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ACADÉMIE SERBE DES SCIENCES ET DES ARTS

InStItut ��S �tu��S ��L��nI�u�S


ÉDITIONS SPECIALES 104

LA SERBIE ET LA FRANCE
UNE ALLIANCE ATYPIQUE
Relations politiques, économiques et culturelles
1870–1940

DUšAN T. BATAKOVIć (dir.)

BELGRADE
2010
Publié par
Institut des �tudes balkaniques
Académie serbe des Sciences et des Arts
35 Knez Mihailova, 11000 Belgrade, Serbie
adresse électronique : balkinst@bi.sanu.ac.rs
www.balkaninstitut.com

Revu par
MihailoVojvodić, membre correspondant de l’ASSA
Dušan T. Bataković, Institut des Études balkaniques

Cette publication est réalisée avec le concours du Ministère de la Science


et du Développement technologique de la République de Serbie
dans le cadre du projet no 14044 « Histoire des idées et des institutions politiques dans les
Balkans aux XIXe et XXe siècles »
ta b l e d e s m a t i è r e s

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
�ušan t. �ataković
Le modèLe français en serbie avant 1914 . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Miroslav Svirčević
Le constitutionaLisme en serbie (1835–1903) : L’infLuence
de benjamin constant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
�di Miloš
Honoré de baLzac (1799–1850), Les sud-sLaves et Les serbes . . . . . 133
Mihailo Vojvodić
L a serbie et La france. Les reLations économiques de 1896 à 1906 . . 147
Vojislav Pavlović
L’aLLiance de fait contre Le concert euroPéen. L a quête d’une aLLiance
e e
française en serbie du XIX et XX siècLe . . . . . . . . . . . . . . . . 167
Miloš �ović
L a r évoLution française et L’éLite serbe (1889–1935) . . . . . . . . . 187
�leksandra �olaković
L’ ÉLite serbe et Le modèLe cuLtureL français dans La revue ’deLo’
(L’Œuvre) de 1894 à 1915 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
Philippe Gelez
Les agents consuLaires français de sarajevo vis-à-vis de La serbie,
du monténégro et des ortHodoXes de bosnie-Herzégovine
des années 1850 à La fin du siècLe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217
�ndrej Mitrović
Les intérêts français en serbie à La veiLLe de La Première
guerre mondiaLe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231
Ljiljana �leksić-Pejković
L a france et La serbie durant La crise de juiLLet 1914. . . . . . . . . 251
Jean-Paul �led
ernest denis et « L a grande serbie ». . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
Jean-noël Grandhomme
Le marécHaL francHet d’esPèrey, trait d’union entre La france
et La serbie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
Petar Opačić
aLLiance miLitaire franco-serbe dans La Première guerre
mondiaLe 1914–1919 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
�lexis troude
L a france et La serbie (1915–1918) : cooPération miLitaire,
imPLantation économique et écHanges cuLtureLs . . . . . . . . . . . . 337
Ljubinka trgovčević
Les serbes en france durant La Premiére guerre mondiaLe . . . . . . 361
Gordana �rivokapić-Jović
Les français sur La question yougosLave : entre La Protection
d’intérêt serbe et La « question croate » (1918–1920) . . . . . . . . . 379
Christophe Réveillard
Le rôLe du Projet briand dans L’amitié franco-yougosLave.
L’union euroPéenne ProPosée au cŒur de L’entre-deuX-guerres . . . . 399
Stanislav Sretenović
L’action cuLtureLLe française auPrès des serbes au sein du royaume
des serbes , croates et sLovènes (1918–1929) . . . . . . . . . . . . . . 415
Veljko Stanić
Les tHèmes cuLtureLs français au royaume de yougosLavie.
L’eXemPLe des revues « srPski književni gLasnik » et « nova evroPa » . 449
Slobodan Šoja
ivo a ndrić et jovan dučić : L’attacHement sPiritueL à La france de deuX
géants Littéraires serbes originaires de bosnie et d’Herzégovine . . . 487
Jelena novaković
Les refLets du modernisme français dans La création Littéraire
de L’avant- garde serbe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503
nina Živančević
miLoš crnjanski et Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 519
�leksandar �adijević
r eLations des arcHitectures française et serbe
(dePuis La fin du XiX e siècLe jusqu’à 1941) . . . . . . . . . . . . . . . 531
Jasmina S. Ćirić
gabrieL miLLet et djurdje bošković. L’ Étude conjointe des monuments
médiévauX de La serbie moravienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 545
Vladimir Lj. Cvetković
L a Présence économique de La france en yougosLavie 1918–1940.
intérêts, enjeuX, Portées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 557
Vojislav Pavlović
L’attentat de marseiLLe 1934. L a fin symboLique d’une aLLiance atyPique 575

Liste des auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 597


indeX 603
La Serbie et la France : une alliance atypique
Préface

U ne alliance atypique, une alliance de fait, certes, occasionnelle et


peu conclusive, entre la Principauté de Serbie, puis le Royaume de
Serbie et la France comme la source principale des doctrines politiques
et les mouvements révolutionnaires en Europe du XIXe siècle. C’était
une alliance qui n’a jamais été formalisée, dont les termes n’ont jamais
été précisés, mais dont l’eficacité a résisté à toutes les épreuves, cou-
ronnées surtout dans les tranchées du Front d’Orient dans la Grande
Guerre lorsque les armées serbe et française se sont données la main.
Les fondements de cette alliance ont été posés déjà lors de la Révolu-
tion serbe (1804–1813) lorsque les insurgés, menés par Karageorges,
reconnaissaient en France napoléonienne une tradition politique nou-
velle, héritière des valeurs de la Révolution française. En même temps
la Révolution serbe, annonçant le réveil national des autres peuples, fut
considérée, à l’échelle régionale, comme la Révolution française pour les
peuples balkaniques, notamment des Grecs qui eurent leur Révolution
en 1821.
Dans la deuxième phase de la Révolution serbe (1815–1835), la
Principauté de la Serbie devient en 1830 semi autonome au sein de
l’Empire ottoman, sous la garantie internationale de la Russie impé-
riale. Pour une Serbie sans noblesse et qui abolit, en 1835, les rapports
féodaux, l’expérience politique française fut parfaitement exemplaire.
Même si la Serbie était gouvernée par un autocrate, le prince Miloš
Obrenović, elle fut néanmoins pourvue d’une Constitution (1835), cal-
quée sur la Charte constitutionnelle de 1815, à la différence de la tra-
dition absolutiste pluriséculaire des Empires voisins. Dans une société à
construire, comme la Serbie du début de XIXe siècle, la population fut
8 La Serbie et la France : une alliance atypique

presque entièrement paysanne, dont un petit nombre s’est transformé


en marchands aisés ou les chefs de guerres célèbres et fortunés.
L’élite intellectuelle, composée exclusivement des Serbes éduqués
et formés politiquement dans l’Empire des Habsbourg, créa en Serbie
des institutions qui n’avaient rien à voir avec celles de la Monarchie voi-
sine. Les Défenseurs de Constitution (1838–1858), mieux connues sous
le nom de Constitutionalistes combattaient l’autocratie du prince Miloš
Obrenović par le biais d’un Conseil d’État, bien différent de Reichs-
rat des Habsbourg. Les origines du Conseil d’État se trouvent dans la
Charte constitutionnelle de 1815, tandis que sa raison d’être fut propre
à la Serbie et reposait dans la nécessité de trouver un cadre institutionnel
ain que la classe des notables (les riches négociants et les anciens chefs
de guerre) participe au gouvernement, tout en protégeant leurs propres
intérêts.
L’ouverture de la société serbe à l’inluence française, fut le fruit
d’une action résolue d’une minorité des intellectuelles qu’on appelait
les « Parisiens ». Ces « Parisiens serbes » ont largement contribué à la
transmission en Serbie du parlementarisme et de la démocratie à la fran-
çaise. C’est bien vers la France que les regards des libéraux serbes ont été
tournés depuis 1848.
À partir des années cinquante, suite aux contacts entre Napoléon
III et Ilija Garašanin, le chef des Constitutionalistes, l’inluence politi-
que française se transforma en une coopération dont les termes furent
une nouveauté sans précédents pour la Serbie. Lors de leur entrevue en
1852 se concrétisa le projet serbe de se débarrasser de la tutelle russe.
Le Traité de Paris de 1856 apporta une protection européenne au statut
autonome de la Principauté de Serbie conirmant que le choix de se
tenir à l’écart de la conlagration européenne ne pouvait qu’être avanta-
geux pour les intérêts serbes. Entre Garašanin et Napoléon III, il n’était
pas question des pourparlers sur les concessions territoriales et politiques
à consentir par la Serbie en échange du soutien français, mais de l’adhé-
sion commune au principe des nationalités. Dans la décennie suivante,
Garašanin, cette fois en tant que Ministre des Affaires étrangères du
prince Michel Obrenović, s’attela à proiter du processus de l’uniication
italienne et allemande ain de favoriser celle des Serbes, dispersés partout
dans les Balkans. Dans ce climat insurrectionnel, dont le cadre était dé-
ini à Paris, se révéla toute importance de la prise des contacts de 1852
D. T. Bataković, Préface 

avec Napoléon III, qui étaient à l’origine de la création d’une politique


étrangère autonome, favorisant l’uniication nationale, et s’appuyant sur
les puissances occidentales, dont la France en premier lieu. L’avantage
de cette stratégie reposait dans le fait que la France n’avait pas de préten-
tions directes sur des territoires autour de la Serbie, tandis que les projets
impériaux qu’elle nourrissait constituaient ses inconvénients. Les efforts
français de résoudre la dernière étape de l’union italienne en accordant
aux Habsbourg des compensations au détriment des intérêts serbes, et
généralement slaves, d’abord en Bosnie et en Herzégovine, puis en Ser-
bie, terminent cette première phase de l’alliance franco-serbe. Après la
défaite de sa politique impériale, la France reprend son rôle traditionnel
d’un allié désintéressé et relativement éloigné de la Serbie, surtout pen-
dant les décennies de la domination austro-hongroise en Serbie, entre le
Congrès de Berlin (1878) et le coup d’État et avènement de roi Pierre
Ier sur le trône de Serbie, en 103.
Même pendant la période défavorable où le concert européen
empêcha tout tentative de l’action nationale dans les Balkans, l’alliance
franco-serbe prit corps grâce aux liens personnels entre les radicaux ser-
bes et leurs amis politiques français. Cette nouvelle génération politique
serbe non seulement s’inspira du modèle français, mais elle obtint, avec
l’alliance franco-russe, un cadre pour une coopération tangible dont les
effets seront visibles dans la première décennie du XXe siècle. Même si
le chemin qui emmènera les deux peuples aux tranchées de Salonique en
116 était encore long à parcourir, le principe d’une alliance fondé sur
l’identité des valeurs était déjà bien établi. Le droit des nationalités de
disposer d’eux-mêmes n’en était qu’une partie, tandis que la deuxième,
l’instauration de la démocratie parlementaire, était portée à bout de bras
par la génération suivante, celle des « Parisiens serbes ». Dès les années
quatre-vingt-dix du XIXe siècle, les radicaux de Nikola Pašić introduisi-
rent la politique dans les villages et les bourgs serbes à travers les organes
du parti radical, créé sous l’inluence des radicaux français, en trans-
formant progressivement, selon la formule bien connue, les paysans en
Serbes en une « démocratie rurale » inspirée par le modèle français de la
démocratie.
Ces étudiants de la Sorbonne, Andra Nikolić, Milovan Dj.
Milovanović, Jovan Skerlić et Jovan Žujović, ainsi que leurs collègues et
amis, comme Albert Malet, précepteur du roi Alexandre Obrenović, les
10 La Serbie et la France : une alliance atypique

savants et les journalistes Louis Léger, Émile Haumant, Ernest Denis,


Victor Bérard, Auguste Gauvin… ajoutaient une note personnelle à cet-
te alliance dont les contours géostratégiques, dans le cadre de l’alliance
franco-russe, commençaient à s’entrevoir dès la crise bosniaque de 108.
En qualité des ministres de Serbie, les diplômés de la Sorbonne, com-
battaient pour l’indépendance économique et politique de leur patrie.
Les fonds étaient alloués à l’État serbe par les petits épargnants français
furent utilisés en premier lieu à l’achat des canons français Schneider-
Creusot. Certes, par le biais de l’alliance russe la France apporta son
soutien à l’alliance balkanique en 112, et inalement elle lia le sort de
sa nation à celui de la petite Serbie dans la conlagration mondiale.
L’alliance entre la Serbie et la France, même pendant la Grande
Guerre, reste atypique, car elle reposait sur l’identité des valeurs et non
sur les concessions politiques et territoriales au détriment de ses voisins.
La France combattait pour assurer la liberté des petits pays, victimes de
l’agression austro-allemande, tels la Serbie et la Belgique. En juin 116,
dans toutes les écoles françaises, une Journée serbe solennelle fut célébrée
en hommage à ce peuple martyr, allié héroïque de la France.
Pour la défense de l’État-Nation de type jacobin et des ses princi-
paux attributs, la souveraineté et l’indépendance, pendant trois longues
années les paysans soldats, français et serbes, combattaient et mourraient
côte à côte dans les tranchées de Salonique, sous le commandement des
généraux Sarrail, Guillaumat et Franchet D’Espèrey, les commandants
de l’Armée d’Orient entre 116 et 118. Ils en sortiront vainqueurs,
grâce aux efforts communs sans précédence, en septembre 118, en dé-
clenchant l’offensive décisive de la Grande Guerre sur ce front. La vic-
toire sera commune et scellée par les efforts conjoints des poilus dans
les tranchées de Salonique, à qui incomba par la suite la tâche d’assurer
sa pérennité. Belgrade était une des rares villes décorées par la Légion
d’honneur, remise en 120 par Franchet d’Espèrey, lui-même promu au
rang de vojvoda (maréchal) serbe et yougoslave.
La transformation de Royaume de Serbie en royaume des Slaves
de sud (Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, depuis 12 le Royau-
me de Yougoslavie) sous la même dynastie de Karadjordjević, ne fut pas
un projet français mais la Troisième République y adhéra en respectant
la volonté des principaux intéressés. La France fut surtout soucieuse à ce
Royaume soit sufisamment stable ain de garantir l’eficacité du système
D. T. Bataković, Préface 11

de sécurité régionale, basé sur les traités conclus à la in de la Grande


Guerre, après la Conférence de paix à Versailles.
La Petite Entente, ainsi que le traité de l’amitié franco-yougoslave
de 127, accordèrent inalement un cadre institutionnel à cette alliance
mais dont l’essence était ailleurs. Elle reposait dans l’expérience et les
valeurs partagées, portées par les poilus d’Orient, par les anciens réfugiés
serbes en France, ainsi que par les élèves et les étudiants reçus par l’Édu-
cation nationale lors de la Grande Guerre. Le fondement de l’alliance
franco-serbe et son prolongement franco-yougoslave pendant la période
entre deux guerres, persistèrent à travers une inluence culturelle et in-
tellectuelle dont les meilleurs représentants étaient des milliers d’écoliers
et d’étudiants serbes accueillis en France lors de la Grande Guerre, ainsi
que les oficiers, soit ceux qui ont pu bénéicier de l’hospitalité française
soit ceux qui gardaient des souvenirs inoubliables de leurs frères d’armes
français. Les liens culturels étaient renforcés entre deux guerres par la
forte présence des étudiants serbes dans les universités françaises ce qui a
considérablement marqué les milieux intellectuels serbes.
L’assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslave et de Louis Barthou
à Marseille en octobre 134, les premières victimes du fascisme en Eu-
rope, renforça davantage l’amitié franco-serbe. En témoigne notamment
le monument dans la citadelle de Belgrade, érigé en 136 à l’honneur
de la France et portant l’inscription suivant : « Aimons la France comme
elle nous a aimés 114-118 ». Ce capital d’amitié et de reconnaissance
fut le pilier de l’alliance dont la disparition coïncide, à quelques mois
près, avec la disparition des sociétés qu’elle unissait depuis le début de
XIXe siècle.

*
La plus grande partie de ce recueil de travaux provient du colloque (Une
alliance atypique. Les relations franco-serbes 1878–1940) tenu à Belgrade
les 7 et 8 décembre 2007, sous les auspices de l’Institut des Études balk-
aniques de l’Académie serbe des Sciences et des Arts et en collaboration
avec professeur Jean-Paul Bled de l’Université Paris Sorbonne (Paris IV).
L’importance de ce colloque était conirmée par la présence de S. E. M
Jean-François Terral, ambassadeur de France à Belgrade. En dehors des
contributions des intervenants de ce colloque, ce recueil a été complété
12 La Serbie et la France : une alliance atypique

par de nouvelles contributions ain d’offrir une perspective plus exhaus-


tive sur certaines périodes et sur certains aspects essentiels pour la com-
préhension de l’alliance franco-serbe, comme la Première Guerre mon-
diale, allant de la coopération politique et militaire et les liens culturels,
jusqu’à un nouveau regard sur l’assassinat du roi Alexandre et de Louis
Barthou. J’espère que ce livre permettra de mieux situer les relations
franco-serbes, non seulement dans une perspective historique mais en-
core dans le contexte de nos relations bilatérales contemporaines.

Dušan T. Bataković
Vice-directeur, Institut des Études balkaniques
Académie serbe des Sciences et des Arts

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