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CONCOURS D’ADMISSION FUI – FF 2018 SESSION AUTOMNE

FILIÈRE UNIVERSITAIRE INTERNATIONALE


Formations françaises à l’étranger

COMPOSITION DE FRANÇAIS
(Durée : 2 heures)

L’utilisation de dictionnaires et traducteurs électroniques


n’est pas autorisée pour cette épreuve

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TEXTE SUPPORT

Dans son ouvrage autobiographique de 1964 intitulé Les Mots, l’écrivain Jean-Paul
Sartre évoque sa passion d’enfant pour les livres et la façon contrastée dont ses deux grands-
parents en faisaient des usages bien différents…

J'ai commencé ma vie comme je la finirai sans doute : au milieu des livres. Dans le
bureau de mon grand-père, il y en avait partout ; défense était faite de les épousseter sauf une
fois l'an, avant la rentrée d'octobre. Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais (1)
ces pierres levées (2) droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la
bibliothèque ou noblement espacées en allées de menhirs (3) je sentais que la prospérité de
notre famille en dépendait. Elles se ressemblaient toutes, je m'ébattais dans un minuscule
sanctuaire (4) entouré de monuments trapus, antiques, qui m'avaient vu naître, qui me
verraient mourir et dont la permanence me garantissait un avenir aussi calme que le passé. Je
les touchais en cachette pour honorer mes mains de leur poussière mais je ne savais trop qu'en
faire et j'assistais chaque jour à des cérémonies dont le sens m'échappait : mon grand-père - si
maladroit, d'habitude, que ma mère lui boutonnait ses gants - maniait ces objets culturels avec
une dextérité d'officiant (5). Je l'ai vu mille fois se lever d'un air absent, faire le tour de sa
table, traverser la pièce en deux enjambées, prendre un volume sans hésiter, sans se donner le
temps de choisir, le feuilleter en regagnant son fauteuil, par un mouvement combiné du pouce
et de l'index puis, à peine assis, l'ouvrir d'un coup sec « à la bonne page » en le faisant craquer
comme un soulier. Quelquefois je m'approchais pour observer ces boîtes qui se fendaient
comme des huîtres et je découvrais la nudité de leurs organes intérieurs, des feuilles blêmes et
moisies, légèrement boursouflées, couvertes de veinules (6) noires, qui buvaient l'encre et
sentaient le champignon.

Dans la chambre de ma grand-mère les livres étaient couchés ; elle les empruntait à un
cabinet de lecture (7) et je n’en ai jamais vu plus de deux à la fois. (…) Je n’aimais pas ces
brochures trop distinguées ; c’étaient des intruses et mon grand-père ne cachait pas qu’elles
faisaient l’objet d’un culte mineur, exclusivement féminin. Le dimanche, il entrait par
désoeuvrement dans la chambre de sa femme et se plantait devant elle sans rien trouver à lui
dire ; tout le monde le regardait, il tambourinait (8) contre la vitre puis, à bout d’invention, se
retournait vers Louise et lui ôtait des mains son roman : « Charles ! s’écriait-elle furieuse, tu
vas me perdre ma page ! ». Déjà, les sourcils hauts, il lisait ; brusquement son index frappait
la brochure : « Comprends pas ! – Mais comment veux-tu comprendre ? disait ma grand-
mère : tu lis par-dedans (9) ! » Il finissait par jeter le livre sur la table et s’en allait en haussant
les épaules.

Jean-Paul Sartre. Les Mots (Gallimard, coll. Folio, pages 37-39)

1. révérer : vénérer, respecter.

2. ces pierres levées : dans certaines religions anciennes on dressait de grands blocs de pierre
pour honorer les dieux.

3. menhirs : grandes pierres, levées en l'honneur des dieux.

4. sanctuaire : temple, lieu sacré.

5. une dextérité d'officiant : une habileté de prêtre procédant à une cérémonie religieuse

6. veinules : petites veines

7. cabinet de lecture : sorte de bibliothèque publique où l’on pouvait emprunter des livres.

8. tambourinait : frappait à coups rapprochés.

9. par-dedans : ici au sens de naïvement, sans profondeur critique


1° Questions de compréhension

1. Comment se prénomment les deux grands-parents du narrateur ?


2. Qualifiez en quelques mots le plaisir différent que chacun d’eux prend avec ses livres.
3. Le narrateur vous semble-t-il avoir une préférence pour l’un des deux ? Pourquoi ?

2° Essai (sans limitation du nombre de mots)

Au début de cet extrait Sartre affirme : « J'ai commencé ma vie comme je la finirai
sans doute : au milieu des livres. » En vous appuyant sur votre culture et votre expérience
personnelle, vous donnerez votre point de vue, argumenté et concret, sur la place que le
livre peut ou doit occuper dans une existence.

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