combattants : on
se capture, on se rançonne plutôt qu’on ne se tue. Il faut d’ailleurs renoncer
à opposer trop rapidement culture chevaleresque et littératie (ou rapport à
l’écrit) : nombre de troubadours, trouvères et autres Minnesänger sont aussi
des chevaliers, chantant tant leurs amours que la joie de la guerre (le cas
de Bertrand de Born n’est que le plus célèbre)98 ; quant au rôle des croisés
laïcs dans la composition des récits de la première croisade, il doit être
revalorisé99.
Articulée à la noblesse, la chevalerie n’épuise nullement l’ensemble des
combattants aux Xe-début XIIIe siècles. Des clercs, abbés et évêques, sont
présents lors de certaines actions militaires. Le cas est bien connu s’agissant
de l’empire, lié à la fidélité qui lie les prélats à l’empereur100  ; non que
tout ait été dit, comme le montre ici même l’étude de Rolf Große sur

16
ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

le service militaire des archevêques de Cologne. De surcroît, des travaux


récents ont renouvelé la question en portant le regard sur le cas anglais
durant le Moyen Âge central : on y découvre l’existence d’un rapport souple
à la norme, de débats intenses sur ces questions entre les clercs eux-mêmes,
les nombreux cas de prélats anglo-normands ayant guerroyé étant parfois
considérés comme légitimes par leurs contemporains, quand le combat a
été conduit au nom d’une cause supérieure et non pour rechercher la gloire
ou défendre des intérêts personnels101. D’autres recherches insistent sur
la dimension européenne du phénomène102, ainsi que sur sa profondeur
chronologique103. En ce qui concerne la France, il devient urgent d’ouvrir
ce chantier, en y incluant moines et chanoines, ce que l’auteur de ces lignes
a entrepris : si Rémy Roques décrit ici même l’implication des évêques de
Clermont dans les guerres seigneuriales, on a pu montrer ailleurs que des
abbés et prieurs bénédictins ont conduit des opérations guerrières au cours
des Xe-XIIIe siècles104 ; quant aux chanoines, on connaît le cas de ceux de
Brioude, à qui la guerre (et ses pratiques : incendie, pillage) était tellement
usuelle qu’on leur fait jurer de ne pas guerroyer à l’intérieur des domaines
de Saint-Julien105. On comprend dès lors mieux la réitération régulière
dans les conciles de l’interdiction pour les clercs de porter les armes. Mais
ces faits interrogent aussi sur les représentations martiales présentes dans
les églises, souvent à travers le thème du combat des vices et des vertus :
en particulier quand elles sont situées dans le chevet, ne serait-ce pas un
moyen de rappeler fermement aux moines ou aux chanoines (selon les cas)
que leur combat à eux doit être spirituel plutôt que militaire ? Enfin, ils
pourraient également conduire à nuancer la nouveauté représentée par les
ordres militaires : plus que dans le fait de voir des religieux guerroyer, ne
tient-elle pas surtout au fait que leur pratique combattante est reconnue
comme légitime par l’institution ecclésiale ?
Plus étrange encore sans doute à nos yeux, pour les hommes de ce
temps, un saint mort depuis longtemps peut littéralement prendre part
aux combats. Le cas est rapporté par plusieurs récits en ce qui concerne la
bataille d’Antioche en 1098106. Il y a certes là un lien avec la forte dimension
eschatologique que revêt la première croisade, mais pas seulement : un texte
gascon de la fin du Xe siècle, interpolé un peu plus tard, rapportant la victoire
du duc Guillaume Sanche à Taler sur des Normands, raconte l’irruption de
saint Sever sur un cheval blanc et en armure brillante, lequel saint massacre
à tour de bras les ennemis ; déjà dans le poème d’Abbon sur le siège de Paris
par les Normands (fin IXe siècle), saint Germain apparaissait pour tuer et
chasser les envahisseurs107. C’est sans doute un phénomène lié plutôt aux
guerres externes, celles livrées aux non chrétiens. La nouveauté dans le cas de
la première croisade n’est donc pas dans le motif, elle est dans son ampleur :
trois saints conduisant une véritable armée céleste. Il demeure difficile pour

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

nous d’appréhender ce genre de fait, parce qu’il défie non seulement notre
conception de la sainteté, mais aussi parce qu’il bouleverse nos catégories
rationnelles : s’il relève à nos yeux de l’imaginaire, il n’en a pas moins des
effets très réels pour ceux qui y croient. En nous mettant à l’école de Quentin
Skinner108, il ne faut d’ailleurs pas y voir une preuve d’irrationalité mais
plutôt l’expression d’un autre mode de rationalité que le nôtre.
De ce qui précède, on a sans doute déjà conclu que la réalité guerrière
du Moyen Âge central s’avère autrement plus complexe que ce qu’énoncent
les schémas idéologiques, comme celui des trois ordres, que les historiens
trouvent dans certaines sources et qu’il faut éviter de réifier109. Faut-il
aller jusqu’à penser que des femmes aient pu participer à des opérations
guerrières, nuançant l’image du Moyen Âge, moins « mâle » que Georges
Duby n’avait coutume de le dire110  ? Beaucoup d’historiens sont assez
sceptiques sur la question111, mais le débat reste ouvert112. On est bien plus
assuré de la présence de nombreux piétons lors des opérations militaires, et
pas seulement pour protéger les flancs, y compris des Templiers113. Ils sont
souvent fournis par les levées seigneuriales et les milices urbaines, présentes
un peu partout en Europe114. Le recours à des spécialistes va croissant au fil
du temps : archers et arbalétriers115, mais aussi personnel technique servant
les machines de siège et/ou spécialisé dans la poliorcétique116. En outre, tous
les combattants à cheval n’étaient pas chevaliers : à partir du XIIe siècle,
on se met justement à distinguer les simples sergents montés des véritables
chevaliers117. Ces derniers sont accompagnés de valets et autres serviteurs
qui participent aux combats118. Mais on rencontre aussi des mercenaires,
véritables professionnels de la guerre, désignés par les sources sous les termes
de routiers, cottereaux, Brabançons et autres, chers à Steven Isaac119. Mal
vus, ils sont parfois massacrés par des ligues d’habitants révoltés par leurs
exactions, comme celle des Encapuchonnés du Puy120.
Ce dernier point nous entraîne vers le rapport du combattant à l’argent. La
guerre féodale relevait de la mobilisation des parents, des amis et des fidèles,
dont font partie les vassaux. Si les entreprises plus importantes pouvaient
également mettre en jeu l’activation de ces mêmes liens, elles faisaient aussi
appel aux volontaires, motivations idéologiques et espoir de butin faisant
bon ménage121. Mais on constate l’essor d’un mouvement de limitation des
obligations que doivent les vassaux, souvent comptées en jours (40 est un
chiffre fréquent mais ce n’est pas le seul) avec ensuite l’obligation de solder
les combattants. À partir du milieu du XIIe siècle, le rôle de l’argent dans
la guerre ne cesse de croître, qu’il s’agisse de payer les soldes, de rétribuer
les mercenaires ou de s’acquitter du prix des équipements, des chevaux,
des rançons122. Un combattant d’exception comme Guillaume le Maréchal
peut acquérir à la fois honneur, gloire et fortune en tournoyant, chacun des
adversaires vaincus étant mis à rançon, au tournoi comme à la guerre123.

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

Ce poids grandissant de l’économie monétaire dans la vie des combattants


est naturellement à mettre en relation avec la croissance économique que
connaît alors l’Occident.

3. Vers une histoire du vécu des combattants


au Moyen Âge central ?
L’historiographie actuelle de la guerre invite à tenter de retracer le vécu
des combattants124, ce qui n’est guère facile pour les médiévistes ; on peut
toutefois s’y essayer en ce qui concerne la bataille (les spécialistes de la
période se sont moins intéressés aux expériences que constituent pour les
combattants chevauchée et siège, ce qui rend l’étude de Valérie Serdon
d’autant plus précieuse).
Les harangues précédant les batailles ont pour fonction de motiver les
guerriers : à la bataille de l’Étendard en 1138 entre Anglo-Normands et
Écossais, il semble que les chefs aient insisté sur les notions de guerre juste,
légitimée par la faveur divine, occasion de faire son salut, alors que les
ennemis sont animalisés et diabolisés125. Mais il ne s’agit pas seulement de
jouer de manière instrumentale sur la piété des combattants ; mettant en
œuvre le « théisme méthodologique » cher à Albert Piette126, il nous faut,
à l’instar des médiévaux eux-mêmes, considérer Dieu et les saints comme
acteurs des combats, que l’on cherche à se concilier : l’on comprend dès
lors mieux la présence de l’étendard de Saint-Pierre à Hastings du côté
normand ; il y a fort à parier qu’aux yeux des gens de ce temps, le combat
de saint Georges étudié par Esther Dehoux ait été pris pour un fait réel.
Une fois la bataille engagée, les combats étaient souvent plus organisés
que l’opinion commune ne le pense : si la discipline des templiers semble
avoir été exceptionnelle au point d’être notée par les contemporains127, on
note tout de même l’existence de manœuvres organisées à Hastings. On sait
aussi que les charges de cavalerie étaient échelonnées et qu’elles visaient en
priorité à rompre la cohérence adverse, à isoler les ennemis128. Les ordres
étaient transmis par divers moyens, dont les trompettes129. Néanmoins,
pour les combattants engagés au cœur de la mêlée, les choses devaient être
confuses et il devait être difficile tant de voir que de se faire voir, ce qui
générait des rumeurs qui pouvaient rapidement dégénérer en paniques : on
connaît l’épisode de Guillaume le Conquérant levant son heaume à nasal
pour se faire reconnaître et montrer qu’il était toujours vivant, afin de mettre
fin au désarroi qui gagnait ses hommes. Les choses durent être pires quand
le heaume devint fermé. Si l’on ne croit plus aujourd’hui que les armoiries
aient été inventées pour permettre aux combattants de se reconnaître130,
nul ne saurait contester le besoin d’insignes permettant l’identification des
camps en présence : tel était le rôle des bannières, tout comme des cris de
guerre et cris d’armes131.

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

Il faut également prendre en compte ce à quoi s’exposaient les


combattants. Au moins pour les nobles, le risque de mourir lors de batailles
livrées entre chrétiens ne semble pas avoir été très grand à partir de la fin du
XIe siècle : deux morts seulement à Tinchebray (1106) chez les vainqueurs,
trois à Brémule (1119), deux à Lincoln (1217)… On le sait, l’essentiel était
dans le fait de faire des prisonniers et les longues listes de chevaliers captifs
contrastent avec le faible nombre de morts rapporté. Il pouvait toutefois y
avoir des exceptions, la malchance pouvant s’en mêler (à Lincoln, en 1141,
le pont cède, ce qui aboutit à la noyade de 21 chevaliers), mais le massacre
pouvait aussi être intentionnel, comme à Fornham Sainte-Geneviève
(1173)132. Néanmoins, on cherchait généralement plus à rançonner les
vaincus qu’à les tuer. La poursuite, moment où le risque de tuerie est le
plus élevé, semble souvent avoir été brève, car elle demeurait risquée pour
les poursuivants eux-mêmes133. Encore faut-il aussi prendre en compte le
risque d’être blessé, bien réel, malgré les progrès constants de l’armement
défensif134.
Au chapitre des périls menaçant les combattants, il convient de faire
une place particulière à celui qui menaçait leurs âmes, à leur peur d’être
damnés. Les pénitentiels du haut Moyen Âge condamnaient les homicides,
prescrivant des pénitences plus ou moins lourdes (de 40 jours à trois
ans), même en cas de guerre juste  ; Raban Maur, qui s’oppose à ceux
qui trouvaient que la pénitence n’aurait pas dû être nécessaire en cas de
guerre juste, témoigne des débats que ces questions suscitaient à l’époque
carolingienne. Les Xe et XIe siècles, au cours desquels la lettre de Raban
Maur est justement reprise dans des pénitentiels rhénans, vivent encore sur
cet héritage : des assemblées d’évêques prescrivent une pénitence publique
après la bataille ayant opposé les troupes des rois Robert et Charles le Simple
en 923, tout comme en 1070, pour expier les nombreux morts d’Hastings,
quatre ans plus tôt. C’est que les affrontements causent encore de nombreux
tués, même au sein de la noblesse, et qu’il s’agit de carnages entre chrétiens.
Il en va tout autrement dès que les opérations visent des non-chrétiens, par
exemple les musulmans qualifiés de Sarrasins, au sujet desquelles on promet
au contraire aux combattants la rédemption, que ce soit en Espagne ou lors
de la première croisade135. En ce qui concerne les combats entre chrétiens,
les choses changent au tournant des XIe et XIIe siècles et il vaut la peine de
donner ici la parole au moine Orderic Vital, s’étonnant que la bataille de
Brémule n’ait suscité que trois morts :
« Durant la bataille des deux rois, au cours de laquelle s’affrontèrent près
de neuf cents chevaliers, j’ai appris que trois seulement trouvèrent la mort.
Ils étaient, en effet, entièrement recouverts de fer, et par crainte de Dieu et
par reconnaissance de leur camaraderie guerrière, ils s’épargnaient les uns
les autres ; ils s’efforçaient moins de tuer que de capturer les fuyards. En

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

soldats chrétiens, en effet, ils n’étaient pas assoiffés du sang de leur frère,
mais luttaient activement pour un triomphe légitime, accordé par Dieu, en
vue du bien-être de la sainte Église et de la tranquillité des fidèles »136.
À en croire Orderic, le ménagement chevaleresque serait à mettre au
compte non seulement de facteurs techniques (meilleures armures) et d’une
forme de courtoisie entre adversaires, mais aussi de la « crainte de Dieu ».
Sans doute faut-il prendre au sérieux cette explication : le fait de chercher à
capturer plutôt qu’à tuer pourrait être une réaction au risque que l’homicide
faisait peser sur l’âme des combattants quand ils s’affrontent entre chrétiens.
Le ménagement chevaleresque pourrait relever d’une intériorisation par les
combattants eux-mêmes des risques spirituels que leur faisaient encourir les
opérations militaires, que souligne encore Bernard de Clairvaux au milieu
du XIIe siècle : le combattant laïc encourt le risque d’être tué en état de
péché et plus encore celui de perdre son âme en tuant137. Or le fait est que
l’essor du ménagement chevaleresque semble concomitant de la disparition
des grandes pénitences après les batailles, ce qui paraît logique. Il me semble
donc qu’il faut prendre au sérieux la troisième explication fournie par
Orderic Vital, de la crainte des combattants pour leur salut, sans exclure
ni l’importance des évolutions de l’armure ni celle de la connivence entre
aristocrates, membres d’une société « visqueuse ».

4. Figures de combattants
Qu’est-ce qu’un combattant dans l’esprit des hommes des Xe-début
XIIIe siècles ? J’ai livré ci-dessus l’esquisse d’un idéal-type qui ne vaut que
dans la mesure où il peut être interrogé. Notre choix a été de le faire en
approchant le combattant sous l’angle de la « figure ». Ce terme extrêmement
polysémique permet à la fois de souligner un changement dans la manière
d’écrire l’histoire et de croiser des approches très différentes. Marqué par
son étymologie latine (figura signifie forme), le terme français « figure »
renvoie à l’idée d’aspect extérieur, d’une forme visible, d’une apparence qui
peut être révélatrice (visage) ou non (prendre la figure de, faire bonne ou
mauvaise figure)138.
Plus important encore pour le colloque d’Issoire, fondé par des historiens
de l’art, figure s’emploie également dans le champ de l’iconographie : le
mot peut désigner l’illustration, un personnage en relief, sans compter
tout ce que recouvre l’expression « arts figuratifs ». Recourir à la notion
de figure nous introduit ainsi dans une dialectique de la représentation,
mettant en tension information et opacité, car la représentation à la fois
reflète les realia et fait écran, ce qui conduit à une mise à distance de l’objet,
à une prise de recul sur la façon que nous avons d’essayer de l’atteindre.
Un historien de l’art, Erwin Panofsky, a été le premier à distinguer ainsi

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

le monument (objet de l’étude) et le document (instrument de l’étude)139.


À son école, enrichie de l’apport d’autres pensées, les médiévistes ont pris
conscience ces dernières décennies que nous n’étudions pas directement
des faits, mais les représentations de faits mises en œuvre dans les traces
parvenues jusqu’à nous et qui nous informent sur ceux que nous étudions.
On est ainsi passé d’un paradigme à un autre, d’une histoire sociale à une
histoire culturelle du social, d’une histoire assise sur les faits à une histoire
assise sur les documents, un document que l’historien doit démonter, pour
reprendre l’expression de Jacques Le Goff140, employée dans une réflexion
prolongée ensuite par Pierre Toubert141. En titrant le colloque et l’ouvrage
qui en découle « la figure du combattant », et non plus simplement « le
combattant » comme c’était encore le cas en 1987, nous prenons pleinement
en compte ce paradigme et l’on se réjouit que les lecteurs puissent faire leur
miel de beaux démontages documentaires. Pour autant, il ne s’agit pas non
plus de s’y enfermer, au risque de ne plus faire l’histoire que de ceux qui
ont produit des traces, laissant à la seule archéologie le soin de travailler sur
ceux qui n’ont pas émis de discours (qu’il soit textuel, iconographique ou
autre), ce qui est d’ailleurs le cas des combattants des Xe-XIIIe siècles, alors
même que les sources médiévales regorgent d’informations à leur sujet, aussi
utiles qu’elles sont sujettes à caution. Notre objectif doit être de faire une
« histoire documentée » du combattant142, qui ne peut s’en tenir au seul
décryptage des représentations, mais doit aussi affronter avec courage la
question des realia et de ce que l’on peut en connaître.
Dans sa polysémie, « figure » peut encore renvoyer à l’idée d’individualité
marquante, un peu exceptionnelle (figure du jeu de cartes, figure historique),
ou au contraire à l’idée d’une régularité (type humain, figure mathématique).
De ce point de vue, il est heureux que le colloque ait croisé des approches
centrées sur des individus spécifiques, qui se détachent dans leur temps, et
d’autres qui envisagent plutôt de dessiner des configurations plus collectives
(des sortes d’archétypes), fondées sur l’étude de profils plus nombreux et
plus anonymes. Mais figure renvoie également à des emplois plus spécifiques
qui doivent eux-aussi nourrir notre réflexion : on parle de figure de cire et
figure s’emploie aussi en héraldique (image dans le champ d’un écu), tout
comme dans l’étude de la langue littéraire (figure de style). Le mot même,
dans sa polysémie, appelle ainsi à varier les types de sources et d’approches,
ce qui convient bien à un colloque dont l’identité épistémique est justement
de croiser chaque année sur une même thématique, en l’occurrence le
combattant, les études et méthodes des historiens de l’art, des archéologues,
des historiens et des littéraires. Pour finir, notons que le terme de figure peut
avoir une dimension technique indéniable de mise en œuvre d’un savoir-
faire pratique : figure de danse, en équitation, en logique, en musique…
Plus intéressant encore pour nous, figure s’emploie en escrime, ce qui nous

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

ramène directement à notre sujet : figure renvoie alors à la question des


pratiques combattantes, y compris dans ses dimensions techniques. Ce sont
toutes ces dimensions qui ont nourri ce volume.
Une première série d’études traite de la mise en scène de combattants,
c’est-à-dire qu’il s’agit d’étudier la construction sociale et toujours
contextualisée de représentations variées du combattant du Xe au début
du XIIIe siècle143. Esther Dehoux nous entraîne sur les traces du discours
iconographique consacré à saint Georges aux XIe et XIIe siècles, moins
stéréotypé et beaucoup plus varié qu’on ne pouvait le penser de prime
abord  : elle montre combien son culte est lié aux questions de la place
des guerriers dans la société, dans le déroulement du plan divin et dans
l’économie du salut. Raphaël Guesuraga revient, lui, sur le motif du combat
de Samson et du lion : son analyse serrée du motif sculpté et des exégèses
alors en vigueur prouve que le thème relève d’un discours mobilisé par les
tenants de ce qu’on appelle aujourd’hui la Réforme grégorienne, exhortant
les combattants laïcs à se placer au service de l’Église au lieu de l’oppresser.
Mathieu Beaud s’intéresse aux cas de Roland et d’Olivier, combattants
légendaires s’il en fut, mais en décentrant notre regard de la chanson vers
les sculptures du XIIe siècle qui les figurent à Vérone : il souligne qu’il faut
y voir moins des figures guerrières qu’apotropaïques, gardiens spirituels du
temple de Dieu.
D’autres travaux interrogent davantage la diversité des profils de
combattants. Si les femmes sont finalement absentes144, les prélats du
XIIe siècle sont bien présents, grâce aux travaux de Rolf Große et de
Rémy Roques : le premier étudie l’activité guerrière des archevêques de
Cologne au service de l’empereur, tandis que le second ne dissimule rien de
l’implication des évêques de Clermont dans la guerre féodale. Plus exotique
encore, Damien Glad nous invite à questionner, à partir des apports de
la critique textuelle et de l’archéologie, la physionomie que les sources
écrites orientales des IXe-XIe siècles donnent des combattants petchenègues.
Quant à Steven Isaac, son étude des réputations faites aux participants de
la première croisade est aussi une méditation féconde sur la manière dont
nous construisons nos catégories d’historiens, avec leurs indéniables limites.
Les dernières contributions permettent d’élaborer une approche plus
technique des combattants, respectueuse de leur diversité. Elle s’ouvre
sur l’intéressante et utile synthèse que livre Valérie Serdon concernant la
guerre de siège du IXe au XIIIe siècle, qui lui permet de mettre en valeur
le rôle des servants de machine et ingénieurs. À partir de l’étude de leurs
sceaux, Élodie Papin montre comment l’identité des chevaliers gallois
des XIIe et XIIIe siècles s’articule de façon très originale autour d’armes
autochtones et traditionnelles, lance et bouclier, arcs et flèches. S’agissant
de leurs homologues continentaux, Yoann Solirenne rappelle ce que

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

l’étude contextualisée des sceaux permet de connaître et de comprendre


de l’évolution de l’armement chevaleresque du XIe au XIIIe siècle. Enfin,
la démarche méthodologiquement très novatrice de Gilles Martinez,
combinant l’archéologie expérimentale avec l’étude des textes et des
images, permet de réinterroger à nouveaux frais l’usage de l’écu aux XIe et
XIIe siècles, permettant d’approfondir notre connaissance d’un savoir-faire
gestuel subodoré, mais peu étudié jusqu’alors.
Le présent volume n’a nullement la prétention d’épuiser toutes les
questions ; on pourra toutefois considérer qu’il a rempli son office s’il ouvre
la voie à de nouvelles recherches misant sur un dialogue transdisciplinaire
respectueux et fécond, ce qui demeure l’objectif premier des colloques
d’Issoire.

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ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

NOTES
1. Qu’on me permette ici de remercier Anne-Marie Helvétius, Martin Aurell, Dominique Bar-
thélemy, Xavier Hélary, Didier Panfili et Thierry Pécout, dont les relectures chaleureuses et en-
courageantes ont contribué à améliorer ce texte et à rassurer son auteur. Quant aux scories qui
pourraient subsister, elles me sont entièrement imputables. Je tiens à remercier également Marie
Charbonnel, Christian Gensbeitel et Éric Sparhubert de m’avoir aidé à réviser certains des articles
publiés à la suite de cette introduction.
2. Le combattant au Moyen Âge. Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de
l’enseignement supérieur public, 18e congrès, Montpellier, 1987, Nantes, 1991.
3. Pour fouiller plus avant le sujet, voir Nicolas Offentstadt, L’historiographie, Paris, 2017, p. 98-108.
4. Philippe Contamine, Guerre, État et société à la fin du Moyen Âge, Paris, 1972.
5. Philippe Contamine, La guerre au Moyen Âge, Paris, 1980 (6e édition, Paris, 2003).
6. Georges Duby, Le dimanche de Bouvines. 27 juillet 1214, Paris, 1973.
7. John Keegan, The Face of Battle, London, 1976.
8. Franco Cardini, Quell’antica festa crudele. Guerra e cultura della guerra dall’età feudale alla
grande rivoluzione, Firenze, 1982.
9. Jean-Jacques Becker, « L’évolution de l’historiographie de la Première Guerre mondiale »,
Revue historique des armées, t. 242, 2006, p. 4-15 (consultable en ligne https://journals.openedi-
tion.org/rha/4152, vérifié le 20/05/2019).
10. Victor D. Hanson, Le modèle occidental de la guerre. La bataille d’infanterie dans la Grèce
classique, Paris, 1990.
11. Hervé Drévillon et Olivier Wieviorka (dir.), Histoire militaire de la France, 2 volumes, Paris,
2018.
12. Sylvain Venayre et Xavier Lepray, Écrire la guerre, Paris, 2018.
13. Il faut sur ce point nuancer un peu le constat très sévère dressé par Laurent Vissière, « Des
siècles de guerres cruelles ? », dans Nicolas Weill-Parot et Véronique Sales (dir.), Le vrai visage du
Moyen Âge. Au-delà des idées reçues, p. 45-63 (p. 49 en particulier), sur le désintérêt des historiens
français pour la guerre (exception faite de Philippe Contamine et ses élèves) depuis la première
guerre mondiale.
14. Philippe Buc, Guerre sainte, martyre et terreur. Les formes chrétiennes de la violence religieuse
en Occident, Paris, 2017.
15. Citons John France, Western Warfare in the Age of the Crusades 1000-1300, Ithaca, 1999,
pour en rester à un seul titre au sein d’une œuvre aussi abondante qu’importante.
16. Marcus Bull et Damien Kempf, « L’histoire toute crue : la Première Croisade au miroir de
son Histoire », Médiévales, t. 38, 2010, p. 151-160 (disponible en ligne https://journals.openedi-
tion.org/medievales/6017, vérifié le 20/05/2019).
17. Jay Rubenstein, « Putting History to Use : Three Crusade Chronicles in Context », Viator,
t. 35, 2004, p. 131-168.
18. John Bliese, « Rhetoric and Morale : a Study of Battle Orations from the Central Middle
Ages », Journal of Medieval History, t. 15, 1989, p. 201-206 ; id., « Ælred of Rievaulx’s Rhetoric and
Morale at the Battle of the Standard, 1138 », Albion, t. 20/4, 1988, p. 543-556 ; id., « The Battle
Rhetoric of Ælred of Rievaulx », The Haskins Society Journal, t. 1, 1989, p. 99-107.
19. Abbès Zouache, Armées et combats en Syrie de 491/1098 à 569/1174, Paris, 2008 (dispo-
nible en ligne https://books.openedition.org/ifpo/222, vérifié le 17 mai 2019).
20. Xavier Storelli, Le chevalier et la mort dans l’historiographie anglo-normande (XIe siècle-début
du XIIIe siècle), thèse de doctorat d’histoire médiévale sous la direction de Martin Aurell, Université
de Poitiers, Poitiers, 2009.
21. Esther Dehoux, Saints guerriers. Georges, Guillaume, Maurice et Michel dans la France médié-
vale (XIe-XIIIe siècle), Rennes, 2014.
22. Damien Carraz, Les Templiers et la guerre, Clermont-Ferrand, 2012.
23. Elizabeth Lapina, « Les peintures murales de Berzé-la-Ville dans le contexte de la Première
Croisade et de la Reconquista », Journal of Medieval History, t. 31, 2005, p. 309-326 ; ead., « La
représentation de la bataille d’Antioche (1098) sur les peintures murales de Poncé-sur-le-Loir »,
Cahiers de Civilisation Médiévale, t. 52, 2009, p. 137-157.
24. Voir l’élucidation proposée par Catherine Colliot-Thélène, « La fin du monopole de la vio-
lence légitime ? », Revue d’études comparatives Est-Ouest, t. 34/1, 2003, p. 5-31.
25. Lucien Febvre, Combats pour l’histoire, Paris, 1952.
26. Paul Ricoeur, Histoire et vérité, Paris, 1955. Position reprise dans id., La mémoire, l’histoire,
l’oubli, Paris, 2000, p. 440.

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

27. La chanson de Roland, éd. et trad. Pierre Jonin, Paris, 1979, laisse CCXXX, v. 3188, p. 312
(la traduction est nôtre).
28. Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), t. 2, p. 936-937, désormais partiellement
consultable en ligne https://apps.atilf.fr/lecteurFEW/index.php/page/lire/e/115589 (vérifié le
20/05/2019).
29. Bruno Lemesle, « La pratique du duel judiciaire au XIe siècle, à partir de quelques notices
de Saint-Aubin d’Angers  », dans Le règlement des conflits au Moyen Âge. Actes des congrès de la
Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, 31e congrès, Angers, 2000, Paris,
2001, p. 149-168. On attend avec intérêt les résultats d’une enquête en cours de Claire Lamy sur
les champions.
30. Michael McCormick, « The Liturgy of War from Antiquity to the Crusades », dans Doris
L. Bergen (dir.), The Sword of the Lord : Military Chaplains from the First to the Twenty-First Century,
Notre Dame (Ind.), 2004, p. 45-67.
31. G. Duby, Le dimanche de Bouvines […], op. cit.
32. Rolf Große, Du royaume franc aux origines de la France et de l’Allemagne. 800-1214, Ville-
neuve d’Ascq, 2014 (Histoire franco-allemande, 1), p. 108.
33. Katherine A. Smith, War and the Making of Medieval Monastic Culture, Woodbridge, 2011.
34. Richard G. Newhauser, The Treatises of Vices and Virtues in Latin and the Vernacular, Turn-
hout, 1993.
35. Philippe Buc, Guerre sainte […], op. cit., p. 160.
36. Thomas Lecaque, The Count of Saint-Gilles and the Saints of the Apocalypse  : Occita-
nian Piety and Culture in the Time of the First Crusade, PhD diss., University of Tennessee, Knox-
ville, 2015, p. 319-320 (disponible  en  ligne  : http://trace.tennessee.edu/cgi/viewcontent.
cgi?article=4845&context=utk_graddiss, vérifié le 20/05/2019).
37. Philippe Buc, Guerre sainte […], op. cit., p. 121-165, sur lequel s’appuie le paragraphe qui
suit.
38. Baudri de Dol, Historia Jerosolimitana, éd. Recueil des historiens de la croisade. Historiens
occidentaux, t. IV, Paris, 1879, I 4, p. 15.
39. Bernard de Clairvaux, Éloge de la nouvelle chevalerie, éd. et trad. Pierre-Yves Emery, Paris,
1990, III 4, p. 58-60.
40. Helen J. Nicholson, Medieval Warfare. Theorie and practice of war in Europe (300-1500),
New York, 2004, p. 1.
41. Abbès Zouache, Armées et combats […], op. cit.
42. Dominique Barthélemy, « La société de l’an mil dans le royaume capétien : essai historio-
graphique », Revue historique, t. 681/1, 2017, p. 93-140, qui donne les positions récentes d’un
historien qui a longuement travaillé sur ces questions.
43. Dominique Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale,
Paris, 2004, p. 9-44. Voir aussi John France, « La guerre dans la France féodale à la fin du IXe et au
Xe siècle », Revue belge d’histoire militaire, t. 23, 1979/80, p. 177-198.
44. G. Duby, Le dimanche de Bouvines […], op. cit.
45. Sébastien Fray, L’Aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques des pays d’Olt et de
Dordogne (XeXIe siècles), thèse dactylographiée de doctorat d’histoire médiévale, sous la direction
de Dominique Barthélemy, Université Paris 4 Sorbonne, 2011, (consultable en ligne sur le site Tel
du CNRS  : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00853564), p. 810-813. La prédation est un héri-
tage des pratiques guerrières du très haut Moyen Âge : Rodolphe Keller, Les profits de la guerre.
Prédation et pouvoir dans le monde franc (VIe-Xe siècles), thèse dactylographiée de doctorat d’his-
toire médiévale, sous la direction de Geneviève Bührer-Thierry, Université Paris Est Marne-la-Vallée,
2013, disponible en ligne (http://www.theses.fr/2013PEST0018/document).
46. Jean Glenisson et Marc Seguin, « Les graffiti de l’église de Moings (Charente-Maritime) »,
Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 130/3, 1986, p. 555-571.
47. Dominique Barthélemy, La France des Capétiens. 987-1214, Paris, 2012, p. 20-24.
48. Cette modification dans l’ordre de l’idéel vient parachever un processus de montée en
puissance de la militarisation des élites au cours des VIe-VIIe siècles : Laury Sarti, Perceiving War and
the Military in Early Christian Gaul (ca. 400-700 A.D.), Boston, 2013.
49. Jean-Pierre Devroey, Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe
des Francs (VIe-IXe siècles), Bruxelles, 2006, p. 39.
50. Karl, Leyser « Early medieval canon law and the Beginnings of Knighthood », dans Lutz
Fenske, Werner Rösener et Thomas Zotz (éd.), Institutionen, Kultur und Gesellschaft im Mittelalter.
Festschrift für Joseph Fleckenstein zu seinem 65. Geburstag, Sigmaringen, 1984, p. 549-566 ; repris

26
ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

dans Karl Leyser, Communications and Power in Medieval Europe. The Carolingian and Ottonian Cen-
turies, édition posthume par Thimoty Reuter, London, 1994, p. 51-71. Janet Nelson, « Ninth-Cen-
tury Knighthood : the Evidence of Nithard », dans Christopher Harper-Bill, Christopher Holdsworth
et Janet Nelson (éd.), Studies in Medieval History presented to R. Allen Brown, Wolfeboro, 1989,
p. 255-266 ; repris dans Janet Nelson, The frankish world 750-900, London, 1996, p. 75-87.
51. Dominique Iogna-Prat, « Le «baptême» du schéma des trois ordres fonctionnels : l’apport
de l’école d’Auxerre dans la seconde moitié du IXe siècle », Annales. Économies, Sociétés, Civilisa-
tions, t. 41/1, 1986, p. 101-126.
52. Georges Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, 1978.
53. J.-P. Devroey, Puissants et misérables […], op. cit., p. 44.
54. Isabelle Rosé, Construire une société seigneuriale. Itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de
Cluny (fin du IXe-milieu du Xe siècle), Turnhout, 2008, p. 493-495.
55. J.-P. Devroey, Puissants et misérables […], op. cit., p. 44. Les citations sont tirées de Odon
de Cluny. Vita sancti Geraldi Auriliacencis, éd. et trad. Bultot-Verleysen Anne-Marie, Bruxelles, 2009,
I 8, p. 147 (les traductions sont nôtres).
56. Sébastien Fray, «  Un cas de norme laïque transmise par une source hagiographique  :
relecture des chapitres 7 et 8 du livre I de la Vita Geraldi », dans Marie-Céline Isaia et Thomas
Granier (éd.), Normes et hagiographie dans l’Occident médiéval VIe-XVIe siècles. Actes du colloque
international de Lyon (4-6 octobre 2010), Turnhout, 2014, p. 379-389.
57. J.-P. Devroey, Puissants et misérables […], op. cit., p. 44.
58. Philippe Depreux, Les sociétés occidentales du milieu du VIe à la fin du IXe siècle, Rennes,
2002, p. 110-114.
59. Il me semble qu’il faut comprendre en ce sens les affirmations très nuancées de Joseph
Morsel, L’aristocratie médiévale. Ve-XVe siècle, Paris, 2004, p. 173-174  : la violence guerrière des
seigneurs s’exerce rarement de manière directe contre leurs propres dépendants, mais, en rendant
nécessaire la protection des dépendants, elle participe pleinement à la reproduction du rapport de
domination exercé sur eux. Voir aussi, pour la fin du Moyen Âge, Gadi Algazi, « Pruning Peasants.
Private War and Maintaining the Lords’Peace in Late Medieval Germany », dans Esther Cohen et
Mayke de Jong (éd.), Medieval Transformations : Texts, Power and Gifts in Context, Leiden, 2000,
p. 245–274.
60. D. Barthélemy, La France […], op. cit., p. 20-25.
61. Henry Doniol, Cartulaire de Sauxillanges, Clermont-Ferrand, 1864, n° 15, p. 53.
62. Dominique Barthélemy, « The Peace of God and Bishops at War in the Gallic Lands from
the Late Tenth to the Early Twelfth Century », Anglo-Norman studies, t. 32, 2010, p. 1-23.
63. Sur l’empire, voir R. Große, Du royaume franc […], op. cit., p. 76-77.
64. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 436.
65. Ibid., p. 75.
66. Damien Carraz, « Un revival de la paix de Dieu ? Les paix diocésaines du XIIe siècle dans le
Midi », dans La réforme « grégorienne » dans le Midi (milieu XIe-début XIIIe siècle), Toulouse, Privat,
2013 (Cahiers de Fanjeaux, 48), p. 523-558.
67. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 436.
68. Lucien Musset, Les invasions. Le second assaut contre l’Europe chrétienne (VIIe-XIe  siècles),
Paris, 1965.
69. Le fait est moins connu : voir Damien Carraz, « «Une réalité ponctuelle et marginale» ? La
piraterie sarrasine sur les côtes du golfe du Lion du XIe au XIIIe siècle, Le Moyen Âge. Revue d’histoire
et de philologie, t. 221/3-4, 2015, p. 645-661.
70. Si l’on ne croit plus aujourd’hui que le mot français « ogre » dérive linguistiquement du
nom des Hongrois, l’assimilation est faite dès le Moyen Âge dans certains manuscrits entre les
cavaliers pillards et le monstre folklorique, d’autant plus facilement que Réginon de Prüm avait
accusé les Hongrois de manger de la chair humaine et de boire du sang.
71. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 116-117.
72. David Bates, Guillaume le Conquérant, Paris, 2019.
73. R. Große, Du royaume franc […], op. cit., p. 79-97.
74. Charles Higounet, « Un grand chapitre de l’histoire du XIIe siècle : la rivalité des maisons
de Toulouse et de Barcelone pour la prépondérance méridionale », dans Mélanges Louis Halphen,
Paris, 1951, p. 313-322 ; à actualiser avec Laurent Macé, Les comtes de Toulouse et leur entourage,
XIIe-XIIIe siècles. Rivalités, alliances et jeux de pouvoir, Toulouse, 2000 ; Hélène Débax, La féodalité lan-
guedocienne (XIe-XIIe siècles). Serments, hommages et fiefs dans le Languedoc des Trencavel, Toulouse,
2003 ; Didier Panfili, Aristocraties méridionales. Toulousain et Quercy (XIe-XIIe siècles), Rennes, 2010.

27
LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

75. D. Barthélemy, La France […], op. cit., p. 289-316.


76. Robert Fossier, Enfance de l’Europe. Aspects économiques et sociaux, 2 vol., Paris, 1982.
77. Carl Erdmann, Die Enstehung des Kreuzzugsgedanken, Stuttgart, 1935.
78. Le paragraphe qui suit doit beaucoup à Jean Flori, La guerre sainte. La formation de l’idée de
croisade dans l’Occident chrétien, Paris, 2001.
79. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 172.
80. D. Carraz, Les Templiers […], op. cit., p. 7-8.
81. Martin Aurell, Des chrétiens contre les Croisades. XIIe-XIIIe siècle, Paris, 2013.
82. Il faut nettement nuancer sur ce point Robert J. Bartlett, « Technique militaire et pouvoir
politique, 900-1300 », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, t. 41/5, 1986. p. 1135-1159.
83. Dominique Barthélemy, La chevalerie, Paris, 2007 (rééd. 2012), p. 257.
84. Sébastien Fray, L’Aristocratie […], op. cit., p. 818-819.
85. D. Barthélemy, La chevalerie […], op. cit., p. 257.
86. Ibid., p. 258.
87. D. Carraz, Les Templiers […], op. cit., p. 40.
88. Élisabeth Carpentier, « Le combattant médiéval : problèmes de vocabulaire – de Suger à
Guillaume Le Breton », dans Le combattant […], op. cit., p. 25-35.
89. Cité par P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 159.
90. Bruno Phalip, Art roman, culture et société en Auvergne, Clermont-Ferrand, 1997, p. 163-164
(planche  IX). L’équipement étant parfaitement contemporain de la sculpture, on ne voit guère
pourquoi il n’en serait pas de même de la tactique attribuée aux personnages. Voir la figure 8 dans
l’article de Gilles Martinez.
91. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 382.
92. D. Barthélemy, La France […], op. cit., p. 228.
93. Ibid., p. 231-232.
94. Richard W. Kaeuper, Chivalry and violence, Oxford, 1999 ; id., Medieval Chivalry, Oxford,
2016. On ne peut que regretter pour le public français que ces travaux ne soient pas traduits.
95. Richard W. Kaeuper, « Literature as essential evidence for understanding chivalry », Journal
of Medieval Military History, t. 5, 2007, p. 115.
96. Stephen D. White, « Un imaginaire faidal. La représentation de la guerre dans quelques
chansons de geste  », dans Dominique Barthélemy, François Bougard et Régine Le Jan (dir.), La
vengeance, 400-1200, Rome, 2006, p. 175-198.
97. G. Duby, Le dimanche de Bouvines […], op. cit., p. 27.
98. Martin Aurell, Le chevalier lettré. Savoir et conduite de l’aristocratie aux XIIe et XIIIe siècles,
Paris, 2011.
99. Carol Symes, « Popular Literacies and the First Historians of the First Crusade », Past &
Present, t. 236, 2017, p. 37-67.
100. Friedrich Prinz, Klerus und Krieg im früheren Mittelalter  : Untersuchungen zur Rolle der
Kirche beim Aufbau der Königsherrschaft, Stuttgart, 1971. À relire, toutefois, en tenant compte des
évolutions de l’historiographie allemande, qui ne croit plus aujourd’hui au fameux « système de
l’Église impériale » (Reichskirchensystem) et préfère parler de « politique ecclésiastique ottonienne
et salienne » : utile mise au point en français sur cette question dans R. Große, Du royaume franc
[…], op. cit., p. 67.
101. Lawrence G. Duggan, Armsbearing and the Clergy in the History and Canon Law of Western
Christianity, Woodbridge, 2013 ; Daniel M. G. Gerrard, The Church at War : The Military Activities
of Bishops, Abbots and Other Clergy in England, c. 900-1200, London/New York, 2016 ; Craig M.
Nakashian, Warrior Churchmen of Medieval England, 1000–1250. Theory and Reality, Woodbridge,
2016.
102. Radoslaw Kotecki, Jacek Maciejewski, John S. Ott (éd.), Between Sword and Prayer : War-
fare and Medieval Clergy in Cultural Perspective, Leiden/Boston, 2018.
103. Leandro Duarte Rust, Bispos Guerreiros. Violência e Fé antes das Cruzadas, Petrópolis, 2018.
104. Sébastien Fray, « Supérieurs bénédictins et conduites guerrières dans le sud-ouest de la
Gaule (Xe-XIIIe siècles) », dans L’Église et la violence. Xe-XIIIe s., Toulouse, 2019 (Cahiers de Fanjeaux,
54), p. 9-28.
105. Jean Berger et Emmanuel Grélois, «  Circulation des églises et enjeux de pouvoirs en
Brivadois et Basse-Auvergne (fin du Xe-début du XIIIe siècle) », dans Bruno Phalip, Jean-Luc Fray et
Anne Massoni (dir.), Brioude aux temps féodaux (XIe-XIIIe siècle). Cultes, pouvoirs, territoires et société,
p. 73-88.
106. Voir le texte d’Esther Dehoux.

28
ENJEUX GUERRIERS ET SPIRITUELS DE LA FIGURE DU COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE, ESSAI INTRODUCTIF

107. J. Flori, La guerre sainte […], op. cit., p. 150 et 154.


108. Quentin Skinner, La vérité et l’historien, Paris, 2012.
109. Remarque en ce sens de G. Duby, Le dimanche de Bouvines […], op. cit., p. 35.
110. Georges Duby, Mâle Moyen Âge, Paris, 1988. Discussion critique fort convaincante d’Amy
Livingstone, «  Pour une révision du “mâle” Moyen Âge de Georges Duby (États-Unis)  », Clio.
Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], t. 8, 1998, mis en ligne le 03 juin 2005 (consulté le 17 mai
2019), URL : http://journals.openedition.org/clio/318.
111. Voir par exemple Martin Aurell, « Les femmes guerrières (XIe et XIIe siècles) », dans Famille,
violence et christianisation au Moyen Âge. Mélanges offerts Michel Rouche, Paris, 2005, p. 319-330 :
l’implication de femmes dans les affaires guerrières serait surtout affaire de défense de châteaux.
112. Sophie Casagnes-Brouquet, Chevaleresses. Une chevalerie au féminin, Paris, 2013, qui
mériterait une discussion critique soigneuse. Nous regrettons d’autant plus l’absence du texte de
Soline Anthore qui devait être consacré au cas de la comtesse Mathilde.
113. Damien Carraz, Les Templiers […], op. cit., p. 41.
114. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 182-192.
115. Valérie Serdon, Armes du Diable, arcs et arbalètes au Moyen Âge, Rennes, 2005.
116. Voir le texte de Valérie Serdon.
117. Richard Barber, « When is a knight not a knight ? », dans Stephen Church and Ruth Har-
bey (éd.), Medieval Knighthood V : papers from the Sixth Strawberry Hill Conference, Woodbridge,
1995, p. 117.
118. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 161-162.
119. Steven Isaac, Down Upon the Fold  : Mercenaries in the Twelfth Century, PhD, Loui-
siana State University, 1998, disponible en ligne  : https://digitalcommons.lsu.edu/gradschool_
disstheses/6784/ (consultation le 17/05/2019). Gare tout de même aux fausses évidences  : à
Bouvines, il semble que les sergents du Brabant n’étaient pas des mercenaires, voir Dominique
Barthélemy, La bataille de Bouvines. Histoire et légende, Paris, 2018, p. 135-141.
120. Jean Berger, « Les enseignes de pèlerinage du Puy », dans Daniel Moulinet, Bruno Maes
et Catherine Vincent (dir.), Jubilé et culte marial (Moyen Âge-époque contemporaine), Saint-Étienne,
2009, p.87-114.
121. Alexandre Giunta, «  Migrations, milites et idéologies dans le royaume d’Aragon
(XIe-XIIe siècles). Réflexions sur les motivations des chevaliers non ibériques venus participer à la
Reconquista », Memini, t. 16/1, p 63-84 (consultable en ligne : https://journals.openedition.org/
memini/554, vérifié le 17/05/2019).
122. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 192-200, pour en rester à notre période.
123. Georges Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, 1984.
124. Victor D. Hanson, Le modèle occidental […], op. cit. ; Élise Julien, « À propos de l’historio-
graphie française de la première guerre mondiale », Labyrinthe, t. 18, 2004, p. 53-68 (disponible
en ligne : https://journals.openedition.org/labyrinthe/215, vérifié le 17/05/2019).
125. Xavier Storelli, « Les harangues de la bataille de l’Étendard (1138) », Médiévales, t. 57,
2009, p. 15-32 (consultable en ligne  : https://journals.openedition.org/medievales/pdf/5802,
vérifié le 17/05/2019).
126. Albert Piette, « La question anthropologique de Dieu », Revue des Sciences Sociales, t. 49,
2013, p. 20-30. Je remercie Mickaël Wilmart de m’avoir fait connaître cet auteur.
127. D. Carraz, Les Templiers […], op. cit., p. 42.
128. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 381.
129. Robert W. Jones, Bloodied banners  : Martial Display on the Medieval Battlefield, Wood-
bridge, p. 70.
130. Jean-François Nieus, « L’Invention des armoiries en contexte. Haute aristocratie, identités
familiales et culture chevaleresque entre France et Angleterre, 1100-1160 », Journal des savants,
2017, p. 93-155.
131. Isabelle Guyot-Bachy, « Cris et trompettes. Les échos de la guerre chez les historiens et
les chroniqueurs », dans Didier Lett et Nicolas Offenstadt (dir.), Haro ! Noël ! Oyé ! Pratiques du
cri au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 103-115 ; Laurent Hablot, « Cris de guerre et d’armes. Formes
et fonctions de l’emblème sonore médiéval », dans Laurent Hablot et Laurent Vissière (dir.), Les
paysages sonores du Moyen Âge à la Renaissance, Rennes, 2016, p. 157-172 (consultable en ligne :
https://books.openedition.org/pur/47117#ftn6, vérifié le 17/05/2019).
132. Xavier Storelli, Le chevalier […], op. cit., p. 496-497.
133. D. Barthélemy, La bataille […], op. cit., p. 145-146.
134. Pierre-André Sigal, « Les coups et blessures reçus par le combattant à cheval en Occident
aux XIIe et XIIIe siècles », dans Le combattant […], op. cit., p. 171-183.

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LE COMBATTANT À L’ÉPOQUE ROMANE - COLLOQUE D’ISSOIRE

135. Sur tout ceci, voir P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 428-430.
136. Cité par X. Storelli, Le chevalier et la mort […], op. cit., p. 497-498.
137. P. Contamine, La guerre […], op. cit., p. 170.
138. Voir le Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), t. 3, p. 512-513, consultable en
ligne https://apps.atilf.fr/lecteurFEW/index.php/page/lire/e/115589 (vérifié le 18/05/2019). Le
Trésor de la langue française, lui aussi numérisé (http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/visusel.
exe?12;s=2891127015;r=1;nat=;sol=1, vérifié le 18/05/2019) a également servi à la réflexion.
139. Erwin Panofsky, Meaning in the Visual Arts, New York, 1957, trad. fr. L’œuvre d’art et ses
significations. Essais sur les « arts visuels », Paris, 1969, p. 35-38.
140. Jacques Le Goff, « Documento/monumento », dans Enciclopedia Einaudi, t. V, Turin, 1978,
p.  38-48 (p. 46 en particulier), malheureusement non traduit en français (on peut le consul-
ter ici  : https://www.dass.uniroma1.it/sites/default/files/allegati_notizie/Le_Goff.pdf, vérifié le
18/05/2019).
141. Pierre Toubert, « Tout est document », dans Jacques Revel et Jean-Claude Schmitt (éd.),
L’Ogre historien. Autour de Jacques Le Goff, Paris, 1998, p. 85-105.
142. L’expression est empruntée à Laurent Morelle, « L’histoire : érudition, critique des sources
et réflexion historiographique », dans Patrick Henriet (dir.), L’École pratique des hautes études. In-
vention, érudition, innovation (1868-2018), Paris, 2018, p. 326-333.
143. À notre plus grand regret, le lecteur ne pourra prendre connaissance de l’étude d’Olivier
Szerwiniack sur les chevaliers dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes.
144. Il manque, hélas, le texte que Soline Anthore devait consacrer à Mathilde de Canossa.

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