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N°123

Mars 2023
« On peut être poète dans tous les domaines : il suffit que l’on soit aventureux et que l’on aille à la
découverte. »

Guillaume Apollinaire
EDITO #123.

Force est de constater la surdité


des hommes. L’écrevissement des yeux. Les
paroles trop fortes qui couvrent les
étincelles. Force est de constater
l’arrivée du Printemps (des poètes) et un
peu d’espoir que les mots puissent
changer quelque chose à tout ça. Force
est de constater que le rythme
bimensuel est trop dur à tenir, empêche
d’autres projets et que, du coup, nous
allons ralentir. Pour le bonheur des
escargots. Force est de constater que
quoi qu’il arrive, il y aura toujours un
poème à lire, à entendre, à murmurer.

CLOTILDE >
MARIZIBILL >
L’anémone et l’ancolie
Dans la Haute-Rue à Cologne
Ont poussé dans le jardin
Elle allait et venait le soir
Où dort la mélancolie Offerte à tous en tout mignonne
Entre l’amour et le dédain Puis buvait lasse des trottoirs
Très tard dans les brasseries borgnes
Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera Elle se mettait sur la paille
Pour un maquereau roux et rose
Le soleil qui les rend sombres
C'était un juif il sentait l'ail
Avec elles disparaîtra Et l'avait venant de Formose
Les déités des eaux vives Tirée d'un bordel de Changaï
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives Je connais gens de toutes sortes
Ils n'égalent pas leurs destins
Cette belle ombre que tu veux
Indécis comme feuilles mortes
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913 Leurs yeux sont des feux mal éteints
Leurs cœurs bougent comme leurs portes.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours

La Chanson du mal-aimé >


LA BLANCHE NEIGE >

Les anges les anges dans le ciel


L’un est vêtu en officier
L’un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent
Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d’un beau soleil
D’un beau soleil
Le cuisinier plume les oies
Ah! tombe neige
Tombe et que n’ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

LA PORTE >

La porte de l’hôtel sourit terriblement


Qu’est-ce que cela peut me faire ô ma maman
D’être cet employé pour qui seul rien n’existe
Pi-mus couples allant dans la profonde eau triste
Anges frais débarqués à Marseille hier matin
J’entends mourir et remourir un chant lointain
Humble comme je suis qui ne suis rien qui vaille
Enfant je t’ai donné ce que j’avais travaille
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

CREPUSCULE >

À Mademoiselle Marie Laurencin.

Frôlée par les ombres des morts


Sur l’herbe où le jour s’exténue
L’arlequine s’est mise nue
Et dans l’étang mire son corps
Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l’on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D’astres pâles comme du lait
Sur les tréteaux l’arlequin blême
Salue d’abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs
Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales
L’aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d’un air triste
Grandir l’arlequin trismégiste
Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

GUILLAUME APOLLINAIRE >

INTERVIEW >

JOURNALISTE : Nous allons aujourd’hui interviewer Apollinaire sur 10 questions sur son vécu et
son receuil de poèmes nommées Alcools, commençons avec la première question, pouvez-vous
nous citer deux étapes importantes de votre vie ?

APOLLINAIRE : Mon premier succès avec Alcools en 1913 et ma nomination en tant que meilleur
artilleur de l’armée française en 1914.

JOURNALISTE : Deuxième question, pourquoi avez-vous choisi le titre Alcools ?

APOLLINAIRE : J’ai choisi ce titre car cela renvoie à l’ivresse poétique notamment et aussi au feu
car l’alcool réchauffe mais il brûle aussi.

JOURNALISTE : Troisième question, pourquoi avez-vous enlevé la ponctuation dans ce receuil ?

APOLLINAIRE : Pour moi, j’ai décidé de le supprimer car il faut suivre son propre rythme et il
faut penser au rythme de la lecture donc c’est le lecteur qui collabore à la chose, et le rythme des
vers donnent leurs propres découpages.

JOURNALISTE : Quatrième question, quelle image donnez-vous des femmes dans ce receuil ?

APOLLINAIRE : Je décris les femmes dans ce receuil comme parfois des femmes maléfiques mais
aussi la femme victime ou encore passive.

JOURNALISTE : Cinquième question, pourquoi avez-vous inventé le terme de surréalisme ?


APOLLINAIRE : J’ai inventé ce terme car mon écriture, ma conception de l’art et de l’existence est
spécial, j’ai donc marqué un tournant moderne dans l’art.

JOURNALISTE : Passons aux poèmes, le premier que j’ai sélectionné est Clotilde, pourquoi avoir
écrit ce poème ?

APOLLINAIRE : J’ai écrit ce poème car il évoque l’ombre de Marie Laurencin, j’y évoque un
jardin mélancolique que deux ombres éphémères hantent.

JOURNALISTE : Septième question avec comme poème Marizibill, que évoque le titre de ce
poème pour vous ?

APOLLINAIRE : Le titre de ce poème m’évoque que la ville est un prétexte à l’évocation de l’être
humain, dans sa versatilité en amour, mais également dans sa finitude.

JOURNALISTE : Huitième question qui portera sur La Blanche Neige, pourquoi ce nom à ce
poème ?

APOLLINAIRE : J’ai choisi comme nom La Blanche Neige car je l’ai écrit sur l’impériale de
l’omnibus qui l’emmenait au mariage de Salomon, c’est pourquoi il est placé juste avant Poème lu
au mariage d’André Salomon.

JOURNALISTE : Neuvième question avec le poème La Porte, pouvez-vous nous résumez ce


poème ?

APOLLINAIRE : Ce poème est un titre symbolique, il peut être soit réducteur ou polysémique, la
porte est ouverte sur l’enfance et la porte ouverte est donc la séparation entre hier et aujourd’hui.

JOURNALISTE : Dixième et dernière question, qui sera sur le poème Crépuscule, un commentaire
sur celui-ciEL
? DESDICHADO >

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,


Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
APOLLINAIRE : Ce poème est une fantaisie dans leMathématique
seule Etoiledu
estcirque
morte, –car il y l’univers
et mon du
luth constellé
cirque, il y a le lyrisme et l’amour donc l’érotisme,Porte
l’amour impossible
le Soleil noir de lamais aussi ma propre
Mélancolie.
souffrance
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?


Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
FEUILLETONS
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
L’ALCHIMISTE > Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gerard de Nerval, El Deschidado, Les Chimères, 1854
Rien encore ! - Et vainement ai-je feuilleté pendant
trois jours et trois nuits, aux blafardes lueurs
de la lampe, les livres hermétiques de Raymond-Lulle !

Non rien, si ce n'est avec le sifflement de la cornue


étincelante, les rires moqueurs d'un salamandre qui se
fait un jeu de troubler mes méditations.

Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe,


tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu
dans mon manteau.

Ou bien fourbit-il son armure, c'est alors la cendre


du fourneau qu'il soude sur les pages de mon formulaire
et sur l'encre de mon écritoire.

Et la cornue, toujours plus étincelante, siffle le


même air que le diable, quand Saint Eloy lui tenailla
le nez dans sa forge.

Mais rien encore ! - Et pendant trois autres jours et


trois autres nuits, je feuilletterai, aux blafardes
lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond-Lulle !
Aloysius Bertrand, L’Alchimiste, Gaspard de la nuit, 1842

(A SUIVRE)

RETROUVEZ CES POETES DE CE NUMERO EN LIBRAIRIE :

Guillaume Appolinaire, Alcools, 1913


Aloysius Bertrand, L’Alchimiste, 1842
Gerard de Nerval, El Dedichado, 1854

GUSTAVE n°124, Avril 2023, Publié par GUSTAVEMEDIA, Editeur : Stéphane Bataillon.
Couverture : Saint-Oma (www.saintoma.com) Relecture : Alexis Bernaut.
Fabriqué à Montreuil (93) N°ISNN : 2743-4524 Abonnement : www.gustavemagazine.com

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