Le Clown Relationnel ®

Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006

un art des soins relationnels

en (psycho)gériatrie
Reçu le 19/05/2005
Reçu dans la forme révisée
le 23/06/2006
Accepté le 26/06/2006

et en soins palliatifs
par Christian Moffarts (1)(2)

Le Clown Relationnel® est «une démarche de soins relationnels par la Mots-clés : éducation du
voie du clown», pratiquée par des soignants et autres accompagnants patient, soins relationnels,
en institution de soins. C’est la spécificité de la démarche, son centrage relation soignant-soigné,
sur les soins relationnels, qui a donné naissance à l’appellation «clown clown, clown relationnel, art,
relationnel». Le Clown Relationnel® se situe clairement dans le champ art-thérapie, personne âgée,
de l’art-thérapie : celui des soins relationnels à médiation artistique. maladie d’Alzheimer,
Depuis 1994, plus de 350 professionnels des soins et autres accompagnants souffrance des soignants,
(Belgique, France, Suisse, Luxembourg) se sont formés pour pratiquer communication non verbale,
le Clown Relationnel® : dans des hôpitaux (pédiatrie, gériatrie, soins palliatifs, Belgique.
psychogériatrie, soins palliatifs, psychiatrie), dans des institutions pour
personnes âgées et dans des établissements pour personnes différentes
(handicap, polyhandicap).
Cet article donne une présentation générale de la démarche Clown
Relationnel®, en privilégiant ses applications avec des personnes âgées,
en particulier celles qui sont dites démentes ou celles qui sont en fin de
vie

Vers une conception élargie formation riche d’apports concrets applicables

des soins
Les arts-thérapies, la présence de l’art dans les
soins rappellent que l’être humain n’est pas
réductible à une seule dimension, qu’il doit être
envisagé dans la globalité de ses dimensions
(biologiques, psychologiques, culturelles,
spirituelles...). De nombreux soignants ont
choisi leur métier pour la dimension
relationnelle des soins, animés par un souci de
l’autre [1]. Des soins de base et des soins
techniques de qualité ne suffisent toutefois pas :
l’être humain, âgé ou non, ne peut être réduit à
sa seule dimension bio-médicale.
Nécessité d’une conception élargie des soins.
Celle-ci peut être résumée très simplement :
pour mieux prendre soin de nos aînés ou des
personnes en fin de vie, il est indispensable de
mieux prendre soin des soignants. La
formation de base (et continue) au Clown
Relationnel ® , centrée sur le savoir-être
relationnel, conjugue ces deux dimensions :
- former aux soins relationnels. Nous
verrons en quoi et comment le Clown
Relationnel ® , avec ses médiations
corporelles et artistiques, ouvre une voie
originale pour les soins relationnels, une
avec ou sans nez de clown,
- prévenir les souffrances morales des
soignants. Leurs conséquences sont de
plus en plus lourdes et coûteuses, tant pour
les soignants que pour les institutions de
soins (gestion du personnel, ambiance des
équipes, réputation des services). Nous
envisagerons en quoi la formation peut
contribuer à les prévenir, à apprendre à les
gérer.
La personne âgée et le clown ?
Nos premières rencontres avec des personnes
âgées en hôpital en 1993, puis en maison de
retraite en 1994, nous ont beaucoup appris.
Avec les premiers soignants formés (pédiatrie,
oncologie, soins palliatifs), nous avons
constaté que, contrairement à une idée reçue,
cette pratique est encore plus facilement
acceptée par les plus âgés que par les jeunes
enfants. Avec la grande majorité des personnes
âgées, le contact est en général quasi immédiat
et les rencontres souvent très chaleureuses.
Pourquoi ? Deux premières hypothèses :
- le clown favorise la communication
affective, recherchée par beaucoup de
personnes âgées,
(1) Clown-thérapeute, créateur avec
Françoise Camus de la démarche
Clown Relationnel®
Institut du Clown Relationnel® et de
la Clown-Thérapie (ICRCT) - asbl
Art, Clown et Thérapie,
Avenue des Coteaux, 94
B-4030 Liège - Belgique
Tél. : ++32(0)4 344 00 23
Fax : ++32(0)4 344 90 93
Email : asbl.act_a@teledisnet.be
(2) Cet article est une version
remaniée et complétée d’un texte
paru dans les Actes du colloque
«Regards neufs sur l’accompagnement
de la personne âgée» (organisé par
l’association Cep’âge, à Louvain-
la-Neuve, le 9 mars 2004).
Les personnes intéressées par les
Actes de ce colloque peuvent
s’adresser à Cep’âge Wallonie
Bruxelles, rue du Chabut, 7 à B-
1320 Hamme-Mille - Belgique
(cepage@tiscali.be).
Education du Patient et Enjeux de
Santé, Vol. 24, n°2, 2006

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Bibliographie - le clown était à leur époque un art populaire, L’engagement dans des recherches diversifiées

Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006

souvent associé à des souvenirs heureux. (pratiques, théoriques, méthodologiques et
[1] DE HENNEZELLE M., Le souci En 1994, Jean Pétiniot, infirmier au Home St cliniques) a permis de dégager les fondements
de l’autre, Laffont, 2004, Livre de poche. Joseph de Membach (Belgique), s’est engagé (psychocorporels, ludiques, relationnels et
[2] MOFFARTS C. ET CAMUS F., dans un atelier de clown-thérapie. En rentrant symboliques) communs aux deux démarches.
«Heureux qui clownmunique avec dans son institution, il a pris l’initiative de mettre
des personnes dites démentes!», un nez rouge, et après s’être préparé pour être
Revue française de Psychiatrie et de Diversité des pratiques
en état clown, il tenta l’aventure avec une
Psychologie médicale, Septembre
patiente démente qui avait des réactions très «clown en institutions de soin»
1998, N° 20 (Actes du 3ème
Colloque Européen de violentes avec les soignants. Il eut l’heureuse
surprise d’être accueilli chaleureusement. Sous l’appellation «musique à l’hôpital et en
Gérontologie, «Psychothérapie des
démences : De la démence à Devenu directeur, il nous commanda, en 1995, institution de soins», on trouve une grande
l’humain», 8-9 juin 1998, Conseil la première formation de base au Clown diversité de pratiques : concert, atelier d’expres-
de l’Europe - Strasbourg). Relationnel ® entièrement centrée sur ses sion, animation au lit du malade, musico-
[3] MOFFARTS C., «Le clown applications en gériatrie et psychogériatrie. thérapie, etc. Chacune vise des objectifs variés
relationnel et la clown-thérapie : C’est dans le cadre de ce projet pilote que nous et exige des compétences spécifiques (création
une présence vulnérable qui vivrons, au fil des mois, de belles rencontres et artistique, pédagogie, soins relationnels, art-
gai-rit?!», Revue Art et Thérapie, certains accompagnements de personnes thérapie) qui recouvrent des métiers différents.
Paris, septembre 2003. Il en est de même pour les pratiques «clown en
dites «démentes» qui déboucheront sur des
.../... effets thérapeutiques parfois spectaculaires et institution de soins» qui ne permet pas de situer
souvent durables. la spécificité de ces pratiques si elles ne
précisent pas leurs objectifs et le champ
professionnel dans lequel elles s’inscrivent :
Parmi nos premières rencontres en 1995 avec des personnes dites démentes, nous évoquerons Champ du spectacle? Champ de l’animation?
le cas de Madame S., souffrant de la maladie de Pick. Madame S. était arrivée dans l’institution Champ des soins relationnels et de l’art-
trois mois auparavant. Son mari était décédé le mois précédent, peu après être entré avec elle thérapie?
dans la maison de retraite. Lorsque nous l’avons rencontrée pour la première fois «en civil»,
avant de la rencontrer «en état clown», nous avions été très touchés par son état de détresse
: Madame S. était mutique, les yeux grands ouverts, dans un état d’angoisse et de terreur tel Exigences professionnelles
qu’elle était incapable d’accepter le contact regard et de communiquer. Cet état autistique
durait depuis plusieurs semaines et les soignants ne savaient comment établir un contact avec du champ des soins relationnels
elle. Quand je me suis trouvé en clown à l’entrée de sa chambre, il m’est d’abord venu en pensée
: «avec elle, le contact ne sera pas possible». Dès que j’en ai pris conscience, j’ai suspendu Le Clown Relationnel ® est une démarche
cette interprétation . Et - oh surprise ! - elle, qui deux heures auparavant en était incapable, clairement située dans le champ des soins
elle accepta immédiatement un contact regard avec moi. Son front se plissa comme pour dire relationnels et de l’art-thérapie. Il respecte les
: «Qui c’est celui-là ?». Puis, son visage a commencé à se détendre et à s’ouvrir, s'ouvrir... exigences professionnelles propres à ce
vers une expression de béatitude. Elle me regardait comme si j’étais un ange. J’ai pris le temps champ, notamment :
d’avancer pas à pas, en restant présent et à l’écoute des yeux, car je ne savais comment elle - une pratique dont les fondements et la
pourrait réagir l’instant suivant. Mais elle gardait la même expression d’apaisement et de méthodologie sont le fruit d’élaborations
bonheur, comme si elle dégustait ma présence. Avec d’autres soignants clowns relationnels théoriques reliées aux questionnements
qui se sont joints à moi, nous avons partagé ce jour-là avec Madame S. une merveilleuse cliniques,
rencontre, pendant laquelle elle a même recommencé à prononcer quelques mots en réponse
- une formation de base consistante (33
à nos questions. Grâce aux accompagnements qui suivront, Madame S. ne replongera plus
jours étalés sur un an ou deux),
dans ses états de terreur. Notre présence contenante et la «magie» du clown avaient contribué
à lui redonner une confiance de base. A partir de ce moment-là, elle a pu commencer à trouver
- des formations continues (jours de rappel,
sa place dans le cantou de la maison de repos. Au cours des six années qui suivront nous aurons, séminaires théoriques, supervisions, etc.)
avec d’autres soignants, le bonheur renouvelé de l’accueillir et l’accompagner dans ses états - des recherches actualisées (méthodologie,
toujours plus régressifs mais plus dans ces états de détresse du début. La dernière fois que je repères théorico-cliniques, etc.) où s’enra-
l’ai rencontrée, c’était comme si ses yeux me «buvaient»; elle cherchait le contact avec la cinent les formations de base et continues,
bouche, comme un «nouveau-nez», puis elle est venue se blottir contre mon épaule de clown… - des ateliers de travail sur soi (ateliers de
clown-thérapie) qui ont les mêmes fondements
que ceux du Clown Relationnel ® . La
complémentarité des deux démarches permet
Création du Clown Relationnel® à chacun de se donner, selon son niveau
d’exigence et ses possibilités, un itinéraire
La création du Clown Relationnel® est le fruit de de formation / transformation qui respecte
la rencontre d’un clown-thérapeute, licencié en et articule les dimensions personnelles et
théâtre et communication, et d’une infirmière professionnelles à conjuguer dans toute
.../... hospitalière et sociale, passionnée par les formation aux soins relationnels.
soins relationnels. Nous avons été amenés à
[4] E.GOFFMAN, Les rites créer deux démarches d’art-thérapie : le Clown Charte du Clown Relationnel®
d’interaction, Ed. Minuit, 1974 et Relationnel® et les ateliers de clown-thérapie.
J.T.MAERTENS, Ritologiques I,
Ces créations trouvent leur origine dans des Au sein de l’Institut du Clown Relationnel® et de
Aubier, 1978.
rencontres avec des enfants autistes (1978) et la Clown-Thérapie (ICRCT), un Conseil de la
[5] CUISINIER B., Accroître le soin des enfants hospitalisés (1984). Envisager et Charte du Clown Relationnel® a été institué en
relationnel, avec des personnes
pratiquer le clown dans le champ de l’art- 2002. Il est composé des créateurs de la
désignées séniles - type Alzheimer.
Le travail du vieillir, Chronique thérapie nous a obligés à nous poser des démarche ainsi que de médecins, infirmières,
Sociale, Lyon, 2002. questions inédites par rapport à ce qui est directeurs de maisons de repos et responsables
enseigné dans les champs du spectacle et de de soins palliatifs qui pratiquent le Clown
.../... l’animation : tout était à repenser ! Relationnel ®. Ses missions sont triples :

52
 - élaborer une Charte qui donne des repères
Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006
clairs pour définir le concept, ses spécificités,
ses fondements et les exigences qui en
rendent possible la pratique et la transmission,
- défendre le Clown Relationnel ® et ses
exigences,
- intervenir en cas d’abus de compétences
et de non-respect de la Charte.
Des soins vivifiants
Les soins relationnels sont définis dans la
Charte du Clown Relationnel ® comme «des
soins vivifiants qui visent à soutenir le vivant
dans toutes ses vicissitudes». Nous dévelop-
perons plus loin ce soutien du «vivant dans
toutes ses vicissitudes». Envisageons tout
d’abord la dimension «soins vivifiants».
Le mot «vieillissement» inclut - il est souvent utile
de le rappeler - celui de «vie». Oui, la vie continue
au grand âge : avec ses deuils et ses pertes,
ses joies et ses états de détresse, ses besoins
et ses tâches spécifiques. La pratique du Clown
Relationnel ® nous a fait découvrir, à de
nombreuses reprises, combien les résidents et
les personnnes en fin de vie, par-delà leur
détresse, restent souvent disponibles pour la
joie, le rire et le sourire.
La démarche favorise l’alliance thérapeutique
avec les parts vives des patients / résidents. La
rencontre avec les soignants-clowns leur
(re)donne «en-vie» : envie de marcher (pour
ceux qui refusent les soins de kinésithérapie par
exemple), de danser et de chanter, envie de se
raconter et de partager… Envie de vivre !
Médiation artistique et
communication non verbale
Le Clown Relationnel ® est une démarche de
soin à médiations corporelle et artistique. Au
niveau du savoir-être, les fondements corporels
de la démarche ouvrent à un art de la relation
et de la communication non verbale dans les
soins. Ceci est particulièrement important pour
rencontrer et accompagner des personnes dites
démentes [2] ou en fin de vie.
Les dimensions non verbales de la commu-
nication et de la relation sont subtiles et
complexes. Elles passent notamment par :
- l’engagement corporel dans la rencontre
(de visage à visage, en contact regard
sensible...),
- certaines qualités d’être et de présence
sensible (présence contenante paisible et
apaisante, présence vulnérable [3], présence
ludique...).
La formation au Clown Relationnel® donne des
repères très concrets de savoir-être au niveau
des fondements corporels et préverbaux de
la relation : posture corporelle et langage du
corps, ton de la voix qui accompagne, «écoute»
avec les yeux, empathie au niveau non verbal de
la communication...
Fondements psychocorporels,
ludiques et relationnels
Les premières recherches pour créer la
démarche (à partir de 1978) ont été centrées sur
l’identification des fondements psycho-
corporels, ludiques et relationnels du Clown
Relationnel ® et leur théorisation. Citons-en
quelques-uns : la présence contenante,
enracinée dans la posture de base de l’Auguste,
l’ici et maintenant, l’empathie corporelle et
ludique, l’état de jeu dans la relation, etc.
Comme en témoignent les soignants formés,
chacun de ces fondements peuvent s’appliquer
dans le quotidien des soins avec ou sans nez
de clown.
Qu’ajoute le nez de clown ? Lorsque les
fondements qui viennent d’être évoqués sont
intégrés par le soignant avec le nez rouge, leurs
effets peuvent être amplifiés, différents,
surprenants. Comme ils sont liés à l’efficacité
symbolique du clown dans les soins, nous
avons poursuivi des recherches sur les
dimensions et fondements symboliques du
Clown Relationnel®. Evoquons-en quelques-uns.
Fondements symboliques
Si un soignant pénètre dans une chambre en
tablier blanc ou en état de clown, c’est
évidemment très différent pour le patient... et pour
le soignant.
Dans l’univers très codifié et ritualisé des
institutions de soin, le Clown Relationnel ® peut
être envisagé comme un contre-rite [4]
favorisant d’autres types de rencontres psycho-
sociales, d’autres possibles dans les relations
soignants-soignés.
.../...
[6] Nos recherches en 2005-2006
(transmises pour une part dans les
séminaires de l’ICRCT), ont porté
sur le noyau archaïque de l’être
humain, les possibilités
d’accompagner de manière ajustée
les états de dépendance psychique
chez les personnes âgées (en
particulier chez des personnes dites
démentes) ou en fin de vie, les
stades de la dépendance
(Winnicott), les conditions
d’environnement dans lesquelles ce
qui est acquis peut être perdu et ce
qui a été perdu peut, parfois, être
retrouvé.
[7] ZELLER A., A l’épreuve de la
vieillesse, Desclée de Brouwer,
Psychologie, 2003.
[8] MOFFARTS C., «Un art de
l’improvisation dans les soins
relationnels et la relation
thérapeutique : le Clown
Relationnel® et la clown-thérapie»
et CAMUS F., Heureux qui
clownmunique et improvise dans la
relation avec des sujets âgés
déments, 7èmes Journées d’Etudes de
l’Association Régionale d’Art-
Thérapie Nord Pas de Calais :
L’improvisation en art-thérapie,
Lille, novembre 2003, Actes parus
dans la Revue Art et Psyché, 2004; 6.
[9] «Clown vivant pour des soins
vivifiants» : c’était le thème des
diverses formations continues
données à l’ICRCT en 2006.
.../...
53
.../...
[10] DOLTO F., «Il y a une
éthique, quand nous travaillons,
qui est d’essayer de savoir ce que
nous faisons, dans la mesure où
nous sommes conscients. Ma
théorie m’a aidé parce que si je
n’avais pas cherché une théorie,
j’aurais peut-être fait n’importe
quoi !», Les images, les mots, le
corps (entretiens avec
J.P.WINTER), Gallimard, 2002.
[11] MERCADIER C., Le travail
émotionnel des soignants à
l’hôpital. Le corps au coeur de
l’interaction soignant-soigné,
SeliArslan, Paris 2002.
[12] VEGA A., Une ethnologue à
l’hôpital. L’ambiguïté du quotidien
infirmier, Ed. des archives
contemporaines, Une pensée
d’avance, Paris 2000.
Références bibliographiques
Une quinzaine d’articles publiés
(1995-2005) dans les revues
professionnelles et actes de congrès
en Europe francophone. Parmi les
articles non cités dans les notes :
- MOFFARTS C., CAMUS F.,
«Heureux qui clownmunique!
Former des professionnels et des
équipes de pédiatrie au clown
relationnel».
- FRANCOTTE N., «Les Globules
Rouges. Le clown relationnel
pratiqué par les équipes soignantes
du Centre Hospitalier St Joseph-
Espérance».
Bulletin d’Education du Patient à
sa maladie, 1995; 2-3: pp. 25-29.
(ces deux articles sont parus dans
un dossier spécial du B.E.P. centré
sur l’humanisation du séjour de
l’enfant hospitalisé en
Communauté française de
Belgique).
- MOFFARTS C., «Des soignants
pratiquant le «clown relationnel»,
des comédiens (clini)clowns : des
pratiques différentes», Actes du
Colloque «Rire et sourire à
l’hôpital» organisé par
l’Association contre le Cancer -
Bruxelles - 28 octobre 1995.
- MOFFARTS C., CAMUS F., «Le
clown relationnel pratiqué par des
soignants en pédiatrie. Pour une
respiration dans les relations soi-
nié soi-niant», Actes du Séminaire
«Culture et enfant à l’hôpital»,
organisé par la Communauté
française en 1995-1996, Cahiers
DAJEB n° 27, Bruxelles,
Communauté française, septembre
1996. (Actes du Séminaire «Culture
et enfant à l’hôpital» organisé par
la Communauté française de
Belgique en 1995-1996).
.../...
54
L’efficacité symbolique spécifique au clown
favorise la joie et l’émerveillement, des
moments ludiques voire festifs spontanés entre
des soignants, des patients et leurs proches,
la dédramatisation par le jeu et l’humour...
Le nez cadre la relation pour d’autres
possibles : «vous au moins vous n’êtes pas
venus pour me faire mal», nous disait une
patiente en soins palliatifs, ayant un cancer des
os au stade terminal. Puis, dans le pas à pas
de la rencontre-accompagnement, tout son
corps tout d’abord crispé s’est peu à peu
détendu, il s’est détendu jusqu’à ce qu’elle
commence à danser (en restant couchée) reliée
par les mains avec deux soignants clowns
relationnels.
La dimension d’animation dans
les soins
Le Clown Relationnel ® peut agir de manière
sensible et profonde sur l’humeur des
personnes et sur l’ambiance des services. Des
résidents habituellement tristes ou agressifs
peuvent se mettre à rire ou à sourire, à
s’émerveiller ou à danser. La qualité de
l’ambiance dans les services est également très
différente pendant et dans le prolongement de
la «visite» des soignants clowns. Ces moments
de joie et de plaisir partagés sont des moments
de bonheur, souvent réparateurs tant pour les
résidents que pour les soignants. Ces
«rencontres» sont vécues comme un événement
qui laisse des traces dans les mémoires.
Le mot «animation» peut avoir plusieurs niveaux
de sens. Le plus fréquent concerne l’animation
de groupe le plus souvent dans une perspective
occupationnelle ou distractive. L’étymologie
nous donne un autre niveau de sens plus centré
sur la personne : (re)donner de l’âme. La
psychologue B. CUISINIER, auteur d’un très
beau livre sur «le soin relationnel avec des
personnes désignées séniles - type Alzheimer»
[5] considère que l’animation au sens de
«redonner du souffle» est «un élément de la
démarche de soin». Pour ce niveau d’animation
thérapeutique, il faut respecter des exigences
(développées plus loin) qui peuvent permettre
de redonner du souffle à des personnes qui
apparaissent comme éteintes, «déconnectées»...
Souffrances morales
et états de détresse
Mais les soins relationnels ne se limitent pas à
redonner du souffle ou à susciter ces moments
agréables. Leur vocation première est de
prévenir et d’accompagner les souffrances
morales des patients ou résidents, qui
s’expriment sous des formes et symptômes
divers : tristesse et état dépressif, refus de
nourriture ou de soin, attitude de rejet ou
comportement agressif à l’égard des soignants...
Certains patients, surtout ceux en situation de
(grande) dépendance psychique, peuvent vivre
des états de détresse qui se manifestent par
Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006
d’autres symptômes : mutisme, repli autistique,
gémissements lancinants, états «déconnectés».
Les soignants sont, le plus souvent très
démunis, pour entrer en relation et accom-
pagner ces personnes. En 2005-2006, plusieurs
de nos recherches théorico-cliniques et
méthodologiques [6] se sont centrées sur les
accompagnements de ces états de détresse.
Elles feront l’objet d’un prochain article en
préparation.
Une des exigences de la pratique du Clown
Relationnel ® est de choisir de donner priorité
aux résidents qui sont le plus en détresse ou
qui présentent le plus de difficultés relation-
nelles, ceux avec lesquels les soignants se
sentent en impasse dans le quotidien. Ces
personnes reçoivent des temps d’accompa-
gnements approfondis; les rencontres peuvent
durer une trentaine de minutes (ou plus) et se
poursuivre au fil des semaines, dans un
ajustement constant aux processus singuliers
de chacun.
Les trois dimensions principales
des soins relationnels
Il ne faut pas confondre «relationnel» et «soins
relationnels». L’être humain est presque
toujours en relation, commerciales, amoureuses,
amicales, etc.
La spécificité des soins relationnels est dans
ses objectifs (prévenir et accompagner les
souffrances morales des patients et résidents)
ainsi que dans le questionnement clinique lié à
la pratique. Ils peuvent être synthétisés par trois
verbes :
- entrer en contact par une approche en
douceur : le Clown Relationnel® peut ouvrir
à un art du contact, en particulier avec des
personnes mutiques ou en retrait autistique
ainsi qu’avec celles dont les possibilités de
communication et de relation sont altérées,
modifiées ou différentes, en raison de l’âge,
de la maladie ou du handicap,
- accueillir dans l’ici et maintenant la
singularité des vécus et des états de souf-
frances des aînés (anxiété, angoisse,
tristesse, peur et désir de mourir, rage et
colère, perte et deuil, détresse, retour des
mémoires, etc.),
- accompagner les différents vécus en vue d’un
apaisement et d’autres effets thérapeutiques.
L’empathie corporelle et ludique
Pour ces trois étapes, la voie du Clown
Relationnel® donne des repères pour s’engager
dans un type d’empathie qui lui est spécifique.
Nous l’avons baptisée «empathie corporelle et
ludique» car elle privilégie le langage du corps
et la communication non verbale ainsi que l’état
du jeu dans la relation. Cette empathie sensible
s’enracine dans la posture psycho-corporelle de
base du Clown Relationnel®, dans une qualité
de présence sensible, de présence contenante
 paisible et apaisante, prête à accueillir et pourquoi le travail sur soi et les formations .../...
Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006

accompagner des émotions et des états de
détresse.
Au grand âge, en fin de vie ou dans la démence,
certaines personnes sont confrontées aux
«retours des mémoires, de l’enfance, de
l’archaïque» [7]. D’autres passent par des états
de grande détresse, des états chaotiques. Il est
essentiel que des soignants puissent déve-
lopper ces qualités de présence et ces
capacités d’empathie sensible dans le non-
verbal pour mieux respecter ces patients : pour
permettre, dans ces moments ultimes, à ce qui
va surgir de mémoires oubliées ou de conflits
restés sans solution, de pouvoir peut-être se
pacifier ou se transformer.
Ouvertures sur les surprises
de la rencontre
Les soins relationnels sont très différents des
soins techniques. Le savoir-faire ne suffit pas,
il n’y a pas de recette car chaque être est
différent, chaque situation est unique. Ce qui est
passionnant dans les soins relationnels, c’est
qu’ils sont une invitation à s’ouvrir à l’infinie
diversité des êtres, et donc, à se rendre
disponible, d’instant en instant, aux surprises
de la rencontre.
Les fondements ludiques du Clown Relationnel®
sont essentiels dans les soins relationnels en
particulier pour avoir et garder du jeu dans la
rencontre de situations cliniques difficiles.[8]
Après avoir identifié les fondements du Clown
Relationnel®, nous les avons mis en oeuvre lors
de rencontres thérapeutiques. Parfois, nous
avions le sentiment d’être en «état de grâce»
dans l’accueil et l’accompagnement de la
singularité de chacun. Parfois seulement !
Pourquoi ? De nouveaux questionnements
apparurent, notamment : Qu’est-ce qui dépend
de nous pour favoriser cette qualité d’être en
Clown Relationnel® ? Quels obstacles identifier
et comment y remédier ?
continues sont des exigences professionnelles
essentielles qui caractérisent le champ des
formations aux soins relationnels.
Depuis 1997, les formations continues de
l’ICRCT se sont diversifiées : séminaires
théoriques à thèmes, ateliers intensifs à thème,
supervision... Ces formations continues visent
à soutenir :
- l’approfondissement et le renouvellement
de la pratique de chacun sur les plans
pratique, théorique, méthodologique et
clinique. Cette exigence professionnelle est
essentielle contre la perte de sens et la
pratique routinière dans les soins relationnels.
Si un violoniste doit toujours continuer à
approfondir la maîtrise de son instrument,
qu’en est-il pour une personne engagée
dans un art des soins relationnels ? Car ici,
«l’instrument» c’est nous-mêmes : et c’est
du niveau de qualité relative de notre pratique
que dépendent les patients ou résidents;
- la formation continue des animateurs
d’équipes Clown Relationnel®. Pour qu’ils
puissent développer leurs capacités à
animer des préparations «sur mesure» et
soutenir les questionnements (cliniques et
méthodologiques) lors de l’étape d’évaluation.
Les étapes de préparation
avant les rencontres-
accompagnements
Qu’est-ce qui dépend de nous pour favoriser
cette qualité d’être et de présence en Clown
Relationnel® ? Les étapes de préparation avant
les rencontres sont une autre exigence.
Les acteurs de soins engagés dans cette
démarche ont constaté que la qualité relative de
- MOFFARTS C., «Le clown
relationnel : Heureux qui
clownmunique avec des personnes
différentes» article paru dans la
Revue Paradoxes n° 169, Bruxelles,
FISAJ, décembre 1997 (revue
professionnelle dans le domaine du
handicap mental).
- CAMUS F., «Le clown
relationnel : Prendre soin des
soignants / prendre soin des
patients», Actes du Congrès
«Humanisation des soins», Palais
des Congrès de Liège, 1998.
- MOFFARTS C., CAMUS F.,
«Heureux qui clownmunique avec
des personnes âgées! Le clown
relationnel», in : SUDRES J.L.,
ROUX G. , LAHARIE M. et DE LA
FOURNIÈRE F. (sous la direction
de), La personne âgée en art-
thérapie. De l’expression au lien
social, L’Harmattan, Psychanalyse
et civilisations, 2004.
- MOFFARTS C., «Les surprises de
la rencontre : le Clown
Relationnel®», Revue Culture
Clown, 2004; 7.

Nécessité du travail sur soi et

des formations continues
Certains obstacles (freins, fermetures,
inhibitions) existent en chacun de nous,
singuliers. Ils peuvent être identifiés en
s’appuyant notamment sur certains fondements
du Clown Relationnel® et de la clown-thérapie.
La prise de conscience de ces obstacles est le
chemin le plus court pour laisser fleurir nos
capacités d’empathie sensible. Des possibilités
de transformation personnelle et profes-
sionnelle existent en chacun de nous, qui
peuvent s’éveiller pendant la formation de base
et s’approfondir dans les ateliers de clown-
thérapie : identifier et élargir nos fermetures
relatives, transformer nos blessures en empathie
sensible, devenir paisible et apaisant avec les
émotions et les souffrances de l’autre. C’est

55

Atelier
«Découverte du
Clown Relationnel®»
du 17 au 20 octobre 2006
ou
du 22 au 25 mai 2007
(4 jours d’introduction pratique
et théorique)
Formation de base
du Clown Relationnel®
(33 jours)
Initiations aux fondements
du 22 au 26 janvier et du
29 janvier au 2 février 2007
Vers la pratique du Clown
Relationnel®
du 16 au 20 avril et
du 23 au 27 avril 2007
Pratique supervisée sur
le terrain + évaluation
entre mai 2007
et janvier 2008
Ateliers de
clown-thérapie
«Se dé-couvrir
par la voie du clown»
du 19 août (soir)
au 26 août 2006 (14h)
Belgique
du 28 octobre (soir)
au 4 novembre 2006 (14h)
à Liège (Belgique)
du 9 avril (soir)
au 15 avril 2007 (14h)
en Drôme (France)
Institut du Clown
Relationnel® et de
la Clown-Thérapie (ICRCT)
(asbl Art, Clown & Thérapie)
94, avenue des Coteaux
B-4030 Liège - Belgique
Tél : 0032 (0)4 344 00 23
Fax : 0032 (0)4 344 90 93
Email :
asbl.act_a@teledisnet.be
56
leurs accompagnements (et de leurs éventuels
effets thérapeutiques) dépend principalement
de la qualité de leur préparation.
Les diverses étapes préparatoires sont basées
sur des repères méthologiques et principes bien
établis, enracinés dans les fondements du Clown
Relationnel®. Rappelons qu’une des étapes est
centrée sur le questionnement clinique à propos
des personnes à rencontrer en priorité.
L’animateur d’une équipe de clowns relationnels
doit chaque fois concevoir une préparation sur
mesure qui tienne compte des obstacles et des
potentialités : chez chaque clown relationnel et
dans la dynamique de l’équipe, dans le contexte
institutionnel, chez les personnnes à rencontrer.
Il s’agit donc bien d’une méthodologie et non d’une
méthode à appliquer de manière répétitive. Cette
préparation qualitative sur mesure vise à créer
des conditions favorables pour «être des clowns
vivants pour des soins vivifiants» [9], disponible
aux surprises de la rencontre pour accueillir et
accompagner les patients vers de possibles
apaisements et autres effets thérapeutiques.
Questionnements cliniques
Pas de soins relationnels sans question-
nements cliniques. Ceux-ci sont essentiels à
chacune des étapes de la pratique (avant,
pendant et après). Sans ces questionnements,
la pratique pourrait ne pas respecter les patients
ou se réduire à quelques effets d’animation et
s’appauvrir. L’approfondissement de ces question-
nements à propos d’un même patient est
particulièrement important dans les accompa-
gnements qui se poursuivent dans la durée. Ce
questionnement clinique doit concilier plusieurs
exigences :
- respecter et s’ouvrir à l’inconnu, au singulier
de chaque patient (nous sommes à l’école
du patient),
- prendre appui sur des repères théorico-
cliniques (théories existantes et repères
spécifiques à notre démarche), l’intuition ne
suffit pas,
- s’engager dans des supervisions spécifiques
à la démarche pour prendre conscience de
nos ouvertures et fermetures relatives face
à certaines situations,
- continuer à se former et se questionner sur
le plan théorico-clinique pour «essayer de
savoir ce que nous faisons», ne pas faire
«n’importe quoi» (F.Dolto) [10].
Travail émotionnel
et souffrance morales
des soignants
Être confronté quotidiennement aux douleurs
physiques et morales, à la maladie, aux
deuils, au vieillissement, à la fin de vie, à la
Education du Patient et Enjeux de Santé, Vol. 24, n°2, 2006
mort «met au travail» sur le plan émotionnel.
Comme le démontrent des études et
doctorats récents sur les soins infirmiers, le
travail émotionnel [1,11,12] appartient à la
face cachée du travail en institution de soin. Il
est pourtant indispensable au bon
déroulement des soins. Contrairement à une
idée reçue, il n’est pas possible, et même
néfaste pour les patients et les soignants, de
«laisser ses sentiments au vestiaire». L’oubli
de soi est très fréquent chez les «soi-niants».
Cette non-conscience de soi se traduit en
stress, burn-out, épuisement, maladies psycho-
somatiques, dépression, démotivation. Ces
souffrances morales résultent de l’impact
émotionnel sur le soignant de la rencontre avec
le corps malade ou vieillissant, avec les états
de détresse et les réactions parfois violentes
des résidents. Les conséquences concrètes
pour tous ceux qui gèrent les institutions de soin
commencent à être bien connues : difficulté de
gestion des équipes et de recrutement du
personnel, soignants qui quittent l’institution ou
la profession.
Prévenir, gérer, digérer
Se former est probablement le moyen principal
(et le moins cher) pour apprendre à prévenir
les souffrances morales liées au travail émo-
tionnel dans les soins. A condition que ces
formations soient centrées sur le savoir-être
relationnel et l’implication émotionnelle dans
les soins.
Les divers fondements du Clown Relationnel ®
et des ateliers de clown-thérapie donnent des
repères concrets pour :
- développer une meilleure conscience et
connaissance de soi au niveau du savoir-
être relationnel,
- pour apprendre à gérer son implication
corporelle et émotionnelle, en particulier au
niveau de la communication non verbale,
- trouver une proximité et une distance plus
justes dans la rencontre avec la souffrance
des patients et de leurs proches.
Il n’est cependant pas toujours possible de
gérer dans l’immédiat certaines douleurs ou
deuils. Il est dans ce cas nécessaire de prendre
le temps de «di-gérer» le trop-plein d’émotions
si on veut éviter la perte de motivation et
l’épuisement professionnel. Les ateliers de
clown-thérapie sont des lieux privilégiés pour
tous soignants (pas seulement pour les clowns
relationnels déjà formés) : pour celles et ceux
qui souhaitent se ressourcer et mieux se
connaître, qui désirent (re)trouver de la distance
en jouant avec ce qui les joue (parfois à
répétition), qui choisissent de prendre soin d’eux
par cette voie ludique et vivifiante.