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Les biens publics

mondiaux

Direction générale
de la Coopération internationale
et du Développement,
Ministère des Affaires étrangères
Série Partenariats

Direction du Trésor,
Ministère de l’Économie, des Finances
et de l’Industrie
Nos remerciements vont à l’Agence française de développement, au CERED,
au GEMDEV et à Solagral pour leur participation,
aux côtés des ministères des Affaires étrangères et de l’Économie,
des Finances et de l’Industrie, à la rédaction de ce document.
Sommaire
AVANT-PROPOS

1. LES NOUVEAUX DÉFIS DE L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

1.1 La remise en question des fondements traditionnels de l’aide 5


3

1.2 Le marché ne résoudra pas tous les problèmes de la planète 6

1.3 L’émergence des questions globales 6

1.4 L'inadaptation des mécanismes actuels de décision 7

2. LES BIENS PUBLICS MONDIAUX, UN NOUVEAU FONDEMENT POUR

L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT ? 10

2.1 Les biens publics : définitions, approches… 10

2.2 Les biens publics mondiaux 12

2.3 L’approche par les biens publics : un nouveau paradigme de l’aide 14

2.4 Biens publics mondiaux et lutte contre la pauvreté 17

3. LES BIENS PUBLICS MONDIAUX : QUELLES CONSÉQUENCES POUR

LA POLITIQUE DE COOPERATION INTERNATIONALE DE LA FRANCE ? 19

3.1 Vision sectorielle ou géographique ? 19

3.2 Vision bilatérale ou mondiale ? 20

3.3 Principes pour l’action 21

3.4 Les priorités de la coopération française dans le domaine

des biens publics mondiaux 22

3.5 Quelques conséquences pour l’APD française (volume et organisation) 23

3.6 Quelques pistes pour la poursuite de la réflexion 23

4. ÉLÉMENTS POUR UNE POSITION FRANÇAISE. 25

4.1 L’approche par les biens publics mondiaux et le financement

de l’aide publique au développement 25

4.2 La gouvernance des biens publics mondiaux

et la démocratie dans la fixation des règles du jeu international 26

4.3 Les biens publics mondiaux au service des pays en développement 27


Avant-propos
Au moment où l’aide publique au développement consensus sans lesquels aucune politique concertée
connaît une crise profonde, en raison notamment au plan international ne peut être envisagée.
du déclin de ses motivations géopolitiques depuis la
chute du mur de Berlin, le concept de biens publics L’originalité principale des biens publics mon-
mondiaux offre à la coopération au développement diaux réside sans doute dans le fait qu’il s’agit d’un
de nouvelles pistes de réflexion et d’action. concept économique qui appelle des réponses
économiques globales. Cette approche conduit à
Ce concept économique répond aux dysfonc- privilégier les démarches sectorielles par rapport
tionnements qu’a révélés au niveau planétaire aux approches géographiques traditionnelles du
l’analyse de la mondialisation de la production et développement. Elle conduit également à donner la
des échanges, et que la théorie économique avait priorité à un traitement multilatéral -impliquant
déjà identifiés au niveau national. A aucun de ces la recherche d’accords internationaux- et à dépas-
deux niveaux, en effet, le marché n’est capable de ser le cadre bilatéral classique. La question des
fournir en quantité suffisante tous les biens et modalités de la recherche de tels accords et l’iden-
sources indispensables à l’activité et au bien-être de tification des acteurs qui doivent y participer (éta-
l’ensemble des acteurs sociaux. tiques ou non-gouvernementaux) doit être posée.

Ces défaillances ou dysfonctionnements du Cette problématique globale concerne direc-


marché sont, à des degrés divers, pris en charge par tement -mais pas exclusivement- les rapports
la fonction régulatrice des Etats. La théorie des Nord-Sud et donne donc à l’aide publique au
biens publics mondiaux propose de mettre en développement un nouveau cadre de référence.
place à l’échelle du monde des politiques suscep- L’aide publique au développement (APD) peut en
tibles de pallier ces défaillances du marché et de effet être comprise comme un des instruments de
garantir à l’ensemble des acteurs de l’économie gestion des questions Nord-Sud liées au processus
mondiale l’accès à des biens publics tels que la qua- de globalisation. En ce sens, elle revêt une dimen-
lité de l’environnement, la paix et la sécurité ou sion politique autant qu’économique en contri-
encore la protection contre les grandes endémies, buant à construire de nouvelles relations entre pays
voire le bénéfice d’un fonctionnement stable des industrialisés et pays en développement. Selon cette
systèmes financiers internationaux. La définition conception, l’APD devient la juste contribution des
de ces biens publics mondiaux fait l’objet de débats pays du Nord à la production par les pays en déve-
qu’il convient de poursuivre pour aboutir à des loppement de biens publics mondiaux.

3
L’introduction du concept de biens publics être l’occasion de progresser concrètement sur ce
mondiaux conduit donc à mettre en oeuvre un point. Il est, à cet égard, indispensable de recher-
nouveau partenariat entre le Nord et le Sud et à cher des sources nouvelles et complémentaires de
rechercher de nouveaux financements à la mesure financement pour le développement. Les réflexions
de problèmes posés au niveau planétaire, alors que engagées sur les perspectives de nouvelles formes de
les volumes de l’aide publique au développement taxation internationale doivent être poursuivies.
traditionnelle sont en baisse. En cela, cette D’une façon générale le concept de taxe internatio-
approche offre de nouvelles perspectives à l’aide au nale est bien adapté à l’interdépendance croissante
développement. de nos économies ainsi qu’à l’objectif de partage
équilibré du financement des enjeux mondiaux. La
Les conséquences de l’approche des biens France est favorable au principe d’une taxation
publics mondiaux sur la coopération internationale internationale compatible avec la capacité contri-
de la France sont de plusieurs ordres : butive des Etats. Comment la calculer et sur quelle
• Il s’agit d’abord de définir nos priorités (envi- base ? Plusieurs options sont ouvertes : prélève-
ronnement, santé, sécurité alimentaire, intégration ment sur les mouvements de capitaux internatio-
économique régionale, stabilité financière interna- naux, sur les émissions de carbone (comme le pro-
tionale, recherche pour le développement, pluralis- pose le rapport Zedillo) ou sur le commerce des
me culturel et linguistique) et de les confronter à armes. Nous devons progresser dans la définition
celles de nos partenaires du Nord comme du Sud de ces nouveaux financements avec un double
afin de nouer de véritables partenariats. objectif : réguler la globalisation et financer le
• Il convient ensuite de définir notre position sur développement.
le mode de gouvernance des biens publics mon-
diaux. L’identification des biens publics, la fixation La présente note constitue une première syn-
du régime qui leur est applicable et leur gestion sont thèse des travaux d’un groupe de réflexion consti-
autant de décisions de nature politique. Il importe tué à l’initiative du ministère des Affaires étran-
qu’elles soient prises par des instances que tous, gères français, en quatre points :
pays du Nord comme du Sud, estiment légitimes. • Les nouveaux défis de l’aide publique au déve-
• Il faut enfin déterminer le mode de finance- loppement.
ment des biens publics à l’échelle mondiale, ce • Les biens publics mondiaux, un nouveau fonde-
qui implique d’inscrire davantage nos actions de ment pour l’aide au développement ?
coopération internationale dans un cadre multilaté- • Les biens publics mondiaux : quelles consé-
ral, à commencer par le cadre européen. quences pour la politique de coopération interna-
tionale de la France ?
La conférence de Monterrey, qui portera sur • Eléments de position française sur les biens
la question du financement du développement, doit publics mondiaux.

4
1
Les nouveaux défis
de l’aide publique
au développement tats escomptés. Les programmes
d’ajustement structurel ont eu des
coûts sociaux et humains impor-
tants, provoquant des phénomènes
préoccupants d’exclusion.

Ce contexte a contribué à ce que


l’on a appelé la "fatigue" d’une
aide à l’efficacité discutée. Cette

1.1
crise, jointe à la volonté des Etats
bailleurs de fonds de contenir leurs
dépenses publiques, a entraîné une
1.1 La remise en forte chute de l’aide publique au
développement -le concept même
question des fonde- de développement souffrant d’une
perte de crédibilité tant auprès de
ments traditionnels l’opinion que de certains acteurs
du développement.
de l’aide
La baisse du volume de l’aide est
La chute du mur de Berlin a d’autant plus significative qu’elle
entraîné la disparition de l’une s’est poursuivie dans un contexte
des motivations géostratégiques de reprise économique.
de l’aide : les pays occidentaux
n’ont plus de raison de financer En fait, si l’on considère que la
un appui aux gouvernements part importante de l’aide consa-
des pays en développement pour crée au refinancement de la dette
s’assurer de leur concours dans par le biais de l’ajustement est
la confrontation Est-Ouest. vouée à disparaître au terme de
l’initiative PPTE, l’étiage de l’APD
À ces éléments diplomatiques pourrait alors se situer à 0,2 %
s’est ajoutée une remise en cause du PIB des pays développés.
des modalités d’une aide interna-
tionale dont l’approche stricte- Aussi la Banque mondiale parle-
ment financière avait des limites. t-elle aujourd’hui davantage de
Sa mise en œuvre sur le terrain “ réduction de la pauvreté ” que
n’a pas toujours donné les résul- de développement. Le rapport

5
d’activité 1999 de la Banque Pourtant, l’idée que le marché et qu’on ne saurait la laisser se
annonce que “ près de 70 % ne résoudra pas tous les problèmes développer de façon aveugle et
des prêts d’ajustement en 1999 de la planète a connu un lent uniforme s’exprime aujourd’hui
étaient centrés sur la pauvreté ”. cheminement au cours de la de façon de plus en plus claire,
Ce discours rejoint celui des orga- dernière décennie. à la fois chez les responsables
nisations humanitaires, qui ont publics, en particulier ceux des
connu dans les années 80 une Les années 80 ont vu naître pays en développement, et au sein
expansion considérable. Ce serait la conscience des dangers que de la société civile. Parmi ces choix
aujourd’hui le seul recevable par représente pour l'environnement de société on peut citer par
l’opinion, avec un succès limité une logique de pur marché. exemple le rôle des services
cependant. Le Sommet de Rio (1992) fut une publics, la qualité de l’alimen
première tentative pour concilier tation, le recours au principe de pré-
On assisterait donc aujourd’hui l’économique avec le social et caution, la lutte contre l'exclusion
à un changement radical, où l’aide l’environnement, sans pour autant et les inégalités au sein des socié-
au développement, peu à peu remettre en cause la primauté tés et entre elles.
remplacée par le marché, ne sub- de l’économique.
sisterait plus que sous la forme

1.3
amoindrie de la lutte contre la Depuis lors, le paysage a
pauvreté, au risque d’être confon- beaucoup changé. L’accord de
due avec une approche essentielle- Marrakech n’a pas tenu toutes ses
ment caritative. promesses, en particulier à l'égard
des pays en développement, et
Entendue dans ce sens restrictif, leur a imposé davantage de nou- 1.3 L’émergence des
la lutte contre la pauvreté vien- velles contraintes qu’il ne leur
drait en appui des stratégies de offrait d’opportunités de croissance questions globales
renforcement des mécanismes et d’insertion dans la mondialisation.
de marché, pour gérer les consé- Des crises financières majeures en Après deux décennies d’ajuste-
quences sociales des processus Asie et en Amérique latine ont ment structurel dans les pays en
d’ajustement et de libéralisation montré l’instabilité chronique des développement, ce sont les
des économies. marchés. La négociation des défaillances du marché qui sont
accords internationaux concernant l’objet des préoccupations les
l’environnement (en particulier plus pressantes. On constate en
de la Convention biodiversité et effet que, dans la plupart des

1.2
du Protocole biosécurité) ont fait pays en développement ou en
apparaître des conflits entre le transition, un certain nombre de
libre-échange prôné par l’OMC fonctions collectives ne sont plus
1.2 Le marché ne et les règles qu’appelaient la -ou sont de plus en plus mal- assu-
préservation de la biodiversité rées. Le principe selon lequel le
résoudra pas tous et la sécurité des échanges d’OGM. marché et la croissance seraient à
même de résoudre l’ensemble
les problèmes de Plus généralement, l’idée que des problèmes de bien-être et
l’extension de la sphère marchande d’équité n’est plus réellement
la planète touche à des choix de société revendiqué aujourd’hui.

6
La libéralisation des économies, Les questions environnementales Les questions globales doivent
l’expansion des échanges et la ont aussi fondamentalement être traitées globalement. Mais il
montée en puissance des investis- modifié la perception des questions n’existe pas aujourd’hui d’instance
sements directs étrangers ont globales. La réponse à ces préoccu- mondiale légitime pour les traiter.
permis à la mondialisation de pations (l’air, le climat, la biodiver- La seule institution comparable
franchir une étape supplémentaire, sité, les pollutions…) nécessite un est l’OMC dans le domaine du
au point que la notion de traitement coopératif à l’échelle commerce international. Le FMI
“ globalisation ” s’est imposée mondiale. et la Banque mondiale ont certes
pour désigner cette nouvelle Il en est de même des questions un mandat mondial, mais ils ont
période de l’économie mondiale. de sécurité internationale, de sta- une vocation essentiellement
Le retrait des interventions éta- bilisation financière, d’éradication économique et, en conséquence,
tiques, l’abaissement des barrières des épidémies, de diffusion du dépendent d’actionnaires dont
tarifaires et non-tarifaires, savoir et de partage des connais- le poids est fonction de leur parti-
la diminution drastique des protec- sances. cipation au capital de ces institu-
tions sectorielles ou nationales ont tions ; les interlocuteurs auprès
créé une situation dans laquelle Ces problèmes en effet ne desquels ils interviennent sont
les économies et les sociétés sont peuvent être réglés ni par la régle- des gouvernements nationaux :
mises en concurrence et sommées mentation étatique, ni par la main l'essentiel des financements de
de s’adapter aux impératifs des invisible du marché. Une architec- la Banque mondiale, par exemple,
marchés désormais mondialisés. ture internationale complexe de ne peuvent bénéficier qu’aux
conventions, d’accords et de coali- Etats. Une telle vision est trop
Un des effets inattendus, mais tions dites “ vertueuses ” s’est ainsi étroite pour prendre en compte
somme toute logiques, de cette mise en place pour tenter de pré- l'ensemble des problèmes de
globalisation a été la montée en server ces biens collectifs. Elle asso- dimension régionale ou mondiale :
puissance d’acteurs “ anti-mon- cie des acteurs publics et non gou- paix, réduction des inégalités,
dialisation ” ou “ anti-globalisa- vernementaux, différents échelons changement climatique, désertifi-
tion ”, qui plus précisément s’op- territoriaux d’organisation, des cation…
posent à la mondialisation libérale. entreprises, etc., dans des disposi-
En effet, puisque le marché est tifs dits “ de gouvernance ”. C’est Or :
global, ses défaillances, autour de ces nouvelles procédures • les problèmes globaux occupent
les externalités (notamment que la question des biens collectifs aujourd'hui le devant de la scène ;
négatives), doivent elles-mêmes est posée –et que l’on tente de la • leur étude et leur traitement
être considérées comme globales. résoudre. pourraient devenir la principale
justification des institutions multi-
Les questions globales émer- latérales de développement

1.4
gent ainsi naturellement de (Banque mondiale comprise) ainsi
la mise en place des politiques que des politiques bilatérales de
économiques à l’échelle interna- coopération.
tionale. Il est logique qu’elles 1.4 L’inadaptation
soient posées par des acteurs qui Les problèmes d’environnement
questionnent à la fois le fonction- des mécanismes –du moins certains d’entre eux–
nement du marché et celui de sont traités par des accords inter-
l’Etat. actuels de décision nationaux. Mais ces accords ne pré-

7
voient en général pas de méca- Du fait de la spécificité écono-
nismes de sanction et la capacité mique et financière des institutions
de leur secrétariat à suivre et à de Bretton Woods, ce sont en
contrôler le respect des engage- effet des représentants des Etats
ments pris est assez faible. Cette les plus riches qui disposent
situation peut évoluer, mais on est d'un poids prépondérant dans
loin encore de l’Autorité mondiale les conseils d’administration du
de l’environnement que certains FMI et de la Banque mondiale.
-dont la France- appellent de leurs Sans doute, dans le cadre des
vœux. Nations Unies, les procédures de
décision laissent-elles plus de place
De même, dans le domaine aux pays moins favorisés (un pays,
social, l’Organisation internationa- une voix). Mais les pays en déve-
le du Travail produit des conven- loppement ont du mal à faire
tions, résultats de consensus entendre leur voix dans des discus-
entre les représentants des sions où les préoccupations des
employeurs, des salariés et des plus forts sont naturellement
gouvernements. Mais ces conven- dominantes. La situation a cepen-
tions n’ont aucune valeur contrai- dant beaucoup évolué au cours
gnante. L’inclusion d’une clause des années 1990 : dans les négocia-
sociale dans les accords commer- tions de la Convention biodiversité
ciaux internationaux de l’OMC, et de son Protocole biosécurité par
qui sont contraignants, pourrait exemple, les pays du Sud ont pu
être un moyen de renforcer imposer certains de leurs points de
la portée juridique de ces textes, vue (droits de propriété intellec-
mais ne peut faire, à l'heure tuelle sui generis, principe de
actuelle, l'objet d'un consensus précaution dans les échanges
international. d’OGM), souvent grâce à des
alliances avec l’Union européenne.
La compétence thématique de En négatif, l’échec de la conféren-
ces diverses instances (institutions ce ministérielle de Seattle illustre
et accords) ne leur permet donc le refus des pays du Sud d’être
pas de traiter, de façon intégrée, réduits au rôle de spectateurs de
à un niveau réellement mondial la confrontation euro-américaine
les questions globales dont elles dans le nouveau cycle de l’OMC.
ont la charge. Des conflits de
normes et de compétence appa- L’idée a donc progressé à l’aube
raissent. De plus, la façon dont du nouveau millénaire que les
les décisions se prennent au sein questions globales ne peuvent
de ces instances repose souvent, être réglées par des accords entre
au moins en apparence, sur un les Etats les plus puissants, mais
petit nombre d’acteurs gouverne- que leur traitement nécessite un
mentaux. consensus international minimal

8
associant l’ensemble des pays de la Dès lors, parmi les questions La question est cruciale pour
planète. liées à la globalisation, une des les mouvements de la société civile,
plus importantes aujourd’hui schématiquement, ceux qui ont
L’exemple des normes est à cet concerne la participation des pays participé au forum de Porto Alegre.
égard un contre-exemple significa- du Sud à la définition des normes Chacun pressent aujourd’hui
tif. La globalisation se traduit en et les modalités suivant lesquelles la légitimité de tels mouvements,
effet par une multiplication des les pays du Nord seraient disposés à plus forte raison lorsqu'ils expri-
normes, que ce soit, massivement, à prendre en charge une partie ment non pas seulement une
dans le domaine du commerce du coût de la mise aux normes contestation, mais également
(où elles tendent à se substituer au Sud. la recherche de solutions alterna-
aux barrières tarifaires), ou dans tives comme c'est aujourd'hui
celui de l’environnement (écola- Les pays en développement le cas. Chacun pressent, en outre,
bels, règles sur les émissions de doivent davantage participer au que la confrontation intergouver-
polluants ou le traitement des traitement des questions globales nementale n’est pas un modèle
déchets…), du droit social (travail et à la définition des règles. De très satisfaisant de traitement des
des enfants et des prisonniers…), même, les négociations visant à questions globales. Chacun constate,
etc. Ces normes, même si elles faire émerger des consensus pour enfin, que les Etats sont mal armés
sont liées à une recherche de le traitement de ces problèmes pour mener à la fois l’élaboration
sécurité et de qualité, sont princi- doivent associer des représentants des solutions, leur négociation,
palement conçues par les pays des secteurs non gouvernemen- les conditions et le contrôle de leur
du Nord. Ceux du Sud, qui n’ont taux : syndicats, collectivités mise en œuvre. Il devient donc
ni l’expérience ni les compétences territoriales, mouvements citoyens, essentiel que les institutions
pour participer au débat, se voient associations, organismes de et gouvernements en charge
ainsi imposer des obligations très recherche…Il est non moins impor- des questions globales imaginent
contraignantes et coûteuses. tant qu’elles associent les parle- les modalités qui permettraient
ments nationaux. Certes, les négo- d’intégrer, dans les processus
Or les nécessaires transferts de ciateurs officiels s’entourent de négociation, les propositions,
technologie et financements en déjà des avis et conseils des asso- revendications, ou pistes de
provenance des pays industrialisés ciations, institutions de recherche, réflexion formulées par les
ne sont pas à la hauteur des commissions parlementaires de mouvements alternatifs.
besoins des pays en développement leur pays. Les organisations
qui doivent mettre en oeuvre activistes et, surtout, les représen-
l'ensemble de ces normes. La seule tants de l’industrie savent organi-
alternative des pays du Sud dans ser des activités de lobbying qui
ce type de débat est de refuser le peuvent être très efficaces. Mais
débat. C’est ainsi qu’ils préfèrent, la situation actuelle, peu transpa-
craignant de se laisser enfermer rente, inorganisée et, souvent,
dans ce qui leur apparaît comme anarchique, n’est pas satisfaisante.
de nouveaux pièges, refuser de Il faut imaginer des modes de
s’engager dans les négociations participation plus formelle des
liant économie et environnement acteurs non gouvernementaux
(exemple : Convention climat) ou aux négociations sur les questions
commerce et questions sociales. globales.

9
2
Les biens publics
mondiaux, un nouveau
fondement pour l’aide
au développement ? Si ces deux conditions sont plei-
nement vérifiées, les biens publics
sont dits purs. Lorsqu'une condi-
tion seulement est remplie, ils sont
dits impurs :
• le principe de non-rivalité ne se

2.1
vérifie plus quand on approche
de la saturation (ex : un boulevard
périphérique aux heures de
pointe) ;
• le principe de non-exclusion peut
2.1 Les biens être violé par l’instauration d’un
droit d’accès (ex : les autoroutes
publics : définitions, à péage).

approches… Un des problèmes majeurs posés


par les biens publics est l’incapacité
Il existe une définition classique des marchés privés à en assurer en
des biens publics ou biens collectifs, général une fourniture optimale.
mais elle a donné lieu à de A cet égard, la production d’un
nombreuses interprétations. bien public comme un vaccin
contre le paludisme diffère sensi-
La définition classique est la blement de la production d’un
suivante : les biens publics sont bien de consommation courante.
des biens, services ou ressources Assurer efficacement la production
qui bénéficient à tous, et se de biens publics requiert une
caractérisent par la non-rivalité action collective susceptible de
(la consommation du bien par un contourner l’incapacité des initia-
individu n’empêche pas sa consom- tives privées à récolter les bénéfices
mation par un autre), et la non- d’un traitement contre le paludisme.
exclusion (personne ne peut être Ces sources d’inefficacité sont
exclu de la consommation de ce encore plus importantes dans le
bien). La qualité de l’air, le contrôle cas des biens publics mondiaux,
des épidémies en sont des exemples. dont les bénéfices sont largement

10
dispersés dans l’espace et dans le ments actuels : on parlera alors de en termes d’économie politique,
temps. biens publics intergénérationnels car ce qu’une société donnée choi-
(par exemple le patrimoine naturel). sit d’appeler bien public dépend
Les biens publics sont souvent de ses valeurs collectives propres,
assimilés aux biens communs, Les externalités négatives sont qui elles-mêmes évoluent dans le
terme issu du domaine de la gestion une autre forme de défaillance du temps. Les deux approches peuvent
des ressources naturelles et que marché. Elles concernent les nui- d’ailleurs être considérées comme
les environnementalistes se sont sances générées par une activité opposées : la première, inscrite
approprié. Mais la notion de bien économique, dont le coût doit dans une perspective libérale, se
commun (common pool resources) être assumé par la collectivité réfère aux défaillances des mar-
ne s’applique en principe qu’aux parce qu’il n’est pas pris en charge chés et aux moyens d’y remédier
ressources utilisées par un groupe par le responsable de l’activité par des arrangements collectifs. La
humain donné (ex : étang, prairie (ex : émission d’un polluant). seconde, celle de l’économie poli-
communale), en général en exclu- Quand une externalité concerne tique internationale, privilégie les
sion d’autres utilisateurs. Biens un bien public, elle conduit à la patrimoines communs, les rapports
publics et biens communs peuvent sous-production du bien considéré de force et les déséquilibres inter-
être locaux (ex : la lutte contre le (ex : qualité de l’air ou de l’eau). nationaux, et considère que ce
bruit auprès d’un aéroport), régio- sont les acteurs qui définissent
naux (la qualité de l’eau dans un Les externalités négatives peuvent l’intérêt général et le collectif.
bassin versant), nationaux (contrôle être traditionnellement corrigées
des déchets toxiques), plurinatio- par la négociation bilatérale entre Dans la première conception,
naux (lutte contre les pluies acides) l’auteur et la victime de l’externalité les biens publics peuvent être
ou mondiaux (maîtrise des change- ou par une intervention de la définis selon des critères écono-
ments climatiques). On caractérise collectivité (institution territoriale, miques, et la coopération interna-
ainsi l’aire géographique où les association, Etat, instance suprana- tionale peut être améliorée sans
comportements des agents écono- tionale…) pour rétablir le bon remettre en cause les équilibres
miques par rapport à ce bien sont fonctionnement du marché, élabo- de pouvoirs actuels. La seconde
interdépendants. Mais le niveau rer des régulations ou mettre en conception pose la question des
pertinent de gestion d’un bien place des financements destinés procédures et des décisions per-
public local (ex : réduction d’une à compenser les dommages faits mettant de hiérarchiser les biens
émission locale de gaz à effet de à la victime. Dans la plupart des publics, de les produire et de les
serre) peut se situer à un niveau cas, les solutions supposent que financer par la mise en place
supérieur. Ainsi, la réduction d’une les différents acteurs concernés d’encadrements normatifs et
émission locale de gaz à effet de coopèrent entre eux, c’est-à-dire d’une fiscalité transnationale. La
serre ne peut être gérée efficace- qu’ils renoncent au conflit et qu’ils question posée en arrière plan est
ment qu'à l’échelle mondiale. acceptent un gain final inférieur celle de l’émergence d’une souve-
C’est donc en fait le niveau à ce qu’aurait pu leur rapporter raineté transnationale, d’une
pertinent de gestion du bien qui la seule poursuite de leur intérêt citoyenneté mondiale et d’une
permet de le caractériser. propre. nouvelle architecture internatio-
nale. Cette seconde vision redon-
L’interdépendance peut égale- Si la définition des biens publics ne aux choix politiques un rôle
ment concerner les effets sur les est bien fixée dans la théorie éco- central dans les orientations des
générations futures des comporte- nomique standard, elle l’est moins relations de coopération.

11
Des recherches sont nécessaires sur le sujet. De très nombreuses mulant lentement, les externalités
pour préciser la portée du concept autres organisations, dans les uni- de stock ont des conséquences
de bien public, tant en termes versités et dans les administrations durables et irréversibles. C’est le
théoriques que pour ses apports en charge de la coopération au cas par exemple de la disparition
potentiels à l’identification de développement, travaillent très d’une espèce, qui constitue une
nouveaux instruments de politique activement sur ce thème. Une perte irréversible pour les sys-
économique. Une des voies de des orientations principales des tèmes biologiques. En raison de
recherche vise à donner une défi- travaux concerne la coopération décalages temporels importants,
nition plus positive des biens internationale qui figurait ces externalités peuvent exercer
publics, qui s’écarterait de la défi- d’ailleurs dans le sous-titre du leurs impacts loin dans le futur,
nition classique en termes de non premier ouvrage du PNUD introduisant la nécessité d’adopter
rivalité et de non exclusion pour (“ Coopération internationale une perspective de long terme
intégrer les apports de l’économie au 21ème siècle ”). dans le traitement des problèmes.
politique internationale. Une telle
approche a récemment été propo- Un des aspects distinctifs des Une autre caractéristique des
sée par le PNUD. biens publics mondiaux est leur biens publics mondiaux est de
nature “ d’externalité de stock ”. souligner les interdépendances

2.2
Ce terme signifie que les impacts politiques, économiques et cogni-
ou les dommages en jeu dépendent tives qui existent entre les
d’un stock de capital, de connais- acteurs. C’est parce que ces inter-
sances ou de pollution, stock dépendances sont de plus en plus
s’accumulant en longue période. évidentes, identifiables, que la
Dans le cas du réchauffement question de la fourniture des
2.2 Les biens publics climatique, l’impact des gaz à biens publics mondiaux est de plus
effet de serre dépend davantage en plus discutée au niveau inter-
mondiaux de l’accumulation passée et future national. En effet, la présence d’in-
Ce sont les biens publics mon- de ces gaz dans l’atmosphère que terdépendances, tant géogra-
diaux (BPM) qui font l’objet des de leur flux courant d’émission. phiques (intra-générationnelles)
recherches les plus actives, parce Par opposition, la pollution sonore que temporelles (intergénération-
que la mondialisation des marchés ou la congestion du trafic routier nelles), limite les capacités des
et l’émergence des questions sont des externalités de flux, étant acteurs à assurer la fourniture
globales sont à l’origine du fonction des “ flux ” de bruit ou des différents biens publics mon-
renouveau du concept. Le premier de circulation. diaux qu’ils reconnaissent comme
ouvrage synthétique sur le sujet, primordiaux : une coordination
publié par le PNUD en 1999, et Le caractère d’externalité de est alors nécessaire, coordination
intitulé : “ Biens publics globaux ”1 , stock des biens publics mondiaux à laquelle chaque participant
fait aujourd’hui référence. Le leur confère certaines particularités. gagne.
PNUD travaille à un second ouvrage Par nature, ces stocks s’accumulent,
parfois très lentement, et il peut Le mode idéal de gestion d’un
1
Kaul (Inge), Grunberg (Isabelle), Stern (Marc A.).
être difficile d’identifier un problème bien public mondial est un régime
Global Public Goods : International Cooperation ou de définir un consensus scienti- coopératif, où les nations négo-
in the 21st Century- New York, Oxford University
Press for UNDP, 1999. Seuls la préface et le plan
fique avant qu’il ne soit trop tard cient des accords contraignants
de cet ouvrage ont été édités en français. pour y faire face. De plus, s’accu- permettant d’assurer un niveau de

12
fourniture efficace de bien public. montrent que l’identification de
Bien que la coopération parfaite ce qu’on retient comme biens
ne se trouve nulle part, publics résulte de choix de société
l’Organisation mondiale du qui n’ont pas nécessairement une
commerce ou le Protocole de vocation universelle. Ce sont des
Montréal se rapprochent de cet constructions sociales (“ social
idéal en promouvant un commerce constructs ” du PNUD) porteuses
libre et basé sur des règles dans de valeurs éthiques ou politiques.
le premier cas, ou la disparition Ceci implique que la notion de
des substances chimiques respon- bien public est nécessairement
sables de la réduction de la évolutive, car elle dépend de
couche d’ozone dans le second. l’évolution des valeurs internatio-
Un régime coopératif, comme nales et nationales. Ceci implique
celui qui a été mis en œuvre pour également qu’il existe un risque
les CFC, doit fixer un objectif effi- que les discussions internationales
cace de fourniture du bien public privilégient, parmi les biens
mondial, inclure les pays les plus publics mondiaux, ceux que les
importants dans un accord, mettre pays les plus influents privilégient
en place des moyens de contrôle par rapport à leurs propres
et de respect des engagements valeurs, ce qui conduirait à impo-
pris, et enfin créer des incitations ser ces valeurs aux autres pays.
fortes à ce respect par les parties
signataires. Une autre question est débattue
aujourd’hui à propos des BPM :
Y a-t-il aujourd’hui un consensus ceux-ci incluent-ils les droits
sur ce que recouvre le terme fondamentaux de la personne :
de biens publics mondiaux ? droits à la santé, au logement, à
La réponse n’est pas totalement l’alimentation, droits des femmes,
positive. S’il n’y a pas de discus- droits des minorités… Il s’agit en
sions pour y inclure la paix et la fait des droits civils et politiques,
sécurité mondiales, la stabilité ainsi que des droits économiques,
financière internationale ou la sociaux et culturels, tels que les
lutte contre la pandémie du sida, ont adoptés les Nations Unies.
il y a davantage de débats s’agis- Mais à un niveau plus collectif, il
sant de la stabilité politique inter- peut s’agir aussi du droit à la sou-
nationale (les partisans du chan- veraineté alimentaire revendiqué
gement s’opposent aux défenseurs par les opposants à la mondialisa-
du statu quo), la sécurité alimen- tion libérale. Il serait donc tentant
taire des pays à déficit vivrier (les d’assimiler BPM et droits fonda-
pays exportateurs estiment que le mentaux. Mais on peut craindre
marché peut résoudre tous les qu’une telle assimilation crée
problèmes) ou la protection sociale davantage de confusion dans un
des individus. Ces divers exemples domaine, celui des BPM, qui est

13
2.3
encore marqué de grandes impré- A l’inverse, les défaillances des
cisions. Peut-être vaut-il mieux marchés mondiaux (par exemple,
considérer qu’il existe, dans le l’instabilité des marchés financiers,
domaine de la coopération inter- 2.3 L’approche par ou les règles du commerce inter-
nationale, plusieurs concepts inté- national, qui pénalisent certains
grateurs comme la lutte contre les biens publics : pays) ont des impacts négatifs
la pauvreté et les inégalités, les sur le développement des pays
BPM et les droits fondamentaux. un nouveau du Sud.
Chacun de ces concepts est fondé
sur certains choix éthiques, écono- paradigme de l’aide L’aide publique au développe-
miques et politiques ; chacun ment (APD) peut ainsi être consi-
définit une optique de coopéra- Les pays du Sud doivent contri- dérée comme un instrument central
tion et des champs d’application buer davantage à la production pour corriger ces défaillances,
qui se recouvrent partiellement des BPM, dont ils sont également au niveau local dans les pays
sans se confondre. On peut bénéficiaires. Cet objectif doit-il en développement, comme au
d’ailleurs noter que, si le thème réorienter l’ensemble –ou une par- niveau global. Ce type de raison-
de la lutte contre la pauvreté est tie substantielle- de l’aide nement donne une nouvelle légi-
déjà largement étudié et inspire publique au développement ? timité à l’APD, fondée sur des
de nombreuses actions, celui des Différents types d’analyses condui- arguments d’ordre purement éco-
BPM en est à un stade plus sent à répondre positivement à la nomique. Elle renforce, en outre,
embryonnaire, tandis que celui question. les considérations d’ordre éthique
des droits en est largement resté ou faisant appel à la solidarité
au stade de la déclaration, notam- Un premier schéma de raisonne- internationale pour justifier l’aide
ment celle du Pacte des Nations- ment consiste à remarquer que en direction des plus démunis.
Unies de 1966 ; il polarise faible- le libre jeu du marché devrait
ment la coopération politique conduire à une convergence des Parallèlement à ces arguments
internationale et encore moins revenus par tête entre pays riches liés à la divergence des revenus
la coopération économique. et pauvres. Ce sont les défaillances mondiaux ou aux défaillances de
Il pourrait mériter dans les années du marché, en particulier les marché, on peut constater plus
à venir un intérêt au moins égal obstacles qui s’opposent aux simplement que, dans le mouve-
à celui que suscitent aujourd’hui migrations de capital et de main ment actuel de globalisation, de
les BPM. d’œuvre, qui empêchent cette nombreuses questions, anciennes
convergence et conduisent même ou nouvelles, sont aujourd’hui
à une divergence croissante. traitées en termes de BPM,
qu’elles concernent le commerce
Ces défaillances concernent en international, la préservation
particulier les marchés locaux des de la biodiversité, la lutte contre
pays en développement, qui fonc- les changements climatiques, la
tionnent mal ou, parfois, sont à stabilité financière internationale,
peine institués. Ces défaillances la lutte contre le sida…
entravent la croissance globale
et comportent des risques pour La plupart de ces questions
la stabilité mondiale. concernent directement les rapports

14
Nord-Sud. Permettre aux pays les rapports Nord-Sud. A l’inverse, veaux rapports Nord-Sud qu’im-
en développement de contribuer à toutes les questions Nord-Sud ne plique la globalisation.
la production de ces BPM devient relèvent pas de la problématique
ainsi un nouvel enjeu de la coopé- des BPM. Mais on peut au moins Les institutions de coopération
ration Nord-Sud. Les actions liées à dire que la nouvelle mission bilatérales et multilatérales doivent
ce nouvel objectif viennent éven- impartie à l’APD renouvelle pro- également apporter leur appui
tuellement s’ajouter aux préoccu- fondément le dialogue politique aux processus de construction des
pations plus traditionnelles de l’ai- Nord-Sud et permet à la coopéra- compromis nationaux au Sud.
de au développement, tion internationale de redevenir Elles doivent surtout participer au
mais aussi, elles transforment en un sujet central de la mondialisa- débat sur les outils et les modalités
profondeur la façon de traiter tion en cours. de mise en œuvre des BPM. D’un
certaines de ces questions tradi- point de vue plus opérationnel,
tionnelles. C’est le cas par exemple La nouvelle problématique la problématique des biens publics
du sida ou de la désertification. implique en effet que les acteurs suppose que les actions de coopé-
C’est également le cas des “ biens de la coopération deviennent des ration s’orientent davantage vers
publics déficients ”, c’est-à-dire partenaires actifs des discussions l’appui aux politiques économiques
schématiquement des biens et ser- sur les BPM. Les agences d’aide nationales –ou régionales– dans
vices publics qui sont insuffisam- ou les départements ministériels les secteurs en lien avec la globa-
ment ou mal fournis par les Etats, en charge de la coopération doi- lisation. Ceci ne condamne évi-
notamment dans les pays en déve- vent contribuer à l’élaboration demment pas les actions relatives
loppement et les pays en transi- des positions de leur pays dans la à la réalisation de projets de
tion. Alors que l’approche libérale négociation, en faisant entendre développement. Mais il faut définir
met en avant le renforcement des les préoccupations des pays du les priorités dans un contexte de
mécanismes de marché et de l’ini- Sud : quels sont les BPM à traiter restriction des crédits budgétaires
tiative privée, la référence aux prioritairement (ex : faut-il traiter de l’APD, et il faut constater que
biens publics justifie le rôle des le commerce avant le climat, la multiplication des projets n’a
Etats et le soutien à leurs capacités le climat avant la biodiversité ?), pas eu jusqu’ici les effets décisifs
de régulation. L’existence au comment les règles élaborées escomptés en termes de dévelop-
niveau central et local d’institu- dans les instances de négociation pement et que ses effets en
tions suffisamment solides est ainsi peuvent-elles être plus favorables termes de BPM ne peuvent
une des conditions de prise en aux PED ? quelle doit être la hié- être qu’indirects et relativement
charge, au niveau national et rarchie des normes ? en particulier marginaux.
international, de la production de les normes commerciales valent-
biens publics bénéficiant à tous. elles plus que les normes environ- Une agence d’aide ou un dépar-
nementales ? comment traiter en tement ministériel qui décide de
L’APD se trouve ainsi investie termes de coopération internatio- travailler sur les biens publics peut
d’une nouvelle mission : elle nale les pays qui adoptent un aussi travailler sur les biens
devient l’instrument – ou un des comportement non coopératif de publics régionaux (ou nationaux).
instruments – en charge de traiter “ cavalier seul ” (il s’agit souvent Mais s’il est relativement aisé
les questions Nord-Sud liées au de pays du Nord) ? En d’autres d’engager une coopération sur un
processus de globalisation. Certes termes, les acteurs de la coopéra- bien public mondial, pour lequel
toutes les questions relatives à la tion doivent participer à la existent en général un cadre de
globalisation ne concernent pas construction politique des nou- coopération (la convention

15
internationale concernée) et une tion internationale, la capacité des
institution chargée de veiller à la instances nationales à faire le lien
bonne application de la conven- entre les enjeux mondiaux et les
tion, le problème peut être beau- problématiques nationales, ainsi
coup plus compliqué pour un bien que la capacité de ces instances à
public régional pour lequel n’exis- mettre en œuvre les politiques
tent ni accord régional, ni institu- qu’elles auront choisies, en vue
tion chargée d’organiser la bonne notamment de respecter les enga-
gestion du bien considéré. On gements pris par le pays dans la
peut illustrer cette difficulté par négociation internationale.
l’exemple d’un fleuve qui traverse
plusieurs pays ou d’une zone de Sur le plan financier, la problé-
pêche maritime au voisinage de matique des BPM comporte-t-elle
plusieurs pays (exemple Océan des conséquences sur les volumes
indien). Les agences de coopération nécessaires d’APD ? On peut à cet
pourraient dans ce type de situa- égard reprendre les considérations
tion contribuer à la préparation mises en avant par la Banque mon-
d’accords régionaux réglant la diale ou le rapport Zedillo, qui
gestion du bien public considéré appellent à un doublement des
et à la mise en place du dispositif flux d’APD afin de progresser dans
institutionnel régional nécessaire. la réalisation des objectifs de déve-
loppement que la communauté
En termes opérationnels toujours, internationale s’est fixée à l’occa-
la problématique des BPM conduit sion du millénaire.
à accorder une priorité absolue,
dans les actions de coopération, On peut également adopter un
au renforcement des institutions point de vue plus directement en
des pays du Sud. Une telle conclu- rapport avec les BPM et constater
sion s’impose d’ailleurs de façon que, dans le domaine du climat,
générale aujourd’hui, que l’angle de la biodiversité, du sida,
d’analyse soit le développement des normes du commerce interna-
durable2, la démocratie écono- tional… les accords et conventions
mique ou politique, la lutte contre en cours prévoient souvent –ou
la pauvreté et les inégalités… envisagent– les transferts finan-
Dans le domaine des BPM, le ren- ciers nécessaires des pays riches
forcement des institutions vise à la vers les pays du Sud, pour que
fois la participation active et effi- ces derniers s’acquittent des obli-
cace des pays du Sud à la négocia- gations auxquelles ils ont souscrit
–de façon plus ou moins active
ou volontaire– au terme de ces
2
cf. par exemple : Laurence Tubiana : accords et conventions. Les trans-
“Environnement et Développement. L’enjeu
pour la France “. La Documentation Française,
ferts concernés peuvent être très
Paris, 2000. importants : en se référant à la

16
seule Convention climat, on peut nales et leurs engagements dans ou à des défaillances de marché
calculer que les permis d’émission la sphère internationale. Ainsi par qu’à des biens publics et en ne
négociables susceptibles d’être exemple, dans le domaine de la retenant que les questions où exis-
alloués aux pays du Sud pour- lutte contre l’effet de serre, il ne tent de vraies interdépendances
raient représenter, dans certaines suffit pas de défendre les réduc- mondiales, on peut proposer
conditions d’allocation des droits tions des émissions de gaz à effet la liste suivante :
initiaux, des montants équivalents de serre sur la scène multilatérale, • la stabilité financière interna-
ou supérieurs à l’APD actuelle. il faut aussi faire des choix natio- tionale,
naux en termes de politique éner- • les questions environnementales,
En forçant le trait, on pourrait gétique nationale, ce qui incidem- • la lutte contre le sida,
aller jusqu’à imaginer que, si les ment peut susciter un nouvel • le contrôle de certaines épizooties,
BPM devenaient un principe intérêt de la communauté natio- • la création et le partage des
majeur des relations internatio- nale, société civile et parlemen- connaissances.
nales, les transferts envisagés par taires, en faveur de la coopéra-
les accords et conventions vien- tion internationale. Mais on pour- On peut ajouter à cette liste la
nent remplacer l’APD traditionnel- rait aller plus loin et imaginer que sécurité alimentaire, qui, cepen-
le. Mais les pays du Nord, depuis les positions initiales de négocia- dant, relève autant de la problé-
le sommet de la Terre en 1992, tion des pays développés sur la matique des droits que de celles
n’ont jamais montré un grand scène multilatérale dépassent la des BPM ou de la lutte contre la
empressement à s’acquitter de seule protection de leurs intérêts pauvreté.
leurs engagements en matière de strictement nationaux et intè-
transferts financiers vers le Sud. Il grent dès le départ une perspecti-
est donc vraisemblable que l’APD ve de coopération Nord-Sud.
continuera à être l’instrument

2.4
général de financement de la Les questions agricoles illustrent
coopération publique Nord-Sud, bien le besoin d’un tel élargisse-
ce qui peut être préféré à la mul- ment des positions de négocia-
tiplication de fonds affectés tels tion, qui est bien sûr du ressort 2.4 Biens publics
que les prévoient les accords et des gouvernements dans leur
conventions. ensemble, mais dont les agences mondiaux et lutte
d’aide et les ministères en charge
La notion de BPM a donc des de la coopération peuvent se faire contre la pauvreté
implications importantes sur les les avocats.
pratiques des agences d’aide, que Bien que l’on assiste à l’émer-
ce soit en termes de consistance On ne saurait terminer cette gence du concept de BPM dans
des actions de coopération, de présentation des BPM sans don- les débats, les stratégies en matière
modalités de leur mise en œuvre ner une liste au moins indicative de coopération au développement
et de volume des financements. des thèmes que couvre cette restent dominées par l’objectif
Mais la problématique des BPM notion au regard de l’APD. de lutte contre la pauvreté, que la
a une autre implication pour les En s’inspirant de l’ouvrage du France a fait sien tout en y ajou-
politiques globales des bailleurs PNUD (1999), mais en excluant de tant la lutte contre les inégalités,
de fonds, qui doivent mettre en la liste les biens et services corres- celles-ci étant entendues comme
cohérence leurs pratiques natio- pondant plus à des externalités “ inégalités d’accès aux ressources

17
productives de revenus et de liens ne servent pas les mêmes objectifs, vation est l’objectif central de l’ap-
sociaux ”3. et impliquent des modes opéra- proche BPM.
Si la lutte contre la pauvreté toires sensiblement différents.
demeure l’objectif prioritaire des Pour simplifier à nouveau, on peut A un niveau plus politique,
politiques d’aide au développe- dire que la lutte contre la pauvre- faut-il admettre le caractère neutre
ment, la mise en avant du concept té ne se justifie que par le souci de et apolitique de l’approche BPM,
de BPM comme nouveau sortir les démunis et les exclus quand l’approche lutte contre la
paradigme venant renforcer de leur situation, pour des raisons pauvreté et les inégalités visant à
les fondements de l’aide publique morales certes, mais aussi pour rétablir les droits des exclus, serait
au développement pourrait affai- toutes les raisons économiques plus politique ?
blir aux yeux de certains le primat qui font que la pauvreté entrave
de la lutte contre la pauvreté. Ce le développement. En termes Si l’objectif de lutte contre la
nouveau concept a en outre pour de biens publics, on aide pauvreté et les inégalités comporte
lui le pouvoir de conviction et la les pauvres "parce qu’on a besoin incontestablement des aspects
rigueur de l’analyse économique. d’eux" pour fournir les biens et politiques, la notion de BPM, fon-
services environnementaux, agri- dée sur la recherche d’équilibres
Y a-t-il opposition entre la coles, économiques… qu’ils sont mondiaux, n’en est pas dépour-
notion de BPM et l’objectif de seuls à pouvoir fournir et qui vue. En effet, on peut constater
lutte contre la pauvreté ? bénéficient à tous au niveau que les rapports de force dans les
En caricaturant les positions, on national, régional ou mondial. enceintes de négociation interna-
relève que les partisans de la lutte Les deux approches convergent tionale sont en général très défa-
contre la pauvreté soulignent le pour considérer la pauvreté et vorables aux faibles. L’approche
caractère flou et “ attrape-tout ” les inégalités comme les risques des BPM, qui relégitime la nécessi-
de la notion de BPM ; ils jugent systémiques ultimes. té de l’intervention publique,
cette notion technocratique et notamment sous sa forme régula-
estiment qu’elle ne fera pas Du point de vue des modes trice, vise également à assurer
progresser la cause du opératoires, on constate que : une production équitable de BPM
développement et, encore moins, • la lutte contre la pauvreté repo- et à rétablir le droit des plus faibles
les intérêts des plus démunis des se sur des diagnostics de terrain, à accéder à ces biens. En ce sens
pays du Sud. Les partisans des où les aspects géographiques sont l’approche BPM constitue
BPM indiquent qu’on ne fait pas prépondérants ; un moyen neutre de rétablir une
de bonne politique économique • les BPM en revanche, avec leur égalité des chances –c’est-à-dire
avec des sentiments, surtout dimension planétaire, redonnent une égalité des opportunités
quand les problèmes posés dépen- tout leur intérêt aux politiques de gain pour les différents
dent pour une bonne part de sectorielles. participants à une négociation
politiques mondiales. internationale.
Si l’approche BPM s’imposait, les
Ces oppositions sont bien sûr aspects de lutte contre la pauvreté Les notions de lutte contre la
assez largement artificielles. Les ne passeraient pas nécessairement pauvreté et les inégalités et de
deux notions ne se recouvrent pas, au second plan ; car la pauvreté BPM sont donc très complémen-
et les inégalités constituent des taires. Elles se recouvrent partiel-
3
cf. Lutte contre la pauvreté, les inégalités
et l’exclusion. Une contribution au débat.
menaces pour les équilibres régio- lement, mais ont des rationalités
DGCID, juillet 2001, série repères. naux et mondiaux, dont la préser- différentes.

18
3
Les biens publics
mondiaux : quelles
conséquences pour
la politique de coopé-
ration internationale
de la France ? 3.1 3.1 Vision sectorielle
ou géographique ?
La vision géographique est
indispensable à la définition et à la
mise en œuvre de programmes de
lutte contre la pauvreté et les
inégalités : les situations de pau-
vreté sont extrêmement diverses et
toujours liées à des contextes
locaux et nationaux précis. Ce qui
La coopération française est est vrai des situations de pauvreté
entrée dans le débat sur les BPM l’est en grande partie des situa-
dès que la notion est apparue au tions d’inégalité, même si une par-
niveau international, en particulier tie de ces dernières, en particulier
en abordant les négociations sur les inégalités Nord-Sud, relèvent
les questions environnementales à de règles, de dispositifs et de phé-
la lumière de ce nouveau concept. nomènes mondiaux.
Elle entend poursuivre et appro-
fondir la réflexion qu’elle a enga- Les politiques sectorielles, aux
gée et participer activement aux niveaux nationaux, régionaux et
développements des débats inter- mondial, et, plus généralement, les
nationaux sur ce thème. analyses thématiques transversales,
sont des instruments privilégiés de
la conception et de la mise en
œuvre des BPM.

Un acteur du développement qui


choisit de s’investir dans la fourni-

19
3.2
ture d’un BPM donné est conduit dans ces enceintes ne soient pas
à concentrer ses interventions considérées par les pays du Sud
dans les pays où la production de comme un nouvel avatar du droit
ce bien est déficiente ainsi que d’ingérence que le Nord, s’est,
dans ceux où ces défaillances disent-ils, toujours arrogé vis-à-vis
génèrent des conséquences impor- 3.2 Vision bilatérale d’eux-mêmes.
tantes au niveau mondial. De
telles considérations peuvent ou mondiale ? Les pays en développement
impliquer de revoir la carte des viennent de connaître deux décen-
pays partenaires si celle-ci, comme Si la problématique des BPM nies de politiques publiques qu'ils
c'est le cas de la France, est avant relève largement de la discussion ont souvent ressenties comme
tout déterminée par des critères multilatérale, elle ne crée pas pour imposées, pendant toute la période
de pauvreté. En revanche, l’ap- autant un monopole multilatéral : de l’ajustement structurel. Le
proche de la France, qui met en tous les pays de la planète, déve- thème de la lutte contre la pau-
avant un principe de cohérence loppés ou en développement, ont vreté a été proposé par les
géographique dans le choix des un rôle à jouer dans la mise en bailleurs de fonds d’une part,
pays de sa zone de solidarité prio- œuvre des BPM, comme dans la comme un moyen de légitimer
ritaire, est cohérent avec la pro- discussion multilatérale. Ce ne l’APD, d’autre part, comme une
duction de biens publics régio- sont d’ailleurs pas seulement les possibilité pour les pays bénéfi-
naux (la zone franc constituant un gouvernements, mais aussi les ciaires de mieux s'approprier leurs
exemple d’un tel bien régional). autres autorités publiques ou les propres politiques publiques.
acteurs de la société civile et du Cette appropriation est particuliè-
En tout état de cause, la complé- secteur privé qui doivent participer rement nette avec la mise en place
mentarité entre l’approche par la au débat ainsi qu’à la définition des cadres stratégiques de lutte
lutte contre la pauvreté et les et à la mise en œuvre des politiques contre la pauvreté, dont l’élabora-
inégalités et celle par les BPM reconnues comme nécessaires. tion est ouverte à la participation
conduit à considérer comme non de la société civile. La probléma-
exclusives l’une de l’autre la vision La communauté internationale tique des BPM impose, quant à
géographique et la définition de et, en particulier les pays du Nord, elle, des règles, élaborées dans des
politiques sectorielles. ont donc une responsabilité parti- enceintes multilatérales où la voix
culière pour : des pays en développement n’est
• garantir le caractère multilatéral pas dominante. En aucun cas l’ex-
de la négociation, tension de cette problématique ne
• créer les conditions de la partici- doit priver ces pays du bénéfice
pation des acteurs non gouverne- de cette appropriation nouvelle.
mentaux aux débats intergouver-
nementaux,
• faire en sorte que les rapports
de force dans les enceintes de
négociation soient plus équilibrés
et plus équitables : c’est une
condition sine qua non pour que
les décisions et normes adoptées

20
3.3
par la participation aux programmes devront être cohérents avec les
régionaux et nationaux financés positions de ces derniers au sein
par l'AID et au fonds mondial des instances de coopération inter-
récemment constitué. Ce déplace- nationale, et plus généralement
ment indispensable des crédits avec l'ensemble de leurs actions
3.3 Principes pour d’aide au profit des programmes extérieures dans le domaine des
multilatéraux n’est cependant pas relations Nord-Sud : positions dans
l’action exclusif d’actions bilatérales visant les enceintes consacrées à la
les biens publics retenus. Les pro- coopération internationale et au
En théorie, un pays qui décide grammes de coopération concer- financement du développement,
d’inscrire tout ou partie de sa nant les BPM continueront à résul- conduite des relations bilatérales
coopération internationale dans ter d’actions conjointes de tous avec les Etats partenaires, posi-
la problématique des BPM doit les bailleurs de fonds, bilatéraux tions prises au sein des organismes
d’abord choisir les domaines aux- et multilatéraux. Mais l’impératif régionaux dont le pays est
quels il accorde sa priorité. Il doit de coordination de toutes ces membre. Les questions de sécurité
encore assurer la cohérence des interventions devient central dans alimentaire illustrent bien les
diverses actions de coopération la nouvelle optique. Il pose bien obstacles que peut rencontrer ce
internationale qu’il mène dans ces sûr la question du leadership de la besoin de cohérence. Les Etats
différents secteurs. Ces actions coordination dans des termes plus membres de l'Union européenne
comprennent : cruciaux encore que lorsqu’il s’agit doivent avoir le même discours sur
• la participation aux négociations d’approches plus traditionnelles. ces questions selon qu'ils les abor-
internationales et les positions dent au sein de l’OMC, avec des
qu’y adopte le pays, En ce qui concerne les modalités pays sahéliens, avec les pays du
• les programmes de coopération de l'aide bilatérale, la logique des Mercosur ou de la rive Sud de la
mis en place dans le cadre de l’ai- BPM peut contribuer à leur renou- Méditerranée, ou encore avec des
de bilatérale au développement, vellement au profit d’approches pays discutant un programme
• la participation aux programmes sectorielles. De telles approches d’ajustement sectoriel agricole.
des bailleurs de fonds multilaté- sont, par ailleurs, compatibles avec
raux et, en particulier, les trans- les objectifs de la lutte contre la
ferts financiers en leur faveur, que pauvreté et de la promotion des
les fonds transférés soient libres droits fondamentaux des popula-
d’affectation, co-administrés par tions. L’approche sectorielle n’est
le bailleur et l’agence multilatérale pas contradictoire avec l’approche
(fonds fiduciaires) ou affectés à projet et ne saurait se substituer
des opérations précises. complètement à elle, même si
cette dernière doit s'adapter pour
Leur participation à l’émergence inscrire ses actions dans le cadre
et à la production de BPM devrait de stratégies nationales dont les
conduire les bailleurs de fonds priorités sont reconnues par les
bilatéraux à contribuer davantage bailleurs de fonds.
au financement des programmes
multilatéraux : la lutte contre le Les programmes de coopération
sida doit passer prioritairement des bailleurs de fonds bilatéraux

21
3.4
• la santé, avec un accent particu-
lier sur la lutte contre le sida en
Afrique ;
• la sécurité alimentaire, axe
3.4 Les priorités de majeur de la coopération euro-
péenne ;
la coopération • l’appui à l’intégration écono-
mique régionale, comme support
française dans le à la production de biens publics
régionaux et mondiaux ;
domaine des biens • la recherche pour le développe-
ment ;
publics mondiaux • la promotion du pluralisme cul-
turel et linguistique, contrepoint
Les priorités de la coopération indispensable de la mondialisa-
française en matière de BPM tion, et économiquement justi-
seront fonction des critères fiable dans l’approche BPM.
suivants :
• privilégier les domaines de l'aide Cette liste, qui inclut des biens
pour lesquels la France et l'Union publics non strictement mondiaux
européenne sont porteuses d'un (eau, santé hors sida), devra être
message spécifique (soutien aux approfondie et détaillée. Elle
intégrations régionales, appui à la reflète, très légitimement, les pré-
biodiversité…) ; occupations françaises, mais pour-
• se concentrer sur les domaines rait être complétée le moment
délaissés par les institutions inter- venu par certains biens publics qui
nationales existantes. Ainsi, outre n’y figureraient pas et pour les-
la zone franc, la stabilité financiè- quels les partenaires de notre
re internationale fait déjà l'objet coopération exprimeraient un
d'un traitement multilatéral, de intérêt marqué. On sait en effet
même que le maintien de la paix, que les biens publics reflètent des
qui ne relève qu’indirectement de valeurs et des choix propres à
l’APD. chaque société. Une liste africaine
pourrait donc être assez différente
Une première sélection pourrait de celle proposée. Encore faut-il
inclure les sept domaines suivants : que la société africaine soit en
• l’environnement mondial, en pri- mesure d’exprimer ses priorités en
vilégiant les domaines où les matière de BPM, ce qui suppose
grandes conventions sont encore l’existence d’institutions capables
peu opérationnelles (changement d’exprimer ces préférences, de les
climatique, biodiversité, désertifi- relier avec la négociation interna-
cation), voire inexistantes (forêts), tionale et de les formuler en
et le domaine de l’eau ; termes de positions de négociation.

22
Cette remarque souligne à nou- saires pour porter un discours visant L’approche par les BPM conduit à
veau l’importance d’une coopéra- à une augmentation substantielle donner une priorité au finance-
tion institutionnelle multiforme de l’APD et à une redéfinition ment de politiques sectorielles
dans une perspective de BPM. majeure de son contenu. Elle le fait et à recommander une plus grande
de façon constante au sein du G7. multilatéralisation des actions de
Certains des domaines précé- La prochaine conférence des coopération internationale. Cette
dents vont faire l’objet dans les Nations Unies sur l’environnement double nécessité pourrait être l’oc-
prochains mois de réunions inter- et le développement (Rio + 10), casion d’une réflexion renouvelée
nationales, ou de conférences en prévue à Johannesburg en sur l’opportunité d’une plus grande
vue d'accords multilatéraux. La septembre 2002, constituera une européanisation des programmes
France saisira l’occasion de ces ren- autre occasion de développer cette de coopération des Etats membres,
contres pour approfondir son problématique. au moins sur les questions relatives
point de vue sur les BPM concer- aux biens publics mondiaux et
nés. C’est le cas pour les différents L’APD n’a pas vocation à financer régionaux.
accords environnementaux. C’est tous les besoins du développe-
également le cas de la sécurité ali- ment, qui peuvent être également
mentaire, qui fera l’objet de couverts par les nouveaux types de
débats intenses, essentiels pour les crédits envisagés pour financer la
pays du Sud, au prochain sommet production des BPM (par exemple,
3.6 Quelques pistes

3.6
alimentaire de la FAO et lors des les crédits liés aux accords multila-
négociations sur l’accord agricole téraux d’environnement). Mais il
de l’OMC. importe que ces nouveaux crédits pour la poursuite de
soient réellement additionnels par
rapport à l’APD. Le Fonds français la réflexion
pour l’environnement mondial

3.5
(FFEM) est une bonne illustration Une réflexion plus approfondie
3.5 Quelques consé- de cette additionnalité. devra associer les milieux de la
recherche et de la coopération non
quences pour l’APD Naturellement, cette politique gouvernementale, non seulement
en matière de biens publics mon- sur le plan conceptuel, mais aussi,
française (volume et diaux doit être conçue en compati- pour des raisons pratiques, pour
bilité avec les apports majeurs que que, au moment de la formulation
organisation) le secteur privé (et, plus générale- ou de l’évaluation des projets et
ment, la croissance économique) programmes, ils apportent leur
La France approfondira, avec peut avoir en matière de réduction point de vue sur l’intégration de la
tous ses partenaires, la réflexion de la pauvreté et des inégalités. A notion de BPM dans les opérations
sur les besoins mondiaux en APD. cet égard, l'accent sur les BPM a envisagées.
La préparation de la prochaine surtout vocation, tout en ayant un
conférence des Nations Unies sur le effet de levier, à réguler le déve- Il conviendra notamment :
financement du développement en loppement des flux privés, et à les a) D'articuler les réflexions concer-
est une excellente occasion. La rendre plus efficaces, plus durables nant les BPM, la lutte contre la
France dispose de la capacité et de et plus respectueux des droits des pauvreté et la mise en œuvre des
la légitimité internationale néces- individus. droits fondamentaux.

23
La coopération française contribue leur mise en œuvre, qui sanctionne ? nomie, il y a là une voie intéressan-
à renouveler la réflexion sur la Cette question est devenue cen- te pour renforcer nos positions en
lutte contre la pauvreté, en insis- trale pour les pays en développe- faveur de la diversité culturelle.
tant sur la lutte contre les inégali- ment, qui y voient un nouvel ava-
tés et l’exclusion. Il est important tar de l’impérialisme des pays du e) De veiller à rechercher la plus
d’identifier les complémentarités Nord. Il est très important de grande croissance économique
et les éventuelles oppositions conduire une réflexion non parti- possible dans le processus de
entre les divers types d’approches : sane sur le sujet et d’en tirer des régulation qui est celui propre
la prise en compte des BPM ne conséquences pratiques sur le aux BPM.
doit pas conduire à brouiller les contenu et les modalités de la Créer dans un environnement
objectifs et les messages de la négociation internationale. favorable, maintenir la stabilité
coopération internationale, qui financière et monétaire, avoir des
met en avant le primat de la lutte c) D'établir un bilan, en termes de systèmes sanitaires performants ou
contre la pauvreté et les inégalités. biens publics mondiaux, des négo- veiller à la sécurité alimentaire des
ciations commerciales et environ- populations sont autant de fac-
Il en est de même du thème des nementales des deux dernières teurs qui, sur la durée, favorisent
droits fondamentaux, qui recouvre années. le développement économique,
partiellement les deux précédents, La coopération française a enga- attirent l'investissement et stimu-
mais s’inspire d’une autre logique, gé cette étude, conçue comme lent l'activité.
celle des droits économiques, une illustration concrète des pra-
sociaux et culturels des Nations tiques, des rapports de force et La production de biens publics
Unies, qui est plus politique. des conflits qui président aux mondiaux est donc bien aussi un
efforts pour une meilleure gestion élément catalytique pour le déve-
b) D'approfondir les questions des biens publics mondiaux. Il loppement du secteur marchand et
relatives au “ déficit institutionnel ” s’agit notamment de Seattle non marchand, dont on connaît le
dans la production des BPM. (OMC), Nairobi (biodiversité), La rôle central dans le développement
On entend par “ déficit institu- Haye et Bonn (changement clima- durable des pays du Sud.
tionnel ” l’absence d’autorité tique), Montréal et Montpellier
mondiale susceptible de veiller à (biosécurité), Bonn (désertification).
la production des BPM –ce qui les
distingue des biens publics natio- d) D’établir un lien entre les biens
naux ou locaux, pour lesquels publics mondiaux et notre dis-
l’Etat ou une autorité locale peu- cours sur la diversité culturelle.
vent intervenir. Le caractère de biens publics des
productions culturelles est recon-
La dimension institutionnelle est nu au moins depuis Adam Smith.
un point relativement faible dans L’intervention publique en faveur
la réflexion sur les BPM. Cette de la culture peut tirer une partie
réflexion devrait partir de la pro- de sa légitimité du raisonnement
blématique des normes internatio- économique mettant en avant les
nales : qui les définit, qui les négo- défaillances du marché dans ce
cie, qui paie le prix fort pour les secteur particulier. Sans vouloir
appliquer, qui contrôle et évalue tout ramener au langage de l’éco-

24
4
Éléments de réflexion
pour la définition
d’une position
française
4.1 4.1 L’approche par
les biens publics
mondiaux et le
financement de
l’aide publique
au développement
Trois enjeux, étroitement liés Deux grandes approches sont
entre eux, apparaissent particuliè- possibles pour remédier aux
rement importants : défaillances du marché en matière
• l’approche par les biens publics de biens publics mondiaux, toutes
mondiaux et le financement de deux basées sur “l'internalisation
l’aide publique au développement ; des externalités”:
• la gouvernance des biens publics • créer un marché de droits d’usa-
mondiaux, et la démocratie dans ge ou de quotas ;
la fixation des règles du jeu inter- • instaurer des taxes suivant une
national ; assiette appropriée.
• le soutien des pays en voie de
développement à l’approche BPM. La première modalité est bien
adaptée pour des biens publics de
nature additive, définis par le
PNUD comme résultant de l’addi-
tion de plusieurs contributions
d’importance égale en vue d’un
objectif global, comme la réduc-
tion des gaz à effet de serre ou la
limitation de l’usage des chloro-
fluorocarbures (CFC). Elle est à la
base des mécanismes de flexibilité
du protocole de Kyoto pour la

25
lutte contre le changement clima- une taxe sur les émissions de car- des pays en développement. Elle
tique (permis négociables, méca- bone. C’est une idée séduisante. ne se prononce pas, à ce stade,
nisme de développement propre – Elle sera un jour mise en œuvre. sur les modalités à retenir, en par-
MDP-). La récente négociation de Le réchauffement de la planète ticulier en ce qui concerne l’assiet-
Bonn a montré que les pays du est porteur de trop de dangers te et le taux, mais elle souhaite
Sud voyaient dans le MDP un outil pour qu’il en soit autrement. que la communauté internationa-
de développement adapté pour le ouvre le débat sur cette ques-
assurer leurs besoins énergétiques. Le succès de telles taxes est, en tion.
Bonn a également permis de première analyse, subordonné à
constater que ce type de mécanis- certaines conditions :

4.2
me pouvait être mis en place • niveau de taxe à calculer, a priori
même si tous les Etats n'y souscri- très faible ;
vaient pas. • prélèvement de la taxe par les
autorités nationales ; 4.2 La gouvernance
En revanche, pour les biens • affectation de tout ou partie du
“dépendant du maillon le plus produit de la taxe à la production des biens publics
faible”, pour lesquels la produc- de biens publics de type “maillon
tion du bien considéré est limitée le plus faible” tels que lutte contre mondiaux, et la
par l’effort du partenaire le plus le sida, etc…
faible (éradication du sida, paix et • possibilité pour les Etats qui l’ap- démocratie dans la
sécurité, stabilité financière), les pliquent d’inclure le montant du
solutions de type “taxe”, dont la produit de la taxe utilisé au béné- fixation des règles
plus célèbre est le projet de “taxe fice des pays du Sud dans le total
Tobin”, sont plus appropriées ; de l’APD. du jeu international
mais ces solutions sont politique-
ment difficiles à faire adopter. L'adoption de taxes de cette On a vu que l'identification d'un
Elles ne sont opérationnelles que nature, consacrées au financement bien public est une décision poli-
si elles sont appliquées par tous les d'un certain nombre de BPM tique. Lorsque ce bien est un bien
pays, dans la mesure où l’effet de consensuellement identifiés, per- mondial, la question posée est
“passager clandestin” au profit mettrait de porter l'APD à un double :
des pays qui ne les appliqueraient niveau proche de l'objectif de • qui décide du caractère de bien
pas engendre des distorsions 0,7%, sur une base objective et public mondial ?
insupportables. acceptée par tous. • qui fixe les règles concernant la
production de ce bien (ou le “régi-
Parmi les autres formes de taxa- La France, pour sa part, s’est me international” de ce bien) ?
tion internationale actuellement exprimée en faveur de la mise en
envisagées figure une taxe sur les place d’un tel mécanisme de taxa- La légitimité de ces décisions, et
exportations d’armes. Elle suscite tion, fondé sur les capacités par suite leurs chances d'être
des réserves : aucune ne paraît contributives des Etats, permet- effectivement mises en œuvre,
dirimante. Une première étape, tant de réguler les excès de la dépendent fortement du caractère
même symbolique, de l’Union mondialisation et de financer la démocratique des instances et de
européenne renverserait la charge production de biens publics mon- l'efficacité de leur mode de fonc-
de la preuve. D'autres proposent diaux, en particulier au bénéfice tionnement.

26
Pour concilier ces objectifs ambi- pations. De façon plus générale, est, en France, l’une des enceintes
tieux, la France fait deux proposi- de nombreux biens publics mon- où ce débat est possible.
tions : diaux risquent de n’être pas per-
• d'une part, la création d’une
Organisation mondiale de
çus comme tels par les pays du
Sud, avec un risque évident de col- *
l’Environnement (OME), pour don- lusion d’intérêts entre certains * *
ner à ce sujet essentiel un pôle de pays du Nord, partisans d'un libé-
cohérence qui lui fait aujourd'hui ralisme mal maîtrisé et de l’absen-
défaut ; ce de régulation, et les pays du
• la création d’un Conseil de sécu- groupe des 77, qui percevraient
rité économique et social, chargé mal en quoi le débat sur les BPM Promouvoir le développement,
d'arbitrer entre les règles multila- les concerne, bloquant ainsi toute c'est d'abord défendre des idées et
térales concurrentes. La France chance d’évolution. des valeurs qui sont l'expression du
déposera, à la prochaine regard que l'on porte sur le
Assemblée générale des Nations Il est donc essentiel, pour la monde. C'est pourquoi il est essen-
Unies, un projet de résolution réussite de la prise en compte tiel de clarifier des concepts qui cir-
allant dans ce sens afin de définir de l’approche par les biens publics culent dans les milieux du dévelop-
les modalités pratiques de création mondiaux, de réussir à démontrer pement sans que l'on en saisisse
d’un tel conseil. aux pays du Sud la pertinence toujours ni les présupposés, ni les
de leur point de vue de cette conséquences pratiques.
approche.

4.3
Tel est l'objectif de ce document :
L’Union européenne a montré, mieux appréhender ce que sont les
lors de conférences récentes, biens publics mondiaux, mieux
4.3 Les biens qu’elle avait une bonne capacité définir les contours de l'intérêt
à proposer des voies moyennes général au niveau de la planète,
publics mondiaux acceptables à la fois pour les pays en préciser les conséquences opé-
développés et pour les pays en rationnelles, en particulier pour
au service des pays développement. Nous devrions mettre en œuvre les régulations de
donc utiliser de façon privilégiée la mondialisation que la France
en développement le canal européen pour faire appelle de ses voeux.
passer ces idées sur les BPM.
Les débats de la récente commis- Certes, les biens publics mon-
sion préparatoire (prepcom) afri- Il importera enfin de s’appuyer diaux demeurent une idée récente.
caine pour le sommet mondial du également sur la capacité de Ils suscitent surprise et intérêt. Ils
développement durable ont bien réflexion et de mobilisation des doivent encore faire l'objet d'une
montré que, pour les pays en ONG. Des actions spécifiques de adhésion de tous, tant de la part
développement d’Afrique, seuls travail en commun et de commu- des bailleurs de fonds, que des
les piliers “économique” et “social” nication, en préparation des pays du Sud. Ce n'est que par ce
du développement durable conférences internationales, doi- travail collectif de conviction que
étaient pris en compte, le volet vent être menées en direction des nous serons à même de mieux
“environnemental” apparaissant ONG d’opinion. Le Haut Conseil gérer ensemble nos interdépen-
très en retrait dans leurs préoccu- pour la Coopération Internationale dances.

27
ISBN : 2-11-092964-2
Février 2002
MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Direction générale de la Coopération internationale et du Développement
244, bd Saint-Germain 75303 Paris 07 SP
http://www.diplomatie.gouv.fr

MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE


Direction du Trésor
139, rue de Bercy 75572 Paris cedex 12
http://www.minefi.gouv.fr

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