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Le réel inquiété
Author(s): Myriam Revault d’Allonnes and Jonathan Chalier
Source: Esprit , Décembre 2018, No. 450 (Décembre 2018), pp. 38-45
Published by: Editions Esprit
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1 - Myriam Revault d’Allonnes, La Faiblesse du vrai. Ce que la post-vérité fait à notre monde commun,
Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2018.
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Le réel inquiété
soient nourris les débats d’idées : les opinions ne sont légitimes que si elles
s’appuient sur des vérités factuelles. Hannah Arendt souligne avec force
que « la liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie
et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat 2 ».
Certes, les faits « purs » n’existent pas, ils ne peuvent être qu’interprétés,
extraits d’un désordre, d’une sorte de chaos afin d’être mis en sens, orga-
nisés en un récit. C’est ce que voulait signifier Nietzsche en écrivant qu’il
n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations. Que les vérités de fait
soient – ce qui peut paraître surprenant – éminemment vulnérables, nous
l’avons déjà constaté avec les régimes totalitaires. Nous sommes désormais
familiers des pratiques qui consistaient à effacer, au fur et à mesure, des
livres d’histoire les noms des dirigeants éliminés ou à retoucher les photos
pour faire disparaître ceux qui étaient devenus indésirables.
2 - Hannah Arendt, « Vérité et politique » [1967], dans La Crise de la culture. Huit exercices de pensée
politique, traduit de l’anglais sous la dir. de Patrick Lévy, Paris, Gallimard, 1972, p. 303.
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Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes
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Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes
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Le réel inquiété
Vous rappelez, en vous appuyant sur les analyses de Ricœur, que l’ima-
gination artistique et politique « détruit le monde » pour faire une
nouvelle « proposition de monde ». En ce sens, le mensonge témoigne
de notre liberté. Comment peut-on ouvrir des possibles sans retomber
dans la négation de la réalité ?
Il faut repartir de cette surprenante proposition de Hannah Arendt
qui relève la proximité entre l’aptitude à mentir, à nier délibérément la
réalité, et la capacité d’agir qui permet de transformer le monde. Toutes
deux procèdent de l’imagination et de l’exercice d’une liberté suscep-
tible d’introduire de l’inédit et de l’imprévisible. Le menteur tire parti de
cette affinité et passe insidieusement de la transformation du réel à sa
falsification. Ce faisant, il détourne ou dénature cette faculté humaine
inaugurale qu’est la liberté et qui nous permet de nous écarter par la
pensée de ce qui nous entoure, d’imaginer que les choses peuvent être
autres qu’elles ne sont…
Aragon, faisant du « mentir-vrai » le propre du processus de narration,
voulait signifier que la fiction est susceptible de porter une « vérité » plus
proche du réel que son simple redoublement. Parce qu’elle va au-delà de
l’évidence du monde qui nous est donné, elle permet d’imaginer d’autres
(ou de nouvelles) manières d’habiter le monde. On peut le dire autrement :
la capacité à se distancier de la référence première, littérale, au réel permet
de requalifier celui-ci et de l’enrichir en libérant une fonction de décou-
verte. C’est en ce sens que Ricœur accorde à la littérature le pouvoir de
« détruire le monde » pour rejoindre une autre « proposition de monde », un
monde que nous pouvons habiter en y projetant nos possibles. Il peut alors
parler de « vérité à faire », si paradoxal que cela puisse paraître au regard des
conceptions classiques de la vérité-vérification, comme adéquation de la
chose et de l’esprit (adaequatio rei et intellectus) garantie par la réalité de l’objet.
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Entretien avec Myriam Revault d’Allonnes
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