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Tiers-Monde

Sur les critères de choix des projets spécifiques d'investissement


Jean Bégué

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Bégué Jean. Sur les critères de choix des projets spécifiques d'investissement. In: Tiers-Monde, tome 6, n°24, 1965. pp. 873-
890;

doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1965.2152

https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1965_num_6_24_2152

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SUR LES CRITÈRES DE CHOIX
DES PROJETS SPÉCIFIQUES
D'INVESTISSEMENT

par Jean Bégué*

Introduction
La prise de conscience de la gravité des problèmes du
sous-développement et de la nécessité pour la plupart des pays d'Amérique latine,
d'Afrique et d'Asie de s'efforcer à les résoudre en accélérant la marche
vers le développement a conduit à faire reconnaître tant par l'analyse
économique que par les hommes politiques l'importance fondamentale
du plan de développement. Cela veut dire que l'on n'attend pas des
mécanismes spontanés de l'économie classique de marché la réalisation
d'un taux de croissance du revenu national suffisant ni surtout d'une
structure convenable de ce revenu. Des interventions de l'État sont
donc nécessaires pour modifier les équilibres économiques spontanés,
et la cohérence de ces interventions demande qu'elles soient faites
selon un plan (i).
Si l'accord est pratiquement unanime sur la nécessité d'un plan de
développement, de nombreuses conceptions s'opposent sur la nature
et le domaine de la planification envisagée. Du plan impératif, centralisé
et couvrant l'économie entière à la simple juxtaposition de projets
spécifiques d'investissement en passant par une planification du type
« indicatif » à la française, il existe de nombreux schémas possibles pour

* Directeur de recherches à l'Institut de Science Economique Appliquée.


L'essentiel des éléments de cet article est puisé aux notions de base sur le développement
élaborées par le Pr F. Perroux et à des études d'un groupe de recherches de l'I.S.E.A. dirigé par
M. J. Dessau.
(i) F. Perroux, Techniques quantitatives de la planification, Paris, Presses Universitaires de
France, 1965. « Le plan se présente, au premier examen, comme un ensemble rationnel de
macrodécisions de l'Etat tendant à des équilibres concrets et dynamiques voulus différents
de ceux que l'économie des marchés très imparfaits eût dégagés par son fonctionnement
spontané. »

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faire un plan et le mettre en œuvre. Cependant, quelle que soit la


conception de la planification adoptée, on y trouve toujours les deux éléments
fondamentaux que sont des objectifs et des moyens pour atteindre ces
objectifs.
Parmi les objectifs, la réalisation d'un taux de croissance donné du
revenu national figure pratiquement toujours au premier rang.
Parmi les moyens, des projets spécifiques d'investissement — c'est-
à-dire des unités d'investissement techniquement isolables, dont le type
principal est la réalisation de nouveaux équipements destinés à augmenter
la production, mais dont il existe en fait des formes nombreuses et
variées — sont considérés également le plus souvent comme les
instruments essentiels devant permettre d'aboutir au taux de croissance voulu.
Lorsqu'on se borne à voir le problème du plan sous cette forme très
simplifiée, le choix de projets d'investissement se réduit au calcul de
l'effet des projets envisagés sur le taux de croissance du produit, et à
l'adoption, jusqu'à épuisement des ressources disponibles, des projets
ayant les effets les plus importants sur le taux de croissance.
Un tel calcul, dont l'intérêt est évident, présente d'ailleurs une
grande complexité. Il suppose la disponibilité de données statistiques
abondantes et la connaissance des liaisons entre les secteurs intéressés par
le projet ainsi que des liaisons entre le produit de ces secteurs et le produit
national, donc en fait d'une matrice inter-industrielle du type Leontief.
Cependant, même en supposant que les difficultés de ce calcul puissent
être résolues, cette conception du problème du choix des projets est
insuffisante pour les pays en voie de développement pour la simple
raison que le développement n'est pas que la croissance du produit ou
du revenu national. Admettre que le développement est, au-delà de la
seule croissance, une transformation des structures mentales et sociales
permettant la participation de toutes les unités de l'ensemble national à
la croissance et la propagation des effets de cette croissance à toutes les
unités, c'est reconnaître qu'un plan de développement est plus qu'un
simple plan de croissance, et qu'il faut donc procéder au choix des
projets d'investissement en se référant aux objectifs complexes du
développement et aux autres moyens mis en œuvre pour les atteindre.
C'est dans cette optique que nous examinerons ici les principaux
problèmes posés par le choix des projets. Cela suppose une connaissance
des effets attendus de la réalisation de projets, et la prise en compte de
tous les effets qui interviennent dans la réalisation des objectifs de

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développement. Nous passerons en revue, ensuite, les principaux critères


utilisés ou proposés par les économistes pour le choix des projets, pour
conclure à la nécessité d'intégrer les projets dans le plan de
développement. Mais il importe auparavant de préciser les limites des possibilités
de choix du planificateur, c'est-à-dire les types de projets auxquels
notre analyse s'applique.

I. — Les limites du choix du planificateur

Le problème du choix des investissements se pose évidemment de


façon très différente selon le système économique et social du pays et la
conception de la planification adoptée. Nous ne nous préoccuperons pas
ici des problèmes de la planification imperative des pays socialistes, où
le choix des investissements se trouve régi par le plan central, les unités
de production et les divers centres de décision en matière
d'investissement étant liés par les calculs et les décisions de la centrale de
planification. Le plan y est justement le moyen technique ayant pour fonction
d'orienter la répartition des ressources, de sorte que la presque totalité
de l'activité économique y est planifiée, et que c'est à l'État lui-même, et
seul, qu'incombe la charge de l'exécution des projets du plan.
Dans les plans souples, indicatifs, adoptés par certains pays
capitalistes, en particulier la France, l'État cherche avant tout à définir un
cadre cohérent pour une politique économique et financière visant à agir
sur les principaux agrégats de l'économie nationale, mais le mécanisme
du marché et le système des prix relatif à un secteur privé libre restent
le guide de la répartition des ressources dans les divers secteurs de
l'économie. Le plan y apparaît comme un correcteur du marché ; l'État
intervient directement par l'intermédiaire du secteur public, et
indirectement par des mesures d'incitation, par sa politique financière et fiscale,
mais il y a de multiples centres de décision autonomes qui peuvent agir
ou ne pas agir selon les prévisions du plan, sans que leur conduite soit
fixée par le plan.
Dans les pays sous-développés qui optent pour la planification tout
en rejetant une planification imperative de type socialiste, un plan
indicatif à la française se heurte à des problèmes spécifiques qui tiennent
justement à l'état de sous-développement. Les mécanismes du marché
auxquels se réfère le plan français par exemple y sont beaucoup plus

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imparfaits, souvent même inexistants; les unités sont mal reliées entre
elles par des réseaux de flux, de prix et de communication; des blocages
de propagation se produisent entre des secteurs mal intégrés ou même
inarticulés ; les propensions à innover et à travailler sont faibles,
notamment parce que les besoins fondamentaux de l'homme sont mal satisfaits ;
des firmes dominantes, souvent d'origine étrangère, exercent des effets
asymétriques sur les petites unités nationales ; la dépendance de l'extérieur
y est très forte, notamment par la nature des exportations et par le besoin
d'importations de produits manufacturés ou de biens d'équipement.
Le plan ne saurait donc y avoir seulement un rôle de correcteur de marché,
mais il doit être l'instrument destiné à restructurer fortement l'économie
du pays en permettant la mise en place de structures sociales et mentales
favorables au développement.
Des interventions directes de l'État grâce à un secteur public
important, des projets spécifiques d'investissements destinés à briser les
obstacles au développement, et des mesures indirectes permettant de
contrôler efficacement l'ensemble de l'activité économique apparaissent
donc nécessaires pour que le plan de développement soit autre chose
qu'un document théorique. On peut toujours envisager, dans un plan,
de faire des estimations du taux de croissance; de déterminer le
pourcentage du revenu national à investir; de répartir ce montant entre
investissements publics et investissements privés, ou entre
investissements d'infrastructure, investissements productifs et investissements
sociaux; de répartir ces sous-agrégats d'investissement entre les divers
secteurs d'activité ; de répartir le montant des investissements de chaque
secteur entre les projets de ce secteur, avec les différentes variantes
relatives aux techniques et aux localisations possibles. La projection
d'un tableau économique désagrégé permet en principe, du moins de
façon grossièrement approchée, d'y parvenir : c'est le principe de la
planification par décontraction de relations globales de croissance, qui
descend des grands agrégats aux petits agrégats. Mais le problème est
de savoir qui réalise les investissements nécessaires ou prévus. Si la
planification se trouve en présence de centres de décision autonomes et en
face desquels il est impuissant, ses calculs se révéleront illusoires.
Or quels sont pratiquement, du point de vue de la liberté de décision
du planificateur, assimilé ici au gouvernement, les types de projets
spécifiques auxquels on peut avoir affaire dans les pays en voie de
développement. Nous en distinguerons trois : les projets des entre-

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prises privées étrangères, les grands projets collectifs financés par des
organismes internationaux et les projets publics ou financés par des
fonds publics.

i . Les projets des entreprises privées étrangères


Dans ce cas, le planificateur n'a pratiquement que deux possibilités,
accepter ou refuser l'exécution du projet. En général, même en l'absence
de critère permettant de juger l'effet du projet sur le développement,
la tendance est d'en accepter la réalisation, en considérant que l'instal-
ation d'une capacité de production additionnelle est toujours positive,
et qu'elle procurera de toute façon des ressources immédiates au
gouvernement sous forme de droits et impôts. La seule discussion possible
peut porter sur certaines caractéristiques techniques du projet. Mais si
en général les conditions requises dans un code des investissements
par exemple, ou bien au cours de négociations avec l'entreprise
étrangère, peuvent influer sur certains éléments des coûts (structure de la
main-d'œuvre, formation de main-d'œuvre et de cadres locaux,
infrastructure à réaliser autour du projet proprement dit, exportation des
bénéfices), elles ne modifient que rarement, et de façon très relative, les calculs
de l'entreprise. En effet, d'une part l'entreprise appartient généralement
à un grand groupe international, ayant sa stratégie bien définie et ses
techniques éprouvées, de sorte que des aménagements de détail ne
peuvent modifier que très légèrement la configuration technique du
projet; d'autre part, l'entreprise décide de réaliser le projet alors que ses
profits attendus sont suffisamment importants, et avec une marge de
sécurité suffisamment forte, pour que des modifications de détail
puissent transformer la nature des conclusions de ses calculs. Il faut donc
admettre que la marge de liberté du planificateur est assez mince en
ce qui concerne les projets spécifiques entrepris par les grandes firmes
étrangères.

2. Les grands projets collectifs financés par des organismes internationaux


Ici encore, la marge de liberté du planificateur est assez limitée. Il
s'agit de grands projets intéressant souvent plusieurs nations, du type
aménagement de bassins fluviaux, par exemple. Les décisions sont prises
à l'échelle internationale, à la suite de négociations entre plusieurs pays
et institutions internationales, où les facteurs politiques tiennent une
place importante. Le financement venant principalement de l'extérieur,

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la décision sur le choix du projet et même de la variante technique ne


dépend pas directement du choix du planificateur d'une petite nation,
qui ne peut que proposer des aménagements de détail, mais qui ne
pourrait pas obtenir un emploi alternatif du financement envisagé pour
entreprendre un projet tout différent.

3. Les projets publics ou financés par des fonds publics


Dans les deux catégories de projets énoncées précédemment,
l'influence du planificateur sur le choix des projets et leurs variantes,
nous l'avons vu, est limitée. Il en va tout autrement pour les projets de
caractère public, entrepris directement par l'État ou par des entreprises
publiques, et pour les projets de firmes privées nationales qui doivent
recourir à un financement public, lorsqu'il existe par exemple un fonds de
développement, ou bien à des modes de financement sur lesquels l'État
exerce un contrôle, par exemple lorsque le système bancaire est soumis
à une réglementation assez étroite. Dans ce cas, un certain volume de
fonds budgétaires ou de crédit est disponible, et le planificateur peut
décider de l'emploi de ces fonds. C'est pour cette catégorie de projets
qu'intervient le choix du planificateur, et il importe donc de connaître
les effets attendus des projets envisagés pour que ce choix corresponde le
mieux possible aux objectifs de développement fixés dans le plan.
Ainsi, ce sont principalement des projets de caractère public que nous
aurons à l'esprit lorsque nous examinerons les effets des projets à prendre
en considération en vue de déterminer s'il existe des critères généraux
de choix des projets.

II. — Les effets des projets

Les catégories de projets spécifiques possibles sont nombreuses et


variées, ce qui demande un essai de classification, dont les grandes lignes
peuvent être données par les conséquences principales entraînées par
la réalisation des projets. Cependant, si l'on peut définir quelques grands
types de projets, il faut souligner qu'il est extrêmement rare qu'un projet
d'un type donné n'ait que des conséquences d'une catégorie déterminée.
On peut par exemple distinguer :
a) Des projets d'investissements sociaux, ou d'infrastructure sociale,
qui ne procurent généralement pas de produits ou services soumis aux
règles du marché, mais qui sont destinés à améliorer les conditions de

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vie, le niveau culturel et le niveau sanitaire de la population. Ce sont


des projets qui incombent traditionnellement au gouvernement; on peut
leur y adjoindre les projets intéressant la défense nationale. Si l'on peut
dire que le choix de projets de ce type dépend principalement de la
stratégie de développement adoptée et que les aspects économiques
passent après les considérations politiques et sociales, les conséquences
économiques directes et indirectes de ces projets peuvent être
extrêmement importantes. D'une part les fonds consacrés à de tels
investissements ne sont pas disponibles pour des investissements productifs,
d'autre part l'amélioration des conditions de vie de la population,
notamment par l'élévation du niveau d'éducation et du niveau d'hygiène, fait
partie de ces éléments qui transforment les structures sociales et mentales
et qui permettent le développement, et par suite la croissance économique.
Il ne faut donc pas exclure de tels projets de la liste des projets soumis
à des critères économiques, même si les critères sociaux et politiques ont
une importance relative plus grande que dans d'autre cas.
b) Des projets d'intérêt économique, soit d'investissements
d'infrastructure économique, soit d'investissements directement productifs.
Mais qu'il s'agisse de barrages, de moyens de communication ou de
nouvelles sources d'énergie pour l'infrastructure, ou d'usines,
d'installations minières pour les investissements productifs, les conséquences
sociales sont souvent au moins aussi importantes que les conséquences
strictement économiques. Il n'est donc pas de type de projet spécifique
parfaitement défini par des conséquences bien délimitées.
Nous nous référerons principalement ici, pour repérer les effets des
projets à prendre en considération, aux projets dits d'intérêt économique,
d'infrastructure ou directement productifs, tout en ayant présent à
l'esprit que les projets d'infrastructure sociale peuvent présenter des
caractères analogues à ceux des projets étudiés.
Il est commode de présenter les effets des projets de manière
classique en prenant l'exemple d'un barrage devant servir à l'irrigation
et à la production d'énergie électrique.
Cela permet de distinguer :
— les effets dus à la dépense d'équipement ou effets de la phase de
construction;
— les effets de la mise en exploitation.
Les premiers sont des effets immédiats, qui ne se produisent qu'une
fois, même si la phase de construction dure plusieurs années, alors que

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les seconds sont destinés à être permanents, du moins à être renouvelés


sur un grand nombre d'années. On voit tout de suite que la période qui
constitue l'horizon temporel du planificateur aura un intérêt primordial
pour le choix des projets, d'une part en raison du délai, parfois
important, qui s'écoule entre la première dépense d'équipement et le
moment de la mise en exploitation permettant l'accroissement de la
production (délai de maturation, ou de gestation, de l'équipement),
d'autre part parce que les effets sont à prendre en considération sur
longue période, ce qui fait intervenir la durée de vie du projet comme la
valeur attachée aux différentes périodes du temps futur.
Qu'il s'agisse de la phase de construction ou de la phase
d'exploitation, mais principalement dans ce dernier cas, un projet peut avoir
des types d'effets variés. La terminologie utilisée varie selon les
auteurs, mais le contenu d'une classification des effets se présente toujours
ainsi, d'une manière conventionnellement simplifiée.
i° Les effets primaires sont les coûts et rendements, ces derniers
principalement en termes de production, d'emploi et d'échanges
extérieurs, qui résultent des liaisons purement techniques avec les opérations
de production créées par la réalisation du projet. Ces effets sont directs
lorsqu'ils sont directement liés au stade productif du projet. Dans le
cas du barrage, il s'agira de la production d'électricité ou de la vente
de l'eau pour l'irrigation. Ils sont indirects lorsque les liaisons techniques
avec les opérations de production se situent en amont ou en aval du
stade productif. En amont, le projet peut créer une demande
supplémentaire pour les biens qui constituent ses inputs. En aval, les outputs
dégagés par le projet peuvent profiter à d'autres entreprises, créées à
la suite de la réalisation du projet ou déjà installées et dont la croissance
est alors facilitée. Toujours dans le cas du barrage, les effets indirects
amont se trouveront, au cours de la phase de construction, en suivant
les entreprises fournissant des matières premières, et au cours de la
phase d'exploitation en suivant les entreprises chargées de l'entretien
de l'ouvrage ou de son approvisionnement. Les effets indirects aval se
trouveront auprès des entreprises bénéficiant de l'électricité produite ou
de l'eau du système d'irrigation.
2° Les effets secondaires sont les variations de grandeurs économiques
qui résultent de l'utilisation des revenus créés par le projet. Des revenus
sont distribués au stade des effets primaires et engendrent des variations de
la consommation, de l'épargne, des importations, etc. On peut envisager

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ainsi plusieurs cycles d'effets et des périodes plus ou moins longues, en


tenant compte seulement des interdépendances techniques et des
comportements des agents percepteurs de revenus. On distinguera ici aussi la
phase de construction et la phase d'exploitation. Les effets secondaires
sont donc du type effets de multiplication, et leur succession est en
principe infinie.
Dans l'énumération précédente, nous nous sommes principalement
référés à des effets quantitatifs, que l'on pourrait suivre en principe sur
un tableau économique à l'aide d'une matrice interindustrielle. Le projet
va en effet modifier les comptes de production et de répartition des divers
agents : entreprises, gouvernement, ménages, extérieur, les effets se
faisant sentir, par sommation, sur la valeur ajoutée, sur le revenu des
ménages, sur l'épargne et la consommation, sur le déficit commercial
avec l'extérieur et sur le compte capital. Remarquons cependant que si
la succession d'effets quantitatifs peut théoriquement être ainsi repérée
et calculée, cette succession et surtout celle des effets du type
multiplication supposent l'absence d'obstacles à la propagation, ce qui est loin
d'être assuré dans les pays sous-développés.
Mais ce qu'il est essentiel de souligner est la présence de nombreux
effets qualitatifs qu'il n'est pas possible en principe de mesurer, mais
dont les effets sur le développement sont considérables, et d'autres effets
indiscutablement quantitatifs, dont l'analyse économique, à la suite du
Pr Perroux, admet l'existence et l'importance, mais qui ne sont pas pris en
compte dans les analyses quantitatives habituelles, notamment dans
l'analyse matricielle.
Les effets qualitatifs vont de considérations politiques et même
quelquefois militaires aux effets, qui peuvent être positifs et négatifs,
sur les conditions de vie de la population et notamment sur ses structures
mentales, sur son niveau de formation. L'amélioration des conditions
d'hygiène, la transformation des comportements, les phénomènes
d'urbanisation, le transfert de main-d'œuvre agricole vers des activités
industrielles, l'utilisation de procédés techniques modernes, le
développement de certaines régions non intégrées aux circuits économiques de
la nation peuvent, entre autres, créer une mentalité dynamique favorisant
les possibilités de développement, élever la propension au travail qui
est l'un des ressorts fondamentaux de la croissance.
Les effets ď entraînement résultent de la capacité de projets à engendrer
des investissements et des activités complémentaires susceptibles de

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susciter des occasions cumulatives de profits et de coûts pour d'autres


unités. Ces effets ont le caractère particulier d'être asymétriques et
irréversibles, c'est-à-dire qu'il s'exercent dans un sens déterminé : le
projet A, entraînant, aura pour effet de créer ou de développer les
activités B, C, D..., alors que la création ou le développement
d'activités B, C, D..., n'auront pas d'effets de propagation vers d'autres
activités. L'importance de la propagation apparaît comme un facteur
essentiel dans les effets des projets : des investissements d'un montant
donné auront des capacités inégales à engendrer des effets de liaison et
d'agglomération entre unités, et de jonction entre régions ou ensembles
agglomérés, qui sont le propre de la création d'une économie moderne.
Selon que les milieux de propagation sont aménagés ou non, les projets
peuvent se révéler de véritables pôles de croissance, mais aussi comme
des blocs de développement ou bien comme des îlots mal reliés à
l'économie du pays et sans effets de développement véritables.
Cet énoncé des conséquences à attendre de projets met en évidence
l'importance des facteurs qualitatifs, dits souvent intangibles ou non
mesurables. Il est évident que le planificateur devra tenir compte de
tous ces effets, et surtout ne pas omettre les effets qualitatifs sous prétexte
qu'ils ne sont pas quantifiables. Nous verrons que les critères
généralement proposés pour le choix des projets ne tiennent généralement
compte que d'effets quantitatifs ou, au mieux, de certains effets qualitatifs
seulement. C'est pourquoi, après avoir étudié quelques-uns des
principaux de ces critères, nous serons amenés à conclure que l'analyse
du choix des projets doit passer nécessairement par le plan de
développement considéré dans son ensemble.

III. — Quelques critères du choix des projets

II existe une littérature abondante sur les critères permettant d'évaluer


les coûts et rendements de projets et leur effet sur le développement
économique. On peut grossièrement les classer en deux catégories :
— d'une part, les critères fondés simplement sur la comparaison de
coûts et rendements sont destinés à classer les projets envisagés par
ordre de rentabilité. Ce type de critère a son origine dans les calculs
de rentabilité financière, qu'on a étendus par la suite à la rentabilité
sociale en prenant en compte des coûts et rendements collectifs;

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CRITÈRES DE CHOIX DES PROJETS SPÉOTIQUES D'INVESTISSEMENT

— d'autre part, les critères reposant sur les analyses d'allocation de


ressources limitées, le capital étant ici considéré comme la ressource
limitée la plus importante, en vue d'en obtenir l'emploi le plus
utile possible.
Nous ne nous livrerons pas ici à un exposé systématique de tous ces
critères. Il suffira d'en énoncer les grands traits pour en marquer les
limites.
i° Les critères de rentabilité financière ou économique font appel à
des calculs du type de ceux de l'entreprise. Il s'agit d'évaluer les coûts
et les rendements engendrés au cours de la durée de vie du projet par sa
réalisation et son maintien en état de fonctionnement. Les dépenses et
bénéfices futurs sont évalués à l'aide des techniques d'actualisation, ce
qui pose le difficile problème du choix du taux d'actualisation. Dans le
cas du critère de rentabilité financière, on ne prend en compte que les
effets primaires directs du projet, dans le cas du critère de rentabilité
économique, on s'efforce de prendre en compte les effets indirects,
quelquefois les effets secondaires, mais on laisse toujours de côté tout
effet qui n'est pas quantifiable. L'essentiel de ce principe est en effet de
parvenir à une formule du type :

P=K<?I (! + /)<
où К est le capital investi, R, et Dť les recettes et les dépenses engendrées
par le projet au cours de l'année / et ; le taux d'actualisation. Selon qu'il
s'agit de rentabilité financière ou économique, le numérateur est le
bénéfice annuel brut direct du projet ou bien la valeur ajoutée relative
à toutes les unités intéressées par le projet. Bien entendu, ce critère peut
faire l'objet de raffinements de calculs très poussés sur les éléments à
prendre en considération. Des hypothèses doivent être faites sur les prix
des matières premières, de l'emploi et des services requis ainsi que des
produits dégagés par le projet. Des prix fictifs peuvent être employés
à l'aide de méthodes mathématiques raffinées. On peut faire appel aux
techniques de programmation linéaire notamment pour juger l'effet des
variantes techniques possibles. Mais l'essentiel de ces méthodes est
d'obtenir un indice de rentabilité qui permette de déterminer la rentabilité
propre d'un projet — tout projet ne valant d'être entrepris que si son
bénéfice total actualisé est supérieur à son coût total actualisé — ainsi
qu'un classement par ordre de priorité entre différents projets. Pour un

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projet donné, susceptible de plusieurs variantes, on adoptera la variante


entraînant le bénéfice financier, ou social, maximum. Pour le choix entre
plusieurs projets, on décide d'entreprendre les projets dans l'ordre des
taux de rentabilité décroissant jusqu'à épuisement des ressources
disponibles.
Les difficultés propres de l'application aux pays sous-développés
des méthodes auxquelles font appel ces critères : choix du taux
d'actualisation, prévisions sur les prix des biens et services futurs, emploi de prix
fictifs dont le calcul théorique fait appel à une information statistique
extrêmement abondante sinon à une modélisation complète du
fonctionnement de l'économie, ne constituent pas en elles-mêmes la raison de
leur insuffisance. Ce qui paraît essentiel est que, ne tenant pas compte
des effets non mesurables et ne situant pas les projets dans leur
environnement général économique et social, les critères du type rentabilité
apparaissent individuels et ne permettent pas de juger l'ensemble des
effets de développement des projets.
2° Les critères d'allocation de ressources considèrent le capital comme
un facteur rare et font appel aux effets d'un montant de capital donné
sur une variable privilégiée. Différents critères peuvent donc être
proposés, parmi lesquels les plus connus sont :
a) Le rapport capital-produit. — Selon ce critère, l'on recherche les
projets qui exigent le minimum de capital par unité de produit. On fait
appel ainsi aux coefficients sectoriels de capital.
b) Le taux marginal de réinvestissement par tête. — Ce critère accorde
plus d'importance à la capacité de réinvestissement qui résultera de
la hausse des revenus, en vue de maximer le taux de croissance en
longue période.
c) La contribution marginale à la croissance. — Ce critère essaie de
résoudre la contradiction évidente entre les deux critères précédents, le
premier conduisant à choisir des investissements à faible intensité de
capital, le second à choisir des investissements à forte intensité de capital,
en tenant compte de la contribution directe d'un projet à la croissance
du revenu augmentée de l'effet actualisé de l'épargne et des
investissements nouveaux sur l'accroissement futur.
d) Le critère des séries temporelles. — Ce critère consiste à classer les
projets entraînant un accroissement de production donné selon la
période nécessaire pour l'obtenir et de faire le choix en fonction de la
période envisagée par le planificateur.

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CRITÈRES DE CHOIX DES PROJETS SPÉCIFIQUES D'INVESTISSEMENT

e) Le critère du délai de récupération. — Ce critère est utilisé en U.R.S.S.


principalement pour le choix entre techniques ou produits substituables.
Il consiste à retenir, pour un montant de production donné,
l'investissement dont le délai de récupération est le plus court, c'est-à-dire celui qui
est le plus rapidement rentable. Il intervient lorsque les dépenses
d'investissement d'un projet sont supérieures à celles d'un autre projet de
référence alors que les dépenses annuelles d'exploitation prévues sont
au contraire inférieures. On peut ainsi classer plusieurs projets par
rapport au projet de référence et choisir ceux dont le délai de
récupération est le plus court.
f) Le rapport entre Г emploi et le capital. — L'importance du nombre
d'emplois créés pour une unité donnée d'investissement est également
souvent recommandée comme critère pour le choix des projets dans
les pays sous-développés affectés de chômage réel ou déguisé. Il est bien
évident qu'il faut dans ce cas tenir compte des effets indirects autant
que des effets directs, les premiers étant souvent plus importants. Lorsque
ce critère est utilisé, il est nécessaire de distinguer soigneusement les
effets sur l'emploi engendrés par la mise en exploitation du projet des
effets engendrés par la construction. Une grande partie de la main-d'œuvre
utilisée pour la construction risque de se trouver sans emploi lorsque
celle-ci est achevée, et de se retrouver au chômage, souvent après avoir
été déracinée de son milieu d'origine. Il y a là des risques d'effets négatifs
dont il ne faut pas oublier de tenir compte.
g) Le gain de devises étrangères. — Dans les pays où le déséquilibre
de la balance des paiements est un problème préoccupant, il est souvent
recommandé de classer les projets selon l'ordre des gains de devises
étrangères qu'ils engendrent.
Des projets peuvent engendrer des effets positifs sur la balance des
paiements : ce sont les gains de devises résultant de la substitution de la
production nationale aux importations ou (et) de l'augmentation des
exportations ; et des effets négatifs par les ressources payables en devises
nécessaires à la construction et au fonctionnement du projet. Les effets
indirects et même les effets secondaires peuvent être pris en considération.
On peut alors calculer un taux de rentabilité de chaque projet du point de
vue devises étrangères en rapportant l'effet annuel net du projet au coût
en devises du capital nécessaire pour le projet.
Les critères précédents font généralement intervenir un terme de
référence, le capital, et un effet particulier. On peut évidemment envisager

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des critères plus complexes combinant plusieurs ressources et plusieurs


objectifs. Dans cette voie, il faut signaler le critère de la productivité
marginale sociale du capital, de Chenery. Ce critère repose sur l'évaluation
d'une fonction d'utilité collective, faisant intervenir plusieurs variables :
U=/(Y, B, D...)
où U est l'indice de l'utilité collective;
Y le revenu national;
В le solde de la balance des paiements ;
D un indice de répartition du revenu national.

Plusieurs indices peuvent être théoriquement envisagés, mais Chenery


retient pratiquement seulement l'effet sur les variations du produit
national et sur le solde des échanges extérieurs, et il appelle « produit
social marginal » la quantité AU = A Y + r A B. La productivité
marginale sociale d'un projet est alors le produit marginal social A U
rapporté au montant des investissements nécessaires pour la réalisation
du projet. La quantité r apparaît comme un paramètre de pondération
entre la contribution du projet à l'élévation du produit national et sa
contribution à la diminution du déséquilibre de la balance des paiements.
Sa valeur résulte d'un jugement sur l'importance de ce déséquilibre et
de son élimination. Les effets sur le produit marginal social sont calculés
ainsi de la manière suivante :
_Л/ГС
P.M.S = Х+Е — M/ L+M^+O, r
£ b £ (*Bi + B2 + B3)
g
— X est la valeur de la production dont on déduit les taxes et tarifs
douaniers et à laquelle on ajoute les subventions;
— E est la valeur ajoutée par le projet en aval (économies externes);
— M/ est le coût des matières premières importées;
— L est le coût de la main-d'œuvre exprimé en prix comptables, c'est-
à-dire le coût exprimé du point de vue de la société, par la règle
du « rendement perdu » (coût d'opportunité), et non suivant les
salaires effectivement payés;
— Md est le coût des matières premières nationales ;
— О représente les autres coûts de production, frais généraux,
amortissement du capital;
— a est un coefficient permettant de calculer la valeur annuelle actuelle
de Bi;

886
CRITÈRES DE CHOIX DES PROJETS SPÉCIFIQUES D'INVESTISSEMENT

Bi est l'effet de Y installation du projet sur la balance des paiements,


c'est-à-dire les achats de biens d'équipement à l'extérieur augmentés
de l'effet multiplicateur de l'investissement sur la demande de
biens importés;
B2 représente les effets primaires de Vexploitation du projet sur la
balance des paiements;
B3 représente les effets secondaires de l'exploitation.
La formule s'écrit donc comme suit :

p.m.s. = v_^ç+rB

V étant la valeur ajoutée intérieure du pays, С étant le coût total des


facteurs de production nationaux et В les effets totaux sur la balance
des paiements.
Nous avons insisté davantage sur le critère de la productivité
marginale sociale parce qu'il représente un certain effort de synthèse des
critères précédents. Mais il n'apparaît pas nécessaire, pour tous les critères
énoncés ici, de faire des critiques de détail portant sur tel ou tel point.
Il suffira d'observer, pour justifier l'affirmation de leur insuffisance, que
les critères proposés sont partiels, qu'ils tiennent compte d'objectifs
particuliers sans considérer le problème du développement dans son
ensemble. C'est ainsi qu'ils ne distinguent pas suffisamment les aspects
qualitatifs et quantitatifs des investissements, qu'ils ne tiennent compte
que de coûts et d'effets partiels, qu'ils négligent les effets indirects,
qu'ils recourent soit à des prix de marché n'exprimant pas les valeurs
relatives des biens et services qui interviennent, soit à des prix comptables,
habilement mais artificiellement calculés.
En réalité, tous ces critères conduisent à des évaluations faites
individuellement des projets envisagés. Ils apparaissent comme la
transposition plus ou moins habile de critères utilisés dans les pays
développés. Or ce qui importe pour le développement sont les effets
liés de plusieurs projets par référence aux objectifs du plan. Dans des
pays sous-développés où il s'agit de briser les obstacles aux propagations
d'effets moteurs, il importe d'une part de trouver des critères permettant
de juger les effets de projets sur le développement, d'autre part de
procéder au choix des projets au cours de l'élaboration du plan de
développement.

887
JEAN BÉGUÉ

Conclusion

U intégration des projets au plan de développement

Les critères précédents et les méthodes d'évaluation des projets qu'ils


supposent ne sont certainement pas sans intérêt puisqu'ils permettent
d'examiner sous certains aspects les coûts et rendements, généralement
directs, d'un projet. Des indications utiles pour la planification peuvent
être ainsi obtenues. Mais dans le plan, nous l'avons dit, on trouve un
ensemble complexe d'objectifs liés qu'on se propose d'atteindre grâce à
des moyens complémentaires, parmi lesquels des projets. Il ne saurait
donc être question, dans la planification, d'évaluer séparément chaque
projet sans tenir compte des autres projets envisagés. Les projets
spécifiques produisant des effets en cascade, il devient rapidement impossible
d'imputer un effet déterminé à un projet individuel. Le problème des
économies externes, essentiel pour le développement, ne peut être traité
qu'au niveau collectif : on ne peut pas, par définition même, relier les
économies externes à une décision portant sur un projet.
Il en résulte que les problèmes du choix des projets sont les problèmes
de la planification. Il faut englober dès le départ les effets de chaque
projet dans le plan, en partant des objectifs que l'on veut atteindre
pour choisir les projets qui seront susceptibles d'aboutir à ces objectifs,
au lieu d'aménager des projets étudiés individuellement en fonction
d'effets généraux qui ne sont que partiellement ou mal prévus. En réalité,
ce n'est qu'en perdant son caractère de spécificité qu'un projet peut être
évalué, au stade de l'élaboration du plan. Les calculs qui interviennent
sont alors fondés sur des critères complexes déterminés à partir du
contenu du développement, et c'est la contribution aux objectifs du
plan qui guide le planificateur pour la sélection des projets.
Pour placer correctement les projets spécifiques dans le plan, lorsque
celui-ci n'est pas parfaitement formalisé, on peut envisager trois
approches successives :
a) Étudier l'environnement extérieur donné (ressources naturelles,
structure industrielle et agricole, main-d'œuvre disponible...) et le type
de développement voulu, avec des orientations principales (création d'une
infrastructure, développement de l'agriculture, de l'industrie, résorption
CRITÈRES DE CHOIX DES PROJETS SPÉOTIQUES D'INVESTISSEMENT

de chômage, intégration de régions et de populations périphériques...),


pour déterminer les types de projets spécifiques nécessaires;
b) Étudier les variantes possibles à l'intérieur de chaque type de
projet;
c) Établir l'ordre des priorités des types de projets, en sélectionnant
ceux qui contribuent le plus aux objectifs de développement du pays,
puis l'ordre de priorité des variantes. C'est surtout dans le choix des
variantes qu'interviendront des calculs du type efficacité, rentabilité, etc.,
alors que le choix des types de projets suppose la prise en compte de
tous les effets quantitatifs et qualitatifs, ceux-ci étant jugés exactement
sur le même plan que ceux-là. On peut par exemple tenir compte
d'appréciations qualitatives par des chiffres approximatifs, ou bien ramener
tous les effets quantitatifs à des jugements qualitatifs, mais il est
absolument certain qu'il est préférable de se livrer à ce genre d'approximations
plutôt que de ne retenir, par souci de rigueur formelle, que les effets
calculés avec précision.
Bien entendu, dire que les projets doivent être évalués dès le stade
de l'élaboration du plan ne suffit pas à résoudre le problème du choix
des projets, mais cela revient à le situer à son véritable niveau, c'est-à-
dire à passer du stade des calculs individuels, même généralisés dans une
certaine mesure par la prise en compte de facteurs intéressant l'économie
globale, au stade des calculs collectifs. Mais les difficultés de la
planification ne doivent pas être cachées, notamment celles de traduire le
type de développement voulu dans un tableau dynamique input-output où
les projets consistent le plus souvent en l'introduction de lignes et de
colonnes supplémentaires, donc pour lesquelles aucune extrapolation
n'est possible. On mentionnera également les difficultés de la période
qui constitue l'horizon temporel de planificateur. Les projets auront
des effets sur une période plus longue que la période moyenne
habituellement prise en considération dans une planification à moyen terme,
c'est-à-dire une période de quatre à six ou sept ans. De même, la durée
de construction elle-même de projets peut dépasser cette période
moyenne. Il est essentiel alors de se référer non seulement au plan courant,
mais encore au plan à long terme qui peut l'encadrer, ou au moins à la
stratégie longue de développement adoptée.
Notre problème du choix des projets étant ainsi situé dans le cadre plus
général de celui de la planification, dont nous avons évoqué au début de
cet exposé les grandes conceptions possibles mais que nous ne pouvons

889
JEAN BÉGUÉ

pas approfondir ici, on peut pour terminer indiquer des critères pouvant
guider le choix du planificateur ou l'organe de décision intéressé par
les effets de développement d'un projet, et qui font l'objet de recherches
à FI.S.E.A. Ces critères reposent sur la définition fonctionnelle du
sous-développement proposée par le Pr Perroux et permettent de juger
des effets d'articulation, d'intraversion et d'intégration des projets
étudiés à côté des effets quantitatifs habituellement calculés, ceux-ci
étant d'ailleurs, dans les calculs de l'LS.E.A., étendus aux effets primaires
indirects et à plusieurs cycles d'effets secondaires.

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