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"Les compétences comparées de l'autorité fédérale, de la

Région et de la commune dans la lutte contre l'insalubrité"

Bernard, Nicolas

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Bernard, Nicolas. Les compétences comparées de l'autorité fédérale, de la Région et de la commune dans
la lutte contre l'insalubrité. In: sous la direction de Nicolas Bernard et Charles Mertens, Le logement dans
sa multidimensionnalité : une grande cause régionale, Publications de la Région wallonne  : Namur 2005,
p. 180-205 http://hdl.handle.net/2078.3/153375

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IV.
LUTTER CONTRE
L’INSALUBRITÉ

1
RÉSUMÉ : Si elles ne veulent pas voir leurs actions censurées respectivement par le
Conseil d'État et la Cour d'arbitrage, les autorités administratives et législatives doivent
observer scrupuleusement les règles répartitrices de compétence, particulièrement
complexes dans le domaine de la salubrité de l'habitat. Jouissant d'une compétence de
principe en matière de logement, la Région est autorisée à renforcer les critères de
qualité imposés par l'autorité fédérale dans le cadre de sa compétence spécifique en
matière de la location. Le permis wallon de location lui-même, subordonnant
l'introduction d'un bien sur le marché locatif à l'obtention préalable d'un brevet de
qualité, est considéré comme n'empiétant pas sur la compétence du législateur fédéral
relative au bail de résidence principale. Animée, quant à elle, par des motivations
touchant à la santé publique, la commune doit décliner son action en matière de salubrité
autour de critères hygiéniques. Ce qui lui donne licence de rehausser le niveau des règles
régionales de qualité, à la condition toutefois de rester dans son champ de compétence.
Quelle qu'elle soit, l'autorité qui procède à une expulsion pour cause d'insalubrité doit
s'assurer au préalable de l'existence de solutions de relogement, sans être elle-même
tenue de fournir l'habitation de remplacement.

COMPÉTENCES COMPARÉES DE L'AUTORITÉ


FÉDÉRALE, DE LA RÉGION ET DE LA COMMUNE
DANS LA LUTTE CONTRE L'INSALUBRITÉ

Nicolas BERNARD
assistant aux Facultés universitaires Saint-Louis

1. Enjeu de la question

a) Le problème de l'insalubrité comme amplificateur de précarité matérielle

La question de l'insalubrité revêt une importance cardinale dans la problématique de l'habiter.


Le mauvais état d'une habitation entraîne, en effet, des répercussions à de multiples niveaux.
"L'habitation insalubre est celle dont l'occupation risque de provoquer des maladies
contagieuses ou d'en favoriser la propagation", observe par exemple la section
d'administration du Conseil d'État, "celle qui, étant un foyer d'infection ou ne répondant plus
à ce qui est considéré comme étant aujourd'hui le strict minimum en matière d'hygiène,
menace non seulement la santé d'éventuels occupants mais aussi la santé publique en
général"1. Mais n'est pas ici seule en péril la santé physique des occupants (intoxications —
souvent fatales — au CO, allergies provoquées par les problèmes d'humidité, saturnisme,
etc.)2. Est également affectée, dans un bien disqualifié, la santé psychique (dépression,

1 C.E. (XIII), 21 février 2002, Dejardin, n°103.845, Échos log., 2002, p. 154.
2 En France, des victimes de saturnisme ont récemment été dédommagées par l'État. Le plus intéressant dans
l'affaire, au-delà du principe — novateur — de réparation, réside dans le fait que ces ménages empoisonnés
n'habitaient pas des logements appartenant à l'État, mais des logements privés. Ce qui n'a pas empêché la
Commission d'indemnisation des victimes d'infractions pénales (CIVI) de sanctionner la Ville de Paris pour être
restée en défaut de trouver un relogement malgré sa parfaite connaissance de l'état de toxicité du logement. Voy.
Le Monde, 27 juillet 2002.

2
claustrophobie, oppression mentale)3. Par-delà les problèmes sanitaires, l'insalubrité d'un
logement occasionne également des coûts sociaux très élevés : violences familiales liées à
l'exiguïté des lieux, absentéisme à l'école ou au travail, enfants à la rue, pertes d'emploi,
divorces, hospitalisations ou encore surendettement. La dégradation du lieu de vie introduit
un élément puissamment déstabilisateur dans le noyau familial. Enfin, le mauvais état du bien
fait peser la menace permanente du placement d'enfants et de l'expulsion sur les locataires,
empêchant ceux-ci de trouver dans leur logement la plate-forme de stabilité nécessaire pour
recouvrer confiance et dignité. L'insalubrité d'un logement représente donc la pointe émergée
d'une situation sociale largement compromise4.

On le voit, les problèmes d'insalubrité fonctionnent comme des "amplificateurs de pauvreté"5.


Mais ils ne se contentent pas d'accentuer les difficultés matérielles préexistantes des
occupants. Ils les suscitent également. Souvent, une difficulté sérieuse liée au logement,
comme l'éviction d'une habitation dégradée, suffit à amorcer la spirale négative de l'exclusion
sociale. En somme, le mal-logement apparaît à la fois comme la conséquence de la
paupérisation et la cause de celle-ci. Dans un large continuum d'influences croisées,
insalubrité et pauvreté se déterminent donc réciproquement6.

Conscient de cet enjeu "démultiplicateur" et soucieux de casser la spirale négative de


l'insalubrité, le Constituant a veillé à assortir explicitement de l'adjectif "décent" ce logement
dont le droit est garanti par l'article 23 de notre charte fondamentale. Comprenant initialement
le droit au logement comme le droit à un logement adéquat, le Constituant a privilégié in fine
le mot "décent", au motif que "le terme adéquat indique une relation entre le logement et le
niveau de vie atteint par l’intéressé [tandis que] l’adjectif décent vise la qualité du logement
par rapport à une norme sociale plus générale"7.

b) Une matière au cœur d'un enchevêtrement de normes

Cruciale, la question de l'insalubrité se distingue également par une singulière complexité,


tant d'un point de vue technique que juridique. La profusion des normes de qualité ne fait que
refléter la multiplicité des niveaux de pouvoir chargés de les adopter. Ainsi le bien loué doit-
il observer les critères civils de qualité édictés par la loi fédérale du 20 février 1991 et, à la
fois, les exigences régionales de salubrité promus par le Code wallon du logement, tout en

3 Voy., sur ce sujet, C. ROSS, "Les quartiers défavorisés et la dépression chez l'adulte", Échos log., 2001, p. 1 et
s.
4 On trouvera un tableau quantitatif et chiffré de la situation d'insalubrité en Wallonie dans l'Enquête sur la
qualité de l'habitat en Wallonie, Namur, Ministère de la Région wallonne, collection Études et documents, 1996.
Voy. également les résultats de l'enquête socio-économique menée en 2001 auprès de 96,9 % des ménages du
pays par l'Institut national des statistiques, à la demande du Ministère des Affaires économiques, Échos log.,
2003, p. 59. Voy. enfin le Rapport 2003 du Royal Institution of Chartered Surveyors sur le marché du logement
en Europe, Échos log., 2003, p. 62.
5 Suivant l'expression du Rapport général sur la pauvreté réalisé par la Fondation Roi Baudouin en collaboration
avec ATD Quart Monde Belgique et l'Union des Villes et Communes belges (section C.P.A.S.), Bruxelles,
Ministère de l’Intégration sociale, 1994, p. 237.
6 Cf. N. BERNARD, "Expulsions, dignité humaine et article 23 de la Constitution", Expulsions du logement et
dignité humaine, actes du colloque organisé à Bruxelles le 18 mai 2001 par les Facultés universitaires Saint
Louis et le Syndicat des locataires, Droit en Quart Monde, n°34, 2003, p. 38 à 42.
7 Révision du titre II de la Constitution, en vue d’y insérer un article 24bis relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, Doc. parl., Sén., sess. extr. 1991-1992, n°100-2/9, p. 11.

3
respectant les règlements communaux en la matière8. Sous l'angle de la seule qualité des
logements, la problématique de l'habitat se retrouve donc "au cœur d'un enchevêtrement de
dispositions de police administrative et de règles de droit civil, émanant de pouvoirs
distincts", résument Michel Quintin et Benoît Jadot9.

Cette diversification des acteurs pose inévitablement la question de la répartition des


compétences. Ces différents organismes opèrent-ils sur le même terrain, suivant un ordre qu'il
convient de clarifier, ou évoluent-ils dans des champs distincts ? La question n'est pas de pure
forme dans la mesure où des instances juridictionnelles ont pour mission de sanctionner
l'éventuel excès de pouvoir. L'autorité administrative ou législative qui s'aventurerait en
dehors de sa sphère de compétence s'expose ainsi à la censure du Conseil d'État10 et,
respectivement, de la Cour d'arbitrage11. Dès lors, notre rôle comme juriste consiste à baliser
le terrain d'action de l'homme politique wallon et à pointer les écueils juridiques propres à
torpiller les initiatives les plus louables en matière de salubrité. Modeste, presque rébarbative,
cette entreprise n'en apparaît pas moins essentielle en ce qu'elle offre au mandataire public le
cadre juridique dans lequel il pourra inscrire son activité normative et lui permettra de
capitaliser les résultats acquis dans la lutte contre l'insalubrité.

2. Répartition de compétences entre autorité fédérale et entités fédérées

a) Principes généraux

En vertu de l'article 39 de la Constitution et de l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8


août 1980 de réformes institutionnelles, "le logement et la police des habitations qui
constituent un danger pour la propreté et la salubrité publiques" forment des matières
régionales. En cette matière, la Région jouit d'une "compétence sans réserves"12. Le
logement, en effet, figure parmi les politiques dites de pleine autonomie, dans lesquelles "les
Régions règlent, sans immixtion de l'autorité fédérale, des blocs ou des secteurs homogènes
de compétence"13. Par ailleurs, les travaux préparatoires de la loi spéciale de réforme
institutionnelle ont indiqué que le terme "logement" recouvrait l'ensemble de la matière du
logement14. Ce que confirme, du reste, la section de législation du Conseil d'État qui, à
l'occasion de l'examen du Code flamand du logement, amplifie encore l'idée selon laquelle la
loi spéciale du 8 août 1980 a octroyé une "pleine compétence" aux Régions15. Les entités
fédérées sont donc libres, par exemple, d'édicter une série de règles de qualité concernant les
biens situés sur leur territoire et d'instituer des dispositifs contraignants destinés à faire

8 Voy. notamment B. HUBEAU, "De hiërarchie tussen federale, gewestelijke en gemeentelijke regelgeving voor
de woonkwaliteit", La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles, sous la direction de N. Bernard et G. De
Pauw, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 1 et s.
9 M. QUINTIN et B. JADOT, "La qualité des logements : dispositions de police administrative et règles en
matière de bail à loyer", Droit communal, 2000, p. 106.
10 Cf. notamment C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et Rev. dr. comm.,
2002/4, p. 345. Voy. infra.
11 C.A., 14 mai 2003, n°67/2003, M.B., 20 octobre 2003 (voy. supra).
12 F. DELPÉRÉE et S. DEPRÉ, Le système constitutionnel de la Belgique, Bruxelles, Larcier, 1998, p. 137.
13 M. UYTTENDAELE, Regards sur un système institutionnel paradoxal. Précis de droit public belge,
Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 899.
14 Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1979-1980, n°627/10, p. 89. Voy. également Doc. parl., Sén., sess. ord. 1979-
1980, n°434/2, p. 169 et 170.
15 Vlaams Parlement, avis du Conseil d'État des 18 et 25 mars 1997, sess. 1996-1997, n°654, p. 136.

4
respecter celles-ci16. La jurisprudence de la Cour d'arbitrage en matière de logement abonde
dans le même sens. "Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en
disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence
d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées, et ce sans préjudice de
leur recours, au besoin, à l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980"17. Par conséquent, "la
matière du logement et de la police des habitations qui constituent un danger pour la propreté
et la salubrité publiques a été transférée aux régions dans son ensemble"18.

Nonobstant cette compétence de principe de la Région pour l'ensemble de la politique du


logement, le législateur fédéral reste compétent pour la matière du bail, par l'entremise de la
loi du 20 février 1991 sur les baux de résidence principale. Celle-ci règle non seulement les
relations contractuelles entre bailleur et preneur mais habilite également le Roi à arrêter une
batterie de normes de qualité19. Se prononçant sur l'avant-projet de la loi du 13 avril 1997
modifiant la loi la loi du 20 février 1991, la section de législation du Conseil d'État confirme
ainsi que "le bail à loyer constitue une matière relevant des compétences résiduelles de l'État
[…] L'autorité fédérale est compétente pour imposer au bailleur des obligations relatives au
bien loué […] L'autorité fédérale n'entrave pas la mise en œuvre, par les Régions, de leurs
compétences en matière de logement, dès lors que, d'une part, elle se borne à imposer des
exigences élémentaires de salubrité […] et que, d'autre part, elle ne touche pas au régime de
sanctions qui s'attachent à la méconnaissance des dispositions régionales"20. Le législateur
fédéral demeure donc libre de lier la mise en location à la satisfaction, par le bien concerné,
d'une série de critères de qualité, pourvu que ces derniers ne définissent qu'un "seuil minimal
de salubrité", étant entendu que "les Régions restent libres d'augmenter ce seuil dans le cadre
de leur mission de lutte contre l'insalubrité"21.

En définitive, autorité fédérale et entités fédérées agissent de manière parallèle dans des
sphères de compétence autonomes quoique largement sécantes. "Il n'y a donc pas
véritablement de contradiction de normes, même si elles portent sur le même objet, puisque
chacune s'applique uniquement dans son registre qui lui est propre"22. La compétence des
Régions en matière de logement leur permet en tout cas d’imposer des normes de qualité aux
biens destinés à la location. Sous peine d’entamer les compétences de l’autorité fédérale, ces
règles ne peuvent concerner théoriquement que le logement même, et non les rapports
contractuels entre bailleur et locataire23. En sens inverse, précise Françoise Lambotte,
"l'autorité fédérale ne peut pas neutraliser la portée de la réglementation régionale en

16 Voy. S. LEPRINCE, "Les normes de qualité et de sécurité des logements dans les trois régions", Act. jur.
baux, 1999, p. 34 et s.
17 C.A., 10 mars 1988, n° 49/88, M.B., 29 mars 1988. Voy. également C.A., 17 décembre 1997, n° 83/97, M.B.,
21 mars 1998 et C.A., 25 octobre 2000, n°105/2000, M.B., 13 novembre 2000.
18 Voy. C.A., 17 juin 1998, n° 73/98, M.B., 27 juin 1998 et C.A., 30 mars 1999, 40/99, M.B., 28 avril 1999 et
Redrim., 1999, p. 199, note B. HUBEAU.
19 Voy. arrêté royal du 8 juillet 1997 déterminant les conditions minimales à remplir pour qu'un bien immeuble
donné en location à titre de résidence principale soit conforme aux exigences élémentaires de sécurité, de
salubrité de d'habitabilité, M.B., 21 août 1997.
20 Projet de loi modifiant certaines dispositions en matière de baux, Doc. parl., Ch. repr., sess. ord. 1996-97, avis
du Conseil d'État du 23 septembre 1996, n°717/1, p. 24.
21 Ch. MERTENS, "Le Code du logement : point d'appui et de rupture - évolution", R.R.D., 1997, n°85, p. 121.
22 A. PAUWELS, P. MASSART et N. PUISSANT, Manuel permanent des baux à loyer et commerciaux,
Bruxelles, Les nouvelles éditions Excelsior, 1998, p. B-II-2-3.
23 Cf. F. LAMBOTTE, "L’ordonnance du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement : de
l’obligation de louer un logement décent au droit de gestion publique", Amén. (à paraître).

5
disposant, par exemple, qu’un contrat conclu en violation des normes régionales est
pleinement valable"24.

b) Le cas particulier du permis de location

• Description du mécanisme wallon

On le sait, depuis le 30 septembre 1998, les logements individuels de moins de 28 mètres2


situés en Wallonie ne peuvent plus être (sous-)loués, ni même simplement mis en (sous-
)location, qu'accompagnés d'un certificat attestant de la bonne qualité des lieux25. Suivent le
même régime les logements collectifs, ainsi que les bâtiments non initialement destinés à
l'habitation mais utilisés en pratique comme logement. Toutefois, ces prescriptions ne
s'appliquent pas aux habitations situées dans le bâtiment où le bailleur a établi sa résidence
principale26. Enfin, le permis de location ne vise que les habitations louées à titre de
résidence principale sauf lorsqu'il s'agit de petits logements individuels d'étudiants.

Pour mériter son attestation, le logement doit à la fois remplir les critères régionaux de
salubrité27, respecter les règlements communaux en matière de salubrité et de sécurité
incendie et, enfin, observer les normes relatives à l'inviolabilité du domicile et au respect de
la vie privée28. D'une durée de validité de 5 ans, le permis s'obtient auprès du collège des
bourgmestre et échevins, sur présentation du rapport — positif — de visite d'un enquêteur
agréé. Le propriétaire qui mettrait sur le marché locatif un bien sans disposer préalablement
dudit permis est passible d'une amende pénale variant entre 500 et 5.000 €. Dans l'hypothèse
où le bailleur passerait outre un refus (ou un retrait) de permis, ces sanctions s'alourdissent
significativement : emprisonnement de huit jours à un an et amende de 5.000 à 50.000 €.

Obligatoirement salubre au moment de l'entrée en vigueur du bail, le bien doit le rester


pendant toute la durée du permis. Pour s'en assurer ou, plus en amont, pour vérifier que tous
les propriétaires concernés par la mesure disposent bien d'un permis, les autorités
communales ou régionales peuvent dépêcher sur les lieux un fonctionnaire chargé de
procéder à une visite de contrôle. Si une infraction est relevée à la faveur de cette inspection,
le collège des bourgmestre et échevins met le bailleur en demeure de rendre le logement
conforme aux exigences de salubrité et ce, dans un délai oscillant entre 48 heures et 6 mois.
Si le bailleur n'obtempère pas (dans un délai de 20 jours à dater de l'expiration de la mise en
demeure), il encourt, de la part du collège des bourgmestre et échevins (ou, subsidiairement,
du gouvernement), un éventuel retrait de permis. Le contrevenant s'expose, en outre, à des
sanctions pénales allant de 500 à 5.000 €. En cas de récidive dans les 5 ans, ces sanctions

24 Cf. F. LAMBOTTE, "L’ordonnance du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement : de


l’obligation de louer un logement décent au droit de gestion publique", Amén. (à paraître).
25 Art. 9 à 13bis du Code wallon du logement tels que modifiés par le décret du Parlement wallon du 15 mai
2003 modifiant le Code wallon du logement et l'article 174 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de
l'urbanisme et du patrimoine, M.B., 1er juillet 2003. On se reportera, pour le détail du régime, à l'arrêté du
gouvernement wallon du 25 février 1999 relatif aux prescriptions particulières aux logements collectifs et aux
petits logements individuels, loués ou mis en location à titre de résidence principale, M.B., 9 avril 1999.
26 Cependant, si l'immeuble est occupé, en plus du bailleur, par trois ménages, ou alors si le nombre total des
preneurs dépasse quatre personnes, la réglementation retrouve vigueur.
27 Ces critères de salubrité sont édictés par l'article 3 du code wallon du logement ainsi que par l'arrêté du
gouvernement wallon du 11 février 1999 déterminant les critères de salubrité, le caractère améliorable ou non
des logements ainsi que les critères minimaux d'octroi de subventions, M.B., 13 mars 1999.
28 Voy. l'article 2 de l'arrêté du gouvernement wallon du 25 février 1999.

6
s'élèvent considérablement (emprisonnement de huit jours à un an et amende de 5.000 à
50.000 €)29.

• Appréciation par la Cour d'arbitrage

En astreignant le candidat bailleur à conformer son logement à une batterie de règles


régionales de qualité avant toute mise en location, la réglementation wallonne sur le permis
de location n'empiète-t-elle pas sur la compétence du pouvoir fédéral, seul habilité à
déterminer les droits et obligations issus de la relation locative ? Telle fut, en substance, la
question adressée à la Cour d'arbitrage30. "Il revient au législateur décrétal de déterminer les
catégories de logements à l'égard desquelles il exerce ses compétences", commence par
rappeler la Cour d'arbitrage. Vu, à cet égard, "l'état souvent défectueux des logements
collectifs et des petits logements individuels", le permis de location se justifie amplement à
son estime. Il convient en effet d'assurer, d'une manière ou d'une autre, "l'efficacité des
normes édictées par la Région wallonne".

Reste à voir si le dispositif wallon a pour conséquence d'entraîner la nullité du bail, lequel
effet, avertit la Cour d'arbitrage, "serait constitutif d'un excès de compétence". Or, "en ne
prévoyant […] que des sanctions de nature administrative ou pénale, le décret ne règle que les
rapports entre le bailleur et l'autorité publique", affirme la haute juridiction constitutionnelle.
"Il ne peut en être déduit que l'article 2, alinéa 4, de la loi du 20 février 1991 aurait été
modifié, fût-ce implicitement, par le législateur décrétal wallon". Est-ce à dire que le défaut
de permis de location n'engendre aucune conséquence sur le contrat de bail ? Nullement, mais
il n'appartient pas à une réglementation régionale de prévoir celles-ci. C'est aux magistrats
qu'il revient, au cas par cas, d'évaluer cette incidence. "Sans doute le juge de paix devra-t-il
apprécier si l'absence de permis est de nature, soit à entraîner la nullité du bail, soit à vicier le
consentement du preneur, soit à justifier la résiliation du bail, soit encore à fonder la
condamnation du bailleur à satisfaire aux exigences du Code wallon", convient la Cour
d'arbitrage. "Mais il s'agit là d'une application des règles du droit des obligations et de la
législation sur le bail de résidence principale et non d'une application du décret".

• Conséquences civiles attachées au défaut de permis de location

Il ne serait donc pas juridiquement prohibé, à suivre la Cour d'arbitrage, de mettre sur le
marché locatif un bien dépourvu de permis. Mais quelles sont alors, sur un plan civil, les
conséquences attachées au non respect de la réglementation relative au permis de location ?
Traditionnellement, le contrat de bail portant sur un bien insalubre et dépourvu de permis de
location est frappé de nullité par la jurisprudence, sur pied de l'article 6 du Code civil (qui
interdit de déroger, "par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public
et les bonnes mœurs"), combiné à l'article 1108 du Code civil (qui conditionne la validité
d'une convention à la présence d'une cause licite dans l'obligation) ainsi qu'à l'article 1133 du
même code (suivant lequel l'obligation sur une cause illicite est de nul effet)31. Par ailleurs,

29 Pour de plus amples développements, voy. notamment M. QUINTIN et B. JADOT, op. cit., p. 94 et s. et N.
BERNARD, "Le permis de location", Les Baux. Commentaire pratique, Diegem, Kluwer, p. I.8.4-1 et s.
(supplément n°16, novembre 2003).
30 C.A., 14 mai 2003, n°67/2003, M.B., 20 octobre 2003.
31 Voy. notamment J.P. Wavre, 30 décembre 1999, Échos log., 2000, p. 91 et s., obs. L. THOLOMÉ; J.P.
Bruxelles VI, 15 avril 2000, Redrim., 2001, p. 118, note M. DAMBRE; Civ. Nivelles, 27 octobre 2000, Le Cri
(revue du Syndicat national des propriétaires), février 2001, n°251, p. 7; J.P. Tournai, 3 janvier 2001, Échos log.,
2001, p. 81 et s.; J.P. Wavre, 29 mars 2001, Échos log., 2001, p. 79 et s.; J.P. Tournai, 4 septembre 2001, Échos
log., 2002, p. 117, ainsi que J.P. Namur I, 10 mai 2002, Échos log., 2002, p. 118.

7
puisqu'elle "touche à la défense d'un intérêt d'ordre général", la réglementation wallonne
relative au permis de location se voit généralement reconnaître un caractère d'ordre public32.
Elle appelle, à ce titre, une nullité absolue.

Frappée par une nullité rétroactive, la convention est censée n'avoir jamais existé. Cette
nullité ex tunc (ou ab initio) implique donc que les choses soient remises dans leur pristin
état, et les parties replacées dans leur situation initiale. Appliquée au domaine du logement,
cette règle suppose notamment le remboursement au preneur des loyers indûment perçus par
le propriétaire33. Non content de rembourser les loyers perçus, le propriétaire est parfois tenu
d'indemniser son preneur, sur pied de l'article 1382 du Code civil, dans l'hypothèse où il
aurait commis une faute lors de la conclusion du contrat (comme celle qui consiste à ne pas
demander un permis de location). Partant, le locataire qui se voit obligé de quitter les lieux
suite au défaut de permis de location est admis à postuler des dommages et intérêts, afin de
couvrir une série de frais inhérents au déménagement, à l'installation dans la nouvelle
habitation, à la contrainte de faire face à un loyer plus élevé, etc.34

En sens inverse, le bailleur jouira d'une indemnité d'occupation destinée à compenser


l'avantage dont a injustement bénéficié le locataire durant l'exécution du contrat annulé.
S'agissant cependant d'un profit immatériel, il est difficile de quantifier précisément
l'avantage dont a pu jouir le locataire. Pour certains magistrats, le calcul est simple : le
bénéfice du preneur correspond mathématiquement à la somme des loyers qu'il a versés, sans
considération d'aucun autre argument, comme la situation de dégradation du bien par
exemple35. La solution la plus équitable consisterait plutôt, à notre estime, à moduler le
dédommagement, en fonction du degré d'insalubrité du bien et, à la fois, en regard de
l'ampleur des manquements du propriétaire36. En toute hypothèse, les clauses contractuelles
en la matière ne sauraient lier le juge.

• Commentaire

Voilà donc le permis de location wallon sorti indemne, après son homologue flamand37, de
l'examen de constitutionnalité mené par la Cour d'arbitrage. Sur le plan de la sécurité
juridique, il convient de s'en réjouir. Le mécanisme est désormais "bétonné" et les

32 J.P. Wavre, 30 décembre 1999, Échos log., 2000, p. 92, obs. L. THOLOMÉ et Redrim., 2000, p. 87, note B.
HUBEAU. Voy. également J.P. Tournai, 4 septembre 2001, Échos log., 2002, p. 117 et J.L.M.B., 2002, p. 513,
J.P. Tournai, 3 janvier 2001, Échos log., 2001, p. 82 et J.P. Wavre, 29 mars 2001, Échos log., 2001, p. 80.
33 Voy. J.P. Wavre, 30 décembre 1999, Échos log., 2000, p. 91 et s, obs. L. THOLOMÉ. Voy. également J.P.
Gand, 16 janvier 1998, T.G.R., 1999, p. 160. Voy. cependant J.P. Grâce-Hollogne, 10 octobre 2000, Échos log.,
2001, p. 14.
34 Voy. J.P. Wavre, 17 juin 1999, inédit, R.G. n°99/A/641, cité par L. THOLOMÉ, "La nullité d'un bail en
l'absence d'un permis de location", obs. sous J.P. Grâce-Hollogne, 23 juin 2000, Échos log., 2001, p. 17., p. 94.
Voy. également J.P. Wavre, 29 mars 2001, Échos log., 2001, p. 80.
35 Voy. Civ. Gand, 24 septembre, Redrim., 2000, p. 46, note M. DAMBRE, J.P. Wavre, 29 mars 2001, Échos
log., 2001, p. 80 et J.P. Bruxelles VI, 15 avril 2000, Redrim., 2001, p. 118, note M. DAMBRE.
36 Voy. J.P. Namur I, 10 mai 2002, Échos log., 2002, p. 119 et Civ. Nivelles, 27 octobre 2000, Le Cri (revue du
Syndicat national des propriétaires), février 2001, n°251, p. 7. Voy. également J.P. Tournai, 4 septembre 2001,
Échos log., 2002, p. 117.
37 Voy. C.A., 17 juin 1998, n° 73/98, M.B., 27 juin 1998 et C.A., 30 mars 1999, 40/99, M.B., 28 avril 1999 et
Redrim., 1999, p. 199, note B. HUBEAU. Qu'il vise les chambres d'étudiants ou les logements "standards", le
permis de location flamand n'a, toutefois, pas exactement le même statut que son homologue wallon. Ce dernier,
en effet, est érigé en véritable préalable de l'introduction du bien sur le marché locatif. À l'inverse, l'attestation de
conformité flamande n'est pas formellement exigée de la part du bailleur qui s'apprête à proposer une habitation
à la location. Elle sert plutôt, en cas d'inspection, à attester de la conformité des lieux aux règles de qualité.

8
particuliers pourront désormais anticiper avec plus ou moins de certitude les conséquences
juridiques attachées à leur comportement. Il n'en reste pas moins que le permis de location
appelle, comme sanction civile, la nullité du bail et peut se situer, à ce titre, en retrait sur le
plan de la protection des locataires par rapport à la loi du 20 février 1991. Car la législation
fédérale relative aux baux de résidence principale confère au preneur confronté à un
problème d'insalubrité la faculté d'exiger du propriétaire l'exécution des travaux (agrémentée
éventuellement d'une diminution de loyer en attendant celle-ci)38. Quant à elle, la
réglementation régionale ne laisse guère de choix au preneur, dès lors que l'absence du
permis de location rend le contrat nul. Le locataire ne dispose donc plus de cette précieuse
possibilité de se maintenir dans les lieux tout en exigeant une remise en état du bien.
Désormais, il doit partir. "La nullité dont le contrat est de la sorte frappé a en effet pour
conséquence de priver le locataire de son droit à la jouissance du bien", note le juge de paix
de Tournai, qui précise que le preneur "est, par conséquent, condamné à libérer [le bien]
endéans le mois de la signification du présent jugement, sous peine de s'en faire expulser"39.
Radicale, cette nullité annihile donc dans le chef du preneur la faculté de recourir à la loi sur
les baux de résidence principale pour aménager la situation existante. "Il convient d'écarter
toutes considérations étrangères audit décret", conclut le juge de paix de Wavre40.

Déclarée, en outre, d'ordre public par la jurisprudence, la réglementation régionale requiert


que l'on confère à l'éventuelle nullité un caractère absolu, empêchant par là toute
confirmation par le preneur, et ce alors que la loi du 20 février 1991 voit les manquements à
ses dispositions sanctionnés d'une simple nullité relative. Le locataire n'a donc d'autre
"solution" que d'évacuer, incontinent, les lieux quand bien même il désirerait malgré tout y
demeurer41. Le juge (de paix) lui-même, tenu de soulever d'office la nullité, ne bénéficie que
d'un pouvoir d'appréciation marginal. Tout juste le magistrat pourra-t-il, sur pied de l'article
1244 du Code civil, accorder au locataire des termes et délais pour lui permettre de trouver
un nouveau logement42. Dans ces conditions, peut-on continuer à affirmer, en reprenant
l'argument de la Cour d'arbitrage, que "l'exercice de ces compétences [régionales] ne porte
pas atteinte au pouvoir de l'autorité fédérale de déterminer les obligations contractuelles du
preneur et du bailleur"43 ? Il est, à tout le moins, permis de s'interroger. Quoi qu'il en soit, un
minimum de coordination entre les différents niveaux de pouvoir (fédéral et fédéré) aurait été
souhaitable avant d'instituer des mesures sociales qui risquent d'engendrer des conséquences
néfastes pour les personnes défavorisées.

Tout bien considérée, la peine de nullité qui frappe traditionnellement les contrats de bail
portant sur un logement non conforme au décret relatif au permis de location n'est pas
différente de celle qui anéantit ex tunc les conventions locatives qui ne réunissaient pas, lors
de leur conclusion, tous les éléments constitutifs requis par notre droit civil. Peut-on en
inférer, cependant, que les différentes réglementations régionales afférentes au permis ont,
par la bande, introduit de facto dans la matière fédérale du bail de résidence principale une

38 Voy. l'art. 2, al. 4 et 5 nouveaux, de la section 2 du chapitre II du titre VIII du livre III du Code civil,
introduite par la loi du 20 février 1991 modifiant et complétant les dispositions du Code civil relatives aux baux
à loyer, M.B., 22 février 1991, remaniée elle-même par la loi du 13 avril 1997 modifiant certaines dispositions en
matière de baux, M.B., 21 mai 1997. Sur le sujet, voy. notamment N. BERNARD, L'état du bien loué", Les
Baux. Commentaire pratique (ouvrage à feuillets mobiles), Diegem, Kluwer, p. I.8.1 et s. (supplément n°12,
décembre 2001, mise à jour en novembre 2002).
39 J.P. Tournai, 4 septembre 2001, Échos log., 2002, p. 117.
40 J.P. Wavre, 29 mars 2001, Échos log., 2001, p. 80.
41 Voy. J.P. Wavre, 30 décembre 1999, Échos log., 2000, p. 91 et s, obs.
42 Voy., par exemple, J.P. Namur I, 10 mai 2002, Échos log., 2002, p. 119.
43 C.A., 30 mars 1999, 40/99, M.B., 28 avril 1999 et Redrim., 1999, p. 199, note B. HUBEAU.

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condition supplémentaire de mise en location ? Le caractère hautement dissuasif des lourdes
sanctions administratives et pénales qui frappent le contrevenant peut incliner à le penser,
puisqu'il ne laisse d'autre choix au propriétaire que de surseoir, en pratique, à la mise location
jusqu'à l'obtention du permis. Soumis en effet à une menace considérable, les propriétaires
n'ont plus d'autre solution que de solliciter le permis. En s'appuyant sur l'esprit de la loi de
répartition de compétence plutôt que sur la lettre, on ne peut donc complètement exclure être
en présence d'une condition supplémentaire, tacite mais tangible, de mise en location, matière
pour laquelle seule l'autorité fédérale est compétente44.

3. Le pouvoir de la commune en matière d'insalubrité

a) Principes généraux

Quelle est la compétence de la commune dans la lutte contre l'insalubrité ? L’article 135, § 2,
de la nouvelle loi communale dispose que les "communes ont pour mission de faire jouir les
habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la
sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics.

Plus particulièrement, et dans la mesure où la matière n’est pas exclue de la compétence des
communes, les objets de police confiés à la vigilance et à l’autorité des communes sont :
1° tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité de passage dans les rues, quais, places et
voies publiques ; ce qui comprend le nettoiement, l’illumination, l’enlèvement des
encombrements, la démolition ou la réparation des bâtiments menaçant ruine, l’interdiction de
rien exposer aux fenêtres ou autres parties des bâtiments qui puisse nuire par sa chute, et celle
de ne rien jeter qui puisse blesser ou endommager les passants, ou causer des exhalaisons
nuisibles; (…)
5° le soin de prévenir, par les précautions convenables, et celui de faire cesser par la
distribution des secours nécessaires, les accidents et fléaux calamiteux, tels que les incendies,
les épidémies et les épizooties…".

Il résulte de ces dispositions que les autorités locales sont chargées de prévenir et faire cesser
toute atteinte à la salubrité qui trouve son origine dans l’existence de logements insalubres45.
Plusieurs notions méritent un éclaircissement. L’article 135 de la nouvelle loi communale
n'évoque la question de la salubrité, tout d'abord, que dans les "rues, lieux et édifices publics".
Est-ce à dire que les logements privés échappent à l'emprise de la commune ? Nullement,
répond la Cour de cassation. L’autorité communale peut prendre des mesures s’étendant aux
causes qui ont leur siège dans l’enceinte des propriétés particulières et dont l’action insalubre,
par sa propagation au-dehors, est de nature à nuire à la santé publique et à amener des fléaux
calamiteux46. Le pouvoir de police de la commune, enchérit le Conseil d'État, peut s’exercer
en dehors de la voie publique, dans l’intérêt des occupants d’un immeuble47.

44 Voy., pour de plus amples développements, N. BERNARD, "Un «permis de location» qui, contrairement à ce
que son intitulé laisse croire, n'est (théoriquement) pas une condition de mise en location", obs. sous C.A., 14
mai 2003, n°67/2003, J.J.P., 2004 (à paraître).
45 Sur la "compétence logement" de la commune, lire entre autres M. BOVERIE et J. ROBERT, "Les communes
et la politique du logement", Mouv. comm., 1996, p. 587 et s.
46 Voyez notamment Cass., 6 février 1950, Pas., 1950, I, p. 391.
47 Voyez notamment C.E., 31 janvier 1992, Suslikova, n° 38.624.

10
Quel sens faut-il donner, ensuite, au terme "insalubrité" ? La notion de salubrité telle que
développée par la nouvelle loi communale ne peut concerner que des critères "hygiéniques"
de santé publique, précise le Conseil d'État. Comme déjà vu, "l’habitation insalubre est celle
dont l’occupation risque de provoquer des maladies contagieuses ou d’en favoriser la
propagation, celle qui, étant un foyer d’infection ou ne répondant plus à ce qui est considéré
comme étant aujourd’hui le strict minimum en matière d’hygiène, menace non seulement la
santé d’éventuels occupants mais aussi la santé publique en général"48. Au demeurant, le
terme "salubrité" renvoie, étymologiquement, à la santé : est salubre ce qui favorise la santé
des hommes.

b) La notion de salubrité à la lumière comparée des compétences communales et régionales

La notion de "logement insalubre" au sens de l’article 135 de la Nouvelle loi communale se


démarque sensiblement de la signification que revêt la même expression dans les polices
spéciales du logement, telles que le Code du logement. Il s’agit moins, dans ce dernier
instrument, de lutter contre des foyers d’infection menaçant la santé publique en général que
de déterminer "la plus basse norme d’habitabilité"49 en vue "d’améliorer les conditions de
logement"50. Le Conseil d'État, section d'administration, doit régulièrement rappeler les
distinguos à faire en la matière. Ainsi, la salubrité publique assumée par le bourgmestre "doit
être soigneusement distinguée de la signification que revêt le concept de salubrité dans les
polices spéciales du logement [telles que prévues par le Code wallon du logement]. Les
critères et les règles valables pour les secondes ne peuvent pas être appliqués pour résoudre
les problèmes propres à la première"51, prévient le Conseil d'État, lequel est tenu de
renouveler fréquemment son avertissement : "L'objectif poursuivi par le Code du logement, à
savoir l'amélioration des conditions de logement, est distinct"52. Sur cette base, la haute
juridiction administrative a annulé, dans une autre espèce, l'arrêté d'un bourgmestre qui visait
à faire démolir une caravane résidentielle. Tenue pour insalubre par une réglementation
régionale en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme, l'habitation toutefois ne
méconnaissait pas le prescrit lié à la salubrité publique dont doivent répondre les destructions
de logement53. Par contre, s'il y a bail, la déclaration d'insalubrité établie sur la base de
critères régionaux entraînera normalement la résolution du contrat aux torts du bailleur et
l'octroi de dommages et intérêts aux preneurs54.

48 Voyez notamment C.E. (VII), 28 avril 1966, Baetens et Beernaert, n°11.779, R.A.A.C.E., 1966, p. 392, C.E.
(XIII), 21 février 2002, Dejardin, n°103.845, Échos log., 2002, p. 154 et C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier,
n°105.215, Échos log., 2002, p. 69.
49 C.E. (VII), 28 avril 1966, Baetens et Beernaert, n°11.779, R.A.A.C.E., 1966, p. 392. Cet arrêt ne traite pas du
Code du logement mais d’une autre police spéciale du logement : la législation réglant la politique des pouvoirs
publics en matière d’habitations sociales. Voy. F. LAMBOTTE et V. RAMELOT, "Le rôle éventuel des
règlements communaux contre l'insalubrité", La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles, sous la
direction de N. Bernard et G. De Pauw, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 54.
50 C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et Rev. dr. comm., 2002/4, p. 345.
51 C.E. (XIII), 21 février 2002, Dejardin, n°103.845, Échos log., 2002, p. 154.
52 C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et Rev. dr. comm., 2002/4, p. 345.
53 "Le fait qu'un logement soit en totale infraction avec certaines dispositions du Code wallon de l'aménagement
du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine (CWATUP) et qu'aucune possibilité de régulariser cette situation
n'est possible ne peut fonder une mesure d'inhabitabilité, laquelle doit reposer sur des motifs tenant à la salubrité
publique". Voy. C.E. (XIII réf.), 25 avril 2002, Catteau, n°106.093, Échos log., 2002, p. 158.
54 J.P. Deurne, 21 janvier 2001, Échos log., 2002, p. 161.

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L’objectif poursuivi par un règlement de police luttant contre l’insalubrité ne peut donc être le
confort des habitants ni l’amélioration des conditions de logement55. Dans son arrêt Rosier, le
Conseil d'État n’a d’ailleurs pas hésité à sanctionner un règlement communal dont l’objectif
était de "donner aux occupants des petits logements (…) un espace de vie plus important que
les normes minimales arrêtées par le Gouvernement et d’améliorer conséquemment la qualité
du logement de résidence principale dans la commune"56. Si la Commune veut s’attaquer à la
surpopulation par exemple, elle doit le faire dans le cadre strict de ses compétences. Seules
des considérations d’hygiène pourront entrer en ligne de compte. Le confort et la qualité des
logements ne pourront servir de critères d’appréciation, avertissent Françoise Lambotte et
Vincent Ramelot57. Ainsi, le Conseil d'État a jugé que "la «surpopulation» concerne l’usage
qui est fait d’un immeuble mais est, en elle-même, étrangère à l’état et, à coup sûr, à la
constitution de cet immeuble; qu’il s’ensuit que la «surpopulation» ne constitue pas à elle
seule un élément de fait qui puisse justifier à suffisance de droit l’appréciation qu’un
immeuble est «une habitation insalubre et non susceptible d’amélioration»"58. Un règlement
communal ne peut donc s’attaquer à la surpopulation en prévoyant, par exemple, des
superficies minimales pour les pièces d’habitation. Il ne peut combattre que ses éventuelles
conséquences sur la salubrité publique.

Toutefois, la commune demeure dans le cadre de ses compétences lorsqu’elle considère


comme inhabitable un immeuble qui n’est pas raccordé à l’égout, qui n’est raccordé à la
distribution d’eau que par un robinet situé à l’extérieur et dont les mansardes basses à l’étage
ne sont accessibles que par une échelle de meunier59. Il en va de même pour l’immeuble
atteint par la mérule60 ou celui qui abrite des rats, de la vermine et d’autres animaux nuisibles,
ou encore l’existence d’une forte humidité61.

c) Cohabitation des compétences communales et régionales

À côté de la réglementation régionale relative à la lutte contre la dégradation du bâti (lutte à


laquelle elle est étroitement associée62), l'autorité locale conserve sa compétence propre. En
d'autres termes, son pouvoir de police générale en matière de salubrité publique, fondé sur
l'article 135, §2, de la nouvelle loi communale, ne semble pas devoir être mortellement affecté
par l'adoption du Code63. L'adoption du Code (qui charrie, dans son sillage, un éventail de
règles de qualité64) n'a pas pour effet automatique de dépouiller les communes de leur pouvoir
de prendre, dans leur champ de compétences, des normes de salubrité complémentaires qui

55 Voy. F. LAMBOTTE et V. RAMELOT, op. cit., p. 54.


56 C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et Rev. dr. comm., 2002/4, p. 345.
57 Voy. F. LAMBOTTE et V. RAMELOT, op. cit., p. 54.
58 C.E., 6 octobre 1971, Vrielynck, n° 14.935.
59 C.E., 23 février 1968, Parent, n° 12.841.
60 C.E., 28 janvier 1999, S.A. Compagnie d’Entreprises CFE, n° 78.446.
61 Voy. la jurisprudence citée par B. JADOT et M. QUINTIN, op. cit., p. 82.
62Ainsi, la commune wallonne non seulement possède le pouvoir de délivrer le permis de location mais a reçu du
Code wallon, en outre, la charge expresse d'assurer le respect effectif des critères de salubrité par lui édictés.
Ainsi le bourgmestre wallon est-il autorisé, dans ce cadre, à "prendre des mesures conservatoires", à "ordonner
des travaux de réhabilitation, de restructuration, de démolition" ou encore à "prononcer l'interdiction d'occuper".
Voy. l'art. 7, al. 3, du Code wallon du logement.
63 "Sans préjudice de l'article 135 § 2 de la nouvelle loi communale, le gouvernement fixe le contenu de ces
différentes exigences", dispose d'ailleurs l'article 4, §1er, alinéa 2, du Code bruxellois du logement.
64 Voy. l'article 3 du code wallon du logement ainsi que par l'arrêté du gouvernement wallon du 11 février 1999
déterminant les critères de salubrité, le caractère améliorable ou non des logements ainsi que les critères
minimaux d'octroi de subventions, M.B., 13 mars 1999.

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recouperaient les critères régionaux, pour autant alors qu'elles se montrent plus sévères. Entre
les règlements communaux existants et les nouvelles mesures régionales, c'est la norme la
plus "sévère" qui s'appliquera. Ainsi, la règle communale plus exigeante se surajoutera au
critère minimal de la Région, tandis que le décret régional supplantera le règlement plus
"laxiste" émanant de la commune65. En tout cas, l'Exposé des motifs du Code wallon du
logement admet officiellement que "les communes pourront, dans le cadre de leur propre
compétence en matière de salubrité et dans le respect des normes régionales, fixer des normes
plus contraignantes"66. Pareillement, le Commentaire des articles du Code bruxellois du
logement67 prévoit, à propos des exigences de qualité énoncées par l'article 4 du Code, qu'il
s'agit là de "normes minimales que les communes peuvent compléter"68 ?

Encore l'autorité locale devra-t-elle veiller, lorsqu'elle fait usage de cette possibilité, à enserrer
soigneusement son action dans les limites de la nouvelle loi communale et s'abstenir de
vouloir exécuter des règles du ressort spécifique de la région (comme la superficie minimale
du logement). Et ce, même si la commune prend soin, mais indûment, d'asseoir son règlement
relatif à la superficie sur l'article 135, §2, de la nouvelle loi communale plutôt que sur le Code
wallon du logement, par exemple69.

d) Conditions de motivation de l'arrêté d'inhabitabilité

• Principes généraux

À quel texte de loi l'arrêté d'inhabitabilité peut-il ou doit-il faire référence ? Plus précisément,
est-il fondé à invoquer d'autres dispositions relatives à l'insalubrité que la loi communale ou
des règlements communaux ? Depuis l'adoption de l'arrêté royal du 8 juillet 1997 qui
détermine les critères de salubrité applicables en matière de bail de résidence principale70 et
l'entrée en vigueur des différents codes régionaux du logement71 (et de leurs arrêtés
d'exécution72) qui, pareillement, arrêtent une batterie d'exigences de qualité, la question se
pose avec une acuité particulière. Car ces instruments présentent le double avantage d'apporter
des précisions sur ce qu'il faut entendre par logement insalubre et de dépasser la question de
l'insalubrité au sens strict (c'est-à-dire, hygiénique) pour introduire la notion de

65 Voy. Ch. MERTENS et M. BOLCA, Le nouveau Code wallon du Logement ou le droit régional en
mouvement, Diegem, Kluwer, 1999, p. 38.
66 Doc. parl., Cons. rég. w., sess. ord. 1997-1998, n°371/1, p. 6. Voy. également p. 11.
67 Ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du
logement, M.B., 9 septembre 2003. Voy. également l'arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale
du 4 septembre 2003 déterminant les exigences élémentaires en matière de sécurité, de salubrité et d'équipement
des logements, M.B., 19 septembre 2003.
68 Doc. parl., Cons. Rég. Brux.-Cap., sess. ord. 2002-2003, A-416/1, p. 14.
69 Voy. C.E., 27 mars 2002, Rosier c. Ville de Dinant, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69. Voy. infra.
70 Arrêté royal du 8 juillet 1997 déterminant les conditions minimales à remplir pour qu'un bien immeuble donné
en location à titre de résidence principale soit conforme aux exigences élémentaires de sécurité, de salubrité de
d'habitabilité, M.B., 21 août 1997.
71 Art. 4 du Code bruxellois du logement, institué par l'ordonnance du Conseil de la Région de Bruxelles-
Capitale du 17 juillet 2003, M.B., 9 septembre 2003, art. 3 du Code wallon du logement, institué par le décret du
Parlement wallon du 29 octobre 1998, M.B., 4 décembre 1998 et art. 5 du Code flamand du logement, institué
par le décret du Parlement flamand du 15 juillet 1997, M.B., 19 août 1997.
72 Voy. notamment l'arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 septembre 2003
déterminant les exigences élémentaires en matière de sécurité, de salubrité et d'équipement des logements, M.B.,
19 septembre 2003 et l'arrêté du gouvernement wallon du 11 février 1999 déterminant les critères de salubrité, le
caractère améliorable ou non des logements ainsi que les critères minimaux d'octroi de subventions, M.B., 13
mars 1999.

13
"l'habitabilité"73, qui implique des considérations de confort et de qualité de vie74. La tentation
est donc grande pour les communes, et particulièrement pour celles qui sont dépourvues d'un
règlement en matière d'insalubrité, de faire appel à l'une ou à l'autre de ces normes, soit en
support de la loi communale, soit en remplacement de celle-ci. Comment cette pratique doit-
elle être appréhendée du point de vue du droit ?

Le recours à ce type de normes ne va pas de soi et risque de s'avérer problématique. Prenant


soin de distinguer les compétences de chacun75, la section d'administration du Conseil d'État a
rendu plusieurs arrêts, dépourvus d'équivoque, condamnant cet usage. Ainsi, dans l'arrêt
Kocyigit, le Conseil d'État a suspendu l'exécution d'un arrêté d'inhabitabilité rendu par le
bourgmestre de la commune de Schaerbeek, au motif que l'acte litigieux s'appuyait non
seulement sur la loi communale mais également sur l'arrêté royal du 8 juillet 199776. Dans
l'arrêt Catteau par ailleurs, le Conseil d'État a annulé, comme on l'a vu, l'arrêté du bourgmestre
de la commune de Hotton qui visait à faire démolir une caravane résidentielle déclarée en
contravention avec, notamment, les dispositions du Code wallon de l'aménagement du
territoire, de l'urbanisme et du patrimoine77.

Une précision doit ici être faite. L'absence de référence formelle à une norme ne ressortissant
pas à la compétence communale ne suffit pas à garantir la licéité de l'arrêté du bourgmestre, de
la même manière que la mention dans l'arrêté d'une de ces normes n'est pas condamnable en
soi si l'examen des faits montre qu'il s'agit là d'une simple erreur de visa78. Seules importent,
en l'espèce, la matérialité des griefs imputés et leur appartenance ou non à une sphère de
compétence communale79. La question dépasse donc le simple aspect de la motivation
formelle. Ainsi, dans l'arrêt Dejardin, le Conseil d'État a annulé l'arrêté d'inhabitabilité rendu
par le bourgmestre de la commune de Mons qui, s'il se réclamait de la loi communale, ne se
fondait pas moins, dans les faits, sur des critères empruntés au code wallon du logement et
étrangers à la salubrité publique sensu stricto (en l'occurrence, la superficie habitable)80.

73 Voy. F. LAMBOTTE, "La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles. Les règlements communaux
contre l'insalubrité", Trait d'union (revue de l'Association de la Ville et des Communes de la Région de
Bruxelles-Capitale), 17 octobre 2003, n°8, p. 6.
74 Au-delà du logement, stricto sensu, c'est vers l'habitat qu'il faut tendre en effet, afin que la résidence ne serve
pas simplement à abriter mais devienne, plus fondamentalement, un lieu d'épanouissement susceptible de faire
fructifier les projets individuels et familiaux. Sur ce point, voy. notamment R. SCHOONBRODT, “Habiter”, Le
logement à l'aube du XXIème siècle. Quelques perspectives et enjeux pour demain, Jambes, Direction Générale
de l'Aménagement du Territoire, du Logement et du Patrimoine, 2000, p. 50 et s.
75 Voy. supra C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et C.E. (XIII), 21 février
2002, Dejardin, n°103.845, Échos log., 2002, p. 154.
76 "Le bourgmestre ne peut, dans l'exercice d'une compétence de police, se fonder sur l'arrêté royal du 8 juillet
1997 […] Il n'est en rien compétent pour apprécier si un logement répond ou non «aux conditions minimales de
l'arrêté précité», ces conditions n'étant pas constitutives des critères à prendre en considération quant à la
sauvegarde de la «salubrité et la sécurité publiques»" (C.E. (XIII réf.), 9 novembre 2001, Kocyigit, n°100.705,
Échos log., 2002, p. 72)
77 Voy. C.E. (XIII réf.), 25 avril 2002, Catteau, n°106.093, Échos log., 2002, p. 158.
78 Cf. C.E. (XIII réf.), 23 septembre 1999, Jadoul, n°82.382, Amén., 2000, p. 196, note N. VAN DAMME et
A.P.T., 1999/1, p. 74, note M. QUINTIN.
79 Ainsi, la question de la superficie minimale du logement n'est pas de la compétence de la commune. Ainsi,
comme on l'a vu, le Conseil d'État a suspendu un règlement communal destiné à donner aux occupants des petits
logements un espace de vie plus important que les normes minimales arrêtées par le Gouvernement (C.E. (XIII
réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69).
80 "Le bourgmestre confond deux polices administratives distinctes, à savoir la police communale générale et la
police spéciale du logement" (C.E. (XIII), 21 février 2002, Dejardin, n°103.845, Échos log., 2002, p. 154). Voy.,
pour de plus amples développements, N. BERNARD, "Motivation et conséquences sur le plan administratif d'un
arrêté d'inhabitabilité", La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles, op. cit., p. 83 et s.

14
• Incidence des codes régionaux du logement

Toutefois, l'entrée en application des codes régionaux du logement et des réglementations


relatives au "permis de location"81, qui confèrent un pouvoir de police spéciale au
bourgmestre, modifie sensiblement la donne82. Car ces normes ont pour effet de réunir, sur la
même tête, un pouvoir de police générale du logement (basé sur la nouvelle loi communale) et
un pouvoir de police spéciale (fondé, lui, sur le code du logement). Or, dans cette hypothèse, la
police générale devient résiduelle par rapport à la police spéciale83. L'expérience wallonne, en
tout cas, est éclairante à cet égard. À l'adresse du bailleur qui mettrait en location un bien
dépourvu de permis, le Code wallon aménage un arsenal de sanctions à la fois administratives
(refus et retrait de permis) et pénales (art. 13 et 201). Mais le contrevenant risque-t-il, en sus,
de voir son bien fermé par le bourgmestre ? Et si oui, sur quelle base juridique et à quelles
conditions ? En d'autres termes, l'absence de permis de location peut-elle justifier à elle seule,
c'est-à-dire indépendamment d'éventuels facteurs d'insalubrité, la mesure de fermeture ?

De manière indirecte, le bourgmestre de la ville de Charleroi a répondu à ces questions


puisqu'il n'a pas hésité à interdire l'occupation d'un immeuble sur la base exclusive du défaut
de permis de location. Parce que cette sanction, cependant, ne figurait pas parmi celles qui sont
prévues dans le Code, le propriétaire a décidé de quereller la décision du bourgmestre devant
le Conseil d'État84. Mais, dans son avis, l'auditeur a rejeté la thèse du demandeur et conclu à
l'irrecevabilité du recours. C'est que l'article 7, alinéa 3, du Code wallon du logement dispose
expressément que, dans le cadre général du respect des critères régionaux de salubrité, "le
bourgmestre prend des mesures conservatoires, ordonne des travaux de réhabilitation, de
restructuration, de démolition ou prononce l'interdiction d'occuper". Cette disposition permet
donc au bourgmestre de prendre un arrêté d'inhabitabilité à l'encontre du bien dépourvu de
permis de location. "Par le seul effet du Code wallon du logement, il est en effet désormais
interdit de mettre un logement en location sans avoir, au préalable, obtenu un permis de
location", observe l'auditeur, qui conclut sans équivoque : "L'interdiction d'occuper le
logement non couvert par un permis de location n'est pas tributaire de l'existence de causes
d'insalubrité"85.

Dans une autre affaire qui, elle, a donné lieu à arrêt, le Conseil d'État a autorisé explicitement
le bourgmestre, en vertu de l'article 7, alinéa 3, du Code wallon du logement, à prononcer

81 Art. 4 et s. du Code bruxellois du logement, art. 9 et s. du Code wallon du logement et art. 7 et s. du Code
flamand du logement. Voy., sur la question, N. BERNARD, "Le permis de location", Les Baux. Commentaire
pratique, Diegem, Kluwer, p. I.8.4 - 1 et s.
82 Sur la différence entre ces deux notions, voy. M. MULLER et V. RAMELOT, "La marge de manœuvre de la
commune", La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles, op. cit., p. 62 et s.
83 Cf. N. Van Damme, obs. sous C.E., 23 septembre 1999, Jadoul, n°82.382, Amén., 2000, p. 199.
84 Voy. Échos log., 2002, p. 27.
85 Pour légitime qu'elle soit, la mesure de fermeture ne peut-elle pas apparaître toutefois comme
disproportionnée, dès lors que le bien répond peut-être intégralement aux exigences de qualité ? À nouveau,
l'auditeur réfute l'argument. Car, en l'espèce, "l'arrêté attaqué n'invoque pas le seul défaut de permis de location
mais aussi l'omission persistante du propriétaire d'en demander un, en dépit des demandes successives qui lui
furent adressées par l'administration communale en vue de régulariser sa situation". Au demeurant, l'arrêté
ménageait un délai de trois mois avant la fermeture, destiné à permettre à la fois aux occupants de trouver un
nouveau logement et au bailleur de se mettre enfin en règle.
Notons, en tout état de cause, que l'affaire n'a pas donné lieu à arrêt du Conseil d'État, le propriétaire requérant
ayant, en effet, préféré renoncer, suite à l'avis explicite de l'auditeur, à mener la procédure à son terme. Voy.,
pour de plus amples sur le sujet, L. THOLOMÉ, "Permis de location : en l'absence d'un permis de location, le
bourgmestre peut interdire toute occupation même s'il n'y a aucun facteur d'insalubrité", Échos log., 2002, p. 27.

15
l’interdiction d’occuper sur la simple absence du permis de location, indépendamment donc de
tout manquement aux critères minimaux de salubrité86. "La fermeture d'un logement donné en
location par un bailleur ne disposant pas d'un permis de location dans un cas où le Code wallon
du logement requiert un tel permis, constitue l'une des mesures ressortissant de la compétence
du bourgmestre", indique la haute juridiction administrative. "Dans un tel cas, la motivation en
fait de l'arrêté d'interdiction peut se limiter à la constatation que le logement est soumis à
permis de location, à celle qu'un tel permis n'a pas été demandé ou obtenu en l'espèce".

En toute hypothèse, la possibilité expresse accordée au bourgmestre d'ordonner la fermeture


d'un logement en l'absence d'un permis de location a été récemment coulée dans le texte même
du Code wallon du logement ("En l'absence ou en cas de retrait d'un permis de location, le
bourgmestre, ou, en cas d'inaction de ce dernier dans un délai raisonnable, le Gouvernement,
peut interdire l'accès ou l'occupation des logements concernés")87.

4. La question du relogement

L'autorité qui procède à l'expulsion, comme le bourgmestre lorsqu'il ordonne la fermeture d'un
immeuble pour cause d'insalubrité, doit-elle veiller en plus au relogement des habitants évincés
? En tout cas, la question du relogement est véritablement cruciale dès lors qu'elle peut
dissuader les différents organismes d'intervenir et faire échouer les initiatives relatives à la
salubrité déployées en amont. Et c'est pour souligner l'intime interdépendance entre la
politique de qualité de l'habitat et la nécessité de reclasser les personnes expulsées ("pas
d'expulsion sans relogement") qu'il a ainsi été décidé d'instruire la question du relogement au
sein même d'un texte dédié à l'insalubrité.

a) Une dichotomie entre police générale et police spéciale...

• Principe général

S'agissant de cette question du relogement faisant suite à un arrêté d'inhabitabilité, une


dichotomie se dessine. Suivant que le bourgmestre agit dans le cadre de la police
administrative générale (fondée sur l'article 135 de la nouvelle loi communale) ou qu'il
intervient sur pied de la police spéciale du logement (instituée par le code du logement), les
solutions divergent. Dans le premier cas, la mise à la disposition d'une solution de relogement
ne semble pas pouvoir être érigée en préalable à la décision d'expulsion. Il n'est, en effet, pas
attendu de la part d'un bourgmestre animé par le devoir prioritaire de prévenir et de faire cesser
les atteintes à la salubrité publique qu'il se préoccupe, en sus, de la situation particulière des
locataires. Seule importe la nécessité de mettre fin au trouble de l'ordre public, touché ici dans
sa dimension hygiénique.

En revanche, la police spéciale du logement semble appeler une tout autre réponse. Guidé par
le souci d’«améliorer les conditions de logement»88 des occupants, le bourgmestre ne saurait, à

86 C.E., 18 septembre 2003, Rasez et Société privée à responsabilité limitée SEPI c. Bourgmestre et Ville de
Charleroi, n°123.055, Échos log., 2003, n°5.
87 Art. 13bis nouveau du Code wallon du logement inséré par le décret du Parlement wallon du 15 mai 2003
modifiant le Code wallon du logement et l'article 174 du Code wallon de l'aménagement du territoire, de
l'urbanisme et du patrimoine, M.B., 1er juillet 2003
88 Cf. C.E. (XIII réf.), 27 mars 2002, Rosier, n°105.215, Échos log., 2002, p. 69 et Rev. dr. comm., 2002/4, p.
345.

16
peine d'incohérence, vider une habitation sans s'inquiéter du sort des évincés. Lorsqu'il procède
à l'évacuation dans le cadre de la police spéciale, le bourgmestre doit veiller à ce que les
conditions de logement des occupants soient meilleures après l'éviction qu'avant.

Notons cependant que le Code bruxellois du logement, pleinement conscient de l'acuité du


problème, a veillé à aménager un arsenal de mesures de relogement à la destination des
habitants expulsés à la suite de l'application du permis de location. Chargé de faire respecter
"l'exécution de l'interdiction" de louer, au moyen notamment d'un arrêté d'inhabitabilité, le
bourgmestre se voit confier par le Code le soin, "le cas échéant", d'examiner "toutes les
possibilités de relogement des personnes concernées"89. Plus généralement, le Code prévoit
que "les locataires obligés de quitter un logement qui ne respecte pas ou plus les exigences de
sécurité, de salubrité et d'équipement visés à l'article 4, ont un droit d'accès prioritaire aux
logements gérés par les pouvoirs publics", tout en réaffirmant que "les différentes autorités
publiques concernées ont l'obligation d'examiner toutes possibilités de relogement de ces
locataires"90. Par ailleurs, signalons que les logements pris en gestion publique "doivent être
prioritairement proposés aux locataires amenés à quitter une habitation ne répondant pas aux
normes de sécurité, de salubrité et d'équipement"91. Enfin, il est créé un "Fonds budgétaire
régional de solidarité" destiné à assurer, aux personnes expulsées suite à une interdiction
d'occuper, un montant couvrant tout ou partie de "la différence entre le loyer d'origine et le
nouveau loyer, ainsi que les frais de déménagement ou d'installation, en ce compris le coût de
la garantie locative"92. Versée dans la limite des crédits budgétaires, l'aide consistera
probablement, suivant l'arrêté d'exécution du 19 février 2004, en une allocation délivrée
pendant trois ans et équivalente à la différence entre le tiers des revenus nets imposables du
ménage et le loyer du nouveau logement, déduction faite des éventuelles aides au
déménagement susmentionnées93.

• Exigence spécifique à la police spéciale du logement

Reloger, oui, mais dans quel type de bien ? S'il est tenu par des exigences de salubrité trop
strictes, le bourgmestre n'aura guère de solution à proposer à ces ménages précarisés
incapables de s'offrir un logement parfaitement conforme aux normes. Ce qui, pour autant,
n'autorise pas le bourgmestre à cantonner les évincés dans des abris de fortune, lesquels
n'amélioreraient en rien leurs conditions de logement. Le toit de rechange doit donc également
être un toit salubre94. On l'aperçoit, la voie est étroite. Précisément, la police spéciale du
logement a pour but de veiller à ce que les habitations ne se situent pas en deçà de "la plus
basse norme d'habitabilité", laquelle norme ne pouvant toutefois elle-même, et c'est capital, se

89 Art. 14, al. 1er, du Code bruxellois du logement.


90 Art. 17 du Code bruxellois du logement.
91 Art. 21, §2, al. 2, du Code bruxellois du logement.
92 Art. 16, §1er, du Code bruxellois du logement. L'aide sera réservée aux ménages qui ne disposent pas déjà
d'un logement (que ce soit en pleine propriété, en emphytéose ou en usufruit) et qui remplissent les conditions de
revenus leur permettant de s'inscrire auprès d'une société immobilière de service publique.
93 Généreuses dans leurs intentions, ces mesures risquent toutefois de ne pas délivrer tous les fruits escomptés.
Voy. N. BERNARD, "Regard critique et comparatif sur le Code bruxellois du logement", Échos log., 2003, n°5.
Voy. également F. LAMBOTTE, "L’ordonnance du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement : de
l’obligation de louer un logement décent au droit de gestion publique", Amén. (à paraître).
94 Cf. C.E. (XIII réf.), 9 novembre 2001, Kocyigit, n°100.705, Échos log., 2002, p. 72. Voy. également la
décision du juge de paix de Verviers qui a condamné la ville de Verviers à procurer à des gens du voyage "un
hébergement décent et adapté sur un terrain approprié, dans des conditions fixées de commun accord, notamment
quant au niveau d'aménagement des lieux, […] aux normes de sécurité, etc." (J.P. Verviers, 30 juin 2000, Échos
log., 2000, p. 120).

17
situer au-dessus de "la norme maximale qui soit à la portée effective des familles touchées par
la mesure de suppression des taudis, dans la région et au moment de cette suppression"95.
Autrement dit, la norme de salubrité doit viser un juste milieu : assez sévère pour pouvoir
proscrire les taudis, elle doit cependant rester accessible aux personnes à faibles revenus. Avisé
de cet impératif, le bourgmestre réservera l'exécution de sa décision d'expulsion jusqu'à
l'obtention de certaines assurances quant aux possibilités concrètes de relogement des expulsés
dans une habitation saine et accessible financièrement. "L'évacuation de l'habitation insalubre
n'est plus un objectif en soi mais tout simplement un moyen pour arriver à reloger les
personnes évacuées de taudis dans des habitations salubres", observe le Conseil d'État96. "Il
s'ensuit que dans cette police spéciale du logement", enchérissent Michel Quintin et Benoît
Jadot, "avant d'ordonner l'évacuation d'un logement insalubre, le bourgmestre doit tenir compte
non seulement de l'état du logement qu'il estime devenu inhabitable mais aussi de la situation
de ses habitants et de leurs possibilités de trouver un logement salubre et adéquat"97. Et si elle
ne peut assurer elle-même le relogement, la commune doit, au minimum, laisser un laps de
temps suffisant aux habitants évincés pour trouver une nouvelle habitation, sauf urgence98.

b)... qui tend à s'estomper

Cette dichotomie entre polices générale et spéciale tend, aujourd'hui, à s'estomper. Non que
l'obligation de relogement se relâche dans la police spéciale du logement, au contraire99. En
fait, même dans le cadre de la police administrative générale, l'expulsion "sèche", sans égard
au relogement des occupants, commence à être prohibée. Ainsi, le président du tribunal civil
de Namur a décidé que "l’expulsion [par le Bourgmestre, sur base d’un arrêté d’insalubrité]
sans alternative concrète proposée à la requérante blesse à l’évidence ses droits subjectifs et
méconnaît les devoirs de l’autorité publique à cet égard"100. Par ailleurs, le Conseil d'État a,
dans plusieurs décisions récentes, jugé l'expulsion — pour cause d'insalubrité — constitutive
d'un préjudice grave et difficilement réparable au cas où l'éviction ne s'accompagnerait pas
d'un relogement101. Elle a ordonné, par conséquent, la suspension des arrêtés litigieux102. Dans
ces décisions, la situation précaire des locataires et leur impossibilité subséquente de retrouver
un logement décent à un tarif raisonnable a joué un rôle important, sans être exclusif103. Voilà

95 C.E. (VII), 28 avril 1966, Baetens et Beernaert, n°11.779, R.A.A.C.E., 1966, p. 392.
96 C.E. (VII), 28 avril 1966, Baetens et Beernaert, n°11.779, R.A.A.C.E., 1966, p. 392.
97 M. QUINTIN et B. JADOT, op. cit., p. 83.
98 C.E. (VII), 28 avril 1966, Baetens et Beernaert, n°11.779, R.A.A.C.E., 1966, p. 392. "Le bourgmestre doit à
tout le moins accorder [aux habitants en voie d'expulsion] un délai raisonnable pour trouver un logement adéquat
salubre, et n'ordonner l'évacuation qu'après avoir acquis la certitude, sur base de recherches entreprises à cette fin
et de pièces la constatant, de la disponibilité effective de logements réputés salubres, à des prix abordables, pour
les habitants à évacuer de taudis dans lesquels les intéressés pourront s'installer sans que leur mode de vie en soit
modifié".
99 Voy. C.E. (XIII réf.), 23 septembre 1999, Jadoul, n°82.382, Amén., 2000, p. 196, note N. VAN DAMME et
A.P.T., 1999/1, p. 74, note M. QUINTIN.
100 Civ. Namur (req. unil.), 11 mai 1994, D.Q.M., n°7, juin 1995, p. 54, note J. FIERENS.
101 Voy. C.E. (XIII réf.), 12 février 2003, Leroy et Postiau, n°115.808, Échos log., 2003, p. 80, note L.
THOLOMÉ, C.E. (XIII réf.), 9 novembre 2001, Kocyigit, n°100.705, Échos log., 2002, p. 72 et s.
102 "Le droit à un logement décent est garanti par l'article 23 de la Constitution […] Il ne ressort d'aucun élément
transmis au Conseil d'État que [le bourgmestre et la commune de Frameries] se soient souciés, avant de prendre
la mesure litigieuse, d'aider les occupantes à retrouver un logement, ni même qu'ils se seraient souciés des
possibilités concrètes que celles-ci avaient de retrouver un logement décent en remplacement de ce qu'ils
considèrent comme un taudis" (arrêt Leroy et Postiau).
103 "L'immeuble est occupé par des personnes dont la situation est précaire. Les locataires de l'immeuble
disposent non seulement de faibles revenus, mais sont également tous de nationalité étrangère et n'ont pas de titre

18
en quelque sorte transposées à la police administrative générale les règles applicables en
matière de police spéciale qui imposent à la puissance publique de fournir aux ménages
expulsés un relogement à leur portée, qui soit à la fois décent et accessible financièrement104.

c) Une triple incohérence

Quoi qu'il en soit, l'absence de mesure de relogement proposée par le bourgmestre aux
occupants expulsés s'avérerait incohérente à un triple titre. D'abord parce qu'elle condamne les
locataires défavorisés à se rabattre, faute de moyens pécuniaires suffisants, sur des logements
pas nécessairement en meilleur état, loin de là, que l'habitation qu'ils ont été forcés de quitter
pour des raisons de salubrité105. Ensuite, parce qu'elle introduit une discrimination
difficilement justifiable (sauf à invoquer l'urgence) entre les locataires expulsés suite à un
arrêté d'inhabitabilité et les preneurs, mieux protégés, qui sont évincés judiciairement dans le
cadre d'un rapport locatif (cf. la loi dite d'humanisation des expulsions106). Et la contradiction
est d'autant plus flagrante que certains bourgmestres précisément fondent, contra legem, leur
arrêté d'inhabitabilité sur des dispositions propres à la loi sur les baux de résidence
principale107. Enfin, l'absence d'intervention des autorités communales dans le relogement des
habitants évacués (qui conduit ceux-ci à devoir errer dans les rues, flanqués de leurs effets
mobiliers) risque d'entrer en opposition avec une des missions essentielles du bourgmestre qui
est d'assurer la propreté, la sûreté et la tranquillité sur la voie publique108. N'est-ce pas ce
devoir, précisément, qui fonde l'obligation de la commune d'enlever les biens des personnes
privées expulsées qui encombrent la voie publique109 ?

d) Statut de l'obligation de relogement

Si le devoir de relogement consiste, pour la commune, à devoir fournir physiquement elle-


même une nouvelle habitation, il semble malaisé d'ériger la charge en obligation de résultats.
Par contre, si ce devoir s'analyse comme l'interdiction pesant sur le bourgmestre, hors péril

de séjour définitif. Ces personnes sont généralement impopulaires auprès des propriétaires et ont donc d'autant
plus de mal à trouver un logement" (arrêt Kocyigit).
104 Sur le sujet, voy. également Chr. WETTINCK, "Les conséquences sur le plan civil d'un arrêté
d'inhabitabilité", La lutte contre les logements insalubres à Bruxelles, op. cit., p. 111 et s.
105 "Il paraît en effet incohérent d'expulser une personne d'un logement insalubre (pour des motifs de sécurité)
sans vérifier que cette personne puisse accéder à un logement salubre en suite de son expulsion […] Le risque
que les locataires ainsi expulsés ne doivent se contenter d'un logement dont l'état et le prix seront
vraisemblablement moins bons que ce dont ils bénéficient actuellement est très important" (arrêt Kocyigit).
106 Voy. les articles 1344ter et suivants du Code judiciaire introduits par la loi du 30 novembre 1998 modifiant
certaines dispositions du Code judiciaire relatives à la procédure en matière de louage de choses et de la loi du
30 décembre 1975 concernant les biens trouvés en dehors des propriétés privées ou mis sur la voie publique en
exécution des jugements d'expulsion, M.B., 1er janvier 1999. On trouvera un commentaire de cette loi
notamment dans B. LOUVEAUX, "La loi relative à l'expulsion du locataire", Act. jur. baux, 1999/1, p. 9 ainsi
que dans N. BERNARD, "Expulsions, dignité humaine et article 23 de la Constitution", D.Q.M., n°34, 2003, p.
38 et s.
107 "L'expulsion d'un locataire [dans le cadre d'un rapport locatif] est désormais soumise à un formalisme et à
des délais stricts. Il ne serait pas cohérent de permettre aux autorités communales de fonder un arrêté
d'insalubrité sur les normes prises en application de la loi sur les baux à loyer, tout en leur permettant d'expulser
des locataires manu militari alors qu'une telle pratique est contraire à la volonté expresse que le législateur a
exprimée en cette matière" (arrêt Kocyigit).
108 "La mesure d'expulsion [de gens du voyage] ne pourrait qu'entraîner une situation contraire à la dignité
humaine puisque cette expulsion aura pour effet de générer une situation d'errance" (J.P. Verviers, 30 juin 2000,
Échos log., 2000, p. 120).
109 Cf. loi du 30 décembre 1975 concernant les biens trouvés en dehors des propriétés privées ou mis sur la voie
publique en exécution de jugements d'expulsion, M.B., 17 janvier 1976.

19
imminent, de procéder à l'expulsion avant de s'être assuré des possibilités concrètes de
relogement des évincés dans une habitation saine et accessible financièrement, on est alors en
présence, là, d'une véritable condition sine qua non, singulièrement lorsque le bourgmestre agit
dans le cadre de la police spéciale du logement. Du reste, ainsi recadrée, l'obligation de
relogement ne procède-t-elle pas directement du devoir de bonne préparation des actes
administratifs ?

Reloger, c'est bien. Empêcher, en amont, que la situation se dégrade et conduise à l'éviction,
c'est mieux. Même fructueux, le relogement ne parvient pas toujours, estime le Conseil d'État,
à compenser le traumatisme que peut constituer le déménagement pour certaines personnes, à
la santé fragile notamment110. Parce qu'elles cherchent à éradiquer les causes qui mènent aux
expulsions, les actions préventives doivent être privilégiées. Ainsi, la commune gagnerait à
faire emploi de la possibilité — rarement utilisée — qui lui permet d'intervenir, à la place et
aux frais du propriétaire négligent, dans la réalisation des travaux urgents, pour peu
évidemment que celle-ci n'implique pas de devoir évacuer les lieux111.

Conclusion

Occupant un point nodal dans la problématique de l'habitat, la question de la salubrité se


distribue entre différents niveaux de pouvoir. Cette interpénétration des compétences constitue
incontestablement un enrichissement pour la matière, dès lors que joue une certaine émulation
entre les diverses autorités également compétentes. De fait, le législateur régional est autorisé à
intervenir dans un champ qui n'est pas a priori le sien, comme la détermination des règles de
qualité requises pour qu'un bien soit mis en location, à la condition toutefois de se montrer plus
sévère. Et il en va de même pour les instances communales, laissées libres de relever, à
l'intérieur de leur sphère de compétence, la hauteur des critères régionaux de salubrité.
Fécond, ce "maelström" de normes a toutefois le désavantage d'altérer la lisibilité de l'action
des pouvoirs publics. Il n'est pas toujours aisé, en d'autres termes, de savoir qui s'occupe de
quoi. Les autorités elles-mêmes entretiennent parfois, dans un volontarisme méritoire mais
peut-être désordonné, la confusion. Au-delà de la lisibilité du message, c'est le principe de
légalité qui est en jeu, celui-là même que les instances juridictionnelles se chargeront tôt ou
tard de faire respecter. Que les responsables politiques se gardent bien, face à l'exigence de
sécurité juridique dont ils sont redevables envers les justiciables, de tout emballement lorsqu'il
s'agit d'intervenir dans le domaine de la salubrité, étant entendu que l'inaction est encore plus
dangereuse.
Plus fondamentalement, l'absence d'étanchéité entre les sphères de compétence des uns et des
autres rend impérative la concertation des différents niveaux de pouvoir. Si, avant d'adopter sa
réglementation, le législateur régional s'aperçoit que la norme en projet risque d'exercer une
incidence notable sur l'application de loi relative aux baux de résidence principale par
exemple, qu'il veille au minimum à s'accorder avec les autorités fédérales de manière à
prévenir, autant que faire se peut, la survenance de conséquences collatérales trop néfastes, et
réciproquement. Pareille démarche suppose toutefois que les différents législateurs procèdent,
préalablement à l'édiction de la norme, à une étude d'impact rigoureuse et qu'ils engagent une
évaluation prospective de la future réglementation. Si les esprits ne sont pas encore gagnés

110C.E. (VI), 2 avril 1993, Krier, n°42.543, J.T., 1993, p. 713, note D. LAGASSE.
111Voy., pour de plus amples développements, N. BERNARD, "Relogement suite à un arrêté d'inhabitabilité",
Trait d'union (revue de l'Association des villes et communes de la Région de Bruxelles-Capitale), 19 novembre
2003, n°9, p. 8 à 11.

20
entièrement par cet impératif méthodologique, gageons que les mentalités sont
progressivement en train de changer112.
En résumé, les pouvoirs publics doivent donner à leurs politiques de logement un tour
davantage horizontal. Seule la mise en réseau des différents acteurs du logement, couplée à
l'interpénétration de leurs pratiques, paraît susceptible de "transpercer" la verticalité inhérente
aux traditionnelles politiques sectorielles en la matière. Alors seulement, une mesure
transversale et intégrée pourra se dessiner. Il s'agit donc d'adopter une approche globale. Celle-
ci, expliquent Jacques Donzelot et Philippe Estèbe, désigne "la nécessité de produire une
intelligence commune des problèmes, de prendre en compte les interactions existantes entre
des domaines qu'a totalement séparés une approche sectorielle livrée à sa seule logique"113. Car
le problème du logement a besoin d'une réponse globale, qui ne se limiterait pas à la
rénovation du bâti, par exemple. Au-delà des réparations urgentes, c'est un véritable projet de
développement social que les quartiers défavorisés réclament. C'est de front que les politiques
sociales, culturelles et sécuritaires, notamment, doivent être menées. Traiter un problème sans
instruire, parallèlement, une question interdépendante, condamne à ne pouvoir jamais agir qu'à
la marge. On ne parviendra à élaborer une perspective globale qu'ensemble, en collectant les
pratiques réelles de chacun. Un point de vue général ne s'obtient pas artificiellement, "en
chambre", mais se construit laborieusement par la confrontation. Son élaboration se doit d'être
collective, à peine de ne refléter que l'opinion de son auteur, aussi bien intentionné soit-il. Le
défi, à la hauteur de l'enjeu, est certes imposant mais ne fait que refléter les attentes des
citoyens.

112 Voy., pour de plus amples développements sur le sujet, N. BERNARD, "Pour une évaluation législative qui
réhabilite cet effet qu'on dit pervers. L'exemple du logement", Éthique économique / Ethics and Economics,
2003, n°1, p. 1 à 23 (à consulter en ligne sur http://Ethique-economique.org).
113 J. DONZELOT et Ph. ESTÈBE, L'État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994, p. 22.
"Nouveau mode de penser, l'approche globale suscite un nouveau mode d'action".

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