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PAR Ch. DE QUÉKER, SECRÉTAIRE DU CABINET DU BOURGMESTRE DE BRUXELLES, SECRÉTAIRE DU


COMITÉ DE PATRONAGE DES HABITATIONS OUVRIÈRES DE BRUXELLES.

Cette question est généralement entendue de deux manières. Par ce temps de socialisme, les
collectivistes de raison ou de sentiment ainsi que leurs antagonistes, les économistes libertaires
lisent : « Les pouvoirs et les établissements publics ont-ils pour ilevoir, etc., etc. » Par une foule
d’arguments, philosophiques, éthiques, scientifiques, etc., les premiers prouvent « clairement » que
les pouvoirs publics ont ce devoir, et que c’est même faute de l’avoir dignement i) Y a-t-il lieu pour
les pouvoirs et les établissements publics, ou pour certains d’entre eux : a) de faire construire eux-
mêmes des habitations à bon marché dans le but de les louer ou de les vendre aux ouvriers ou à
d’autres personnes à revenus modestes (employés, etc.) ? b) d’intervenir en faveur de la construction
d’habitations k bon marché (exonérations de taxes, cessions de terrains, gratuité de services publics,
souscription d’actions ou d’obligations, primes ou subsides, etc.)?

rempli que ces mêmes pouvoirs se trouvent aujourd’hui aux prises avec cette terrible question
sociale qui menace d’envahir tous les domaines. Par une foule d’arguments contraires, tout aussi
philosophiques, éthiques, scientifiques, etc., les seconds montrent tout aussi « clairement » que les
pouvoirs publics doivent se garder religieusement de toute intervention dans la question de
l’habitation ouvrière, et que c’est même à cause de la faiblesse d’un jour, pour avoir fait des
concessions à la tendance interventionniste, que l’on se voit actuellement harcelé par des espoirs et
des appétits soigneusement entretenus et cultivés par les apôtres de l’école de tantôt. Ces
arguments d’un ordre très élevé et très abstrait, pour et contre, nous ne les reproduirons pas ici. Le
Congrès aura probablement assez bien à faire de les entendre dans des bouches autorisées; ils sont
presque inévitables en présence d’une question comme celle que l’on nous pose. Nous préférons ne
pas lire la question à la façon des interventionnistes et des non-interventionnistes absolus, et nous
nous permettons de leur faire remarquer : Aux uns, que leurs arguments devancent leur époque et
que nous attendrons, pour nous y laisser convertir, que la société soit devenue en fait ce qu’ils
affirment a priori qu’elle doit être : la collectivité — providence de tous les citoyens. Aux autres, que
l’art d’administrer, de gouverner, ne vit pas seulement de déductions, d’abstractions théoriques,
mais de tout fait qui est sorti du terre à terre de la pratique et du bon sens. Et avec la foule des gens
de bonne volonté qui ne se sont jamais élevés si haut, ou bien qui, s’v étant élevés et ayant voyagé
du nuage collectiviste au nuage manchestérien, en sont descendus fort désillusionnés ou fort
sceptiques, nous lirons la question comme il suit : « Y a-t-il intérêt, en certains cas déterminés, pour
les pouvoirs et les établissements publics, etc... » Posée de cette façon, la question est beaucoup plus
simple, beaucoup plus tangible et ne sort pas du domaine journalier de l’administration des hommes
et des choses. D’abord on peut affirmer, sans crainte d’être contredit par le collectiviste le plus
résolu, que lorsque l’initiative privée fait bien, tout à fait bien, une chose, il serait absurde d’en
réclamer l’exécution du pouvoir public.

Et, d’autre part, le plus intraitable des non-interventionnistes ne voudra pas soutenir que lorsqu’une
chose est unanimement reconnue comme désirable, nécessaire, et que malgré toutes les invites,
l’initiative privée reste inerte, l’initiative publique ne pourrait avoir intérêt à la réaliser elle-même.
Ainsi a-t-elle fait de certains services publics, qui n’existeraient pas sans elle, et tout le monde
reconnaît qu’elle a fort bien fait. Il existe bien encore, nous ne l’ignorons pas, des gens qui, à l’heure
actuelle, en font un grief au pouvoir d’avoir organisé un service général des postes et rêvent le retour
des courriers et des messageries, pour le bien suprême de l’humanité, mais personne ne fera à ces
oiseaux rares l’honneur de les ranger dans une école quelconque (i). La question se résout donc à
celle de savoir si, pour les habitations à bon marché, l’initiative privée a produit des résultats
appréciables; si, dans la négative, il est probable qu’elle en produise dans un temps assez rapproché;
comment, le cas échéant, on pourrait l’y amener, et si, au cas où on ne pourrait l’y amener, il y aurait
profit à se substituer à elle. Depuis vingt ans, l’initiative privée s’est souvent manifestée en matière
de logements à bon marché et souvent elle est arrivée à d’excellents résultats. Mais il suflit d’être au
courant des statistiques en cette matière pour s’apercevoir que le bien réalisé est une proportion
infinitésimale en regard du mal constaté. Si la raison de cette proportion était constante, si elle était
sensible, on pourrait espérer que la raison du mal constaté ira en décroissant. Malheureusement, tel
n’est pas le cas, tout au moins en règle générale. En Belgique, à la campagne, l’initiative privée basée
sur la coopération a déjà réalisé un progrès étonnant en matière de logements à bon marché, et il est
permis d’espérer que, si l’on veut lever certaines entraves, plutôt formalistes que principielles, elle
finira par avoir raison des difficultés de la question du logement ouvrier L’initiative privée a été ici
puissamment secondée par la législation belge de 1889, et il ne nous semble pas qu’en règle
générale cette législation ne puisse être adoptée dans d’autres pays. Mais cette législation a été peu
efficace dans les grands centres, au point de vue de la multiplication des petits logements et malgré
les (i) Au dernier Congrès de législation du travail un orateur a très adroitement soutenu pareille
thèse.

meilleures dispositions du pouvoir qui doit appliquer la loi, elle ne peut être efficace. Les comités de
patronage des logements ouvriers des grandes villes belges ont vainement cherché les termes d’une
loi qui pourrait y stimuler l’initiative privée comme la loi de 1889 l’a fait pour les campagnes. On
semble se trouver ici devant une difficulté insurmontable; mais rien n’est insurmontable si l’on y met
de la bonne volonté et du sens pratique, et nous espérons bien que bientôt on trouvera le courant
qui dans les villes doit galvaniser l’initiative privée en matière de construction de logements à bon
marché. En attendant, les pouvoirs publics se trouvent aux prises surtout avec les résultats de
l’entassement des logements ouvriers : promiscuité, immoralité, maladie, misère. Ces résultats
coûtent fort cher aux caisses publiques, et il est absolument logique qu’elles cherchent à en faire
disparaître les causes. Si donc elles peuvent faire disparaître ces causes avec profit et en n’établissant
pas de précédents qui pourraient amener leur ruine, on doit reconnaître que les autorités publiques
feraient acte de bonne administration en agissant ainsi. Nous voulons démontrer qu’elles le peuvent
sans le moindre inconvénient. Dans un remarquable rapport au Congrès national belge de 1894, à
Anvers, MM. Le Bon et Obozinski ont démontré que, depuis 1843, il était entré dans l’esprit des
gouvernants belges de voir intervenir les autorités, d’une manière plus ou moins directe, en faveur
de la multiplication des logements salubres à bon marché. A plusieurs reprises, le pouvoir central a
appelé l’attention des autorités de tout rang sur cette importante question, et c’est surtout le
Ministre de la Justice qui a conseillé d’intervenir aux tuteurs légaux des pauvres : les administrations
des hospices et de la bienfaisance. Les administrations intéressées qui ont écouté ce conseil n’ont
pas été fort nombreuses. Nous avons démontré ailleurs (l), d’une façon détaillée, que si, en Belgique,
les administrations de la charité publique peuvent toujours prétendre à beaucoup de dévouement
théorique, — la mouche du coche pouvait également élever pareille prétention ! — leur dévouement
pratique prête le flanc à mille critiques. La routine, quelque onéreuse fût-elle pour les finances des (i)
La bienfaisance publique et privée. Bruxelles, Wormhout, 1894.
caisses charitables, régna longtemps en maîtresse. Cependant, quelques administrations charitables
ont pensé qu’elles pouvaient bien avoir quelque chose à gagner en suivant les conseils de l’autorité
supérieure. Elles ont estimé qu’effectivement le placement de leurs capitaux ou d’une partie de ceux-
ci en constructions ouvrières pouvait donner lieu à un double bénéfice : plus d’hygiène, moins de
maladies, partant moins de misères à soulager — d’un côté, et un revenu plus rémunérateur de leurs
capitaux, c’est-à-dire plus de ressources disponibles, — de l’autre. Et l’expérience leur a donné
raison, à ce double point de vue. Les administrations charitables d’Anvers, de Nivelles, de Wavre, de
Tournai, etc., peuvent répondre par des chiffres et des faits à ceux qui prétendront que la violation
des principes de non-intervention absolue, commise par eux, est un crime abominable contre la
sagesse administrative. Certes, il y a des administrations charitables qui sont intervenues d’une
manière fort généreuse et qui n’y ont trouvé aucun protit direct, celle des Hospices et Secours de
Bruxelles, par exemple. IMais cela tient uniquement à la manière d’intervenir, et c’est ce que feraient
bien de retenir les absolutistes pour et contre. Toute intervention n’est pas bonne a priori; toute
n’est pas condamnable en vertu d’une loi immuable. Autant vaudrait condamner la charité publique
et privée elle même, parce que certains donateurs, par leur manière maladroite de faire l’aumône,
cultivent le pauvre au lieu de le sauver. Toutefois, comme résultante de ce qui précède, si toute
manière d’intervenir n’est pas bonne, pouvons-nous conclure qu’il n’est pas bon non plus que
n’importe quelle autorité intervienne. En thèse générale, il nous semble désirable que les autorités
issues directement des luttes politiques, les mandataires directs des électeurs n’interviennent pas
comme personnes agissantes dans cette question, et cela aussi bien dans leur intérêt de mandataires
que dans celui de l’objet à poursuivre. La question de l’habitation à bon marché va si intimement au
cœur de l’habitant, que foule de difficultés peuvent surgir qu’il n’est pas bon de poser entre
l’électeur et l’élu. Car, ou bien ce dernier, envisageant surtout le bien public, pourra susciter les
réclamations de son électeur, l’habitant du logement à bon marché, à cause de sa sévérité dans
l’application des règlements ou du paiement du loyer, ou bien il cherchera à se procurer des
électeurs en fermant les yeux sur les défauts et les manquements des locataires et fera de ces
derniers les plus mauvais loca-

taires qui soient : ceux qui s’imaginent que le logement est une chose que l'autorité devrait leur
procurer gratuitement ou en dessous du prix de revient C’est pourquoi nous estimons qu’il
appartient surtout aux administrations charitables d’intervenir en cette matière. Il va de soi que si, en
règle générale, nous pensons qu'une administration communale ne doit pas édifier des maisons
ouvrières, qu’elle ne doit même pas appliquer à celte édification des fonds à créer spécialement dans
ce but, il ne s’ensuit pas qu’une administration charitable devrait toujours le faire, du moins par elle-
même. Mais ce que l’on peut affirmer, c’est qu’une administration charitable trouvera toujours dans
l’édification de maisons à bon marché pour ses capitaux une rémunération supérieure à celle que
procure la rente de ses terres, et même de certains autres immeubles, du moins en Belgique, car les
bilans des administrations charitables, citées plus haut, sont là pour prouver ce que nous avançons.
Quant à l’économie réalisée par le fait de la décroissance des maladies, des infirmités et par
conséquent des misères dues au logement insalubre, elle ne peut jusqu’à ce jour se calculer :
l’enquête statistique n'a point porté ses investigations d’une manière exacte de ce côté; mais les
administrateurs des comités charitables, qui ont fait pendant une certaine période d’années
l’expérience dont nous traitons, sont unanimes à dire que l’cconomie de ce chef existe et qu’elle est
considérable. Certes, l’application par les administrations charitables de ce système d'intervention
directe n’est pas sans présenter assez bien de difficultés d’exécution et, à notre sens, il vaut toujours
mieux, si l’on peut obtenir le même résultat, que les administrations visées avancent leurs fonds à
des groupes de personnes dévouées à l’œuvre poursuivie, que de bâtir et d'administrer elles-mêmes
les logements à bon marché. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables, et s'il est vrai qu’elles
ont souvent pour effet de rebuter de tout effort les indolents et les indifférents, et qu’il est tout aussi
vrai que ces deux catégories forment la moitié et plus de l’humanité, il n’en est pas moins vrai que les
difficultés à vaincre excitent le génie des courageux et des dévoués et que, en principe du moins, les
tuteurs des malheureux ne devraient être recrutés que parmi ces dernières catégories. Une des plus
grandes difficultés à vaincre est celle résultant de l’indigence momentanée ou permanente du
locataire, laquelle

amène généralement le défaut de paiement du loyer. Une administration charitable peut-elle


expulser un de ces malheureux, qu’elle a précisément pour mission de secourir et de relever?
D’aucunes le font, et il faut avouer qu’elles sont plutôt logiques en agissant ainsi. Leur administration
de logements ouvriers n’est pas une question de bienfaisance, mais de finances tout simplement, et
indirectement d’hygiène. Il faut donc que les sommes dues rentrent â la caisse et que le débiteur,
incapable de payer, fasse place à un successeur plus « solide » : c’est le raisonnement naturel â tenir.
Mais ici le sentiment proteste, précisément par la personnalité même «Iu créancier qui obtient
charge d’âme envers le débiteur, dès le moment où celui-ci entre « en déconfiture ». On comprend
combien d’administrateurs consciencieux, des biens des pauvres deviendraient perplexes devant
cette question. Ou bien il faut rester créancier sévère et expulser, et alors comment contenter la
mission morale et le sentiment qui réclament leurs droits ? Ou bien il faut fermer les yeux, accorder
le secours que nous considérons comme le plus mauvais de tous, le logement gratuit, parce qu’il
habitue l'indigent à oublier qu’une des nécessités les plus impérieuses auxquelles doit s’appliquer le
produit de son travail est la nécessité du logement pour sa famille. Ajoutez â cela que
l’administrateur du domaine charitable, qui poserait pareil précédent, aurait bientôt un nombre
considérable de canditats au logement gratuit, de sorte que son domaine produirait d’autant moins,
et ce au détriment des pauvres à secourir qui n’habitent pas ces logements, sans que pour cela les
charges générales diminueraient en quoi que ce soit, car une assez longue expérience nous a prouvé
que l’indigent ne tient aucun compte de ce qu’on lui donne en dépenses en moins, mais uniquement
de ce qu’on lui accorde en recettes en plus. Cette question, nous le répétons, est la plus difficile à
résoudre, et elle ne peut l’être complètement que par l’interposition d’administrateurs, absolument
indépendants et dépourvus de toute visée de lucre, entre le propriétaire et le bailleur de fonds,
l’administration charitable et l’habitant. Cet intermédiaire peut même être un groupe, par exemple
une mutualité, constituée entre les locataires eux-mêmes, mais, dans ce cas, il ne serait pas pratique
de compter sur le seul dévouement. En effet, la mutualité des locataires aurait intérêt à choisir les
administrateurs les plus faciles, ceux qui s’occuperaient le plus mollement de la rentrée des loyers,
et, ce faisant, elle serait assez logique.

Mais accordez fi la mutualité un tantième sur le bénéfice net, et l'inconvénient disparaît. L’appât du
bénéfice stimulera immédiatement les dirigeants de la mutualité â rechercher les meilleurs
locataires, à surveiller sévèrement l’entretien, à insister le plus possible pour la rentrée des loyers, â
compléter la recette, et s’il arrive alors, par une circonstance tout à fait fortuite, un cas pour lequel
elle priera le propriétaire d’abandonner la créance, soyons persuadés que c’est bien un cas tout à fait
exceptionnel et absolument passager. Il faut n’avoir jamais connu l’administration d’une société
mutuelle ouvrière, et n'avoir jamais assisté à une de ses séances pour ignorer le contrôle rigoureux,
parfois, nous devons le dire, absolument dur, que les sociétaires exercent entre eux. Quoiqu’il en
soit, l’intervention libre des administrations charitables, telle qu’elle fonctionne, si elle est de I’ «
initiative publique », est le plus souvent de l’initiative individuelle, car c'est généralement un des
membres de cette administration qui propose l’emploi d’une partie des fonds en constructions
ouvrières. Plus il y aura donc de convaincus dans les administrations charitables, et plus celles-ci
s’occuperont de la question du logement â bon marché. Ceci nous amène à conseiller â tous ceux qui
s’occupent de cette question d’une façon spéciale, comme, par exemple, en Belgique, les membres
des comités de patronage, de s’efforcer de pénétrer dans les administrations charitables, ne fut-ce
qu’â titre temporaire, pour y agiter la question du logement et lui donner, si possible, une solution.
Cependant, tous ces efforts réunis vers le bien ne pourront pas, croyons-nous, enrayer les progrès du
mal constaté, â moins que l’initiative individuelle des administrateurs,celle des administrations et
même celle des particuliers ne soit stimulée d’une façon plus active par un acte du pouvoir qui
lèverait les multiples entraves à l’organisation de groupements et â la réunion de capitaux destinés à
la construction de logements à bon marché. Car, partout, ce qui manque le plus, ce n’est pas la
volonté de construire des logements ouvriers sains et à bon marché, ce sont les capitaux nécessaires.
Il en est un peu de cette question comme il en était, en Belgique, de celle des voies ferrées vicinales
avant la loi du 24 juin 1885, créant la Société nationale des chemins de fer vicinaux. Le besoin s’en
faisait partout sentir, l’initiative privée n’osait pas risquer ses capitaux, ou bien, là où elle le faisait,
elle n’arrivait pas toujours aux résultats désirables. Il y avait un manque absolu d’unité, et l’on ne
savait pas où finissait l’action des amis sincères de nos populations rurales et où commençait celle
des simples spéculateurs.

Le Gouvernement belge et la Législature sont alors intervenus, non pas pour se substituer à
l’initiative privée, mais pour secouer son inaction et pour donner l’élan si désiré, absolument comme
le chimiste échauffe légèrement le mélange inerte dans lequel il veut provoquer une réaction
atomique, dont l’intensité naturelle suffira pour produire le résultat voulu. La loi si sage, dont nous
venons de parler, n’a fait qu’indiquer le chemin à suivre, et l’initiative des administrations inférieures
comme celle des particuliers s’y sont engagées avec enthousiasme. L’initiative de l’autorité a servi à
donner l’impulsion, à inspirer confiance aux capitaux en leur offrant un placement de rémunération
modeste, il est vrai, mais certain, à stimuler l’activité des particuliers bien disposés, mais qui, sans cet
appui moral, sans cette unité dans l’action, décrétée par le législateur, auraient attendu longtemps
encore, abandonnés leurs forces éparpillées, à s’engager dans les affaires du transport vicinal. C’est
ce même système que nous voudrions voir appliquer, évidemment avec les modifications
indispensables, à la question de la multiplication des logements à bon marché. Nous voudrions voir
décréter la création d’une Société nationale des habitations à bon marché. Celte société n’aurait
aucun but de centralisation, entre les mains de l’Etat, de la création ou de l’administration des
logements à bon marché. Comme la Société nationale belge des voies ferrées vicinales, elle aurait
surtout pour but l’accumulation des fonds nécessaires, l’étude générale des besoins locaux et des
moyens d’application, la surveillance de la gestion des sociétés ou des groupements qui
administreraient les entreprises locales. D’un côté donc, centralisation pour affaires générales :
études, plans, adjudications, emprunts. De l’autre, décentralisation pour l’administration, chaque
groupement se gérant d’après les nécessités des localités. En règle générale, les actionnaires publics
d’une société de l’espèce devraient être les administrations charitables communales et les fonds
publics plus généraux, qui interviennent dans le paiement de certains frais de la bienfaisance. Nous
sommes peu partisans de voir intervenir comme actionnaires publics les communes mêmes, les
provinces et l’Etat, tout d’abord pour le motif indiqué plus haut, et ensuite parce qu'il est
incontestable que les fonds du domaine public charitable sont plus que suffisants (c'est le cas du
moins en Belgique) pour faire face à la pénurie du logement à bon marché. En outre, nous répé-
tons que la question de ce logementest, d’après les notions actuellement reçues sur la compétence
administrative, en tout premier lieu du domaine des administrations charitables et d’une façon
indirecte seulement de celui des autres pouvoirs publics. En règle générale aussi, les groupements
d’administration seraient locaux, c’est-à-dire qu’ils ne s’étendraient pas au-delà d’une seule
commune. Pour la voie ferrée vicinale, plusieurs communes belges ont les mêmes intérêts
inséparables : une même ligne, utile à toutes, traverse leurs territoires. Pour les logements à bon
marché, il n’en est pas de même en principe. La commune A peut n'avoir aucun intérêt à s’unir aux
communes H et C pour s'efforcer de procurer de meilleurs logements à ses ouvriers à elle et aux
personnes à modestes revenus habitant son territoire. Mais il se peut que deux ou plusieurs
communes ne forment qu’une seule agglomération urbaine; il se peut, en outre, que des hameaux,
où la pénurie du logement se fait vivement sentir, soient à cheval sur deux ou plusieurs communes; il
se peut qu’en constituant un très grand nombre de petits logements, beaucoup plus, par exemple,
qu’il n’en faut à la commune A, on puisse réaliser sur l’unité une économie considérable. Dans ce cas
un rapprochement des actionnaires de différentes communes serait tout indiqué. S’il n’est pas
indispensable que la commune, la province (département, district) et l’Etat deviennent actionnaires
d’une société nationale, il n’y aurait cependant aucun motif pour le leur interdire. Mais ce serait là
l’exception. L ue administration charitable peut ne pas disposer momentanément des fonds
nécessaires pour devenir actionnaire. Dans ce cas, la commune pourrait souscrire, mais il vaudrait
toujours mieux qu’elle accordât les fonds nécessaires à l’administration de bienfaisance. 11 se
pourrait aussi que la province, (département, district) et même l’État désirassent intervenir, afin
d’assurer en un lieu donné, à une partie du personnel ouvrier ou employé que ces pouvoirs salarient,
l’occasion de mieux se loger et à meilleur marché. Dans ces circonstances, les souscriptions de ces
pouvoirs s’indiqueraient d’elles-mêmes. Mais que fera dans tout cet arrangement l’action privée?
Absolument la même chose qu’elle fait dans la Société nationale belge des chemins de fer vicinaux.
Beaucoup plus même, car ladite société a un droit de priorité pour l’établissement de toutes les voies
ferrées vicinales, presque un monopole, un monopole de fait jusqu’à ce jour; la Société natio-

nale des logements à bon marché n’aurait besoin d’aucun privilège de l’espèce. La plupart des lignes
vicinales belges sont administrées par des concessionnaires particuliers, sous la surveillance de la
Société nationale; celles exploitées directement par les communes actionnaires sont la rare
exception. Dans un groupement local (consortium, société ou intendance), chaque citoyen devrait
pouvoir intervenir, comme actionnaire, au même titre que les administrations charitables et avoir
droit à sa part de représentation dans l’administration. Il nous semble que c’est là un champ d’une
ampleur sutiisante pour que l’initiative des particuliers puisse s’y donner libre carrière. Pour éviter à
une section quelconque de la Société nationale un caractère de spéculation et d’aléa, il serait établi
un dividende maximum. Celui de la Société nationale belge des lignes vicinales est fixé à 4 1/3 0 / o ,
mais vu la différence des objets à poursuivre et vu la diminution progressive de la rente, il ne serait
pas excessif de fixer le maximum du dividende à 3 1/2 "/•• Ceci d’ailleurs dépend des circonstances
financières dans chaque pays. En Belgique, cette limitation ne serait aucun obstacle à l’affluence des
capitaux à la Société nationale. Pour chaque groupement, aucune construction ne serait entamée,
avant que le capital nécessaire ne fût souscrit « ferme », et le Gouvernement n’autoriserait les
emprunts de la Société nationale que jusqu’à concurrence d’une proportion déterminée de la valeur
de tous les immeubles, afin d’assurer toute sécurité à la petite épargne, laquelle se dirigerait sans nul
doute de ce côté, comme elle se dirige actuellement vers les emprunts des villes et vers ceux de la
Société nationale des vicinaux. Pourquoi d’ailleurs n'autoriserait-on pas l’emprunt à lots pour une
entreprise d’une utilité aussi incontestable que celle du logement à bon marché? On l’a autorisé en
Belgique pour la voie ferrée vicinale, et si cet objet est du plus haut intérêt national, on n’osera pas
soutenir que celui qui vise le foyer, donc le bien-être de la classe laborieuse, ne l’est pas davantage.
Sans nul doute, des philosophes vertueux se sont élevés avec indignation contre les emprunts à lots
de toute nature, et si leur théorie est impeccable, ils oublient de faire la part des aspirations, des
faiblesses du caractère humain. Ce ne sont pas les innocentes loteries des villes et des établissements
reconnus d’utilité publique qui ont causé cette passion effrénée du jeu, laquelle caractérise si
tristement

12 RAPPORT DE M. DE QliÊKER cette fin de siècle. Ce n’est pas leur suppression qui calmerait la
fièvre; il vaut donc mieux canaliser les espoirs de « gagner un gros lot » vers un objet d’utilité sociale,
que de vouloir les étouffer, au risque de les diriger vers les buts les moins louables, la dissipation et
les vains plaisirs. Une partie déterminée du bénéfice réalisé par chaque groupement serait versée à
un fonds général d’amortissement et de réserve, évidemment avec inscription exacte de la quote-
part de chaque groupe. Ce fonds, servant de prêteur à tous, s’accroîtrait sans cesse et permettrait un
amortissement facile avec minimum de charges. Il serait établi, au moyen d’un léger tantième sur le
bénéfice net, un second fonds de réserve, fonds commun, géré par la Société nationale elle-même et
qui servirait à couvrir des pertes possibles et non assurables, ensuite à perfectionner l’étude du
logement à bon marché, en un mot à tous les Objets d’un but plus général et socialement plus élevé
que le but matériel immédiatement visé. Tel est, dans ses grandes lignes, le cadre que devrait remplir
une Société nationale des logements à bon marché. Nous croyons qu’elle est possible en chaque
pays, et nous espérons vivement que la Belgique, qui a su donner un si grand élan à la question du
logement ouvrier, aura l'honneur d’en prendre l’initiative. Pareille Société nationale ne porterait
aucune atteinte à la libre action des individus, laquelle, à notre sens, vaut toujours mieux que l’action
moins intéressée et partant moins diligente du pouvoir. Mais ici l’action que nous réclamons de la loi
n’est que passagère : le coup du commutateur qui établit et maintient le courant de la lumière
électrique! Le législateur et son succédané, la Société nationale, n’interviendraient pas
intempestivement et sans raison, là où on ne les appellerait pas, et même si on les appelait, ce sont
encore les gens qui les appellent qui auraient à faire les fonds et à administrer. La Société nationale
guiderait, aiderait, surveillerait l'initiative des citoyens; elle éviterait le plus possible de se substituer
à elle. C’est là son meilleur rôle et, comme l’expérience l’a démontré, le seul bon. Toutes les
institutions existantes resteraient en état. Là où les sociétés coopératives, comme en Belgique,
réussissent, grâce à leur dévoûment, à rendre l'ouvrier propriétaire de sa maisonnette, elles
continueraient à le faire. A la campagne, ce sera toujours l’idéal à réaliser. Mais cet idéal, même à la
campagne, ne peut, eu égard à l’aléa du travail et des salaires, au défaut d'éducation économique, eu

égard à mille autres causes, être atteint que par un ouvrier sur dix. Procurer aux neuf autres un
logement convenable et peu cher, de' manière à parfaire, par l’amour du foyer, cette éducation si
incomplète, élever progressivement l’ouvrier par le confort et l’hygiène, enrayer ces causes de
misère, de dégénérescence et de ruine qu’engendre l’entassement dans les taudis : telle serait la
belle mission d’une Société nationale des logements à bon marché. Conclusions. l r . Dans la
conception actuelle de la mission de l’Etat et des pouvoirs publics, ceux-ci n’ont pas pour devoir
absolu de suppléer directement à l’insutlisance du logement à bon marché. 2. Ils ont pour devoir de
n’entraver en rien la libre initiative des citoyens, en matière de constructions ouvrières, et de la
seconder par tous les moyens en leur pouvoir et par tous les avantages dont ils disposent. 3. En règle
générale, il est bon que les pouvoirs issus d’élections politiques s’érigent le moins possible en
administrations de logements à bon marché. 4. Il est désirable que les administrateurs du domaine
de la charité publique appliquent la plus grande partie possible de leurs capitaux ù la construction de
logements à bon marché, soit dans le but de rendre l’ouvrier propriétaire de sa maison, soit, si cette
combinaison n’est pas possible, dans le but d’établir l’équilibre entre l’offre et la demande du
logement sain et peu coûteux. 3. La constitution d’une Société nationale des logements à bon
marché, décrétée d’utilité publique, placée sous la protection de la loi et des pouvoirs, centralisée
pour la réunion des capitaux, les intérêts financiers et les études générales, décentralisée pour
l’administration des constructions, et dans laquelle l’initiative publique et l’initiative privée
pourraient se donner carrière aux mêmes titres, est désirable. 6. Il est désirable que l’habitant du
logement à bon marché soit intéressé dans la gestion économique de l’immeuble. Ce moyen devrait
être surtout cherché dans l’association mutuelle des occupants, à provoquer par l’administration des
propriétés.

Ch. DE QUEKER.

Congrès international des haritations a bon marché. — Bruxelles, 1897. Rapports préparatoires.

De l'intervention des pouvoirs publies.

RAPPORT SUR LA P e QUESTION (1) PAR Hector LE BON, AVOCAT, MEMBRE DU COMITÉ DE
PATRONAGE DES HABITATIONS OUVRIÈRES D’ANVERS, » ET Louis OBOZINSKI, « AVOCAT, SECRÉTAIRE
DU COMITÉ DE PATRONAGE DES HABITATIONS OUVRIÈRES DE BRUXELLES-OUEST.

Le Congrès d’Anvers nous avait chargés d’un rapport sur cette même question. Notre travail avait
naturellement un caractère essentiellement national, mais nous pensons que ce que nous écrivions
en 1894 pourra trouver sa place au Congrès international de 1897. Voici donc les principaux passages
de ce rapport que nous faisons suivre des vœux votés par l’assemblée générale : ★ * * I. — Les
pouvoirs publics doivent intervenir à l’effet de prescrire certaines conditions générales d’hygiène
dans les constructions de logements ouvriers. (i) Y a-t-il lieu pour les pouvoirs et les établissements
publics, ou pour certains d’entre eux : a) de faire construire eux-mêmes des habitations à bon
marché dans le but de les louer ou de les vendre aux ouvriers ou à d’autres personnes à revenus
modestes (employés, etc.) ? b) d’intervenir en faveur de la construction d’habitations à bon marché
(exonérations de taxes, cessions de terrains, gratuité de services publics, souscription d’actions ou
d’obligations, primes ou subsides, etc.)?

Les lois des 14-15 décembre 1789, 10-24 août 1790, 19-22 juillet 1791, 30 mars 1830 et 30 juin 1842
remettent aux conseils communaux le soin de la salubrité publique. La commune a, sur ce terrain,
une mission prépondérante; les conditions d’hygiène des habitations ouvrières doivent être inscrites
avant tout dans les règlements communaux. Mais il est à craindre que le pouvoir local ne se laisse
guider ou amollir par des considérations d’intérêt personnel; aussi, en vertu du décret-loi du 22
décembre 1789, les administrations provinciales conservent-elles la charge de veiller au maintien de
la salubrité publique, sous l’autorité et l’inspection du Roi. Partant de là, M. Berden, dans un rapport
présenté au Conseil supérieur d’hygiène publique en séance du 1 er mars 1887, établit le droit du
pouvoir royal de réglementer d’une manière générale en matière d’hygiène, et invita le
Gouvernement à prescrire aux communes les principes essentiels qui doivent les guider dans
l’approbation des plans de maisons ouvrières. IL — Les pouvoirs publics doivent favoriser les
constructeurs de logements ouvriers salubres. En 1848, le Gouvernement organisa un premier
concours pour un projet modèle d’habitation ouvrière, et la loi du 18 avril de la même année mit à sa
disposition un crédit à l’effet de contribuer aux travaux d’assainissement et de transformation de
quartiers ouvriers. En 1852, le Conseil supérieur d’hygiène lui demanda la publication et la
distribution gratuite de plans modèles, devis, dessins et calculs pour constructions ouvrières. Cet
élément d’encouragement reste d’autant plus recommandable que la question du logement, mise à
l’ordre du jour partout, ne peut manquer de progresser sensiblement en Belgique et à l’étranger.
Comme moyen de vulgarisation des éléments d’hygiène et d’économie dans les logis ouvriers, il a été
demandé que les pouvoirs publics construisent des habitations pour leur personnel inférieur, gardes
champêtres et forestiers, cantonniers, douaniers, facteurs des postes, hommes de peine et ouvriers
des administrations. Les autorités peuvent intervenir à l’aide de subsides. L’Etat peut subordonner
ses faveurs aux communes, soit à la stricte observance des règles d’hygiène dans les habitations
ouvrières, soit à la démolition de logements insalubres et à leur reconstruction conforme aux

exigences de la santé publique (loi du 15 novembre 1867 sur l’expropriation par zones). Il nous paraît
spécialement que les autorités communales, en échange des subsides aux institutions charitables,
devraient exiger que celles-ci, là où l’initiative particulière est impuissante ou trop faible,
construisent périodiquement quelques maisons ouvrières, soit pour les vendre, soit pour les louer
aux occupants. (Conclusions conformes à celles de la Commission d’enquête de 1843.) Les avantages
financiers concédés aux sociétés de construction d’habitations ouvrières par les lois des 12 août
1862, 20 juillet 1867 et 5 juillet 1871, furent renouvelés et étendus par la loi du 0 août 1889 et celle
du 30 juillet 1892. Entretemps, l’initiative individuelle grandit, grâce aux sociétés qui se sont
constituées les intermédiaires entre l’ouvrier et la Caisse d’épargne. III. — Les pouvoirs et les
établissements publics peuvent-ils intervenir plus directement dans la construction d’habitations
ouvrières ? Incontestablement oui. En présence des facilités données à l’ouvrier pour acquérir la
propriété de sa demeure, aucun organisme social n’a le droit de se désintéresser, de quelque façon
que ce soit, des immenses avantages résultant pour la communauté de la petite propriété ouvrière. Il
y a donc lieu d’engager les administrations et les établissements publics à construire et à traiter,
autant que possible, avec l’ouvrier en vue de généraliser les effets bienfaisants de la loi du 9 août
1889 et de l’assurance mixte organisée, en vertu de l’article 8 de cette loi, par l’arrêté royal du 6
juillet 1891. Si les administrations publiques ne sont pas en mesure de construire elles-mêmes ou
n’en voient pas la nécessité, encore peuvent- elles stimuler l’initiative privée en s’intéressant dans
ses entreprises pour aider à la constitution des capitaux. On peut citer l’exemple du Gouvernement
prussien, qui concède des terrains gratuits et des primes importantes à l’ouvrier qui veut bâtir, et lui
fait en outre des avances remboursables à long terme, sans intérêts. C’est ainsi que les ouvriers
mineurs de Sarrebrück ont construit 3,081 maisons de 1842 à 1871. Mais la loi belge de 1889, en
visant à la diffusion de la petite propriété, no s’adresse qu’aux ouvriers d’élite qui ont des salaires
rémunérateurs et à ceux qui, n’étant pas chargés d’une nombreuse famille, ont pu réaliser quelques
économies.

Restent les ouvriers moins favorisés et ceux qui, par la nature de leur travail, ne sont pas retenus
pendant de longues années dans une même localité. Nous préconisons pour eux l’édification, par les
administrations publiques, de maisons salubres destinées à la location. L’Angleterre s’est résolument
engagée dans cette voie. L’article 59 de la loi anglaise du 18 août 1890 stipule que l’autorité locale
peut, sur tout terrain acheté ou aménagé par elle à ses frais, construire des maisons propres à
recevoir des ménages ouvriers. Elle peut également modifier, élargir, réparer ou améliorer de
pareilles maisons, ainsi que les disposer, les meubler, les garnir de tous accessoires et commodités
désirables. A Liverpool, la Corporation (administration municipale) a élevé de vastes constructions en
remplacement de bouges infects; elle a donné ainsi à ses habitants, à bon marché, tout en retirant un
intérêt suffisant des capitaux engagés, le confort, la lumière, l’air et la santé. Chez nous, l’on
s’accorde à demander aux bureaux de bienfaisance, aux administrations des hospices, voire aux
communes et aux provinces, de consacrer une partie de leurs ressources à la construction de
logements salubres pour l’ouvrier (î). L’article 2 de la loi de 1889 leur permet de recevoir des dons et
legs à cette fin, et la Caisse générale d’épargne et de retraite leur consent des prêts comme aux
particuliers (arrêté du 25 mars 1891). La circulaire ministérielle du 15 juin 1892 organise
l’intervention des communes en les autorisant à donner en garantie leur part dans le fonds commun,
jusqu’à concurrence des annuités qu’elles s’engageront à payer, en cas d’emprunt destiné à la
construction d’habitations d’ouvrières. Le conseil communal de Saint-Gilles-Bruxelles a déjà voté un
emprunt destiné à la construction de vingt-cinq maisons dont l’édification, dans ces conditions, n’a
été retardée que par quelques difficultés administratives concernant le terrain choisi. Si de
semblables tentatives restent dominées par un sentiment d’humanité, si elles ne sont pas de pures
spéculations, ainsi que le (1) Circulaires ministérielles des 12 décembre 1848, 5 avril et 5 juillet 1849.
Résolutions des Congrès d’hygiène de 1851 et 1852, et rapport du 1 er décembre 1851 adressé au
Ministre de l’Intérieur par le Conseil supérieur d’hygiène publique. Conclusions des enquêtes du
même Conseil et de la Commission du travail en 1886. — Contrà : Rapport de M. Liedts, président du
Conseil supérieur d’hygiène publique. (Voir Rapports du Conseil, vol. I, pp. 124 à 132.)

SUR LA I' e QUESTION.

demandait la Commission du travail (4 me conclusion de la 3 me section), elles sont appelées à


rendre à l’ouvrier de grands services et à faire cesser ce que M. Jules Simon, en parlant des taux
usuraires des loyers ouvriers, appelait à bon droit le trafic de la vie humaine. Elles établiront une
comparaison et une concurrence qui obligeront les propriétaires de mauvais logements ouvriers à les
améliorer, et peut-être à diminuer les prix de location. Le dernier résultat serait des plus
souhaitables, car il résulte des enquêtes particulières que les réductions d’impôts et de taxes
inscrites dans la loi de 1889 bénéficient aux seuls propriétaires et sont restées sans influence sur le
taux des loyers. Elles seconderont l’esprit d’émulation dans la classe inférieure, en s’adressant de
préférence aux ménages les plus dignes de considération et d’encouragement. Il va de soi que les
administrations publiques ne pourront assurer le logement à tous les ouvriers. Ce serait un rêve et ce
serait la mort de l’initiative privée. Mais il semble certain que la tâche ne peut être exclusivement
abandonnée à cette dernière. Le lamentable état des logements ouvriers, révélé par les enquêtes de
1886, appelle des mesures telles qu’il n’est pas trop de toutes les activités sociales pour les
provoquer incessamment « Un frisson parcourrait la Belgique, disait M. Sainctelette à la Chambre des
Représentants, si le tableau des misères matérielles et morales que révèlent les logements ouvriers,
était présenté à ses yeux. » Et l’on sait trop la façon dont les propriétaires spéculateurs ont traité
leurs malheureux locataires, pour s’en remettre â eux de l’amélioration physique, économique et
morale du logement. Insistons spécialement sur l'intervention des bureaux de bienfaisance et des
hospices. M. Woeste le constatait au Parlement le 2 juillet 1889 : « Il y a des administrations de
bienfaisance, en grand nombre, qui ont un patrimoine important et qui pourraient en distraire une
partie pour ériger des habitations ouvrières peut-être le Gouvernement a-t-il les moyens de les y
amener. » Depuis l’ingénieuse initiative du bureau de bienfaisance de Nivelles en 1858, un certain
nombre de ces établissements se sont dévoués aux constructions ouvrières. En 1889, vingt d’entre
eux y avaient consacré 7 millions, y compris la valeur des terrains. Ces constructions permettraient
aux institutions charitables de placer leurs capitaux à un intérêt bien plus élevé qu’actuellement
(souvent moins de 2 %).

6 RAPPORT DE MM. LE BON ET OBOZ1NSKI En outre, les bureaux de bienfaisance grèvent, chaque
année, le bu Iget de presque toutes les communes, à raison même des conditions absolument
antihygiéniques du logement pauvre. « L’un des plus sûrs moyens, disait la circulaire ministérielle du
22 mai 1891, de prévenir la misère est de placer le travailleur dans un milieu favorable à la
conservation de sa moralité et de sa santé. Si l’on établissait ù cet égard un calcul, on constaterait
sans aucun doute que le mauvais état des habitations, l'insalubrité de certains quartiers, le défaut
d’espace, de ventilation et de propreté se traduisent invariablement par une augmentation de la
dépense du service médical et du chiffre des journées d’entretien dans les hôpitaux. » A
Copenhague, la moyenne de la mortalité (23.46 0 / ol> ), tombait à 16.4 (de 1878 à 1884) pour les
habitants des maisons de l’Association pour la construction d’habitations ouvrières de cette ville (t).
Rendant compte, au Congrès tenu à Newcastle en 1882, des résultats favorables de la construction
des logements ouvriers à Londres, M. Douglas-Gallon, président de l’Institut sanitaire, rapportait que
les 50,000 personnes composant les 11.000 familles qui étaient venues y chercher refuge, avaient
présenté mille décès de moins par an, tandis que les cas de maladie étaient tombés de 20,000 à
15,000. César De Paepe écrivait avec raison : « Dis-moi comment tu es logé, et je te dirai ce que tu
vaux comme homme, comme santé, comme vigueur et comme force de travail. » L’organisation du
logement salubre sera donc d’une importance primordiale dans l’avenir... Si l’on peut craindre de
rendre le citoyen tributaire, plus qu’il ne faut, des pouvoirs publics (2>, il est certain aussi que
l’autorité, qui a charge d’assurer l’hygiène publique, doit agir d’office, à défaut de l’initiative privée.
Mais l’éclosion des efforts privés, qui a suivi la loi de 1889, n’est pas arrêtée; attendons le résultat de
cette expérience, avant d’en entraver l’épanouissement par la substitution de l’action générale de
l’Etat à l’action particulière, si féconde et si généreuse, de l’ouvrier lui-même et de ses bienfaiteurs.
En résumé, nous pensons que l’Etat ne peut se désintéresser de la construction d’habitations
ouvrières, que les communes doivent s’y appliquer dès maintenant, et enfin que les établissements
publics (i) Otto Triîdinger, La question de l'habitation ouvrière, Iéna, 1888, p. 109. (s) Voir Rapport de
M. Eugène Meeus à la Commission du travail.

(hospices, bureaux de bienfaisance) se rendraient coupables en retardant leur intervention.


Vœux volés par le Congrès d’Anvers après discussion de ce rapport : 1° Voir insérer dans chaque
règlement communal des prescriptions d’hygiène et de salubrité des habitations ouvrières et voir
intervenir le Gouvernement par voie de réglementation générale à l'effet de prescrire aux communes
les principes essentiels en cette matière ; 2° Voir publier la statistique générale et périodique des
logements ouvriers par un organisme chargé, d’une part, de la diffusion des éléments propres à
répandre les notions d’hygiène et, d’autre part, de l’étudedes moyens d’intervention de l’initiative
privéeou publique dans les constructions ouvrières, suivant les besoins de chaque région ; 3° Voir
affecter, par les pouvoirs et les administrations publics, une partie de leurs capitaux à la construction
de logements ouvriers, tout en évitant soigneusement d'entraver le développement de l’initiative
privée; spécialement, voir construire des habitations ouvrières par les établissements publics de
bienfaisance et même par les communes là où la nécessité s’en fait sentir; 4" Voir les administrations
ou pouvoirs publics participer tout au moins à la constitution des capitaux destinés à cette fin, et
notamment, voir favoriser par le Gouvernement la création de sociétés régionales; 5° Voir
l’intervention publique tendre de préférence à rendre l'ouvrier propriétaire, en le faisant bénéficier
en même temps de l'assurance mixte sur la vie.

Nous estimons aujourd’hui que rien ne peut modifier ce que nous disions il y a trois ans; que, bien au
contraire, les événements prouvent que notre solution s’impose de jour en jour davantage. Loin de
nous la pensée de nier les progrès que la loi du 9 août 1889 a fait faire à la question : nous
reconnaissons que l’initiative privée a, en vérité, réalisé presque des prodiges, car elle peut avec un
certain orgueil revendiquer la constitution de quatre-vingt-neuf sociétés

qui ont pourvu d’une maison six mille quatre cent septante-neuf ouvriers. L’épargne s'enrichira ainsi,
dit-on, d’une somme de plus de vingt millions représentant la valeur des immeubles (i). Ces chiffres
ont certes leur éloquence, mais l’insuffisance absolue de l’initiative privée n’en reste pas moins
acquise. Qu’est-ce en effet que cinq ou six mille maisons construites en six ans pour une population
qui compte environ 730,000 ménages ouvriers, en grande partie mal logés (2)? En effet, il existait en
Belgique, en 1890,1,339,000 ménages et seulement 1,195,000 maisons; 144,000 ménages en sont
donc privés et il n’y a aucune exagération à soutenir que plus de 350,000 habitations doivent être
améliorées ou remplacées (3). Il faudrait donc plusieurs siècles pour que l’initiative privée pût
pourvoir à la nécessité. Quant à la somme de 20 millions, qui représente la valeur des immeubles,
elle ne sera en réalité économisée par les ouvriers propriétaires que quand les emprunts qu’ils ont
contractés seront remboursés, soit donc dans à peu près vingt ans. Puis, quels sont les ouvriers qui
ont fait bâtir? Évidemment ceux qui appartiennent à l’élite de la classe ouvrière, parce que les autres
n’ont pas des salaires suffisants pour les grever des amortissements nécessaires à l'acquisition de la
maison; ou bien encore, ceux qui avaient économisé depuis longtemps un petit pécule, ou enfin ceux
qui ont eu le bonheur de faire un modeste petit héritage. Les autres, il faut bien qu’on le répète, sont
incapables de cet effort, et cette incapacité n’est pas leur seul fait, elle émane de circonstances dont
ils ne sont pas responsables; ce n’est pas leur faute si les salaires sont le plus souvent trop peu
élevés, si tout ce qui constitue la dépense prévue à leur budget est hors de proportion avec la recette
ou le gain. Remarquons, au sujet de celte question de salaires, que les deux pays où les ouvriers ont
réalisé par l’initiative privée de véritables prodiges au point de vue de la construction de leur home,
l’Angle- <0 Le dernier compte rendu de la Caisse générale d’épargne et de retraite, page 17, nous
apprend que la valeur des immeubles donnés en garantie s’élève à 22,215,497 francs et que celle des
polices d’assurance en cours (571 opérations) était, au 31 décembre 1896, de fr. 12,134,722 11. i Ce
chiffre approximatif a été déduit par M. Hector Denis des données de la statistique de 1890. (ù N oir
discours de M. De Becker, au Conseil provincial du Brabant, séance du 14 octobre 1896.

terre et les États-Unis de l’Amérique du Nord, sont justement ceux où les salaires sont les plus
rémunérateurs. Les ouvriers des États-Unis ont, d’après M. Cliallamel, construit à l’aide des Building's
Societies pour plus d’un milliard et demi. Or cette population n’atteint que dix fois celle de la
Belgique. La valeur des constructions ouvrières dans notre pays devrait donc s’élever à 150 millions,
avant que nous puissions atteindre un chiffre proportionné à celui des Américains. L’exemple de ces
deux peuples ne peut donc pour nous tout au plus valoir que comme encouragement. Un autre fait
vient encore corroborer notre thèse ; il est, en effet, absolument établi qu’un très grand nombre de
maisons ouvrières construites ne sont plus en réalité des habitations à bon marché. Que l’on voie, en
effet, la presque totalité de celles qui s’élèvent autour de nos villes, que l’on consulte les bilans des
sociétés de construction : c’est à peine si dix pour cent des maisons peuvent être considérées comme
remplissant le but qu’avait en vue le législateur en votant la loi du 9 août 1889. U serait intéressant
même, à cette occasion, de savoir dans quelles proportions elles sont exonérées des contributions en
vertu des lois du 9 août 1889 et du 18 juillet 1893. Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence
le fait absolument avéré que les ouvriers qui bâtissent, cherchent de plus en plus à le faire en dehors
des sociétés de construction, afin d’éviter de payer les amortissements qui sont trop élevés pour
leurs moyens ; ceux d’entre eux qui possèdent quelques fonds s’adressent à des notaires qui
trouvent dans leur clientèle des prêteurs pour leur faire les avances nécessaires; l’on prévoit dans
l’acte que l’emprunteur pourra rembourser partiellement, mais cette clause du contrat d’hypothèque
est illusoire car les bâtisseurs n’en font rien, ce qui a pour conséquence que, lorsque les années
spécifiées pour le remboursement sont écoulées, l’ouvrier n’a, en réalité, réalisé aucune épargne et
que le but de la loi est manqué pour lui. N’y a t-il pas non plus lieu de remarquer la diminution du
nombre des certificats délivrés dans les grands centres ? Le seul comité des communes Ouest de
l’agglomération bruxelloise n’a été sollicité que vingt-quatre fois en 1896, contre plus du double en
1895. La Société de construction d’Etterbeek, qui fait le plus d’affaires, constatant ce ralentissement
dans son rapport annuel, l’attribue à la cherté des terrains aux environs de la ville,

Et cependant, peut-on dire que le logement des ouvriers et des besogneux se soit considérablement
amélioré? Les enquêtes qui se font chaque jour établissent au contraire qu’il n’en est rien et que la
situation ne s’est guère modifiée d’une façon très sensible depuis 1887. Un argument nouveau nous
est encore inspiré par les nouvelles statistiques que l’on vient de publier sur le rapport entre le
salaire et le loyer : ne voyons-nous pas celui-ci absorber jusque 35 et 40 pour cent du gain (t)?
L’ouvrier doit donc fatalement se priver du nécessaire pour pouvoir payer son propriétaire, situation
qui est la même en Allemagne et en France que chez nous. Nous ne pouvons faire un pas dans
l’étude de cette question sans rencontrer partout des arguments en faveur de notre thèse. C’est ainsi
qu’il y a peu de temps, l’un de nous ayant fait une enquête sur les maisons où logent à la semaine les
ouvriers des campagnes qui viennent travailler en ville (s), constatait à cette occasion des
encombrements réellement extraordinaires : jusqu’à quinze hommes logés dans des greniers qui ne
devraient pas en abriter cinq. Or, quel remède l’initiative privée a-t-elle apporté à cette situation ? En
quoi a-t-elle obvié à ce danger permanent pour l’hygiène et la morale? Que conclure de l’ensemble
de ces faits, si ce n’est ce que nous disions il y a trois ans, à savoir : que le remède véritable se
trouvera seulement dans l’intervention directe des administrations publiques, tout d’abord des
bureaux de bienfaisance, puis, à leur défaut, des communes elles-mêmes. Les exemples ne
manquent d’ailleurs pas. Le Conseil de comté de Londres fait construire des maisons à plusieurs
logements, dont chacune est pourvue d’un appartement spacieux prenant jour par le plafond et bien
aéré, destiné ù servir d’atelier commun à ses habitants. La Chambre des députés de Prusse adopta, le
13 août 1895, une loi allouant un crédit de 5 millions de marks pour la construction de maisons
ouvrières ou en faveur de prêts sur ces maisons destinées aux ouvriers de l’Etat; il est vrai que le
commentaire du Soziale Praxis, n° 20, mai 1897, auquel nous empruntons ce (0 Voir H. Denis,
Rapport Ixelles, p. 12; Idem, L'enquête à Saint-Gilles. — Rapport de L. Obozinski, à la suite de la page
60 du Rapport annuel du comité. (?) Les logements à Saint-Gilles, par L. Obozinski.

détail, dit qu’il s’agit dans l’espèce d’un acte de l’État patron et non d’une intervention à titre
d’autorité. Mais le même numéro de cette revue nous apprend que les Chambres ont encore voté un
crédit au Budget de 126,400 marks, pour la création de quatre nouveaux bâtiments destinés aux
ouvriers des pépinières nationales de Tra- kehnen. A Livourne, une commission municipale spéciale,
réunie pour la construction de maisons ouvrières par les soins de la municipalité, a décidé que la ville
devait prendre l’initiative de cette mesure. De la discussion tenue sous la présidence du maire, M.
Castella, il résulte qu’il est établi en principe que les maisons ouvrières seront construites par les
soins du conseil municipal directement, afin d’éviter que ces constructions ne soient l’objet de
spéculations. Enfin, à Quiévrain, le Ministre des finances a fait construire pour les douaniers une
rangée de petites maisons. Nous pensons donc que, seules, la routine, la force d’inertie et la crainte
de froisser certains intérêts pourraient faire reculer une partie de ceux qui s’intéressent au sort des
travailleurs. Nous espérons bien que l’on ne viendra plus répondre à nos arguments par la phrase
toute faite que les pouvoirs publics ne doivent pas plus le logement que le boire et le manger; l’avis
que nous émettons n’est pas une solution a priori, née de toutes pièces dans des esprits épris de
nouveauté; elle est le résultat de ce qui nous est dicté par l’expérience. Notre système esteau
surplus, le seul qui puisse se montrer efficace contre l’encombrement des logements, cette plaie, cet
attentat permanent contre la morale et l’hygiène.

¥ ♦ En résumé, nul plus que nous, n’applaudit aux efforts et aux résultats de l’initiative privée; mais
lorsqu’on constate que le mal est général, immense, que ses ravages minent la base môme de la
prospérité d’un peuple, sa vigueur corporelle, l’esprit de famille, sa moralité il n’est pas jusqu’aux
adversaires résolus de l’interven- tionisme qui ne doivent reconnaître que les pouvoirs publics ne
sauraient, sans forfaire à leur mission, se croiser les bras et refuser de contribuer, par tous les
moyens dont ils disposent, â lancer quelques bouffées d’air pur dans les bas fonds où vit la généralité
des populations ouvrières. H. LE BON. L. OBOZINSK1.

maisons d’habitation situées dans la ville de Zurich, et leur location dans un but d’utilité publique, à
un prix conforme au taux fixé par la concurrence générale. Ces maisons se louent à des membres de
la société ou à des personnes n’en faisant pas partie.

2° Actienbauverein. — Cette société, fondée en 1872, a construit des cottages dans plusieurs
quartiers de la ville de Zurich. Ces maisons sont au nombre de 141. Le prix de ces constructions varie
entre 7,200 et 25,000 francs; elles représentent un capital total de 1,800,000 francs. Le dividende
servi aux actionnaires a été de 4 */a “/»• Le système de construction est celui de bâtiments â un et
deux étages répartis dans quatre quartiers différents de la ville. 3° Actiengesellschaft fur Erstellung
Arbeiterwohnungen, à Zurich- Ville. — Cette société a élevé à Zurich 40 maisons de deux ou trois
appartements, avec un total de 470 pièces. Les appartements sont au nombre de 100 avec 12
ateliers. 419 personnes y sont logées. Le prix de location des appartements est de 255 à 360 francs.
Le capital engagé s’élève à fr. 567,616 28. (Dividende, 4 %•) En 1895, les frais d’administration se
sont élevés à fr. 2,238 55; les frais d’entretien, à fr. 6,145 55. Le fonds de réserve est de fr. 33,815 20.
En règle générale, les termes de paiement sont mensuels. D’après les formules de baux, les sous-
locations ne sont autorisées que tout à fait exceptionnellement et moyennant production de la liste
des sous-locataires au gérant. 4° Eigen-Heim, à Zurich-Ville. — Cette société a fait construire 67
maisons de deux ou trois étages, contenant au total 1,434 pièces fournissant le logement à 1,000
personnes environ. Les prix de location varient de 350 à 650 francs par appartement. Les maisons se
vendent de 11,500 à 30,000 francs. Le capital de la société est de 1,670,000 francs. (Dividende brut, 6
%•) 5° Gesellschap, für Erstellung Arbeiterwohnungen, à Winterthour. — Cette société construit des
maisons dont le prix varie de 4,200 à 8,500 francs. Ces maisons sont au nombre de 148, avec deux ou
trois appartements ; 14 maisons sont actuellement en construction ; 1,340 personnes sont logées
dans ces bâtiments. Le prix de location par appartement est de 250 à 350 francs. Capital, 338,500
francs. (Dividende, 4%>.) En 1895, le boni a été de 28,000 francs environ. Constatons, avant de
quitter ce canton, que 108 industriels zurichois ont construit des logements à bon marché.

B. Bale. 6° Actiengesellschaft fur Erstellung billiger Wohnungen. — Cette société a construit 19


maisons à trois étages, de 6 appartements. Total, 493 pièces. 443 personnes y sont logées. Le prix de
location par pièce est de 82 francs en moyenne. Capital, 700,000 francs. (Dividende, 4 °/ 0 .) C.
SCHAFFHOUSE. 7° Gesellschaft fur Erstellung Wohnhàuser. — Fondée en 1892, cette société a élevé
14 maisons à deux étages, avec jardin. Les appartements sont composés de quatre pièces; 145
personnes y sont logées. Le prix de vente des maisons composées de deux appartements est de
16,000 francs. Capital, 280,000 francs. (Dividende, 4 %.) Ces constructions sont pourvues d’une
buanderie avec installation pour bains. D. Saint-Gall. 8" Actienbauverein. — La société, fondée en
1871, a construit 62 maisons à deux et trois étages, contenant au total 305 appartements. Les
maisons se vendent 7,000 à 40,000 francs. Capital, 1,500,000 francs. (Dividende, 4 */ 2 %.) E. Vaui>.
9° Association coopérative immobilière « l'Abeille », à Lausanne. — Nous nous en référons à ce que
nous avons dit plus haut. 10° La Ruche, à Payerne. — Cette Société a été fondée en 1893. Elle a élevé
sept maisons contiguës contenant trois ou quatre appartements logeant 105 personnes. Le prix de
location est de 250 à 450 francs par appartement. Capital, 140,000 francs. Dividende, 4 °/ 0 . Il
résulte du rapport général du dernier exercice que les constructions de la Ruche ont eu pour effet
très heureux de faire évacuer un grand nombre de locaux insalubres et d’obliger les propriétaires de
ces immeubles à entreprendre les réparations nécessaires pour remettre en location leurs
appartements. L’épargne bien entendue a été ainsi favorisée et la fondation de la Ruche a fourni aux
citoyens l’occasion de placements de tout repos et rémunérateurs.

Notons deux dispositions originales qui figurent dans les formules de baux : « Art. o h. Il est
formellement interdit de déposer des pommes de pin (pines) dans les lieux loués. » « Art. 10. Les
meubles du preneur seront examinés minutieusement avant leur entrée dans la Ruche. Au cas où il
serait constaté que ceux-ci sont infestés de punaises ou autres insectes quelconques, le présent bail
sera nul et non avenu. Si, à la sortie, il est reconnu que le locataire a infesté de punaises ou autres
insectes les lieux loués, ils seront appropriés et réparés à ses frais. » 11° Société philanthropique
immobilière, à Vevey. — En 1865 décédait à Vevey M. Frédéric Couvreu. Il léguait à cette ville la
somme de 10,000 francs pour servir à l’amélioration et à l’assainissement des logements occupés par
des personnes pauvres, appartenant spécialement à la classe ouvrière domiciliée à Vevey. Pour se
conformer à ce vœu, une société se constitua le 17 février 1865. Elle a construit deux maisons de
trois étages comprenant douze appartements de trois à quatre pièces, logeant 102 personnes. Le
prix de location des appartements est de 120 à 800 francs. Capital, 148,237 francs. Dividende, 4%.
12° Société immobilière de construction, à Lausanne. — Fondée le 20 novembre 1860. A la date du
20 février 1861, 205 actions étaient souscrites. D’après les premiers statuts de 1861, le capital social
fut fixé à 200,000 francs, divisé en 400 actions de 500 francs, avec possibilité d’augmentation
ultérieure, suivant les besoins, par de nouvelles émissions d’actions. A la fin de 1862, la première
maison construite, place du Tunnel, fut occupée. En 1863, la construction de deux nouvelles maisons
fut décidée. Il fut émis 81 actions nouvelles. Successivement la société a mis à la disposition du public
cinquante-six appartements et huit magasins au Tunnel. Ensuite de nouvelles constructions au
quartier de la Barre, la société vendit tous les immeubles du Tunnel. En 1871, la société éleva deux
quartiers, l’un dit rue du Vallon, l’autre dit rue du Nord, comportant huit bâtiments avec vingt-quatre
magasins ou ateliers et septante-quatre appartements. En 1874, le conseil décida l’émission d’une
nouvelle série de 400 actions portant l’émission totale à 800 actions, soit 400,000 francs. En 1886, le
fonds social fut établi au capital de 354,500 francs,

SUR LA Re QUESTION.

Hivisé on 709 actions de 500 francs chacune, entièrement libérées. Le capital des actions a été réduit
en 1894 à 318,000 francs, représentés par 636 actions. A cette date, les huit maisons de la rue du
Vallon et de la rue du Nord figuraient au bilan pour 373,901 francs. L’intérêt du capital a été en
moyenne de 3 à 5 F. Neuchâtel. 13° Le Foyer, à Neuchâtel-Ville. — Cette société, fondée le 12 février
1895, a pour but la construction de maisons à bon marché et la location desdites habitations à des
personnes qui désireraient en devenir propriétaires. Capital social, 100,000 francs. Elle a élevé sept
maisons avec jardin, dont le prix de vente est fixé à 7,500 francs. G. Cenève. 14* Association
coopérative immobilière, à Cenève. — Cette société a été fondée le 5 avril 1867. Elle a pour objet la
construction de petites habitations avec jardin, destinées chacune à une seule famille, la location de
ces habitations, leur vente aux locataires, le prix en étant acquitté par paiements périodiques, dans
un laps de temps maximum de quinze années, et enfin l’acceptation de dépôts portant intérêts,
destinés à faciliter l’acquisition des actions de la société. Le fonds social s’élève à 276,000 francs. Le
bilan de 1895 renseigne onze immeubles à la Servette, cinq à l’Aire, d’une valeur totale de fr. 191,111
50. De nouveaux immeubles sont en construction au chemin des Roches. 15° Le Foyer, à Cenève. —
Cette société, fondée en 1891, construit trente-trois maisons à quatre appartements. Total, cent
quarante-quatre pièces. Le prix de location par pièce est de 90 à 100 francs. Le prix de vente des
maisons est de 6,000 à 10,000 francs. Capital, 250,000 francs. Dividende, 3 % environ. (Ces derniers
chiffres sont provisoires, les constructions n’étant pas complètement achevées.) 16° Société
genevoise des logements hygiéniques, à Cenève. — Cette société fut fondée en 1892. Les frais de
construction s’élevaient, en 1895, à fr. 346,686 85. La surface totale bâtie était de 730 n, ,584. Le
coût de construction proprement dit par mètre superficiel est ainsi de fr. 411 90. Les maisons ont
quatre étages sur rez-de-

chaussée. Cinquante-cinq appartements composés, de cent soixante- sept pièces, étaient occupés en
1895 par une population de 128 adultes et 47 enfants, soit à peu près une personne par pièce.
Citons les noms de quelques patrons qui ont su prévoir ce que peut faire l’initiative privée. A. Bâle. 1°
Fabrique Geigy, à Bâle. — Elle a fait construire 41 maisonnettes avec jardin. Le prix de location par
pièce est de 50 à 90 francs. Le nombre des personnes logées est de 250. Capital, 429,000 francs.
Dividende (sans amortissement et réparations), 2.2 %• M. Geigy a établi une salle de lecture et une
école enfantine. R. Zurich. 2° Sulzer frères, à NVinterthour. — Ces grands industriels ont construit,
dès 1872, 16 maisons à deux étages (chaque appariement a son jardin) contenant vingt-huit
appartements avec 136 pièces et abritant 142 personnes. Le prix de location est de 280 francs par
appartement, y compris le blanchiment â la chaux et à l’eau. Capital, 163,000 francs. Dividende, 2.28
°/ 0 . Le prix de la maison est de 20,000 francs. MM. Sulzer ont également établi un réfectoire
pouvant contenir 250 personnes, une salle de lecture, une installation de bains (prix du bain, 10
centimes). En 1895, il a été pris 30,921 bains. 3° La fabrique liieter, à Winterthour, a fait construire 19
maisons avec jardin, logeant 236 personnes. Capital, 288,000 francs. Dividende, 4 % (sans les frais de
réparation). Il a été installé une buanderie, un établissement de bains, une salle de réunion. C.
SOLEURE. 4° Fabrique L. de Roll, à Gerlafingen. — 71 maisons à deux étages, logeant 1,551
personnes. Le prix de location par pièce est de 32 francs à fr. 42 20. Capital (terrain compris),
1,250,000 francs. Dividende, 2.92 %. Il a été établi un magasin coopératif, une buanderie, des
cantines.

I). Neuchâtel. 5° MM. Suchard et C ie , à Serrières (Neuchâtel), ont exposé à Genève, en 1896, une
maison ouvrière complètement meublée qui a fait l’admiration de ceux qui s’intéressent à la
question du logement. Le coût de cette construction — qui comprend deux logements avec quatre
chambres, une cuisine, deux resserres, une cave voûtée pouvant servir d’atelier et un bûcher — est
de 14,000 francs (sans le terrain). Le prix du loyer est de fr. 17 50 par mois. Dans ce chiffre est
comprise la somme de fr. 2 50 réservée éventuellement en vue des réparations d’entretien et de
propreté reconnues nécessaires et ordonnées au moment de l’inspection, qui se fait régulièrement à
certaines époques. Le coût de ces réparations est porté à la charge de chaque logement. Tous les
trois ans, le compte en est établi et réglé, et les sommes non dépensées de ce chef sont versées au
compte d’épargne des locataires. La maison Suchard a fait construire d’autres types de maisons
ouvrières à grands logements, dans les prix de 16,000à25,000 francs. 6° M. Petitpierre-Steiger,
conseiller d’Etat, à Neuchâtel, a fait construire, dès 1880, 10 maisons à un appartement de quatre
pièces, logeant 52 personnes. Le prix de location par maison est de 250 francs; par pièce, de fr. 62 50.
Capital, 50,000 francs. Dividende, 3 3// t °/ 0 . Les maisons sont ornées de devises telles que celle- ci :
« Aide-toi, le ciel t’aidera. Pierre qui roule n’amasse pas mousse. »

liésullats financiers des

Canton.

DÉSIGNATION KT DATE DE FONDATION.

Maisons constiuiUs.
fl c I .? ^ T3 E S g ^ ç- « < ~

Pièces par appartement

Toial des pièces.

Perscnws logées.

—'—J. jji C/î . w 0> g $ O p. £ u co lu O.

Zurich . .

Actienbauverein. 1872, J. R. Naegeli, pd l , Zurich. — Bau- und' Spargenossenschaft, Zurich . . *

141

1à5

4à6

1,342

2.280

1.69

G. f. Erst. von Arbeiterwohnun- gen (Vôgeli-Bodmer), Zurich, 1860 . .

40
2à5

470

419

0.89

Eigen-Heim, Zurich

67

1à3

.•.•

1,434

1,000

0.69

G. f. Erst. billiger Wolmungen. Sulzer, Steiner, Winlertnur, 1872

146

13o

4H5
1,160

1,340

1.15

Bille . . .

Basler Bauverein

Schaffhouse

G.fürErst billiger Wohnhâuser (Stabel), Scha'ffhouse, 1892 .

14

112

145

1.29

Vaud . . .

Société immobilière, Lausanne, 1861


8

6 à 10

2à4

230

320

1.39

L’Abeille, Lausanne, 1893.

;i

2à3

2k 5

52

64

1.20

La Ruche, Payerne, 1893 . . .

5à4
2à4

62

105

1.70

Soc. phil. immobilière, Vevev, 1865 \

12 et 22

2à4

106

102

1.00

Neuchâtel

Le Foyer, Neuchâtel, Russ. Su- chard, 1895

1
5

35

35

1.00

Petitpierre-Steiger, id., 1880 .

10

40

52

1.30

Genève . .

Coop. immob., soc. anon. . .

76

4â6
380

350

0.92

Le Foyer, 1894

53

4à5

144

127

0.88

Log. hygién., 1893

10 à 15

2k 5

167
175

1.04

Zurich . .

Patrons ou Soc. indust., Gebru- der Sulzer, 1872, Winter- thur

24

1à2

3à5

232

210

0.90

Bâle-Camp.

Soc. anon. ci-devant Rieter, id., 1892

19

285
236

0.83

Soc. ind. p. la Scappe, Arles- heim

17

7 1 â2

.•••

130

••••

Bâle-Ville. Soleure . .

Rod Geigy et C ie , Bâle .... L. de Roll

41

3à5

184
71

2â8

3à5

1,045

1,551

1.48

Neuchâtel.

Suchard, etc

16

1â5

4k 8

202

260

1.28

logements à bon marché.

Prix de location par appartement.


Prix de location par pièce.

Prix de vente par maison.

Capital représentant l’ensemble des constructions.

Dividendes.

Capital pour loger une personne.

Capital représentant une pièce.

550 à 050

108 à 157

7,200 à 25,000

1,824,300

•i Vî °/o

800

1,359

255 à 500

567,616
4 °/o

1,354

1,207

550 à 650

11,500 à 31,000

1,670,000

6 % (brut)

1,670

1,164

250 à 550

80 à 120

4,200 à 8,500 10,000 à 12,500 16,000 à 22,500 12,000 à 25,000

1,610,900

4 o/o

1,202

1,388
572

16,000

280,000

4 °/„

1,950

2,500

192 à 252

460,000

2*/* */.

1,437

2,000

192 à 298

16,550 à 23,000

96,200

5.4 0 o
1,500

1,850

240 à 450

140,000

4 ®/ 0

1 jOO*)

2,258

120 à 500

148,237

4 «/*

1,598

1,598

205

7,500 à 8,000

53,500

1,528
1,528

250

50,000

3V/o

961

1,250

4 à 500

5,000 à 20,000

800,000

3 o/o

2,285

2,105

500 à 495

6,000 à 10,000

250,000
3 •/<,

1,968

1,736

192 à 020

100 à 150

350,000

4 o/ 0

2,000

2,095

180 à 500

60 à 75

227,000

2.28 o/ 0

1,080

978

150 à 260
288,000

4 «/o

1,220

1,010

106,000

4 */ 4 °/o b'

815

!E

200 à 300

429,000

2.2 o/ 0

96 à 216 204 à 210

1,250,000 339,000

2.92 “/o 2.2 o/ 0

805 1,304
1,196 L . J rr] 1,6™

Nous venons de constater les efforts de l’initiative privée pour arriver à résoudre le problème de la
construction des habitations il bon marché; il nous reste à parler des décisions prises à cet égard par
les pouvoirs publics de quelques villes. Berne. — Dans les années 1889 à 1890, les autorités
communales de la ville de Berne décidèrent la construction d’habitations à bon marché au
VVylerfeld. 86 maisons ouvrières furent construites par la commune; il a été dépensé dans ce but
429,920 francs. Ces maisons, — style cottage, — agrémentées de jardins, contiennent cent
appartements qui sont loués à prix modérés à des familles d’ouvriers ou de petits employés. Parmi
les locataires, nous trouvons un maître de langues. Ces constructions n’ont pas suffi. En 1895, en
présence de la pénurie de petits logements, la ville de Berne a voté un nouveau crédit de 130,000
francs pour la construction d’une nouvelle série de vingt-six maisons ouvrières. L’entreprise a été une
bonne affaire; elle rend de réels services à la classe ouvrière sans rien coûter au contribuable, et la
commune eût déjà pu liquider avantageusement cette affaire en revendant avec bénéfice tous les
bâtiments qu’elle a édifiés. Cependant, de nombreuses plaintes ont été formulées. On a dit les
maisons de la première série mal construites, les loyers trop élevés et le rendement des immeubles
exagéré (9 °/„). On assurait que les locaux étaient encombrés, que le régime des eaux laissait à
désirer. Neuchâtel. — La ville de Neuchâtel a fait construire elle-même des habitations à bon marché
dont elle est propriétaire. Elle a voté dans ce but un crédit de 160,000 francs. Nous mentionnerons,
pour mémoire, la Société immobilière pour la classe ouvrière, qui a construit dix maisons à deux
logements, et les maisons ouvrières bâties par M. Petitpierre-Steiger, conseiller d’Etat, ainsi que la
cité Suchard, à Serrières. A Chaux-de-Fonds, la question des logements ouvriers a été l’objet d’une
étude sérieuse de la part des autorités communales. Celles-ci ont voté, en 1892, un crédit de 1,000
francs pour l’envoi de délégués chargés d’étudier divers systèmes de maisons ouvrières. Genève. — Il
faut citer ici les noms de MM. Wuarin, professeur; Thiébaud, député; W. Viollier, le dévoué secrétaire
de la Société

pour l'amélioration du logement, fondée en janvier 1893, qui compte actuellement plus de G00
membres et dont l’activité est digne de tous éloges. Nommons encore la Société genévoise des
logements économiques, constituée aussi en 1893 et qui se préoccupe de réaliser des types de
logements salubres, en rapport avec les ressources de la classe laborieuse, tout en assurant une
rémunération convenable des capitaux engagés; Y Association coopérative immobilière, fondée en
1867, et le Foyer, société genévoise des habitations économiques. Le 10 juin 1893, sur la proposition
de M. Thiébaud, le Grand Conseil nomma une commission de treize membres chargée d’étudier la
question. Le 8 mai 189o, le Grand Conseil fut nanti du rapport de ladite commission, qui, par l’organe
de M. Dégailler, combattit l’intervention directe de l’État, considérant l’initiative privée comme seule
capable de résoudre heureusement le problème. La discussion fut vive et intéressante. Ensuite des
conclusions de la majorité de la commission, la question fut renvoyée au Conseil d’État pour étude et
rapport. Cette étude, aussitôt entreprise, aboutit à un projet de MM. Dériaz frères, architectes,
d’après lequel la création de logements hygiéniques A bon marché entraînerait la démolition d’un
grand nombre de vieux immeubles situés rues Rousseau et Paul Bouchet. Le Conseil d’Etat préféra
cette combinaison A la construction de maisons ouvrières dans la banlieue de la ville, parce qu’elle a
pour heureux résultat de faire disparaître un quartier qui a donné lieu, au point de vue hygiénique, à
de nombreuses plaintes. L’État ne voulant point se faire lui-même constructeur de maisons
ouvrières, s’adressa au Conseil administratif de Genève, qui possède des immeubles dans le quartier
A transformer. La Ville accueillit favorablement les propositions de l’État, et en date du 3 janvier
1896, une convention fut conclue entre les deux administrations. Aux termes de cette convention, la
Ville prend l’engagement de construire, dans un délai de cinq ans, douze maisons sur l’emplacement
compris entre les rues Rousseau et Paul Bouchet, A acquérir par elle. Les maisons, A quatre étages,
rez-de-chaussée et sous-sols, seront construites conformément aux plans présentés par MM. Dériaz
frères. Elles comprendront environ 464 pièces. Le prix des loyers pourra être révisé tous les cinq ans,
tout en

leur maintenant expressément le caractère de loyers 5 bon marché. Au cas où le rendement annuel
serait insuffisant pour assurer l’intérêt des sommes engagées dans l’opération, au taux payé par la
Ville, l’Etat s’engage à parfaire cette différence chaque année pendant trente ans. Par contre, les
excédents de rendement seront acquis à l’État. Au terme des trente ans, et si les parties n’en ont pas
décidé autrement par une nouvelle convention avant l’expiration de la vingt-huitième année, les
immeubles seront réalisés, et après remboursement des capitaux affectés à l’opération, le solde sera
partagé par parts égales entre la Ville et l’État. La ville de Genève sera exemptée de tout droit de
mutation et l’expropriation pour cause d’utilité publique sera demandée au Grand Conseil. A la date
du 25 janvier 1896, la question des logements ouvriers revint devant le Grand Conseil. M. Thiébaud
présenta un projet de loi en quatre articles, relatif à la construction de maisons ouvrières par l’État.
En substance, ce projet consiste dans l’allocation d’un crédit de 150,000 francs, pour construction, en
dehors de la ville, de trente petites maisons pour ouvriers, lesquelles pourraient s’acquérir par voie
d’amortissement. Ce projet n’exclut pas celui d’amélioration des anciens quartiers dont nous avons
déjà parlé. La situation pécuniaire de tous les ouvriers n’est pas identique et, dans les quartiers dont
la reconstruction est projetée, les appartements coûteront 100 francs la pièce annuellement, ce qui
paraît trop cher pour des familles nombreuses, tandis qu’aux abords immédiats de la ville, on aura
pour 25 francs par mois quatre pièces avec un petit jardin, dans des conditions hygiéniques
excellentes. La proposition de M. Thiébaud a été renvoyée à l’examen d'une commission.

Zurich. — Ensuite de la réunion à la ville des communes limitrophes, la crise des logements s’est fait
particulièrement sentir. Aussi, en date des 25 février et 4 mars 1896, les autorités communales ont-
elles été nanties d’un message contenant le programme suivant : 1. Des démarches devront être
faites auprès des compagnies de chemins de fer, en vue d’obtenir des abonnements à prix réduits en

faveur des personnes qui, ne pouvant payer qu’un petit loyer, sont domiciliées ù la campagne. Des
trains locaux devront être organisés de manière à leur permettre de se rendre à leur travail et de
rentrer à leur domicile. 2. 11 y a lieu de recueillir des informations périodiques sur les appartements
vacants de la ville de Zurich. 3. Les autorités devront se préoccuper de l’acquisition de maisons
d’habitation à bon marché. 4. On doit s’efforcer de faciliter par voie législative la construction
d’habitations ouvrières. 5. On doit s’occuper de la construction d’habitations à bon marché,
présentant toutes les garanties nécessaires au point de vue de la salubrité. 6. En exécution du § u, la
Ville entreprend la construction d’habitations de ce genre pour ouvriers de la ville et employés à
petits traitements. On devra chercher à obtenir la coopération de l’Etat et la participation des
intéresés, étant donné qu’il s’agit d’une question d’utilité publique. 7. La répartition des logements
s’effectuera entre les divers quartiers de la ville. Le système des maisons pour une ou deux familles
est recommandé. 8. Les prix des loyers sont payables d’avance. Us sont destinés à la rémunération
du capital engagé, aux impôts, aux frais d’écritures et d’administration et à alimenter le fonds de
réserve. 9. L’acquisition de maisons par des particuliers sera soumise à certaines garanties destinées
à empêcher la spéculation sur lesdits immeubles. Le Conseil de ville a soumis au Grand Conseil de
ville les résolutions suivantes : 1. Le programme qui précède est approuvé en principe. 2. Le Conseil
de ville est invité : a. A se conformer aux articles 1 à 4 dudit programme ; b. A présenter au Grand
Conseil de ville un exposé général sur la construction d’habitations à bon marché, salubres, destinées
aux employés ù petits traitements, domiciliés en ville;

±l RAPPORT DE M. SCHNETZLER c. A soumettre au Grand Conseil de ville un programme concernant


la construction éventuelle de maisons à bon marché pour d’autres habitants de la commune, gagnant
de petits salaires, avec la coopération des intéressés et d’associations d’utilité publique (sociétés de
construction). 3. Un crédit de 3,000 francs est ouvert au Conseil de ville pour les travaux
préparatoires nécessités par les résolutions qui précèdent. En vue de l’exécution de ce projet, le
Conseil de ville a fait — sous réserve des ratifications légales — l’acquisition d’immeubles situés
entre fAlbisgütli et le Friesenberg, pour le prix total de 940,000 francs La superficie de ces terrains est
de 21 hectares 96 ares. Ils sont destinés, pour le cas où la ville ne serait pas décidée à entreprendre la
construction de maisons ouvrières, à être mis à la disposition des sociétés de construction (d’utilité
publique), qui pourraient y élever des bâtiments de ce genre. D’après les calculs qui ont été établis,
deux mille logements ouvriers pourraient y trouver place. La ratification du Grand Conseil de ville
devra intervenir avant le 13 avril 1896. On le voit, — tout en réservant la participation de l’Etat et des
sociétés de construction, — les autorités de Zurich vont de l’avant, proposant l’acquisition de terrains
destinés à recevoir des habitations ouvrières, sans résoudre la grosse question de savoir si c’est la
commune qui entend se faire unique constructeur. A lire le message, il semblerait que les autorités
communales n’estiment pas qu’à elles seules incombe cette tâche. Ensuite du rapide.examen auquel
nous nous sommes livré, nous formulons nos conclusions comme il suit : Conclusions. I. Livrée à scs
seules ressources, l’initiative privée est impuissante à entreprendre d’une manière complète la
construction d’habitations à bon marché; l’expérience l’a démontré. II. Il n’appartient ni à l’État ni à
la commune de se charger de la construction même des habitations à bon marché; leur rôle se
bornera à en faciliter la création et à étendre le champ d’activité de l'initiative privée.

III. L’intervention des pouvoirs publics (État et commune) doit se manifester de la manière suivante :
1° Contribution des caisses publiques (caisses d’épargne, etc.) au développement des habitations à
bon marché; 2° Fourniture gratuite (par la commune ou par l’État) ou à des conditions de faveur, de
terrains destinés à recevoir des maisons ouvrières; 3° Prêts à intérêt très bas à des sociétés ou à des
associations coopératives, constituées en vue de la construction d’habitations à bon marché, à
condition pour les constructeurs de prendre l’engagement de n’exiger de leurs capitaux qu’un intérêt
minime (fixé d’avance dans son maximum); 4° Garantie temporaire d’intérêts aux sociétés disposées
à construire des logements ouvriers ; 5° Exonération d’impôts ou de taxes; 6° Établissement gratuit
de voies d’accès, du réseau d’égouts, du service des eaux et du gaz, etc. IV. L’intervention de
l’autorité doit se proposer pour but d’assurer la construction de maisonnettes (type Mulhouse ou
cité Suchard) ou de maisons à trois ou quatre logements, aux abords immédiats de la ville, dans des
conditions normales de coût et de rendement. C’est dans ce sens que doit se manifester la
coopération des pouvoirs publics ù la construction des habitations à bon marché. V. En assurant sa
coopération à des sociétés de construction, la commune pourra se réserver le droit d’être
représentée dans les conseils desdites sociétés et de surveiller leurs opérations. VI. L’État et la
commune doivent faciliter et favoriser la création de sociétés de construction d’habitations ouvrières
et de sociétés pour l’amélioration du logement. A. SCHNETZLEK.
P. S. — Dans les pages qui précèdent, nous avons à dessein omis de parler du grand mouvement qui
s’est produit en matière d’amélioration du logement dans le Royaume de Belgique, persuadé que
nous sommes que cette lacune sera comblée par des collègues plus compétents que nous. A. S.

Congrès international des habitations a bon marché. — Bruxelles, 1897. » Rapports préparatoires.

Des conditions à prescrire en cas d’expropriation par zone.

RAPPORT SUR LA II e QUESTION (i) PAU V. BAUVAIS, VICE-PRÉSIDENT DU COMITÉ DE PATRONAGE


DES HABITATIONS OUVRIÈRES DE BRUXELLES-EST (ETTERBEEK, IXELLES, ETC.).

La question que nous allons examiner fait l’objet des justes préoccupations des comités de patronage
; elle rentre dans le cercle de leurs attributions en vertu de l’article 4 de la loi du 9 août 1889, ainsi
conçu : « Avant de décréter une expropriation par zones dans les quartiers spécialement habités par
la classe ouvrière, le Gouvernement prendra l’avis du comité de patronage sur les conditions à
imposer au sujet delà revente des terrains compris dans l’expropriation. » Cet article de la loi est
intéressant à noter : il est comme la protestation du Pouvoir législatif contre cette conséquence
barbare de l’expropriation par zones des quartiers ouvriers qui, peu à peu, repousse des centres
urbains toute la classe ouvrière. Le législateur donne une indication précieuse : il exprime le vœu,
mais malheureusement il ne fait que cela, que par l’intermédiaire des comités de patronage il soit
apporté un terme à la relégation au loin des classes laborieuses. (4) En cas de transformation par
expropriation d’un quartier dans une commune, convient-il d’obliger l’expropriant à remplacer par
de nouvelles habitations à bon marché celles supprimées par suite de l’expropriation ? a

-2

RAPPORT DK M. V. BAUVAIS

Il est temps qu’on s’arrête dans la voie malheureuse dans laquelle, depuis trop longtemps, on s’est
égaré. Le maintien d’habitations ouvrières au centre des villes se justifierait, à défaut d’autres
raisons, par cette seule considération que l’ouvrier ne peut être astreint à habiter loin de son atelier
et à subir, pour s’y rendre, une perte de temps préjudiciable à ses intérêts et à ceux de sa famille. On
objecte, mais à tort, la question de salubrité. Ce n’est pas le genre d’habitants qui rend insalubre un
quartier, c’est le genre d’habitations qui le rend tel; bien souvent, ces ouvriers que l’on exile sous
prétexte d’hygiène publique, obtiennent ou méritent d’obtenir le prix de propreté. Dès lors, ce qu’il
faut éviter, c’est d’écarter, de parti pris, les ouvriers des centres urbains ; ce qu’il faut chercher à
atteindre, c’est d’améliorer les conditions de logement.

¥¥

Que d’expropriations par zones n’a-t-on point faites depuis dix ans? N’est-il pas navrant de constater
qu’après autant d’années d’une lutte incessante pour améliorer la situation, on ne soit pas encore
parvenu, dans une ville comme Bruxelles, par exemple, à aménager quelques emplacements pour y
ériger des logements à bon marché, répondant aux conditions requises et dispensant de recourir,
faute de mieux, à ce genre de bâtiments aux multiples étages où l’on entasse les familles ouvrières?
Mais, dit-on, les emplacements font défaut ! C’est l’éternel argument. Et cependant, ne voyons-nous
pas, au centre de la ville, de vastes immeubles affectés à des industries ou à des usages (magasins à
bières, etc.) qu’il serait plus rationnel, à raison même de leur nature, de transporter hors de la ville?
Et à côté du mal physique causé par l’expropriation par zones, a-t-on songé au mal moral qu’elle
entraîne? Car enfin, ces familles ouvrières qu’on rejette au loin tenaient à leur logement, à leur
quartier, aux habitudes créées par le milieu dans lequel elles avaient vécu, aimé et souffert! Et
maintenant que l’on commence à se rendre compte du vide produit dans les grands centres par les
suppressions successives de logements à bon marché, maintenant que l’on commence à s’apercevoir
de l’absence de ces nombreuses familles qui animaient ces quartiers de la ville de leur vie bruyante
et active, on se demande,

non sans quelque remords, comment on a pu chasser des villes l’élément ouvrier dont la présence au
milieu de la classe riche ou aisée était comme le gage de la paix sociale, au même titre que la
présence, sous le même toit, des membres d’une famille est le symbole de leur parfaite union.

¥¥

Nous disions plus haut que depuis dix ans se livre, sans succès, une lutte incessante pour remédier à
la triste situation que nous déplorons. Lutte incessante et sans voix discordante, pourrions-nous
ajouter, car, en théorie du moins, tout le monde est d’accord sur les conditions à exiger en cas
d’expropriation par zones : consultez les déclarations des ministres, les rapports et les discours de
ceux qui s’occupent de cette question, les travaux du Conseil supérieur d’hygiène, ceux de la
Commission du travail, des Commissions médicales et d’inspection des logements, et vous verrez
toutes ces autorités se rencontrer pour subordonner en principe du moins, l’expropriation à cette
double condition : « 1° Que la portion bâtie n’excède pas une proportion à déterminer par la loi ; » 2°
Qu’un certain espace soit réservé à des constructions à bon marché, pouvant servir de logement à la
classe ouvrière. »

De leur côté, chaque fois qu’ils ont été appelés à donner leur avis, les comités de patronage des
habitations ouvrières ont indiqué comme condition à imposer à l’expropriant l’obligation d’avoir à
remplacer les habitations ouvrières que l’expropriation faisait disparaître. Malheureusement, jamais,
que nous sachions, il n’a été tenu compte de ces avis (t). (i) Nous devons rappeler ici que deux fois,
en exécution de l’article 4, notre comité fut appelé à émettre son avis : une première fois à propos
d’une expropriation poursuivie à Schaerbeek, une seconde fois à propos de l’expropriation du
quartier du Cygne, poursuivie par la commune d’Ixelles. Dans Tune et l’autre circonstance, notre
comité fit valoir avec force les considérations qui militaient en faveur du remplacement, si pas dans
les quartiers expropriés, tout au moins dans les quartiers avoisinants, des maisons ouvrières
expropriées; il ne fut tenu aucun compte du double avis de notre comité.

Nous avions donc raison de dire que l’article 4 de la loi du 0 août 1889 ne valait que comme
indication, simple vœu, marqué par le Pouvoir législatif à l’adresse de l’expropriant et dont celui-ci
n’est obligé en aucune manière de tenir compte. Frappée de l’ineflicacité de cette disposition et
voulant la rendre effective, la conférence des comités de l’agglomération bruxelloise fit inscrire au
programme du Congrès d’Anvers la question suivante (question III) : « En cas d’expropriation par
zone, convient-il d’obliger l’expropriant à mettre des logements en nombre suffisant à la disposition
des habitants expropriés et appartenant aux catégories visées par la loi du 9 août 1889 ? » Deux
rapports furent présentés sur cet objet; le premier de ces rapports avait pour auteurs MM. le D r
Eenens et l’architecte Van Langendonck. S’inspirant des déclarations de MM. d’Elhougne, Hanssens,
Mélot, Magis, Beernaert, Denis, Dauby, Lammens et Montefiore-Levi, ces honorables membres
arrivaient aux constatations suivantes : « 1° Que l’on n’a jamais tenu compte de l’obligation
qu’imposent les arrêtés de 1858 et de 1867 de reconstruire les maisons ouvrières démolies dans les
expropriations par zones; » 2° Que jamais, pendant seize années, c’est-à-dire de 1858 à 1883, cette
prescription n’a été inscrite dans aucun des nombreux arrêtés approuvant les plans d’expropriations
par zones ; » 3° Que nos législateurs et quantité d’hommes qui se sont occupés de la question
ouvrière, sont unanimes pour reconnaître que, malgré les lois existantes et sous prétexte d’assainir
les quartiers insalubres, l’on a expulsé les ouvriers du centre des villes; » 4° Que la loi du 9 août 1889
est moins catégorique que les lois antérieures sur la matière, vu qu’elle n’impose aucunement
l’obligation de rebâtir les maisons ouvrières démolies par l’expropriation ; » 5° Que le Gouvernement
est complètement libre d’appliquer comme il l’entend les arrêtés royaux réglementant les
expropriations par zones, même sans tenir compte de l’avis des comités de patronage; » 6° Que, de
l’aveu de M. Beernaert, il est scandaleux de voir cer-

taines administrations communales, voire même certaines compagnies transgresser ouvertement les
principes de ces arrêtés en laissant inexécutés les engagements qui leur ont été imposés : il n’est pas
admissible que de semblables désobéissances se reproduisent; » 7° On conviendra donc qu’il est
urgent d’empêcher le retour d’un tel mépris de la loi et d’en rechercher la cause en même temps que
le moyen de remédier à tant de dérèglement. » Comme conclusion, les auteurs de ce rapport
proposaient de compléter la loi par la disposition suivante : « Il est formellement stipulé que tous
ceux qui font une expropriation parzones, dans les quartiers occupés par des ouvriers, seront obligés
de construire, sur l’emplacement même de la démolition, s’il y a lieu, ou à proximité de cet
emplacement dans la même commune, à une distance à désigner, un nombre de logements ouvriers
au moins égal à ceux qui auront été détruits. »

* * Le second rapport présenté sur cette question était dû à M. A. Ver- raert. L’honorable rapporteur
est également d’avis que la réponse à la question posée au Congrès d’Anvers doit être affirmative ; il
considère comme peu recommandable de refouler les ouvriers vers les faubourgs et de réserver
exclusivement aux classes riches le centre de la cité. Il estime que : « Chaque fois qu’une
administration publique entreprend de grands travaux d’utilité publique, l’obligation devrait lui être
imposée de procurer de nouvelles demeures aux familles expropriées. » Sans cette prescription, il
arrive généralement que, sous prétexte d’assainir, on produit l’effet contraire ou tout au moins on ne
fait que déplacer les centres d’insalubrité. »

Mise en discussion à la troisième assemblée générale du Congrès d’Anvers, le 2 juillet 1894, cette
grave question fut traitée par neuf orateurs, parmi lesquels on compte les hommes les plus
compétents b

en la matière : ce furent MM. Smekens, Lagasse, Verraert, De Bruyn, Rauvais, Velghe, Van
Langendonck, Vander Heyden et Descamps. Tous furent d’accord pour trouver que l’expropriant
avait comme obligation d’assurer aux familles ouvrières expropriées un logement salubre, soit au
même emplacement que celui formant l’objet de l’expropriation, soit, tout au moins, en un lieu
voisin de ce dernier.

Il est triste de constater que tous ces généreux efforts sont restés infructueux. La cause de cet
insuccès provient de ce que la loi sur l’expropriation par zones laisse le Gouvernement libre
d’imposer ou non à l’expropriant telles conditions qu’il lui convient et parmi elles l'obligation de
reconstruire les maisons ouvrières démolies. En effet, l'article 10 de la loi du 15 novembre 1867
stipule que « l’arrêté royal autorisant l’expropriant détermine les conditions de la revente des
terrains non occupés par la voie publique ». Il résulte de ce texte que le Gouvernement a pleine
liberté pour dicter les conditions qu’il jugera convenables. En fait, jamais le Gouvernement n’a usé de
la liberté qui lui est laissée pour imposer à l’expropriant l’obligation de remplacer les maisons
ouvrières qui disparaissent sous la pioche du démolisseur : ou bien le Gouvernement lui-même ne
tient aucun compte de l'avis des comités de patronage, ou bien « l’expropriant ne se gêne pas pour
transgresser ouvertement les principes des arrêtés royaux en laissant inexécutés les engagements
qui lui ont été imposés ». C’est donc à la trop grande latitude laissée par le Pouvoir l’expropriant qu’il
faut attribuer la situation actuelle. Et puisqu’il en est ainsi, nous ne pouvons que nous rallier aux
conclusions prises par les auteurs des rapports présentés au Congrès d’Anvers : il s’agit d’inscrire
dans la loi même l’obligation, pour l’expropriant, de mettre des logements en nombre suffisant à la
disposition des ouvriers expropriés. Mais, incontestablement, cette obligation soulève de sérieuses
difficultés : Obligera-t-on l’expropriant à reconstruire des maisons ouvrières sur l’emplacement
même de celles qui sont comprises dans l’expropriation? La plus-value que l’expropriation va donner
au terrain ne rendra-

t-clle pas inabordable à la classe ouvrière soit la prise en location, soit l’acquisition des maisons
nouvellement construites? En ce qui concerne le premier point, on peut admettre qu’il n’est pas
toujours possible d’exiger que des maisons ouvrières nouvelles prennent exactement la place des
anciennes. Aussi proposons- nous, avec MM. Eenens et Van Langendonck, de laisser à l’autorité une
certaine latitude d’appréciation à cet égard : elle sera tenue de désigner l’emplacement où
l’expropriant devra ériger les maisons ouvrières nouvelles. Cet emplacement sera le même que celui
qui est exproprié ou, tout au moins, sera situé à proximité de ce dernier. En ce qui concerne le
second point, si l’expropriation se poursuit pour compte d’un particulier, sans l’intervention
pécuniaire des pouvoirs publics, rien ne peut empêcher l’autorité compétente de disposer que le prix
des emplacements réservés à l’édification de logements à bon marché ne pourra dépasser un prix à
fixer par elle, de manière que le coût de la construction, terrain compris, ne soit pas supérieur au
taux fixé par la Caisse d’épargne. Dans ce cas, ce sera une charge dont l’expropriant aura à tenir
compte, mais qui, en général, ne sera pas assez lourde pour l’empêcher de procéder à l’expropriation
projetée. Si, au contraire, l’expropriation se fait pour compte d’une commune ou d’un tiers subsidié
par les pouvoirs publics, les ressources dont l’expropriant dispose dans ce cas dépendent du vote
d’une assemblée délibérante. Celle-ci devrait avoir à cœur de majorer ses subsides dans une
proportion suffisante pour faire supporter par l’expropriant la charge résultant de la plus-value du
terrain. Et qui des membres de l’assemblée intéressée voudrait combattre semblable proposition?
Personne assurément; tous les candidats aux mandats publics ne se réclament-ils pas constamment
de leur amour pour la classe ouvrière ? Le langage généreux tenu tant à la Chambre qu’au Sénat par
les élus de la nation montre que cette éventualité n’est pas à redouter : avec infiniment de raison, ils
ont flétri la relégation au loin de la classe ouvrière, conséquence néfaste de l’expropriation par
zones. On dépense tant d’argent pour des choses d’un intérêt secondaire qu’il serait à désespérer si
l’on n’en trouvait pas pour cet objet d’importance primordiale : le logement de l’ouvrier. Le
logement, la santé, le travail sont les trois conditions essentielles de la vie; on l’oublie trop souvent et
l’on objecte le défaut de

ressources. Et cependant n’accorde-t-on pas des subsides à des entreprises ayant pour objet
l’élevage ou l’amélioration de la race chevaline? N’encouragc-t-on pas financièrement les concours
d’équipages? Ne prime-t-on pas les belles façades, les balcons lleuris, etc.? Trop de munificence d’un
côté, pourrait-on dire, tandis que de l’autre on ne trouve rien ou peu de chose pour faciliter à la
classe ouvrière, par le jeu des annuités, l’acquisition de quelques modestes maisons. La grandeur du
but à atteindre légitimerait de sérieux sacrifices. Avec l’éminent Président de ce Congrès, l’honorable
M. Beernaert, nous rappellerons le passage suivant extrait du rapport de M. Meeus sur les logements
d’ouvriers : « La question du logement se rattache directement à celle de l’amélioration de la
situation morale et matérielle de la classe ouvrière. » Incontestable vérité doublée d’une cruelle
déception pour tous ceux qui ont à cœur d’assurer à l’ouvrier un logement salubre!

On remarquera que le plus souvent nous avons employé le terme « logement à bon marché » de
préférence à celui « d’habitation ouvrière ». Déjà au Congrès d’Anvers nous avions appuyé la
substitution du premier au second de ces termes. Logement à bon marché est moins restrictif; il
permet d’étendre le bénéfice de la loi à une catégorie de travailleurs (employés, etc.) qui, sans être
des ouvriers, des artisans proprement dits, n’en sont pas moins dignes de jouir des avantages de la
loi du 9 août 1889. Les considérations qui précèdent nous ont amené à proposer les modifications
suivantes à la loi du 15 novembre 18G7 qui règle l’expropriation par zones (t). L’article 2, § 2 serait
conçu comme il suit : « Cette commission (nommée par la Députation permanente pour donner son
avis sur l’utilité de l’expropriation et le plan projeté) est composée de cinq membres et comprend : l
ü un membre du comité de patronage des habitations ouvrières délégué à cet effet par le comité
dans le ressort duquel se trouve la commune intéressée; 2° un membre d’une administration
publique, etc. » (i) La partie en italiques forme le texte nouveau proposé par nous.
SUR LA II* QUESTION.

L’article 10 de la loi contiendrait deux nouveaux paragraphes; il serait donc conçu comme suit : « Art.
10. — § 1. L’arrêté royal autorisant l’expropriation détermine les conditions de la revente des
terrains non occupés par la voie publique. » § 2. Spécialement, lorsque /’expropriation se fait dans
des quartiers occupés par des habitants appartenant aux catéqories visées par la loi du 9 août 1889
et que l'exécution du plan entraîne la suppression de plusieurs logements à bon marché, l’arrêté
royal impose à l'expropriant l’obligation de mettre des logements en nombre suffisant à la disposition
des habitants ci-dessus visés. » § 3. L’arrêté royal indique l’emplacement des logements à bon
marché destinés à remplacer ceux dont F expropriation entraine la suppression. Disposition
nouvelle : « La valeur maxima d’un logement à bon marché, conforme au plan-type, ne pourra
dépasser, terrain compris, la somme de 6,000 francs. » Schaerbeek (Bruxelles), le 31 mai 1897.

RAUVAIS.

Congrès international dès’ habitations a bon marché. — Bruxelles, I8Ü7. Rapports préparatoires.

Des conditions à prescrire en cas d’expropriation par zone.

RAPPORT SUR LA II e QUESTION (1) PAR E. VER HEES, ATTACHÉ A L’OFFICE DU TRAVAIL DE BELGIQUE.

La deuxième question soumise aux discussions du Congrès, comprend en réalité trois questions; il
importe de bien les distinguer pour qu’il soit possible de bien les résoudre. Et d’abord, dans le cas
visé, faut-il établir une obligation de rem placer par de nouvelles habitations à bon marche, celles
supprimées par suite de l’expropriation ? Ensuite, cette obligation doit-elle être mise à la charge de
l’expropriant? Enfin — point qui ne se trouve pas exprimé dans les termes, mais qui s’impose, à
propos de cette question, aux réflexions de chacun — où fautril établir ces nouvelles habitations? I La
réflexion et l’expérience commandent de répondre affirmativement à la première branche de la
question. On ne peut évidemment, en cas de transformation d’un quartier, (i) En cas de
transformation par expropriation d’un quartier dans une commune, convient-il d’obliger
l’expropriant à remplacer par de nouvelles habitations à bon marché celles supprimées par suite de
l’expropriation ?

se désintéresser du sort des ouvriers que Ton déplace brusquement. Voilà, en effet, des familles
souvent pauvres et peu informées, que l’on arrache au milieu dans lequel elles ont grandi, où elles
ont leurs attaches, leurs affections, leur intérêts respectables de voisinage, de clientèle, de relations,
de protections. Des intérêts supérieurs, parmi lesquels ordinairement se trouvera en première ligne
l’intérêt même des populations à déplacer, commandent un jour de rompre tous ces liens qui les
soutiennent autant qu’ils les enchaînent. Il faudra, certes, se préoccuper d’empêcher que la crise
inséparable du déplacement n’aît pour conséquence un préjudice peut-être durable, parfois
irréparable. C’est là une partie essentielle du but même de l’expropriation. Celle-ci a en général pour
objet, soit de créer de grandes voies de communication là où il n’y en avait pas, ou pas assez, soit
d’assainir un quartier malsain et surpeuplé, en bouleversant tout l’ensemble d’un plan vicieux qu’il
n’est pas possible d’améliorer en détail. II faudra bien, comme conséquence, comme but essentiel,
dans l’un comme dans l’autre cas, que les habitants reçoivent, en échange de leur déplacement, un
avantage dans leur situation de logement, soit au point de vue des communications et de tous les
bienfaits qui résultent de leur amélioration, soit au point de vue de l’hygiène et du progrès dans la
vie, la santé, le bien-être moral et matériel que comporte tout progrès hygiénique. Or, que se
présente-t-il souvent en fait? Tout le contraire. Les habitants ouvriers se plaignent parfois d’être
rejetés dans des quartiers éloignés où ils sont privés de l’appui, du patronage auxquel ils étaient
habitués, des subventions économiques qui en résultaient pour la famille, des facilités d’accès à leur
travail, de tout ce qui leur rendait la vie plus agréable ou plus facile. Nous examinerons plus loin si
ces plaintes ne sont pas quelquefois exagérées, mais il faut bien reconnaître qu’elles renferment une
part de vérité. Ou bien, cas plus fréquent et qui doit être considéré comme bien plus grave, la
population déplacée s’entasse dans les quartiers voisins respectés par la pioche du démolisseur; ne
pouvant ou n’osant s’éloigner, elle produit une surpopulation de quartiers souvent déjà encombrés;
l’appel de demandede logements y provoque une hausse factice des prix, et l’on arrive à payer très
cher des taudis, des greniers, des caves, qui ne devraient pas servir de logement pour des êtres
humains. Où se trouve alors le progrès qui devait résulter de

l’expropriation pour les classes ouvrières : l’amélioration de la condition hygiénique, de la situation


du logement, l'angmentation du bien-être moral et matériel? L’opération, brillante peut-être au
point de vue financier, au point de vue, certes important, des affaires en général, se trouve manquée
au point de vue principal, au point de vue humain. Des résultats de ce genre, tels qu’une enquête
récente a semblé de nouveau les indiquer pour Bruxelles, ne peuvent certes pas être admis. Il faut
que quelqu’un prenne par la main ceux qui ne trouvent pas leur voie, qui ne trouvent pas un
nouveau toit en dehors du quartier accoutumé et destiné à disparaître. Il faut une intervention de la
loi, des mesures de protection, de prévention contre les accidents des expropriations comme contre
ceux du travail ; il faut, cela ne peut être discuté, une obligation légale ou réglementaire pour
quelqu’un de pourvoir, dans des conditions convenables, au logement de ceux que l’on est obligé de
chasser hors du chez soi. La loi ne les autorise pas à vagabonder sur les rues et par les chemins; il faut
qu’elle intervienne pour qu’un foyer les accueille et qu’un toit les abrite.

A qui incombera l’obligation de procurer aux expropriés de nouvelles habitations à bon marché? La
réponse a paru fort simple à beaucoup : cette obligation doit incomber à l’expropriant. Cette solution
est-elle bonne? Est-elle juste? D’abord, que faut-il même entendre par expropriant? Souvent, c’est
un pouvoir public agissant directement : l’Etat, une province, une commune, parfois un
établissement public de bienfaisance. Souvent aussi c’est un particulier, une compagnie privée, qui
exerce en fait l’entreprise d’expropriation et d’exécution des travaux décrétés. S’il s’agit de l’État ou
d’une province, nous supposons que ces pouvoirs savent en général s’élever assez haut au-dessus de
considérations d’intérêt local, pour sacrifier même un avantage pécuniaire important à des mesures
sauvegardant pleinement tous les droits des ouvriers déplacés. Malheureusement, ces cas sont les
moins fréquents. Ce qu’on voit

le plus souvent, c’est une ville agissant en régie, ou une compagnie d’entreprise. Cet expropriant est-
il qualifié pour satisfaire à l’obligation de reconstruction de logements à bon marché? Est-il capable
d’y pourvoir? Son intérêt personnel peut-il se concilier avec une opération de ce genre? Il faut
répondre que des compagnies d’entreprise ont en vue une spéculation, sans doute fort honnête et
utile au bien commun, mais complètement indifférente à l’œuvre des habitations à bon marché. Que
si l’on veut imposer à ces entreprises de démolition des opérations de construction de ce genre,
comme condition de leur concession, il peut être douteux qu’elles soient à même de bien s’en
acquitter. Elles auront en vue, comme toute entreprise, de s’acquitter au moins de frais possible, et
sans doute par une sous-entre- prise, d’une charge étrangère au but pour lequel elles se sont
constituées. Quant aux communes, ce qu’elles recherchent en transformant des quartiers pauvres,
malsains, mal établis, c’est aussi leur avantage, celui de leurs contribuables, qui exercent directement
sur leur administration communale une influence si vivante et si immédiate. Une ville cherche bien
souvent à se débarrasser d’une population ouvrière, dont la présence entraîne fréquemment des
charges supplémentaires de bienfaisance et d’hospitalisation, pour ne pas parler d’obligations
éventuelles d’hygiène, de police et de sécurité. Comme la compagnie d’entreprises, toute ville
cherche à mettre en valeur les terrains dont elle transforme le drainage, le plan cadastral, les
aboutissements et la destination ; elle cherche à leur faire produire le plus de revenus communaux
possible, en faisant crier le moins possible le contribuable qu’elle représente. Elle cherche à
augmenter ses revenus, à diminuer ses charges; il sera bien difficile de régler des conditions qui
tendront à diminuer ses revenus et à augmenter ses charges. Ne doit-on pas craindre d’arriver, en
imposant légalement aux communes des conditions de ce genre pour la transformation des quartiers
malsains ou mal répartis, à faire ajourner des expropriations et des travaux nécessaires au point de
vue de l’hygiène, du progrès public et de l’intérêt même de ceux que l’on veut avantager? Que faut-il
donc faire? A qui incombera l’obligation incontestable de sauvegarder le droit à un logement
convenable de ceux que l’on doit éloigner de leurs impasses et de leurs carrés?

Il n’y a pas de principe absolu à appliquer ici d’une manière générale. Telle société financière, par sa
puissance, par l’étendue et la diversité de ses opérations de travaux publics, sera parfaitement
outillée pour entreprendre les constructions de remplacement désirées ; le grand nombre de ses
actionnaires permettra à des courants généreux et philanthropiques d’exercer leur influence dans ses
conseils. On a bien vu parfois des actionnaires réclamer la limitation des heures de travail et
l’augmentation des salaires des ouvriers; on en voit limiter, dans un but vraiment social de
bienfaisance ou d’utilité publique, les profits de leurs entreprises. Ailleurs, des municipalités
puissantes reçoivent en vue d’améliorations déterminées, des dons ou des subsides, tels que leur
affectation au but que nous souhaitons ne peut soulever aucune difficulté, aucune contestation,
aucune conséquence fâcheuse au point de vue des affaires et des autres intérêts engagés. Bien plus
souvent toutefois, une intervention supérieure sera nécessaire, plus dégagée de toutes
préoccupations locales, indépendante des intérêts particuliers même les plus respectables. C’est
l’Etat qui devra veiller, en vertu d’une obligation consacrée par la loi, à ce que, soit l’expropriant, soit
le pouvoir qui agit, soit l’initiative privée à défaut de ce pouvoir, prennent les mesures nécessaires
pour loger les ouvriers expropriés. La mission de l’Etat serait donc en principe uniquement de
prévision et de contrôle ; il serait tenu de s’informer, avant de laisser démolir, si l’expropriant, la ville
ou, à leur défaut, des sociétés d’habitations à bon marché ont pris des dispositions suffisantes. A
défaut de cette action, l’Etat devrait supposer que l’initiative privée se trouve, dans l’espèce,
insuffisante, que la ville ou l’expropriant ne sont pas, ou bien outillés pour le remplacement, ou bien
intéressés â le procurer dans des conditions convenables. Dès lors, et dans la mesure des besoins,
l’action de l’Etat serait justifiée, indispensable. L’obligation qu’il doit proclamer retombe en définitive
sur lui- même, à défaut d’autres qui puissent agir. Cette conclusion est la seule qui dispense d’ailleurs
l'Etat d’intervenir dans l’utilisation des terrains et dans la fixation de leur prix ; ce sont certes lâ des
interventions bien plus dangereuses qu’une entreprise locale et momentanée de logements ouvriers.
L’Etat serait aussi dispensé de la haute surveillance des constructions imposées, surveillance qui
serait d’autant plus difficile et nécessaire que l’expropriant serait bien moins disposé et moins bien
outillé pour édifier les logements prescrits.

Enfin, dernière considération, il est d’ailleurs bien probable qu’en n'imposant pas d'obligation légale
aux communes ou aux expriopriants, l’initiative dévouée des sociétés de construction et de crédit et
la sollicitude des institutions de patronage pourront suffire à procurer aux expropriés les abris qu’il
leur faudra. L’obligation imposée à l’Etat ne sera qu’une de ces garanties dont l'existence seule
dispense presque toujours de leur mise en œuvre. Ce sera une question de point d’honneur. Une
commune sur son territoire, à moins qu’elle ne soit très pauvre, une société dans sa sphère d’action,
un comité de patronage dans son ressort, sauront presque toujours provoquer les mesures
nécessaires pour éviter Yultimum au.iïlium, l’intervention de l’État qui serait la proclamation de leur
insuffisance à pourvoir à un service reconnu indispensable.

III Où faut-il établir les logements nouveaux destinés à remplacer les habitations ouvrières? Des voix
nombreuses s’élèvent pour réclamer que ces demeures nouvelles soient érigées sur l’emplacement
même des anciennes ou le plus près possible de l’emplacement de celles-ci. Nous avons constaté
plus haut qu’il y a une part de vérité dans ces demandes; elles sont au moins l’expression d’un
sentiment naturel, louable même. Mais il importe d’envisager cette question avec tout le calme de la
réflexion. Quel est, encore une fois, le but d’une transformation de quartier par voie
d’expropriation ? Nous l’avons dit : c’est, ou bien de créer des communications de premier ordre ou
de les améliorer, ou bien d’assainir des quartiers malsains ou surpeuplés. Dans les deux cas, n’en
résultera-t-il pas, le plus souvent, un déplacement nécessaire de la population ouvrière? Le but d’un
quartier vient à changer; le déplacement de sa population est aussi fatal que le recul des travailleurs
agricoles dans les faubourgs qui se forment, dans les terrains qui viennent à être envahis par les
constructions urbaines. Dans les deux cas cités, il se produit naturellement une telle augmentation de
la valeur des terrains expropriés, que l’on doit

SUR LA II* QUESTION.

1
proposer des moyens factices pour y maintenir des populations ouvrières. On songe à lixer un
maximum du prix de certains terrains, à faire intervenir l’Etat pour ménager des voies secondaires
susceptibles de construction d’habitations à bon marché, etc. Et cela pourquoi? Parce qu’il répugne à
certains ouvriers de changer de quartier, parce qu’il leur manque un peu d’initiative, la qualité de
savoir se retourner, se débrouiller dans un milieu nouveau. Et pour cela, en faveur de cet esprit
conservateur dans le mauvais sens du mot, on prendrait des mesures pour les laisser payer, au
centre des grandes agglomérations, des loyers relativement élevés pour des logements qui ne
posséderont ni la salubrité, ni le confort qu’ils pourraient trouver à meilleur marché plus loin ! Mais
j’entends des protestations; on m’oppose ce que j’ai reconnu moi-même de fondé dans le désir de
certains ouvriers de rester dans le quartier qui les a vu naître. Ils y peuvent garder, en effet, bien des
avantages, des subventions, des profits indirects qu’ils ne trouveront pas aussi aisément ailleurs.
Remarquons toutefois que cet argument prouve trop; il prouve contre la légitimité de l’expropriation
elle-même, qui, fatalement, porte une atteinte plus ou moins grande à des situations acquises et
respectables. Mais ne faut-il pas dire surtout que si certains ouvriers perdront en tous cas au change,
du moins le plus grand nombre retirera de la transmigration, des avantages qui compenseront
largement ce qu’ils peuvent regretter ? L’intérêt général est en cause et la classe ouvrière profite,
dans une mesure qui va toujours croissant, des améliorations qui ont en vue le bien du plus grand
nombre. Ainsi, le centre des grandes agglomérations n’appartient pas utilement, en général, à
l’industrie productive ni à l’ouvrier; il appartient naturellement, et ce pour l’utilité de la plupart, au
commerce et aux échanges de toute nature, aux administrations, aux établissements publics, à
l’instruction progressive et à toutes les créations réalisées dans ces domaines. C’est au centre des
villes qu’on met le mieux ù la portée de tous ce dont tous ont besoin. C’est ainsi que l’on a bien fait, à
Manchester, à Gand, à Anvers et à Bruxelles, notamment par la percée des nouveaux boulevards et
par la construction du Palais de justice, de remplacer des quartiers ouvriers, malsains et mal
aménagés, par des voies principales et par des édifices utiles et remarquables.

RAPPORT DR M. VKR HKKS SIR LA II< QUESTION.

Ainsi encore, au point de vue sanitaire, le centre des villes n’est- il pas évidemment le quartier qui
convient le moins à la population ouvrière? Le centre, où l’air est le moins pur convient certes moins
à une population qui peut se contenter de peu de place et qui, abandonnée ;'t elle-même, tend <\ se
resserrer et à s’accumuler. L’ouvrier se trouve mieux à la périphérie : son avantage doit marcher
avant certaines préférences routinières, cet avantage se traduit d’ailleurs par une diminution des
maladies et de la mortalité, surtout de la mortalité infantile, par l’éloignement du spectacle habituel
du luxe vicieux, par le rapprochement de l’atelier de travail qui recherche lui-même les localités plus
spacieuses des faubourgs; enfin, par l’amélioration et l’embellissement de la demeure familiale et
par conséquent par l’éloignement du cabaret. Y a-t-il avantage à ce que les mêmes quartiers
contiennent à la fois des riches et des pauvres? Nous pensons que les avantages sont compensés par
les inconvénients ; mais ce qui dispense d’approfondir cette question à laquelle s’est attaché M. le
sénateur Lammens, c’est que les situations de ce genre tendent à disparaître en vertu du jeu des
forces économiques. En effet, dans ces quartiers mixtes, ou bien les habitations riches se déprécient,
sont désertées par leurs propriétaires et deviennent les pires des casernes de location ; ou bien la
plus-value atteint les logements modestes, et ceux-ci sont remplacés par des constructions de luxe
ou de grand commerce. Il ne faut pas dire, enfin, que dans la banlieue les ouvriers sont parqués loin
des avantages des centres. Les facilités actuelles des communications vont en effet toujours en
croissant et tendent à supprimer la plupart des inconvénients qui peuvent résulter d’un certain
éloignement. D’ailleurs, les avantages matériels et moraux du groupement des logements ouvriers
ne sont pas à dédaigner. L’exemple des grandes villes anglo saxonnes en fait l’éloge. L’éloignement
des centres permet d’ailleurs d’aménager des quartiers entièrement en vue du plus grand avantage
des ouvriers, de manière à prévenir les inconvénients presque inhérents aux grandes agglomérations.
Je conclus donc qu’il n’y a pas lieu d’imposer une obligation générale de reconstruire des logements
ouvriers sur l’emplacement même ou dans le voisinage des quartiers expropriés.

E. VER HEES.

Congrès international des habitations a bon marché. — Bruxelles, 1897.

Rapports préparatoires.

Des restrictions concernant la cession, la saisie et le partage.

RAPPORT SUR LA III e QUESTION (1) PAR G. STINGLHAMBER, CONSEILLER A LA COUR D’APPEL DE
BRUXELLES, VICE-PRÉSIDENT DU COMITÉ DE PATRONAGE DES HABITATIONS OUVRIÈRES DE
BRUXELLES.

Bibliographie. — A la liste des ouvrages annexée au rapport de MM. Soenens et Stinglhamber, au


Congrès de 1894, il faut ajouter les suivants : liOuis-A. Corniquet, Le Home Stead, le foyer de famille
insaisissable. (Paris, A. Durand et Pedone Lauriel, éditeurs, 1895.) Georges Vandenrydt, La
conservation des petits patrimoines. (Nivelles, Lanneau et Despret, éditeurs, 1895.) Bureau, Le Home
Stead ou l’insaisissabilité de la petite propriété foncière. (Paris, Arthur Rousseau, éditeur, 1895.)
Vacher, Le Home Stead aux États-Unis. (Paris, Guillaumin et Larose, éditeurs. Georges Dubois, Léon
Guinotte et Paul-Émile Janson, Le Home Stead. (Journal : Le Palais, numéro du 1 er janvier 1896.) (i) Y
a-t-il lieu d’appliquer dans la législation relative aux habitations à bon marché des mesures
restrictives en ce qui concerne la cession, la saisie et le partage ? Dans l’affirmative quelles seraient
ces mesures ?

Bien qu’un rapport ait pour but d’exposer la question qui en fait l’objet de la manière la plus
complète, de présenter au lecteur tous les éléments d’appréciation qui peuvent le mettre à même de
discuter à fond, d’offrir, en un mot, un arsenal où partisans et adversaires puisent leurs armes à
pleines mains, nous ne croyons pas utile de donner à notre travail ce caractère. La question qui nous
est soumise a déjà fait l’objet d’une étude que nous avons présentée avec notre ami M. Soenens au
Congrès des habitations ouvrières à Anvers en 1894. De nombreux travaux ont été publiés sur la
matière, ils sont entre les mains de tout le monde. Nous pensons donc faire chose pratique en nous
bornant à reprendre la question au point où nous l’avons laissée en 1894, en jetant un regard rapide
sur la marche que les idées ont suivie depuis lors, en exposant quel est aujourd’hui l’état du champ
de la discussion, et en en tirant des conclusions. Si l’étude nouvelle à laquelle nous nous sommes
livrés a quelque peu modifié certaines de nos opinions, nous espérons qu’en considération de notre
franchise on ne nous en fera pas un reproche. ★ ¥ ¥ Les mesures législatives proposées pour la
conservation des petits patrimoines peuvent se diviser en deux catégories : d’une part, celles qui ont
pour objet d’assurer au propriétaire, pendant sa vie, la conservation du bien qu’il a péniblement
réussi à acquérir; ce sont notamment l’insaisissabilité et l’inaliénabilité absolue ou relative (pour me
servir de termes barbares aujourd’hui accepté dans le langage juridique) ; d’autre part, celles qui
sont destinées à conserver ce patrimoine à sa famille après sa mort. Celles-ci se divisent en deux
groupes : l’un comprend les mesures qui ont pour objet de retarder le morcellement ou la vente,
parmi lesquelles il faut ranger les dispositions qui augmentent et fortifient les droits du conjoint
survivant, maintiennent l’intégrité du patrimoine indivis jusqu’à son décès et, s’il laisse des enfants
mineurs, jusqu’à la majorité de ceux-ci ; l’autre groupe comprend les moyens légaux par lesquels on
cherche à écarter ou à atténuer les effets désastreux du partage, moment fatal auquel finit toujours
par aboutir l’indivision. ★ * ¥ Les opinions semblent faites aujourd’hui sur une grande partie de ces
dispositions législatives; les économistes et les jurisconsultes

sont unanimes pour en rejeter certaines et pour recommander l’adoption des autres. Nous ne nous
attarderons pas à justifier l’utilité de ces dernières, pas plus qu’à faire ressortir les motifs qui ont fait
condamner les premières. Nous nous bornerons à constater que l’on répudie universellement
l’inaliénabilité absolue du domaine familial. En dehors de la Serbie, si nous ne faisons erreur, la
législation d’aucun pays n’a vinculé à ce point le droit du propriétaire et nulle part on ne l’a proposé.
L’opinion est tout aussi unanime à approuver les propositions de lois qui ont pour but de donner au
conjoint survivant des droits par lesquels, jusqu’à son décès, se maintiendra intact le foyer
domestique, et celles qui ont pour effet de prolonger l’indivision forcée jusqu’à là majorité de tous
les enfants après la mort du père et de la mère. Voilà des points qu’on peut éliminer de la
discussion ; en principe ils ne rencontreront pas de contradicteurs, et dans un congrès on ne peut
discuter que les principes. Les seuls points qui sont encore livrés à la discussion sont les moyens
d’atténuer les effets du partage ou d’en écarter les funestes conséquences, et ceux de garantir au
propriétaire la conservation de de son patrimoine pendant sa vie. Et encore les premiers ne sont pas
combattus en eux-mêmes, comme nous le verrons tout à l’heure. Tout l’effort de la discussion se
concentre sur ces deux questions : l’insaisissabilité et l’inaliénabilité relative ou partielle. Examinons-
les à l’aide des éléments nouveaux que nous ne possédions pas en 1894. ★ . ¥ ¥

Mettre le foyer domestique à l’abri des atteintes des créanciers paraît une idée juste. Nos lois, dit-on,
assurent au débiteur insolvable la conservation des choses indispensables à l’existence... à
l’exception du toit qui l’abrite; n’est-ce pas une ironie que de lui laisser son coucher et ses outils,
mais point d’abri? On pourrait répondre qu’il lui reste la faculté d’en louer un. Toutefois l’idée ne
rencontre en principe aucun contradicteur. Mais en économie sociale, les principes n’ont de valeur
que s’ils ont des applications pratiques possibles et utiles. Or, on objecte à l’insaisissabilité, qu’elle ne
peut être efficace qu’à la condition d’être accompagnée de l’interdiction d’hypothèquer, ce qui est
évident; et que ces deux mesures auront pour effet fatal et désastreux de tuer le crédit.
Cette considération a été mise en relief, depuis notre Congrès de 1894, par MM. Georges Dubois,
Léon Guinotte et Paul-Émile Janson dans un rapport de la Commission parlementaire du jeune
barreau (i). L’ouvrier qui est parvenu à acquérir son petit domaine, a besoin d'argent pour le faire
valoir... ou pour parer à une crise; qui donc lui fournira le crédit nécessaire, si légalement il lui est
interdit d’hypothéquer son immeuble? Déjà la loi arrache aux créanciers certains objets mobiliers
comme garantie, que sera-ce si le bien principal est soustrait à leur action? Le créancier ne pourra
plus compter que sur le retour à meilleur fortune de son débiteur, et comme cette garantie sera en
général jugée insuffisante, la conséquence est inévitable; le petit propriétaire momentanément
embarrassé ne trouvera plus de crédit ou du moins il n’en trouvera qu’à des conditions
particulièrement onéreuses pour lui. L’objection n’est pas neuve, elle avait déjà été rencontrée par
un maître économiste cité dans le rapport que nous avons présenté en 1894, Eudore Pirmez, qui s’est
borné à nier l’intluence de l’insaisissabilité sur le crédit, en soutenant que le crédit est fondé sur la
confiance en la personne bien plus que sur la surface du propriétaire. Dans un récent opuscule sur le
Home Slead (2), M. Gorniquet, avocat à la cour de Paris, chaud partisan de l’institution, ne nie pas
qu’elle soit de nature à tuer le crédit du paysan, mais il s’en applaudit, estimant que le crédit agricole
est la ruine du petit cultivateur; et pour le prouver, il fait appel à des statistiques qui nous montrent
les ventes sur saisies immobilières s’élevant en France de 9,575 (en 1885) à 14,278 (en 1889), chiffre
qui représente à peu près la moitié des ventes judiciaires de l’année. En y ajoutant les conversions de
saisies en ventes volontaires et les ventes volontaires faites pour éviter les saisies, il croit qu’on
atteindrait le chiffre de 20,000. Calculant alors ce que ces ventes ont accumulé de pertes pour les
petits propriétaires, il conclut au bienfait d’une institution qui ferait obstacle aux emprunts. Cet aveu
n’est pas suspect. Ajoutons-y l’opinion d’un homme dont la haute compétence ne sera mise en doute
par personne, M. de Smet de Naeyer, Ministre des Finances, qui a soutenu au Congrès (0 Voir Le
Palais, numéro du 1 er janvier 1890. (2' Le Home Stead, le foyer de famille insaisissable, par Louis-A.
Corniquet, docteur en droit, avocat à la Cour de Paris. Paris, A. Pedone, éditeur, I89o.

de 1894 l’utilité de l’hypothèque pour la mise en valeur de la propriété rurale et ouvrière. Non, il
nous paraît impossible de nier l’influence de l’insaisissabilité et de la défense d’hvpothéquer sur le
crédit. Or le crédit, dans une certaine mesure, a paru si indispensable aux partisans même du Ilome
Stead, que jamais ils n’ont osé proposer leurs mesures protectrices sans les faire fléchir en faveur de
certains créanciers; ce sont : le vendeur du domaine non entièrement payé, qui garde un privilège;
celui qui a contribué par son travail à l’amélioration du fonds; le fisc pour les impôts; le créancier
dont la créance résulte d’un délit ou d’un quasi délit. Et comment ne pas ajouter à ces créanciers
favorisés, ceux qui dans certains cas auraient fourni la subsistance même au débiteur et à sa famille,
et ceux qui auraient contribué à l’amélioration ou à l’acquisition du fonds au moyen de leur argent?
Ces dettes sont aussi sacrées que les autres. Or, en dehors de ces diverses créances privilégiées, nous
ne voyons guère quelles autres dettes sérieuses le petit propriétaire pourrait bien avoir contractées,
et dès lors il est permis de se demander si les exceptions ne rendent pas la règle illusoire, et contre
quels créanciers l’insaissabilité servira de défense. La statistique citée par M. Corniquet pour être
concluante devrait nous éclairer sur un point resté absolument obscur, à savoir : la cause des
créances qui ont amené les saisies. Si, en effet, les poursuites immobilières émanent du vendeur du
fonds non payé, de celui dont le travail ou l’argent a servi à améliorer le fonds, du fisc, des créanciers
à raison d’un délit ou d’un quasi délit, de ceux qui ont fourni la subsistance au débiteur, elles
rentrent dans la catégorie de celles que l’on est obligé d’admettre en toute hypothèse à s’exercer sur
le fonds, et dès lors elles ne peuvent servir d’argument à la thèse de M. Corniquet. Ces
considérations nous font douter que l’insaisissabilité, avec les tempéraments qu’il faut y apporter, ait
encore une réelle utilité. Nous sommes encore frappés de la connexité étroite qui existe entre ces
trois termes : insaisissabilité, défense d’hypothéquer, inaliénabilité. A quoi bon déclarer le
patrimoine insaisissable, si le propriétaire conserve le droit de l’hypothéquer? Comment lui interdire
le droit d’hypothéquer, si on lui laisse le droit souverain de disposer?... 11 faut donc pour faire œuvre
efficace, aller jusqu’à proclamer, avec l’insaisissabilité, l’inaliénabilité absolue, sans exception en
faveur d’aucun créancier ; extrémité devant laquelle ont reculé B

toutes les législations à une exception près, et tous les projets de lois. Allons plus loin : l’inaliénabilité
elle-même serait-elle efficace?... Il est incontestable qu’elle ne peut frapper que l’habitation occupée
par la famille, le foyer domestique. C’est la loi du Home Sleail. Eh bien, le propriétaire n’aura qu’à
quitter cette habitation, aller louer une maisonnette, un appartement, une chambre, ailleurs pour
rendre au fonds sa liberté, et recouvrer son droit de vendre et d’hypothéquer. Enfin l’origine, le but
et les effets du Home Stead ont été étudiés dans un remarquable mémoire présenté à l’Académie
des sciences morales et politiques en 1894, par M. Bureau, professeur de la Faculté libre de droit de
Paris, et couronné par cette Académie. M. Bureau, dans ce travail approfondi auquel MM. Dubois,
Guinolte et Janson ont fait de nombreux emprunts, conclut à l’insignifiance des effets du Home Stead
aux États-Unis, pays qui a donné le jour à cette institution. Il est vrai que dans un mémoire couronné
également par la même Académie, M. Vacher, ancien député, estime au contraire que le Home Stead
a rendu aux États-Unis de signalés services. Il nous est difficile, avec le peu de compétence que nous
avons en économie sociale, de décider où est la vérité; mais il n’en est pas moins vrai que dans une
question aussi discutée, en présence des considérations auxquelles nous nous sommes livrés, nous
n’oserions recommander au Congrès d’émettre un vœu en faveur de l’insaisissabilité des petits
patrimoines. Une mesure qui nous paraît excellente, et à laquelle tout le monde se ralliera,
consisterait à vinculer le droit du père de famille en soumettant son droit de vendre et
d’hypothéquer le domaine familial au consentement de sa femme. C’est toujours, on peut le dire,
grâce à l’économie de celle-ci, à son travail, à l’ordre qu’elle fait régner dans le ménage, 5 ses vertus
domestiques, en un mot, que le mari a pu acquérir sa maison. Il est juste qu’elle ait son mot à dire
quand il s’agira de l’aliéner ou de la grever. Nous n’oserions pour le moment aller plus loin. 11 faut
toujours hésiter avant de proposer des mesures qui portent atteinte à la liberté du père de famille, et
par lesquelles l’État tend à se substituer à lui, même quand on croit le faire dans son intérêt. Protéger
les faibles, les incapables, les imprudents, les mettre en garde contre leurs propres fautes, c’est une
œuvre de sage pré-

voyance; fournir au propriétaire le moyen de s’élever, d’acquérir un foyer, d’assurer l’avenir de sa


famille, c’est une œuvre de haute portée sociale; mais faire de l’homme un propriétaire forcé,
l’obliger malgré lui à conserver ce qu’il est impuissant à garder ou ce qu’il veut dissiper, c’est une
œuvre dangereuse et ordinairement vaine. L’acquisition et la conservation du patrimoine supposent
chez l’homme des vertus que l’État est incapable de donner. Il ne peut qu’en favoriser le
développement et l’expansion, aider l’homme dans ses conquêtes sur la misère, lui en garantir, s’il
s’y prête, la possession et la durée. Nous serons toujours en méfiance quand le législateur prétendra
sortir de ce rôle, parce qu’il risquera fort de se heurter à d’insurmontables obstacles, ou de voir celui
à qui il veut imposer ses bienfaits, échapper à son importune sollicitude.

Ce que nous disons de l’insaisissabilité ne s’applique pas aux mesures législatives que l’on propose
pour supprimer ou au moins pour atténuer les effets désastreux du partage. La seuîe difficulté réside
ici dans la conciliation des divers intérêts qui sont en jeu : la conservation du patrimoine dont la
propriété doit reposer sur la tête d’un des enfants, et les droits des autres dans l’héritage paternel.
Nous ne nous occuperons pas des moyens que l’on a cru trouver dans la liberté de tester et dans
l’augmentation de la quotité disponible, parce que l’ouvrier ne teste pas, nous l’avons déjà dit en
1894 et le fait est reconnu (i). Nous nous bornerons à cet égard à une seule déclaration : nous
n’admettons pas dans cette matière de législation spéciale pour le prolétaire. Le droit de tester doit
être le même pour tous; s’il doit avoir pour effet de faciliter la conservation des familles par la
transmission du domaine paternel, cet intérêt est aussi puissant pour les grandes familles que pour
les petites, pour les riches que pour les pauvres. La perpétuité des traditions, la conservation
respectueuse du souvenir des ancêtres et des exemples de vertus souvent glorieux laissés par eux,
fait la grandeur et la force des nations; elle est

(4) Discours d’Herman De Baets, Journal des Tribunaux, 1894, col. 1405. — La conservation des petits
patrimoines, par G. Vandenrydt, avocat. Nivelles, Lanneau et Despret, éditeurs, 1895.

d’autant plus nécessaire que la constitution de la société est plus démocratique. ★ * *

Pour échapper au démembrement des petits patrimoines, une première mesure est indispensable : il
faut enlever aux héritiers le droit qu’ils possèdent actuellement de réclamer leurs parts en nature et
de faire procéder de force à la vente si l’immeuble est impartageable. Les dispositions du Code civil
doivent être modifiées sur ce point. Sinon il est inutile de rien tenter. Cette barrière écartée, quelles
sont les mesures que l’on propose pour remplacer le partage forcé? Il est certain d’abord que si
aucun enfant ne peut ou ne veut reprendre la maison paternelle, la vente est inévitable, si au
contraire l’un d’eux désire la conserver et possède les moyens de la payer, la solution est aisée. La
difficulté naît lorsque plusieurs enfants sont en concurrence pour succéder au père, et qu’aucun
d’eux n’est en mesure de payer la valeur de l’immeuble qui forme la succession. On a proposé dans
ce cas pour déterminer le choix de l’enfant, la désignation du père, et à défaut de celle-ci, comme à
défaut d’entente, le tirage au sort par les soins du juge de paix. Ces idées n’ont pas rencontré de
sérieuse contradiction. Mais comment assurer aux. autres enfants leur part héréditaire, lorsque celui
à qui le Home est attribué ne peut en payer la valeur? M. Tumelaire, au Congrès de 1894, a proposé
l’intervention de la Caisse d’épargne. M. Soenens a émis l’idée de faire intervenir les Sociétés de
construction de maisons ouvrières. L’héritier pourra aussi recourir à l’emprunt ordinaire moyennant
hypothèque. Nous avions proposé, au Congrès de 1894, le payement des parts héréditaires sous
forme de rentes perpétuelles rachetables et fixées à un taux modéré. Dans une étude lue au Cercle
d’émulation de Nivelles (4), M. Georges Vandenrydt a critiqué cette solution, en lui préférant «
l’emprunt fait à la Caisse générale d’épargne, par l’intermédiaire d’une Société

(i) La conservation des petits patrimoines, par G. Vandenrydt, déjà cité.

créée au vœu rte la loi rte 1889, dans les conditions d’assurance et d’amortissement déterminées par
cette loi ». Cette solution aurait d’après lui l’avantage de mettre à la charge de l’héritier propriétaire
une prime moins élevée que l’arrérage de la rente, et de le faire bénéficier de l’assurance et de
l’amortissement. Pour les cohéritiers, elle aurait l’avantage de les mettre immédiatement en
possession de leur part. Nous sommes disposés à reconnaître que cette solution est préférable à la
nôtre. D’autant plus que l’on peut adresser à cette dernière une autre critique encore : en cas de non
rachat de la rente perpétuelle, quel sera le sort de celle-ci au décès du crédit rentier?... il faudra la
diviser entre ses héritiers, elle deviendra alors bien difficile, si non impossible à servir. Ces
considérations nous engagent à nous rallier à l’idée de M. Vandenrydt.

Après avoir ainsi examiné rapidement toutes les questions qui intéressent la conservation des petits
héritages, nous croyons pouvoir conclure ce rapport en formulant les propositions suivantes : I. Il y a
lieu de reviser la législation actuelle en faveur de la conservation des patrimoines, spécialement en
ce qui concerne le partage forcé, les droits de la femme pendant le mariage, et les droits du conjoint
survivant. II. Pour assurer la conservation du domaine familial, il y a lieu de préconiser entre autres
les mesures suivantes : 1° Pendant la vie du chef de famille, interdiction de céder ou d’engager le
domaine familial sans l’intervention de la femme; Prolongation de l’indivision au moyen de l’usufruit
légal attribué au conjoint survivant, et interdiction de demander le partage jusqu’à la majorité de
tous les enfants ; 3° Suppression du droit pour les héritiers d’exiger leur part on nature et la vente
par licitation ; 4° A défaut d’arrangement de famille, ou de désignation de l’héri-

10

RAPPORT DK M. STINGI.HAMBER SI R LA IIP QUESTION.

tier par le père, ou d'acceptation par cet héritier, attribution du domaine familial par tirage au sort
entre les enfants disposés à reprendre l’immeuble; o° Rachat par l’héritier favorisé des parts de ses
cohéritiers au moyen de combinaisons financières qui pourraient être facilitées soit par la Caisse
générale d’épargne, soit par les sociétés créées au vœu de la loi de 1889, soit par des sociétés de
constructions.

STINCLHAMBER.

RAPPORT DE M. DK DECKER

non-recevoir, en « estimant qu’il y avait lieu de s’en tenir purement et simplement à l’article 1 er de
la loi qui détermine la mission des comités ». C’était logique, nous devons le reconnaître. Et pourtant
la proposition avait été défendue avec une remarquable lucidité et une grande hauteur de vues,
quant à son principe du moins, par MM. Trappeniers et Hellemans, qui, dans un rapport fortement
motivé, soutenaient qu’à pareille question la réponse ne pouvait être qu’affirmative. « Les comités
de patronage, disaient-ils, sont chargés, par la loi du 9 août 1889, de favoriser la construction
d’habitations ouvrières salubres et leur vente aux ouvriers. » Ils doivent en outre, dit cette loi,
étudier tout ce qui concerne la salubrité des maisons habitées par les classes laborieuses; enfin, ils
ont la mission légale d’encourager le développement de l’épargne et de l’assurance. » 11 est donc
évident que l’un de leurs premiers soucis doit être de s’assurer, pendant la construction, si les
maisons sont bâties dans toutes les conditions désirables de solidité, de durée et d’hygiène, et si
l’épargne de l’ouvrier reçoit ainsi une destination utile dans le présent et surtout dans l’avenir. » Ce
n’est pas après l’achèvement de la bâtisse, c’est pendant l’exécution même des travaux de
construction, lors de la mise en œuvre des matériaux, que ce contrôle pourra être sérieux et efficace.
» On ne conçoit pas que des comités qui ont accepté la mission de favoriser la construction
d’habitations ouvrières se désintéressent du point de savoir si les maisons, bâties sous leur
patronage, le sont à l’aide de matériaux de bonne qualité, sur un terrain propre à recevoir une
habitation salubre et conformément à un plan conçu selon les règles de l’art. » Il ne faut pas surtout
que l’ouvrier puisse dire un jour à ces comités : Vous m’avez persuadé de consacrer le fruit de mes
économies à l’acquisition d’une maison ; depuis dix ans, depuis vingt ans, je paie pour en devenir seul
propriétaire; mais voyez aujourd’hui cette demeure, objet de tant de promesses et d’illusions : elle
tombe en ruines; je ne saurais plus faire face aux dépenses de réparation et de réfection qu’elle
nécessite constamment ; je dois l’abandonner, elle n’est d’ailleurs plus habitable, à force
d’insalubrité. » Il est pourtant indéniable, Messieurs, qu’un certain nombre de

maisons ouvrières, construites en ces dernières années, laissent à désirer sous le rapport de la
solidité (t). » Il eût été (1 itiicile de démontrer d’une façon plus nette et plus péremptoire l’utilité
d’une surveillance. Mais le Congrès avait pensé que les comités étaient suffisamment armés pour
exercer cette action de par l’article 1 er de la loi du 9 août 1889, qui les charge de « favoriser la
construction d’habitations ouvrières salubres, d’étudier tout ce qui concerne la salubrité et l’hygiène
de ces habitations et enfin d’encourager le développement de l’épargne ». Cette appréciation
semblait confirmée par l’article lo de l’arrêté royal du 7 juillet 1891 (2) imposant aux comités de
Patronage « une surveillance permanente et générale sur les habitations ouvrières et sur les
quartiers populeux. Et c’est aussi de cette manière que comprend l’application de la loi M. Soenens,
le dévoué président du comité de patronage des • communes-ouest de l’agglomération bruxelloise,
dans l’étude si complète qu’il a consacrée aux habitations ouvrières dans les Pandectes belges ». « La
mission des comités, dit-il, comporte le droit et le devoir de s’assurer, pendant la construction, si les
maisons sont bâties dans toutes les conditions désirables de solidité, de durée et d’hygiène, et si
l’épargne de l’ouvrier reçoit ainsi une destination utile dans le présent et surtout dans l’avenir. » Ce
n’est pas après l’achèvement de la bâtisse, c’est pendant l’exécution même des travaux de
construction, lors de la mise en œuvre des matériaux, que ce contrôle pourra être sérieux et efficace.
A cet eftêt, la surveillance doit permettre de constater si les prescriptions des règlements de police
sur les bâtisses, ainsi que les clauses et conditions du cahier des charges de l’entreprise, sont
observées. » Il serait donc utile que, dès que l’on met la main â l’œuvre, le comité de patronage en
fût avisé et reçût un exemplaire du plan de bâtisse approuvé et du cahier des charges de l’entreprise
(3). » Et il ajoute plus loin : « Les instructions formulées par le Conseil supérieur d’hygiène,

(i) Congrès national des habitations ouvrières tenu à Anvers en 1894 : Rapport sur la XIII e question,
par M M. Trappeniers et Hellemans, pp. 1 et 2. (i) Le règlement organique en date du 9 octobre 1895
modifiant le règlement de 1895, a maintenu intégralement le texte de cette disposition. (3) Soenens.
Les habitations ouvrières en Belgique, p. 48, col. 2.
bien comprises et bien interprétées, facilitent singulièrement la tâche d'inspection de ceux qui ont
reçu la mission de surveiller l’état hygiénique des habitations ouvrières : en dressant le tableau
complet des conditions les plus importantes que doit réunir un logement salubre, le programme dont
il s’agit fournit des points de comparaison pour mieux apprécier le degré d’insalubrité des habitations
ouvrières occupées, en même temps qu’il sert de guide ou de conseil pour suggérer les mesures
d’assainissement indispensables ou simplement utiles (i). » Certes, ainsi entendue, l’intervention des
comités de patronage serait efficace et suffisante : communication de tous les documents relatifs aux
constructions â édifier dans leur ressort devrait leur être donnée, une surveillance permanente,
confiée à ceux de ses membres qui ont une compétence spéciale en matière de construction, serait
organisée pour chacune des maisons ouvrières placées dans la zone d’action du comité, et l’on peut
affirmer que, grâce au dévouement que les membres de ces groupes ne marchandent jamais, les
nouvelles bâtisses offriraient des garanties sérieuses de durée et de stabilité, si leurs propriétaires les
entretenaient en bons pères de famille. Malheureusement, il y a loin de la théorie â la réalité, et tous
nous savons par expérience que, quand des plans sont soumis à l’approbation des comités, c’est
exception très rare. Nous savons aussi que l’on n’avise jamais les comités de patronage de la mise en
train des travaux, et que dès lors la surveillance ne peut s’exercer, si le hasard n’a placé l’une de ces
constructions à proximité d’un lieu fréquenté par un des membres du comité que la chose concerne.
C’est l’un de ces hasards qui m’a permis la première fois de constater le peu de soin qu’apportent
certains constructeurs dans l’exécution des habitations ouvrières qu’ils édifient. Aucune surveillance
sérieuse ne s’exerçant sur les travaux, parce que le principal intéressé, l’ouvrier, retenu toute la
journée à son atelier ou à son usine, ne peut suivre les travaux en cours que d’une façon très
irrégulière et très superficielle, en supposant qu’il ait quelque compétence de la construction, ce qui
est assez rare. Quoi d’étonnant, dès lors, que la bâtisse s’édifie souvent dans des conditions
désastreuses.'

(i) Soenens, Les habitations ouvrières en Belgique, p. 35, col. 1 et 2.

J’ai eu, je le répète, l’occasion de constater maintes fois le peu de scrupule que mettent certains
entrepreneurs dans l’exécution des travaux qui leur sont confiés. J’ai quelquefois dû intervenir, et je
n’ai pas toujours réussi à faire obtenir satisfaction complète à l’ouvrier; j’ai eu à signaler entre autres
les insuffisances de longueur des gîtages qui ne portaient que de trois, quatre ou cinq centimètres
dans l’épaisseur des murs, — mesquine économie qui compromet l’avenir de la construction tout
entière pour donner ce résultat médiocre de faire gagner trente francs environ à celui qui use de ces
procédés condamnables. Ailleurs, des éléments décoratifs devant être exécutés en pierre de taille,
d’après les plans soumis à l’approbation communale, étaient fabriqués en ciment et par conséquent
sujets à une destruction beaucoup plus rapide. On pourrait citer de nombreux cas identiques. Qu’il
suffise d’invoquer encore une fois ici l’opinion de M. Soenens, qui, lui aussi, a constaté avec
inquiétude la situation que nous dénonçons sans crainte d’être contredit : « Les comités ont donc,
dit-il, le droit et le devoir de réclamer communication préalable des plans et cahiers des charges.
Dans la pratique, cette communication est trop souvent négligée et l’on ne s’aperçoit que trop tard,
quoique souvent au cours des travaux déjà, des défectuosités de constructions élevées à trop bon
marché, en « tape à l’œil », sans solidité, dans des conditions qui peuvent compromettre rapidement
en frais de réparations et réfections le petit avoir des acquéreurs (i). » Et envisageant les
conséquences qu’entraînent ces malfaçons, — dont la faute peut remonter quelquefois à l’ouvrier
constructeur qui, lui-même, cherche à obtenir des effets décoratifs hors de proportion avec la
dépense qu’il veut faire et sacrifie à l’apparence la bonne qualité des matériaux, — M. Soenens dit
encore : « Il faut éviter les excès du bon marché auxquels on se laisse trop aisément entraîner par le
désir exagéré d’attirer l’ouvrier et de permettre la fixation de mensualités d’acquisition égales ou
inférieures même aux loyers moyens. Le a tape à l’œil », le toc, l’absence de solidité et de durabilité
sont de nature à compromettre rapidement, en frais de répa- tions et de réfections, le petit avoir des
acquéreurs, à les obliger de

b) Soenens, Les habitations ouvrières en Belgique, p. 54, col. 1. b

renoncer à leur acquisition, non seulement à leur grand détriment personnel, mais au grand
détriment de la propagande pour l’œuvre des habitations ouvrières (1). » C’est parler d’or, et tous
reconnaîtront l'exactitude de cette conclusion, qui, mieux que nous ne pourrions le faire, justifie
l’utilité, sinon la nécessité d’un inspectorat des constructions ouvrières. Le Congrès d’Anvers a donc
estimé que les comités de patronage sont suffisamment armés pour défendre les intérêts confiés à
leur garde et, ne disposant d’aucun autre organisme, il a laissé subsister un statu quo qui pouvait
être amélioré. C’est ce qu’avait voulu faire inscrire dans la loi le comité de patronage des communes-
ouest de l’agglomération bruxelloise quand, au premier rang des vœux qu’il formulait le 3 février
1896, en vue de la révision de la loi du 9 août 1889, il inscrivait : « Organisation de l’inspection des
habitations ouvrières, notamment au point de vue de la poursuite des infractions aux lois et
règlements d'hygiène et de la surveillance des constructions nouvelles. » Attribution possible des
fonctions d’inspecteur à un membre du comité de patronage, sur présentation du comité, pour un
temps ou des services déterminés, spécialement pour l’exécution de mesures reconnues nécessaires
(“2). » Ajoutons que cette proposition obtenait le même jour l’adhésion de la conférence des trois
comités de l’agglomération. Si, malgré tout, la situation est restée ce qu’elle était autrefois, quant à
l’intervention active et directe des comités, elle s’est modifiée d’une façon notable quant à
l’organisation des pouvoirs publics, et il y a lieu pour le Congrès de Bruxelles de rechercher si le
Ministère du Travail, institué spécialement pour encourager et protéger les travailleurs, n’a pas une
grande mission à remplir dans cette occurrence. Aussi une première question se pose-t-elle : Y a-t-il
lieu pour les pouvoirs publics d’organiser un inspectorat des logements à bon marché? Il semble
généralement admis aujourd’hui qu’en matière sociale, et surtout pour tout ce qui concerne les
intérêts de la classe des travailleurs, c’est un devoir pour les pouvoirs publics d’intervenir, (1)
Soenens, Les habitations ouvrières en Belgique, p. 31, col. 1 (2) Rapport annuel (1896) des
communes de l’agglomération bruxelloise, p. 87.

SLR LA Ve QUESTION.

quand l’initiative privée est impuissante ou insuffisante à combattre et à vaincre certains maux
dûment constatés. Ce que nous avons exposé ci-devant nous paraît démontrer l’existence
d’inconvénients sérieux en matière de constructions d’habitations, inconvénients auxquels n’ont pu
parer d’une façon complète — faute de ressources suffisantes — nos comités de patronage, malgré
le zèle et le dévouement que leurs membres apportent à l’accomplissement de leur tâche, déjà si
lourde et si complexe. Il ne faut guère compter non plus, dans les cas spéciaux qui nous occupent, sur
l’initiative privée, qui serait dans tous les cas sans pouvoir comme sans action contre les
constructeurs indélicats. Il ne reste donc d’intervention efficace possible que celle des pouvoirs
publics. Et pourquoi celle-ci ne se manifesterait-elle pas en cette matière si grave, si vitale même
pour l’avenir de l’élite de nos classes laborieuses, car on le constate, c’est cette élite qui use surtout
des avantages créés par la loi de 1889? Ne la voyons-nous pas s’exercer de mille et une façons
ingénieuses, tant dans les questions relatives à l’habitation ouvrière que dans les rapports entre
patrons et ouvriers? Ne la voyons-nous pas récemment encore créer cette inspection du travail, dont
le but essentiel est de protéger l’ouvrier dans la fabrique ou dans l’atelier. Pourquoi ne pas le
protéger aussi, ce travailleur, dans l’emploi qu’il fait de son épargne en se construisant, au prix des
plus lourdes privations et des plus durs sacrifices, une habitation qu’il espère voir devenir un jour
l’abri de sa vieillesse et qui, au contraire, pourrait, si l’on n’y prend garde, n’être pour lui qu’une
cause de ruine et d’ennuis, déroutant toutes ses espérances et tous ses projets? L’ouvrier, qui a foi
dans la loi de 1889 et dans la mission protectrice de ceux qui l’ont faite, ignore presque toujours les
formalités essentielles (communication des plans, devis, cahier des charges, avis de commencement
des travaux) auxquelles il devrait se soumettre pour en bénéficier, et trop souvent, hélas ! il se berce
d’illusions qui le tiennent dans une fausse sécurité dont il est fréquemment victime. Puis, au lieu des
rêves dorés qu’il a conçus, au lieu des projets riants qu’il a échafaudés, il se trouve devant la sombre
réalité. Il ne tarde pas à constater que l’habitation qu’il a construite ne répond pas â ses désirs et il
entrevoit avec défiance, sinon avec crainte, l’heure où, au lieu d’être libéré de toutes ses charges en

devenant propriétaire réel de son home, comme on le lui avait promis, il se trouvera devant une
ruine anticipée, qui lui imposera des frais d’entretien et de réfection plus importants peut-être que la
location ou l’annuité dont il avait cru n’avoir plus à se préoccuper dans ses vieux jours. Et il
considérera avec raison le fruit de ses épargnes comme anéanti, et il fera remonter la cause de ses
malheurs à ceux-là mêmes qu’il aurait dû aimer comme ses protecteurs et estimer comme ses bons
et loyaux conseillers. Ne s’apercevant pas qu’il est l’auteur de ses malheurs, il reprochera à la société
de l’avoir trompé. Et on pourrait se demander s’il n’y aura pas un semblant de vérité dans ses
protestations. Il ne sutlit pas, comme le déclarait au Parlement M. van der Bruggen, « de chercher à
procurer à l’ouvrier une demeure convenable et de lui en faciliter l’acquisition, il faut encore donner
quelque stabilité à cette œuvre ». N’est-ce pas parce que ces garanties de stabilité sont inopérantes
que nous voyons l’œuvre des habitations ouvrières subir — dans l’agglomération bruxelloise du
moins — un temps de recul ou d’arrêt? C’est ce que constatait déjà en 1894, M. Verhaeren, éche- vin
des travaux publics à Ixelles, qui était obligé de reconnaître que le mouvement des constructions
ouvrières semblait se ralentir (i); c’est ce que confirme dans son rapport de cette année le comité des
communes-ouest, qui déclare « que quelques maisons ont encore été bâties cette année par des
ouvriers, mais que le nombre en a considérablement diminué (2) ». Cette situation périlleuse, si elle
devait perdurer encore, compromettrait, croyons-nous, l’œuvre si utile et si digne d’encouragement
des habitations ouvrières. Il est temps d’y apporter un remède énergique. Ce remède, où le chercher,
comment en assurer l’efficacité surtout? L’intervention des pouvoirs publics ne s’impose-t-elle pas
comme une loi de salut et comme une garantie de vitalité pour l’œuvre à laquelle nous nous
consacrons tous? S’il fallait justifier l’intervention des autorités publiques en matière de protection et
spécialement à propos d’habitations ouvrières, nous pourrions invoquer les exemples chaque jour
plus (1) Congrès d’Anvers : Rapport sur la VII e question. (2) VII e rapport annuel fcommunes-ouest),
p. 12.
nombreux que nous fournissent nos lois sociales et les législations étrangères tendant à améliorer le
sort des classes laborieuses. Nous pourrions citer, entre autres, les nombreux exemples invoqués par
MM. Le Bon et Obozinsky dans le rapport si documenté présenté par eux au Congrès d’Anvers, en
réponse à la quatrième question (t), ou les cas nombreux signalés par la Revue du Travail (2), etc.,
etc. Nous croyons inutile de refaire ici une longue énumération que connaissent tous ceux qui
s’occupent de la condition actuelle des classes laborieuses et des moyens de l’améliorer. La nécessité
de l’inspectorat nous semble démontrée. Il nous reste donc à rechercher comment il convient de
l’organiser pour en obtenir le plus de services possible en faveur de ceux dont elle aurait à défendre
les intérêts. Faut-il laisser aux comités de patronage le soin de créer cet organisme nouveau? Nous
ne le pensons pas. Cet inspectorat, pour sortir tous ses effets utiles, doit être confié à des
fonctionnaires rémunérés et assumant dès lors vis-à-vis de l’ouvrier constructeur, les responsabilités
que détermine spécialement l’article 1792 du Code civil. Où donc les comités de patronage, dont les
ressources sont déjà trop restreintes aujourd’huijet qui doivent faire appel, pour l’organisation de
leurs concours d’ordre et de propreté, à la générosité du public, trouveraient-ils les moyens d’assurer
un pareil service? Ils ne pourraient le faire qu’en réclamant l’intervention des pouvoirs publics, et
parmi ces pouvoirs, l’Etat seul, d’après nous, s’inspirant de l’intérêt général et justement soucieux de
montrer que rien de ce qui intéresse les classes laborieuses ne peut lui être étranger, l'Etat seul,
disons-nous, aurait qualité pour agir. Cette intervention financière admise, n’est-il pas juste et
légitime que l’Etal organise et dirige comme il l’entend le service nouveau qu’il serait appelé à
instituer? Le moyen le plus pratique ne serait-il pas de confier au Ministère du Travail le soin de créer
et de diriger ces inspectorats? A cet effet, cette administration agréerait, dans le ressort de

(0 Rapport au Congrès d'Anvers, pp. 3 et suiv. (s) Revue du travail, l re année, pp. 41, 388, 701. 685; 2
e année, p. 361.

chaque comité de patronage, un ou plusieurs inspecteurs-surveillants (selon l’étendue du ressort et


le nombre des constructions à édifier), qui seraient chargés de suivre et de surveiller — sous leur
responsabilité — les travaux de construction des habitations ouvrières établies conformément aux
prescriptions de la loi du 9 août 1889. Ces surveillants agréés seraient placés sous le contrôle et la
direction de l'une des administrations (l'Office du travail, par exemple) du Ministère du Travail. Leur
responsabilité personnelle étant engagée, ces agents n’auraient pas besoin d’autre stimulant pour
exercer une surveillance sérieuse et efficace. Comme rémunération des services qu’il réclamerait de
ces inspecteurs agréés, le Ministère du Travail pourrait leur allouer le quantum de 2 % du montant de
la dépense réelle attribué aux architectes pour la vérification et le règlement des mémoires dans
l’avis du Conseil des bâtiments civils du 12 pluviôse an VIII, qui régit encore aujourd’hui la question
des honoraires des architectes en Belgique. L’inspecteur devrait adresser des rapports à
l’administration dont il dépendrait, procéder aux réceptions, tant provisoire que définitive, desdites
constructions et certifier enfin que l’exécution du contrat a été parfaite. On dira peut-être que cette
surveillance fera double emploi avec celle de l’auteur des plans des habitations à construire. Cela
n’est guère à craindre : tous ceux qui s’occupent des constructions ouvrières savent qu’en règle
générale, le rôle de l’architecte de ces habitations se borne presque toujours à fournir les plans, devis
et cahier des charges nécessaires pour l’approbation par les autorités compétentes et pour le forfait
â établir avec l’entrepreneur chargé de l’exécution. Dans bien d’autres cas, l’entrepreneur fournit
plans et cahier des charges et se trouve ainsi être son propre contrôleur. De surveillance, il n’en est
guère question, sauf peut-être dans de très rares exceptions, que nous ignorons quant à nous, car
nous ne pouvons considérer comme suffisante la surveillance de la caisse d’épargne, prescrite par les
articles 5 et 11 de l’arrêté du 2o mars 1891 et qui se borne généralement à une visite unique quand
la construction est fort avancée. Cette surveillance s’exerce bien plutôt en vue de la garantie de la
Caisse, dont les services sont si grands et si utiles, quand elle agit comme bailleur de fonds, qu’en vue
de sauvegarder les intérêts de l’ouvrier qui fait construire.

SUR UA V« QUESTION.

Il

Voilà la situation réelle, celle qui donne lieu à l’état de choses déplorable contre lequel nous
estimons qu’il est temps de réagir. C’est ce que l’on ne pourra obtenir qu’en instituant l’inspectorat
des habitations ouvrières sous le contrôle des pouvoirs publics et de préférence sous la direction du
Ministère du Travail. Telle est notre conclusion.

Le Rapporteur, J. De Becker.

Congrès international des habitations a bon marché. — I5ruxeij.es, 1897. llapports préparatoires,

I, inspectai des logeinenls à lion marché.

RAPPORT SUR LA Y* QUESTION (i) PAR

Albert SOENENS, JUGE Ali TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE 1)E BRUXELLES, PRÉSIDENT DU COMITÉ
DE PATRONAGE DE BRUXELLES-OUEST, VICE-PRÉSIDENT DE I.’ASSOCIATION POUR L’AMÉLIORATION
DES LOGEMENTS OUVRIERS.

!' Tant vaut l’inspection, tant vaut la loi " elle-même. » V. Brants. " A quoi sert de promulguer des lois
h (sociales), si elles ne sont pas observées ? // Et elles ne seront pas exécutées aussi longez temps
qu’il n’existera pas, en tous pays, un « service perfectionné d’agents contrôlants " nombreux et
choisis. Cette vérité doit péné- " trer dans les cerveaux. Contribuer à cette // œuvre de propagande,
c’est rendre le plus h signalé service aux intérêts de la classe » ouvrière. // De Curtins.

« Tant vaut l’inspection, tant vaut la loi sociale. » Cet aphorisme — résumant l’opinion unanime (les
sociologues et les conclusions de toutes les enquêtes sur l’application des lois sociales (:2) — ne se
vérifie nulle part mieux qu’en matière de législation relative au logement des travailleurs. Justifiée
théoriquement et pratiquement par le contrôle indispen- i \ a-t-il lieu pour les pouvoirs publics
d’organiser un inspectorat des logements à bon marché? Sous quelle forme? (» Voir V. Brants, Revue
générale, 1897, p. 505, et, dans la bibliographie ci-annexée, les citations de Boueux, De Curtins,
d’Ursel, Van Overbergh, Vei.ghe, etc.

sable pour l’application des lois ouvrières, par la proclamation de plus en plus éclatante du dogme
hygiénique de la « solidarité sanitaire » (1), par la notion de plus en plus exacte des droits et devoirs
du citoyen, par le contlit particulièrement aigu des intérêts privés et publics, par l’extension normale
de l’inspectorat du travail, — nécessitée, en pratique, tant par la surveillance des constructions
nouvelles que par l’enquête permanente et efficace sur l’état des logements anciens, — réclamée
aussi unanimement qu’instamment par les hygiénistes et les sociologues, les commissions officielles
et les institutions privées, — l'organisation de l’inspection des logements à bon marché nous paraît
s’imposer aux décisions du Congrès comme un des vœux les plus immédiatement et les plus
généralement réalisables. I. JUSTIFICATION THÉORIQUE 1° Exécution de loi sociale. L’exécution des
lois sociales comporte d’autant plus la nécessité d'une surveillance minutieuse, permanente et
efficace, d’une inspection indépendante des corps et agents chargés directement de leur application,
qu’elle est en opposition plus flagrante avec les intérêts privés et livrée à la discrétion d’autorités
plus directement en contact avec ceux qui doivent pâtir de cette exécution. Cette nécessité a été, en
ces derniers temps surtout, trop vivement mise en lumière par l’expérience et justifiée par les
sociologues pour qu’il soit nécessaire d’y insister longuement. Elle a amené notamment, dans tous
les pays de législation sociale vraiment pratique, l’organisation si féconde de l’inspectorat du travail
(2). 2° Extension de l’inspectorat du travail. Vraiment, l’inspectorat des habitations à bon marché
apparaît clairement dès l’abord, sinon comme une dépendance, tout au moins i) Voir Henrard,
Observations du Conseil supérieur d'hygiène en 1893, ]). CXXI. (s) Voir les autorités déjà citées supra,
p. 1, et spécialement Van Overbergh, Les inspecteurs du travail dans les faby'iques et les ateliers
(étude très documentée sur l’histoire et les effets de l’inspection du travail en Angleterre, en
Allemagne, en France, en Suisse et en Autriche). — Adde Pandectes berges, y® Inspection du travail,
notamment n® 2.

SUll LA V« QUESTION.

comme un accroissement normal, une alluvion naturelle de l’inspectorat du travail. Pourquoi


s’arrêter ù l'hygiène de l’ouvrier pendant son travail et ne pas se préoccuper de celle de la famille
ouvrière tout entière, dans son existence collective et essentiellement dépendante, dans l’avenir
même de la race? Pourquoi tant de souci de protection de l’ouvrier contre les exploitations
éventuelles du patronat, tant de mesures rigoureuses et minutieuses pour lui assurer l’intégrité d’un
salaire rémunérateur, s’il faut aboutir à le livrer sans défense, lui et les siens, corps et biens, aux
rapacités éhontées des spéculateurs en « habitations de rapport »? Pourquoi cette réglementation
minutieuse de l'alimentation, avec inspection sérieusement organisée (t), et ce dédain, ce « laisser
faire, laisser passer » en matière de logement? « Les règlements tendant à interdire l’habitation des
logements insalubres », dit M. Hellebaut dans son Commentaire (le la loi communale belge (2), a ont
été institués au profit des classes inférieures qu’on a voulu protéger contre la rapacité de certains
propriétaires qui, lorsqu’il s’agit de gagner si peu d'argent que ce soit, font bon marché de la vie de
leurs locataires. Il y a là un intérêt public qu’il échet de sauvegarder, dussent certains intérêts privés
en souffrir quelque peu. » M. Van bastelaer, rapporteur de l’Académie royale de médecine en 189o,
tout en signalant « l’insouciance si naturelle au peuple », flétrit « la négligence et trop souvent la
lésinerie de certains propriétaires, la rapacité des spéculateurs qui parquent dans les trous mal aérés
et infects d’impasses resserrées et de bataillons carrés, grand nombre de pauvres malheureux et
d’ouvriers chargés de famille », réclame énergiquement, « au nom de toutes les Commis- » sions
médicales, de tous les hommes compétents » l’intervention de l'autorité supérieure « pour forcer les
mauvaises volontés des autorités locales » et demande la promulgation « d’une bonne loi qui donne
au Gouvernement, au profit de la santé publique, le droit de faire faire d’urgence les installations et
les travaux réclamés par les besoins et par la voix publique (3) ». (1) Voir notamment, en Belgique,
l’arrêté royal du 22 juin 1891 portant règlement organique de l’inspection locale et centrale pour la
fabrication et le commerce des denrées alimentaires. 2) Article 90, n os 162 et 163. i) Voir la citation
complète dans la bibliographie ci-annexée.

C'est qu’en effet cette extension de l'inspectorat du travail est exigée tant en vue d’un intérêt général
de plus en plus patent, que par le conflit de plus en plus accentué des droits publics et privés.

3° Intérêt public et général. Combien loin de nous la conception des devoirs d’une hygiène privée,
dégagée de l’hygiène publique, des droits du citoyen, « habitant de la cité », indépendant comme tel
de la nation entière! « L’objection de l’autonomie communale et du respect de la liberté individuelle
», dit M. Henrard, rapporteur du Conseil supérieur d’hygiène publique (1), « est un leurre en face de
la solidarité sanitaire qu’ont créée les conquêtes de la science. Le droit de n’être pas contaminé par
son voisin est plus respectable que la liberté de lui communiquer les germes d'ifne maladie mortelle
(2). » Ne doit-on pas se représenter cette « solidarité sanitaire » comme contre-partie de notre
solidarité humaine, comme punition providentielle de l’égoïsme ou de l’incurie des classes élevées?
Ainsi que des fléaux vengeurs, les maladies infectieuses ne s’étendent-elles pas souvent des impasses
aux avenues, des masures aux hôtels, des taudis abandonnés où elles trouvent leurs « bouillons de
culture » aux demeures les plus somptueusement et les plus hygiéniquement aménagées ? Cette «
solidarité sanitaire » frappe et détermine les esprits les moins portés à l’extension du pouvoir central.
« Plus qu’aucun autre », s’écrie M. Pety de Thozée, gouverneur de la province de Liège, « je suis
partisan de l’autonomie communale; mais une pratique administrative déjà longue m’a convaincu
des dangers de celte autonomie... La société toute entière pâtit du défaut de prévoyance et de
clairvoyance des administrations communales en matière hygiénique et, s’il est un cas où ces
administrations doivent être déchues de leur pouvoir au profit de l’autorité centrale plus énergique
et mieux éclairée, c’est lorsqu’il s’agit d’obvier à un

(1) Observations du Conseil supérieur d’hygiène publique sur les rapports des Commissions
médicales provinciales en 1895. — Voir Rapports Comrniss. provinc. en 1893, Bruxelles, 1896, p. cxxi.
(2) Le rapporteur cite à l’appui l’opinion de M. Paul Leroy-Beaulieu, « l’économiste le plus imbu des
idées du laisser faire et du laisser passer ».

SUR LA Ve QUESTION.

état de choses qui peut compromettre gravement la santé publique dans toute une région (i). »
Arrière aussi l’archaïque conception du citoyen appartenant, corps et biens, à la cité! C’est de la
nation toute entière, de l’humanité même qu’il relève. C’est à elles qu’il doit compte de sa santé, de
sa vie, de sa personne et de sa famille, — comme contribuable, comme soldat, comme homme, —
pour lui et pour les siens, — en vertu de la loi de solidarité, de cette « solidarité sanitaire » même,
qui, par la propagation des épidémies notamment, enchaîne étroitement la salubrité générale et
nationale à la salubrité privée ou communale. « L’hygiène n’est pas d’ordre privé ou local », écrivait
déjà, en 1887, M. Berden, dans le rapport du Conseil supérieur d’hygiène publié à la suite de son
enquête générale sur les habitations ouvrières, « elle intéresse au plus haut degré le pays tout entier
qui doit trouver dans une réglementation sage et éclairée les garanties nécessaires, non seulement
pour le préserver du fléau des maladies contagieuses, mais encore pour lui assurer, par un régime
hygiénique convenable, la santé de ses habitants (2). » En 1891, le rapporteur du Conseil supérieur,
M. Kuborn — comme d’ailleurs presque tous ses prédécesseurs et successeurs — revient encore sur
la nécessité de bien interpréter et limiter l’application du principe d’autonomie communale en
matière d’hygiène publique et de réglementation des logements. « En cette matière », dit-il
notamment (2), « les communes restent, vis-à-vis du pouvoir central, en état de tutelle, de minorité
perpétuelle. La maladie ne reconnaît pas les limites tracées entre les communes par les conventions
administratives La loi qui a confié aux pouvoirs commu naux le soin de la santé publique, a pu avoir
sa raison d’être à une époque où l’isolement des communes, le peu de densité de la population, la
difficulté des communications permettaient à leur autonomie de s’exercer sans danger dans certains
domaines. Ces (4) Discours d’ouverture au Conseil provincial de Liège, le 1 er juillet 1890. — Cité
dans Rapports Comrniss. provinc. pour 1891, p. xcviii. (a) Nous complétons ces citations intéressantes
dans la bibliographie publiée en annexe, avec extraits des auteurs y désignés. — Voir aussi une
citation caractéristique du rapport de M. Van Ermengem, en 1891, qui argumente de « l’exemple des
pays les plus respectueux de la liberté individuelle et des prérogatives locales », et notamment de
l’institution en Angleterre des medical offi- cers of health.

conditions n'existent plus aujourd'hui. C’est au pouvoir central qu'il appartiendrait de prendre en
mains la suprême direction des intérêts de tous. De quelque côté que nous nous retournions, nous
voyons, d’une part, une administration supérieure éclairée, vigilante, cherchant par la persuasion à
entraîner les pouvoirs communaux à seconder ses intentions de bien faire; d’autre part, une
administration inférieure qui brise les volontés les plus puissantes. Telle est bien la situation. » il
importe ici d’insister sur cette situation anormale, sur ce dualisme de deux forces et de deux intérêts
qui justifie particulièrement l’institution d’un organisme capable de les concilier, c’est-à-dire de
l’inspectorat des habitations ouvrières.

4° Conflit des intérêts privés et publics. En aucune matière, en effet, le conflit entre les intérêts privés
et publics, —- entre les caprices administratifs et les nécessités de l’exécution des lois, entre les
indifférences, inerties et résistances des autorités locales et électives et les devoirs de protection des
faibles et d’obéissance au pouvoir supérieur, indépendant et éclairé, — n’apparaît plus aigu et plus
persistant.

Expérience en Belgique. , Dans notre pays, prêtons l’oreille au concert de réclamations concordantes
et instantes, tant de la part des hygiénistes les plus autorisés, des institutions gouvernementales et
officielles, que des œuvres privées et des spécialistes les plus compétents en matière de logements
ouvriers. Les voix graves du Conseil supérieur d’hygiène publique et de l’Académie royale de
médecine retentissent depuis longtemps (1), comme un cri d’alarme et une protestation, d’année en
année plus vive, plus impérieuse, presque désespérée.
(i) Déjà en 1874, le Conseil supérieur d’hygiène publique, agissant d’accord avec l’Académie royale de
médecine, réclama, — comme solution définitive d'une question déjà ancienne — la création
d’inspecteurs des habitations ouvrières. Voir, dans la bibliographie ci-annexée, la requête signée par
MM. Dubois-Thorn et Vlemincx.

SUR LA V« QUESTION'. 7 Leur écho s’est répercuté déjà dans plusieurs des citations de cette étude
(1). Mais voici quelques déclarations plus catégoriques et plus significatives encore au sujet de
l’incurie et de la résistance des pouvoirs locaux. M. Kuborn, rapporteur de l’Académie royale de
médecine en 1891, n’hésite pas à dire, avec la pleine approbation de tous ses collègues : « Nos
Commissions médicales sont unanimes à déplorer l’inertie des administrations communales en
matière sanitaire. On les voit même contrevenir aux prescriptions les plus formelles sans qu’aucun
pouvoir soit armé pour les contraindre directement Le grand souci des administrateurs communaux,
c’est d’assurer leur réélection. Aussi se gardent-ils de braver l’impopularité qui s’attache à toute
dépense destinée au soulagement des classes déshéritées.... Ce qu’il faut redouter dans la mise en
exécution (des lois nouvelles), c’est l’habileté proverbiale des autorités locales pour éluder les textes
les plus clairs, les plus précis Le chiffre des habitations insalubres reste, en dépit de tous les efforts,
dans des proportions hors de mesure pour un pays civilisé et ce, non seulement dans les communes
rurales, mais dans les localités industrielles, dans les villes meme. 11 y a des années que la plus
sérieuse attention des autorités communales a été attirée par des circulaires sagement conçues, par
l’envoi de modèles, de règlements établissant le minimum des conditions hygiéniques exigible dans
la construction d’une habitation Les pouvoirs adminis tratifs locaux sont fort peu disposés à exécuter
des lois ou arrêtés dont ils ne comprennent pas l importance ou qui les gênent dans leurs rapports
avec leurs administrés. Beaucoup de chefs de municipalités agissent, lorsque, pour justifier leur
action, ils peuvent exhiber la preuve qu’ils ont été contraints par l’autorité supérieure (2). » Trois
années plus tard, c’est avec un accent qui trahit le découragement que le même rapporteur se voit
obligé de dénoncer toujours

(Q Voir notamment les citations de MM. Van Bastei.aer, Henrard, Berden, Kuborn, Van Ermengen,
publiées ci-dessus. (2) Voir la citation plus complète publiée dans la bibliographie ci-annexée. — « Le
sans-gêne des administrations locales en matière d'hygiène », conclut le ])'■ Semai., « ne cessera que
par la force d’une loi qui n’est pas près de voir le » jour et par l’indépendance d’agents chargés de
veiller à la salubrité publique » en dehors de l'action paralysante des administrations communales. »
(Rappor cité par le Soir, numéro du 19 mai 1896.)

RAPPORT DK M. SOENENS

les mêmes abus des autorités locales et la même inaction forcée des pouvoirs supérieurs. « Le
reproche d'ignorance, d’incurie, de mauvais vouloir d’un grand nombre d’administrations
communales est devenu banal ! » s’écrie-t-il. «. L’expérience a suffisamment parlé pour nous
permettre île réclamer, au nom de la santé des populations, une action légale sévère contre les actes
et négligences de ceux qui les compromettent.,. Les bourgmestres évitent de réunir les comités
locaux (de salubrité) qui sont parfois gênants à moins qu’ils ne leur servent d’écran, lorsqu’il s'agirait,
par exemple, de réclamer quelque avis avant de faire appliquer leurs administrés des lois et
règlements peu agréables à ceux-ci.... Nul ne peut porter préjudice à autrui. Le principe est absolu : il
n’en va pas autrement des collectivités (d). » Nous trouvons aussi dans le Rapport du Conseil
supérieur d’hygiène publique sur les travaux des comités de patronage des habitations ouvrières en
1894 (p. 10), la mention d’un fait spécial, tout à fait caractéristique, signalé par M. le D r Gousot :
c’est la description de « la situation révoltante et désolante », ù Dînant, « de taudis immondes et
nauséabonds appartenant à la ville même ». « N’est-il pas désolant », conclut M. le D 1 Gousot, « que
dans une ville comme Dînant, il se puisse voir des logements, appartenant à la ville, où l’homme doit
vivre privé non seulement des choses les plus nécessaires pour l’entretien de la vie (l’eau, l'air et la
lumière), mais est exposé à toutes les causes de contagion. Comment permet-on à des propriétaires
d’exposer ainsi l’ouvrier en lui donnant en location des maisons moins confortables que les écuries
de certains particuliers? Ces administrations sont bien coupables. Elles ont des ressources dans leurs
bureaux de bienfaisance et dans leurs hospices. Ces ressources pourraient être le capital nécessaire à
former des sociétés pour l’achat d’habitations ouvrières; mais loin d’y penser, elles négligent même
les mesures de police capables de faire régner un peu de propreté et un peu d’hygiène. » Que l’on
n’essaie pas d’argumenter, pour diminuer l’autorité de ces déclarations et réclamations, de je ne sais
quel « esprit de corps », d’une sourde hostilité entre pouvoirs administratifs et administrations
d’hygiène. p) Kuborn, Observations de l'Académie royale de médecine, etc. Bruxelles, 1895, pp. v, vu,
xiii, xv. — Voir aussi, dans la bibliographie publiée ci-après, les extraits du rapport de M. Henrard, en
1895, du rapport de M. Mum.iek au Conseil supérieur d’hygiène, en 1891, et du rapport de M.
Pctzeys, en 1895.

Nous avons déjà relaté {supra, p. 4) le jugement sévère d’un « administrateur blanchi sous le harnais
», de M. Pety de Thozée, gouverneur de la province de Liège, invoquant « sa longue pratique
administrative » et se réclamant d’être « partisan plus qu’un autre de l’autonomie communale ».
N’est-ce pas vraiment le verdict sans appel du « tribunal des pairs » que cette appréciation cinglante
de cet éminent praticien : u On n’obtiendra que de maigres résultats aussi longtemps qu’on en sera
réduit à adresser des exhortations et des recommandations à des communes inertes et apathiques. »
Si telles sont les plaintes, les récriminations, les rancœurs même (1) de hauts fonctionnaires, d’ad
ministrations officielles, quelles ne doivent pas être les lamentations et les découragements de ceux
qui, sans aucun pouvoir ni aucune charge officielle, se dévouent par pure philanthropie, à la grande
œuvre des habitations ouvrières et dont le dévouement, de l’aveu de tous, est aussi précieux
qu'indispensable! Presque tous les rapports de nos œuvres de patronage officiel ou d’initiative privée
en emportent les échos qui ne sauraient assez attirer et retenir notre attention (2). Car, prenons-y
garde, c’est là peut-être la fêlure de notre organisation actuelle, si vivace et robuste en apparence,
spécialement au point de vue des œuvres de construction d’habitations ouvrières, si féconde en
résultats pratiques immédiats dont nous sommes légi-

i) Le rapporteur de l’Académie royale de médecine en 1895, M. Van Baste- i.aer, signale


l'écœurement de toutes les Commissions médicales, de tous les praticiens, de tous les hommes
compétents. — Voir la citation dans la bibliographie ci-annexée. (a) Voir spécialement, dans les
annexes du rapport, citations de MM. Dusart et Putzeys, rapporteurs du Conseil supérieur d’hygiène
pour l’analyse des rapports des Comités de patronage; de Brabandere, rapporteur de Y Association
pour l'amélioration des logements ouvriers; Soenens, rapporteur du Comité de patronage de
Bruxelles-Ouest; Sodar, rapporteur du Comité de Dinant; Velghe, chef de division au Ministère de
l’agriculture, attaché au service des habitations ouvrières. — Plusieurs comités de patronage
argumentent des refus des administrations locales pour abandonner la tâche si importante des
enquêtes sur l’état des logements. (Rapports du Conseil supérieur d’hygiène publique sur les travaux
des Comités en 489-1, pp. Il, 21, 51). — Voir aussi, en annexe, les vœux et projets relatifs à
l’inspection des habitations ouvrières, et spécialement la pétition de ïAssociation pour Vamélioration
des logemefits ouvriers, sous la présidence de M. de Bavay, conseiller à la Cour de cassation.

timement tiers. On se fatigue vile à faire les enquêtes les plus minutieuses sans amener de réformes
sérieuses, à produire les réclamations les plus justifiées et les plus énergiques sans aboutir à aucun
résultat appréciable, à constater, à chaque visite de révision, les mêmes vices et défectuosités les
plus llagranls et les plus aisément curables, à se heurter, là où on avait le droit d’attendre secours et
action, aux mêmes indifférences ou mauvaises volontés. a Ce n’est que soutenus et secondés par
l’autorité supérieure que les comités de patronage des habitations ouvrières peuvent réaliser les
espérances fondées sur leur action », déclare formellement 31. Vclghe, chef de division au Ministère
de l’Agriculture et des Travaux publics et attaché spécialement au service des habitations ouvrières. «
Si », ajoute-t-il, « leurs rapports sont classés, si aucune amélioration n’est apportée aux nuisances
qu’ils signalent, leur dévouement sera vite lassé (t). » Ne désespérons point cependant. Le mal n’est-
il pas reconnu officiellement depuis longtemps, jusque par les auteurs mêmes de la loi du 9 août
1889, et notamment par le « père de la loi », le dévoué président de notre Congrès (2)? Le Ministre
de l’Agriculture et des Travaux publics, M. De Bruyn, n’a-t-il pas lui-même dénoncé la gravité de la
situation (3) et essayé même d’y porter quelque remède en proposant, par sa circulaire du 2G
novembre 1890, de subordonner l’octroi aux communes des subsides de l’État à l’exécution des
mesures d’hygiène proposées par les délégués de nos comités de patronage? Cette tentative de
réforme — timide et insuffisante — a échoué, il est vrai, aussi complètement que possible, rien que
par l’effet de la « force d’inertie » des administrations inférieures, dont un bon nombre se sont
bornées, pour toute défense, à se pelotonner dans un mutisme aussi absolu que dédaigneux (4).
Mais cet échec même,

(1) Voir la citation plus complète dans la bibliographie ci-annexée. (2) Voir dans la bibliographie ci-
annexée, les déclarations de MM. Beernaert et Méi.ot, lors de la discussion de la loi du 9 août 1889.
— Comparer la requête pour la création de l’inspectorat des habitations ouvrières présentée, dès
1874, par JIM. Durois-Thorn et Vlemincx, au nom du Conseil supérieur d’hvgicne, comme solution
d’une question déjà ancienne. (3) Voir, dans la bibliographie, les extraits de ses circulaires des 26
novembre 1890 et 3 octobre 1894. (4; Voir Ai.b Soenens, Les habitations ouvrières en Iielyûjuc.
Bruxelles, 1895, pp. 132 et suiv.

ne fait-il pas toucher du doigt, ne démontre-t-il pas, par le fait même et sur le vif, la puissance
incalculable de ces résistances passives dont nous nous sommes efforcé de faire apprécier toute la
force et le danger? Et. ainsi caractérisé, n’cst-il pas un argument et un espoir de plus en faveur d’une
réforme complète et efficace, telle que l’organisation pratique d’un inspectorat des habitations
ouvrières? Expériences failes dans d’autres pays. Parachevons cette « démonstration sur le vif » — et
mettons quelque baume sur la blessure de notre amour-propre national — par les résultats les plus
significatifs des expériences faites dans les autres pays. France. — « L’exemple de la loi française de
18o0 », dit M. Yel- ghe (1), c< est devenu classique pour démontrer que la loi ne vaut que par l’usage
qu’on en fait. » Cette loi a laissé tout ce qui concerne l’hygiène et la salubrité des habitations dans le
domaine absolu des municipalités : c’est à elles qu’elle a abandonné notamment le soin de nommer
une commission chargée d’inspecter les logements ouvriers, de rechercher les causes d’insalubrité
ainsi que les moyens d’y remédier. Or — comme le constatait M. Beernaert, lors de la discussion de
notre loi du 9 août 1889 (-2) - cette loi est restée à peu près lettre morte, à cause de son caractère
facultatif et c< malgré les efforts du Gouvernement û toutes les époques et en dépit de nombreuses
circulaires fort bien rédigées par lesquelles on n’a cessé de recommander à toutes les municipalités
de France l’exécution de la loi ». Sur les 36,000 communes de France, il n’y en a jamais eu 300 qui
aient usé de la faculté d’instituer une commission d’étude et d’inspection et, en 1883, de toutes les
commissions instituées, il n’en restait plus que cinq (3)! « Des faits aussi probants », ajoute justement
M. Velghe, « pourraient être puisés dans l’histoire de tous les pays (4). » 0 Voir la citation plus
complète dans la bibliographie ci-annexée. (a) Annales pari.. Ch. des liepr., 3 juillet 1889. — Voir
aussi, dahs la bibliographie jointe, les citations de MM. Velghe et De Quéker. (ô) Voir aussi, sur
l’cchec lamentable de cette loi à défaut de sanction et d'inspection, Ch. De Quéker, Éludes sur les
questions ouvrières, pp. 457 et suiv. (*) Les journaux quotidiens ont annoncé dernièrement
l’organisation prochaine, en Saxe, d’une inspection spéciale des logements ouvriers en vue d’assurer
l’exécution des dispositions rigoureuses du nouveau règlement général sur les bâtisses, notamment
en ce qui concerne les logements trop encombrés.

Aussi, les nations les plus entichées de la liberté individuelle et de l’autonomie locale, mais douées en
même temps d’un sens pratique éminent, n’ont-elles pas hésité à indroduire chez elles les
restrictions et les coercitions nécessitées par un intérêt général et supérieur (1). Angleterre. —
L'Angleterre a compris depuis longtemps la nécessité d’une législation spéciale et minutieuse sur les
logements ouvriers. Depuis près d’un demi-siècle (la première loi sur la matière date en effet de
1851), on y étudie la question sans relâche, on s’occupe de légiférer, de modifier, d’amender, de
reprendre en sous- oeuvre les lois existantes, sans se contenter des résultats obtenus, considérés
comme imparfaits et incomplets, quelque brillants qu’ils puissent paraître au regard des autres
nations ("2). D’après la législation antérieure à la loi de 1885, les autorités locales avaient des
pouvoirs facultatifs pour assurer â leurs circonscriptions des conditions de salubrité suffisantes. La loi
de 1885 a rendu obligatoire l’exercice de ces pouvoirs et, afin de triompher de l’inertie constatée
dans certaines localités, on augmenta les pouvoirs de l’autorité centrale. On augmenta aussi les
pouvoirs des autorités locales à l’égard des propriétaires. On alla plus loin encore en 1890. D’après la
loi de cette date, les autorités locales sont obligées notamment de procéder à une inspection
générale annuelle. Toute maison insalubre doit être fermée; c’est le pouvoir judiciaire qui intervient
en vue de la déclaration d’inhabitabilité. Dans le cas où la maison est devenue inhabitable parce que
le propriétaire y a entassé pendant un certain temps un trop grand nombre d’habitants, l’indemnité
d’expropriation est calculée d’après le loyer qu’il aurait touché si la maison avait été habitée au vœu
de la loi, c’est-à-dire d’après son cubage d’air. Si la maison menace ruine, on ne rembourse au
propriétaire que le prix du terrain augmenté de la valeur des matériaux provenant de la démolition.
Si l’insalubrité est due à un vice de construction, à un manque ou à un défaut de réparations,
l’indemnité égale le prix vénal et moyen — fixé nécessairement à un chiffre peu élevé — de la maison
en tant que réputée insalubre.

i) Voir Van Ermengem, Observations du Conseil supérieur d’hygiène publique en 1891, p. xcv. —
Comparer Van Overbergh, Les inspecteurs du travail (spécialement en Angleterre et en Suisse;. (»)
Voir notamment De Quéker, Études sur les questions ouvrières, pp. 4(38 et suiv. — Beernaert,
Discours à la Chambre des Représentants, 3 juillet 1889.

De plus et surtout, le législateuranglais, craignant que les autorités locales, pour des causes
politiques ou autres, n’exécutent la loi qu'avec une certaine mollesse, a donné aux conseils des
comtés (County connais) le droit d’agir en lieu et place des autorités locales trop négligentes (t).
Depuis lors, le Parlement anglais n’a cessé de perfectionner encore l’instrument législatif en matière
d’habitations ouvrières et d’hygiène publique. C’est ainsi qu'il a investi de pouvoirs spéciaux les
Medkals Officers of Health, corps de fonctionnaires inspecteurs d’hygiène auxquels un récent rapport
de notre Conseil supérieur d’hvgiène publique attribue « le prodigieux essor de l’hygiène publique en
Angleterre (2) ». Etats-Unis. — Aux États-Unis même, cet eldorado du self-helj) et de la non-
intervention, les pouvoirs législatifs n’ont pas hésité également à prendre en cette matière des
mesures restrictives de la liberté individuelle et de l’autonomie locale. Signalons notamment que,
dès 1865, le Parlement de l’Etat de New-York a voté la création d’un Board of Health, en même
temps qu’une loi sur les logements, qui fut complétée et amendée depuis lors (3). Le Boanl a eu
longtemps à lutter contre la mauvaise volonté des propriétaires dont la corporation puissante avait
su se ménager l'indulgence des pouvoirs publics et même des tribunaux. Aujourd’hui il y a un nombre
assez considérable d’inspecteurs et de fonctionnaires de police exclusivement chargés de la
surveillance des logements insalubres. D’autre part, les associations privées pour l'amélioration des
logements ouvriers, devenues très nombreuses et actives, signalent au Board tous les cas
d’insalubrité dont les ouvriers n'osent se plaindre, de peur de se voir expulser par le propriétaire(4).
n Ch. De Qléker, Études sur les questions ouvrières, pp. 463 et suiv. ,2; Voir la citation, ci-après
rapportée clans la bibliographie, de 31. Van Ebmengem, rapporteur du Conseil supérieur d’hygiène
publique en 1891. (3) Voir Ch. De Quéker, Ibid., p. 4oo. — Voir aussi les rapports si intéressants et si
complets du Tenement house comittee de New-York, dont le zélé secrétaire est M. Touian, délégué
au Congrès, notamment Report of the Tenement liouse comittee of 189î, Albany, 1895, pp. 38 et
suiv., 58 et suiv. U) Voici la traduction littérale de la section 588 du New-York city Consolidated Act de
188:2 (amendé par les articles 84 et 489 des lois de 1887) : « Le bureau d’hygiène iBoard of liealth)
peut nommer et donner commission à un nombre d’inspecteurs sanitaires qu’il juge nécessaire et
n’exédant pas le chiffre de 40; il peut prescrire périodiquement les devoirs et salaires de ces
inspecteurs; il peut indiquer l’endroit de leur activité (et de celle de toutes

Signalons encore les dispositions d'une loi de 1892, créant des inspecteurs chargés de visiter les
logements ouvriers, spécialement au point de vue du travail à domicile et leur donnant notamment
pouvoir de prononcer les interdits [i). Quelles leçons dans ces exemples de peuples vraiment et
pratiquement libres! Ne serait-ce pas que la liberté véritable est bien plus un droit — et un devoir —
de vie, pour soi-même et pour les autres, qu’une faculté d’anarchie et de mort? Ne serait-ce pas que
la liberté individuelle et l’autonomie gouvernementale ne doivent pas ressembler à ces fétiches
sanguinaires qui réclament des holocaustes, à ces dieux barbares et monstrueux dont les chars fa ta I
s écrasent au passage leurs adorateurs, mais à une Divinité de progrès, de charité, d’altruisme, dont
on accepte le joug nécessaire d’un cœur libre et reconnaissant?

II. JUSTIFICATION PRATIQUE. DOUBLE COMPÉTENCE GÉNÉRALE. L’institution de l’inspectorat des


habitations à bon marché, si vivement et si justement réclamée, d’une manière générale, par les
nécessités de l’exécution des lois sociales d’hygiène et de protection ouvrière, se justifie de plus près
encore ù un point de vue plus spéoial et technique. au li es personnes exerçant une autorité
quelconque sous les ordres de ce bureau, le tout à l’exception des dispositions spéciales du présent
acte). Vingt dés inspecteurs seront des médecins habiles et ayant une expérience pratique en celle
ville. Les autres inspecteurs sanitaires nommés et commissionnés avant le présent acte peuvent être
compris parmi les inspecteurs sanitaires dont il est quoston dans cette section et peuvent continuer
leurs opérations sans désignation nouvelle. Tous les inspecteurs sanitaires doivent avoir une
connaissance pratique des matières scientifiques et sanitaires qui les qualifie pour les devoirs de leur
office. Chacun d’eux fera, chaque semaine, un rapport écrit au bureau, mentionnant les devoirs
remplis, où il les a remplis, et tous les faits venus à sa connaissance et en rapport avec les buts des
présents chapitres, faits qu’il considérera comme dignes de l’attention du bureau, ainsi que les faits
que les règles du bureau peuvent exiger de lui. Ces rapports et les autres rapports dont il est
question dans le présent acte seront placés dans les archives du bureau. » i) Levasselk, Revue
d'économie politique, 1896, p. 739. — Cons. aussi H. Lam- iiuechts, Le travail des couturières en
chambre et sa réglementation, pp. 73 et suiv. : Le locataire principal ou le propriétaire sont
responsables des frais de poursuite.

Elle a une double utilité pratique particulièrement appréciable, une double sphère d’action qui
divisera et limitera forcément la compétence générale des inspecteurs : la surveillance des
constructions nouvelles; — l’enquête et l’inspection à l’égard des logements anciens.

Surveillance des constructions nouvelles. La nécessité d’une surveillance plus sérieuse et technique
pour la construction des habitations ouvrières nouvelles frappe tous les spécialistes (l). Elle fait
l’objet des plus sérieuses préoccupations de ceux qui, sous la poussée si vigoureuse en apparence,
des œuvres d'habitations ouvrières, découvrent certains germes de destruction et redoutent les
crises et les déconvenues fatalement amenées par l’insouciance ou la légèreté des premières
entreprises. « S’il importe que l’ouvrier soit logé à bon marché », écrivions- nous dans notre étude
sur Les habitations ouvrières en Belgique, publiée en 1894, « il n’est pas moins désirable que
l’habitation ouvrière satisfasse à toutes les exigences de l’hygiène et présente même un certain
confort qui rende le foyer agréable. Il faut éviter les excès du bon marché auxquels on se laisse trop
aisément entraîner par le désir exagéré d’attirer l’ouvrier et de permettre la fixation de mensualités
d’acquisition égales ou inférieures même aux loyers moyens. Le « tape-à-l’œil », le toc, l’absence de
solidité et de durabilité sont de nature à compromettre rapidement, en frais de réparations et de
réfections, le petit avoir des acquéreurs et à les forcer à renoncer à leur acquisition, non seulement à
leur grand détriment personnel, mais au grand détriment de la propagande pour l’œuvre des
habitations ouvrières (2). » (i) Par lettre du 13 mai 1897, le Conseil d’administration de la Société
centrale d'architecture de Belgique prie le Comité d’organisation du Congrès international des
habitations à bon marché de porter à l’ordre du jour du Congrès la question suivante — comprise, en
réalité, dans celle que nous avons eu l’honneur de faire introduire au programme du Congrès et qui
fait l’objet de ce rapport : « N’y-a-t-il pas lieu de créer un service d’inspection et de contrôle des
travaux de construction des habitations à bon marché? ». Le Conseil d'administration de la Société
centrale d’architecture fait valoir à l’appui de sa demande que la condition de « bon marché » peut
entraîner certains bâtisseurs à construire peu solidement et à donner à ces habitations des
dispositions peu en rapport avec les prescriptions de l’hygiène. 2) A. Soenens, Les habitations
ouvrières en Belgique. Bruxelles, 1894 (étude publiée aussi dans les Pandectes belc.es, v° Habitations
ouvrières), n° 30.
Or, dans la pratique, en Belgique, la communication préalable aux comités de patronage des plans et
cahiers des charges dés habitations ouvrières nouvelles est trop souvent négligée, — même pour
celles qui sont construites à l’intervention de la Caisse générale d’épargne et de retraite, — et l’on ne
s’aperçoit que trop tard, quoique souvent au cours même des travaux, des défectuosités de
constructions élevées à trop bon marché (0. C’est le motif spécial pour lequel nos collègues du
comité de Bruxelles, MM. les architectes Hellemans et Trapeniers, ont, dans leur rapport au Congrès
d’Anvers de 4894, réclamé l’organisation, au sein des comités de patronage, d’une commission de
surveillance des constructions ouvrières. Mais ils convenaient en même temps que « les comités ne
seraient peut-être pas toujours en mesure d’assurer par eux-mêmes une inspection sutlisante des
constructions qui s’élèvent dans leur ressort », et que « leur concours ne serait pas exclusif des
autres interventions, qui s’imposent d’ailleurs par la force même des choses ». Mais que de lacunes
surtout dans la surveillance des habitations à bon marché érigées par des particuliers! Et que de bien
cependant à réaliser d’une manière facile et durable! Qu'il est plus aisé de bien construire des
habitations hygiéniques que de démolir ou faire démolir même les bicoques les plus léprosées! Ah!
que n’a-t-on compris plus tôt l’importance pour tous, la nécessité pour l’autorité surtout, de veiller à
l’établissement de logements salubres. Et que ne le comprend-on davantage encore aujourd’hui !
Pourquoi, dans la plupart des communes, n’existe-t-il encore aucun règlement concernant la
construction des maisons ouvrières? Pourquoi les règlements existants sont-ils si mal observés? Déjà
en 1874, le Conseil supérieur d’hygiène publique réclamait l’organisation d’une inspection,
spécialement « à l’effet de s’assurer si les conditions mises aux octrois ainsi qu’aux autorisations de
construire, sont fidèlement observées ». « Il n’existe aujourd’hui aucune garantie à cet égard »,
écrivaient les signataires de la requête, MM. Dubois-Thorn et Vlemincx; « il est incontestable qu’il
doit se commettre bien des fraudes et des négligences préjudiciables à la santé publique. » (i) Ibid.,
n° iS2. — Pitzeys, Rapport du Conseil supérieur d'hygiène sur les travaux des comités en 1891, p. 31.

Ce pronostic fâcheux s’est transformé depuis en diagnostic plus fâcheux encore. « La majeure partie
des maisons édifiées en Belgique », dit M. Putzeys, rapporteur du Conseil supérieur d’hygiène
publique en 1895, « sont bâties sans qu’aucune règle précise préside à leur construction; tout y est
livré à l’inspiration du propriétaire, sans que l'autorité intervienne, à moins qu’il ne s’agisse d’abus
flagrants... Les constatations faites dans ces dernières années montrent qu’il est urgent, non
seulement d’armer les administrations communales, mais encore de les obliger à mieux respecter les
règles de l’hygiène (t). » Un rapport de la Commission médicale provinciale de Tournai, en 1895,
flétrit cette triste habitude des spéculateurs en habitations à bon marché, d’offrir leurs maisons trop
hâtivement à la location des travailleurs, de leur « faire sécher les plâtres ». La Commission, tout en
regrettant de ne pouvoir intervenir et de devoir s’en remettre au bon (ou plutôt au mauvais) vouloir
des administrations communales, émet le vœu de « voir un règlement interdire l’occupation de ces
maisons avant qu’elles ne soient complètement asséchées et obliger à l’inscription d’une clause
spéciale, à cet égard, dans l’acte d’octroi des privilèges qui sont accordés aux entrepreneurs de ces
constructions (2). » Réglementation, surveillance, inspection : tel est donc, une fois de plus, le
remède. Enquête et inspection des logements anciens. Mais ce remède est plus efticace et plus
indispensable au point de vue de la seconde sphère d’action de l’inspectorat des habitations
ouvrières : l'enquête et l’inspection à l’égard des logements anciens. Chez toutes les nations
indistinctement, — même là où les plus grands et les plus louables efforts ont été faits pour
l’amélioration (i) Voir aussi les citations caractéristiques de MM Van Ruymbeke et Ghyoot,
rapporteurs de la Commission provinciale de Courtrai en 1895; Kuborn, rapporteur de l’Académie
royale de médecine en 1891 ; Putzeys et IIenrard, rapporteurs du Conseil supérieur d’hygiène
publique en 1895. — Consultez encore Rapport du Conseil supérieur d'hygiène sur Les travaux des
comités de patronage en 1892, p. 6 (Ostende). (*) Schrevens et Flament. Rapport de la Commission
médicale provinciale de Tournai en 1895.

des habitations ouvrières, — la situation des logements anciens reste encore déplorable,
décourageante même, si l’on n’envisageait que les résultats présents et immédiats des réformes
obtenues. La gravité de cette situation n’est peut-être pas saisie suffisamment par tous ceux dont le
dévouement se restreint aux œuvres de construction d’habitations ouvrières. Ils sont facilement
victimes d’une illusion naturelle à ceux dont le champ d’action et d’optique est limité : n’apercevant
plus que les résultats des œuvres auxquelles ils se dévouent, ils s’en exagèrent volontiers
l’importance. Ceux qui voient, de plus près et d’une manière plus générale, la situation du logement
de la majorité des travailleurs ne peuvent partager ces illusions et cet optimisme. « 11 importe »,
disions-nous dans un discours prononcé en 1896, à la distribution des prix d’ordre de notre comité, «
de ne pas se borner à l’érection de constructions nouvelles, — certes désirable, mais combien
insuffisante devant l’immensité du problème! Car, à cet égard, nos efforts et ceux de nos sociétés
d’habitations ouvrières, qui ont assumé cette tâche noble, mais restreinte, sont et seront forcément
limités à l’élite des ouvriers, c’est-à-dire à une portion presque infinitésimale de l’immense armée du
travail. C’est à toute celle-ci, — à tous ceux pour qui la « propriété du foyer » sera toujours un mythe,
la « maison à soi » un rêve généreux, mais aussi irréalisable que celui de « la poule au pot » du bon
roi Henri IV, — c’est à tous ces malheureux, les plus malheureux et souvent les plus méritants dans le
dur combat de la vie, que nous pouvons, devons et voulons nous adresser. » Cette appréciation plus
générale et plus pessimiste sur la situation du logement de la majorité des travailleurs n’est, hélàs!
que trop confirmée par les résultats des enquêtes approfondies et détaillées qui ont été entreprises
et publiées, en ces dernières années, dans la plupart des pays et dont nous avons déjà fait connaître
les conclusions dans les nombreuses citations de la première partie de cette étude, frappantes certes
d’unanimité et de vivacité (d!. bornons-nous à rappeler brièvement ici les résultats généraux et
lamentables des enquêtes faites dernièrement dans l’agglomération bruxelloise par les soins de nos
comités de patronage des habitations

i) Voir les constatations et déclarations rapportées dans la bibliographie du rapport, et notamment


les citations de MM. Beernaert, de Brabandere, Küborn et Velghe. — Voir pour les pays étrangers
spécialement, De Quéker, Etudes sur les questions ouvrières, pp. 449 à 473.

ouvrières et qui suffiraient, à elles seules, à faire apprécier l’utilité de ces institutions (1). L’enquête
faite en 1890 par le comité de patronage de Bruxelles sur l’état des logements ouvriers dans la
capitale, constate notamment que sur 19,284 familles ouvrières 9,364 habitent une seule pièce, dont
2,186 une mansarde et 200 une cave ; dans 1,511 familles il y a plus de 5 personnes logées dans une
seule pièce; dans 2,895 familles, garçons et filles couchent dans la même chambre et dans 406
familles ils couchent dans le même lit. Sur ces 19,284, il n’y en a que 491 qui occupent seules une
petite maison ouvrière : et encore plus de 350 de ces maisons ne valent pas une écurie. Sur 4,601
maisons habitées par des ouvriers, 823, soit environ le cinquième, sont absolument dépourvues de
cour et 1,757 ne possèdent qu’une latrine pour plus de 15 personnes (3). Les constatations des
enquêtes très minutieuses des deux autres comités de l’agglomération bruxelloise ne sont pas moins
désolantes (3). Notre éminent collègue et statisticien M. IL Denis, président du comité de patronage
de Bruxelles-Est, les résumait dernièrement ainsi : « Les logements ouvriers que l’on peut considérer
comme décidément mauvais vont jusqu'à atteindre près de 50 p. c. de l’ensemble de l’agglomération
bruxelloise et, dans les grandes communes de notre circonscription, oscillent entre le cinquième et le
quart de l’ensemble, et descendent au-dessous de 10 0 / o dans les communes rurales (4). » (i) Voir,
pour la situation plus lamentable encore des habitations ouvrières à la campagne, le rapport de M.
Velghe au Congrès international d’agriculture et du rapport de M. Putzeys au Conseil supérieur
d’hygiène publique. — Consulter aussi A. Soenens, Les habitations ouvrières à la campagne, article
publié dans le Journal des tribunaux, 1894, pp. 1220 et suiv. î) Lagasse et De Quékek, Enquête sur les
habitations ouvrières de Bruxelles en 1890. Rapport présenté au comité de patronage, etc. Bruxelles,
1891. — Ch De Quéker, Études sur les questions ouvrières, p. 491. fs) Voir Les logements de la classe
peu aisée dans le ressort du comité de patronage... pour les communes d’Anderledit, Laeken,
Molenbeek et Saint-Gilles. Bruxelles, 1892. — de Royek de Dont, Les conditions du logement de la
classe peu aisée... à Saint-Gilles lez- Bruxelles. Rapport au comité de patronage, Bruxelles, 1891. -
Bauyais, Brasseur et Denis, Bapports sur l'enquête ouvrière dans le ressort du comité d'Etterbeek,
Ixelles, etc. Bruxelles, 1897. — L. 0bo- zinski, Enquête sur l'état des logements à bon marché à Saint-
Gilles en 1897 (avec tableau statistique). — Voir aussi Rapport du comité d'Etterbeek pour 1897
Bruxelles, 1897, pp. 88 et suiv. (p Rapport du comité d’Etterbeek, p. 4(>.

Cette situation généralement déplorable des logements ouvriers se retrouve — avec plus ou moins
d'intensité — dans toutes les grandes agglomérations. D’après une étude sur « le surpeuplement des
habitations » présentée en 1894 par M. le docteur J. Bertillon à l’Académie de médecine de Paris (1),
en comptant comme logements encombrés tous ceux où le nombre des habitants dépasse le double
du nombre des pièces, il y aurait à Paris 332,000 personnes, soit 14 °/ 0 de la population, qui
souffrent d’encombrement aux dépens de l’hvgiène et de la morale. Cette proportion s’élèverait à 28
% à Berlin, à 46 % à Saint-Pétersbourg, à 31 % à Moscou, à 38 % à Vienne, enfin à Budapest — ville
pourtant si monumentale et si belle — au chiffre énorme de 61 %. Ces douloureuses constatations,
en ce qui concerne l’agglomération bruxelloise surtout, n’expliquent-elles pas cet appel presque
désespéré de M. de Brabandere, le dévoué secrétaire de Y Association pour l’amélioration des
logements ouvriers, sous la présidence d’honneur de S. A. B. la Comtesse de Flandre et la présidence
effective de M. de Bavay, conseiller à ln Cour de cassation : « D’une manière absolue, si l’on envisage
nos seuls sacrifices et nos seuls eflorts, nous avons fait un peu de bien, beaucoup même, si vous le
voulez, mais relativement au but élevé que nous n’avons pas hésité à viser, l’amélioration générale et
durable des logements ouvriers dans l’agglomération de Bruxelles, qu’avons-nous obtenu? Bien
d’appréciable, n’est-ce pas? L’étranger qui aurait visité il y a cinq ans toutes les demeures ouvrières,
d’abord, tous les taudis malsains, étroits et malpropres où ces populations s’entassent et se
corrompent facilement, constaterait-il aujourd’hui moins de maisons sordides et d’infects réduits,
moins d’incestes, et moins d’imaginations tôt souillées? Non, n’est-ce pas? Nous le sentons tous, et
c’est pour cela qu’avec tous nos comités, je conclus ici en formant le vœu de voir les pouvoirs publics
et le législateur intervenir et se substituer aux initiatives fatalement condamnées à l’impuissance.
Puisse-t-il promptement se réaliser par votre appui et le concours de tous ceux qui s’intéressent
réellement et sérieusement à l’amélioration des logements ouvriers (2) ! » (1) Cité clans la Justice (de
Bruxelles), numéro du 4 novembre 1894. (2) Rapport sur les travaux de Y Association pour Y
amélioration des logements ouvriers, 1893, p. 34 — Ce vœu a été appuyé par une pétition présentée
au nom de l’Association à M. le Ministre de l’Industrie et du Travail.

SUR LA V« QUESTION.
« L’expérience a dissipé certaines illusions », dit encore M. de Brabandere^i \ a un très grand nombre
de nos membres, la plupart de nos comités, sentent très vivement à la fois et la grandeur des maux à
combattre, et l’insutlisance de nos moyens ; chaque jour nous voyons davantage que, dans notre
domaine comme dans les autres, la charité peut bien apporter par-ci, par-là quelque secours, réaliser
quelque transformation locale et temporaire, mais ne saura jamais améliorer, si peu que ce soit,
d’une manière durable et générale, l’état des conditions économiques dans lesquelles le pauvre vit et
meurt. Presque tous nos comités font appel aux pouvoirs publics et demandent l’adoption de
mesures réglementaires et législatives. » Actuellement, aucune inspection sérieuse des logements
ouvriers n’existe; très fréquemment des situations inadmissibles restent inconnues ou oubliées, en
tous cas tolérées jusqu’à ce qu’un malheur force à intervenir. Placées trop près de leurs administrés,
les autorités locales, par suite de considérations électorales ou autres, agissent rarement d’office, et
difficilement sur réquisition ; nos comités se plaignent de leur apathie. Quand cela n’est pas tout à
fait impossible, nous dit-on même, toute intervention est catégoriquement refusée, si un abus est
signalé dans un quartier destiné à être transformé à une époque plus ou moins rapprochée, par suite
de l’extension de l’un ou de l’autre travail d’utilité publique : moins valent les immeubles, plus sont
réduites les indemnités d’expropriation. L’autorité communale devrait, ainsi que le demande le
comité de Bruxelles-Est, « faire un usage plus fréquent et plus étendu de » ses pouvoirs, et intervenir
non seulement quand les vices signalés » menacent directement l’hygiène publique, mais aussi
quand » celle-ci est indirectement menacée par l’impéritie, l’imprévoyance » ou la mauvaise volonté
des locataires ou des propriétaires ». » D’accord avec le comité d’Anderlecht le comité de Bruxelles-
Est se demande également s’il n’y aurait pas utilité à développer en matière d’hygiène les pouvoirs
de l’autorité centrale et à instituer une inspection gouvernementale des logements ouvriers. » Ces
conclusions énergiques peuvent être appuyées des avis particulièrement compétents des hygiénistes
que nous avons cités dans la première partie de ce rapport et que l’on trouvera rapportés in extenso
dans la bibliographie ci-annexée (“2'. (0 Ibid., p. 19. *) Voir spécialement les citations de MM. Cousot
et Cassart, rapporteurs de la Commission médicale provinciale de binant en 1895; — de M. Mullier,
rapporteur du Conseil supérieur d’hygiène publique en 1894.

Il est intéressant de signaler patrieulièrement, au point de vue de l’organisation pratique de


l’inspectorat des habitations ouvrières, les vœux émis par M. Courtoy, au nom de la Commission
médicale provinciale de Namur, en 1895 (i). Signalant l’incurie des administrations communales,
surtout à l’égard des quartiers pauvres, il préconise la création de postes d'inspecteurs (l'hygiène,
spécialement au point de vue de la surveillance des habitations ouvrières : « La surveillance de ces
habitations, dit il, devrait être incessante et surtout faite par un homme compétent, c’est-à dire un
médecin qui serait chargé d’indiquer les mesures d’assainissement que comporte l’état des lieux, de
délivrer aux propriétaires des immeubles loués aux pauvres des certificats d'habitabilité, espèce de
patente de salubrité que tout propriétaire serait tenu d’exhiber au locataire qui en ferait la demande;
sur son avis entin, le bourgmestre qui, dans l’occurrence, est armé, pourrait même obtenir la
fermeture de certains quartiers pour cause d’insalubrité. .... L’autorité communale doit remplir
consciencieusement les devoirs de sa charge en ce qui concerne l’hygiène... sans s’inquiéter des
conditions budgétaires..., sans crainte de désobliger des tiers... » Ces vœux de réforme, ainsi
précisés, nous amènent à nous attacher plus particulièrement, dans une dernière partie de notre
rapport, à exposer les principes fondamentaux d’une organisation vraiment pratique de l’inspectorat
des habitations ouvrières.
III. ORGANISATION PRATIQUE.

Les détails de cette organisation ne sont point de la compétence d’un congrès, surtout d’un congrès
international. Il importe de respecter notamment la diversité des législations et des corps et
fonctionnaires chargés de l’hygiène et de l’administration, de tenir compte surtout des nécessités de
la décentralisation administrative, sans toutefois les exagérer (2). Il suffit de mentionner ici les bases
essentielles de cette organisation, telles qu’elles ont été esquissées déjà dans cette étude et telles (d
Voir Rapports des Commissions médicales provinciales en 1895. Bruxelles, 1896, pp. 529 et suiv. (2)
Voir supra, pp. 4 et suiv.

SLR LA V e QUESTION.

“23 qu’elles sont précisées surtout dans les vœux que nous formulons ci- après et soumettons aux
délibérations du Congrès. Ces vœux se justifient par toutes les considérations développées dans cette
étude, dont ils sont réellement les conclusions pratiques. Nous n’v insisterons donc pas longuement,
nous bornant à en faire ressortir les principes essentiels. Ils ont rapport à la double sphère d’action
qui peut être réservée aux inspecteurs des habitations ouvrières et dont nous nous sommes efforcés
de faire apprécier toute l’importance et l’étendue : la surveillance des constructions nouvelles,
l’enquête et l’inspection des logements anciens. A la base de cette action se trouve nécessairement,
dans ces deux sphères d’activité, la promulgation, pour toutes les communes, de règlements relatifs
aux constructions et habitations ou logements ouvriers. Mais cette réglementation — réclamée
d’adleurs depuis fort longtemps par tous les hommes compétents et dont la nécessité a été
reconnue officiellement en Belgique à diverses reprises — sort du cadre de ce rapport (4). C’est sur
l’application rigoureuse de ces règlements que portera surtout l’effort des inspecteurs. En vue de
cette application, il est indispensable qu’ils soient armés de pouvoirs et puissent agir efficacement,
notamment en faisant les constatations, avertissements et injonctions utiles et, en cas de refus
d’obéissance, en dressant, à charge des contrevenants, des procès-verbaux faisant pleine foi en
justice. La poursuite de ces contraventions pourrait se faire, soit à leur requête (à l’instar de ce qui se
passe en matière forestière, en matière d’accises et douanes, etc.), soit à l’intervention de la justice
ordinaire.

(0 Voir à ce sujet, outre le vœu de la Commission du travail en 1887, les déclarations et réclamations
rapportées dans la bibliographie ci-annexée, et notamment celles de MM. Beernaert, dans l’Exposé
des motifs de la loi du 9 août 1889; Dubois-Thorn, Vlemincx et Putzeys, au nom du Conseil supérieur
d’hvgiène publique en 1874 et 1895; Hellemans et Trappeniers, rapporteurs au Congrès d’Anvers de
1894; Kuborn, rapporteur de l’Académie royale de médecine en 1896; Sodar, rapporteur du comité
de patronage de Dinant, etc., etc. — Voir aussi Programmes-types pour la construction et pour
l’hygicne des habitations ouvrières formulés par le Conseil supérieur en 1887 et 1890. — A. Soenens,
Les habitations ouvrières en Belgique, n üS 31 et suiv., 36 et suiv.

Nous nous sommes attaché, dans les vœux formulés ci-après, à organiser plus qu’à créer, à ne point
prêter le flanc à l’objection courante d’un développement exagéré de fonctionnarisme et, à cet effet,
à permettre de profiter de tous les dévouements et de toutes les institutions existantes, soit à titre
actif, soit à titre simplement consultatif. C’est ainsi que, dans l’application, des rapports étroits
pourront être établis entre l’inspectorat des habitations à bon marché et les administrations et
institutions s’occupant spécialement de l’hygiène publique et des logements ouvriers (1). Signalons, à
ce sujet, la possibilité de réaliser en Belgique le vœu suivant, adopté, sur notre rapport, par notre
comité officiel de patronage de Bruxelles-Ouest et auquel s’est ralliée la conférence des comités de
l’agglomération bruxelloise : « Attribution éventuelle des fonctions d’inspecteur à un membre du
comité de patronage, sur présentation du comité, pour un temps ou des services déterminés,
spécialement pour l’exécution de mesures reconnues urgentes (2). » Dans le même ordre d’idées et
comme confirmation des arguments développés au commencement de cette étude, signalons l’union
et la connexité entre l’inspectorat du travail et l’inspectorat des habitations à bon marché : cette
union, cette filiation même, n’entraîne pas cependant forcément la fusion complète. 11 peut même
paraître utile, dans certaines conditions de temps et de lieu, de ne pas songer à étendre davantage le
champ d’action de l’inspectorat du travail. Il importe enfin, pour maintenir l’unité et la continuité
d’action de tous les inspecteurs locaux et des divers organismes auxiliaires, de créer une
administration centrale, peu nombreuse, mais sérieusement organisée et strictement recrutée parmi
les hommes spécialement compétents en matière d’habitations ouvrières et d’hygiène publique. (i)
M. Van Bastelaer, rapporteur de l’Académie royale de médecine de Belgique, recommande
notamment de donner aux membres correspondants des Commissions médicales le droit de
prescrire des mesures d’hvgiène dans les communes de leur circonscription. — M. Henrard,
rapporteur du Conseil supérieur d’hygiène publique en 1895, propose de confier les attributions des
Commissions médicales concernant la salubrité publique à des inspecteurs de l’hygiène ayant des
pouvoirs suffisants pour assurer l’exécution des règlements d’hygiène et assistés, dans leur mission,
par des Comités consultatifs d’hvgiène publique. s) Rapport du comité de Bruxelles-Ouest, 1895, p.
87; 1896, p. 126.

SUR LA V« QUESTION.

Tout l’ensemble de ces considérations, l’unanimité et la concordance des témoignages et des


documents recueillis, justifient les vœux suivants qui nous paraissent s’en déduire presque avec la
rigueur d’un dispositif de jugement et pouvoir, dans leur portée générale, être recommandés, sans
autres motifs, à l’adhésion de tous les membres du Congrès, à quelque nationalité qu’ils
appartiennent.

IV. VŒUX ET CONCLUSIONS. 1° 11 y a lieu, dans tous les pays, d’organiser efficacement l’inspection
des habitations à bon marché, spécialement au point de vue de l’application rigoureuse des lois et
règlements d’hygiène ou de salubrité publique, de la surveillance des constructions nouvelles et de
l'enquête permanente sur l’état des logements anciens. 2° Il est indispensable à cet effet que les
préposés à cette inspection puissent agir avec autorité coërcitive et avec sanction légale, notamment
en faisant les constatations, avertissements et injonctions utiles et, en cas de refus d’obéissance, en
dressant, à charge des contrevenants, des procès-verbaux faisant pleine foi en justice. La poursuite
de ces contraventions pourrait se faire soit à leur requête, soit à l’intervention de la justice ordinaire.
3° 11 est utile que ces inspecteurs soient indépendants des pouvoirs locaux et demeurent en
rapports directs et suivis avec le pouvoir central et avec les administrations et institutions s’occupant
spécialement de l’hygiène publique et des habitations à bon marché. Ils pourraient être utilement
aussi assistés de comités consultatifs comprenant des membres de ces dernières administrations et
institutions. 4° Dans les pays où il existe un inspectorat du travail, il peut être utile d’y rattacher
l’inspectorat des habitations à bon marché, sans toutefois qu’il soit nécessaire de fusionner les deux
inspectorats. o° Il est indispensable, pour maintenir l’unité et la continuité d’action de tous les
inspecteurs locaux et des divers organismes auxiliaires, de créer une administration centrale, peu
nombreuse, mais sérieusement organisée et strictement recrutée parmi les hommes spécialement
compétents en matière d’habitations ouvrières et d’hygiène publique.

Albert SOENENS.

RAPPORT DK M. SOENENS

t>6

ANNEXES.

I. Illbllograpliie belge (avec citations).

Beernaert (A.), Exposé des motifs du projet de loi relatif aux habitations ouvrières, etc. Voir Doc.
pari.., 1887-1888, Ch. des Repr., n° 137, p. 139 « La double enquête de la Commission du travail et du
Conseil supérieur d’hygiène a mis au jour l’état déplorable des logements occupés par un grand
nombre d’ouvriers, par le plus grand nombre peut-être. Des centaines, des milliers d’habitations
peuvent être considérées comme absolument insalubres. Beaucoup ne sont plus susceptibles
d’assainissement et la santé, la vie même des familles qui les occupent, sont en péril. Les
prescriptions les plus indispensables de l’hygiène y sont méconnues ; les règlements de salubrité font
défaut ou ne reçoivent qu’une application incomplète... » Il a été maintes fois constaté que, dans
bien des communes du pays, le service de l’hvgiène laisse beaucoup à désirer : des autorités élues
reculent parfois devant l’impopularité qu’entrainent des mesures de police, même lorsqu’elles sont
parfaitement justifiées. » — Discours dans la discussion île la loi du 9 août 1889. Ann. pare., Ch. des
Repr., 3 juillet 1889. Voir les citations faites au Rapport, pp. 11 et suiv. Berden, Enquête sur les
habitations ouvrières ; pouvoirs de l’État en matière d’hygiène publique. Rapport au Conseil
supérieur d’hygiène publique, le 1 er mars 1887. Bruxelles. 1887, pp. 39 et suiv. « L’hygiène n’est pas
d’ordre privé ou local ; elle intéresse au plus haut degré le pays tout entier, qui doit trouver dans une
réglementation sage et éclairée les garanties nécessaires, non seulement pour le préserver du fléau
des maladies contagieuses, mais encore pour lui assurer, par un régime hygiénique convenable, la
santé de ses habitants... Toute mesure de police, et particulièrement les prescriptions qui ont pour
objet la police sanitaire, ne laissent pas de gêner la liberté des habitants et de leur porter souvent
quelque préjudice. Ménager tous ces intérêts, telles sont souvent et malheureusement les
préoccupations des administrateurs des communes au grand préjudice de l’intérêt général. Les
pouvoirs supérieurs jouissent sous ce rapport d’une indépendance plus grande... » L’auteur
démontre ensuite longuement que, d’après la législation existante,
SUR LA \> QUESTION.

-27

et spécialement aux termes des lois des 22 décembre 1789 et 16-24 août 1790 mises en rapport avec
les principes constitutionnels belges, le pouvoir central est armé pour intervenir en cette matière. Il
conclut comme suit : « Ai-je besoin de dire qu’en plaidant ici la cause du pouvoir royal, nous
défendons en même temps celle des habitations ouvrières ? Comment espérer une solution
favorable à cette question qui se lie si intimement au bien-être social, si chaque commune est
abandonnée à son initiative et si le pouvoir royal est désarmé pour intervenir dans la fixation des
règles et des prescriptions fondamentales qui doivent présider aux constructions et à l’aménagement
de ces habitations ? Sans doute ici, comme en d’autres matières, l’initiative des communes ne doit
pas être écartée... Mais ce qu’il importe d’assurer, c’est l’action du Gouvernement guidé par les
lumières de la science et de la pratique... »

Bodeux (M.), Inspection du travail. Gand, 1894, pp. 8, 20. « Autant vaudra l’inspection, autant vaudra
la loi de réglementation, a-t-on dit en Belgique, en 1888. Cette conviction indiscutable est partagée
par tous, depuis les propagateurs de l’institution jusqu’à ses détracteurs pleins d’appréhensions... La
loi ne vaut que si elle est exécutée, elle n’est exécutée que s'il y a une autorité qui pousse
incessamment à la répression des abus et à l’observation des prescriptions légales... » « Au plus vrai
sens du mot, l’inspection s’appelle une mesure d’ordre, de nécessité sociale; il faut donc ne rien
épargner, ni argent ni minutie dans le choix, afin d’obtenir par des hommes d’élite une surveillance
générale, inflexible et impartiale des lois de réglementation ouvrière. »

Courtoy, Rapport de la Commission médicale provinciale de Namur en 1895. Voir Rapports des
Commiss. méd. provinc. en 1895. Bruxelles, 1896, pp. 529 et suiv. Cité au présent Rapport, p. 22.

Cousot, Enquête sur la situation des logements ouvriers de Dinant. citée dans Rapport du Cons. sup.
d’hyg. pure, sur les trav. des comités de patronage des harit. ouvr. en 1894, p. 10 Voir citation supra,
p. 8. Cousot (G.) et Cassart (G.), Rapport de la Commission médicale provinciale de Dinant en 1895.
Voir Rapports des Commiss. méd. provinc. en 1895. Bruxelles, 1896, p. 491. Les auteurs préconisent
l’idée de donner aux membres correspondants des Commissions médicales « certains droits vis-à-vis
des communes de leur circonscription, droits relatifs aux mesures d’hygiène », faisant valoir qu’ « on
aurait ainsi une sanction et une organisation de l’hygiène publique ».

de Brabandere (G.), Rapport sur les travaux de l'Association pour l'améliora- lion des logements
ouvriers. Bruxelles, 1893, p. 19. Voir les citations, pp. “20 et suiv. du présent Rapport.
De Bruyn (L), Ministre de l’Agriculture et des Travaux publics. Circulaire du 3 octobre 1894. « ...
L’ignorance de la situation, l’apathie, certaine crainte des autorités élues d’encourir le
mécontentement de tel ou tel administré : telles sont les causes ordinaires du maintien d’un état de
choses contraire à l’hygiène... Des communes, pour se refuser à des travaux plus ou moins
dispendieux, pourront invoquer parfois le mauvais état de leurs finances. Elles ne pourront jamais
justifier leur négligence à veiller aux intérêts de l’hygiène publique par des mesures de police qui ne
constituent pas une charge financière. » Voir aussi Circulaire du 26 novembre 1890, infrà, p. 37.

De (Juékeii (Ch.), Études sur les questions ouvrières au point de vue de l'intervention des pouvoirs
publics, dans les différents pays industriels et en Belgique Bruxelles, 1892, pp. 454, 457, 463 et suiv.
Voir les citations au Rapport, pp. 11 et suiv.

Dubois-Thorn et Vlemincx, Organisation du service public de l'hygiène. Lettre du Conseil supérieur


d’hvgiène publique à M. le Ministre de l’Intérieur, le 30 avril 1874. Voir Rapports du Cons. sup. d’hyg.
publ., t. V, 1874-76, p. 45. « Le Conseil a constaté, non sans satisfaction, que l’Académie est, comme
lui, d’avis que l’hygiène publique n’étant pas seulement que d’intérêt communal, il convient de
fortifier l'action de l’autorité supérieure en cette matière et d’en faire ressentir l’influence
bienfaisante jusque dans la plus petite des communes... 11 considère comme un devoir pour lui de
demander au Gouvernement la solution définitive d’une question qui s’est déjà présentée plusieurs
fois, à savoir celle des inspections à confier à des délégués de l’autorité, à l’effet de s'assurer si les
conditions mises aux octrois ainsi qu’aux autorisations de construire sont fidèlement exécutées. Il
n’existe aujourd’hui aucune garantie à cet égard et il est incontestable qu’il doit se commettre bien
des fraudes et des négligences préjudiciables à la santé publique. » d’I rsel (Duc'. Discours au Sénat,
séance du 16 mai 1894. A propos de l’inspection du travail, l’orateur fait ressortir la nécessité de
l’inspectorat pour l’exécution de toute loi sociale : « Le Gouvernement ne possède ni l’instrument
d’investigation et de contrôle pour surveiller l’exécution des lois votées ni l’organisme administratif
indispensable pour en préparer de nouvelles... Statistique et inspection sont les bases nécessaires de
tout ce qui se fera dans l’avenir... Il n’v a pas. je pense, dans toute

la machine administrative un rouage plus important et plus délicat que celui-là. L’inspection est
nécessaire au point de vue de l’exécution méthodique des lois ouvrières. « Dusart, Rapport du
Conseil supérieur d'hygiène publique sur les travaux des comités de patronage des habitations
ouvrières pendant l'année 1895. Bruxelles, 1894, p. 9. Le rapporteur signale que les « généreux
efforts des membres des comités » sont contrecarrés par « l’opiniâtreté des administrations locales,
systématiquement hostiles à toute amélioration hygiénique donnant lieu à des dépenses ».

Hellebaut, Commentaire de la loi communale, art. 90, n os 162 et suiv. L’auteur regrette le peu
d’extension, en fait et en droit, du pouvoir des bourgmestres : « Des règlements tendant à interdire
l’habitation des logements insalubres ont été institués au profit des classes inférieures qu’on a voulu
protéger contre la rapacité de certains propriétaires qui, lorsqu’il s’agit de gagner si peu d’argent que
ce soit, font bon marché de la vie de leurs locataires. 11 y a là un intérêt public qu’il éehet de
sauvegarder, dussent certains intérêts privés en souffrir quelque peu. » Heu ,emans et Trappeniers,
Organisation, au sein des comités de patronage, d'une commission de surveillance des constructions
ouvrières. Rapport au Congrès d’Anvers (juillet 1894), p. 3. « Un certain nombre d’habitations
ouvrières, construites en ces dernières années, laissent à désirer sous le rapport de la solidité. On
bâtit vite, on bâtit légèrement, on bâtit surtout économiquement... Quand nous parlons de
l'inspection des bâtisses par les soins des comités de patronage, nous n’entendons pas ériger ceux-ci
en simples appréciateurs de ce qui doit être exigé des constructeurs : une telle surveillance serait
sans sanction. Le constructeur comme le comité de patronage doivent se trouver en présence de
prescriptions positives imposées à l’avance. » ... On objectera peut-être que les comités ne sont pas
en mesure d’assurer par.eux-mêmes une inspection suffisante des constructions qui s’élèvent dans
leur ressort ... Leur concours ne sera pas exclusif des autres interventions qui s’imposent d’ailleurs
par la force même des choses. »

Henrard, Observations du Conseil supérieur d'hygiène publique sur les rapports des Commissions
médicales provinciales en I89S. Bruxelles, 1896, p. cxxi. « La Commission gouvernementale de
révision de la législation sur l’art de guérir... propose de dégager les commissions médicales de leurs
attributions concernant la salubrité publique. Ces attributions seraient confiées à des inspecteurs de
l’hygiène ayant des pouvoirs suffisants pour assurer l’exécution des règlements d’hygiène et assistés,
dans leur mission, par des comités con-

RAPPORT DK M. SOENKNS

30 sultatifs d’hygiène publique ... Nous répétons que la question est mûre ... Nous ajouterons que
l’objection de l’autonomie communale et du respect de la liberté individuelle est un leurre en face de
la solidarité sanitaire qu’ont créée les conquêtes de la science. Le droit de n’être pas contaminé par
son voisin est plus respectable que la liberté de lui communiquer les germes d’une maladie mortelle.
» L’auteur cite à l’appui l’opinion de M. Paul Leroy-Beaulieu, « l’économiste le plus imbu des idées du
laisser faire et du laisser passer ». 11 déploie aussi l’incurie des administrations communales qui «
rendent stériles tous les efforts des commissions médicales » (p. î.xxxvn) et qui laissent bâtir « sans
observer les lois les plus élémentaires de l’hygiène » (p. cxvi. Kuborn, Observations de l'Académie
royale de médecine sur les rapports des Commissions médicales provinciales en 1891. Voir Rapports
des Comm. med. prov. en 1891. Bruxelles, 1892, pp. xxxvii et suiv , xlvii, xlix, lxv. « Nos Commissions
médicales sont unanimes à déplorer l’inertie des administrations communales en matière sanitaire.
On les voit même contrevenir aux prescriptions les plus formelles sans qu’aucun pouvoir soit armé
pour les contraindre directement ... Un service d’intérêt social aussi grave peut-il rester abandonné
au bon vouloir des administrations communales? ... Le grand souci des administrateurs communaux,
c’est d’assurer leur réélection. Aussi se gardent-ils de braver l’impopularité qui s’attache à toute
dépense destinée au soulagement des classes déshéritées. ... Ce qu'il faut redouter dans la mise en
exécution (des lois nouvelles), c'est l’habileté proverbiale des autorités locales pour éluder les textes
les plus clairs, les plus précis... » « Le chiffre des habitations insalubres reste, en dépit de tous les
efforts, dans des proportions hors de mesure pour un pays civilisé, et ce, non seulement dans les
communes rurales, mais dans les localités industrielles, dans les villes même. » Il y a des années que
la plus sérieuse attention des autorités communales a été attirée par des circulaires sagement
conçues, par l’envoi de modèles, de règlements établissant le minimum des conditions hygiéniques
exigibles dans la construction d’une habitation. » «... Quant aux constructions nouvelles, nous
encourageons, il est vrai, les comités de patronage ayant pour but l’érection d’habitations nouvelles
en vertu de la loi bienfaisante du 9 août 1889. Toutefois une mesure plus efficace encore serait non
seulement de contraindre toutes les communes à édicter des règlements sur les habitations, mais, le
règlement édicté, de veiller à ce qu'elles tiennent la main à son exécution. » Des règlements de ce
genre existent bien dans certaines localités, mais ici même le nombre de celles où ils sont vraiment
appliqués est restreint... » Les pouvoirs administratifs locaux sont fort peu disposés à exécuter des
lois ou arrêtés dont ils ne comprennent pas l’importance ou qui les gênent dans leurs rapports avec
leurs administrés Beaucoup de chefs de municipalités agissent, lorsque pour justifier leur action, ils
peuûent exhiber la preuve qu'ils ont été contraints par l'autorité supérieure » « ... Les communes
restent vis-à-vis du pouvoir central en état de tutelle, de

SUR LA V-' QUESTION.

31

minorité perpétuelle. Cela est surtout vrai dans l’ordre des choses qui intéressent l’hygiène et la
santé. La maladie ne reconnaît pas les limites tracées entre les communes par les conventions
administratives. Telle commune qui remplit ses obligations vis-à-vis de ses membres, verra sa
défense annihilée si ses voisines n’en font pas autant. La loi qui a confié aux pouvoirs communaux le
soin de la santé publique a pu avoir sa raison d’être à une époque où l’isolement des communes, le
peu de densité de la population, la difficulté des communications permettaient à leur autonomie de
s’exercer sans danger dans certains domaines. Ces conditions n’existent plus aujourd’hui. C’est au
pouvoir central qu’il appartient de prendre en main la suprême direction des intérêts de tous. » De
quelque côté que nous nous retournions, nous voyons, d’une part, une administration supérieure
éclairée, vigilante, cherchant par la persuasion à entraîner les pouvoirs communaux à seconder ses
intentions de bien faire; d’autre part, une administration inférieure qui brise les volontés les plus
puissantes. Telle est bien la situation. La loi a bien pu soumettre l’autonomie communale au pouvoir
central en matière d’instruction publique. Elle ne doit pas avoir moins de souci du bien-être du corps
que de celui de l’esprit. Puissions-nous, dans un avenir prochain, inscrire au fronton de quelque
édifice ces mots : « Département central de l’instruction et de la santé publiques. » Kuborn,
Observations de l’Académie royale de médecine sur les rapports des Commissions médicales
provinciales en 1894. Voir Rapports des Commiss. méd. prov. en 1894, Bruxelles, 1895 pp. v, vu, xiii,
xv. Voir les citations, supra, p. 8 du Rapport.

Meeus (E.), Rapports sur les logements d'ouvriers. ^Commission du travail, 1887, t. III, p. 84.) Voir
infra, p. 36, les conclusions du rapport adoptées par la Commission.

Mélot, Rapport fait au nom de la section centrale de la Chambre des Représentants sur le projet de
loi relatif aux habitations ouvrières, etc. (Doc. parlem., 1888-1889, Ch. des Repr., n° 183.)

« ... Dans la plupart des communes, il semble que les bourgmestres devraient être plutôt stimulés
qu’entravés; l’institution des comités de patronage et la publicité que leurs rapports pourront
recevoir exerceront une certaine influence sur les magistrats communaux que les passions politiques
tenteraient de détourner de leur devoir. »

Millier, Observations du Conseil supérieur d’hygiène publique sur les rapports des Commissions
médicales provinciales en 1894. Voir Rapports desComm. méd. prov. en 1894. Bruxelles, 1895, pp.
lxxxv, xcvi.

« ... L’intervention de l’autorité provinciale ou gouvernementale s’impose, à

notre avis, pour faire exécuter d’oflice et d’urgence, aux frais des communes

intéressées, les travaux d’assainissement reconnus nécessaires; il y a là une question d’intérêt


général devant laquelle doivent s'effacer les mesquines considérations d’intérêt personnel qui
souvent sont cause de l’inaction des autorités lecales. » Pety de Thozée (L.), Discours d'ouverture au
Conseil provincial de Liège, le I er juillet 1890. cité Rapport des Comm. médic. trov. en 1891, p. xcvm.
Voir pp. 4 et 9 du Rapport. Picard, d’Hoffschmidt et De le Court, Pandectes belges. Enctjclopédie de
législation, de doctrine et de jurisprudence belges. V is Habitations ouvrières, n os 16, 30 et suiv.,
1*29, 132 et suiv., 152; Insalubrité, n os 169, 175 ; Inspection du travail, n° 2.

Putzeys (E.), Rapport au Conseil supérieur d'hygiène publique sur les travaux <ies comités de
patronage pendant l'année 1895. Bruxelles, 1897, pp. 7 et suiv., 14, 33. « ... Le comité de
l’arrondissement de Termonde se voit obligé de déclarer que le triste état dans lequel se trouvaient
nombre d’habitations ouvrières, signalées dans ses rapports précédents, n’a pas changé. 11 reste des
faits déplorables... La situation générale est lamentable... Le comité dit que cette situation' fait,
depuis longtemps, l’objet de plaintes réitérées. De pareils exemples démontrent l’absolue nécessité
pour le pouvoir central d'être légalement armé pour se substituer ù la commune lorsque celle-ci
néglige à un tel point les intérêts de iliyqiène. Qu’une épidémie éclate dans un lieu aussi affreux, elle
fera d’épouvantables ravages et risquera de s’étendre au delà des limites de la commune, ce qui
justifie davantage encore l’introduction d’une administration supérieure... Les maisons construites
par des campagnards le sont en dehors de toute surveillance administrative et technique. Et c’est
précisément cette circonstance qui fait désirer l’introduction de l’autorité supérieure dans les cas où
l’autorité locale se désintéresse d’une question aussi importante’... » « Votre Commission estime
enfin qu’il serait désirable que chaque commune, quelque petite qu’elle soit, eût un règlement sur
les bâtisses et la voirie, rédigé de façon à l’armer contre les infractions à l’hygiène. Si toutes les
grandes villes du pays possèdent de tels règlements, il n’en est pas moins vrai que, tout compte fait,
la majeure partie des maisons édifiées en Belgique le sont sans qu'aucune règle précise préside à leur
construction ; tout y est livré à l'inspiration du propriétaire, sans que l’autorité intervienne, à moins
qu’il ne s’agisse d’abus flagrants. Les constatations fuites dans ces dernières années montrent qu’il
est urgent, non seulement d'armer les administrations communales, mais encore de les obliger à
faire mieux respecter les règles de l’hygiène. Comme, d’autre part on ne peut songer à imposer à des
administrations communales très souvent incompétentes le soin de rédiger une réglementation qui
s’inspire des données scientifiques à appliquer, le pouvoir central estimera sans doute
qu’il lui appartient de résoudre la question en provoquant l’élaboration d’un règlement-type dont les
éléments, en ce qui touche aux habitations ouvrières, sont réunis dans le programme rédigé par le
Conseil supérieur d’hvgiène, les 11 août 1887 et 24 décembre 1890. »>

Schkevens et Flament, Rapport de la Commission médicale provinciale de Tournai en 189». Voir


Rapports des Commiss. médic. prov. en 1895, p. 347. « ... On signale l’habitation trop hâtive de
maisons ouvrières nouvellement construites; le correspondant demande si la Commission ne peut
intervenir dans ces cas; nous croyons qu’elle ne peut émettre qu’un vœu : c’est de voir voter par les
administrations communales un règlement qui interdirait l’occupation de ces maisons avant qu’elles
soient complètement asséchées ou de voir inscrire une clause spéciale à cet égard dans l’acte
d’octroi des privilèges qui sont accordés aux entrepreneurs de ces constructions... Mais d’où
pourraient venir les efforts à déployer pour faire disparaître (les dangers pour l’hygiène) si les
administrations communales dédaignent de s’en préoccuper? »

Sodar (A.), Rapport sur les travaux du comité de patronage de l’arrondissement de Rinant en 1896.
Dinant, 1897, p. 17. « Les communes de notre ressort n’ont généralement aucun règlement sur les
logements insalubres et sur l’hygiène... Nous pensons que l'inspection des habitations ouvrières et
les modifications à apporter aux lois sur l’hygiène publique contribueraient beaucoup à amener, par
les efforts des Comités, un état de choses pratique et sérieux. «

Soenens (A.), Les habitations ouvrières en Belgique. Bruxelles, 1894. Etude publiée aussi dans les
Pandectes belges, v° Habitations ouvrières.) Voir spécialement n°* 125 et suiv., 129, 132 et suiv., 16,
30 et suiv. Voir aussi suprù, pp. 15, 18.

— Rapport au comité de patronage des habitations ouvrières pour les communes ouest de T
agglomération bruxelloise sur la révision de la loi du 9 août 1889. Voir Rapports annuels du comité,
1895, p. 87; 1896, p. 126. Le rapporteur propose les vœux suivants : « Organisation de l’inspection
des habitations ouvrières, notamment au point de vue de la poursuite des infractions aux lois et
règlements d’hygiène et de la surveillance des constructions nouvelles. » « Attribution possible des
fonctions d’inspecteur à un membre du comité de patronage, sur présentation du comité, pour un
temps ou des services déterminés, spécialement pour l’exécution des mesures reconnues
nécessaires. » Ces vœux ont été adoptés à l’unanimité par le comité et par la conférence des trois
comités de l’agglomération bruxelloise.

Van Bastei.àer, Observations de l’Académie royale de médecine sur les rapports des Commissions
médicales provinciales pour 189o. Bruxelles, 189(3, pp. ix, lvi et suiv. L’auteur approuve l’idée de
donner aux membres correspondants des Commissions médicales le droit de prescrire des mesures
d’hygiène dans les communes de leur circonscription. « L’autorité aurait ainsi le droit d’ordonner.
Plusieurs services de surveillance y gagneraient et nous ne rencontrerions plus autant de lacunes et
de plaintes sur ces sujets d’importance capitale » (p. ix). — En matière d’hygiène des habitations
ouvrières, il signale — outre les ménagements et les faiblesses de beaucoup de bourgmestres — «
l’insouciance, si naturelle au peuple, la négligence et trop souvent la lésinerie de certains
propriétaires, la rapacité des spéculateurs qui parquent dans les trous mal aérés et infects
d’impasses resserrées et de bataillons carrés, grand nombre de pauvres malheureux et d’ouvriers
chargés de famille » (p. lvi). — « Toutes les Commissions médicales », ajoute-t-il, « tous les praticiens
même, tous les hommes compétents, écœurés de voir, à la campagne, les bourgmestres et les
administrations comunales hésiter et se refuser à prendre les mesures qu’exigent impérieusement
les besoins de l’hygiène, aspirent à voir l’autorité supérieure intervenir pour forcer les mauvaises
volontés. Tous réclament une bonne loi qui donne au Gouvernement, au profit de la santé publique,
le droit de faire faire d’urgence les installations et les travaux réclamés par les besoins et par la voix
publique » (p. lvii). Van Ekmengem, Observations du Conseil supérieur d’hygiène publique sur les
rapports des Commissions médicales provinciales en 1891. Voir Rapports des Commiss. méd. prov.
en 1891. Bruxelles, pp. lxxui, xcv, xcvu. k Lorsque les diverses fonctions sanitaires (d’inspection)
seront ainsi réunies et confiées à des agents capables et convenablement rétribués; lorsque, en
d'autres mots, nous aurons aussi, en Belgique, des fonctionnaires comparables aux Medical O/ficers
of Health, auxquels l’Angleterre doit le prodigieux essor de son hygiène publique, l’institution des
membres correspondants des Commissions médicales, développée et raffermie, ne pourra manquer
de rendre les immenses services qu’on sera en droit d’en attendre alors... Une réforme sérieuse de
notre organisation sanitaire est devenue inévitable... L’exemple des pays les plus respectueux de la
liberté individuelle et des prérogatives locales parait convaincant: pour faire progresser l’hygiène
publique, on ne doit pas craindre de recourir à la loi et de punir parfois les récalcitrants... La
démonstration de l’inanité des mesures purement administratives est aussi complète ici qu’ailleurs...
etc. » Ensuite de ce rapport, le Conseil recommande notamment les vœux relatés ci-après, p. 3(3.
Van Overbergh (C.), chef du cabinet de 31. le Ministre de l’Intérieur, Les inspecteurs du travail dans
les fabriques et les ateliers, Louvain, 1893. L’auteur rapporte, au début de son étude (p. v), la
déclaration si catégorique de 31. De Curtins qui sert de devise à notre rapport.

L’étude toute documentée de l’auteur (en près de 500 papes) est le commentaire et la
démonstration vivante de ces maximes du grand sociologue suisse, spécialement par l’histoire
détaillée de l’inspection du travail en Angleterre, en Allemagne, en France, en Suisse, en Autriche. Il
justifie notamment, par l’expérience générale, ces conclusions sommaires : « Pour les agents
inférieurs, les gardes champêtres, les gardes-ville, les gendarmes, etc., l’expérience est concluante et
décisive. On ne peut attendre d’eux aucune surveillance sérieuse pour l’application des lois du travail.
En Allemagne comme en France, en Autriche comme en Suisse, les inspecteurs sont unanimes à
récuser la compétence de la police locale... Ne nous arrêtons pas aux maires et aux bourgmestres.
L'expérience Va constaté. En règle, ils sont absolument incapables de remplir les fonctions
d'inspecteurs du travail; ils n’ont ni l'indépendance, ni la compétence, ni souvent le zèle requis. Ne
nous attardons pas non plus aux commissaires de police. » (p. 427.) Van Ruymbeke et Ghyoot,
Rapport de la Commission médicale provinciale de Courtrai en I8ï)5. Voir Rapports des Commiss.
médic. prov. en 1895, p. 219. « La Commission se croit obligée de mentionner que dans la plupart des
communes il n’existe aucun règlement concernant la construction des maisons ouvrières. On bâtit
comme on veut et, bien souvent, sans observer les lois les plus élémentaires de l’hygiène. La
Commission émet le vœu de voir régler par la loi les conditions auxquelles devrait répondre toute
nouvelle construction. » Velghe (0.), chef de division au Ministère de l’Agriculture et des Travaux
publics, attaché au service des habitations ouvrières, Les habitations ouvrières à la campagne.
Rapport au troisième Congrès intern. d’agriculture. Rruxelles, 1895, pp. 9 et suiv. « ... En général, les
pouvoirs publics sont suffisamment armés. Mais, quelque étendue et complète que soit une loi, elle
ne vaut que par l’usage qu’on en fait. L’exemple de la loi française est devenu classique à cet égard,
mais des faits aussi probants pourraient être puisés dans l’histoire de tous les pays. Si, dans bien des
contrées, et principalement en Belgique, certaines grandes villes ont pris à cœur de veiller à
l’accomplissement de leur mission, on n’en peut dire autant des communes rurales. L’ouvrier des
villes s’efforce de bâtir dans certaines conditions de confort et d’hvgiène; l’ouvrier agricole ne se
soucie que médiocrement de l’habitation : il lui suffit que la terre qui en dépend soit à sa
convenance... Ce n’est que soutenus et secondés par l'autorité supérieure, que les comités (de
patronage) peuvent réaliser les espérances fondées sur leur action. Si leurs rapports sont « classés »,
si aucune amélioration n’est apportée aux nuisances qu’ils signalent, leur dévouement sera vite lassé.
Ils ne jouissent, en effet, d’aucune autorité propre...» « Notre législation ne donne au
Gouvernement, en matière d’hvgiène, aucun droit de contrainte ni d’initiative. Les communes seules
possèdent des pouvoirs suffisants, mais les rapports des Commissions médicales et des comités de
patronage témoignent de l’indifférence ou de la faiblesse de la grande majorité

d’entre elles. Aussi longtemps que le rôle de l'autorité supérieure devra se borner à eonsciller, à
engager, à exhorter et à subsidier, aucun remède énergique, suffisamment efficace, ne sera apporté
à la situation actuelle... 11 y a lieu... de renforcer l’action du pouvoir supérieur dans toutes les
matières qui tendront à la salubrité des habitations ouvrières. »

II. Vwn* et projets antérieurs. 1887. — Commission du travaii.. Bruxelles, 1887, t. III, p. 8f. L’une des
conclusions du rapport de M. Meeus sur les logements d’ouvriers, conclusions adoptées par la
Commission, est conçue comme suit : « Surveillance permanente et efficace des habitations
ouvrières et principalement de celles qui servent de logement à plusieurs ménages. Des règlements
communaux devront prescrire, pour la construction et la reconstruction des maisons ouvrières, les
conditions les plus indispensables à la moralité et à la salubrité. 1889-1891. — Conseil supérieur
d’hygiène publique. Dès avant la loi du 9 août 1889, le Conseil supérieur d’hygiène, à la suite de son
enquête générale sur la situation des logements ouvriers en Belgique, a réclamé des mesures en vue
de vaincre l’apathie ou la résistance des autorités locales. Il a notamment émis le vœu de voir : 1°
prendre des dispositions législatives en vue de renforcer l'action du pouvoir supérieur dam toutes les
matières qui touchent à la salubrité des habitations ouvrières, tant dans les villes que dans les
campagnes, tout en sauvegardant les prérogatives de l’autorité communale; “2° exiger que chaque
commune ait son règlement d’hygiène et de salubrité publique, et prendre des mesures pour en
assurer l'exécution. « Le Gouvernement, dit le rapporteur de la loi du 9 août 1889 [Ch. des Rep., 10
juill. 1889), a résisté à ces sollicitations, l’autorité communale reste intacte... Le comité de patronage
ne peut rien enjoindre aux communes ni rien leur défendre : il ne possède aucune action dans
l’administration de la commune. » Depuis lors, le Conseil supérieur d’hygiène a, d’année en année,
renouvelé ses réclamations en les accentuant et les précisant. (Voir à ce sujet les nombreux extraits
cités dans le texte du rapport et dans la bibliographie.) En 1891, sur le rapport présenté par M. Van
Ermengem, il adopta les vœux suivants : « Le service de salubrité devrait être assuré par des
règlements de police et surveillé par le pouvoir central. Les travaux d’assainissement qu’il nécessite
devraient être obligatoires pour les communes et au besoin exécutés d’office... L’administration
sanitaire devrait être mieux unifiée et surtout avoir des pouvoirs plus étendus. » 1890. — Circulaire
de M. De Bruyn, Ministre de l’Agriculture et des Travaux publics, en date du 26 novembre 1890 (Bull.
mens, agric., 1890, p. '186). Proposition de subordonner l’octroi aux communes des subsides de l’État
à
SUR LA V« QUESTION.

37

l’exécution des mesures d’hygiène proposées par les délégués des comités de patronage, basée sur
ce que trop souvent « les communes consacrent leurs » ressources à améliorer les quartiers habités
par les classes aisées et négligent » les quartiers occupés par les classes laborieuses et indigentes ».
1895. — Congrès international d’agriculture, Bruxelles. Le Congrès, sur le rapport de M. Velghe,
secrétaire de M. le Ministre de l’Agriculture et des Travaux publics, émet le vœu suivant : u II y a lieu
de prendre des dispositions législatives en vue de régler les questions relatives à l’hygiène publique
et notamment de renforcer l’action du pouvoir supérieur dans toutes les matières qui touchent à la
salubrité des habitations ouvrières, tant dans les villes que dans les campagnes, tout en sauvegardant
les prérogatives de l’autorité communale. » 1895. — Conférence des comités de patronage des
habitations ouvrières pour l’agglomération bruxelloise. Voir Rapport (les comités des communes
ouest de l'agglomération bruxelloise. 1895, p. 87. La conférence a, sur le rapport de M. Soenens,
adopté à l’unanimité, le 3 février 1896, en vue d’une organisation d’une inspection des habitations
ouvrières, les vœux relatés supra, p. 26. 1895. — Commission gouvernementale de révision de la
législation sur l’art de guérir. Voir Observ. du Conseil sup. hyg., p. cxxi. La Commission propose de
dégager les Commissions médicales de leurs attributions concernant la salubrité publique et de les
confier à des inspecteurs de l’hygiène ayant des pouvoirs sutlisants pour assurer l’exécution des
règlements d’hvgiène et assistés dans leur mission par des comités consultatifs d’hygiène publique.
1895. — Association pour l’amélioration des logements ouvriers a Bruxelles sous la présidence
d’honneur de S. A. R. Madame la Comtesse de Flandre. A la suite de vives et incessantes réclamations
de ses comités contre l’incurie des autorités locales, cette association a, sur l’initiative de l'auteur du
présent rapport, adressé à M. le Ministre de l’Industrie et du Travail la requête suivante, portant les
signatures de MM. de Bavav, conseiller à la Cour de cassation, président de l’Association, Lagasse et
Soenens, vice-présidents de l’Association et présidents de comités officiels de patronage
d’habitations ouvrières, Systermans, secrétaire de l’Association : » Bruxelles, le 25 décembre 1895. »
Monsieur le Ministre, » A l’occasion de la prochaine révision de la loi du 9 août 1889, Y Association
pour /’amélioration des logements ouvriers, profitant d’une expérience de plusieurs années, croit de
son devoir d’appeler instamment votre bienveillante

38

RAPPORT DE M. SOENENS SUR LA V* QUESTION.

attention sur l’utilité d’une réforme essentielle : celle de l'organisation d’une inspection des
habitations ouvrières. » Cette organisation se justifie, en droit et en fait, par des considérations
analogues à celles qui ont déterminé l’organisation de l’inspection du travail, dont la nécessité et les
services apparaissent actuellement à tous les yeux. L’inspection des habitations ouvrières pourrait,
dans la pratique, y être rattachée ou, tout au moins, être calquée sur elle, avec intervention des
comités de patronage et œuvres d’habitations ouvrières. » La nécessité de protéger efficacement les
travailleurs et d’assurer complètement l’exécution des lois sociales doit aboutir à l’extension du droit
de police de l’autorité supérieure au détriment de celui des autorités locales, absorbées par d’autres
soins et, trop souvent aussi, préoccupées de ménager des intérêts particuliers et des influences
politiques. » Cette regrettable lacune de notre législation sur les habitations ouvrières est signalée,
par presque tous nos comités, comme un obstacle presque insurmontable à l’efficacité de leurs
laborieux efforts et de leur dévouement pour l’amélioration du logement de l’ouvrier : elle est
indiquée avec non moins d’insistance dans les rapports annuels des comités officiels de patronage.
Elle a fait d’ailleurs l’objet des délibérations du Congrès national des habitations ouvrières et des
Institutions de prévoyance réuni à Anvers en 1894. » Permettez-nous, Monsieur le Ministre; de
recommander ce desideratum à votre sollicitude éclairée et daignez agréer l’expression de notre
considération la plus distinguée. »

Congrès international des habitations a bon marché. — Bruxelles, 1897. Rapports préparatoires.

De l’organisation d'une enquête statistique permanente.

RAPPORT SUR LA VI e QUESTION (1)

PAU Ernest MAHAIM, PROFESSEUR A L’UNIVERSITÉ I)E LIÈGE, SECRÉTAIRE DU COMITÉ DE


PATRONAGE DES HABITATIONS OUVRIÈRES DES CANTONS JUDICIAIRES DE LIÈGE.

I. Enquête permanente. La nécessité des enquêtes sur la situation hygiénique des habitations
ouvrières est aujourd’hui reconnue par tout le monde. 11 en faut aux administrations publiques
avant de prendre des mesures efficaces ; il en faut à ceux qui étudient la plaie sociale des mauvais
logements; il en faut au public, qui veut des chiffres et des faits. Depuis de longues années, on en a
entrepris, en Europe et en Amérique, un nombre considérable. La méthode, les conditions, les
moyens d’exécution en sont généralement bien connus et se sont singulièrement perfectionnés. Il y a
loin, par exemple, des approximations dont on se contentait il y a un demi-siècle à l’admirable
enquête sur les maisons de Bâle (1891), conduite avec une science (O § 1. Quelles sont les mesures
pratiques à recommander pour établir une enquête statistique permanente sur ki situation
hygiénique des habitations ouvrières? § 2. Quels sont les éléments essentiels d’un questionnaire type
devant servir de base aux enquêtes afin qu’elles puissent être comparées entre elles ?

consommée par mon éminent collègue M. Karl bûcher, professeur à l’Université de Leipzig. Dans
notre pays, les comités de patronage font depuis plusieurs années des tentatives intéressantes; il est
vraisemblable qu’elles se multiplieront encore dans l’avenir. Cependant, malgré le grand nombre
d’enquêtes, et même à cause de ce grand nombre, on ne peut en utiliser les résultats qu’avec la plus
grande prudence. Tout d'abord les enquêtes sur les maisons ouvrières présentent, comme tout
recensement, des difficultés statistiques qui ne sont pas toujours résolues d’une manière
satisfaisante, ni surtout uniformément. Il suffit de rappeler la difficulté des définitions : une maison,
une chambre, un ménage, un étage, une fenêtre, le cube d’air, demandent à être définis avec la

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