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Intro 

:
En 1856 parait le célèbre roman sur rien : Mme Bovary. Ce roman en effet traite d’un sujet banal, il
reprend un élément de la presse de l’époque, une femme mariée, coupable d’adultère qui se suicide, et
ne se tiendrait selon Flaubert « de lui-même par la force de son style ». Emma Rouault, future Mme
Bovary, personnage éponyme du roman, est une jeune femme qui victime d’insatisfaction chronique,
maladie plus tard nommée le Bovarisme, y rencontre un jeune homme timide : Charles Bovary. Au
chapitre 3 de la première partie, ils vivent une idylle campagnarde, lieu où naissent chez eux des
sentiments nouveaux entremelés d’actions banales dans un cadre commun. Il semble ainsi opportun de
se demander : comment la description d’attitudes familières dans un cadre délibérément prosaïque
refuse le romanesque des débuts amoureux.
Nous étudierons d’abord l’arrivée de Charles, puis l’échange de paroles de bienvenue et enfin le
silence gêné établi entre les deux personnages.
Partie 1 :
Charles, nom remplacé par le pronom il, est un jeune veuf. Il vit ainsi ici une situation nouvelle. Etant
très timide il semble chercher Emma dans une ATTENTE ANXIEUSE.

« Il arriva un jour vers trois Rythme sensiblement égal La première phrase se déroule
heures ; tout le monde était aux lentement, et semble refléter la
champs ; il entra dans la marche hésitante et troublée du
personnage. Le romancier
cuisine, mais n’aperçut point
s’attarde sur la description du
d’abord Emma ; les auvents décor autour des deux amants :
étaient fermés. » les auvents
« Il entra dans la cuisine » Cuisine lieu paradoxal pour Placer cette scène au thème
une rencontre amoureuse amoureux dans une cuisine,
lieu de taches quotidiennes, de
nourriture et de saleté, semble
un choix paradoxal.
« les auvents étaient fermés » Description extrêmement Le romancier s’attarde sur la
« le soleil allongeait sur les détaillée description du décor autour des
pavés de grandes raies minces, deux amants : les auvents, le
Attention particulière à la soleil, le plafond.
qui se brisaient à l’angle des
lumière Tel un peintre, il étudie la
meubles et tremblaient au lumière de la scène qui
plafond. » Romancier comme peintre désignée par le nom soleil
« Le jour qui descendait par la donne une atmosphère
cheminée, veloutant la suie de chaleureuse et tamisée à la
la plaque bleuissait un peu les cuisine d’Emma.
cendres froides. »
« Par les fentes du bois (…) sur Détails insignifiants Le romancier s’attarde sur des
les pavés de grandes raies détails insignifiants comme les
minces (…) à l’angle des Analyse successive de raies minces, les verres ou les
meubles (…) au plafond (…) plusieurs endroits de la cendres, donnant à la scène un
sur la table (…) le long des maison : on peut suivre le aspect pictural.
verres (…) la cheminée (…) les regard de Charles. L’enchainement des différents
cendres froides » éléments de la maison d’Emma
permet au lecteur de visualiser
à la perfection le cheminement
du regard de Charles.
« Des mouches, sur la table, Champ lexical de la saleté L’attention portée sur les
montaient le long des verres mouches, le verbe bourdonner
qui avaient servi, et et la description des verres
bourdonnaient en se noyant au ayant servi rappellent la saleté
fond, dans le cidre resté » évoquée par le choix de la
cuisine, et éloigne le lecteur de
l’atmosphère amoureuse.
« Emma cousait » Arrivée d’Emma L’apparition d’Emma arrive
comme l’aboutissement
Proposition simple, sujet verbe artistique du tableau dressé par
le romancier et met fin au
malaise psychologique de
Charles.
La simplicité de la proposition
tranche au milieu de cette
profusion de détails ; elle est le
point unique vers lequel se
tourne le regard de Charles,
comme le point de fuite, cœur
d’un tableau.
« Entre la fenêtre et le foyer, Entre fenêtre et foyer : point de Le calme, le silence de son
Emma cousait » convergence de la lumière et de activité, ainsi que la lumière et
la chaleur du feu et du soleil la chaleur posés sur elle tranche
avec l’anxiété de Charles
Activité calme et sereine rendue par le rythme de la
narration.
« Emma cousait ; elle n’avait Détails sur Emma, portrait Charles transi devant la beauté
point de fichu, on voyait sur d’Emma la regarde avec une
ses épaules nues de petites Sans fichu et épaules nues : elle attention particulière. Son
est au naturel naturel, marqué par l’absence
gouttes de sueur. »
de fichu et ses épaules nues,
Couture + sueur : concentration renforce la beauté de la jeune
femme.
La sueur et la concentration se
dégageant du portrait dressé
par Charles lui donnent une
sorte de prestance.
Ainsi au travers du regard de Charles nous est fait indirectement un premier portrait d’Emma.
Partie 2 :

« elle lui proposa de boire Changement de rythme Le rythme change, les verbes
Propositions courtes se succèdent rapidement et
quelque chose. Il refusa, elle
Enchainement rapide et sec des sèchement, et les propositions
insista, et enfin lui offrit » verbes se raccourcissent. Ce
changement de rythme induit
un changement dans
l’atmosphère de la scène : on
passe d’une beauté chaleureuse
à une sorte d’excitation.
« boire quelque chose » Expression typique de la Leurs actions reflètent avec
campagne réalisme les coutumes de la
campagne. L’hospitalité
typique de la campagne que
manifeste Emma dans son
accueil est transcrite dans
l’expression boire quelque
chose.
« elle insista » Insistance Le rire d’Emma reflète une
« lui offrit, en riant, de prendre Rire d’Emma excitation joyeuse, tranchant
un verre de liqueur avec elle » Action anodine avec la simplicité de l’action
Liqueur qu’elle propose. Son excitation
et son insistance pourraient
indiquer qu’elle cherche à
établir une complicité avec
Charles et l’usage de la liqueur
pourrait l’y aider.
« Elle alla donc chercher dans Enumération des gestes La focalisation de l’auteur sur
d’Emma les gestes d’Emma renforcent
l’armoire une bouteille de
le côté insignifiant et commun
curaçao, atteignit deux petits de la scène qui a lieu et met en
relief son excitation soudaine.
verres, emplit l’un jusqu’au
bord, versa à peine dans
l’autre, et, après avoir trinqué,
le porta à sa bouche. »
« emplit l’un jusqu’au bord, Verre de Charles remplis au Le fait qu’elle remplisse le
versa à peine dans l’autre, » bord verre de Charles jusqu’au bout,
Verre d’Emma à peine remplis et le sien à peine vient
renforcer l’idée qu’Emma veut
se rapprocher de Charles.
« elle se renversait pour boire ; Rythme qui ralentit La description d’Emma, qui
parait toujours passer par les
et, la tête en arrière, les lèvres
yeux de Charles vient ralentir
avancées, le cou tendu, elle le rythme de la phrase comme
s’il était ébahi par les attitudes
riait de ne rien sentir, tandis
gracieuses et attirantes
que le bout de sa langue, d’Emma.
passant entre ses dents fines,
léchait à petits coups le fond du
verre. »
« tête (…) lèvres (…) cou (…) Champ lexical du corps En effet les yeux de Charles
langue (…) dents » passent par toutes les parties de
son visage comme le montre le
champ lexical du corps.
« elle riait » Répétition du rire d’Emma Le rire répété d’Emma, point
Milieu de la phrase central de la phrase, semble
monter le ravissement de
Charles au paroxysme.
« elle se renversait (…) la tête Description sensuelle voir La position d’Emma a quelque
en arrière, les lèvres avancées, érotique chose de sensuel et
le cou tendu (…) le bout de sa l’attardement de Charles sur les
langue (…) léchait à petits lèvres et sa langue lui donne
coups le fond du verre » même un aspect érotique.
« entre ses dents » Rupture du romanesque de la Cette lascivité est interposée
« le fond du verre » description par des éléments communs et
Gestes communs et insignifiants, qui brisent le
insignifiants romanesque de la description.
Partie 3 :

Elle se rassit et elle reprit son L’atmosphère se calme et Emma retrouve son calme et sa
ouvrage Emma reprend son ouvrage concentration alors qu’elle se
remet à coudre. On peut voir
dans cette alternance de
sentiments une préfiguration de
son existence où s’alterneront
les moments d’exaltation et les
moments d’ennuis
« Elle ne parlait pas, Charles Les personnages se font à
non plus » nouveau face dans un silence
gêné. Le manque de
conversation permet à Charles
de retrouver son rôle
d’observateur attentif du début
de l’extrait.
« la porte (…) les dalles » Eléments de décor Les yeux de Charles vont
d’Emma à la salle les entourant
comme le montre la
réapparition des éléments de
décor dans sa description.
« il entendait seulement le Nom battement associé à la tête Charles se renferme dans sa
battement intérieur de sa tête » et nom au cœur. solitude. Sa timidité face à
Emma transparait dans le bruit
assourdissant des battements de
sa tête qui rompt le silence
pesant de la scène. Le nom
battement généralement est
associé au cœur et bien que ce
ne soit pas précisé ici, il laisse
imaginer que ce sont des
sentiments pour Emma qui
troublent à ce point Charles.
« avec le cri d’une poule, au Avec : adverbe plaçant la poule La tension ambiante est
loin, qui pondait dans les et Charles au même degré néanmoins brisée par l’incision
cours » d’importance du cri de la poule, qui prends
une place importante dans la
Incision d’un détail insignifiant description puisqu’elle est
brisant le romanesque entourée d’un très grand
nombre de précisions et de
détails, et qu’elle est liée par
l’adverbe avec aux battements
de Charles les plaçant au même
degré d’importance.
« Emma, de temps à autre, se Se refroidis les joues donc elle Les actions insignifiantes voir
rafraîchissait les joues en y rougis familières d’Emma la font
appliquant la paume de ses paraitre indifférente et distante
mains, qu’elle refroidissait bien que le fait qu’elle se
après cela sur la pomme de fer refroidisse régulièrement les
des grands chenets » joues indique que celles-ci sont
chaudes, rouges, et donc que la
jeune fille est probablement
gênée, ou tout du moins
troublée.
Conclusion :
Cette description est ponctuée d’aspects du réalisme flaubertiens, qui permettent à la fois de
créer une atmosphère et de révéler les personnages, mais donnent aussi à cette description une
perspective particulière : nous ne sommes pas dans le romanesque mais bien dans une campagne
réaliste, avec des poules et des champs. Le romancier éclaire pour les lecteurs les deux personnages
centraux du livre par des moyens sobres et simples : Charles semble timide et a se referme sur lui-
même prenant le rôle d’un observateur passif alors qu’Emma parait attirante, sensuelle du moins au
travers des yeux de Charles. Elle cherche néanmoins à établir un lien en lui offrant de la liqueur, ce qui
pourrait indiquer sa volonté de le connaitre et de se rapprocher de lui. Cette scène, en plus d’être
réaliste annonce l’amour naissant puisque les deux personnages sont successivement timides, excités
puis gênés. Elle laisse transparaitre le destin de ce couple qui comme le nom du roman l’indique,
aboutira en un mariage, mais un mariage malheureux puisque Charles restera en retrait face à une
Emma distante et désintéressée.

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