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Marc ANGENOT [1941-]

Docteur en philosophie, professeur émérite, Université McGill


analyste du discours et historien des idées
Chaire James McGill d'étude du discours social à l'Université McGill

(1977)

Champions des femmes.


Examens du discours sur
la supériorité des femmes
1400-1800

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES


CHICOUTIMI, QUÉBEC
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Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 2

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Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 3

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Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 4

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à partir du texte de :

Marc ANGENOT

Champions des femmes. Examens du discours sur la supériori-


té des femmes 1400-1800.

Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1977, 193 pp.

L’auteur et la direction des Presses de l’Université de Montréal nous ont ac-


cordé conjointement le 28 août 2018 l’autorisation de diffuser en accès libre à
tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.

Courriels : "Prof. Marc Angenot : marc.angenot@mcgill.ca


Marie-Pier Tremblay, secrétaire de direction, PUQ : puq@puq.ca
Les Presses de l’Université du Québec :
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Édition numérique réalisée le 18 mai 2019 à Chicoutimi, Québec.


Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 5

Marc ANGENOT

Champions des femmes. Examens du discours


sur la supériorité des femmes 1400-1800

Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1977, 193 pp.


Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 6

Nous voulons témoi-


gner notre gratitude à
l’éditeur, Les Presses de
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pour leur autorisation conjointe avec celle de l’auteur, Marc An-
genot, de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Clas-
siques de sciences sociales.

L’auteur nous a accordé, le 28 août 2018, conjointement avec


son éditeur, l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre
dans Les Classiques des sciences sociales.

Courriels : Marc Angenot: marc.angenot@mcgill.ca


Marie-Pier Tremblay, secrétaire de direction, PUQ : puq@puq.ca
Les Presses de l’Université du Québec :
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966.html

Jean-Marie Tremblay, C.Q., sociologue


fondateur, Les Classiques des sciences sociales
Chicoutimi, Québec,
Lundi, le 18 mai 2019.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 7

DU MÊME AUTEUR

Glossaire de la critique contemporaine, Montréal, HMH, 1972.


Le Roman populaire. Recherches en paralittérature, Montréal, Les
Presses de l'Université du Québec, « Genres et discours », 1975.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 8

LES CHAMPIONS
DES FEMMES
Examen du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800

par
MARC ANGENOT

1977
LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC
C.P. 250, Succursale N, Montréal, Canada, H2X 3M4
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 9

CET OUVRAGE EST PUBLIÉ GRÂCE À UNE SUBVENTION ACCORDÉE


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vés © 1977
Les Presses de l'Université du Québec

Dépôt légal - 4e trimestre 1977


Bibliothèque nationale du Québec
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 10

« Bien qu'on soit deux moitiés de la société,


Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :
L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne. »
(L'École des femmes, II, 2.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 11

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[191]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

Table des matières


Introduction [1]

PREMIÈRE PARTIE : HISTORIQUE [7]

Chapitre I. Jusqu'à la fin du seizième siècle [9]


1. Le Moyen Âge [11]
2. Martin Le Franc, 1442 [16]
3. Rodrigue de la Chambre, traduit par F. de Lucenne vers 1490 [17]
4. Le XVIe siècle, généralités [20]
5. Misogynes du XVIe siècle [22]
6. Cornélius Agrippa, 1509 [28]
7. Jean Bouchet, 1536 [31]
8. François Habert, 1541 [32]
9. Antoine Héroët et la « Querelle » de 1541 [32]
10. François de Billon, 1553 [34]
11. Guillaume Postel, 1553 [37]
12. Marie de Romieu, 1581 [43]
13. Alexandre de Pontaymeri, 1594 [43]
14. Pierre de Brinon, 1599 [44]

Chapitre II. Le dix-septième siècle [45]


1. La contre-offensive de Maître Jacques Olivier, 1617 [47]
2. Le Capitaine Vigoureux, 1617 [50]
3. Le Chevalier de l'Escale, 1618 [51]
4. Louis de Bermen de la Martinière, 1621 [51]
5. Marie de Gournay, 1622 [53]
6. Autres apologistes avant Poullain de la Barre [55]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 13

7. Poullain de la Barre, 1673 [58]


8. Jacques Chaussé de la Terrière, et divers autres [66]
9. C.M.D. Noël, 1698 [67]
10. Écrits misogynes aux XVIIe et XVIIIe siècles [67]

Chapitre III. Le dix-huitième siècle [71]


1. L'Apothéose du Beau-Sexe, 1712 [75]
2. Panégyriques publiés entre 1715 et 1744 [77]
3. L'Abbé Dinouart, 1749 [79]
4. P. et M. Florent de Puisieux [80]
5. Le Père Caffiaux, 1753 [81]
6. Lettres au Chevalier de K***, 1754 [82]
7. Boudier de Villemert (1758), et le sexisme philosophique [83]
8. Jusqu'en 1789 [88]
9. Les premières féministes : Olympes de Gouges et Mary Wollstonecraft,
1792 [90]
10. Le chevalier dell' Acqua, 1797 [93]
11. Au dix-neuvième siècle [94]

DEUXIÈME PARTIE : THÉMATIQUE [99]

1. Arguments tirés de la Genèse. [101]


2. Différences et avantages physiques [107]
3. Rôle de la femme dans la génération [109]
4. La femme-médecin, la femme-médecine [113]
5. Beauté [117]
6. Vertus morales [122]
7. Pudeur et chasteté [126]
8. Supériorité intellectuelle [134]
9. Talent politique et vertus guerrières [139]
10. La femme, « âme de la société » [142]
11. L'éducation des filles [144]
12. Le Règne des femmes [148]
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Éléments de conclusion [151]


Pratique de l'argumentation et genre littéraire [151]
Ensemble idéologique [159]
Discours du libidinal [169]

Bibliographie [173]
Première section [193]
A. Corpus principal [173]
B. Annexe : autres ouvrages [179]
C. Textes misogynes et « sexistes » évoqués ou cités [182]
Deuxième section. Ouvrages de référence [184]

Chronologie des principaux écrits du corpus [187]


Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 15

[1]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

INTRODUCTION

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Au Congrès international de sexologie tenu à Paris en juillet 1974,


le professeur Jost, dans une communication remarquée, a longuement
démontré que le sexe de base de l'humanité est le sexe féminin et
qu'être homme ne constitue qu'une sorte d'exception à la loi qui de-
vrait rendre femelle l'œuf fécondé.
Ainsi se trouvait réfutée, pouvait-on croire, selon les exigences
modernes de la science, la vieille thèse d'Aristote — acceptée comme
évidence pendant des siècles — qui énonçait très exactement le
contraire : à savoir que le sexe normal est le masculin, les êtres fe-
melles étant le fruit d'une insuffisance de l'accomplissement naturel,
incomplets et en quelque sorte monstrueux au regard de l'être mâle —
quoique leur apparition fût « tolérée » par la nature pour assurer la
propagation des espèces.
La communication du professeur Jost fut, au dire des journaux, en-
trecoupée d'applaudissements, ce qui somme toute ne laisse pas de
surprendre, car la thèse défendue n'a pas en 1974, du point de vue de
la biologie et de la physiologie, la qualité d'une découverte scienti-
fique inattendue. Le savant sexologue ne fait que synthétiser des don-
nées connues depuis quelques années, déjà vulgarisées d'ailleurs dans
les ouvrages d'Ashley Montagu et de Jean Duché par exemple, dont
nous parlerons plus loin.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 16

Il faut croire que, scientifiquement irréfutable, la thèse de la pri-


mauté biologique du sexe féminin est encore perçue comme idéologi-
quement [2] paradoxale. Et donc que sa défense suppose un certain
courage polémique et requiert, ce qui est plus bizarre, une adhésion
affective — qui s'est traduite par la chaleur des applaudissements dans
un congrès où la froideur technique semble avoir été la règle.
Certes, la recherche biologique vient s'inscrire ici en faux contre le
préjugé le plus invétéré, le plus consubstantiel à toutes les sociétés que
nous pouvons connaître, préjugé qui énonce comme un postulat de
bon sens, la supériorité, naturelle d'abord et partant intellectuelle et
sociale, non du mâle sur la femelle, mais spécifiquement de l'homme
sur la femme. Aristote ne faisait que transcrire ce préjugé dans sa
« philosophie naturelle » en lui conférant une autorité durable et en y
joignant des arguments propres à son système épistémique.
La thèse de la primauté du sexe féminin semble faire son chemin
aujourd'hui, non plus seulement chez les biologistes, mais chez cer-
tains psychologues et certains anthropologues. Après des millénaires
d'errements, le savoir moderne parviendrait à renverser ce qu'on ne
peut même appeler une théorie ou une opinion, mais un axiome fonda-
mental partout présent, rivé dans les cultures, les mœurs et les institu-
tions et surtout inscrit dans les esprits des contemporains autant que
dans les mentalités des sociétés archaïques.
Deux ouvrages de vulgarisation consacrés à l'exposé des argu-
ments qui militent en faveur de la « supériorité » de la femme, ont
paru ces dernières années — ou plutôt nous ne retiendrons que les
deux plus significatifs parmi un grand nombre d'autres qui tendent à
démontrer la même thèse.
Ashley Montagu. l'anthropologue anglais bien connu, a publié en
1952 The Natural Superiority of Women, ouvrage traduit peu après en
allemand, en néerlandais et en français, en 1968. Jean Duché, poly-
graphe et journaliste, a fait paraître en 1972 un essai intitulé le Pre-
mier Sexe, moins systématique et moins érudit peut-être, tournant par-
fois au pamphlet ou à la polémique, mêlant à la statistique et à l'expo-
sé scientifique une part d'anecdotes et de réflexions personnelles.
D'emblée, A. Montagu cherche à affirmer l'originalité de sa dé-
marche et l'aspect paradoxal de la synthèse à laquelle il aboutit : « Je
ne connais personne, affirme-t-il, qui ait fourni en parole ou par écrit,
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 17

la preuve que la femme est meilleure que l'homme, supérieure à lui. »


(p. 13 ; p. 1 de l'édition originale). « Meilleure », « supérieure » ? Ces
termes sont peut-être fort ambigus. Mais quant à ce qu'il prétend, qu'il
serait le premier à démontrer la supériorité des femmes, ici l'erreur est
[3] complète. Le présent ouvrage s'appuie en effet sur plus de quatre-
vingts traités souvent volumineux qui, du XVe au XVIIIe siècles, ont
justement eu pour but de démontrer cette supériorité et d'en tirer les
conséquences 1.
Quatre-vingts traités, essais, dissertations rien que sur ce thème et
seulement en domaine français. Compte tenu des conditions de l'édi-
tion et de la diffusion du livre, depuis l'apparition de l'imprimé jusqu'à
la fin de l'Ancien Régime, on peut affirmer que ce chiffre est spéciale-
ment élevé. Il est probablement exact de penser que les ouvrages à
l'apologie du sexe féminin ont été pendant ces quatre siècles plus
nombreux que les écrits de misogynes explicites, et de détracteurs de
la femme. Ils constituent une portion importante de l'ensemble des
livres consacrés à la féminité, à la condition du « beau sexe ». à l'édu-
cation des filles, à l'histoire des mœurs et enfin, à la femme sous les
divers points de vue théologique, physique, médical, moral et histo-
rique.
Les écrits dont nous allons parler ont tous en commun de défendre
non l'égalité des sexes « dans la différence », mais bien expressément
la supériorité des femmes ; même ceux des ouvrages qui revendiquent
pour la femme une égalité de droit dans la société, s'appuient sur des
arguments qui concluent à leur supériorité de fait, à différents égards.
Notre étude ne porte nullement sur ce qu'on peut trouver, en faveur
des femmes ou contre elles, chez les « grands » écrivains, de Rabelais
à Diderot. Il s'agirait d'un travail d'une tout autre ambition, travail que
la description d'une tradition homogène comme celle qui nous occupe
contribuera peut-être à rendre possible.
L'extrême cohésion de ce courant idéologique se remarque en effet
dans la continuité dont il fait preuve d'un ouvrage à l'autre, pendant
1
Le corpus principal que nous avons établi (Bibliographie IA) comporte 82
entrées, sans compter les rééditions et les traductions, ni les ouvrages se rap-
portant moins exclusivement à la thèse de la supériorité des femmes, qui
sont repris en annexe (Bibliographie IB). La Bibliographie IC comporte une
sélection d'ouvrages misogynes parus pendant ces quatre siècles. La Biblio-
graphie II renferme les ouvrages de référence cités.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 18

quatre cents ans. Les mêmes arguments de base, les mêmes contre-ar-
guments reviennent et se répètent avec, certes, des variations signifi-
catives dans la rétorsion, des subtilités nouvelles dans l'apologie, la
marque des ruptures produites dans les épistèmè successives.
[4]
Certains esprits plus audacieux, mais isolés, y introduisent des
aperçus nouveaux et critiques, tout en restant tributaires d'un modèle
argumentatif déjà fixé au XVe siècle. Nous signalerons, évidemment,
ces altérations et ces dépassements. Mais la continuité, en quelque
sorte intemporelle de cette tradition peut également étonner à bon
droit. Les titres ne varient guère : « le Triomphe des Dames », « le
Triomphe du sexe », « le Champion des femmes », « Apothéose du
sexe », « Apologie du beau sexe », « De la supériorité des femmes »,
« Défense des femmes », etc.
On se sent d'abord intrigué devant ces écrits méconnus, peu cités,
si archaïques de facture et parfois si modernes, souvent bizarres et
pompeux, perçus par leurs auteurs mêmes comme profondément para-
doxaux et risqués. Ils mêlent pour nous les propositions de « simple
bon sens » et les spéculations les plus insanes. Ce courant idéolo-
gique, à la fois cohérent et marginal, frappe encore par le mélange de
hardiesses théoriques et de répétitions compulsives de disputes scolas-
tiques qui s'y opère. Chaque « champion du sexe » débute par un
exorde où il avoue les risques que son écrit lui fait courir. Risques ma-
tériels, non pas, le plus souvent (quoique l'abbé Dinouart (1749) se
brouilla avec son évêque pour avoir publié le Triomphe du Sexe).
Mais, dans tous les cas, risque intellectuel. En prenant à contrepied le
préjugé qui lui semble le plus ancien, le plus nécessaire aussi à la so-
ciété où il vit, l'apologiste de la supériorité des femmes sait qu'il sera
condamné, réprouvé, censuré. Il sera tourné en dérision et restera in-
compris de la plupart, tant le préjugé a de force et tant les hommes de
tous rangs, autant que les femmes, s'en font les complices.
Et cependant, il ne s'agit pas pour lui de suivre la voie moyenne, de
tempérer la maxime primordiale qui voulait que l'homme soit supé-
rieur à la femme, mais bien de renverser le point de vue, de retourner
l'argumentation et ses présupposés mêmes, pour imposer la thèse dia-
métralement opposée. Un sentiment intense de « marginalité » idéolo-
gique se mêle dans ces écrits à un enthousiasme mystique.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 19

Il faut le préciser, quoique cela paraisse évident, presque tous ces


apologistes de la supériorité féminine de 1480 à la Révolution furent
des hommes.
Les quelques femmes qui ont écrit en faveur de leur sexe, de Chris-
tine de Pisan à Olympe de Gouges en passant par Suzanne de Ner-
vèze, Marie de Gournay et Anne-Marie van Schurman, se montrent en
effet moins pressées d'affirmer la supériorité éventuelle des [5] leurs.
Si elles reprennent les arguments de Martin Le Franc, de Cornélius
Agrippa et de leurs successeurs, c'est en les tempérant et, loin d'appe-
ler à un Règne des Femmes, comme le font les plus enthousiastes de
nos idéologues, elles concluent modérément en faveur d'une relative
égalité.
Il serait risqué de tenter, à partir de l'analyse de ce corpus, une in-
terprétation historique globale. Le Panégyrique des femmes n'est
qu'un des ensembles discursifs qui traversent le champ idéologique de
la division sociale des sexes. Il nous sera permis cependant de propo-
ser certaines hypothèses synthétiques, quoique nous centrions l'ana-
lyse sur la description des structures immanentes du discours.
La présente étude porte donc sur un ensemble dont la logique et les
présupposés restent constants, courant idéologique où se détermine à
nos yeux la forme par excellence de la marginalité des idées sous
l'Ancien Régime. En quoi consiste cette marginalité même ; quel écart
se produit avec le discours dominant, et quelle dépendance retient ce-
pendant ces écrits dans la mouvance de l'idéologie dominante : c'est
pour donner quelque début de réponse à ces questions que nous avons
entrepris ce travail.
À côté de ces problèmes épistémologiques, le corpus retient l'inté-
rêt pour lui-même. S'il existe différents travaux sur l'image de la
femme au Moyen Âge, sur les « querelles des femmes » des XVe et
XVIe siècles, sur la condition féminine à la Renaissance et à l'époque
classique, sur la naissance d'une réflexion rationaliste face à ces pro-
blèmes au XVIIIe siècle, il ne semble pas que l'ensemble du courant
dont nous parlons — nettement distinct d'autres écrits sur l'excellence
du mariage, les règles de la vie courtoise, la codification platonicienne
de l'amour, l'éducation des filles, les casuistiques sentimentales... —
ait été étudié dans sa continuité et son éclairage spécifique. Sans né-
gliger les diverses recherches historiques qui ont fait état de certains
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 20

des écrits recensés ici, nous essayerons de faire la synthèse de ce sys-


tème discursif particulier.

*
* *

Le corpus que nous avons établi et dépouillé ne s'attache qu'aux


ouvrages publiés en France, — la plupart en français, quelques-uns en
latin et en italien.
[6]
Aucun a priori de valeur littéraire ou philosophique n'a présidé à
ce relevé où coexistent textes de haute culture et brochures de colpor-
tage, discours d'apparat et vaticinations mystiques, dissertations éru-
dites et libelles satiriques.
Les sondages auxquels nous avons procédé en domaine anglais et
allemand n'ont apporté que peu d'ouvrages analogues à ceux que nous
allons analyser : la plupart du temps, ce sont des adaptations de Cor-
nélius Agrippa ou d'autres panégyristes publiés en France.
Par contre, on peut trouver un grand nombre de textes italiens qui
sont parallèles aux nôtres. Pour ne pas élargir le domaine d'enquête et
lui conserver sa cohésion, nous n'avons pas développé l'analyse de ces
écrits, sauf à les évoquer en passant lorsque des rapprochements s'im-
posaient.
Notre monographie se divise en trois parties : un exposé chronolo-
gique qui analyse les principaux écrits tout en esquissant sommaire-
ment le cadre historique où ils sont apparus ; une étude thématique qui
montrera la cohésion de la topique propre au genre et sa continuité sé-
culaire ; des conclusions qui proposeront certaines hypothèses d'en-
semble sur les traits rhétoriques, la fonction idéologique et l'élément
libidinal des discours sur la supériorité des femmes.
Nous reproduisons les textes dans leur état original, à l'exception
de certaines retouches apportées à la ponctuation (lorsque celle-ci est
déroutante ou insuffisante), de la suppression d'abréviations typogra-
phiques archaïques et de l'addition d'accents. Les références des cita-
tions renvoient au corpus principal. Bibliographie IA, sauf indication
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 21

particulière (Bibliogr. IB ou IC ; Bibliogr. II. pour les ouvrages de ré-


férence.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 22

[7]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

Première partie
HISTORIQUE

Retour à la table des matières

[8]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 23

[9]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.
PREMIÈRE PARTIE : HISTORIQUE

Chapitre I
Jusqu’à la fin du XVIe siècle

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[10]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 24

[11]

1. Le Moyen Âge

Retour à la table des matières

Il faut remonter aux derniers siècles de la période médiévale pour


voir naître l'argumentation primitive qui va servir aux partisans des
femmes. La codification de l'amour courtois suppose une exaltation de
la féminité et une législation de l'allégeance et du respect dus aux
Dames :
Qui as femes honor ne porte
La seue honor doit estre morte,
dit-on au XVIIIe siècle en commun proverbe.

P. Meyer a publié en 1877 dans la Romania un certain nombre


d'inédits, en langue vulgaire ou en latin, qui remontent aux XIIP et
XIVe siècles et peuvent être considérés comme les premiers répertoires
de motifs et de thèses où puiseront les apologistes de la Renaissance 2.
Ce sont des listes d'arguments en faveur de la supériorité féminine.
— Argument par la faculté de concevoir :
Li premier hostel que eüstes
Furent lor ventre u jeüstes.
[Le premier abri que vous eûtes,
Ce fut leur ventre où vous gisiez.]
(Anonyme, XIIIe siècle, v. 13-14.)

2
Romania. VI (1877). p. 501 et suiv., « Plaidoyer en faveur des femmes ».
Pour la période médiévale, il faut au moins signaler, en un lointain ar-
rière-plan, certaines formes de religiosité millénariste dont N. Cohn a parlé
dans son célèbre ouvrage The Pursuit of the Millenium (1961). Les « frères
du libre esprit, » mystiques de la libération libidinale, eurent une influence
dans certains milieux bourgeois. On peut soupçonner certaines résonances
de leurs conceptions chez divers défenseurs des femmes dont nous parle-
rons.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 25

[12]
— Arguments tirés de la Genèse :
Mulier prefertur viro, scilicet :
Materia : Quia Adam factus de limo terre, Eva de costa Ade.
Loco : Quia Adam factus extra Paradisum, Eva in Paradiso.

Ce qui, de ce médiocre latin, peut être traduit : il y a lieu de tenir la


femme pour supérieure à l'homme pour les raisons que voici : par la
matière dont ils furent créés, puisque Adam fut fait avec la boue de la
terre et Eve, d'une côte d'Adam : par le lieu où ils furent créés : en ef-
fet, Adam a été conçu hors du paradis terrestre et Eve dans ce paradis.

— Arguments scripturaires :
In Conceptione : Quia mulier concepit Deum quod homo
non potuit. Apparitione : Quia Christus primo apparuit mulier
post resurrectionem, scilicet Magdalene. Exaltatione : Quia
mulier exal-tata est super choros angelorum, scilicet beata Ma-
ria.

La femme est supérieure à l'homme du point de vue de la concep-


tion : puisque une femme a conçu Dieu, ce qu'un homme n'aurait pu
faire ; par les apparitions : car le Christ est apparu d'abord, après sa ré-
surrection à une femme, Madeleine ; par l'exaltation, car il y a une
femme qui est placée au-dessus du chœur des Anges, à savoir la bien-
heureuse Vierge Marie (Ms. Cambridge, Gg II, fol. 392 c).
On peut trouver également au Moyen Âge la source des arguments
par la beauté du corps féminin, « chef-d'œuvre de la création », dans
la codification topique du blason du corps, composé selon la tradition
de trente beautés idéales, classées trois par trois. On disait communé-
ment que la femme doit posséder les perfections suivantes : trois
blanches, trois noires, trois roses, trois longues, trois courtes, trois
étroites, trois larges, trois grosses, trois moyennes, trois minces. On
laisse au lecteur à deviner les détails de ces catégories, qui sont du
reste moins licencieux et plus naïfs qu'il n'y paraît.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 26

Notre intention n'est pas de tracer un panorama de cette thématique


médiévale, qui obligerait à synthétiser l'apologie des femmes dans le
monde courtois, les querelles d'exégèse biblique, la topique de la poé-
sie amoureuse. Qu'il suffise de voir apparaître antérieurement au XVe
siècle, quelques-uns des thèmes que nous verrons retravaillés par les
idéologues auxquels nous nous sommes attachés.
Elle n'est pas fausse, du reste, l'image traditionnelle que l'on a d'un
Moyen Âge avant tout misogyne, qui, des fabliaux aux dissertations
[13] théologiques, présente la femme comme un être imparfait, natu-
rellement pervers, ignoble et dangereux. La théorie de la supériorité
des femmes ne va pas sans l'examen de sa contrepartie gynophobe, car
implicitement ou explicitement nos théoriciens devront réfuter les
thèses dominantes de leur temps.
Les fabliaux, d'inspiration bourgeoise, dépeignent la femme
comme l'instrument du péché ; ils mettent les hommes en garde contre
ses « engins » et ses ruses. Les lamentations de Matheolus (vers
1295), la plus célèbre des diatribes médiévales contre le mariage, tra-
duite en langue vulgaire à la fin du XIVe siècle par Jean Le Fèvre, sont
promises à un succès qui ne se dément pas jusqu'au milieu de XVI e
siècle.
Au XIVe siècle, le Miroir de Mariage d'Eustache Deschamps et les
XV Joyes de Mariage (anonyme) sont parmi les écrits les plus intéres-
sants de cette tradition cléricale et bourgeoise qui tourne en critique
du mariage les vieux anathèmes patristiques contre les femmes.
Dans la seconde partie du Roman de la Rose (1265), Jean de
Meung, rejetant l'idéal courtois, avait donné libre cours à son brutal
mépris de la femme. C'est en réaction contre cet ouvrage que va se dé-
velopper au tournant du XIVe siècle la première « Querelle des
femmes ».
Quand aux moralistes et aux théologiens, ils se transmettent de gé-
nération en génération les « preuves » métaphysiques et scripturaires
de l'infériorité, et plus encore de la malice, de la naturelle malfaisance
des femmes, puisées à foison chez Tertullien, Jérôme, Ambroise et
Athanase. La thèse aristolélicienne de l'infériorité métaphysique des
femmes se trouve reprise par Thomas d'Aquin et s'intègre aux préven-
tions que l'Église nourrissait de tout temps contre les descendantes
d'Eve.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 27

Le traité de Thierry Lingon, docteur en droit, Spéculum Impudica-


rum mulierum, « Miroir de l'impudicité féminine », est une synthèse
parmi d'autres de la constante horreur cléricale vis-à-vis de la fémini-
té :
Mulier siquidem animal imperfectum est : mutabile, mo-
mentosum, levé, variis animi passionibus obligatum : peccati
caput, demonis scutum, celestis regni ejectio delicti alumna, ve-
teris legis exemptio...
Ce sont de véritables litanies misogynes qui se déploient : « La
femme est un animal imparfait, dit Lingon, changeant, volage, léger,
[14] esclave de passions diverses : source du péché, bouclier du dé-
mon, exil du royaume céleste, rejeton du crime, entrave à l'ancienne
loi... » Le théologien s'appuie sur la définition d'Aristote dont l'autori-
té est irréfutable : la femme est un ἃμαρτημα, une « erreur de la Na-
ture ». un homme imparfait, un « monstre » engendré « par accident ».
Synthèse tardive de la misogynie médiévale, véritable condensé de
l'antiféminisme, la Récollection rimée des mauvaises femmes, compi-
lée sous François 1er, est un recueil de tous les proverbes misogynes
dont le Moyen Âge s'était nourri. « Qu'est-ce que femme ? Une beste
imparfaicte » : le poème commence sur le rappel obligé d'Aristote.
Sans foy, san loy, sans craincte, sans constance
Et sans pitié, sans sagesse ou prudence
À partir d'ici, le compilateur est lancé dans une accumulation hy-
perbolique. Il s'agit pour lui de démontrer, ni plus ni moins, que la
femme est « orde et immunde en faict et en nature ».

Les arguments se pressent sous sa plume :


Adam deçeu par femme fut
Et Virgille mocqué en fut ;
David en fit faux jugement.
Salomon triste testament
Puis Absalom en fut pendu
Et Hercules au feu tondu,
La force de Samson ostée.
Et Troyes la Grant en fut bruslée.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 28

Que pourrait-on objecter à de telles évidences, tirées de la Bible et


des Anciens ? Le poème devient un compendium des dictons,
maximes et proverbes qui situent l'image de la femme dans l'opinion
triviale :

— La femme est têtue, obstinée de nature :


Qui asne traisne et femme maine,
Son corps ne sera pas sans peine.

— Avaricieuse et intéressée :
Tant vaut amour comme argent dure ;
Quand argent fault, court l'adventure 3.

[15]
— Cause de déshonneur pour l'homme :
Qui entretien le jeu & femme,
À la parfin se trouve infâme.

— Cause de chagrin également, quoique promettant un fallacieux


plaisir :
De chiens, d'oyseaux, d'armes, d'amours
Pour un plaisir, mille doulours.

— Cause de perte et de damnation :


Qui son cuer met à folle femme,
Il pert avoir & corps et ame.
Et cette kyrielle de proverbes, mis bout à bout, passe la centaine...

3
« Tant que li hom a que doner
Li f'et famé semblant d'aimer ;
Quand elle voit qu'il a petit.
Si n'a cure de son délit. »
(Jubinal. Jongleurs et trouvères, 79).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 29

Cependant, dans les dernières années du XIVe siècle et au début du


XVe, se développe une polémique nourrie, pour et contre le Roman de
la rose de Jean de Meung, cette « bible de la bourgeoisie ». Les argu-
ments échangés préfigurent ceux que nous rencontrerons plus tard.
Christine de Pisan, qui s'inspire de la Louenge et Vertus des nobles
et cleres dames de Boccace, donne son Épistre au dieu d'amour
(1399) où elle prend la défense de son sexe calomnié. Le poème se
présente sous la forme d'une requête adressée à « Cupido » contre les
hommes déloyaux et malvaillants, notamment « Jehan de Meun ou
Romant de la Rose » : « Car nature de femme est débonnaire / Moult
piteuse, paourouse et doubtable / Humble, doulce, coye et moult cha-
ritable / Amiable, dévote,... » (v. 672-675). D'où une quinzaine de
textes en sa faveur ou venant à la rescousse de Jean de Meung. Jean le
Fèvre de Resson. traducteur du Matheolus (1373), fait amende hono-
rable dans son Rebours de Matheolus, ou Livre de liesse ; Jean Ger-
son, chancelier de Paris, donne sa Vision, puis son Traité contre le
Romant de la Rose. Il s'agit moins pour lui, il est vrai, de défendre
l'honneur des dames que de reprocher à Jean de Meung des manque-
ments à la chasteté et à la charité, de l'accuser en fait d'irréligion. Le
maréchal Boucicaut montre son appui à Christine en fondant un ordre
de chevalerie voué à la défense des Dames, « l'écu vert à la dame
blanche » (1400). Cette querelle littéraire et morale qui agite pendant
une dizaine d'années les milieux auliques atteint son acmé en 1401. Il
faut encore mentionner le Trésor de la Cité des Dames (1404) où
Christine de Pisan présente un exposé des règles de vie pour les prin-
cesses et dames de haut parage. Certains arguments généraux quant à
l'excellence intrinsèque des femmes y apparaissent nécessairement. La
querelle s'apaise peu à peu.
[16]
Quarante ans plus tard, cependant. Martin Le Franc va composer le
Champion des Dames que nous prendrons pour limite de notre étude
chronologique.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 30

2. Martin Le Franc, 1442


(imprimé en 1485)

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Le premier ouvrage qui soit essentiellement consacré à affirmer la


supériorité des femmes, c'est le Champion des Dames de Martin Le
Franc 4, « prévôt de Lausanne, ancien secrétaire du pape Nicolas V ».
Cet ouvrage diffère cependant de tous ceux qui vont suivre en ceci
qu'il n'est pas un « essai » en prose, une dissertation, mais bien un ro-
man allégorique versifié, récit où les données narratives sont du reste
réduites à leur plus simple expression et qui ne fait que dissimuler une
argumentation, matière par matière et thème par thème, avec réfuta-
tion des thèses misogynes.
Ce vaste poème de vingt-cinq mille vers fut composé entre 1440 et
1442. Martin Le Franc, un des poètes qui dominent le XV siècle dans
la poésie de cour, répond expressément à la seconde partie du Roman
de la Rose.
L'ouvrage de Le Franc fut publié en in-folio gothique à Lyon, vers
1485. L'imprimerie, apparue à Mayence vers 1460, commence à Paris
en 1472 ; le Champion des Dames est dès lors un des premiers livres
imprimés en France ; son succès est à la mesure de la querelle qui re-
prend vigueur. Il sera réédité, notamment par Galliot du Pré à Paris en
1530, en même temps que paraît la première traduction française de
Cornélius Agrippa.
Bien-Disant est le Champion des Dames ; Malebouche est le porte-
parole de Jean de Meung et de sa séquelle ; Bien-Disant affronte en un
tournoi d'éloquence Malebouche, qui a cruellement traité les femmes,
et il remporte évidemment l'avantage. Il rentre victorieux au château
d'Amour défendu par Franc-Vouloir. On trouve déjà dans ce long
poème octosyllabe la liste érudite de toutes les femmes qui ont laissé
leur nom dans l'histoire pour leur chasteté, leur honnêteté, leur pré-
voyance, leur constance, leur héroïsme guerrier, leur sagesse, leur
vaillance... Ces listes constituent le fond de l'argumentation.
4
Voir : Martin Le Franc, prévôt de Lausanne, Lausanne, s.é., 1888. un vol.
in-12 ; A. Campaux, la Querelle des femmes au XVe siècle, Paris, 1865, in-
8°, 41 p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 31

[17]

3. Rodrigue de la Chambre,
traduit par F. de Lucenne vers 1490

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On publie à Paris, vers la fin du XV e siècle, la traduction d'un ou-


vrage espagnol du troubadour Rodrigue de la Cámara, ou de la
Chambre, le Triomphe des Femmes, Triunfo de las Doñas, rédigé à
Madrid vers 1440 : « ... ouquel détermine par cinquante raisons que la
femme est de plus noble et de plus grant excellence que n'est
l'homme » (f° 3, r°). C'est en effet une liste numérotée et longuement
détaillée de cinquante raisons, ni plus ni moins, qui attestent à tous
égards de la supériorité des femmes.
Il y a d'abord, en hors-d'œuvre, quatre raisons « naturelles » :
Car pour quatre naturelles raisons plus grant affection se doit
porter à la femme que al'homme. La première est que de toute
raisonnable créature la femme est naturellement plus aymée que
nul autre de sa mère. La seconde pour estre plus certaine de la
naturelle affinité. La tierce pour avoir d'elle plus grant part en la
génération. La quatre est pour avoir esté plus travaillée en sa
nourriture.
Puis vient l'exorde au lecteur :
Par certaines divines & humaines, vrayes et non fainctes rai-
sons, te monstreray comme grande soit l'excellence des dames
sur les hommes, desquelles en somme diray aucunes, sans
nulles alléguer de femme, affin que mon parler en tout soit hors
de suspection.
L'ordre suivi par Rodrigue de la Chambre ne laisse pas d'étonner ;
le plan général n'apparaît pas d'emblée, mais chaque argument conclut
en son domaine en faveur des femmes. Les premières raisons re-
montent à la création et au Paradis terrestre :
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 32

(I.) La première raison est que pour avoir esté après toutes choses
crées, comme les créatures moins nobles ayant esté première-
ment faictes et les plus nobles dernièrement. (P 6,r°).
(II.) La seconde est qu'elle a esté dedans le paradis formée en la
compaignie des anges.
(III.)La IIIe, elle a esté de chair vérifiée purifiée, non pas de la va-
peur de terre dequoy l'homme & les autres animaux furent
créés.
(IV.) La IIIIe est que elle est créée du melleu de l'homme &
non pas de ses extrémités. (Entendre : faite d'une côte et non
pas d'un pied, par exemple.)

Après quoi, on passe à des motifs plus généraux : la femme est


plus belle (Ve raison) et notamment, elle n'a pas de barbe, cette barbe
qui, [18] chez l'homme est comme une mauvaise herbe, souvenir fâ-
cheux du limon terrestre dont il fut pétri. Elle est plus « nette », plus
propre (VIe raison). C'est ici qu'il suffit de faire l'expérience de Veau :
si une femme s'y lave les mains, à la deuxième reprise, l'eau du bassin
reste transparente. Pour l'homme, il n'en est rien ; plus il se lave, plus
l'eau devient sale. Cet « argument » paraît si expérimentalement attes-
té que l'auteur s'y étend complaisamment. Ce qui est plus curieux,
c'est que, transmis par la tradition, nous allons le retrouver inlassable-
ment repris par nos théoriciens de la supériorité féminine jusqu'au
XVIIIe siècle.
La femme a la force du cœur, si elle n'a pas la force physique.
L'être femelle est aussi plus sensible, à deux exceptions près : « Je
nomme que toutes créatures sensibles de nature féminine sont plus pi-
teuses de toutes les autres, excepté l'ourse et léoparde. » Quant aux
femmes elles-mêmes, leur douceur apaise les bêtes féroces : « La
XXXVIIIe raison est pource que les bestes plus fières contredient à
l'homme & portent révérence à la femme. Comme il appert par le
Lyon, qui est chose vulguée par le maistre des propriétez de la beste,
qui des venimeuses eaux fait aux autres crédence contredit à l'homme
et à la femme se humilie et, en rechinent ou giron d'elle sa teste, prent
le doux somme... »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 33

Le plus grand nombre d'arguments tourne autour de l'idée que la


femme est plus chaste, plus pudique que l'homme. Évidemment, cette
idée sera exploitée jusqu'au XIXe siècle. On trouvera même des traités
de médecine d'il y a cent ans (sinon d'aujourd'hui !) qui cherchent des
raisons physiologiques à ce phénomène. Progressivement, la thèse
sera contrecarrée ou aménagée dans les écrits que nous examinons :
une valorisation intrinsèque du plaisir sexuel fera considérer la femme
comme plus « naturellement » sensuelle que l'homme, ce qui, à la ri-
gueur, pourra se combiner à l'idée qu'elle reste néanmoins plus chaste,
n'y ayant que plus de mérite.
Au XVe siècle, on n'en est pas là. La pudeur de la femme est.
comme on dira encore à l'époque romantique, « son plus bel orne-
ment » : « Et ceste est la raison pour quoy les femmes a grant peine se
laissent regarder les parties secrettes. Et les hommes font du contraire
& se monstrent tous nudz sans nulle honteuse couleur. » Du reste, la
nature l'a voulu ainsi : « À la femme ne se peult regarder aucunes de
ses parties secrètes. »
Ces naïves précisions seront évidemment esquivées ou voilées par
les idéologues du siècle classique : « Secondement est plus honneste
de tant que ses cheveux naturellement peuvent tant croistre que hon-
nestement [19] pourroient couvrir les parties deshonnestes, laquelle
chose na point voulu octroyer à l'homme qui les sciens ne permet
point tant à croistre. »
Enfin, la position même de l'homme et de la femme dans le
congrès sexuel, position « classique » tenue évidemment par La
Chambre pour seule tolérable, est preuve de la supériorité de la
femme, en ceci même que c'est, sans jeu de mot, une position infé-
rieure : « Elle est aussi naturellement plus honneste pour ce que, au
fait de l'engendrer — qui est œuvre de tout le moins honneste — elle
est en semblance efforcée et plus fort que l'homme. Car la femme tend
sa veue vers le ciel selon la propriété de l'animal raisonnable et
l'homme regarde les choses basses selon la propriété des Bestes. » Eh
oui, la femme, au déduit, contemple le ciel, selon Rodrigue de la
Chambre et aussi, elle est « en apparence » contrainte à l'acte.
La plupart des autres arguments sont empruntés aux Écritures. Il
s'agit, pour lui et ses successeurs, d'interpréter à leur avantage les pas-
sages bibliques les moins susceptibles en apparence d'être utilisés ici.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 34

Ainsi la « faute » d'Ève prouve encore sa supériorité : « L'onziesme


raison si est pour avoir esté premièrement tentée comme le serpent en-
vyeux de sa gloire selon que dit Saint Bernard, veue sa merveilleuse
beauté. » Et même le fait que Notre-Seigneur se soit incarné en forme
d'homme : « Nostre Seigneur ne voulut point naistre en semblance de
femme, affin que les femmes ne fussent point obligées à la peine &
coulpe de l'homme. » Voilà qui est bien spécieux : les femmes se-
raient-elles exemptes du péché originel ? Du reste, l'argument qui sert
dans un sens, peut coexister avec un lieu commun exactement
contraire : « L'Antéchrist sera un homme, qui est chose abhominable
quant à nous. »
Ainsi au milieu du XVe siècle, avec Le Franc et Rodrigue de la
Chambre, le plan d'ensemble du Panégyrique des femmes est fixé,
ainsi que la stratégie paradoxale de son argumentation. Au XVIe
siècle, des esprits plus audacieux vont en élargir la thématique, tout en
pillant les exemples et les arguments déjà allégués ; ils se risqueront
vers des conclusions plus hétérodoxes, autant en matière de religion
que de morale sociale.
*
* *
[20]

4. Le XVIe siècle, généralités

Retour à la table des matières

Il était significatif de voir naître le genre de la dissertation sur la


supériorité féminine peu avant l'introduction de l'imprimerie. Le déve-
loppement de celle-ci au XVIe siècle va en parallèle avec la multipli-
cation des panégyriques féministes. Il y a lieu de soupçonner que
notre type discursif devient très vite, pour les grands imprimeurs de
Paris et de la province, une « affaire sûre » au plan strictement com-
mercial — autant que l'est d'ailleurs la satire misogyne qui continue sa
carrière. On en jugerait par la fréquence des rééditions de Martin Le
Franc ou de Cornélius Agrippa à qui nous allons en venir. Une autre
raison tout aussi matérielle, mais significative des mœurs, qui ex-
plique la profusion des discours apologiques, se trahit par le choix des
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 35

dédicataires de ces textes ; le philosophe gentilhomme, le pédant de


collège ou l'humaniste errant cherchent à plaire à des protectrices de
haut parage, Anne de Bretagne, Anne de France, Marguerite de Na-
varre, Louise de Savoie, Marguerite de Savoie ... C'est pour Anne de
Bretagne dont il est le secrétaire que, vers 1500, Jean Marot, versifica-
teur plat mais zélé, écrit son Vray Disant, advocate des Dames. C'est
réfugié à la cour de Marguerite d'Autriche qu'en 1509, Cornélius
Agrippa rédige son essai, De Nobilitate et Praecellentia foeminei
sexus...
Parmi toutes ces princesses humanistes, dominera bientôt la figure
de Marguerite de Navarre qui, réunissant autour d'elle et de son idéal
de libération spirituelle et de raffinement aulique tout ce qui compte
dans la République des lettres, va exercer sur son époque une in-
fluence de premier plan.
Les dédicaces empressées témoignent du rôle éminent joué par les
femmes dans les transformations des mœurs aristocratiques, phéno-
mène essentiel sur lequel de nombreux ouvrages ont insisté (Maulde
la Clavière, Ruth Kelso).
Ces motifs immédiats ne font que s'ajouter à ce qui caractérise l'es-
prit du siècle : l'apologie de la femme, si elle ne naît pas dans le
bouillonnement d'idées, de systèmes, de paradoxes qui caractérise
l'époque, reçoit une impulsion considérable de cette dynamique so-
ciale et intellectuelle. Au XVIe siècle, écrit P. Barrière, « les idées ne
cessent de se présenter sous la forme dramatique, jeu ou combat. Par
suite ne devons-nous pas nous étonner du nombre et de l'importance
des œuvres qui tendent à organiser la conversation ou le débat d'idée...
dialogues ou pamphlets, correspondances qui ne sont que des conver-
sations à distance, jeux de salon... » (la Vie intellectuelle en France,
Albin-Michel. 1974, p. 25).
[21]
On a parfois voulu attribuer à l'influence italienne un rôle décisif
dans le développement du genre. Certes les apologistes, qui déjà pui-
saient chez Boccace certains de leurs arguments, ont tiré parti du re-
nouveau néo-platonicien. Le ficinisme s'inscrit cependant dans une
problématique intellectuelle peu compatible avec notre courant : la
théorie des deux amours, de la « pulchritudo spiritualis » s'adapte mal
à la thèse « totalitaire » de la supériorité féminine ; la mystique char-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 36

nelle d'Agrippa est aux antipodes du spiritualisme de Ficin (1433 —


1499) et de ses disciples français. Les Dialogues d'amour de Léon Hé-
breu apportaient cependant une forme vulgarisée de la théologie plato-
nicienne dont certains échos se rencontrent dans nos textes.
Les humanistes lyonnais, dont Symphorien Champier, l'auteur de
la Nef des Dames vertueuses (1503), ne se rangent pas parmi les fémi-
nistes. L'austère apologie de l'amour platonicien chez Champier, sa
condamnation de la « concupiscence charnelle » ne sauraient le
conduire à proclamer la supériorité d'un sexe sur l'autre. Rien d'essen-
tiel ne rapproche ce courant du nôtre, ce que confirme M. Wadsworth,
dans son analyse du Livre de vraye Amour (Champier, 132, Bibliogra-
phie IB). On trouvera cependant certains discours ou dialogues ita-
liens très ficiniens qui tendent à proclamer la supériorité des femmes.
Voir à ce propos : G. Zonta, Trattati del Cinquecento sulla donna (Bi-
bliographie II).
La source d'inspiration en Italie remonte en général jusqu'au De
Claris Mulieribus de Boccace, écrit à la cour de Naples. Il faudrait ci-
ter — en réponse à un grand nombre de Malizia délie Donne — les
écrits du cardinal Pompeo Colanna, de Girolamo Ruscelli (1552), Mo-
derata Fonte (1592), Laurence Marinella (1601). Ces ouvrages,
comme les nôtres, se donnent pour mission de démontrer « con invin-
cibili ragioni » (Marinella, p. 46) la primauté des femmes. Le ton pla-
tonicien, l'usage fréquent du dialogue, les références à l'Arioste, au
Tasse, à Bembo, créent une « atmosphère » assez différente de celle
que nous trouvons en France.
*
* *
Le rythme d'apparition des textes qui nous occupent atteint son ac-
mè aux alentours de 1541 — 1555, c'est-à-dire de ce qu'on a nommé
la seconde Querelle des femmes — si on place la première à l'époque
de Christine de Pisan. Tous les textes de cette Querelle n'appar-
tiennent pas nécessairement à notre tradition. On rencontre justement
en ce [22] point de convergence, des idéologues comme Fontaine et
Héroët qui cherchent à concilier, contre les misogynes, l'austère spiri-
tualisme fici-nien et la mystique féministe d'Agrippa.
Au milieu du XVIe siècle, également, paraissent les ouvrages fémi-
nistes de Guillaume Postel, esprit encyclopédique et syncrétiste, le
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 37

plus proche en France de ce qu'avait été Pic de la Mirandole ; ils re-


présentent une version mystique extrême de la thèse des partisans des
femmes.
Mais si le siècle voit apparaître, à côté des négateurs du géocen-
trisme de Galilée à Bruno, de grands négateurs du « phallocen-
trisme », il voit également l'idéologie de la supériorité féminine se
transformer en un genre littéraire qui se prête à toutes les afféteries et
à de brillants paradoxes.
Après 1555, la fréquence de nos textes décroît un peu. Les guerres
de Religion, la Ligue : l'atmosphère a changé et se prête mal à ces
courtois débats. On ne peut parler pourtant d'une éclipse du genre :
c'est plutôt malgré tout sa continuité, sa réactivation régulière qui re-
tiennent l'attention.

5. Misogynes du XVIe siècle

Retour à la table des matières

Avant d'aborder les panégyristes du XVIe siècle et d'abord Corné-


lius Agrippa, transition très claire entre l'esprit médiéval et celui de la
Renaissance, il nous faut tracer un rapide panorama de la misogynie
de ce siècle, misogynie qui ne désarme certes pas. Les ouvrages que
nous allons analyser ne s'expliquent qu'en fonction de vagues succes-
sives d'attaques antiféministes auxquelles ils font face.
Les misogynes du XVIe siècle exploitent un fonds classique de gri-
voiseries proverbiales et d'arguments tirés des Anciens et des Pères.
Ils n'ont vraiment qu'à puiser dans une masse d'ouvrages qui font au-
torité. Ils sentent bien qu'ils ont pour eux la pérennité d'une attitude
séculaire : « Fama malum, Famés pejus, Femina pessimum 5. » Eve
est la première incarnation catastrophique de la malice féminine et
Pandore en est l'équivalent dans la Fable des païens. Les arguments
contre les femmes épuisent la liste des péchés capitaux. L'autorité de
la Bible couvre les brocards les plus injurieux.

5
Cf. l'adage : « Homo homini lupus, Mulier mulieri lupior, Clericus clerico
lupissimus. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 38

[23]
La femme, belle et insensée, est comme un anneau d'or au groin
d'une truie, dit Salomon, « circulus aureus in naribus suis » (Prov.
XI, 22). Sa beauté est trompeuse : « fallax gratia et vana pulchritu-
do ». La pire de ces propositions, interprétée de toute évidence à
contresens mais répétée jusqu'à la nausée dans tous les textes hostiles
et contre-argumentée parfois subtilement chez les apologistes, se
trouve dans l'Ecclésiaste : « L'iniquité d'un homme vaut mieux qu'une
femme bienfaisante. » (XLII, 4). La soumission de la femme à
l'homme — difficile, certes, à obtenir — est pourtant justifiée par les
Pères de l'Église : « Maritum habere dominum meruit mulieris non
natura sed culpa. » (Augustin, De Gènes, ad litt., 11, 37).
« Optima femina rarior Phoenice », dit Jérôme : Une femme
bonne est plus rare que le Phénix. La femme est l'organe du diable,
écrit saint Bernard. Elle a, pour saint Grégoire, le venin de l'aspic et la
malice du dragon. Chez les latins, Caton et ses sentences, la satire VI
de Juvenal, Mulieres, fournissent des citations innombrables ; Aristote
a soutenu que la nature ne formait des femmes que si, à cause de
quelque imperfection matérielle, elle ne pouvait parvenir à produire
un être humain normal et parfait, à savoir un homme.
Balthazar Castiglione avait repris, comme tout le monde, cette
thèse au livre III du Cortegiano :
Quando nasce una Donna, e diffetto o error délia natura [...]
corne si vide ancor d'uno che nasce cieco, zoppo [...] cosi la
Donna si puo dire Animal pro dut to a forte e per caso.
Et c'est encore cette thèse du Stagirite qui, développée par Rabe-
lais, le fera accuser de misogynie.
Jean de Névizan, dont la Sylva Nuptialis (1521) est rééditée
maintes fois au XVIe siècle, écrit : « In mulieres, Deus bene fecit ma-
millas, ventrem et alia quae sunt dulcia et amicabilia sed de capite
noluit se impedire, sed permisit illud facere Daemoni. »
Faute de pouvoir faire un relevé complet de la vaste production mi-
sogyne du XVIe siècle, nous n'examinerons que les trois textes dont
l'importance idéologique est la plus considérable et dont le retentisse-
ment fut le plus durable : les Controverses de Drusac (1534), l'ano-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 39

nyme Louenge des Femmes (1551) et la Disputatio de Valens Acida-


lius, à la fin du siècle (1595).
Le plus notoire des antiféministes dans la première moitié du XVI e
siècle, fut le Toulousain Gratien du Pont de Drusac, avec son Livre
[24] des controverses (1534). Il est conscient du fait nouveau qu'il y a
désormais des partisans de l'excellence des femmes et qu'il est temps
de reprendre le problème en main et de revenir au bon sens. Il com-
mence - c'est classique - par une « Épistre aulx Dames » pour dire
qu'il ne s'attaque pas aux chastes et aux honnêtes. Pure clause de
style : en peut-il y avoir ? Son gros ouvrage est tout entier en vers,
plein de prouesses : sonnets, virelais, ballades à double équivoque,
vers en écho, anagrammes, logogryphes. Tous les genres, tous les
styles lui servent, de la dissertation savante à l'épigramme ; il y a
même au milieu de l'ouvrage, par manière de délassement, un échi-
quier antiféministe (nous ne dirons pas un jeu de dames !) (f° 54,v°).
Il a lu la Sylva Nuptialis et s'en sert abondamment.
La preuve de la supériorité de l'homme est partout, elle est voulue
par Dieu : « Dieu ne créa aulcunnes angelesses » ; pas de femmes aux
cieux, on le verra (f°12,v°). Et sur terre, elles sont exclues des plus
nobles offices, dont la fonction cléricale : « Les sacrez ordres femmes
ne peuvent prendre » (f°14,r°). Mais pourquoi y a-t-il donc des
femmes sur terre ? C'est en punition de nos péchés : « Pour en ce
monde toutz hommes tourmanter » (f°13,r°).
Dès lors, il n'est pire sottise que de se marier :
Qui se marie, il se faict attacher,
Si fort que puys ne se peult destacher (96,r°).
D'ailleurs mariage égale cocuage :
Quand jeune fille, dist-il, épouseras
Bien tost après plusieurs cornes auras (101,r°).
Mais qu'on épouse une jeune, une vieille, une belle, une laide, une
grosse, une maigre, une riche, une pauvre, il démontre que toujours le
résultat sera fâcheux. La femme est malfaisante, ivrognesse, ba-
billarde, paresseuse et paillarde :
Car chaste femme est celle seulement
Qui n'est priée... (143,v°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 40

Surtout, qu'on se garde de donner aux filles la moindre instruction,


elles ont trop naturellement « le cuer à mal faire incité » (107,v°).
Drusac prouve, pour conclure, que la femme ne connaîtra pas le
Royaume des cieux, étant nécessairement absente à la résurrection.
On sait qu'elle provient, comme le dira Bossuet, d'un « os surnumé-
raire ».
[25]
Or. à la fin des temps, Adam reprendra son « os ». Eve s'évanouit.
Et, avec elle, toutes les femmes qui procèdent d'elle : CQFD 6.
*
* *
Nous rappellerons plus loin la vive polémique qui va opposer pen-
dant une dizaine d'années, après 1541, misogynes et partisans platoni-
ciens des femmes et défenseurs du Noble Amour, protégés par Mar-
guerite d'Angoulême. Cette polémique, la Querelle des femmes, n'est
cependant à nos yeux qu'un moment fort d'une querelle qui perdure
pendant quatre siècles et constitue selon nous le noyau idéologique
des débats de la classe privilégiée sous l'Ancien Régime.
Bertrand de la Borderie qui la déclenche, ne saurait être considéré
comme un pur et simple misogyne ; l’Amve de Court défend plutôt
une morale courtisane et libertine qui à divers égards appelle et re-
quiert une libération sociale de la femme. Mais l'« immoralité » de ses
thèses suscite des répliques indignées de divers poètes-philosophes
imbus de ficinisme et de traditions courtoises. Parmi les participants à
la Querelle, interviennent divers misogynes à l'inspiration plus « clas-
siquement » dénigrante, au premier rang desquels on nommera Fran-
çois Rabelais au Tiers Livre. Nous examinerons le plus violent de ces
pamphlets gynophobes, directement inspiré de Rabelais d'ailleurs, la
Louënge des Femmes (titre démarqué ironiquement de celui du cour-
tois Jean du Pont-Alais, 1521).
6
La Bonté et mauvaistié des femmes de Jean de Marconville (1556) s'inscrit
dans le droit fil de la tradition polémique illustrée par Drusac. Il faut noter
cependant que le doxographe a composé ici un ouvrage à deux faces,
comme l'était le Débat d'Alexis, une partie étant consacrée à la « Bonté »
des femmes.
Les références complètes de cette section sont à chercher dans la Biblio-
graphie I C.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 41

La Louënge des femmes (1551) prétend s'inspirer du commentaire


de Pantagruel sur l'Androgyne de Platon. On l'a attribuée à Jean de
Tournes et récemment à Thomas Sébillet 7. L'auteur reprend ce que dit
Rabelais au Tiers Livre, XXXII, « Platon doute en quel reng il doive
colloquer les femmes, ou des Animants raisonnables, ou des bestes
brutes. » (p.3).
[26]
C'est, en effet que les misogynes ont décidé de se déplacer sur le
terrain de leurs adversaires platonisants : est-il bien certain que Platon
soit un allié très sûr des partisans des dames ?
Le texte est une suite d'invectives :
Femme de qui les cheveux blonds
Soient troussez court ou pendant longs
Servent à l'amoureuse ruse
Comme les serpents à Méduse... (10)
L'obscénité la plus crue s'y donne libre cours :
Femme, qui, pour un trou puant
Tousjours ord, baveux & suant
Faits plus de braves & de mines
Qu'un Orfèvre pour pierres fines ;
Femme de qui le cul osté
Avec un petit de beauté
Le demeurant ne sert à rien
Qu'à priver l'homme de tout bien.. .

C'est bien l'horreur du sexe féminin qui s'exprime avec une vio-
lence névrotique. La condamnation du mariage est évidemment abso-
lue. On n'en attendra que souci, misère, ennui, charge, douleur, nui-
sance. Si la femme est belle, vous serez cocu ; si elle est laide, elle
vous déprimera. Et toujours ce seront fâcheries et chicanes.

7
C'est, dit L. Sainéan, un essai de conciliation de Pantagruel et de la Par-
faicte Amye d'Heroët (1542). Il y a sans doute confusion avec un autre ou-
vrage. F. de Billon (1553) confond ces invectives avec la Louënge des
Dames de Jean du Pont-Alais. La Louënge de 1551 fut réimprimée en 1863 :
Bruxelles, Mertens ; notice de G. Brunet.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 42

*
* *

Valens Acidalius

Dans les temps mérovingiens, au concile de Mâcon (485) —


comme le rapporte Grégoire de Tours — les évêques assemblés
avaient gravement disputé du point de savoir si les femmes ont une
âme : « ... excitit (?) enim in hoc synodo quidam ex episcopis qui dice-
bat mulierem non hominem posse vocitari. » Le concile ne se décida
en faveur des femmes qu'à une faible majorité.
Valens Acidalius, reprenant ce thème extrémiste, publia en 1595 à
Leipzig une dissertation promise à un curieux succès, la Disputatio
perjocunda qua anonymus probare nititur mulieres homines non esse.
Cet ouvrage est en réalité une habile supercherie. L'érudit germanique
avait voulu produire un pamphlet antisocinien, un traité badin contre
ceux des théologiens qui abusent dans leurs exégèses de citations bi-
bliques. Il voulait prouver qu'à force d'habileté, on pouvait tout prou-
ver [27] même la thèse la plus absurde, à savoir que les femmes ne se-
raient pas de l'espèce humaine, et que ceci serait démontré en cent en-
droits dans les livres sacrés.
Le malheur est que la parodie était trop habile. Réellement
convaincante pour certains esprits, elle déployait une solide érudition
et fut prise au sérieux. Aussitôt un moine, nommé Simon Geddic ou
Geddicus, pesant, lourd et absurde, s'efforça de lui opposer une réfuta-
tion 8. Les misogynes du temps y trouvèrent d'admirables arguments
auxquels ils ne songeaient pas. Nous avons examiné la traduction pu-
bliée à Cracovie censément — à Paris en fait — en 1766 (déjà traduite
à Amsterdam en 1754). C'est malheureusement, plus qu'une traduc-
tion, une modernisation. Mise au goût du jour, la thèse d'Acidalius est
utilisée par l'adaptateur contre les métaphysiciens du temps.
L'auteur de la Disputatio se propose de démontrer tout uniment :
« Que les femmes ne sont point des créatures de l'ordre des hommes
& par une conséquence nécessaire que Jésus-Christ n'est point mort
pour elles, & qu'elles n'ont point de part au salut éternel. » (Art. I). Il
8
Defensio Sexus muliebris, Leipzig, 1595.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 43

se servira exclusivement de références scripturaires. Bien des pas-


sages vont sans peine dans le sens de sa démonstration. D'autres sont
plus ardus. Ainsi, l'Éternel, se parlant à lui-même, dit bien dans la Ge-
nèse, en parlant d'Adam : « Faisons-lui un aide qui soit simile sibi. »
On traduit d'ordinaire « semblable à lui » ; il vaudrait mieux dire
« convenable pour lui » : il ne s'ensuit pas que la femme soit humaine.
Du reste, en prenant l'interprétation la plus favorable, l'homme fait à
l'image de Dieu, n'est pas Dieu ; dès lors, la femme, faite à la sem-
blance de l'homme, n'est pas homme.
La femme n'est qu'un animal utile à la génération : « C'est pour-
quoi pour faciliter la génération des hommes, Dieu n'a pas voulu don-
ner à Adam des moyens difficiles : il ne lui a pas donné un animal
quadrupède, mais un animal plus convenable [simile] & qui lui res-
semble dans sa structure. » Aristote confirme la Genèse. L'homme est
la cause dynamique de la génération, la femme la cause « instrumen-
tale ». Elle n'est bonne à ce titre qu'à la propagation du genre humain.
C'est l'opinion de bien des Pères, à commencer par Augustin (De
gènes, liv. 9) et Chrysostome.
Il est bien dit qu'elle est faite à l'image de Dieu. Certes. Mais cela
reste ambigu ; car Paul dit aussi : « L'homme est l'image et la gloire
[28] de Dieu, mais la femme est la gloire de l'homme. » De nombreux
commentateurs en déduisent que la femme n'est pas faite à l'image de
Dieu, ou qu'elle ne l'est qu'indirectement. Ainsi, ajoute l'adaptateur du
XVIIIe siècle, « l'homme sauvage » de Bornéo (comprenons : l'orang-
outang) est-il un « homme » ? Non ! de même pour la femme. Il est
dit : « Dieu les créa mâle et femelle ». soit, mais il n'est pas dit par là
qu'il les a créés de la même espèce.
Dans les Évangiles, les arguments favorables à la thèse foisonnent.
Jésus ne dit-il pas à sa mère : « Quid mihi et tibi est, mater ? » (Jo-
han., II). La conclusion s'impose, peut-être agréable, somme toute :
« Incapables par leur état d'offenser la Divinité, elles sont aussi à l'abri
de la perdition éternelle. » (Éd. 1756, p.49). Pris au sérieux une fois de
plus, le Paradoxe de 1756 suscita une réfutation due à la plume indi-
gnée de Madame Doyen. On excusera cette digression, un peu en
marge du sujet traité, mais dont la bizarrerie justifie l'exposé 9.
9
Max Funke, en Allemagne, au XXe siècle, a encore soutenu que les femmes
ne sont pas de l'espèce humaine. On verra encore, au XVIe siècle, Horatio
Plata, « Che le donne non siano della specie degli Uomini, discorso piace-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 44

6. Cornélius Agrippa, 1509

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Avec Cornélius Agrippa de Nettesheim, nous rencontrons le pre-


mier véritable « théoricien » de la supériorité féminine, mais aussi
nous affrontons un de ces esprits universels du XVI e siècle, mi-érudit,
mi-aventurier, personnalité singulière, très en marge de la société à di-
vers égards, frotté d'alchimie, de kabbale, savant en numérologie, en
pharmacopée ; il y a en effet un lien constant, d'Agrippa à Charles
Fourier, entre l'apologie du sexe féminin et des formes de spéculation
utopique pratiquant ce que Fourier nommait admirablement l'« écart
absolu ».
C'est lui que Rabelais dépeint au Tiers Livre, ch. XXV, sous le
nom d'Her Trippa : « Icy, près l'Isle Bouchart, demeure Her Trippa
(dist Épistemon) ; vous sçavez comment par art d'astrologie, géoman-
tie, chiromantie, métopomantie et aultres de pareille farine, il praedict
toutes choses futures. »
Faut-il voir en Cornélius Agrippa un représentant tardif de tradi-
tions marginales ancrées dans le Moyen Âge ou un homme de la Re-
naissance ? Ce point ne saurait être tranché ; il serait vain de chercher
à classer cet homme de transition dont les sources sont médiévales,
chez qui l'influence ficinienne ou italienne en général est encore ab-
sente, [29] mais que son esprit bouillonnant d'idées hétérodoxes et son
audace spéculative situent bien dans le siècle des Idées et face à la gé-
nération des Marot, des Rabelais et des Calvin.
Agrippa écrit à Dôle, où il s'est réfugié à la Cour de Marguerite
d'Autriche, alors comtesse de Bourgogne, en 1509, le traité latin inti-
tulé De Nobilitate & praecellentia foeminei sexus, « De la Noblesse et
supériorité du Sexe féminin ». Né à Cologne en 1486, mort vers 1535.
Cornélius Agrippa a laissé bien d'autres ouvrages. Il écrivit notam-
ment un traité de la vanité du Savoir et divers écrits théologiques, his-
toriques, cabalistiques et moraux.

vole... »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 45

Le succès du traité sur la supériorité des femmes est attesté par les
innombrables éditions et traductions ultérieures, fréquentes jusqu'au
milieu du XVIIIe siècle environ. Pour la traduction française, nous
avons suivi ici celle de J. d'Arnaudin, 1713. Nous en avons signalé
d'antérieures et de postérieures 10. L'ouvrage devait faire scandale.
Agrippa, empêché de le publier par les persécutions qu'il subissait de
la part des moines, ne le fit paraître à Anvers qu'en 1529 (Antverpiae,
M. Hillenius). Galliot du Pré le traduisit et le publia à Paris en 1530.
Vade-mecum des milieux « féministes » autour de Marguerite de Na-
varre, l'ouvrage fut néanmoins attaqué autant par les sorbonicoles ca-
tholiques que par Calvin qui rabroue Agrippa dans son Traité des
Scandales (1550). Il lui reproche surtout l'usage, à vrai dire singulier,
qui est fait des Écritures pour étayer cette thèse paradoxale.
A. Prost ne voit dans cet essai qu'un exercice scolastique attardé,
un jeu subtil qui consiste à défendre une thèse malaisée et étrange 11.
C'est vrai qu'il y la marque de la disputatio médiévale dans son écrit,
mais il y a bien autre chose : un enthousiasme mystique pour la fémi-
nité, une féminité nullement éthérée, mais incarnée dans un corps
mystérieux et attirant. Les arguments d'Agrippa sont ainsi tirés aussi
bien d'Aristote, de l'exégèse très personnelle qu'il fait de la Genèse
que de preuves médicales prises chez Galien. La supériorité charnelle
du corps féminin est décrite en un blason d'un lyrisme baroque. La
bienfaisance et l'usage médical des menstrues et du lait de femme
comme panacées [30] pour toutes maladies et comme moyens d'éloi-
gner les maléfices sont longuement exposés autant que les arguments
tirés du fait que, par exemple, les noms des vertus en latin sont du
genre féminin.
Emile Telle n'aperçoit dans cet ouvrage qu'une adaptation de Ro-
drigue de la Chambre. Rien de moins exact. Agrippa s'inspire sans
doute de la Camara, mais il y joint une critique biblique des plus auda-
cieuses, des arguments cabalistiques et magicophysiologiques dont
nous venons de citer quelques exemples et qui lui sont propres. La

10
On relèvera également, dès le XVIe siècle, une traduction anglaise : « The
Commendation of Matrimony, translated into englische by David Clapam ;
Londini, T. Berthelus, 1545 ; un vol. in-8° ».
11
Cf. Bayle, Dictionnaire, I, p. 152. C'est ce que prétend également L.
Guillerm-Curutchet. Bibliographie II, p. 128, qui aperçoit mal du reste la
tradition dont nous parlons.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 46

femme est dotée de puissances mystérieuses, son rôle dans l'engendre-


ment conduit Agrippa à soutenir la thèse de la parthénogenèse. Elle
est pourvue de dons naturels de thaumaturgie. C'est déjà la « Sor-
cière » de Michelet.
« Grand magicien », dit le Dictionnaire de Bayle, Agrippa passait
pour avoir étudié toutes les sciences, embrassé tous les états, parcouru
tous les pays. « On ne peut nier que ce ne fut un très grand esprit et
qu'il n'eut la connaissance d'une infinité de choses et de plusieurs
langues. » Cette érudition universelle se déploie dans l'ouvrage que
nous examinons. Elle n'est pas sans faiblesses ni bizarreries. Agressif,
mordant, d'esprit bouillant mais peu mesuré, Agrippa est dans toute
son œuvre paradoxal et contradictoire, hétérodoxe par nature. D'em-
blée, il proclame sa thèse : « Il y a des preuves certaines de l'excel-
lence de la Femme au dessus de l'homme. » (1713, p.4).
Cette excellence est appuyée sur une égalité spirituelle qu'Agrippa
énonce en des termes très proches de l'esprit du XVIII e siècle :
« Toute la différence qui se trouve entre l'Homme et la Femme est
seulement du côté du corps [...]. Tous les deux ont reçu une âme abso-
lument semblable et d'égale condition. » (1713, p.2).
Dieu a donné à l'homme et à la femme la même promesse d'éterni-
té, ajoute-t-il. La condition inférieure de la femme est due aux préju-
gés et à l'injustice des hommes : « L'État où est la Femme aujourd'hui
est par usurpation de ses droits. » (1713, XXVIII).
Nous réservons pour la seconde partie de cet ouvrage l'analyse sys-
tématique des thèmes et des arguments abordés et l'étude de leurs mu-
tations de génération en génération. Agrippa fixe pour longtemps le
plan à suivre : preuves théologiques tirées de la Genèse et preuves
scripturaires, preuves naturelles, physiques, physiologiques et psycho-
logiques, tirées des autorités antiques et de l'« observation », listes de
femmes illustres ayant excellé dans différents domaines où, à côté de
Judith, d'Esther et de Sémiramis, Agrippa fait figurer l'éloge de
Jeanne, [31] la pucelle d'Orléans. Jeanne d'Arc joue en effet un rôle
important dans la plupart des écrits que nous avons eus sous les yeux.
Elle incarne un « monde à l'envers » au goût de l'utopie médiévale, où
une femme se trouve parée de toutes les vertus viriles sans perdre rien
des supériorités que l'on reconnaît à son sexe. (Nous y reviendrons et
spécialement en abordant la théorie de Guillaume Postel.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 47

Enfin, il faut ajouter les passages de réfutation de la topique miso-


gyne et des conclusions pratiques appelant à une libération de la
condition féminine et annonçant les bienfaits que l'univers pourrait en
espérer.
*
* *
En 1513, André Tiraqueau, ami de Rabelais, avait publié un traité
de droit, De Legibus connubialibus, très défavorable aux femmes, trai-
té fréquemment republié jusqu'au milieu du siècle. Amaury Bouchard
devait engager une polémique contre lui avec son libelle Τἤϛ
γυναικἓιαϛ ϕὑτληϛ (1522). Rabelais s'en souviendra au Tiers Livre,
qui le place, dans la Querelle de 1541, parmi les antiféministes et lui
attirera la riposte peu amène de François de Billon.

7. Jean Bouchet, 1536

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Jean Bouchet, qui signait ses écrits « le Traverseur des Voyes pé-
rilleuses », publie en 1530 les Triumphes de la noble & amoureuse
dame qui, malgré ce titre, proche de ceux de notre tradition, n'est pas
une dissertation à la gloire des femmes mais une sorte de traité de mo-
rale pratique, travesti en roman allégorique et didactique, et versifié.
C'est aussi, accessoirement, un abrégé de médecine de la femme et un
exposé de caractérologie sociale dont l'intérêt est à la mesure de l'ar-
chaïsme. Le triomphe personnel de Jean Bouchet est dans les étymo-
logies érudites et absurdes dont il accompagne tous les termes savants
qu'il emploie.
Le Jugement poétic de l'honneur fémenin, dont le privilège est daté
de l'année 1536, est au contraire dans le fil de notre système discursif :
tous les thèmes et arguments traditionnels y sont repris, avec cette dif-
férence que Bouchet déclare ne pas vouloir préférer l'honneur des
femmes à celui des hommes, mais garder à chaque sexe son ordre et
son domaine. Il suit donc une voie moyenne dans la Querelle qui
s'amorce. On trouvera chez lui un intéressant développement sur
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 48

l'éducation [32] des filles : il s'indigne qu'on veuille leur interdire de


lire des livres en langue vulgaire 12.

8. François Habert, 1541

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La Louënge et haultesse du sexe féminin publiée par François Ha-


bert, « le Banny de Liesse », en 1541 se présente comme une traduc-
tion versifiée de Cornélius Agrippa. Mais il s'agit d'une traduction
libre où le poète ne manque pas de supprimer certains passages, de ra-
jouter des arguments empruntés, il me semble, à Jean Bouchet (1535)
avec aussi des apports personnels.
On y trouve les arguments classiques sur la supériorité d'Eve, vou-
lue par Dieu selon l'interprétation qu'on donne de la Création, les
preuves d'Agrippa tirées de la vertu médicinale des mestrues, les argu-
ments en faveur de la sagesse, la chasteté, la piété naturelles aux
femmes :
La femme est tant accomplie et entière
Quelle n'est poinct subiecte à hérésie (c.IX),
ira-t-il jusqu'à écrire.
Une « preuve de supériorité » très bizarre et qui pourrait bien être
la contribution personnelle de F. Habert au débat, consiste dans l'argu-
mentation par l'inocuité des envies de grossesse :

12
La Louange des dames attribuée au Sieur du Pont-Alais, est un court poème
octosyllabe, plus lyrique que didactique, qui semble en certains passages
versifier les vertus énumérées par Rodrigue de la Chambre (vers 1521). Le
Débat de l'homme et de la femme de frère Guillaume Alexis (texte du xv
siècle, republié en 1520) est un dialogue en vers, où la « Femme » répond
point par point aux arguments misogynes avancés par l'« Homme ».
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 49

Semblablement charbon avallera


Pierres, métaulx, elle digérera
Sans encourir ou péril ou danger (c.VII).
On retrouve François Habert, quelques années plus tard, parmi les
Champions du sexe féminin, dans la « Querelle » de 1541-1550, avec
sa Nouvelle Vénus et son Temple de chasteté.

9. Antoine Héroët
et la « Querelle » de 1541

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En 1541, le Normand Bertrand de la Borderie publie l’Amye de


court, long monologue où il fait défendre par une jeune fille naïve-
ment [33] perverse la nouvelle morale courtisane. Le poème qui s'ins-
pire du Cortegiano, témoigne des changements profonds subis par les
valeurs aristocratiques médiévales et, ambigument, d'une volonté des
femmes d'échapper à la sujétion, fût-ce par le moyen d'une galanterie
légère et cynique et d'une coquetterie dédaigneuse. À cet égard, il re-
prend sous un nouvel éclairage une partie de l'argumentation miso-
gyne traditionnelle.
L'ouvrage va être à l'origine de la « grande » Querelle des femmes,
dont notre exposé cherche à montrer qu'elle n'est qu'un épisode indû-
ment isolé d'un débat idéologique permanent.
Charles Fontaine, dans la Contr'Amye de court (1541), oppose à la
Borderie une réfutation méthodique et austère. La Parfaicte amye
(1542) d'Antoine Héroët de la Maisonneufve, protégé de Marguerite
de Navarre, hausse encore le ton ; inspirée par Pétrarque et Ficin, cette
méditation platonicienne, codification de l'« Honnête amitié » est aus-
si un très beau poème, à la fois didactique et lyrique, qui peut passer
pour une synthèse tardive de l'idéologie courtoise. L'amour partagé,
seul, confère à la femme sa perfection naturelle :
Femme qui est aymée & amoureuse
Oncques ne fut laide ou malicieuse (52, v°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 50

Si l'amour que chante Héroët est amour de la Vertu et non d'une


passagère beauté, il codifie cependant une conception très exigeante
de la relation amoureuse qui n'exclut pas un éloge de la volupté :
Dieu
Voulant ses faictz longuement conserver
Et nous de fin soubdaine préserver
Parmy les fleurs de nostre humanité
Entremesla certaine volupté
Fille d'amour : à laquelle debvons
Savoir bon gré de ce, que nous vivons [...]
Mais volupté dont nostre terre humaine
En nous semant par nature fut pleine,
Une naturel appétit ressuscite
Et d'ung commun instinct tout nous invite
A travailler et à s'esvertuer
Pour les humains croistre et multiplier. (44,v°).

Cet éloge du plaisir sensuel, même si ce plaisir" est justifié par la


propagation de l'espèce, sera refoulé dans les générations qui suivent
ou transposé au contraire dans l'hédonisme baroque des poètes de la
Pléiade. Antoine Héroët, s'il apparaît ainsi à l'origine de la Querelle, et
s'il relaie dans son poème certaines thèses propres aux partisans de la
[34] supériorité des femmes, s'inscrit pourtant dans une autre tradition
discursive qui interfère peu avec le système idéologique qui nous oc-
cupe. Le bruit fait par ce livre va alimenter la Querelle des femmes,
où interviennent encore Rabelais et - du côté des féministes - Charles
Estien-ne, François Habert, Paul Angier et François de Billon.

10. François de Billon, 1553

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À la fin de la deuxième Querelle des femmes, maître François de


Billon leur construit le Fort inexpugnable de l'honneur féminin, d'où
elles résisteront au siège des misogynes et « pantagruélistes » et les
chasseront honteusement.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 51

C'est le plus volumineux et peut-être le plus riche des ouvrages


suscités par cette Querelle. On sait peu de chose sur François de
Billon, gentilhomme dauphinois qui semble avoir connu personnelle-
ment François Rabelais, ayant composé à Rome en 1550 sa louange
des femmes : ils auraient accompagné tous deux Langey dans son am-
bassade de 1547.
Le traité de Billon n'est pas un roman allégorique, mais il reprend
le thème du tournoi entre champions de thèses opposées, et son gros
ouvrage de 260 feuillets in 4° est illustré, en marge, de culs-de-lampe
représentant mousquetades et canonnades qui correspondent dans le
texte aux arguments plus ou moins victorieux qu'il invente. C'est une
somme, dédiée à Catherine de Médicis et autres dames de haut parage,
de tous les arguments pour (et contre) les femmes, accompagnée d'une
apologie de l'état de mariage, très noble et très nécessaire, recomman-
dé par Platon et Aristote et approuvé par Dieu.
Billon est un érudit mais, si le rapprochement est permis, il l'est à
la façon de Montaigne. Ses lectures n'entravent pas son esprit critique
mais plutôt le stimulent. Peut-être est-il cependant trop prisonnier des
catégories aristotéliciennes : ce ne sont que propre, espèce, définition,
essence et accident, cause efficiente et cause naturelle.
Il a beaucoup tiré de Cornélius Agrippa mais aussi puisé chez Avi-
cenne et Averroës des arguments parfois baroques. Malgré un pen-
chant au charabia savant, un certain abandon à l'érudition médicale
hors de propos, c'est un esprit vaste dont le savoir livresque se com-
bine à un sens réel de l'observation des mœurs et à une verve pam-
phlétaire vigoureuse.
[35]
Il se propose de pourfendre les préjugés misogvnes, le « grand
voële de l'opinion du commun » (f°3,r°). Les détracteurs de la femme
« s'efforcent imprimer au cerveau d'autruy la fragilité de tout leur sexe
estre telle que capacité de science & vertu ne s'y puisse trouver » (f°l).
C'est d'emblée au Stagirite lui-même qu'il se trouve confronté : « La
Femme, dit Aristote, est un Masle occasionné. C'est à dire Imperfait &
superflu à la nature masculine, comme passif et sans action de soy »
(f°4,v°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 52

Il s'agira de prouver, contre Aristote et avec Cornélius Agrippa,


que la femme est utile — et premièrement à la génération — et cepen-
dant, n'en déplaise aux péripatéticiens, qu'elle est un être complet par
lui-même.
Par contre, la misogynie de Platon, que l'anonyme auteur de la
Louenge des femmes (1551) avait habilement opposée aux éloges fici-
niens des Héroët et autres idéalistes ne se trouve guère réfutée : c'est à
Aristote et à ceux qui s'en inspirent que Billon se réfère comme à l'ad-
versaire essentiel. Il cherchera plutôt à faire de Platon un allié.
Platon rendait grâce aux dieux d' « avoir esté créé masle plutost
que femelle » : cela veut-il dire nécessairement qu'il pensait que la
femme est moins parfaite que l'homme ? Non, pense Billon : il savait
seulement que l'ignorance, la coutume, « nourrice du Vulgaire », s'il
eût été femme, ne lui aurait jamais permis de parvenir au degré de
science qu'il atteignit. « Pour plus grande preuve de laquelle intention
de Plato et de nos blasonneurs nullement fondée, que diront-ils si luy
mesme au cinquième Dialogue de sa République a plainement soutenu
la capacité de la Femme estre de telle recommendation qu'il ammo-
neste toutes sciences et pratiques du monde devoir estre enseignées au
Sexe, aussi bien comme au Masculin. » (PI l,r°.)
Billon se fait l'historien de la « Querelle » ; il dresse la liste des mi-
sogynes célèbres depuis Caton, tant pratiqué au Moyen Âge et à la
Renaissance, jusqu'au Labyrinthe d'Amour attribué à Jean Boccace et
qu'il tient pour un ouvrage forgé, incompatible avec ce que l'auteur du
Décaméron dit ailleurs à l'honneur des dames. Il cite longuement la
Forêt de Mariage, la Sylva Nuptialis de Jean de Névizan, (Paris,
1521). Celui-ci, rapporte-t-il, chassé de Turin par les dames outrées de
ses injures, dut faire amende honorable avec attachée au front cette
sentence : « Rusticus est vere qui turpia dicit de muliere / Nam scimus
vere quod omnes sumus de muliere » (f°17,v°). Bel exemple d'action
de masse, précurseur des mouvements de libération de la femme !
[36]
Il s'en prend aussi et surtout aux contemporains ; à Gratien du Pont
de Drusac dont le Livre des controverses est « tout semé de veni-
meuses ronces et médisantes picques » (f°18,r°) ; à Rabelais traité de
« philosophe du tonneau », pour ce qu'il a écrit au Tiers Livre ; à
l'anonyme auteur de la Louënge des femmes composée par « quelque
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 53

pantagruéliste » et enfin à Érasme, pour quelques passages de « la


Mode », l'Encomium Moriae, « blason assez inconsidéré et indigne de
sa théologale profession » (f°12,r0).
C'est Rabelais surtout qui est visé : « Et si a un defect ordinaire de
Médecin qui est de ne se pouvoir guérir soy mesme », plaisante
Billon.
On constate sans peine que Billon à travers son attaque a conservé
estime et affection pour « Monsieur Rondibilis » : « ... celuy dont est
question fut un médecin fort renommé en tout point de Litérature,
mais il ne s'est voulu montrer tel en votre endroit [à l'endroit des
femmes] » (f°20,v°). Ce qui transparaît à travers l'algarade, c'est une
profonde déception. Autant l'attaque est passionnément brutale et
agressive, autant l'éloge sera vif pour ceux qui ont écrit à l'honneur
des dames : Héroët, « poète philosophicque » Ronsard, du Bellay,
Saint-Gelais, Jodelle, Baïf, Thiard, Pelletier...
Ses arguments sur la supériorité des femmes prouvée par la Ge-
nèse, leur rôle dans l'engendrement, leurs mérites intellectuels, n'ont
rien de très neuf. Les menstrues, le lait mais aussi les urines des
femmes, toutes leurs humeurs ont des vertus médicales qu'il examine.
Sa culture lui permet de trouver des thèmes originaux : il sait qu'il
y a eu autrefois des civilisations matriarcales, que « les enfants ont ja-
dis porté le nom des mères », que l'ordre présent des choses n'est donc
pas immuable. Il n'est dû, somme toute, qu'à « l'outrecuydance de plu-
sieurs faiseurs de loix » (f°8,v°). L'histoire des Amazones permet aus-
si d'imaginer une société où les femmes régneraient.
Billon est de ceux qui vont déployer la liste la plus complète
d'exemples en faveur des supériorités intellectuelles, morales, tech-
niques, inventives, poétiques, artistiques, juridiques, rhétoriques. Mais
ces listes d'exempla constituent une constante typologique du genre
jusqu'au XVIIIe siècle : les Pères Caffiaux, Dinouart et Guyon ne le
cèdent que de peu en prolixité à François de Billon. Le Fort inexpug-
nable s'achève enfin sur une apologie pro domo, celle du corps des se-
crétaires d'État dont il faisait partie et pour lequel il réclame la protec-
tion des Dames.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 54

[37]
En 1553 également, Charles Estienne (1504-1562) prend position
dans la querelle avec son recueil de « Paradoxes ». La déclamation
XXIII, « Paradoxe pour les femmes », démarquée d'O. Landi, ne fait
que reprendre synthétiquement les arguments de la tradition : « non-
obstant quelques petites fautelettes », les femmes méritent la pré-
séance.
Enfin Claude de Taillemont, gentilhomme lyonnais, ami de Scève
et de Marot, donne avec son Discours des champs faëz (1571), un
écrit poétique qui est le comble du phébus platonisant, résume abs-
cons et chantourné des thèses courtoises. Si la louange des femmes y
prend naturellement place, cet ouvrage s'insère mal dans le courant
qui nous occupe.

11. Guillaume Postel, 1553

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Si Guillaume Postel (1510-1582) peut à bon droit figurer dans la li-


gnée des laudateurs du sexe féminin, s'il est nourri de la tradition qui
nous occupe, il en donne pourtant une expression si hyperbolique, cer-
tains diront si délirante, qu'il reste sans équivalent et sans postérité.
On s'accorde à dire, de nos jours, que son œuvre, son « système » ;
est un des plus beaux exemples de délire paranoïaque que l'histoire
puisse nous léguer. Mais selon le mot de l'Écriture qui ne peut trouver
meilleure application : « Dieu a convaincu de folie la sagesse des
hommes car c'est qui paraît folie en Dieu est plus sage que la sagesse
de tous les hommes. »
Florimond de Rémond, son contemporain, décerne à Postel, dans
son Histoire de la naissance de l'hérésie de ce siècle (Paris, 1605, p.
227) un éloge que bien peu de savants ont mérité, déclarant que la
postérité verrait en lui « la plus grande âme et l'esprit le plus rare que
notre âge ait produit ».
Nul doute que ce philologue, médecin, théologien, cosmographe,
cet érudit non seulement hébraïsant mais commentateur de la tradition
syriaque et de l'arabe, très imprégné du Zohar et de la gnose n'ait été
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 55

un des plus grands savants de son siècle, estimé pour cela hautement,
malgré la bizarrerie de ses opinions et sa singulière hétérodoxie.
Le Sépher-hazohar fut le livre qu'il interrogea le plus avidement,
« omnia quae in secretissimis Zoharis libri sunt recondita ».
Guillaume Postel fut un syncrétiste, et à cet égard il se rapproche de
ces grands « enfants des idées » du XVe siècle italien, les Ficin et les
Pic de la Mirandole. [38] Le ncinisme chez lui se combine à l'hermé-
tisme, c'est-à-dire à ce courant issu de la redécouverte au milieu du
XVe siècle du Corpus Hermeticum, attribué à Hermès « trismégiste ».
Il voulut faire l'unité morale et religieuse de la Terre, greffer sur le
christianisme, la tradition cabalistique, mais aussi le pythagorisme, la
gnose, le zoroastrianisme, sans compter la pensée de Raymond Lulle
(1233-1316) — déjà emporté par le rêve de l'harmonisation des
cultures arabe, juive et chrétienne.
Certains verront encore en son œuvre la résurgence de divers cou-
rants hérétiques médiévaux. Issue du mouvement cathare, Guillemine
de Bohême, vers la fin du Moyen Âge, avait déjà été la papesse d'une
Église féminine... .
Né en 1510 à Dolerie, près d'Avranches, Postel se fait connaître
très jeune pour ses travaux en grammatologie (Characteribus diffé-
rentium Alphabetum) et en linguistique comparée (De originibus He-
braïcae linguae & Gentis antiquitate, 1538). Il occupa la charge de
Professeur Royal en mathématiques et langues orientales. La plupart
de ses livres portent sur sa recherche d'un christianisme syncrétique,
comme dans son Alcorani et Evangelistarum Concordia 13 (1543).
L'ouvrage pour lequel il retient notre attention est peut-être le plus
important de son œuvre singulière. Écrit en langue vulgaire, il s'inti-
tule Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde et
comment elles doivent à tout le monde par raison commander et
même à ceux qui auront la monarchie du monde vieil (1553), ouvrage

13
« Ce fils de paysan, orphelin à douze ans. tour à tour magister et valet de
ferme en Beauce, puis en 1525. à quinze ans, domestique à Sainte-Barbe ;
courant de François Ier à Ferdinand, de Marguerite à Loyola, traqué ici,
écouté ailleurs, traînant partout le fardeau d'une jeunesse misérable, sous-ali-
mentée. privée de tout confort et de tout sommeil » (Lucien Febvre, la Reli-
gion de Rabelais, Albin-Michel, 1968, p. 109).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 56

qui se prolonge dans un écrit paru à Venise deux ans plus tard : le
Prime Nove del altro mundo.
À première vue, le libelle débute comme les autres dissertations à
l'honneur du sexe féminin. L'ouvrage est dédié à Marguerite de
France, sœur d'Henri II, qui devint par la suite duchesse de Savoie.
L'auteur se donne pour propos de relever l'excellence des femmes :
« C'est une commune querelle qu'on a contre ledit sexe » (p.4), et il
entame de façon très classique l'exposé des « souverains biens qui
sont venuz au monde par les Femmes » (chap. III). Mais il ne se borne
pas à faire la liste déjà classique des mérites féminins.
[39]
Bientôt on aborde l'exposé de son système. On admettra d'abord
une thèse commune à bien des esprits de la Renaissance et qui affirme
l'existence de correspondances et de proportions entre la Terre,
comme macrocosme, et l'Homme comme microcosme ou « petit
monde ». La découverte, récente, des Amériques, ou plutôt des Indes
occidentales va jouer alors un rôle clé dans sa réflexion. Il ménage
une place particulière à Jeanne d'Arc, selon cette règle qui semble
propre aux systèmes délirants et qui consiste à « faire flèche de tout
bois », à inclure dans une argumentation serrée toutes les données ex-
térieures susceptibles de s'éclairer réciproquement en une synthèse où
chaque partie explique le tout.
Dans une représentation du planisphère où l'hémisphère oriental
est en position supérieure et l'hémisphère occidental en position infé-
rieure, le voyage de découverte de Christophe Colomb consiste à re-
lier la partie inférieure à la partie supérieure.
Cette division du macrocosme en deux hémisphères a, nécessaire-
ment pour Postel, sa correspondance dans une division homologue de
l'esprit humain, division de l'âme en une partie supérieure, virile,
l'animus et en une partie inférieure, féminine, l'anima. Il y a donc une
dualité fondamentale dans l'homme — entendre dans {'espèce hu-
maine — ; chaque sexe possède à la fois animus et anima, ou en le
francisant comme il fait : l’anime et l’âme. « Tant l'homme que la
femme ha sa formelle partie divisée en deux parties, l'une la raison-
nable et supérieure [moins puissante chez la femme], l'autre la sen-
suelle ou inférieure [moins puissante que la supérieure chez
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 57

l'homme] » (p.12). L'anima est, en effet considérée comme plus


proche de la Matière et de la Nature corporelle que l’animus.
On voit ce que Cari C. Jung doit plus ou moins directement aux
spéculations de Postel, mais Postel lui-même descend de la tradition
cabalistique : l'anima mundi correspond dans l'arbre séphirotique, à la
troisième sephira, Binah, dont certains exégètes judéo-chrétiens fai-
saient l'équivalent de l'Esprit-Saint.
Si l'on retourne l'analogie, il résulte que l'hémisphère oriental du
macrocosme est de nature virile et l'hémisphère occidental de nature
féminine.
C'est sur ces présupposés que porte la réflexion de Postel qui va
engendrer une longue chaîne d'analogies terme à terme. On peut résu-
mer la logique de son système comme suit : De même que dans l'hé-
misphère oriental-viril, un dieu-homme, annoncé par des prophètes
[40] masculins est venu réparer la faute d'Adam, précédé par un autre
homme, Jean le Baptiste, pour racheter le monde du péché et préparer
l'avènement du règne de la Foi, et qu'il mourut pour la rédemption non
de l'esprit humain tout entier mais de l’animus supérieur, de même,
dans l'hémisphère occidental-féminin, à l'époque de la découverte de
cet hémisphère par Colomb (colombe, le Saint-Esprit !), une messie-
femme, une nouvelle Eve, doit venir, annoncée dans l'antiquité par les
sibylles, prophétesses, précédée non par Jean le Baptiste mais par
Jeanne la Pucelle, pour faire régner la sur-raison sibylline « qui
consumera la perfection du monde ». Cette nouvelle Eve obtiendra
alors la rédemption de l’anima inférieure et la volonté divine sera en-
tièrement accomplie.
On ne peut qu'être émerveillé, comme l'est Postel lui-même, par
l'évidence de cette révélation, de ce circuit analogique où tout se cor-
respond mais où pourtant, il y a une « inconnue » (on ne saurait mieux
dire) : la nouvelle Eve rédemptrice de l’anima. Nous allons y venir.
On notera tout d'abord que le système « explique » la Trinité et son
mystère. La troisième personne, l'Esprit, 2o0ta en grec, la Sagesse, est
l'élément féminin de la divinité. Elle aussi — c'est un vieux mythe
gnostique — est promise à l'incarnation. Le système binaire de Postel
et les correspondances microcosme-macrocosme construisent à partir
de ces prémisses d'irréfutables déductions.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 58

Eve, dont le péché est d'avoir goûté à l'arbre de la Science, n'a fait
en quelque sorte qu'anticiper indûment sur le rôle rédempteur qui est
dévolu à la nouvelle Eve ; les hommes qui connaîtront la parole de la
Dernière Sibylle, guidés par la Foi et par la Raison Clairvoyante, se-
ront alors supérieurs en savoir aux prophètes antiques et peut-être, se-
lon la promesse fallacieuse du Serpent, devenus « pareils à Dieu ». In-
utile de dire que Postel est le premier de ces hommes régénérés. On
voit déjà ce qui rattache Postel au courant que nous étudions. C'est un
« enthousiaste » de la Femme, à prendre ce mot en toute rigueur dans
son sens étymologique. Il n'en affirme pas la supériorité, il en attend
l'apothéose et il attend de cette apothéose que la partie obscure de son
âme soit sauvée : « Notre Mère qui êtes aux cieux, que votre règne ad-
vienne », pourrait-on dire. Il parle expressément de la venue de « la
souveraine puissance féminine en ce monde » (ch. VIII).
Il appelle le triomphe de l'Eve nouvelle pour réparer l'inférieure et
temporelle partie de la nature humaine, de même que le Christ, roi des
Juifs, annoncé par les prophètes, est venu réparer l’anime masculin
[41] et partie supérieure, de cette nature, partagée en proportion dans
les deux sexes : « Comme le Roy des Juifz [du monde oriental mascu-
lin] enseignant seulement trois ans et demy ha [...] érigé l'Éternelle
Authorité du Papat, ainsi par la raison preschée seulement un an par la
nouvelle Eve mère, en consummation de la Sibylline doctrine du
peuple gentil, soit érigée l'éternelle raison », écrit-il. impavide.
C'est ici que Christophe Colomb intervient comme preuve suré-ro-
gatoire, puisque : « Tout le monde ha esté en l'inférieur Hémisfère
descouvert depuis la nativité de la mère du Monde qui est la fontaine
d'esprit inférieur. » « La supérieure partie du petit monde [micro-
cosme = l’anime] seulement estoit par le rédempteur descouverte et
répurgée des ténèbres du péché. Dieu a voulu que alors le seul Hémis-
fère supérieur du grand monde feust découvert. » (p. 52.)
On commence à deviner que Postel sait quand est née la nouvelle
Eve (environ le temps où Colomb découvre les Indes) et où elle pro-
duira son enseignement : de même que Jésus a passé sa vie publique
dans le peuple galiléen, de même, Jeanne Rédemptrice enseignera au
peuple gallique, c'est à dire en France ! « Dieu immuable dedans ledit
Gallique peuple restituera toutes choses » (p. 75). « Ainsi Jésus, par sa
propre mort crucifié et clarifié une fois, le sera ceste seconde » (p. 89).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 59

Postel a rencontré la femme-Messie, il a subi son enseignement, il


en témoigne. Elle s'appelait Jeanne, était native de Venise, elle était
docte et vierge, et lui, Postel, serait Jehan Caïn, fils spirituel du Règne
des Femmes.
Il en parle à maintes reprises, il l'a fréquentée asidûment, il la
nomme : « La très-sainte mère Johanna qui est Eve nouvelle, laquelle
par 30 ans ou environ ha esté en continuelle méditation spirituelle &
mentale. » (p. 84). « La Saincte des Sainctes, la mère & Vierge Pu-
celle & Espouse générale, qui est la mère Jehanne & Eve nouvelle né-
cessaire à l'Adam nouveau. » (p. 41.) « Il faut qu'ainsy soyons tous en
vie immortelle par une seule Mère et Vierge restituez. Comme nostre
père ha esté d'une Vierge & Mère engendré. » (Cité par Chaufepié,
Supplt, « Postel ».)
La mère Jeanne a réellement vécu ; elle était née à Venise vers
1496. Elle mourut peu après la parution des deux ouvrages que Postel
lui consacra, mais il continuera sa prédication jusqu'à la rétractation,
l'autocritique ambiguë à quoi il fut contraint en 1564. Nous n'en sa-
vons pas beaucoup plus.
[42]
Le thème des Sibylles n'est pas très étonnant. Saint Jérôme pensait
déjà qu'elles avaient annoncé la venue du Messie par inspiration di-
vine. Ceci permet d'admettre que les païens jouissaient de quelque re-
flet de la divinité : « Les Gentilz gouvernoient leur République par la
Sibylline doctrine féminine et raisonnable 14. » (p.45). On sait que Mi-
chelet, qui ne semble pas avoir pratiqué Postel et ne le cite pas, a re-
pris cette rêverie de la « virginité sibylline » des femmes (cf. la
Femme, p.254 ; la Sorcière, passim). Quant à Jeanne d'Arc, « Joanna
puella Barris », la pucelle barroise, elle est déjà mise au pinacle par
Agrippa : « Aussi falloit que la parfaicte religion feust en sa perfection
consumée & conduicte par le mesme sexe féminin » (p. 26).
La prédication de Postel a été dénoncée comme hérétique, mais
d'absurdes contresens lui ont été imputés. On lui a fait dire que Jésus
n'avait sauvé que les hommes seuls. Imputation diamétralement oppo-
sée à sa pensée et que propage Henri Estienne dans son Apologie pour
Hérodote. D'autres qui ne l'ont ni compris ni lu, le rapprochent des
14
Cf. aussi Lactance et Champier, Nef des dames vertueuses, III, « les Pro-
phéties & Vaticinations des Sibilles » (1503).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 60

An-droniciens, secte du IIIe siècle qui tenait la partie inférieure du


corps féminin pour l'ouvrage de Satan ; la supérieure, pour celui de
Dieu. On le confond donc avec une misogynie métaphysique barbare.
Théodore de Bèze, chez les Protestants, veut aussi que Postel ait
prétendu qu'il faut que les femmes soient rachetées par une femme. Il
ajoute avec la malvaillance du pamphlétaire que la Mère Jeanne,
n'était qu'une « courtisane de Venise ». C'est bien improbable.
Pasquier, au Catéchisme des Jésuites dit plutôt une « vieille bi-
gote ». Cela ne s'accorde pas. Enfin, Postel passera dans les siècles qui
suivent pour un démoniaque ; Jurien, dans son Calvinisme et papisme
mis en parallèle (Amsterdam, 1683, t.I, p. 133), écrit : « G. Postel
avait couru toute la terre pour en ramasser toutes les impuretés. Il
s'était enrichi à toutes les impiétés des Musulmans, Arabes et de
toutes les rêveries des Juifs. » Il n'aurait avancé « cette impiété folle »
que « pour tourner en ridicule la religion Chrestienne ».
Postel lui-même s'en est expliqué avec lassitude, à la fin de ses
jours : « Je ne veux pas introduire une nouvelle religion mais je veux
par Raison naturelle qui est propre des Gentils, Éduméens ou Escla-
viens, destruire toutes les fausses intelligences des Juifs, des Semi-
Juifs, des Chrestiens... » Il est resté convaincu jusqu'à sa mort que la
restitution [43] de la Raison féminine n'avait été que prédite par
Notre-Seigneur. Ce fut un paraclétiste assimilant le règne de l'Esprit à
celui de l’Anima.

12. Marie de Romieu, 1581

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Marie de Romieu, demoiselle vivaroise, est la première femme (si


l'on omet Christine de Pisan au XIVc siècle) à reprendre à son compte
les thèses de la supériorité, dans un poème didactique intitulé « l'Ex-
cellence de la femme surpasse celle de l'homme. ». Elle se propose
d'apprendre aux hommes la vérité sur les mérites des sexes,
Car comme un coq qui trouve une perle perdue
Ne sçachant la valeur de la chose incognue,
Ainsi ou peu s'en faut, l'homme ignare ne sçait
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 61

Quel est entre les deux sexes le plus parfait, (v. 5-9)
Or,
Si nous venons à priser la valleur
Le courage l'esprit et la magnificence
L'honneur et la vertu et toute l'excellence
Qu'on voit luire tousjours au sexe féminin
À bon droit nous dirons que c'est le plus divin. (6,r°)

Rien de plus qu'une versification des ouvrages précédents et no-


tamment du « Paradoxe » de Charles Estienne (1553) que la poétesse
semble suivre assez fidèlement. Mais, pour le sexe de son auteur, le
poème mérite d'être signalé.

13. Alexandre de Pontaymeri, 1594

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En 1594, Alexandre de Pontaymeri, sieur de Foucheran 15 publie


son Paradoxe apologique, exercice de rhétorique en faveur en cette
fin du siècle. Il se propose à son tour d'y démontrer « que la femme
est beaucoup plus parfaite que l'homme en toute action de vertu ».
Pontaymeri est un attardé ; à la fois galant et moralisant, plus frotté
de mythologie que de références chrétiennes, son écrit est un curieux
mélange où « Iuppiter », les Enfers, Jésus-Christ et le Paradis ter-
restre, voisinent sur le même plan et donnent des arguments conver-
gents. Les femmes ont la beauté, le pouvoir thaumaturgique, toutes les
vertus, même les politiques et les guerrières. Elles sont naturellement
éloquentes, chastes et tempérantes. Ce dernier point semble l'obséder
[44] — dans un monde où l'« yvrongnerie » est répandue partout, les
femmes restent sobres, « même en Allemagne, note-t-il, où pourtant la
sobriété est encore plus rare qu'ailleurs... » (f°24, v°—f°25,r°).

15
Poète huguenot d'une certaine notoriété, Pontaymeri est l'auteur d'une ode à
Henri IV intitulée le Roy triomphant (1594).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 62

14. Pierre de Brinon, 1599

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Le Triomphe des Dames paraît à Rouen en 1599. Cet ouvrage de


343 pages, dédié à Madame de Joyeuse, duchesse de Montpensier, est
un volumineux traité, où les mérites féminins sont classés en douze
sections : création, piété, patriotisme, amour conjugal, chasteté,
vaillance, souveraineté, savoir, discrétion, constance, amitié et
divers. ..
Les sources de Brinon, de toute évidence, ce sont Agrippa, Billon,
mais aussi, ce qui rend l'ouvrage moins austère, des poètes, surtout
Ronsard et du Bartas. Ce dernier lui offre un portrait de la beauté fé-
minine, d'un charme naïf :
Bien est vray toutesfois qu'elle a l'œil plus riant,
Le teint plus délicat, le front plus attrayant,
Le menton net de poil, la parole moins forte,
Et que deux monts d'Yvoire en son sein elle porte.
Il y a de tout dans cet ouvrage : d'abord, sous prétexte moralisant,
un nombre élevé d'exemples antiques de viols et de scènes de paillar-
dise, tous destinés à prouver la malice des hommes. Toutes les dé-
bauches contre nature sont relevées avec érudition, si on peut les im-
puter au sexe masculin. Les Amazones lui donnent la preuve de la
vaillance potentielle du sexe féminin. Il admire en passant la faveur
particulière que Dieu fit aux femmes de ne pouvoir être gauchères :
c'est Pline qui le dit. Il approuve les lois Spartiates qui exigeaient
même des époux qu'ils se cachent pour le déduit, « tant la honte d'un
plaisir si sale doit estre grande » (p. 132).
Mais cet éloge inconditionnel de la chasteté est composé par une
apologie de l'amour et de ses effets. Il se départit du ton austère, pour
exhorter même un peu les femmes à l'inconstance (p.304). Enfin, il
termine par un éloge du baiser sur la bouche, belle et louable coutume,
inventée, comme il l'expose in fine par les dames troyennes... Nous re-
trouverons dans la seconde partie divers aperçus singuliers puisés
dans cet ouvrage.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 63

[45]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.
PREMIÈRE PARTIE : HISTORIQUE

Chapitre II
Le XVIIe siècle

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[46]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 64

[47]

1. La contre-offensive
de Maître Jacques Olivier, 1617

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Sous la régence de Catherine de Médicis, « les guerres de religion,


la Ligue font apparaître de brillantes individualités féminines, laissent
une grande part aux intrigues des femmes, ressuscitent la féodalité où
la femme noble déploie librement son activité. Aussi, dès la fin du
XVIe siècle, le courant féministe devient plus fort. » (Abensour, p. 7
Bibliographie II.) Certaines femmes jouent un rôle politique impor-
tant, pendant les minorités de Louis XIII et de Louis XIV, et la
Fronde. Elles démontrent même des talents militaires, comme Ma-
dame de Longueville, la Princesse de Condé.. . La vie de Paris et de la
Cour va désormais dominer la Province. Des salons littéraires et sa-
vants se forment autour de la Marquise de Rambouillet (dès 1610), de
Madame de la Sablière, de Madame de Suze, de Madame d'Auchy, où
se constituent l'idéologie précieuse et sa phraséologie 16.
Dans la bourgeoisie cependant, tous les historiens sont d'accord
pour noter que le rôle de la femme reste très effacé, qu'elle est écartée
de la vie publique et tend même à perdre certains privilèges coutu-
miers qu'elle tenait du Moyen Âge. Au regard de la société globale, le
thème chevaleresque de la supériorité des dames est plus que jamais
irréaliste, alors que dans l'élite intellectuelle, les partisans des femmes
semblent avoir nettoyé le terrain et réduit au silence les misogynes tra-
ditionnels.
C'est alors qu'un roturier, homme de chicane, Maître Jacques Oli-
vier, licencié en droit canon, tente en 1617 une attaque antiféministe
[48] qui démontre que l'idéologie traditionnelle est loin d'avoir rendu
les armes. Son libelle. Alphabet de l'Imperfection et Malice des
Femmes, va susciter une levée de boucliers générale et provoquer une
16
Aucun écrivain de premier plan, si ce n'est Charles Perrault à la fin du
siècle, ne s'aventura cependant dans le parti de la supériorité des femmes.
Au contraire, avec Molière, Boileau, la Bruyère, le parti antiféministe peut
se réclamer de champions prestigieux.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 65

troisième « Querelle des femmes », moins connue que les précédentes,


qui permet à quelques beaux esprits de faire assaut de galanterie,
d'éloquence et d'érudition. On notera que tous les participants à cette
querelle sont des idéologues fort obscurs. Les salons de la première
Préciosité n'ont pas cru nécessaire d'envoyer leurs champions à la ba-
taille.
*
* *
Le succès du libelle de J. Olivier démontre, s'il en est besoin, que
le lecteur du XVIIe siècle voulait être rassuré et qu'il lui plaisait de se
replonger dans la thématique médiévale. On en compte au moins qua-
torze rééditions rien qu'au XVIIe siècle ; il y en eut sans doute
d'autres 17.
Solidement argumenté, soutenu par des autorités scripturaires, pa-
tristiques, philosophiques et une kyrielle d’exempla historiques, l'ou-
vrage de Jacques Olivier se présente comme un abécédaire avec pour
chaque lettre un défaut féminin. Il allait relancer la querelle et susciter
une vive réaction. Offensées, les dames et leurs champions ne songent
pas à rire de ce retour en force de la vieille misogynie. Des répliques
vont paraître, reprenant à neuf les thèses de la supériorité : le Capi-
taine Vigoureux, le Chevalier de l'Escale, Bermen de la Martinière,
Bernier et Gaillar s'inscrivent en faux contre Olivier, lequel va répli-
quer au premier par un nouveau pamphlet.
Jacques Olivier, comme l'avait fait Drusac, ajoute bien en codicille
à l'édition de 1630 — que nous suivons — un « Advis de l'Autheur
aux Vertueuses Femmes » avec la prétention d'établir un distinguo ;
mais après le déversement de contumélies et d'injures que contient son
libelle, ce n'est, comme chez du Pont de Drusac, qu'une clause de
style.
Il doit beaucoup du reste à Drusac chez qui il emprunte de nom-
breuses données, gonflées par son érudition personnelle dans le do-
maine.
Son petit ouvrage est placé sous l'invocation de l’Ecclésiaste (VII)
comme il se doit : « De mille hommes, j'en ai trouvé un bon et de [49]

17
Environ à la même époque, un sieur de Fierville publia une Cacogynie, ou
Méchanceté des femmes que nous n'avons pu nous procurer.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 66

toutes les femmes, pas une. » Voici qui d'entrée de jeu situe le point
de vue. Quant à l'exorde, il se passe de commentaire : « Femme, si ton
esprit altier et volage pouvoit coignoistre le sort de ta misère & la va-
nité de ta condition, tu fuirais la lumière du soleil, chercherais les té-
nèbres entrerois dans les grottes & cavernes, maudirais ta fortune, re-
gretterais ta naissance & aurais horreur de toy mesme. » (p.3). On re-
monte comme il se doit à la faute de notre première mère et, ici en-
core, Sa-lomon vient en renfort : « A muliere initium factum est pec-
cati, et per illam omnes morimur. »
Jacques Olivier se sent dépassé par la tâche immense de dresser la
liste des insuffisances et des turpitudes féminines : « La femme est un
animal si difficile à cognoistre que le plus bel esprit du monde n'en
sçauroit donner une asseurée définition. » Gosier babillard, langue
serpentine, yvrongnesse éhontée, trompeuse et desloyale : passons sur
les différentes rubriques.
Ce qui éclate dans cet écrit, c'est une horreur crue, un dégoût viscé-
ral de tout ce qui est charnel et sexuel : le corps féminin est perçu
comme boue et excrément : « Ce ventre putride et fétide déclare les
saletez & les puanteurs qui sortent de la charongne, exposée & prosti-
tuée aux esclaves de ton impudicité. » (Épître dédicatoire [!], p. 7).
Il s'agit de démontrer les effets abrutissants et dégradants de toute
activité charnelle — même dans le mariage, comme nous l'avons déjà
noté : « Quant est du plaisir conjugal et du jeu de Cypris, ses effects
sont si funestes & si dommageables que je m'estonne comment les
hommes s'y veulent asservir, car non seulement il r'amollit et relasche
la vigueur de l'esprit & du corps, rend une ame lasche & poltronne,
appoincte [= émousse ] la vivacité de l'entendement abestit le juge-
ment, gaste la mémoire, [mais encore il] occasionne un repentir,
comme dist Aristote, & comme repartit sagement Démosthène. »
Les antagonistes de Jacques Olivier n'auront qu'une seule voix
pour condamner ces « inepties barbares et ridicules » (Excellence,
1618, p. 3) reçues du reste, nous assure-t-on, avec mépris et dédain
par tous les gens d'esprit ; ce style vulgaire qui est « plustost un style
de Rôtisseur que d'un Écrivain » (d°,p.l5). « Ce discours est un vray
pot-pourry, un cahos [sic] de plusieurs pièces rapportées », note Vi-
goureux qui tient l'auteur pour « aliéné d'esprit » (p. 12 et p. 11). Il
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 67

n'empêche que le coup a porté et que le nombre des répliques trahit


l'indignation et l'inquiétude des laudateurs du sexe féminin.
[50]

2. Le Capitaine Vigoureux, 1617

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Le Capitaine Vigoureux, autrement dit Brie-Comte-Robert, se


lance le premier, comme il convient à un militaire, dans la bataille, Il
sera suivi par le Chevalier de l'Escale (le Champion des femmes),
l'anonyme auteur de l'Excellence des femmes (1618), par Bermen de la
Martinière (le Bouclier des dames), Bernier (Apologie contre le livre
intitulé « Alphabet ».. .) et Gaillar (le Bouclier des femmes, 1621) 18.
Jacques Olivier avait, comme il se doit, reproché aux femmes, lon-
guement et savamment, un penchant pervers à la paillardise. Dans sa
Défense des femmes. Vigoureux s'oblige à soutenir la thèse opposée
et, entraîné par la logique de sa position, il va devoir « en remettre ».
Il n'a pas de peine à dire, par rétorsion, que c'est plutôt l'homme qui
est porté à la luxure (ce qui s'explique parce qu'il a « plus de fiel, plus
de ratte, et plus de sang », un sang « plus chaud », p. 59). « De vérité,
faut recongnoistre que c'est l'homme qui de son naturel est plus porté
à la concupisance de la chair que la femme ; l'homme est de composi-
tion plus chaude que la femme. » (p. 30). Mais sa réfutation le conduit
à un éloge de la frigidité naturelle de la femme qui est bien de son
siècle, mais peut surprendre : « Les femmes obtempèrent aux hommes
sans aucune sensualité d'elles : combien de fois l'homme se conjoinct
avec la femme qu'elle ne contribue à son appétit sensuel ? » (p. 36).
Pour le reste, il démontrera que la femme est meilleure épouse, plus
sincère, plus discrète, plus tempérante et, en maintes circonstances,
plus constante et courageuse que ne le sont les hommes.
Tout aussitôt, Jacques Olivier, qui semble ravi de la querelle, ré-
pond du tac au tac par un libelle intitulé Responce aux impertinences
de l'aposté Capitaine Vigoureux (1617). Olivier trouve à son adver-
18
On signalera aussi l'apparition d'ouvrages publiés par des partisans de
Jacques Olivier, entre autres le sieur de la Bruyère, Réplique à l'Anti-malice
ou Défense des femmes du sieur Vigoureux, Paris, 1617 (Bibliographie IC).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 68

saire toutes sortes de motifs honteux pour avoir pris la défense des
femmes et les vouloir supérieures. Vigoureux mérite certes d'être capi-
taine, mais dans le bataillon des « libertins lascifs & de tous les ydo-
latres de Cupidon & de Vénus » (p. 23). L'époque se prête mal à la po-
lémique tempérée. Vigoureux se voit donner du « Pauvre idiot » et
« Asne à courtes oreilles » (p. 36 et 38). Olivier proteste qu'il n'en
avait que contre les « mauvaises » femmes : nous avons vu ce qu'il
faut penser de cette esquive. Il entame une dispute médicale sur le
point de savoir qui souffre d'un excès de sang et de fiel, de l'homme
ou de la femme. Il a donné [51] ses sources et somme son adversaire
d'en faire autant. Les preuves historiques de l'incontinence et de la lu-
bricité des femmes sont innombrables : il les reprend et y ajoute. En
conclusion : « Il y a mille et mille femmes qui d'elles mesmes se sont
portées aux vices & à toutes sortes de corruptions et sans parler de
centeines & miliers de nostre siècle. » (p. 157).

3. Le Chevalier de l'Escale, 1618

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L'auteur de l’Alphabet va bientôt se trouver submergé par les ré-


pliques dont nous avons fait état. Le Chevalier de l'Escale se rend
compte que la thèse de la supériorité, qu'il défend, se heurte à l'obs-
tacle de préjugés invétérés. Il dit à ses lecteurs masculins : « Combien
y en aura-t-il de vous autres qui voyant seulement le tiltre de ce livre,
le ieteront aussi tost & fronçants le nez de colère, diront que c'est une
erreur trop manifeste de vouloir soustenir que les femmes sont plus
par-faictes que vous ? » (le Champion des femmes, p.6).
Lui aussi tient que l'impudicité est un vice proprement masculin,
que les femmes par complexion sont froides, comme toutes les autori-
tés médicales en attestent (p. 32 et 34). On voit bien l'ambiguïté de cet
éloge de la femme, tel que le concevra le siècle classique. La femme
est plus fidèle, plus discrète, plus avisée, plus constante et plus ver-
tueuse enfin. La mésaventure d'Eve ne prouve qu'une chose, c'est que
le serpent, pour perdre le genre humain, s'est attaqué d'abord à la
tâche la plus difficile. Il conclut en tirant de la condition même des
femmes la preuve de leurs mérites : « O pauvre Sexe, si le Ciel ne
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 69

vous avoit donné cette rare vertu comment pourriez-vous vivre soûls
le joug fascheux de la tyrannie des hommes ? » (p. 107).
La même année, paraît également l'Excellence des femmes. C'est
un petit libelle anonyme en forme de réponse écrite par « des
femmes ». On y dresse la liste des beaux et doctes esprits féminins qui
ont embelli les différents siècles. À titre de témoignage, on y a joint
un « Discours » de la reine Marguerite de Valois.

4. Louis de Bermen de la Martinière,


1621  19

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Quoique plus tardive, la défense des femmes de Louis de Bermen


de la Martinière fait partie intégrante de tout le mouvement polémique
[52] ému en réaction à l’Alphabet de Jacques Olivier et à ses parti-
sans.
Le Bouclier des dames ne diffère pas beaucoup par les arguments,
les thèmes abordés et les exemples choisis des autres ouvrages
contemporains. Mais il est un des exemples les plus représentatifs du
style précieux. Il y aurait une étude à faire sur cette pièce d'éloquence
de plus de 400 pages, dont l'emphase périodique, l'abus de la péri-
phrase et de la métonymie, la recherche de la pointe et de la sustenta-
tion, les hyperboles et les antithèses forcées, font un ensemble rhéto-
rique particulièrement typique.
L'insistance de Bermen sur la maternité et le rôle suréminent de la
femme dans la génération est un des points à porter au crédit de sa dis-
sertation : dans les autres écrits du siècle classique, ce thème n'a pas la
place qu'il devrait « logiquement » avoir pour la défense de la supério-
rité des femmes. Bermen invite les hommes à témoigner avec lui
« qu'ils n'ont l'âme ingrate » pour celles qui nous ont portés dans
« leurs flancs chèrement », qui « nous ont faict veoir la douce lumière
du jour, qui nous ont donné leurs douces mamelles à têter » (p.20).

19
On signale une édition en 1618 qui m'est restée introuvable ; la date de
1621 est gravée au frontispice et l'ouvrage ne comporte pas de privilège. Il
n'y a pas d'allusion expresse à Jacques Olivier dans cette dissertation.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 70

L'auteur voit bien que le respect naturel dû à la Mère et le mépris si


général voué aux femmes sont deux attitudes peu compatibles.
L'éloge de l'amour et du mariage comme « parfaict et légitime
usage » de la conjonction amoureuse, tient une grande place dans son
écrit (ch. III, notamment). Il évoque, avec une érudition inlassable, les
différentes nations qui ont découragé ou même puni le célibat. Très
sensible à la variété des mœurs (chez les barbaresques, les « Japo-
nois »), il cherche plus à comprendre certaines coutumes étrangères
qu'à les condamner, et veut trouver au-delà de la variété des institu-
tions monogames, bigames, polygames, de la prostitution sacrée, etc.,
des règles universelles, démontrant que ces variations n'excluent ja-
mais la prohibition de l'adultère et des différents « vices ».
Il ne prétend pas démontrer la supériorité absolue des femmes : son
excellence est aussi parfaite que celle de l'homme et aussi nécessaire ;
il penche toutefois à admettre qu'elle « a reçeu plus de faveurs du Ciel
que l'homme » (p. 135). On trouverait enfin chez lui plus d'un argu-
ment « original ». Celui qui consiste à prouver l'excellence cosmique
du désir charnel par l'exemple de la conjonction sexuelle des Planètes
(ce qui nous mène droit à Rétif et à Charles Fourier). Un autre, dont il
est le seul à avoir fait état, qui tend à démontrer qu'il ne peut y avoir
entre l'homme et la femme qu'une différence « accidentelle » et
« contingente », [53] puisque des sources antiques attestent l'existence
de cas de transsexualité : il naît des androgynes ; des filles, des
femmes mariées même ont subitement changé de sexe, et devenues
hommes, se sont mariées et ont engrossé leurs épouses (p. 133-134) 20.

20
En 1622, on publie à Paris sous le titre l'Advocat des femmes, le dialogue
« Della dignità e nobiltà délie Donne », paru la même année à Florence et dû
à Christoforo Bronzini.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 71

5. Marie de Gournay, 1622

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Les femmes qui au XVIIe siècle se mettent à parler de leur condi-


tion, Mesdemoiselles de Gournay, de Nervèze, Anne-Marie van
Schurman, le font en reprenant et relayant les arguments mis au point
par des hommes et s'éprouvent donc elles-mêmes comme le lieu d'un
paradoxe.
Marie de Gournay, la fameuse « fille d'alliance » de Montaigne,
suit du reste de près le « Paradoxe » de Charles Estienne ; elle le
gonfle surtout d'exemples antiques et modernes.
On l'a fréquemment noté, Marie de Jars de Gournay, rivale mal-
heureuse de Madame de Rambouillet, hostile au langage précieux et
défenderesse acharnée du français archaïque, est littérairement et
idéologiquement attardée — « a crazy old fanatic », dit peu charita-
blement Dorothy Backer (p. 116, bibliographie II). Son féminisme ar-
dent est exclusivement nourri des idées du siècle précédent.
Sa thèse est celle de l’égalité des hommes et des femmes. Cela est
d'autant plus curieux que son mince ouvrage, lui aussi réponse indi-
recte à Jacques Olivier, s'appuie sur une tradition de la supériorité.
Elle édulcore la thématique traditionnelle, reconnaît bien aux femmes
certaines « supériorités » spécifiques, conclut qu'on ne peut tirer des
Écritures rien en faveur de l'infériorité mais non plus de la supériorité,
mais elle tend à admettre une certaine soumission sociale inéluctable
et conforme à la volonté divine ; elle nie, par exemple, la supériorité
militaire et guerrière des femmes qu'on avait avec enthousiasme mise
en avant au siècle précédent.
Elle ne revendique que la dignité et invite les hommes à se préoc-
cuper de leurs problèmes au lieu de rabaisser leurs compagnes :
« Ceux qui se veulent eslever et fortifier de la faiblesse d'autrui ne se
pourraient-ils élever de leur propre force ? » Enfin, plus nettement que
[54] dans les autres écrits, elle revendique pour ses pareilles le droit à
l'éducation : « Il ne suffit pas à quelques gens de leur préférer le sexe
masculin, s'ils ne les confinoit encores d'un arrest irréfragable et né-
cessaire à la quenouille, ouy mesme à la quenouille seule. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 72

*
* *
Suzanne de Nervèze — fille du duc de Nervèze, « secrétaire de la
chambre du Roi », auteur d'un Discours de la mémoire et de la Guide
des Courtisans (où se trouve un « Avertissement aux dames » point
féministe du tout) — publie en 1642 une Apologie en faveur des
femmes qui défend, avec une insolente audace et sans réserve, la thèse
de la supériorité. Elle invite benoîtement les hommes à « se contenter
de l'honneur d'être des fils de femme et avouer après cela qu'il n'y a
point de créature plus noble » (p.92).
*
* *
Anne-Marie van Schurman, née en 1607 à Cologne, fut pour tout
son siècle l'exemple de ce que peut une femme, livrée à elle-même,
lorsqu'elle veut s'égaler aux hommes dans le domaine intellectuel ; sa-
vante en théologie et en philosophie, elle possédait plusieurs langues
anciennes et vivantes. Son exemple servira jusqu'au milieu de XVIII e
siècle de preuve de l'excellence des femmes dans une partie réservée
aux hommes.
Cependant, dans la courtoise polémique qui l'opposa au père Rivet
(Andréa Rivetus) sur la question « Num foeminae christianae convenu
studium litterarum  21 », elle ose à peine revendiquer pour ses pareilles
le doit à la culture et se montre fort accommodante avec le Bon Père
qui concède volontiers qu'elle est une brillante exception, mais sug-
gère aux autres de s'en tenir à la quenouille. Elle désapprouve l'audace
des femmes, qui, comme Lucrèce Marinella (1601) ont osé revendi-
quer la supériorité pour leur sexe.
Elle déclare cependant que l'étude est d'autant plus indiquée pour
les femmes qu'elles sont naturellement faibles et débiles, et impropres
dans tous les cas à une vie très active :

21
« Si l'étude des lettres peut convenir aux filles chrétiennes » (1650).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 73

[55]

Cuicumque propter imbecillitatem ac inconstantiam ingenii


sive temperamenti nec non innumeras mundi illecebras maxi-
mum est a vanitate periculum, illa maxime indiget solida ac
perpetua occupatione. Cui contigit vita tranquillior ac liberior
ei convenit studium litterarum.

6. Autres apologistes
avant Poullain de la Barre

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Le rythme de parution d'ouvrages favorables à la supériorité des


dames ne se ralentit guère après la querelle autour de Jacques Olivier.
Une demi-douzaine assez proches les uns des autres, vont paraître
successivement avant l'Égalité des deux sexes de Poullain et de la
Barre qui renouvelle la question et ouvre sur le XVIIIe siècle.
Avec Maître Nicolas Angenoust, de Troyes, on voit que l'apologie
des dames est pleinement devenue un genre rhétorique (à classer dans
la variété des formes épidictiques) et une belle occasion de déployer
de l'érudition.
Le Paranymphe des dames (1629) est dédié à Marie de Médicis,
mère du Roy. L'auteur veut défendre l'honneur du sexe, contre les
langues malignes de quelques médisants, être l'antidote contre leurs
poisons. Il ne défend pas expressément leur supériorité, mais dresse la
liste de qualités particulières et suréminentes dont elles sont pourvues.
Liste devenue classique, elle aussi. Angenoust est un esprit austère : à
travers d'innombrables centons bibliques, il ne reconnaît de mérite aux
femmes que dans la pratique intransigeante de nobles vertus, L'accent
est mis sur la valeur morale de l'amitié conjugale. Il y faut de l'amour
réciproque et, de la part de la femme, une honnête pudeur 22.
22
L'honneste femme de Jacques du Bosc (1632), auteur d'une dissertation ulté-
rieure intitulée la Femme héroïque, à l'imitation de Plutarque, prétend repro-
duire la conversation d'une « compagnie champêtre » où plusieurs gentils-
hommes font voir par la liberté de leurs sentiments, l'estime qu'ils font de la
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 74

*
* *
Monsieur de Saint-Gabriel s'adressant aux dames, dit se proposer
d'« établir le juste prix du mérite que la raison vous donne au dessus
des hommes » (1640).
[56]
Saint-Gabriel est, à l'instar des Somaize, Beauchasteau, La Forge, à
ranger parmi la cohorte, hélas ! douée de talents assez minces, des
« Précieux », beaux esprits voués au panégyrique de la préciosité dont
ils épuisent les thèses avec un zèle de néophytes et exagèrent encore
les tics rhétoriques.
L'auteur fera l'éloge de la femme, « chef-d'œuvre de la Nature »,
dans une dissertation qui est le comble du phébus et du galimatias. La
liste des supériorités féminines ne varie guère. Saint-Gabriel incline à
penser, au contraire des précédents, que la femme est plus que
l'homme portée au plaisir des sens : l'aventure transsexuelle de Tiré-
sias en atteste. Mais la chasteté qu'on leur voit observer n'en est que
plus estimable. Il termine sur le souhait de voir s'établir un jour le
Règne des Femmes : « Au lieu de la guerre & de tous ces grands car-
nages [...] l'on jouyrait de la douceur d'une profonde paix dans tous les
Estats du monde. » (p. 126). « Il est trop clair qu'il badine ». écrit G.
Reynier dans son savant ouvrage, la Femme au xvu ? siècle. Rien de
moins sûr : on pourrait voir ici un écho d'une certaine mystique fémi-
niste déjà rencontrée chez Agrippa et Postel.
*
* *
Le Sermon apologétique en faveur des femmes de Louis Machon
(1641), chanoine de Toul, porte pour sous-titre : « questions non ja-
mais soustenues ». L'auteur n'a pas tout à fait tort. Sa défense des
femmes « contre l'ignorance et la calomnie » est en effet originale, car
elle se limite à l'exégèse d'un seul verset de l'Écclésiaste, XLII.4 :
« Mieux vaut l'iniquité d'un homme que la bienfaisance d'une
femme. » Peut-on imaginer que Salomon ait voulu favoriser le vice en
vertu et de l'entretien des dames. Ce dialogue moral à bâtons rompus vise à
débattre de ce que les femmes doivent et peuvent être, plus qu'à leur attri-
buer des qualités innées et immuables. Quelques arguments, cependant, y
sont empruntés à notre tradition.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 75

quelque sexe que ce soit ? Non. Par malheur, la réfutation n'est pas
trop claire : si nous comprenons bien, l'homme, dans sa bassesse, ne
conçoit comme « bienfaisance » de la part des femmes que ce qui peut
contribuer à sa paillardise et ce serait dans ce sens, par une ironie de
l'Écclésiaste, qu'il faudrait entendre le passage. Louis Machon peut du
reste appuyer sa thèse sur de nombreux autres versets à l'éloge de la
femme chaste et sage.
*
* *
[57]

Jacques du Bosc, 1645


De même qu'on avait étudié « la femme dévote », « l'honneste
femme ». « la femme généreuse ». le Père du Bosc, cordelier, s'inspi-
rant de Plutarque, retrace dans la Femme héroïque les vies parallèles
de héros et d'héroïnes célèbres, les comparant par couples, Débora à
Josué, Thomiris reine des Scythes et Cyrus roi des Mèdes, Porcia et
Brutus, Lucrèce et Caton — concluant comme il se doit à l'avantage
des femmes.

François de Soucy  23, 1646


Le Triomphe des Dames est un discours sans grande originalité.
L'auteur y compile ses prédécesseurs « t les arguments en faveur de ce
« sexe tout parfait » (p. 25). La crédulité de l'auteur reste fort grande :
il croit aux pouvoirs magiques des filles pucelles (elles domptent les
bêtes féroces et arrêtent de leur ceinture les vaisseaux). Il rapporte ad-
miratif, la légende des onze mille Vierges ; il relate l'expérience de
l'eau que l'homme salit autant qu'il se lave. Il n'a pu trouver cela que
chez des auteurs du XV et du XVIe siècle.

23
Auteur de la Science des Sages. 1646.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 76

Gabriel Gilbert, 1650


Le Panégyrique des dames est un discours d'apparat qui fut pro-
noncé devant la Grande Mademoiselle : le ton adulateur y est évidem-
ment de rigueur. L'orateur se propose d'agiter devant le Tribunal de la
Raison le procès de la supériorité des femmes. L'entrée en matière
donne une idée de l'ensemble : « La Nature pour former un Sexe si ac-
comply a tiré des Élémens ce qu'ils ont de plus pur & de plus exquis
& a meslé à leurs rares qualitez les plus douces influences du Ciel. »
(p.5).
La supériorité des femmes, exaltée en des périodes balancées, sera
surtout d'ordre spirituel : « La nature les ayant fait naître d'une consti-
tution si délicate, nous enseigne qu'elle ne les a pas faites pour les ac-
tions du corps mais pour les actions de l'esprit et pour les ouvrages de
la vertu. »

Jacquette Guillaume, 1665


Voici une femme de lettres qui à son tour va prouver « par bonnes
et fortes raisons » que son sexe surpasse les hommes. Elle dresse [58]
des listes de femmes qui ont brillé par leur chasteté, leur constance,
leur éloquence, leur savoir. Parmi les savantes, elle fera surtout l'éloge
d'Anne-Marie Van Schurman et de Christine de Suède à laquelle elle a
consacré un autre ouvrage 24.

24
Jacquette Guillaume, « Christine toute catholique et controversiste ». in les
Dames illustres anciennes et modernes, s.l., 1665. Cf. d'Alembert, Ré-
flexions et anecdotes sur Christine, reine de Suède, s.l., 1753 ; in-8°, 79 p.
Selon la Biographie de Didot, il parut en 1668 un ouvrage différent du pré-
cédent et dû à une autre plume : Marie-Anne Guillaume, Discours sur le su-
jet que le sexe féminin vaut mieux que le masculin, Paris, 1668 ; un vol. in-
12.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 77

7. Poullain de la Barre, 1673

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François Poullain (ou Poulain) de la Barre fut un esprit d'une ex-


ceptionnelle perspicacité. Ce « libertin » est déjà en mil six cent
soixante-dix un homme du XVIIIe siècle. Son rationalisme empiriste,
quelque peu systématique et naïf, est stimulé par une intuition critique
d'une rare pénétration. Né à Paris en juillet 1647, docteur en Sor-
bonne, cet ecclésiastique lorrain qui occupa la cure de la Flamengrie
dans le diocèse de Laon, embrassa la communion protestante et se re-
tira à Genève (après la rénovation de l'Édit de Nantes ?) où il se maria
en 1690. Outre ses ouvrages sur les femmes, on a de lui la Doctrine
des Protestants justifiée par le missel romain et par la raison (Ge-
nève, 1720) 25. Il mourut à Genève en mai 1723.
L'œuvre qu'il a consacrée à la féminité tranche sans conteste sur les
discours d'apparat que nous venons de rencontrer. S'il est certain qu'il
a comme les autres pratiqué les théoriciens classiques — Agrippa,
Billon — il y a aussi dans ses essais une capacité de dépasser leurs
points de vue et nombre d'aperçus d'une nouveauté absolue.
Quelques notices consacrées à Poullain de la Barre font de lui un
disciple de Descartes. À divers égards, il s'y oppose au contraire. Sa
philosophie première est de toute évidence influencée par Gassendi et
son « matérialisme métaphysique ». Dans son premier ouvrage sur-
tout, les rappels de Gassendi me semblent indubitables : rejet motivé
de l'argument par les Écritures, séparation de la raison et de la foi,
idée épicurienne de donner la voluptas pour fin à toute vertu, impor-
tance accordée à la thèse de la circulation sanguine 26.

25
On ne le confondra pas avec son fils, Jean-Jacques de la Barre, théologien
et moraliste calviniste, 1696-1751.
26
Cf. Harvey, De Motu cordis et sanguinis in animalibus, anatomica exerci-
tatio (Francfort, 1628) et les libelles de Gassendi sur la question.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 78

[59]
Libertinage et fidéisme. sensualisme et métaphysique religieuse :
cette rencontre ne doit pas étonner chez ce prêtre : quoi qu'on ait pu
dire, la sincérité de la foi de Gassendi lui-même n'était pas douteuse.
Le XVIIe siècle qui s'ouvre sur cette Querelle contre Jacques Oli-
vier, laquelle reproduit anachroniquement celle de 1542, aboutit à une
théorie proche du matérialisme épicurien où l'idée de supériorité des
femmes se trouve complètement réaménagée.
Les thèses de Poullain de la Barre, relayées par Bayle dans son
Dictionnaire, seront reprises souvent mais plus timidement au XVIII e
siècle, qui verra d'ailleurs plusieurs rééditions de Cornélius Agrippa.
*
* *
Poullain de la Barre a publié quatre ouvrages pour défendre la
thèse de l’égalité de l'homme et de la femme. Nous les incluons dans
notre répertoire en ceci qu'ils tendent finalement à conclure à une su-
périorité potentielle des femmes, tout en montrant, ce qui plus encore
est admirable pour le temps, la relativité des critères mis en œuvre
pour quelque classement que ce soit et le pari qu'ils impliquent relati-
vement aux fins ultimes de l'humanité.
Cette œuvre si nouvelle ne semble pas avoir été bien comprise.
Beaucoup la citent au XVIIIe siècle, mais avec contresens. Poullain a
consacré les ouvrages suivants au problème de la femme : l'Égalité de
l'homme et de la femme (l673) : un dialogue philosophique. De l'Edu-
cation des Dames, même année ; De l'excellence des hommes contre
l'égalité des sexes (1675 : le titre est pris par antiphrase — Thomas,
un siècle plus tard, prétend au vu du titre que Poullain se réfuta lui-
même) et enfin Réponse aux Authorités de l'Écriture Sainte, dont l'au-
dace est moindre que dans les ouvrages précédents (1690).
Montesquieu faisait grand cas de ces ouvrages et voyait en Poul-
lain de la Barre « un esprit véritablement philosophique » (note ma-
nuscrite du bibliophile Jamet sur l'exemplaire de la Bibliothèque na-
tionale.)
*
* *
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 79

Au début de son premier ouvrage, Poullain semble vouloir se lan-


cer comme ses prédécesseurs dans l'exégèse des Écritures. Mais à la
[60] technique qui consistait, autorité contre autorité, à trouver un ver-
set à opposer à un autre verset, un fragment de Platon à un fragment
d'Aristote. une anecdote tirée de Plutarque à une autre, défavorable, ti-
rée d'Hérodote, Poullain substitue une critique sans équivoque du pré-
jugé, mesuré à l'autorité unique de « la Raison ». « C'est le peu de lu-
mière & la précipitation qui font tenir que les femmes sont moins
nobles et moins excellentes que nous. » (1673, p.6.)
Or, ajoute-t-il. « on ne reconnaît point icy d'autre Authorité que
celle de la Raison & du Bon Sens » (p. 244) : cette seule proposition,
si nettement formulée, est le signal d'un changement profond dans les
règles qui régissent le savoir et les conditions de preuve et de légiti-
mation d'une réflexion sur le monde.
Mais il ne suffit pas de dénoncer un parti-pris constant, encore
faut-il indiquer au prix de quelle attitude méthodologique le philo-
sophe peut réellement échapper à l'emprise des préjugés. Poullain sug-
gère la règle première qui consiste à se mettre en un état préalable
« d'indifférence et de désintéressement » (p.6).
Pour la première fois, le thème de l'Origine de l'inégalité parmi les
hommes, de ses causes et de la succession de ses conséquences appa-
raît développé tout au long et sous-tendant la logique du discours. Le
préjugé n'a pour lui que la force d'inertie sociale : « Si on pousse un
peu les gens, on trouvera que leurs plus fortes raisons se réduisent à
dire que les choses ont toujours esté comme elles sont, à l'égard des
femmes. » (p.9). Cette inertie, précisera-t-il plus loin, est renforcée par
une inexplicable « terreur panique » que l'homme éprouve à l'égard du
sexe (p. 149).
Le préjugé trouve un semblant de justification dans le raisonne-
ment par les apparences, qui consiste à extrapoler à partir de données
dépourvues d'élaboration critique. Que disent les misogynes sinon que
les femmes, à première vue, diffèrent par la conformation et la force
physique des êtres mâles ? Ils en tirent derechef que leurs esprits sont
aussi différents que leurs corps et en proportion de la faiblesse qu'on
croit leur voir. C'est répète Poullain, dans un long développement pré-
liminaire, « un pur préjugé que nous formons sur l'apparence des
choses, faute de les examiner de près » (p.14).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 80

Après avoir asservi les femmes en s'autorisant de cette logique


captieuse, les hommes tirent de cet asservissement même la preuve de
leur infériorité naturelle. Cependant, elles « n'ont esté assujetties que
par la Loy du plus fort » (p. 15).
[61]
C'est ici qu'on rencontre de façon persistante le thème si particulier
à l’epistêmê du XVHI« siècle de la remontée aux Origines, comme
déploiement diachronique de la logique sociale et de la critique des
faits institutionnels : « Les hommes, remarquant qu'ils estoient les
plus robustes & que dans le rapport du Sexe, ils avoient quelqu'avan-
tage de corps, se figurèrent qu'il leur appartenoit en tout. » (p. 16).
Cette « faiblesse » physique, Poullain ne la nie pas, comme le fai-
saient ses prédécesseurs, mais il va la relativiser, c'est-à-dire interro-
ger les présupposés qui permettent de l'affirmer et, faisant la part des
choses, soumettre la question à une dialectique de points de vues com-
plémentaires. On sort du monolithisme axiologique qui semble carac-
tériser les âges antérieurs. Il fait état, le premier, des incommodités et
des suites de la grossesse, non qu'elle soit (au contraire) une preuve
objective de faiblesse, mais dans la mesure où « l'assistance de leurs
maris devenoit absolument nécessaire aux femmes en ces occasions »
(p.18).
Variante du thème de la recherche des Origines, l'observation de
l'enfance chez les êtres des deux sexes fait irruption pour la première
fois dans le champ de notre argumentation. Elle permet d'entr'aperce-
voir ce qui constituerait la condition naturelle et les rapports authen-
tiques des sexes. Cette observation fait apparaître aux yeux de Poul-
lain, non seulement une égalité, mais aussi une précocité et des dons
spécifiques qui élèvent les filles au-dessus des garçons. Toute leur vie,
elles resteront, avec des capacités intellectuelles comparables, douées
d'un jugement plus sain et plus rationnel, moins susceptibles de s'éga-
rer comme les hommes dans des problèmes métaphysiques où la vani-
té joue le plus grand rôle 27.

27
Poullain précise que les femmes qu'il a interrogées croient, par une intuition
juste et spontanée, à la circulation du sang à laquelle les faux savants de
sexe masculin opposent d'absurdes controverses métaphysiques qui leur en
offusquent l'évidence.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 81

La liste des supériorités spécifiques des femmes que dresse Poul-


lain de la Barre, s'inspire de la thématique traditionnelle : naturelle-
ment éloquentes, susceptibles mieux qu'un homme de s'adonner à
l'exercice de la médecine, elles semblent plus que les hommes propres
à briller dans certaines sciences comme l'histoire et la théologie.
Mais, et ce trait également distingue Poullain de ses contempo-
rains, la femme n'existe pas, pas plus que l'homme : ils sont, l'un et
l'autre, dans l'état que nous vovons « influencés par la diversité des
mœurs [...], le climat et la nourriture ». On comprend que Montes-
quieu se soit montré admiratif envers ce prédécesseur.
[62]
Poullain va se lancer dans un vaste relevé des femmes qui ont
brillé dans tous les domaines réservés aux hommes au cours des
siècles. Certes, les esprits prévenus peuvent toujours répliquer qu'elles
ont été de tout temps l'exception. Mais, rétorque Poullain : « Puisque
l'on est assez injuste pour croire que toutes les femmes sont indis-
crètes lorsqu'on en connoist cinq ou six qui le sont, on devroit aussi
estre assez équitable pour juger que leur sexe est capable des sciences
puisque l'on en voit quantité qui ont pu s'y élever. » (p.61). Il passera
en revue tous les emplois et les offices dont les femmes sont capables
(p. 158-176).
Et cependant, ajoute-t-il, « Il leur a falu surmonter la molesse où
on élève leur sexe, renoncer au plaisir et à l'oisiveté où on les a ré-
duites, vaincre certains obstacles publics. » (p. 60). Il conclut en ces
termes : « Voilà les observations générales & ordinaires sur ce qui
concerne les femmes, par raport aux qualitéz de l'esprit dont l'usage
est la seule chose qui doive mettre de la distinction entre les
hommes. » (p.74).
La seconde partie de son ouvrage est consacrée à une réfutation ha-
bile des arguments classiquement hostiles aux femmes tirés des Écri-
tures, des poètes, des orateurs, des historiens, des jurisconsultes et des
philosophes. Pour ce qui regarde l'autorité de l'Écriture, les conclu-
sions auxquelles Poullain aboutit sont particulièrement neuves et peut-
être un peu forcées : une fois encore plutôt que d'opposer verset à ver-
set, de subtiliser sur les présupposés, le contexte et la volonté divine
se manifestant à travers signes et emblèmes, il en vient à dire que la
Bible est sans pertinence dans le débat ; ne disant pas un mot de clair
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 82

sur l'inégalité entre les hommes, « elle laisse, dit-il, à chacun la liberté
de juger comme il peut de l'état naturel et véritable des choses ». Cela
revient à prétendre non seulement que les Écritures n'ont pas réponse,
explicite ou implicite, à tous les problèmes, mais plus encore que l'en-
seignement ambigu qu'on en peut tirer est en ultime analyse soumis à
la raison et se conforme aux lois de la nature (p. 244 et suiv.).
Il convient en effet que les relations entre les sexes soient exclusi-
vement réglées par la raison : « Hors les choses raisonnables, on ne
peut contraindre une femme de se soumettre à son mary. » (p.98).
La différence entre l'homme et la femme, différence d'ordre exclu-
sivement physiologique, est seule susceptible de justifier une inégalité
de traitement qui n'implique pas d'infériorité : « On la doit restreindre
dans le dessein que Dieu a eu de former les hommes par le concours
de deux personnes, & n'en admettre qu'autant qu'il est nécessaire pour
cet effet. » (p. 194).
[63]
Il importe surtout de ne pas rejeter sur le tort de la nature, ce qui
provient des coutumes ou de l'éducation (p. 246). On voit que le déve-
loppement de Poullain de la Barre tend à affirmer une égalité des
sexes en ralativisant leurs différences ; il use cependant d'arguments
spécifiques qui tendent à conclure à la supériorité des femmes. Il
montre aussi que les critères mêmes des hommes ne sont pas suscep-
tibles de rendre justice à une précellence des femmes qui. potentielle,
met en cause la logique mâle qui régit la société. Quant au vieil argu-
ment qui reconnaissait au moins aux personnes « du sexe »> une supé-
riorité de chasteté, de pudeur et de constance, plutôt que de s'en servir,
Poullain de la Barre — tenant l'instinct sexuel pour naturel à l'espèce
et sa satisfaction comme légitime aux deux sexes — renonce à faire de
la chasteté une vertu et en vient même à dire que « la légèreté est na-
turelle aux hommes et que qui dit mortel dit inconstant » (p.228).
Au reste, ira jusqu'à remarquer Poullain, avant de décider si un in-
dividu est pourvu de telle vertu ou de tel vice, il faut se demander si
les motivations humaines ne sont pas toutes nécessairement ambiva-
lentes : « Le partage où nous nous trouvons souvent entre deux mou-
vements contraires que nous cause un même objet nous convainc mal-
gré nous que nos passions ne sont poinct libres. » (p.229).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 83

L'Égalité de l'homme et de la femme est un ouvrage singulièrement


nouveau. Les points de références et les axiomes auxquels se me-
surent l'autorité d'une argumentation ont changé. Le postulat d'une rai-
son naturelle détermine la pente du discours. Si Poullain conclut à
l'égalité des seux sexes compatible avec les fonctions complémen-
taires de chacun d'eux, il ne s'appuie pas moins sur une partie de l'ar-
gumentation des idéologies de la supériorité : il voit également que les
critères qui permettraient de fonder une hiérarchie peuvent être à leur
tour mis en question, qu'ils ont partie liée avec le préjugé même qu'il
combat. Accepter la chasteté comme une vertu qui ne se peut mettre
en question et blâmer à partir de là l'inconstance « naturelle » des
hommes, admirer la plus grande chasteté des femmes, c'est encore mal
cerner le problème. La question, est de savoir si la chasteté est un état
« naturel ». On voit l'intérêt que présente ce déplacement du point de
vue, alors même que Poullain reste dépendant d'une thématique ar-
chaïque.
*
* *
Deux ans après la publication de ce premier ouvrage, Poullain de la
Barre, toujours sous le couvert de l'anonymat, en publie un autre : [64]
De l'excellence des hommes contre l'égalité des sexes, espérant,
semble-t-il, exciter l'attention et faire passer sa réflexion sous un pa-
villon fallacieux. Certains s'y laissèrent prendre, qui, sans avoir lu le
livre de près, se convainquirent que l'ecclésiastique avait abjuré ses er-
reurs antérieures ! Il s'agissait au contraire de confirmer par l'absurde
la justesse de sa position en feignant de s'attaquer lui-même.
Ce second ouvrage retient l'attention autant que le premier. La
thèse de la supériorité de la femme s'y affirme plus nettement à la fa-
veur d'un changement des postulats susceptibles de décider de la ques-
tion.
L'auteur avait affirmé dans son premier ouvrage le peu de perti-
nence des textes sacrés pour trancher du problème. Cette position re-
joint sans doute son opinion véritable. Cette fois, dans toute la pre-
mière partie, il acceptera de discuter les passages « misogynes » tradi-
tionnellement avancés par les adversaires des femmes, mais c'est pour
conduire un plaidoyer ab absurdo en faveur de sa propre thèse et, au-
dacieusement, pour convaincre les Écritures mêmes d'inconséquence.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 84

La bonne foi de l'exégète n'est donc pas le principal, il se montre par-


fois subtilissime. Les théologiens tirent du verset de la Genèse « Vous
serez sous la puissance de votre mari » une preuve de l'infériorité ori-
ginelle de la femme. Tout au contraire, rétorque Poullain ; ce propos
divin ne peut avoir qu'un sens, c'est qu'avant la faute, autrement dit
« par nature », la femme était sur pied d'égalité avec l'homme (p.24).
En fait, dans cette première partie, l'auteur feint de donner la parole
aux partisans de l'infériorité : l'exposé se retourne implicitement
contre ceux-ci et trahit l'absurdité de leur argumentation. Reste à voir
comment le public du temps a pu entendre cet écrit ambigu.
Poullain revient sur le risque qu'il y a de fausser le problème, si
l'on fait d'égalité un synonyme d'identité ; montre que le refus de pen-
ser la différence autrement qu'en termes d'hiérarchie constitue la
constante faiblesse de ce point de vue unidimensionnel : « Afin que
deux personnes soient égales dans une société, il n'est pas nécessaire
qu'elles puissent faire la mesme chose ou qu'elles la fassent de la
mesme manière. C'est assez, qu'elles en puissent faire d'équiva-
lentes. » (p.272).
Propos qu'il a fallu attendre des siècles pour voir expressément
énoncé. Il en revient enfin à ce qui fait le poids du préjugé antifémi-
nin : sa pérennité. Cette pérennité, qui la nie ? Reste à voir si elle peut
constituer un argument : « ... de dire qu'un sentiment reçeu de tous les
hommes ne peut estre faux, c'est répondre à ce qui est en question »
(p.273).
[65]
Quant à la chasteté supérieure des femmes, gage de leur précel-
lence sur le sexe masculin depuis Le Franc et Rodrigue de la
Chambre, Poullain la rejette, proclame à nouveau la thèse contraire,
celle de la plus grande sensualité des femmes, mais y voit une preuve
de leur supériorité même et la dit fondée sur l'économie des lois natu-
relles.
Si les femmes sont plus ardentes — ce qu'au fond tout le monde
sait — c'est que « la nature » l'a voulu pour qu'elles oublient mieux
par la promesse du plaisir les inconvénients inévitables de la gros-
sesse. On voit quelle hypostase-dénégation de l'idée de projet divin est
ici à l'œuvre. Si les femmes paraissent plus chastes que les hommes
dans les sociétés où nous sommes, c'est encore le préjugé, intériorisé
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 85

par ses victimes mêmes, qui en est cause : « C'est la coutume qui les
oblige plus à la retraite et à la retenue, surtout en matière d'amour. »
(p. 282).
Quant à la « divine pudeur », à laquelle les romantiques jusqu'à
Michelet se référeront comme au « plus bel ornement des femmes »,
Poullain en nie purement et simplement l'existence : « La pudeur n'est
autre chose que la crainte d'estre blâmé et méprisé par les hommes, en
faisant ou en disant devant eux ce qu'il ne leur plaist pas d'approu-
ver. » (p. 284).
Si pudeur et chasteté sont des préjugés, la femme l'emporte cepen-
dant sur les hommes par sa capacité d'amour, et c'est cette capacité
même qui rétablit son mérite, que la société refoule dans son état pré-
sent, aveugle qu'elle est aux valeurs de la féminité : « Ainsi l'amour
est le commencement, la fin, le bonheur & la perfection de l'homme. »
(p.309). « Il n'y a que l'amour qui nous donne de l'esprit & du plaisir.
Qui n'a point d'esprit n'a point d'amour. » (p. 288.) « Le plus beau de
tous les arts qui est l'Art d'aimer, c'est à dire le principe la fin & la
règle de tous les autres. » (p. 318.)
Nous sommes loin ici des fadaises galantes propres aux jolis cœurs
emphatiques du XVIIe siècle. Le conteste de ces passages en est té-
moin. C'est bien dans l'érotisme que Poullain de la Barre voit, selon le
mot d'André Breton. « le seul art à la mesure de l'homme » et sa
conception de l'amour rejoint l'exigence surréaliste, moins le mysti-
cisme occultiste qui dépare à l'occasion celle-ci. Au regard des valeurs
libidinales, dont la répression systématique est la tâche constante des
sociétés patriarcales, le savoir masculin se trouve frappé de dérision :
« Ouy la science des hommes est une pure charlatanerie, il n'y a que la
science d'aimer qui mérite un si beau nom. »
*
* *
[66]
En 1690 enfin, en même temps qu'il fait rééditer ses premiers ou-
vrages. Poullain en ajoute un troisième Réponse aux authorités de
l'Écriture Sainte. C'est toujours la même thèse qu'il défend : « Ceux
qui lisent l'Écriture Sainte exactement & sans préjugé n'y trouvent rien
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 86

qui leur donne lieu de croire que Dieu ait rendu les hommes plus par-
faits & plus capables que les femmes. » (1690, p. 1).
Il compile surtout des citations des Pères de l'Église : Basile, Am-
broise, Jérôme. L'ouvrage est plutôt en retrait sur les audaces des deux
premiers.
Poullain de la Barre nous a retenu plus longtemps que d'autres es-
sayistes de notre tradition. Nous voyons en lui un des esprits les plus
audacieux de son siècle. Bien des penseurs du siècle suivant ne feront
que le démarquer en l'affadissant.

8. Jacques Chaussé de la Terrière,


et divers autres

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L'ouvrage de Chaussé de la Terrière est un Traité de l'excellence


du mariage (1685). contre « le commerce honteux de la chair ». L'au-
teur attaque les libertins, « monstres, infâmes criminels », qui pro-
clament « légitime » tout « désir naturel ». Cette thèse est associée à
une théorie de l'excellence des femmes, mais des plus austère : la su-
périorité du « sexe dévot » éclate dans ses vertus, sa constance et sa
piété. Le contraste avec Poullain de la Barre, qui doit être l'un des
« monstres » dont l'auteur dénonce les thèses scandaleuses, est total.
*
* *
La même année paraît un petit ouvrage anonyme, discours en fa-
veur de la Liberté des dames, liberté dont les bornes certes, sont mar-
quées par la naturelle pudeur mais qui. pour l'honneur de la société où
elles vivent, doit être aussi large que possible : « C'est la liberté. Mon-
sieur, qui rend nos Dames si glorieuses, [...] elles ne sont illustres que
parce qu'elles sont libres et leur gloire se trouve tellement attachée à
cette noble vertu qu'il est impossible d'en remarquer une seule dont la
réputation soit flétrie que par le mauvais usage qu'elle en fait. » (p.3).
Il paraît aussi en 1686 un Traité agréable et curieux de la noblesse
et excellence du sexe de la femme par dessus celui de l'homme : c'est
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 87

une adaptation, avec quelques interpolations érudites et des passages


supprimés, de Cornélius Agrippa.

[67]
*
* *
La Défense des Dames (1697) de Madame de Murât est un plai-
doyer autobiographique destiné à « faire voir par le récit fidèle des
Avantures de ma Vie qu'on peut être décriée sans être coupable &
qu'il y a souvent plus de malheur que de dérèglement dans la conduite
des Femmes dont il plaît au Public d'attaquer la réputation » (I.p.6).

9. C. M. D. Noël, 1698

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L'auteur, sur qui nous ne possédons aucune information, publie à


Anvers en 1698 les Avantages du sexe, remanié en 1700 sous un nou-
veau titre : le Triomphe des Femmes. Lui aussi proclame d'entrée de
jeu son désir de lutter contre les préjugés : « Pour trouver la vérité, il
faut tourner le dos à la multitude. » (Avant-propos).
Mais que nous voici loin de Poullain de la Barre, et ramenés un
bon siècle en arrière. Les inventions les plus archaïques, les arguments
les plus absurdes de la Chambre et d'Agrippa retrouvent un regain de
vigueur et sont complaisamment exposés. La comparaison avec Poul-
lain permet de voir coexister à la même époque deux discours épisté-
mologiquement incompossibles. La dissension ne provient pas des
thèses défendues, qui sont identiques, elle ne se trouve pas dans la
surface du discours : ce qui les distingue est inscrit dans la profondeur
des présupposés. Les étymologies médiévales, les rêveries thaumatur-
giques d'Agrippa, la thèse de la perthénogenèse appuyée sur : I. Aris-
tote ; II. La femelle du vautour ; III. Certaines îles où les femmes
conçoivent par le moyen d'un « souffle de vent » ..., tous ces thèmes
auxquels progressivement on avait mis une sourdine se retrouvent.
L'accent est mis sur de prétendus arguments médico-physiologiques
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 88

dont nous donnerons quelques échantillons dans la seconde partie du


présent essai.
La thèse monolithique de la supériorité des femmes est réaffirmée
dans toute sa force : « Tenant le milieu entre les anges et les animaux,
la femme approche le plus [ des ] Esprits célestes. » (1700,p. 33).

10. Écrits misogynes


aux XVIIe et XVIIIe siècles

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La littérature de colportage, représentée surtout par les petites bro-


chures publiées à Troyes chez Oudot, répandent dans toute la France
de médiocres pamphlets contre les femmes, très archaïques de facture
et d'inspiration. En milieux populaires dans les villes et dans les [68]
campagnes, ces ouvrages sans grande malice, trimbalés dans la hotte
des merciers et vendus dans les foires, connaissent un succès de vente
qui ne se dément pas du XVIe au milieu du XIXe siècles. Le répertoire
n'en est pas très varié et le renouvellement du fonds est nul : ce sont
toujours les mêmes titres, plus ou moins remaniés et dont l'ortho-
graphe se modernise. Nous avons vu quelques-uns de ces succès de la
« Bibliothèque bleue » : la Meschanceté des filles  28 (éd. de 1656) qui
examine complaisamment leur penchant à la paillardise et voit à y re-
médier ; le Caractère d'une femme sans éducation (vers 1700) : la
Malice des femmes (éd. de 1732) qui doit être une version populaire
de Y Alphabet de Jacques Olivier… 29

28
La lascivité est le grand thème de la Meschanceté (1656). Entre elles, elles
ne parlent que de « ça » et se repaissent de livres impudiques bien plus que
du catéchisme (p. 33). Elles « se laissent baisotter, tastonner, & cajoller,
d'où arrivent souvent de grands malheurs » (p. 10). Enfin, « pour unes cen-
taines de filles qui gardent comme un thrésor leur Virginité, si il y a mille
aujourd'huy qui ne cherchent que les occasions de la perdre » (p. 6).
Les références bibliographiques de cette section sont à chercher dans Bi-
bliogr. IC.
29
« L'homme n'a pas au monde de plus grand ennemi que la Femme, qui plus
sensiblement endommage sa vie. son honneur et toute sa fortune ni qui s'op-
pose plus malicieusement à tous ses desseins. » (Malice, 1732.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 89

*
* *
Une autre tradition qui requiert l'examen, c'est la kyrielle de traités
misogynes d'inspiration religieuse ; pour l'Église aux XVIIe et XVIIIe
siècles, la femme, livrée à elle-même, reste un être satanique dont les
penchants malfaisants justifient la publication de mille traités gron-
deurs dus à la peu galante plume de pères capucins. Nous avons exa-
miné quelques « classiques » parmi ces ouvrages, obsédés par les dan-
gers que les femmes font courir au salut des hommes.
Le Discours contre la vanité des femmes de Pierre Juvernay, prêtre
parisien (1635), tient les femmes pour l'« Amadou de l'Enfer ». Il
voue au feu éternel les femmes de son temps : elles montrent trop
leurs « tétons ». Ce reproche est, en effet, le thème dominant des trois
discours dont l'ouvrage se compose.
La croisade contre les « nuditez de gorge » va du reste se déployer
pendant tout le siècle. On verra encore la Modestie des habits des
filles et femmes chrestiennes (1675) : que vaut d'avoir soin de ses ha-
bits, si l'on n'a soin de son âme ? « Avez-vous un peu de Religion, ou
un peu de pudeur, vous que je vois, par une nudité honteuse, démentir
[69] l'une ou l'autre de ces deux vertus si convenables a vôtre sexe ?
« [...] Ignorez-vous que vôtre corps est le membre de JÉSUS-
CHRIST, & le Temple du Saint Esprit, vous qui le prêtez au Démon,
en le découvrant, pour corrompre l'innocence des âmes rachetées par
le Sang de JÉSUS-CHRIST ? « (Avis aux femmes et aux filles, 1682,
p.1).
Les Instructions chrestiennes touchant le luxe et la vanité des
femmes du Père Pipet (1678) forment une anthologie des enseigne-
ments de tous les moralistes chrétiens de saint Jérôme à saint Bernard,
contre les femmes. Car, est-il dit, « les femmes, par un vice de la na-
ture, prennent naissance avec une volonté de plaire aux hommes ».
Hélas !
La Retraite pour les dames du Père F. Guilloré (1684) fut, en son
temps, un ouvrage très répandu. Le Père jésuite y tonne contre la vani-
té et le luxe féminins.
L'abbé de Vassetz, en 1694, consacre un important traité Contre le
luxe des Coiffures. « Le corps n'est qu'un peu de boue » (p. 4) : il sied
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 90

mal aux femmes d'en prendre un tel soin. Un abbé Beaupuis a fait un
autre traité, interminable, sur le même sujet. L'abus de luxe et les
désordres galants sont montés à leur excès. On méprise l'ancienne mo-
destie. Où va le monde ? La situation ne va pas s'arranger pour ces
censeurs, au siècle suivant.
L'abbé Goussault trace, par contraste le Portrait d'une femme hon-
nête, raisonnable et véritablement chrétienne (1694) : il en est peu.
Drouet de Maupertuis, en 1755, agacé de tous les écrits parus à la
louange des femmes, de leur force, leur héroïsme, leur constance, pré-
tend en revenir au bons sens et à la vérité, en publiant la Femme
faible. Il s'effare d'observer « le foible prodigieux que les Femmes ont
pour les hommes ». Comment les garantir contre leur propre fai-
blesse ? Tel est l'objet de cet ouvrage. Par l'exemple de ses tristes
conséquences, l'auteur veut guérir les femmes de l'« entêtement »
qu'elles ont pour les hommes.
Un des ouvrages les plus grondeurs jamais écrits par un moine
contre le sexe féminin est le Discours sur les femmes du R.P.Achille
de Barbantanne, paru en Avignon en 1754. L'horreur pour les
désordres charnels s'y exprime avec, si l'on peut dire, une faconde mé-
ridionale : comment décrire « les ravages que les femmes font au
monde » ? La femme. « ce serpent adroit & ce fier ennemi de
l'Homme », « redoutable adversaire du genre masculin »... « O, s'ex-
clame le bon père, O chair de rébellion, chair d'ordure & de mort !
Terre de malédiction, terre de chardons & d'épines ! » Péroraison :
« Oh ! Que j'aurais à souhaiter aujourd'hui que mes lèvres fussent un
charbon embrasé, ma langue un [70] glaive tranchant et mes paroles
des flammes ardentes », pour pouvoir maudire plus vigoureusement la
femme, occasion et cause de damnation éternelle.
Alors que les « nuditéz de gorge » occupaient déjà énormément
l'esprit de tous ces Pères, les caprices de la mode vont leur offrir de
nouvelles occasions de lamentations. Ainsi de l'apparition des « pa-
niers » auxquels on consacre de nombreux libelles grondeurs : « L'Es-
prit de Satan qui dès le commencement du monde avoit médité la
perte des hommes par le canal & l'entremise de la Femme n'a jamais
abandonné ce malheureux dessein. » Tel est l'édifiant exorde de
l »Entretien d'une dame de qualité avec son Directeur (1762). On le
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 91

voit, seuls des ecclésiastiques désormais maintiennent dans toute sa


force la tradition misogyne léguée par le Moyen Âge.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 92

Boileau et ses antagonistes

La Satire X de Boileau ne paraît qu'en 1694. Médiocre imitation de


Juvénal et d'Horace, cette versification sans esprit ni originalité, fort
plate à tout prendre, n'en émanait pas moins d'un poète prestigieux.
Elle va susciter plusieurs répliques : une Réponse de Pradon, une
Épistre anonyme et l’Apologie des femmes de Perrault. Le satirique
Pierre Henri, adversaire personnel de Boileau, répondra par une Satire
des hommes.
La tradition veut qu'un dindon ait dévoré les « parties naturelles »
de Nicolas Despréaux, dans son enfance. On ne manque pas de rappe-
ler à l'auteur de Y Art poétique cette infortune censée expliquer bien
des choses :
Il est vrai que privé des dons de la nature
Le Ciel ne te forma que pour leur faire injure. (Épistre.)
L'Apologie des femmes de Charles Perrault est un poème très froid
et d'un faible intérêt. La préface est par contre une polémique pleine
de verve contre Boileau. Perrault, en tant que « moderne », rappelle à
son adversaire qu'il ne suffit pas d'imiter les anciens pour faire œuvre
de qualité ni pour être justifié. Boileau régresse de plusieurs généra-
tions. Il ne fait que démarquer la « Bibliothèque bleue » sans risquer
d'en égaler le débit ! Toute cette attaque ne manque pas de justesse.
Boileau est certainement un attardé : l'hostilité gynophobe va prendre
désormais un tour moins direct, le dénigrement se fera plus piquant,
plus spirituel. On feindra d'y mettre un certain humour ou bien encore
le parti pris se dissimulera sous la prétention à l'observation philoso-
phique.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 93

[71]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.
PREMIÈRE PARTIE : HISTORIQUE

Chapitre III
Le XVIIIe siècle

Retour à la table des matières

[72]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 94

[73]

Le rôle social des femmes dans l'aristocratie de cour mais aussi la


noblesse de robe et la ploutocratie des fermiers généraux (les « finan-
cières ») croît en importance dès le début du siècle, tandis que la liber-
té des mœurs est illustrée par le tableau qu'offre la société sous la Ré-
gence. On notera toutefois que cette libération ambiguë qui témoigne
de la crise des classes dirigeantes n'atteint guère la moyenne bourgeoi-
sie ni le peuple. La contradiction entre le statut légal et coutumier des
femmes et le rôle que leur concèdent les classes privilégiées ne cesse
de s'aggraver. La dissolution du « joug marital » va de pair avec une
libération des esprits qui apporte autant une critique audacieuse de
l'ordre ancien qu'un cynisme de fin d'époque et de sournoises tenta-
tives pour faire servir le rationalisme nouvellement conquis à la
confirmation des privilèges masculins.
Dans son Dictionnaire historique et critique (1696), Pierre Bayle,
admirateur de Poullain de la Barre, avait compilé et critiqué en ratio-
naliste la tradition de la supériorité des femmes en France et en Italie,
remontant jusqu'à Cornélius Agrippa. Il y voyait beaucoup de fatras
mais montrait cependant l'intérêt de cette tradition face aux vieux
monstres misogynes, et discernait ce que l'esprit nouveau pouvait en
tirer.
Les salons, tant parisiens que provinciaux, changent de nature et de
fonction : lieux de discussions philosophiques, de débats d'idées plus
que de jeux mondains et sentimentaux. Les académies, dont le réseau
va couvrir la France, mettent au concours des questions d'éthique so-
ciale où le problème de la condition féminine et de la nature des in-
égalités revient fréquemment. Au XVIIIe siècle, il n'est guère d'écri-
vain, petit ou grand, qui n'ait consacré quelques pages au problème fé-
minin. Nous continuerons à nous en tenir aux ouvrages qui défendent
expressément la thèse de la supériorité des femmes ou qui découlent
moins de son corpus d'arguments, fût-ce en en modifiant les conclu-
sions.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 95

[74]
De plus en plus de femmes interviennent dans notre débat. La pré-
ciosité n'avait été que l'avant-coup de cette promotion, limitée, il est
vrai, à un petit nombre de « savantes » et de femmes du monde.
Le nombre des prêtres mondains qui tirent parti de leur érudition
scripturaire pour satisfaire de galantes préoccupations est également
un signe des temps. L. Abensour (p.xxii, Bibliographie II) prétend
qu'« entre le dernier des ouvrages de Poullain de la Barre et les ou-
vrages de Mlle Archambault et de Madame Galien (1737), on ne verra
apparaître aucun plaidoyer féministe ». Ce n'est pas exact : outre les
adaptations d'Agrippa et les écrits de C. M. D. Noël déjà cités, nous
allons en rencontrer d'autres. Ce qui est vrai, c'est que le genre atteint
une étape de mutation/dissolution qui présage de sa disparition.
Si les dissertations de Mme de Puisieux et des Pères Dinouart et
Caffiaux appartiennent à la version « normale » de notre tradition,
d'autres libelles montrent à la fois une dérive de la thématique et un
esprit de subversion qui atteint son apogée dès 1712 avec l'anonyme
Apothéose du beau-sexe.
Enfin il faut signaler la naissance discrète d'un courant féministe
stricto sensu qui me semble se distinguer d'emblée de l'idéologie que
nous étudions : la question de la supériorité ou de l'égalité n'est plus ce
qui importe mais celle, beaucoup plus concrète, des droits sociaux et
politiques refusés aux femmes.
On a remarqué toutefois que le féminisme en ce sens strict apparaît
tardivement en France ; à l'époque révolutionnaire, en fait. En Angle-
terre au contraire, les premières féministes se manifestent dès l'aube
du siècle des Lumières (Mary Astell, Elizabeth Inchbald…) 30.
Au milieu du siècle naîtra enfin un courant de réaction hypocrite
que nous appellerons « sexisme scientifique » : divers essayistes dé-
clarent ne vouloir plus s'appuyer que sur les évidences de la Nature et
de la Raison, rejeter les vaines galanteries autant que les préjugés mi-
sogynes : c'est pour aboutir à un discours très ambigu : la Nature a
voulu la différence des sexes, la femme a un rôle tout tracé, les fa-

30
On notera l'apparition d'un théâtre féministe, des pièces italiennes de Ghe-
rardi (1701) au Monde renversé de Lesage.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 96

tigues de la vie intellectuelle ou de la politique ne conviennent pas à


son tempérament...
[75]
Les grands écrivains bourgeois. Voltaire, Rousseau, Diderot
même, se rallient plutôt à cette idéologie, avec des nuances diverses ;
certains sensualistes plus audacieux comme Helvétius ou La Mettrie
s'en éloignent seuls. Dans la deuxième moitié du siècle, les apologies
des femmes, rhapsodies de plus en plus médiocres, n'ont guère de
mordant.
Avec la Révolution, les pamphlets féministes prennent le relais
mais ce féminisme révolutionnaire sera complètement écrasé, après
avoir nourri beaucoup d'espoir, dès avant Thermidor.

1. L'Apothéose du Beau-Sexe, 1712

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Cet opuscule dont l'auteur reste inconnu 31 parut à Londres en 1712


avec un frontispice représentant Pandore divinisée, tenant contre son
ventre la boîte d'où devaient sortir les misères de l'humanité. La thèse
singulière défendue dans ce libelle a permis de n'y voir qu'une plai-
sante supercherie. Mais il est des supercheries qui tiennent plus de
l'expérience spéculative que de la mystification pure et simple. C'est
nous semble-t-il, le cas dans ce petit ouvrage, moins parodique qu'il
n'y paraît.
Le titre n'est pas pour surprendre : « Apothéose du sexe », « Apo-
logie du beau sexe », « Triomphe du sexe » : nous recensons au
XVIIIe siècle une dizaine de titres analogues. Mais ce titre, il faut ici
le prendre dans toute sa rigueur. Apothéose signifie bien étymologi-
quement « divinisation ». Et « sexe » doit s'entendre non, selon le vo-
cabulaire noble, comme synonyme de « femme » (mot trop peu relevé

31
La préface le déclare dû a un savant de premier ordre, d'origine allemande,
mort peu auparavant ; hum !
Brunet attribue ce libelle à André François Boureau Deslandes (1690-
1757), - en se fondant probablement sur la réputation d'impiété que ses ou-
vrages ultérieurs ont méritée à celui-ci.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 97

au goût du temps) mais bien précisément dans le sens de « parties gé-


nitales de la femme 32 ».
L'auteur se propose tout bonnement de vouer un culte religieux aux
organes sexuels féminins et justifie sur le ton le plus grave la légitimi-
té de ce choix et l'opportunité d'un retour au paganisme naturel. Il
s'appuie — c'est évident — sur la thèse de la supériorité des femmes
et [76] proclame la nécessité de réhabiliter le libidinal ; l'érotisme
étant le seul mouvement qui nous rapproche du divin — d'un senti-
ment du divin en tout cas, qui ne soit pas, comme dans les religions
modernes, dégradé et répressif.
En somme, l'auteur se veut polythéiste et entend vouer à la sexuali-
té féminine une dévotion particulière qui lui semble conforme, comme
il se doit en ce siècle, à la Nature et à la Raison. Son argument ne
manque ni de solidité ni d'érudition et si un humour camouflé se de-
vine, il se combine avec un authentique enthousiasme.
Le ton du libelle dissimule ses audaces religieuses et morales.
L'auteur s'ingénie à trouver des descriptions cryptiques des organes fé-
minins chez divers auteurs antiques, en partant d'Homère décrivant
l'antre des Nymphes ; il rappelle les Thesmophories, culte particulier
aux femmes dans le monde gréco-romain.
Ce culte du sexe chez les anciens lui paraît conforme à la nature de
leur sentiment du sacré : « Chaque individu libre de se choisir des
Dieux & de leur arroger un culte, il étoit naturel que la Divinité pour
laquelle il se déterminoit convînt absolument avec les idées dont il
étoit en possession. »
Au reste, note-t-il, un tel sentiment, s'il peut sembler bizarre, est
conforme à la logique.naturelle. Argument invincible pour le siècle :
« Tous les hommes généralement sont portés à rendre au Sexe & à la
partie qui le distingue du nôtre des hommages touchants [ .. . ] Le petit
nombre qui ne l'aime point est composé de gens sans âme, sans senti-
mens & incapables de penser avec délicatesse. » (p. 101).
Le ton se fait lyrique : « Quoi de plus beau dans la Nature que la
Femme ! & quoi de plus naturel que d'avoir en vénération VOrgane de

32
L'auteur écrit : « parties génitales ». Dans le ton sublime, on écrivait plus
volontiers « le Sanctuaire de la Volupté ». Il s'indigne du terme de « parties
honteuses » qui lui semble déraisonnable (p. 29).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 98

la Production des Êtres raisonnables [...] Mille bonnes raisons dé-


voient engager les Hommes à choisir pour une de leurs Divinités les
Parties de la Femme puisque c'était comme nous l'avons dit, les
choses qu'ils aimoient le plus [...] Que ne font point ces Parties sans
comparaison ? Elles entretiennent l'union & l'harmonie dans la socié-
té, elles apprivoisent les hommes les plus féroces. » (p.54).
Le culte idéalisé rendu aux femmes n'est qu'un pis-aller. Il existe
entre le sexuel et le sacré une liaison évidente que l'on s'acharne à dis-
simuler. Rien que pour avoir « redécouvert » cette évidence, l'ouvrage
que nous examinons mérite d'être signalé.
[77]
L'apothéose du sexe féminin est réclamée au nom de la Raison
(p.64). Car la Raison peut rendre justice en toute sérénité à ce qui lui
est par nature étranger : le plaisir ; elle n'a pas pour rôle de le mécon-
naître mais d'en proclamer la valeur.
Or le plaisir sexuel est « le seul des plaisirs parfaits, parce qu'il oc-
cupe à la fois & les parties du corps et les facultés de l'Ame » (p. 128).
Dans les plaisirs que procurent les « parties génitales », « tout tient
du saisissement & de l'enthousiasme, & l'émotion qu'elles causent,
vaut bien les agitations & les tremblements du trépied de l'oracle de
Delphe » (p. 128).
En conclusion, il convient de « regarder ces Parties comme
quelque chose de très vénérable et de très aimable en même temps »
(p.85).
Quant aux « sacrifices » que l'auteur se propose d'offrir à ces divi-
nités, on devine ainsi quels ils sont. C'est au lieu même de ces sacri-
fices, conformes à la raison naturelle, que la supériorité de la femme
peut enfin être sans conteste établie : « Nos efforts sont violens, notre
choc est rude, mais nous plions bientôt & ne retournons à la charge
qu'après mûre délibération. » (p. 106).
C'est qu'au déduit, l'« endurance » féminine n'est en effet nulle-
ment contestable : « Cette supériorité a toujours été un sujet de noise
& d'envie. » (p.l07).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 99

Mystificateur peut-être, l'opuscule anonyme est aussi celui d'un


mystique, d'un mystique libertin. Son ironie n'exclut pas une saine in-
tuition du refoulé dans le discours sur les femmes 33.

2. Panégyriques publiés entre 1715 et 1744

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Autre opuscule anonyme, le Triomphe du beau sexe (1719) défend,


selon le schéma argumentatif traditionnel, la thèse que les femmes,
quoique opprimées par le sexe masculin, sont « supérieures aux
hommes presque en toute manière » (p. 1). Le Triomphe adopte même
[78] la version « extrémiste » en affirmant qu'en bonne justice « l'Em-
pire de la Femme s'étend à commander à tout l'Univers » (p.24).
*
* *
L'Apologie du beau sexe (1729) est un mélange de textes, fables,
centons. composé par un provincial qui veut faire le galant. On y ren-
contre tous les arguments classiques.
*
* *
Madame Galien avait composé à Château-Thierry une Apologie
des dames (1737 34) pour prouver que les femmes ont sur les hommes
« beaucoup d'avantages » (p. 18). Elle rassemble d'innombrables
preuves tirées de la bible, du martyrologe, de l'histoire
ecclésiastique. .. L'ouvrage formule assez confusément certaines re-
vendications féministes au sens strict.
*
* *

33
Un autre ouvrage anonyme paraît en 1713, favorable en termes traditionnels
à la supériorité du beau sexe : Apologie des femmes contre les calomnies des
hommes. La même année, on trouve une traduction nouvelle de la disserta-
tion de Cornélius Agrippa sur « la grandeur et l'excellence des femmes ». En
1718, Lesage transpose le thème de la supériorité des femmes dans un opéra
utopique et conjectural, le Monde renversé.
34
Rééditée en 1748.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 100

L'Histoire des Amazones de l'abbé Guyon (1740) est tout d'abord


une dissertation philosophique et historique pour prouver la réalité des
Amazones, prises par certains pour fictions poétiques. Les cent
soixante-seize pages de préface traitent en général de l'excellence et
des mérites des femmes. D'innombrables digressions dans le corps du
texte vont dans le même sens.
*
* *
M. de La Coste, enfin, donne au Mercure de France une brève dis-
sertation sur « la supériorité des Dames ». Il croit avoir établi « que
les Dames ont beaucoup plus d'esprit & les sentiments plus nobles que
les hommes » (p. 1937).
[79]

3. L'abbé Dinouart, 1749

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L'abbé Dinouart (1716—1786), fondateur du Journal ecclésias-


tique, auteur d'un Traire de l'éloquence du corps, se brouilla avec son
évê-que pour avoir fait paraître, sous le couvert de l'anonymat, son
Triomphe du sexe 35.
Bien traditionnel pourtant, cet ouvrage qui reprend sans nouveauté
les arguments de la supériorité connus depuis le XVI e siècle, en dé-
marquant les « classiques ». Par une inconséquence dont nous allons
relever d'autres exemples, l'auteur conclut cependant à l'« égalité des
sexes dans la complémentarité », « leur nature réciproque est la fin
que Dieu s'est proposée en les créant » (p. 11).
Prudemment, l'abbé admet cependant que la prééminence légale et
civile de l'homme a été voulue par l'Être suprême : « La femme n'est
inférieure à l'homme que par la dépendance civile à laquelle la provi-
dence l'a assujettie. » (ch. IV). S'il se complaît aux listes érudites de
35
Éloquence du corps, triomphe du sexe : on pourrait croire à l'abbé l'imagi-
nation liciencieuse, mais le premier de ces ouvrages est un manuel de rhéto-
rique portant sur l’eloculio ou actio : les gestes de l'orateur sacré dans l'élo-
quence de la chaire.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 101

femmes célèbres, héroïques ou savantes, il est bien de son siècle par le


culte qu'il voue à la raison. « Parler en faveur des femmes, c'est traiter
une matière délicate. L'apologiste passera tousjours pour amoureux ou
pour galant. » (Ch. lX.) « J'aime le Sexe comme homme & je rends
hommage à la vérité. Si je décide en faveur des Femmes, la raison
seule m'inspire. » (Ch. XI.)
Enfin, s'il prétend exalter « l'égalité que le Ciel & la nature ont
donné aux deux sexes » (ch. XIII), il ne cesse de découvrir chez les
femmes des vertus et des talents dont les hommes ne sont pas pourvus
au même titre qu'elles.
Il conclut par un éloge de l'amour, qu'il assimile expressément au
désir physique ; la révérence qu'on a pour les femmes, les hommages
qu'on leur rend n'en sont que le travestissement : « Dire qu'on ne doit
qu'estimer les femmes, c'est abuser des noms, pour déguiser la vérité
des choses. L'estime et l'amitié ne regardent que les personnes d'un
même sexe ; mais l'amour est proprement l'inclination naturelle que
les deux sexes ont l'un pour l'autre. » (p.87).
[80]

4. P. et M. Florent de Puisieux, 1750

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Philippe Florent de Puisieux selon certaines sources, sa femme,


Madeleine Darsant, selon d'autres 36 (et pourquoi pas, tous les deux)
publièrent à Londres en 1750 un opuscule intitulé : « La femme n'est
pas inférieure à l'homme », repris l'année suivante sous un nouveau
titre : le Triomphe des dames.
L'infériorité de la femme, constate l'auteur, qui se donne pour une
femme, est un dogme difficile à combattre : « Il n'y a point d'erreur
populaire plus ancienne et plus accréditée. » (p. 15).
Cependant, d'autres préjugés ont été vaincus à la lumière de la rai-
son : Puisieux cite le mythe des Antipodes, la thèse des animaux-ma-
36
Respectivement Barbier et Abensour. Madame F. de Puisieux a publié aus-
si : Conseils à une amie, s. !., 1749, des contes, des récits moraux, des ro-
mans.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 102

chines. .. Le moment est venu d'en finir avec la prévention antifémi-


niste : « La Nature a mis une égalité parfaite entre les deux sexes. »
(p.20). Cependant, à l'instar de Dinouart, ce sont des preuves de supé-
riorité que Puisieux va chercher. Parmi celles-ci dans la liste tradition-
nelle, on relève l'argument par la capacité d'éduquer les enfants. Fonc-
tion sociale d'une importance primordiale qui, s'il était admis que
seules les femmes sont capables de la remplir, suffirait à élever leur
sexe au-dessus des hommes.
L'auteur emprunte la plupart de ses données à Poullain, au
Triomphe de 1719 et à Dinouart. Il semble improbable dès lors que
l'ouvrage soit, comme le veut la suscription de la page de titre, « tra-
duit de l'anglois ».
Il conclut en faveur de l'égalité sociale et plus encore, adoptant une
thèse extrême et hyperrationnaliste, en faveur de l’identité absolue des
sexes, à la différence près des fonctions génératrices : « La différence
des sexes ne regarde que le corps seulement & n'existe que dans les
parties qui servent à la propagation de la nature humaine. » (p.53).
*
* *
Il faudrait dire quelques mots ici de la Lucina sine concubitu, mys-
tification érudite d'Abraham Johnson (sir John Hill) où l'auteur pour
se moquer des physiologistes de son temps prétend rapporter une ex-
périence réussie de parthénogenèse.
[81]
La première traduction française paraît en 1750 (« Lucine affran-
chie des loix du concours »). On a, en 1752, une suite à la mystifica-
tion avec le prétendu libelle de John Roe « Concubitus sine Lucina ».
Le premier ouvrage montrait qu'une femme peut concevoir sans le
commerce de l'homme. Le second soutiendra qu'une femme peut souf-
frir le commerce de l'homme sans subir les douleurs de l'enfantement :
il invente un système d'incubation artificielle. Mais la brochure, très
ambiguë, semble vouloir répondre à l'antique souhait « Utinam exiret
tam facile quam iniisset ! ». Ces ouvrages parodiques s'inscrivent
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 103

dans la tradition de la parthénogenèse naturelle dont ils constituent la


critique plaisante et sceptique 37.

5. Le Père Caffiaux, 1753

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Curieux ouvrage que celui du Père Caffiaux, jésuite. C'est un des


plus volumineux jamais parus sur la question : trois volumes in-12.
Caffiaux s'alimente à deux sources évidemment incompatibles : Cor-
nélius Agrippa dont il a vu la traduction de 1713 et Poullain de la
Barre 38. Suivant ce dernier, il se doit de revendiquer une égalité fon-
dée en raison mais, admirant l'alchimiste du XVI e siècle, il défend
également et contradictoirement la thèse de la supériorité absolue des
femmes. Comme Poullain, il commence par s'indigner de « l'état de
servitude et d'esclavage où les hommes tiennent aujourd'hui les
femmes » (I, p.9). Comme lui, il croit les femmes douées d'une incli-
nation plus forte pour l'activité sexuelle, afin que se compensent par là
les incommodités de la grossesse. Mais cela ne l'empêche pas. à l'ins-
tar d'Agrippa et plus prolixement que lui, de soutenir la thèse de la su-
périeure chasteté des femmes, à grand renfort de Pénélopes et de Di-
dons. Qui veut trop prouver... Il croit également que, dans la prime en-
fance, les filles font paraître plus d'esprit et de dispositions pour les
études que les garçons.
En principe, il se démarque donc d'Agrippa, et le dit expressé-
ment : « [Agrippa] vouloit élever les femmes au dessus des hommes ;
au lieu que je ne demande qu'une égalité parfaite entre les deux
sexes. » (I, p.30).
Or, malgré qu'il en ait, le Père Caffiaux, esclave de ses sources ou
emporté par l'enthousiasme, accumule de plus en plus d'exemples [82]
qui conduisent à concéder aux femmes une supériorité potentielle,
cherchant d'ailleurs ses preuves historiques chez les païens plus que
dans les Écritures. Le Père Caffiaux a l'imagination tant soit peu bis-
37
La même année (1750) paraît une « Dissertation » de Mademoiselle Ar-
chambault, « Lequel de l'homme ou de la femme est plus capable de
constance ? ».
38
Il fait l'éloge de ce dernier et résume son premier ouvrage.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 104

cornue. Ne tire-t-il pas de l'anecdote d'Archimède clamant son « eurê-


ka » en sortant nu de son bain la remarque qu'une femme n'aurait pas
montré une telle impudeur, même sous prétexte de découverte scienti-
fique. Un autre passage proclame que jamais les femmes ne voudront
être cosmonautes : « Elles laisseront à ceux qui voudraient réaliser les
fables de Cyrano de Bergerac le plaisir de faire des voyages dans les
planètes et dans le soleil. » (I, p. 63).
Emporté par son sujet. Caffiaux finit par souhaiter l'avènement du
Règne des Femmes. Si les Femmes pouvaient régir les mœurs et exer-
cer le pouvoir souverain, on ne verrait plus les désordres constants des
sociétés phallocentriques : « Voit-on parmi elles, les meilleures amies
le poignard à la main prêtes à terminer par la mort de l'une ou de
l'autre un différend ému sur un discours mal interprété, sur un raport
peu fidèle ? » (I, p.67).
La conclusion s'impose : « Je prétends que la femme a plus de droit
de gouverner les peuples que l'homme. » (I. p.112). L'observation des
abeilles, dont l'exemple est attesté pour la première fois ici, permet
d'affirmer que seules les femmes sont susceptibles de constituer une
république idéale.

6. Lettres au chevalier de K***, 1754

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Le ton de ce recueil anonyme tranche sur celui de la production


courante. L'auteur, une femme, polémique contre un gentilhomme
coupable d'avoir ironiquement médit des femmes. On se promet de lui
rendre la monnaie de sa pièce. Les « lettres » ne souhaitent pas qu'on
concède aux femmes l'égalité, elles revendiquent bel et bien la supé-
riorité sur le sexe mâle. « Il y a toute apparence que notre essence est
au dessus de la vôtre. » (p. 11).
C'est un petit roman par lettres où la Marquise, en badinant, fait
passer quelques leçons au Chevalier, galant mais cyniquement miso-
gyne. Il v a un petit ton Merteuil chez cette prétendue Marquise qui
surprend plaisamment. La force de l'argumentation consiste à trouver
dans l'oppression même dont les femmes sont victimes la preuve de
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 105

leur supériorité : « Vous avez abusé de la bonté de notre cœur pour


nous opprimer. » (p. 14).
[83]
Si les hommes ont réduit les femmes au rôle inférieur où on les
voit, c'est qu'ils les ont redoutées de tout temps sans l'avouer : « Vos
pères. Chevalier, ont connu notre supériorité ; ils ont crû nous la faire
perdre en imaginant des loix qui en apparence nous avilissent. » (p.
13). « Vous nous croyez faibles ; erreur : nous ne sommes que sen-
sibles. » (p. 12).
La femme est aliénée par l'image que l'homme lui impose des
règles de conduite conformes à sa condition. Chez l'homme comme
chez la femme, le souci de l'honneur n'est que mystification. C'est une
chimère et, quoique femme et homme le placent dans des choses bien
opposées, c'est semblable folie : « Le vôtre vous porte à vous couper
la gorge avec votre meilleur ami, pour la moindre bagatelle ; & le
nôtre à combattre sottement le penchant de la nature ; nous choquons
également le bon sens. Le pardon d'une offense n'est-il pas au dessus
de la vengeance qu'on en peut tirer ; & l'art de se rendre heureux sans
nuire à personne, ne devroit-il pas être regardé comme une vertu ? À
ne consulter que [la] nature, cela n'est pas douteux. » (p. 16).
Si le ton badin édulcore cette polémique, la réhabilitation du plaisir
qui s'y fait jour marque une mutation des mentalités. L'ouvrage qui
tourne en dérision l'attitude présomptueuse des hommes, n'exige pas
des femmes qu'elles s'astreignent à la recherche d'une perfection
contre-nature. L'auteur des « Lettres » souhaite que les femmes
trouvent le courage de rechercher le bonheur dans l'accord avec elles-
mêmes et avec le monde 39.

39
Paraît aussi en 1754 la Malice des hommes signé « Mademoiselle J*** »,
brochure de colportage en réponse à l'antique « Malice des femmes », tou-
jours au catalogue de la Bibliothèque bleue.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 106

7. Boudier de Villemert (1758),


et le sexisme philosophique

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L'Ami des femmes du jurisconsulte Boudier de Villemert (1716-


1801) connut un succès dont témoignent les éditions successives et
augmentées. Nous suivrons celle de 1788 40.
Le premier, il tient qu'après des siècles d'erreurs, de divagations
malveillantes ou galantes, il est possible de jeter sur la femme un re-
gard « philosophique ». De fonder sur l'observation et la connaissance
objective un discours rigoureux, dépouillé des préjugés comme des
louanges excessives. Il n'a pas à se montrer favorable ou défavorable
[84] aux femmes : il suffit qu'il soit vrai et sans parti pris. La querelle
sur l'infériorité des femmes, ou leur supériorité, doit prendre fin :

On a dans les tems dit des femmes ou trop de bien ou trop de


mal. (p. 17)
Combien est frivole la question de la prééminence des sexes.
(XIII)
Un sexe a-t-il une véritable supériorité sur l'autre ? [...] Beau-
coup de femmes ont réclamé la supériorité ; c'était un moyen
sûr de la perdre. Le désir trop marqué de dominer, fera toujours
échouer ce sexe dans les entreprises qu'il fera sur le nôtre. (p.9)

Boudier, malgré ces déclarations d'intention, ne nous paraît pas ou-


vrir une ère nouvelle. Au nom de la science et de la raison, il produit
un discours très ambigu et profondément « sexiste ». Il ne s'agit plus
de sa lamenter sur la malice des femmes mais de convaincre les
femmes mêmes des limites de leur condition, de tirer de leur éloge des
arguments répressifs, de les inviter à ne pas outrepasser les bornes que
leur fixe la nature. Qu'elles tâchent d'exceller dans leur sphère particu-
lière, elles ne feront que se conformer à la raison. Les femmes sont
créées pour l'usage de l'homme. Les sexes sont donc complémen-
taires ! Ce discours patelin, qui enfouit la misogynie antique sous une
40
Riquetti de Mirabeau avait publié peu auparavant un A mi des hommes
(1755).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 107

bienveillance simulée, servira de modèle jusqu'au XIX" siècle à la


plupart des ouvrages « sérieux » qui. émanant de médecins ou de mo-
ralistes. « se penchent » sur les femmes et leur proposent leurs bons
offices. Boudier déplore la condition où se trouvent les femmes ; leurs
travers bien connus — oisiveté, indolence, étourderie, niaiserie — ne
sont que le résultat de l'état malheureux où on les maintient : « Tout
conspire à étouffer les heureuses dispositions qu'elles ont reçues de la
nature. » (p.23).
Quel besoin pourtant de dissimuler leurs défauts ? Ils sont excu-
sables : « Elles doivent aux hommes une bonne partie ; le désir de
plaire, naturel au sexe, le portant à se régler sur les idées reçues parmi
les hommes qui l'entourent. » (p.22).
On voit l'habileté de ce discours qui concède l'oppression dont
souffrent les femmes pour renforcer leur aliénation. L'idée clé de
complémentarité entre les sexes permettra de cantonner les femmes
dans certains rôles et de borner leurs ambitions. L'homme et la femme
doivent former « un agréable concert » (p.34) ; « L'homme destiné
aux actions fortes, a dans le caractère une certaine âpreté. qu'il est ré-
servé aux femmes de corriger. » (p.31).
Que chacun reste à sa place et agisse conformément à la nature et
tout sera pour le mieux : « Leur gaieté sert de contrepoids à notre hu-
meur sérieuse et austère. » (p.31).
[85]
Mais dans l'autre sens, l'homme pourra tempérer « une négligence
à laquelle elles s'abandonneraient, si elles n'étaient piquées du désir de
plaire » (p.32).
L'intellect un peu faible des femmes pourra se soutenir par le dyna-
misme spirituel propre au sexe masculin : « D'ailleurs, l'esprit des
femmes, abattu sous la multitude de petits détails, languirait dans
l'ignorance si les hommes, les rappelant à des objets plus élevés, ne
leur communiquaient de l'élévation et de la vigueur. » (p.33).
L'harmonie préétablie de la nature fait de ces différences un état de
fait, où, s'empresse-t-on de dire, il ne faut plus voir de hiérarchie : « Si
les hommes ont l'esprit d'une trempe plus forte, c'est pour concourir
plus efficacement au bonheur de celles qui l'ont plus délicat. » (p.34).
Générosité réciproque : « Chaque sexe a une destination particulière
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 108

qui dérive de sa constitution physique, et ne peut être transportée à


l'autre. » (p. XII). Cela dit, on permettra aux femmes de revendiquer
certaines supériorités conformes à leur nature : « Elles ont le cœur
meilleur que les hommes, sont plus tendres, plus compatissantes. »
(p.227). « Elles sont en général plus vraies dans leurs affections, elles
ont plus d'égard à l'honneur, plus de fidélité, de constance et [...] elles
mènent une vie plus réglée que la plupart des hommes. » (p.230.)
Étant donné les présupposés, de tels éloges coûtent peu. Il n'est
plus besoin de témoigner aux femmes d'hostilité, si la nature, à quoi
tous doivent se soumettre, détermine le rôle auquel elles peuvent pré-
tendre : « la finesse de leur tact » (p.47). « la délicatesse de leur orga-
nisation » (ch.VII). « une timidité naturelle compagne ordinaire de la
modestie et de la pudeur » (ch.VIII), tous ces indices invitent les
femmes à ne pas viser trop haut : « Les femmes ne sont pas faites pour
essuyer les mêmes fatigues que nous. » (p.71). « Elles doivent surtout
s'éloigner des sciences abstraites, et des épineuses recherches dont les
détails pourraient appesantir leur esprit et émousser cette finesse par
laquelle elles excellent. » (p.50.)
Elles n'auront pas à regretter ces limitations mais au contraire à
s'en féliciter : le vain savoir qu'elles acquerraient ne pourrait que
« nuire aux grâces naturelles de leur esprit » (p.58). On voit qu'elles
ont la meilleure part. À quoi bon revendiquer autre chose ?
Et qu'elles n'oublient pas enfin que la pudeur, « ce précieux ins-
tinct » (p.226), est et demeurera « la plus indispensable de leurs ver-
tus » (p.223).
[86]
Ce type de discours, hypocritement bienveillant, est celui qui dé-
sormais va dominer. Il marque un coup d'arrêt dans les apologies des
femmes. Nous sommes très en retrait de l'intuition critique qui guidait
Poullain de la Barre. Sous couvert d'accepter l'égalité des sexes, on in-
vite les femmes à intérioriser une version « modérée » et raisonnable
de l'idéologie sexiste.
Voltaire, malgré un certain égalitarisme de principe, n'est pas loin
du « sexisme scientifique » dont nous croyons trouver la première
synthèse chez Boudier.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 109

La faiblesse physique va, chez les femmes, de pair avec l'imbécili-


té morale. On peut lire au Dictionnaire philosophique : « Au phy-
sique, la femme est de par sa physiologie, plus faible que l'homme, les
émissions périodiques de sang qui affaiblissent les femmes et les ma-
ladies qui naissent de leur suppression, les temps de la grossesse [...]
la délicatesse de leurs membres les rendent peu propres à tous les tra-
vaux qui exigent de la force et de l'endurance. » Et pour conclure, par
un glissement subreptice : « L'homme a d'ordinaire beaucoup de supé-
riorité par la force du corps et même de l'esprit. » C'est, condensée, la
démarche même de Boudier. Si on peut trouver, chez Diderot.
d'Alembert et Montesquieu, des prises de position inspirées de l'égali-
tarisme rationnel de Poullain, on rencontre cependant chez Diderot
plus d'une remarque restrictive quant aux talents naturels et aux vertus
du sexe féminin. Mais, à coup sûr, le chef de l'« école antiféministe »
au XVIIIe siècle — comme le désigne Léon Abensour — c'est Jean-
Jacques Rousseau. Tout comme les anciens théologiens scolastiques,
Rousseau voit dans la femme l'instrument de perdition de la race hu-
maine. La société moderne s'est corrompue, sous son influence. Dé-
pourvue de jugement et de capacités créatrices, la femme ne doit cher-
cher qu'à faire preuve d'une docilité à laquelle la Nature la condamne.
Nul n'ignore le rôle considérable joué par les écrits pédagogiques
de Jean-Jacques Rousseau dans la fixation des axiomes du sexisme
moderne. Sous couvert de rationalité, l'auteur de Y Emile, établit dura-
blement un ensemble de thèses sur la passivité « naturelle » et la dé-
pendance « naturelle » des femmes, dont les postulats vont être réaf-
firmés et remotivés jusqu'à Freud et au-delà. Les travestissements de
l'angoisse sexuelle de l'homme engendrent un ensemble de phan-
tasmes névrotiques : [87] « La femme est faite spécialement pour
plaire à l'homme : si l'homme doit lui plaire à son tour, c'est d'une né-
cessité moins directe : son mérite est dans sa puissance, il plaît par
cela seul qu'il est fort... Si la femme est faite pour plaire et pour être
subjuguée, elle doit se rendre agréable à l'homme au lieu de le provo-
quer. » Ce serait sortir de notre propos que d'étudier ces thèses bien
connues où les successeurs de Boudier de Villemert ne cesseront de
puiser.
*
* *
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 110

Nous nous permettrons d'anticiper ici pour signaler certains ou-


vrages ultérieurs qui illustrent le développement de ce « sexisme
scientifique » dont nous fixons la genèse vers 1750 mais qui a sa
source dans le discours traditionnel des légistes et des pédagogues de
l'âge classique.
Les femmes, leur condition et leur influence d'Alexandre de Ségur
(1803), est un essai maintes fois réédités pendant les trente ans qui
suivirent. Dans la foulée de Boudier, Ségur prétend juger des femmes
sans passion et sans prévention. Force lui est de reconnaître qu'« on
n'a point vu de femme concevoir un beau plan de tragédie » (II, p.
115).
Qui niera qu'elles soient impropres à l'amitié, fût-ce avec leurs pa-
reilles ? Leur rôle est tout tracé, qu'elles s'y cantonnent : « On ne peut
nier que le vœu de la nature, en créant les femmes n'ait été de les
consacrer principalement à l'emploi de mères. » (II,p.99).
Elles ont du reste une seconde spécialité qui requiert tous leurs
soins : « Les femmes sont nées pour nous aimer et nous consoler dans
nos peines. » (II, p. 113).
Catalani, l'Ami du beau sexe (1805), a lu Agrippa et quelques
autres : « Ce mélange bizarre de dévotion et de galanterie » (I, p.31)
l'étonné et le fait sourire.
Ce n'est pas lui qui s'abandonnera au « vertige » de ces temps bar-
bares (p.29) ; contre « tous ces écrivains » qui ont voulu prouver par
des arguments aussi absurdes que bizarres « l'excellence, la dignité et
la supériorité des femmes sur notre sexe », il ne se préoccupe quant à
lui que de proposer les moyens « de rendre plus utile cette moitié du
genre humain » (I, p.27).
La science éclaire, dit-il, la condition naturelle des femmes et leur
désigne le rôle auquel elles peuvent prétendre : « La pulpe cérébrale
[88] semble participer à la mollesse générale ; ses enveloppes sont
plus sensibles et plus lâches ; tous les mouvemens s'y font d'une ma-
nière plus facile et plus prompte. » (I. p.27).
Ajoutons à cette donnée, la constatation suivante : « L'influence
des organes sexuels qui par la nature de leurs fonctions agissent avec
tant d'énergie sur le système sensitif général. » (I, p.47).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 111

En 1826. le docteur J. J. Virey donne avec De la femme, un des


premiers ouvrages « gynécologiques » modernes. Point de galanterie,
la science est formelle : « Tout individu femelle est uniquement créé
pour la propagation. » (p.2).
Certaines femmes s'adonnent à des activités masculines. C'est au
détriment de leur santé et de leur équilibre psychique. Tous les méde-
cins connaissent « la constitution érotique anormale des femmes de
lettres » (p.l).
L'auteur voudrait pouvoir accorder à la femme un semblant d'égali-
té. La science s'y oppose : la femme est « un animal menstruel ».
C'était l'opinion de Pline. C'est aussi celle de la physiologie moderne.
*
* *
Certes, d'autres ouvrages consacrés à la supériorité des femmes pa-
raîtront encore d'ici la fin du XVIIIe siècle — en même temps que les
premiers pamphlets « féministes », ceux qui réclament précisément
pour les femmes des droits sociaux et culturels, un égal traitement de-
vant la loi — mais Boudier de Villemert établit le modèle de la straté-
gie dominante qui va régir jusqu'à nous le discours de la Science
(masculine) relatif aux femmes 41.

41
Il faut cependant rendre cette justice à Boudier qu'il est un précurseur en ce
qu'il tente de réhabiliter l'allaitement naturel. C'est sans doute un effet de son
désir de « rendre » les femmes à leur condition propre mais cela mérite
d'être signalé : « C'est par une suite de cette fausse délicatesse qu'une femme
douée de tout ce qu'il faut pour nourrir ses enfants recourt à des moyens for-
cés pour perdre un lait qu'ils lui demandent. » (1788, p. 192).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 112

8. Jusqu'en 1789

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On relève peu d'écrits de qualité pendant les trente dernières an-


nées de l'Ancien Régime. Rien qui puisse en tout cas renouveler la
[89] question. Les apologies des femmes restent assez nombreuses,
mais manquent d'originalité et de pensée. Ce sont généralement des
démarquages. Il semble au contraire qu'avant la Révolution bour-
geoise, ce soient les théoriciens sexistes de l'inégalité naturelle « tem-
pérée » qui dominent.
*
* *
— Rien à dire du Triomphe des dames de Philippe dit Pretot, rhap-
sodie plate et confuse (1755).
— Larivière, le Partisan des femmes (1758) déclare être maître
d'arme. Un maître d'arme n'est pas un maître de philosophie : on peut
lui pardonner ses lapalissades dithyrambiques : « De tous les Estres, je
n'en vois point dont le commerce puisse mieux former l'homme que
celui des Femmes. » (p. 11).
— Le Sexe vengé, ou la Prééminence des femmes (1760) est une
supercherie peut-être parodique mais qui reste dans le champ discursif
que nous avons délimité.
— Dans son Essai sur les femmes (1765), M. de Boussanelle appa-
raît emphatique et brouillon. Très imbu de « l'Être Suprême » et de la
philosophie naturelle, il n'a que la Vertu à la bouche. À grand renfort
de Plutarque, il dresse la liste, cent fois repolie, des femmes qui ont
brillé dans tous les domaines : « Bellone, Sémiramis, Hupsicratée.
Théodolinde reine des Lombards, Debora, Judith, Jahel, Esther, Zéno-
bie reine de Palmyre, Thomiris reine des Scythes, Jeanne Hachette, la
Pucelle d'Orléans »,... en vrac ; les anecdotes s'accumulent. Mais il ne
se prononce pas sur leur précellence éventuelle. Il ne prétend que les
honorer et leur rendre justice. Il a consciencieusement compilé les
classiques. C'est tout le mérite de son ouvrage.
— Madame Doyen publie en 1767 un Triomphe des femmes — un
de plus — où elle s'efforce de prouver « que la femme est de l'espèce
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 113

humaine » : il s'agit de réfuter le « Paradoxe » de Valens Acidalius,


retraduit en 1766 !
— L'essai sur le caractère des femmes d'Antoine Thomas, de
l'Académie française, qui fut le protégé de Madame Geoffrin, apparaît
comme un des derniers témoignages de la cohorte des zélateurs du
sexe. Son éloge ampoulé est un compendium des femmes célèbres.
D'Aillant le réfutera au nom de l'esprit philosophique 42.
[90]
Sa doctrine est d'ailleurs très imprégnée des idées de Boudier et sa
séquelle sur la « complémentarité naturelle des sexes ». Il ne refuse
pas aux femmes le droit à l'éducation, et à la meilleure. Mais il croit
cependant que jamais femme de génie n'apparaîtra : « Elles manquent
d'esprit créateur. »
L'érudition de Madame de Coicy (Les femmes comme il convient
de les voir, 1785) porte surtout sur l'histoire de France. À travers elle,
l'auteur revendique une amélioration de la condition présente des
femmes. La première, elle distingue dans son traité les différentes
classes sociales : la situation des femmes varie chez les paysans, dans
l'artisanat, le commerce, la finance, dans le monde de la cour. Évi-
dence qui a mis longtemps pour apparaître. Elle constate que dans les
classes « les plus basses », il y a cependant plus d'égalité entre les
sexes. Il faut, en conclusion, associer les femmes aux hommes dans
les affaires publiques ; et ce, dans l'intérêt de la nation 43.
Le Mémoire pour le sexe féminin de Madame Gacon-Dufour
(1787) est une niaiserie amphigourique en réplique à un libelle accu-
sant les femmes de provoquer la dégradation des mœurs. Tous les ar-
guments traditionnels des zélateurs de la supériorité du beau sexe s'y
retrouvent.

42
Voir Bibliographie I, annexe C.
43
Madame de Coicy exige la création d'un ordre de chevalerie, de décorations
féminines.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 114

9. Les premières féministes :


Olympe de Gouges et Mary Wollstonecraft,
1792

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Dans son ouvrage sur la Femme avant la Révolution, L. Abensour


constate qu'« au XVIIIe siècle, s'il y a des aspirations féministes, si les
hommes comme les femmes les ressentent et les expriment, s'il y a
bien un courant d'opinions féministes, jamais des femmes ne se
réunissent pour engager, avec l'aide des écrivains favorables, la lutte
pour leurs droits ». Le véritable combat féministe ne sera engagé
qu'après 1789 à la faveur des bouleversements radicaux que la Révo-
lution entraîne.
Il est assez facile de marquer la distinction entre la tradition de la
supériorité des femmes et l'idéologie féministe, au sens strict de ce
mot. Il ne s'agit plus, pour les féministes, de disserter sur les mérites
naturels de leur sexe ou d'affirmer par principe l'égalité dont il devrait
jouir. On cherchera plutôt à dresser un tableau précis et concret de
[91] l'oppression sociale dont les femmes sont victimes et à indiquer
les réformes que la raison exige dans tous les domaines, droits juri-
diques sur les enfants et sur les biens, transformation des règles matri-
moniales, accession aux emplois et à l'éducation, élimination d'innom-
brables coutumes discriminatoires, même dissimulées sous l'alibi de la
galanterie, et enfin, dès l'origine, reconnaissance de l'égalité politique
et civique. Certaines de ces revendications étaient déjà apparues à la
Renaissance, dans les écrits que nous avons signalés, mais elles res-
taient subordonnées aux spéculations ontologiques qui constituent le
fond de notre thématique.
À l'inverse, la théorie tient peu de place dans les premiers pam-
phlets féministes, l'égalité naturelle des deux sexes est tenue pour al-
lant de soi. C'est d'égalité des droits et des charges qu'il sera désor-
mais question. Au reste, ce sont désormais des femmes qui prennent la
défense de leur sexe. Nous nous limiterons à signaler les deux pre-
miers libelles qui peuvent passer pour la limite a quo du combat fémi-
niste, libelles parus tous deux à Paris au début de la Révolution fran-
çaise, celui d'Olympe de Gouges, les Droits de la femme, et celui de
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 115

l'anglaise Mary Wollstonecraft (1759 — 1797), Défense des droits


des femmes, paru simultanément à Londres (A Vindication of the
Rights of Woman, 1792) 44.
*
* *
Le pamphlet d'Olympe de Gouges, précédé d'une dédicace mena-
çante à l'adresse de Marie-Antoinette, est une parodie féministe de la
« Déclaration des droits de l'homme ». L'homme prétend jouir de la
Révolution et réclame ses droits à l'égalité, mais il entend bien que ces
avantages soient limités au seul profit du sexe masculin.
Il veut qu'il n'y ait plus de tyrans, mais il ne renonce nullement à
commander en despote quand il s'agit des femmes : « Dis-moi ? Qui
t'a donné le souverain empire d'opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes
talents ? Cherche, fouille et distingue, si tu le peux les sexes dans l'ad-
ministration de la nature. »
[92]
Osera-t-il prolonger l'œuvre d'égalité en reconnaissant aux ci-
toyennes les droits qu'il s'attribue ?
L'article premier d'Olympe de Gouges calque celui de la « Déclara-
tion » officielle : « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en
droits : les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utili-
té commune. »
Si les sexes sont égaux, pas de devoirs sans droits : « La femme a
le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de
monter à la Tribune. . . » (Art.X).
Le pamphlet conclut sur un appel révolutionnaire : « Femme, ré-
veille-toi. Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'Univers.
Reconnois tes droits. »
*
* *

44
Il faut signaler peu avant la Révolution, quelques écrits de Condorcet qui
posent le problème féminin en termes de droits juridiques et civiques et de
réformes sociales concrètes : Essai sur la Constitution et les fonctions des
assemblées provinciales, 1788 ; idées reprises deux ans plus tard dans l’Es-
sai sur l'admission des femmes au droit de cité.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 116

Sur Mary Wollstonecraft et sa tragique destinée, on consultera


avec profit la plus récente biographie : The Life and Death of Mary
Wollstonecraft par Claire Tomalin, à Londres, Weidenfeld & Nicol-
son, 1974.
Sa Défense des droits des femmes qui eut peu d'écho en France et
fut reçue en Angleterre par un cri de désapprobation unanime, devint
cependant, selon l'expression consacrée, la « Bible » du féminisme
britannique au XIXe siècle.
Elle rejette d'emblée comme mystificateurs tous les éloges des thu-
riféraires du « beau sexe » : « Tous ces livres si vantés ne tendent à
mon avis, qu'à dégrader une moitié de l'espèce humaine, et à donner
aux Femmes des agrémens qu'elles achètent trop cher 45. » (p.31).
Elle part des faits, c'est-à-dire de la tyrannie masculine et voit en-
suite si quoi que ce soit de raisonnable peut excuser cette oppression.
La démonstration de l'égalité des mérites reste sous-jacente. c'est la re-
vendication des droits égaux qui remplit cet ouvrage vigoureux, impé-
tueux et touffu. La pesanteur historique de l'idéologie phallocentrique
fait que nombre des exigences de Mary Wollstonecraft sont encore
loin d'être satisfaites aujourd'hui. Loin de trouver aux femmes des ver-
tus et [93] des talents innés, elle se demande comment celles-ci pour-
raient faire preuve de mérites supérieurs dans la condition où on les
voit réduites : « Il est inutile de compter sur la vertu des Femmes, tant
qu'elles ne seront pas jusqu'à un certain point, indépendantes des
hommes. » (p.370).
La polémique de l'auteur porte essentiellement contre Rousseau et
ses adeptes. Une moitié de l'ouvrage est consacrée à la réfutation indi-
gnée des rêveries sexistes de l’Émile.
Olympe de Gouges et Mary Wollstonecraft marquent ainsi l'appa-
rition d'une stratégie nouvelle et infiniment plus concrète, à une
époque où la tradition que nous étudions s'épuise, se corrompt et ne se
renouvelle plus.
*
* *

45
« Les femmes », dit Mary Wollstonecraft ; l'expression « le beau sexe »
n'est employée par elle qu'avec des guillemets et ironiquement.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 117

On sait que l'histoire du féminisme révolutionnaire est une longue


suite de désillusions et de mécomptes. Les destinées individuelles
d'Olympe de Gouges et de ses sœurs, Théroigne de Méricourt ou Etta
Palm, illustrent le danger qu'il y avait à affronter - en cette époque de
« victoire sur les préjugés » - la domination phallocentrique. L'amère
déception d'Olympe de Gouges se trahit lorsqu'elle parle de « ce sexe
autrefois méprisable et respecté, et depuis la Révolution, respectable
et méprisé » (Droits de la Femme).
P. M. Duhet (Bibliographie II) montre clairement que la tendance
dominante dans l'œuvre révolutionnaire a été à concéder le moins pos-
sible sur le plan civique et social et même (et surtout) en matière
d'éducation.
C'est toujours le vaudeville de Figaro : « ... les plus forts ont fait la
loi ». Inutile de dire que la période révolutionnaire ne voit plus pa-
raître d'ouvrages conformes à notre tradition. Il est frappant de consta-
ter que les deux derniers qu'on puisse signaler furent publiés par des
émigrés et hors de France.

10. Le chevalier dell'Acqua, 1797

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Le chevalier dell'Acqua. milanais, publie à Berlin en 1797 un Es-


sai sur la supériorité intellectuelle des femmes, dédié à S. M. Frédé-
rique-Louise, reine de Prusse 46.
[94]
À son tour, il fera « l'apologie de la plus aimable moitié du
monde ». Si, en tant que « philosophe », il tend à prôner l'égalité des
sexes, il incline néanmoins à accorder aux femmes la précellence. Non
seulement intellectuelle, comme l'indique le titre de son essai, mais à
tous les égards. Les hommes feignent d'adorer les femmes, remarque-
t-il, mais partout elles sont esclaves (p. 127).
Malheureusement, l'auteur est un pédant, plein d'anecdotes gréco-
romaines, qui écrit dans un bizarre charabia où surnagent néanmoins
quelques remarques pertinentes. Il insiste notamment sur la nécessité
46
Son ouvrage est le prétexte d'un long dithyrambe à la gloire de Catherine II.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 118

qu'il y a de permettre aux femmes de « prétendre à l'éducation des


hommes » (p.140).
« En donnant à vos filles la même éducation qu'aux autres en-
fants » (p. 175), conseille-t-il aux parents, vous parviendrez dans les
faits à détruire le funeste préjugé qui maintient les femmes dans la dé-
pendance.
Il note pour conclure que l'élévation des femmes sera pour les
hommes aussi un bienfait, car il n'est pas de relation satisfaisante qui
puisse se développer dans l'inégalité : « Nous cesserons de tenir les
femmes sous le joug de l'ignorance et de l'esclavage. L'amour [...] sera
un sentiment plus délicieux encore, le complément et la perfection de
l'amitié. » (p. 119).
Un autre Italien, Benedetto Toselli, publie à Milan en 1798 une
Apologie des femmes. Rien de nouveau dans cet ouvrage de compila-
tion, si ce n'est l'abus qui est fait du style sensible et lacrymal.
Toselli est porté sur le trémolo. Il se propose galamment de vouer
un culte religieux à « ces êtres charmans dont la puissance approche le
plus de celle de la Divinité, et dont les grâces font oublier les dé-
fauts » (III).

11. Au dix-neuvième siècle

Gabriel Legouvé, 1801

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Le succès que connut sous l'Empire le poème de Gabriel Legouvé,


le Mérite des femmes, contraste avec son absence totale d'originalité :
pas une image, pas une proposition, pas un argument ou un rapproche-
ment qui n'ait été répété à satiété dans les textes antérieurs dont nous
avons rendu compte. Le Mérite des femmes n'est qu'une versification
pompeuse et plate. Que Legouvé puisse mettre au pillage notre tradi-
tion, [95] en commençant par Agrippa, atteste du fait que celle-ci est
désormais oubliée.
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La postérité n'a retenue de son long poème apologique que les


deux derniers vers ou mieux le dernier, au ridicule particulier :

Et si la voix du sang n'est point une chimère,


Tombe au pied de ce sexe à qui tu dois ta mère ! 47

*
* *
On ne rencontrera plus au XIXe siècle que quelques compilations
dépourvues d'originalité intrinsèque.
L'Hommage au beau sexe de Levallois (1813). qui s'inspire de
Thomas, est niais et doucereux : il faut chérir les femmes et recon-
naître leur Empire...
Le Triomphe des femmes de César Gardeton (1822) est un pur et
simple plagiat de passages empruntés ça et là, à Puisieux notamment,
et recopiés bout à bout. On y trouve une bibliographie très lacunaire
de la tradition qui nous occupe.
La Physiologie des perfections de la femme de Debay (1852) der-
nier témoin attardé, est un ouvrage de librairie qui profite de la vogue
de ce genre à la mode : « Partout et en tout, la femme égale l'homme
et très-souvent le surpasse. » (p.88).
S'il défend la supériorité des femmes, comme ses lectures l'y
contraignent, il est, au fond, très sexiste. La femme est vouée à
l'amour. Sans l'amour, elle n'est rien. Au XVIII e siècle, savante, guer-
rière ou politique, on la croyait au moins susceptible d'indépendance.
*
* *
Certes, après une brève éclipse, le féminisme reprend le combat : la
revendication à l'éducation, aux droits civiques, à l'indépendance juri-
dique se substitue aux spéculations métaphysiques et à l'enthousiasme
[96] abstrait pour l'excellence féminine. En marge du paternalisme do-
47
G. Legouvé n'est pas le seul versificateur dans cette période de décadence
du courant idéologique, Coulon. en 1773. avait composé un Éloge du beau
sexe : « C'est toi, sexe enchanteur, beau, même sans parure ! » Paulin Cras-
sous, en 1806, donne encore une Apologie des femmes froidement galante et
tout aussi médiocre.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 120

minant, des esprits originaux — tous liés au romantisme social — re-


prennent une réflexion sur la féminité : non Proudhon, profondément
misogyne, mais Saint-Simon et Enfantin qui renouent avec la mys-
tique du Règne des Femmes. Et surtout Charles Fourier, l'esprit le plus
libre et le plus audacieux de son temps.
Notre parcours s'achève cependant à la fin du XVIII e siècle. Pour
aller jusqu'aux romantiques, aux féministes saint-simoniennes, il fau-
drait négliger l'abîme qui sépare leur problématique de notre tradition,
laquelle semble du reste oubliée.
Charles Fournier guidé par sa seule audace spéculative, retrouve
seul certaines données de notre ensemble discursif. Chez lui en effet la
thèse de la supériorité du sexe féminin, proportionnelle à l'infériorité
artificielle où on la maintien « en civilisation », recouvre tout son
éclat : « Je suis, fondé à dire, écrit-il, que la femme en état de liberté
surpassera l'homme en toutes ses fonctions d'esprit ou de corps qui ne
sont pas l'attribut de la force physique. » (Théorie des IV mouve-
ments).
Il ajoute : « Le degré de l'émancipation féminine est la mesure na-
turelle du degré de l'émancipation générale 48. »
Dans le système des saint-simoniens, la femme est plus puissante
« religieusement » sinon « industriellement » que l'homme.
Parmi eux, l'« Association des Compagnons de la Femme », créée
en 1833, se voue à la promotion de la « femme libre » et entreprend en
Orient la recherche de la « Mère ». Enfantin devant les jurés de 1832,
avait été proclamé le nouveau saint Jean, précurseur de la femme-
messie. Elle devait apporter la concorde universelle.
Le journal saint-simonien l'Apostolat des Femmes était destiné à
répandre ces thèses. Aucune influence directe de Guillaume Postel sur
Enfantin et ses disciples ne paraît cependant établie. Certains thèmes
idéologiques déviants semblent voués dans le cours des temps à des
résurgences successives qui ne permettent pas de conclure nécessaire-
ment à une continuité sous-jacente.
Michelet lui-même ne semble guère avoir connu les ouvrages dont
nous avons fait état (voir l'édition critique de la Sorcière établie [97]
48
On se rappellera aussi l'illuminé Paulin Gagne et son interminable poème
épique l'Unitéide ou la Femme-Messie.
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par L. Refort chez Didier, 1952). Les féminismes romantiques ne


s'inscrivent pas dans la tradition homogène de la supériorité des
femmes. Ils ne reprennent plus le train d'arguments, d'images et
d'exemples qui avaient servi dans les siècles passés avec une telle
continuité. Ils n'ont plus à répondre d'ailleurs aux antiques misogynes,
ecclésiastiques ou légistes, qui avaient été les adversaires ordinaires
des Champions des Dames. Certaines thèses réapparaissent mais toute
la topologie idéologique est transformée.
C'est pourquoi nous croyons justifié d'arrêter l'enquête et de clore
le corpus à l'époque révolutionnaire. Au reste, la réflexion critique ra-
tionaliste qui s'était développée anarchiquement mais vigoureusement
de Poullain de la Barre à 1750 environ semble être progressivement
étouffée dans le siècle qui suit. Elle mettra longtemps avant de rece-
voir un nouvel élan.

[98]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 122

[99]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

Deuxième partie
THÉMATIQUE

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[100]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 123

[101]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.
DEUXIÈME PARTIE : THÉMATIQUE

1. Arguments tirés de la Genèse

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Si l'on veut trouver des indices sûrs du rapport qui existe entre les
sexes et de la précellence éventuelle de l'un sur l'autre, plutôt que d'in-
terroger les témoignages historiques, que de déduire à partir de don-
nées physiologiques ou morales toujours sujettes à controverses, il ne
peut être de meilleure méthode que de s'efforcer à connaître ce que le
Créateur de toutes choses a voulu qu'il en soit. Les apologistes du sexe
féminin ont donc examiné assidûment les premiers chapitres de la Ge-
nèse, où tant de théologiens distinguaient la preuve surnaturelle de
l'infériorité des femmes et — dans le chef de notre mère Eve — l'in-
dice d'une malfaisance originelle, modèle et prototype des innom-
brables nuisances et misères dont les hommes se croient redevables
aux femmes.
Ils ont conclu, avec une subtilité dialectique parfois biscornue, tout
à rencontre de cette interprétation courante. Ils ont tiré du récit de la
Création et de l'histoire de la Tentation, verset après verset, des
preuves abondantes de la supériorité des femmes. Ce chapitre consti-
tue le point de départ de leur argumentation, au moins jusqu'au XVII e
siècle, inclusivement. Les preuves naturelles et expérimentales qu'ils
donnent de l'excellence féminine ne sont pleinement justifiées que par
l'exégèse de la Volonté surnaturelle.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 124

Alors même que Plutarque et Hérodote fournissent d'irréfutables


exemples en faveur du talent et de la vertu supérieure des femmes,
alors que le savoir « médical », la réflexion sur la génération, les spé-
culations étymologiques, une certaine philosophie de l'histoire
peuvent fournir un matériau abondant, il faut toujours en revenir, dans
les premiers temps, aux textes où transparaissent les desseins de la
Providence. C'est ici que l'on voit que pour la rhétorique classique le
grand art [102] consiste à prouver n'importe quoi, que tout se dé-
montre, qu'à un lieu commun on peut toujours en opposer un autre qui
conduit à conclure contradictoirement. Chaque verset des trois pre-
miers chapitres du livre sacré aura été scruté et interprété pour les uns,
en faveur des femmes, pour les autres, contre elles.
Les misogynes s'appuyaient sur le fait qu'Adam, premier créé, re-
çoit Eve comme compagne pour qu'il ne se sente pas seul, qu'elle
l'aide et contribue à la génération : rôle inférieur 49. Mais, si le fait
d'être créé en premier est une preuve de supériorité, il faut alors don-
ner aux bêtes la préférence sur l'homme 50.
Raisonnement dit par « autophagie », qui consiste à rendre, ab-
surde ou contradictoire la thèse adverse en la poussant jusqu'au bout
de sa logique. Il faut en conclure qu'Eve créée en dernier est par là su-
périeure d'emblée à Adam, et, comme on le dira, le « chef-d'œuvre »
d'une création qui va de progrès en progrès.
Examinons le lieu de cette création. Adam est pétri « en rase cam-
pagne » ; Eve, au contraire, est formée au Paradis Terrestre, nouvel in-
dice de supériorité 51.
De quoi Adam est-il formé ? de boue. Disons mieux : d'un « ord et
sale limon 52 ». « La boue et le crachat sont la composition de
l'homme 53. » « Dieu se servit de limon de la terre pour former
l'homme. [...] mais Dieu voulant faire quelque chose de plus parfaict
49
Cf. Drusac, XXXVII.
50
Brinon.
51
Agrippa (trad. 1713), IV ; Angenoust, p. 38 ; Bermen, p. 136.
52
Estienne, p. 148. En affirmant la supériorité de l'homme créé en premier,
les misogynes pouvaient se réclamer de l'Apôtre, qui dit dans l'Épitre à Ti-
mothée : « Car Adam a été formé le premier et Eve ensuite. Et Adam n'a pas
été séduit, mais la femme ayant été séduite est tombée dans la désobéis-
sance. »
53
Nervèze, p. 84 ; cf. aussi Bermen, p. 137.
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et de plus Noble jugea a propos de faire une femme. » {Triomphe du


Beau Sexe, p.13.)
On irait presque jusqu'à dire que l'Éternel a raté son coup dans un
premier temps. Dans tous les cas, « la qualité de la matière dont fut
faite la Femme, en établit l'Excellence » (Agrippa, 1713, VI, p.20).
Les misogynes, avec Bossuet, peuvent plaisanter sur cet « os sur-
numéraire », dont notre mère fut conçue. Un os est tout de même
« une substance plus pure et plus nette que n'est la fange et le limon de
la terre » (Angenoust, p.39).
[103]

Troisième argument, donc :


La matière de chair est elle pas plus belle
Que n'est celle qui fut formée du limon ? (Romieu. 6, v°)

C'est, faut-il le rappeler, qu'un « os est une matière solide et


exempte de corruption », allégorie de l'incorruptibilité de la femme 54.
Cet os, notons-le, est une côte, partie noble de l'individu, remarque
Rodrigue de la Chambre 55.
Adam s'endort et ne s'éveille que l'opération terminée : « Aussi tost
que la Femme fut formée, il s'éveilla pour reconnoistre cette nouvelle
souveraine 56. » (Noël, p.20).
Pour nous résumer : « Il a fait l'homme avant que de créer la
Femme [...] pour montrer qu'il faisoit l'Homme pour la femme & que
par conséquent il lui accordait sur l'Homme autant d'Empire [...] qu'il
en a sur le reste des créatures. » (J***, 1754, p.22).
La femme est le « chef d'œuvre de la création » (Acqua,p.l41),
« chef d'œuvre au vray de la vertu divine » (Romieu, f°6,v° ) ; « Dieu
54
Noël, 1700, 23.
55
Les misogynes faisaient grand cas du fait qu'il ne s'agit malgré tout que de
la côte gauche, partie « sinistre » et moins noble. (Cf. Angenoust, p. 31.) Ou
bien : prenez des os, secouez-les dans un sac, ça fait un bruit désagréable :
image du babil éprouvant des femmes ! Cet argument est dû à l'imagination
fertile du sieur de Drusac (f°. xvi r°). Signalons que l'argument de la côte
d'Adam est déjà utilisé en 1399 par Christine de Pisan. Cette sophistique sur
les textes sacrés remonte haut dans le Moyen Âge.
56
Cf. encore, le Sexe vengé, 1760, p. 4.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 126

a pris un plaisir singulier à rendre la femme la plus accomplie des


créatures. » (Noël, 1698, p.26) ; « Elle qui par sa beauté est la plus
vive Image de Dieu même. » (Noël, 1701, p.23).
Après ce « chef d'œuvre », le créateur se repose : on n'empêche pas
de conclure que la formation de la femme lui a consumé toute son
énergie (le Sexe vengé, 1760, p. 4).
Autre preuve, d'ordre étymologique : « Adam » signifie « terre »,
et « Eve » signifie « vie 57 ». « Autant que la vie est plus noble que la
terre, autant aussi la femme est plus noble que l'homme. » (Gardeton,
1812, p. 18).
On aurait pu faire un sort à la phrase deux fois répétée : « Il les
créa mâle et femelle » (Genèse, 1,27 & V,2), mais elle tend plutôt à
établir l'égalité des sexes qu'à favoriser la thèse de la supériorité de
l'un des deux.
[104]
Après avoir établi la supériorité d'Eve sur Adam, appuyée sur la
parole divine elle-même, il convient d'examiner les conditions de la
Tentation et de la Faute, et de réfuter le sens défavorable qu'on serait
tenté spontanément d'attribuer à cet épisode.
Notons d'abord que la loi, l'interdit fut « fait et manifesté à Adam
seul » (Noël, 1701, 5). Cela est exact (Gen., II, 15-17), mais nous re-
marquerons, s'il faut aller par là, qu'il est tout aussi certain qu'Eve
connaît cette prohibition (Gen., III, 3). Il est donc abusif de dire, avec
Cornélius Agrippa, qu'Adam a cédé, quoique averti et qu'Eve était res-
tée ignorante.
On peut tourner la chose autrement. Le serpent est subtil et Adam
est un lourdaud. Stratégiquement, il lui faut s'attaquer d'abord à Eve
s'il veut perdre le genre humain. L'Ennemi reconnaît ainsi implicite-
ment qu'Eve est plus avisée. Une fois qu'elle est convaincue, l'essen-
tiel est fait 58.
« Tel fut sans doute le dessein de ce subtil ennemy de la race hu-
maine, le malin esprit mais le plus rusé de tous : comme cognoissant
la fragilité de l'homme, il sçavoit bien qu'il ne falloit qu'une parole
pour gagner Adam, au lieu qu'il redoutoit la fermeté d'Eve qui ne vou-
57
Agrippa, 1713, III ; Billon. f° 128, r° ; Bermen, p. 136 ; Noël, 1698, p. 8.
58
Brinon, p. 13.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 127

lut aussi point se rendre qu'elle ne fut payée de raisons. » (L'Escale, p.


104.)
Adam, lui est inexcusable : « La tentation à laquelle l'exposoit une
proposition aussi ingénue, & à laquelle il succombe, ne marque-t-elle
pas bien sa faiblesse ? ». (Dinouart, p.23).
Que voilà de la subtilité ! Et qui peut-être n'est pas dépourvue
d'une odeur d'hérésie que Calvin subodorait dans le De praecellentia
de Cornélius Agrippa.
La punition que Dieu impose aux humains (Gen., III, 16-18)
semble à nos apologistes proportionnelle à la gravité de la faute.
Agrippa conclut que, la faute revenant en fin de compte à Adam, c'est
la raison pour laquelle on ne circoncisait que les mâles, « parce que
l'intention de la loi était de punir le péché dans le sexe qui l'avait com-
mis ». (On pourrait dire ici, en poussant un peu le raisonnement, que
la femme est dispensée du baptême, si cette cérémonie remplace la
circoncision de l'Ancienne Loi : aucun de nos thuriféraires ne va
jusque là... )
[105]
C'est ce que pense deux siècles plus tard, l'abbé Dinouart : « enfan-
ter dans la douleur » est certes pénible ; ce l'est moins que de gagner
son pain à la sueur de son front : « L'homme a été plus criminel que la
femme dans sa désobéissance. Sa punition est aussi plus grande dans
sa durée : c'est sans raison qu'on accuse celle-ci d'être la cause de la
chute du genre humain. »
En argumentant par les conséquences, selon la règle d'Aristote, il
convient enfin de noter qu'à supposer Eve cause première de la faute,
sans cette faute, pas de rédemption. Saint Grégoire disait : « Heureux
péché qui a mérité un tel rédempteur », ce que reprend Postel
(1553,p. l).
Un autre passage fait difficulté. La punition d'Eve la soumet à la
domination de son mari. On pourra, par un distinguo subtil, faire re-
marquer que soumission n'est pas infériorité, ce que développe Marie
de Gournay : « Et quand bien il seroit véritable, selon que quelques-
uns maintiennent, que cette soubmission fut imposée à la femme pour
chastiement du péché de la pomme : cela encores est bien esloigné de
conclure à la prétendue préférance de dignité en l'homme. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 128

Le Père Caffiaux, au XVIIIe siècle, prend le risque de retourner au


texte original plutôt que s'arrêter au latin. On lit :
Et sub viri potestate eris
[Tu seras soumise à la puissance de ton mari.]
Mais en hébreu, il faut traduire :
Ton désir te portera vers ton époux.
Et pour les Septante :
Tu te tourneras vers ton mari.

Guère compatibles, ces trois versions. Caffiaux n'a pas tort de pen-
ser que le sens le moins favorable a été indûment préféré. En tout cas,
on le voit (mais nos auteurs n'en sont pas trop conscients) une conclu-
sion préalable s'impose, guère réjouissante pour les exégètes : on peut
faire dire aux textes sacrés tout ce qu'on veut et le contraire...

Autres arguments scripturaires

Nous ne nous attarderons pas à passer en revue tous les arguments


tirés des Écritures, tous les moyens de rétorsion opposés aux passages
[106] embarrassants 59. Nous en avons cité quelques exemples dans la
première partie de cet essai.
Il y a évidemment, dans la Bible plus d'une femme vertueuse et
bien des hommes criminels : Caïn fut le premier homicide, Noé, le
premier ivrogne, Nemrod, le premier tyran et le premier idolâtre 60.
Le Patriarche Jacob servit sept ans pour avoir une femme : il les
prisait donc plus que tout autre bien terrestre.., 61 Les Évangiles offrent
également des données diversement interprétables. Jésus-Christ choi-
sit d'être un homme. Sans doute. Mais c'est qu'il représente et rachète
le premier pécheur que fut Adam (Agrippa, 7 7/5, p.58). En choisis-

59
On a vu plus haut diverses interprétations malaisées de versets de l'Ecclé-
siaste.
60
Cf. Agrippa, par exemple.
61
Cf. Gilbert, p. 13.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 129

sant le sexe masculin, il veut « s'humilier », ira jusqu'à affirmer


C.M.D. Noël (1707, p.73).
Si les canons rejettent les femmes du ministère de l'Église, c'est, de
même, que tout prêtre représente Jésus qui représente Adam
(Agrippa,p.58 ; Angenoust, p.7 ; Noël, p.85 62).
La Vierge, élevée au-dessus du chœur des Anges, est la « gloire de
son sexe » : la « grâce est arrivée par une femme et bien plus abon-
damment que le péché par Eve » (Triomphe des femmes, p.6) 63.
Le meilleur humain est une femme, la Vierge ; le pire est un
homme, Judas : Agrippa applique ici, suivant la Topique d'Aristote, le
« lieu de la double hiérarchie ».
Les Évangiles nous montrent que « le Sauveur a toujours eu pour
les femmes une prédilection bien honorable à leur Sexe 64 » (Acqua.
[107] p.172). « Notre Seigneur se apparut premier à femme que à
homme, qui est une grant excellence & triumphe aux dames. » (La
Chambre.)
Cet argument de Rodrigue de la Chambre est repris par Agrippa
(1713, p.59) et par Marie de Gournay : « Jésus-Christ déclara sa très
heureuse et très glorieuse résurrection aux dames les premières, affin
de les rendre, dist un vénérable Père ancien, Apostresses aux propres
Apostres. »
62
C'est qu'en effet l'exclusion de la prêtrise semblait témoigner pour les anti-
féministes d'une infériorité de nature voulue par la providence divine dans
l'établissement de son Église :
Dieu ne voulut oncques femme estre
Ne quelque femme faire prestre
Pour chanter le Per omnia...
(Alexis, Débat, 152)
63
Cf. aussi Angenoust, p. 258
64
Bermen fait remarquer (p. 136) que le sauveur n'a point été crucifié par les
femmes ; qu'au contraire, au témoignage de l'Évangile, la femme de Pilate
tâcha de détourner son mari de l'inique condamnation qu'il s'apprêtait à pro-
noncer. Quand à l'argument par le fait que le Christ ressuscité apparaît
d'abord aux Saintes femmes, on le rencontre déjà chez Guillaume Alexis :
Pour notre consolation
La Sainte Résurrection
Premier la femme annuncia
Malheureux est qui rien ny a.
(Débat, Bibliographie I B.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 130

Les gynophobes rétorquent ici. plaisamment, qu'à sa naissance, il


« apparut » réellement en premier à un bœuf et un âne... On voit que
l'esprit de l'époque ne prohibe pas un certain usage ironique des textes
sacrés.
D'autres arguments susceptibles de prouver la préférence divine
pour les femmes sont faciles à trouver dans les Vies de saints, chez les
Pères, dans la Légende dorée et dans certaines traditions d'une ortho-
doxie douteuse. S'il est permis de tirer du fait que la Vraie Croix fut
inventée par une femme, un argument nouveau 65, le désir que les
femmes inspirent aux anges paraît bien un peu hasardé. « Et mesme
l'on a creu que les Anges ont autresfois désiré la compagnie des
femmes, comme celles de toutes les créatures qui s'impattissent le plus
[sic] à leur céleste nature. » (Saint-Gabriel, p.57 66.)

2. Différences
et avantages physiques

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L'homme a la force ; la femme, la beauté : comme on le verra


quelques pages plus loin cette distinction est posée en principe.
Au XVIIIe siècle, tout le monde va répétant que la femme a « les
fibres plus délicates 67 ». sans qu'il soit possible de lever l'obscurité de
cette proposition qui semble satisfaire telle quelle. François de Billon
(1553) dont l'esprit critique retient l'intérêt, avait pourtant fait obser-
ver que si la femme est réputée pour « fragile et imparfaitte », la na-
ture a voulu la rendre capable néanmoins de supporter les douleurs de
la gésine et que l'homme sous-estime peut-être ici une résistance phy-
sique qu'il ignore pour sa part (P 97,v° 68).
65
Billon, f° 104, v°.
66
Voir le Comte de Gabalis.
67
Cf. Lacoste, p. 1938 : Thomas, p. 85 ; Émile. « Leurs tendres muscles sont
sans résistance ».
68
Ce constat d'infériorité physique sera, au XXe siècle, entièrement remis en
question. Ashley Montagu démontre que la femme offre une constitution
plus forte que celle de l'homme (p. 87 et suiv.). Mary Wollstonecraft (1792)
remarque la première que toute l'éducation que l'on donne aux filles, les dé-
tourne de s'exercer le corps.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 131

[108]
On a disserté à perte de vue sur la différence de tempérament qui
opposerait lés deux sexes : l'un, le masculin, « sec » et « bouillant ».
l'autre. « humide » et « froid ». Nos polémistes héritent de ces distinc-
tions reçues d'Hippocrate et de Galien. D'où grand débat pour savoir
s'il vaut mieux être humide que sec, froid que bouillant.
« La femme est beaucoup plus humide que l'homme » assure Pon-
taymerv (f°3.r°/v°) et c'est là. du reste, signe éclatant de supériorité.
Car ces couples appariés sont autant physiologiques que caractérolo-
giques. Le sang de l'homme « qui est beaucoup plus chaud ». « ce plus
de sang, de fiel, de ratte » expliquent sans l'excuser les désordres sen-
suels et la violence auxquels il s'abandonne plus facilement 69. La
« froideur » du tempérament féminin prouve son plus faible penchant
pour les relations charnelles, sa chasteté dont on lui fait mérite :
« L'homme chaud et bouillant se plaist à la diversité & au change, là
ou la femme plus constante en ses affections, comme plus modérée en
ses désirs ne se départ pas si légèrement d'un amour légitime. » (Saint-
Gabriel, p.82).
Pour les misogynes, c'est la femme qui sera bouillante, la chaleur
de ses humeurs expliquant son irrémédiable instabilité psychologique
et son vif penchant pour la galanterie. Poullain de la Barre le premier
se demande à quoi riment ces distinctions : « Il y a des médecins qui
se sont fort étendus sur le Tempérament des sexes au désavantage des
femmes & ont fait des discours à perte de veue pour montrer que leur
sexe doit avoir un tempérament tout à fait différent du nôtre & qui le
rend inférieur en tout. Mais leurs raisons ne sont que des conjectures
légères. » (1673, p. 193).
Le bon sens et l'expérience prouvent le peu de pertinence de ces
prétendues distinctions : « Nous avons vu des femmes fort humides
raisonner avec plus de solidité et de justesse & de plus de choses que
des hommes assez secs et qui ont beaucoup étudié 70. » (d°, p.280).
Tout le problème est de voir comment, de part et d'autre, on s'ef-
force d'ancrer dans la nature congénitale des sexes les différences
69
Vigoureux, p. 59.
70
Poullain remarque encore que la thèse de l'humidité intrinsèque du tempéra-
ment féminin « ne s'accorde pas avec la chaleur interne nécessaire aux
femmes pour produire un animal dans leur sein » (Poullain, 1675, p. 104).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 132

qu'on prétend leur voir. Les apologistes feront ainsi grand cas de la
précocité propre au sexe féminin.
[109]
C'est vingt jours plus tôt que le mâle que l'embryon féminin prend
vie dans le sein maternel, assure Agrippa.
Dans l'enfance, alors que la négligence où on laisse l'éducation des
filles n'a pas encore porté à conséquence, la fillette montre dans ses
jeux plus d'esprit, d'imagination que le garçon.
La fille sera aussi nubile bien avant lui et peut, selon Agrippa, être
mariée dès l'âge de dix ans. C'est aussi l'opinion d'Habert : « Et nous
voyons que bien plus promptement la femme peult engendrer mais
comment dix ans escheus na elle pas puissance de concepvoir enffans
à sa semblance. » (Habert, 1541, ch.VII).
Cette nubilité physiologique se complète d'une maturité spirituelle
plus rapidement atteinte : c'est la vieille idée que le rôle social que la
jeune fille est appelée à jouer exige une certaine aisance mondaine
que nos théoriciens croient due à des causes toutes naturelles : « Il est
constant que la nature a mis les femmes en état de paraître avec avan-
tage bien plutôt que nous. Une jeune personne à 15 ans sent et s'ex-
prime avec finesse et fait déjà les délices d'une société dans laquelle
un homme du même âge ne saurait être admis. » (Boudier, éd. 1788,
p.21).
Tout ceci permet de conclure que les femmes sont « des êtres dont
les facultés intellectuelles se développent plus tôt que celles des
hommes » (Toselli.p. 14).
À cette précocité naturelle, il faut ajouter une plus grande longévi-
té, selon François de Billon : « En quoy elles accomplissent plus que
les hommes l'intention d'icelle Nature. » (f°148,r°).
De tous nos théoriciens, il est le seul à faire cette remarque, où il
rejoint par exception les constatations de la physiologie moderne (on
verra des statistiques pertinentes à cet égard chez A. Montagu, Biblio-
graphie IB, p,85 et suiv.).

3. Rôle de la femme dans la génération


Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 133

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À la Renaissance et jusqu'au XVIIIe siècle, le rôle respectif des


deux sexes dans la génération n'apparaît pas comme clairement établi
et d'autre part, diverses spéculations philosophiques prennent le relais
du savoir physiologique et se confondent à l'occasion avec lui. Ou
plutôt en nous exprimant de la sorte, nous commettons un anachro-
nisme. Le physique et le métaphysique sont à percevoir comme un
continuant : « De monstrer combien la femme est nécessaire à la pro-
pagation [110] du genre humain, c'est vouloir donner des Rayons au
Soleil. » (Bermen, p.8) ; « C'est la femme qui nous porte dans son
sein, qui nous donne la vie, nous allaite et veille sur notre berceau. »
(Debay,p.93).
L'aptitude à la maternité et l'importance de cette fonction font à la
femme une supériorité incontestable sur l'homme. Cette aptitude a ce-
pendant été dévaluée par la malédiction du jardin d'Éden. La gésine
est perçue comme une servitude, une punition de la première faute,
nullement comme une fonction noble et « valorisante ».
Nos apologistes doivent ici renverser un sentiment généralement
admis pour faire de la maternité une preuve transcendante de la
confiance que la Providence met dans la femme : « Et que ce soit la
vérité que la femme est plus vertueuse que l'homme, Dieu nous l'a fort
bien démonstré en ce qu'il s'est d'avantage confié en elle. Car cette
tant admirable conservation des espèces, la génération & production
des enfans de Dieu, il l'a absoluëment donnée en garde à la femme,
afin qu'elle fust le fidelle dépost de ses créatures. » (L'Escale, p.l03).
Les théoriciens de l'antiféminisme tendent à considérer la femme
comme un réceptacle passif de la semence masculine. L'homme seul
possède la puissance active. Le rôle de la femme est nécessaire mais il
n'est pas suréminent. L'homme donne la « forme », la femme donne la
« matière ». Les enfants procèdent ainsi de leur père plus que de leur
mère. Une « aporie » scientifique naît de cette conception. Comment
l'homme, puissance active, peut-il à l'occasion engendrer des filles et
non toujours son pareil ? Aristote avait réponse à ce problème et
Billon, si favorable qu'il soit aux femmes, transmet la théorie selon la-
quelle l'engendrement de filles est dû à une faiblesse accidentelle de la
semence masculine, à des influences délétères qui en modifient la
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 134

force. La femme, comme on a vu, est alors un mâle raté, quoique le


plan de la nature se réalise à travers cet échec, puisqu'il faut des
femmes pour assurer la continuité de l'espèce : s'il naît des filles, écrit
Billon, « cela ne procède d'ailleurs (naturellement parlant) que de la
débilité & foiblesse de ceste vertu active de l'Homme, à faute de com-
pétente chaleur ou autrement, ou bien aussi à cause de quelque indis-
position matérielle ou peult estre à l'occasion de qu'elque transmuta-
tion de choses extrinsèques, comme de Ventz Austraux qui sont hu-
mides 71. »
[111]
Cinquante ans plus tard. M. de Saint Gabriel réfute encore à grand-
peine l'idée que « l'homme est seul l'autheur de la génération ». Il af-
firme avec force : « L'homme et la femme concurrent & contribuent
l'un et l'autre à la génération. »
Mais renversant la thèse dominante, nos apologistes iront jusqu'à
prétendre, en tirant Aristote à eux. que le rôle de l'homme est au
contraire secondaire et accidentel, que la femme est non seulement ha-
bitacle, mais cause efficiente de la génération : « La femme est sou-
ventes fois plus efficace que ce qui est en l'homme & quand il advient
ainsi, elle fait la génération & ce qui est du mary ne sert que d'ali-
ment. » (Saint-Gabriel, p.l01-102).
Un raisonnement par analogie montrera la logique singulière qui
conduit à ces conclusions : « Rendrez-vous le laboureur qui respand la
semence plus que la terre qui la fait germer ? » (d°, p.l07).
C'est l'opinion courante que la femme est plus « chaleureuse » que
l'homme ; or, note Noël, « la chaleur est le principe de la génération »
(Noël, 1701, p.44).
S'appuyant sur Galien, l'auteur pousse plus loin encore la suresti-
mation du rôle des femmes : « L'homme n'entre dans la génération ny
plus ny moins que comme un accident advient à une substance. »
(Noël, 1698, p.50).

71
Les moralistes expliquaient par là le désir qui porte la femme vers l'homme,
désir de bénéficier du contact d'une nature plus parfaite : « La fille ayme
tousiours celuy qui l'a rendue femme, à cause qu'il l'a fait participer à sa per-
fection. » (Saint-Gabriel, p. 78).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 135

Si bien qu'on pourra nier pratiquement toute efficace concrète à


l'intervention mâle : « L'homme ne contribue pas plus à la formation
d'un enfant que la blancheur par exemple ne contribue à la construc-
tion d'une muraille. » (Noël, 1701,p.45).
Sommes-nous dans la pure métaphysique ? Nullement. Noël pré-
cise sa pensée, en termes « biologiques » : le sperme masculin n'est à
tout prendre qu'« un peu de boue que la femme affine et purifie »
(1701, p.49).
C'est, à son avis, « une matière grossière et impure qui est pour luy
un sujet d'humiliation plutost que de vanité » (Noël, 1698, p.53).
Le lecteur moderne est sans doute embarrassé devant ces textes où
les catégories d'Aristote, les jugements moraux, les images inducti-
ves, se combinent aux assertions tirées de Galien et d'Hippocrate.
La preuve indiscutable de la prééminence de la femme dans la gé-
nération sera trouvée dans l'évocation, couramment admise, de cas
[112] de parthénogenèse. S'il est constant que, dans des circonstances
exceptionnelles et mal définies, la femme engendre sans le concours
de la puissance virile, on pourra conclure que le rôle de l'homme est
accidentel et négligeable dans tous les cas.
Or, des poètes aux médecins en passant par les théologiens, la par-
thénogenèse est admise ou du moins tenue pour probable :
Mais ce qui est plus digne de scavoir
C'est quil luy fut permis de concepvoir
Sans les vertus & puissances viriles (Habert, c. VII).
Nos auteurs ont retenu certains passages de Virgile : « Ore omnes
versae in Zephiro stant rupibus altis. . . » (Géorgiques)
Rabelais y fait allusion, L.IV, ch.9— « le vent de galerne avoit
doncques lanterné leur mère » — et Brantôme aux Dames galantes, t.
II, discours 4.
Pour Cornélius Agrippa, la parthénogenèse est un fait avéré :
« Galeno & Avicenna testibus, solum muliebre semen est materia &
nutri-mentum foetus, uiri autem minime quod illi quodammodo ut ac-
cidens substantiae ingrediatur. »
Il porte là-dessus divers témoignages : l'opinion des Turcs, cer-
taines îles où les femmes engendrent par le « soufle du vent » et, en-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 136

fin, la Vierge Marie, cas à part. Il est curieux qu'il commence par le
témoignage des Turcs pour en venir après à la Vierge Marie. C'est
peut-être que le rapprochement est embarrassant : si la parthénogenèse
est bien attestée d'ailleurs, le caractère miraculeux de l'immaculée
conception s'efface. L'accusation d'hérésie n'est pas loin.
Il n'empêche que l'argument par la parthénogenèse sera une pièce
essentielle des apologies successives :
Si que souvent femme on veoit accoucher
Ayant conceu sans à l'homme toucher
Comme Averroys physicien démonstre (Habert. ch.VII).
En 1698, Noël dresse encore des listes de conceptions parthéno-gé-
nésiques : « On dit qu'il y a certaines isles où les femmes par le moyen
d'un soufle de vent conçoivent et engendrent. » (1698, p.51).
Le fait que la femelle du vautour conçoive seule est notamment at-
testé par l'autorité d'Origène. Il est donc peu niable (d°, p.52).
Il serait faux de croire que ces rêveries sont exclusivement réser-
vées aux auteurs que nous examinons. Au XVIII e siècle encore, de
graves [113] anatomistes. De Graaf et Plempius. soutenaient, comme
le rapporte Abraham Johnson dans son Lucina sine Concubitu, que les
pucelles peuvent concevoir par l'odorat : « Aliquot virgines imperfo-
ratae. . . ad odorem concipiunt. » (cit. p.25 ; éd. 1750).
Enfin. Erançois Habert (1541) avait suggéré une nouvelle supério-
rité physique des femmes, et des plus mystérieuse, l'immunité qui leur
est accordée d'avaler, pour satisfaire les « envies » de grossesse, toutes
sortes de produits incomestibles sinon empoisonnés. Nouvel argu-
ment, repris par exemple chez François de Billon : « Elle pourra avoir
appétit de manger terre, chair crue, poissons crudz, charbon, pierres,
métal et venin qui peuvent estre digérez de son estommac, sans en
estre offensée. » (f°149.r°).
On peut annexer au présent chapitre les réflexions qu'inspirent à
nos apologistes la position de la femme in coitu. Position « infé-
rieure » évidemment, la seule qu'on considère comme décente dans le
monde occidental à cette époque. Par une analogie spécieuse, Poullain
de la Barre, s'efforce de montrer qu'on ne peut rien tirer de ce fait au
détriment de sa thèse : « Il n'y a rien dans le commerce du mâle & de
la femelle qui donne l'avantage au premier. Le dessus ne vaut pas plus
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 137

que le dessous : & ce qui est dessus icy est dessous pour nos Anti-
podes. » (Poullain, 1675, p.l02).
Ce relativisme, s'il illustre la dialectique de l'auteur de l’Égalité
des deux sexes, pouvait bien paraître un peu bizarre.
Au XVe siècle, Rodrigue de la Chambre tirait de la position « natu-
relle » des femmes dans le congrès charnel une preuve éclatante de
leur supériorité (morale). Car Ovide avait dit que la supériorité de
l'homme sur les animaux est qu'il peut élever ses regards vers les
deux. Or, dans la volupté, l'homme retrouve la position « quadru-
pède » qui trahit sa nature inférieure, tandis que la femme contemple
chastement les sphères étoilées. Cette naïve réflexion du troubadour
espagnol se prête évidemment à diverses plaisanteries, mais après
tout, il n'est pas plus arbitraire que les modernes, qui. d'Adler à Si-
mone de Beauvoir, vont encore répétant que cette « position » illustre
le rôle passif et l'essentielle aliénation dévolus à la femme.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 138

4. La femme-médecin, la femme-médecine
Thaumaturgie naturelle

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Michelet consacre un chapitre, lyrique et obscur, aux « puissances


médicales de la femme » (II, p.V) : c'est ici qu'il se rapproche le plus
[114] d'un thème constant dans notre tradition. Pour les anciens
comme pour l'auteur de la Sorcière, « la femme est le vrai médecin ».
Sa naturelle vocation médicale est affirmée même chez Poullain de
la Barre : « Il semble que les femmes soient nées pour exercer la mé-
decine & pour rendre la Santé aux malades. » (1673, p.55).
C'est de ce talent virtuel que s'enorgueillit Madame de Puisieux :
« Notre Sexe paraît né pour enseigner & pour pratiquer la méde-
cine... » (1750, p.94).
Elle ajoute, ce qui la rapproche encore de Michelet : « Nous avons
même inventé, sans le secours de Galien & d'Hippocrate, une infinité
de remèdes pour les maladies. » (d°, p.95).
Mais tout autant que médecin par vocation innée, la femme pour
nos apologistes, est médecine ; ses humeurs et son simple contact ont
de mystérieuses vertus curatives qui attestent une force quasiment ma-
gique, en quoi réside, évidemment, une preuve de sa supériorité.
Pontaymeri n'hésite pas à qualifier la femme de « légitime et nature
médicament appliqué à l'homme » (p.2).
Invulnérables à certaines maladies, les femmes seules ont le pou-
voir de guérir celles dont souffrent les hommes : « Les Femmes non
seullement ne sont asservyes à diverses qualités de maladyes. Ains
elles ont vigueur par divin privilège de guérir les hommes de plusieurs
maux. » (Billon, f°126,v°).
Par exemple, on croyait au XVIe siècle qu'« après avoir eu deux
Enfans d'une portée, elles peuvent guérir tout homme travaillé du mal
des Reins » (d°) ; « Si un Homme a mal aux yeux, & que cela procède
de Catare ou froidure, en l'arrozant lenviron d'iceux de Laict de
Femme [...] la lueur des yeux luy sera restaurée, avec évanouyssement
de la douleur. » (d°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 139

D'emblée et par sa seule présence, par la vertu de son regard, la


femme manifeste ses dons thaumaturgiques : « Plusieurs malades ont
reçeu guérison par le seul regard des Dames qui les visitoyent. » (Pon-
taymeri, f°44,r°).
Pontaymeri explique par là que l'amour également puisse naître par
le regard captivé : « Le Throsne d'Amour est en l'œil de la femme ;
c'est son eschauguette. » (P45,v°).
Cette puissance du regard, tantôt libidinale, tantôt émolliente ou
curative, s'exerce aussi bien sur les bêtes féroces que sur les hommes :
[115] « Timée Silicien rapporte que les Lyons de Libye perdent leur
fureur s'il apperçoivent tant soit peu les yeux d'une fille. » (d°, p.2).
Autre usage médicinal du corps féminin, le contact des mamelles
d'une femme, au dire de Cornélius Agrippa, donne un regain de vie
aux vieillards agonisants (éd. 1713, p. 42). C'est ce que répète Noël,
encore au début du XVIIP siècle : « Une femme appliquée à la poitrine
d'un vieillard mourant, dont la chaleur naturelle est presque éteinte
[...] par le moïen de sa chaleur excite tellement celle de ce moribond
qu'elle fait revivre sa vigueur mourante. » (p.44-45 72).
L'exemple du roi David est sans doute la source de ces bizarreries :
« On lui fournissait, dit Montaigne, de jeunes tendrons à couver la nuit
ses vieux membres et mêler la douceur de leur haleine à la sienne,
aigre et poisante. »
Les vertus du lait de la femme sont également admirables. Agrip-
pa, qui s'inspire de Valère Maxime, les expose tout au long (1713,
p.40-41). Et François Habert précise :
Par laict nourris sont & entretenus
Hommes desja a vielesse venus.
François de Billon donne une recette somnifère dont nous vou-
drions faire profiter nos lecteurs : ce lait « a de soy telle propriété
qu'étant meslé avec du pavot, il donne le soushaitté repos du sommeil
à tout fébricitant » (f°144,v°).
Même, l'urine féminine pourra à l'occasion servir de remède, « la-
quelle (au témoignage de quelque bon Alquemyste) porte en soi mer-
veilleux efficace en diverse chose » (Billon, f°149,v°).

72
César Gardeton, en 1812, développe encore ce thème.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 140

Mais c'est surtout l'usage médicinal du sang menstruel qui mani-


feste la supériorité thaumaturgique des femmes. Les travaux modernes
d'anthropologie psychanalytique ont révélé les angoisses que le flux
menstruel provoque chez les hommes, et on connaît les tabous divers
portés contre la femme au cours de ces périodes. Mais tout tabou sup-
pose une ambivalence et le sang menstruel est perçu à la fois comme
maléfique et bénéfique.
Cette réflexion sur les menstrues s'inscrit d'autre part dans la lo-
gique de l’humorisme de la médecine classique, avec le rôle régula-
teur [116] essentiel qu'elle attribue aux humeurs et aux fluides : sang.
bile, lymphe, pus. « atrabile ». ..
Les pamphlets misogvnes que nous avons lus ne manquent pas de
faire état de l'influence dangereuse des menstrues. « qui non seule-
ment ternissent les mirouèrs & tournent les vins en eaue. mais aussi
touchent les plantes, les bleds, concombres, melons et herbes, elles
em-peschent l'avancement & la perfection de leurs fruicts » (Olivier,
éd. 1646. p.10).
Jacques Olivier ne voit pas de meilleure preuve de la « turpitude »
féminine. Angenoust récapitule tous les effets fâcheux attribués aux
menstrues : vins tournés, blés gâtés, arbres morts, miroirs ternis, acier
rouillé, air infecté...
J. Bouchet. tout défenseur des femmes qu'il se veuille, se croit tenu
de concéder leur mauvaise influence, mais il tient à la compenser en
attribuant au flux périodique un rôle singulier dans la génération : « Et
combien que ceste matière de fleurs soit de telle nature que les bleds
qui en sont touchez ne proffitent, & que les arbres & herbes en
perdent leur fruictz : néantmoins n'est à mépriser car c'est le commen-
cement de humaine génération et nourriture des nobles et non nobles
et en est le champ de humanité arrousé tant que l'enfant est en la mar-
riz [matrice]. » (f°48).
C'était à ce qu'il semble, l'opinion ordinairement reçue au XVI e et
XVIIe siècles que le sang menstruel « sert de matière à la génération
de l'homme » (Angenoust, p.33).
Au rebours de ces tabous, Cornélius Agrippa et quelques-uns de
ses successeurs, non contents de transmettre la thèse selon laquelle le
sang menstruel est le principe de la conception, lui attribuent des ver-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 141

tus médicales innombrables et véritablement extraordinaires. Il faut


citer l'original latin : « In menstruo qui sanguis praeterquam quod à
quartanis, ab hvdrophorbia, à morbo comitiali, ab elephantiasi, ab
impressionibus melancholicis, ac mania & multis id genus pemicio-
sissimis aegritudinibus libéral [...] incendia extinguit. (empestates se-
dat, fluctum pericula arcet, noxia pellit, maleficia solvit, ac cacodae-
mones fugat. »
Ce qui peut se traduire ainsi : « Le sang menstruel est non seule-
ment un remède souverain contre les fièvres quartes, l'hydropisie,
l'épilepsie. la lèpre, l'hypocondrie, la folie et contre bien d'autres mala-
dies extrêmement pernicieuses, [mais il produit bien d'autres effets
plus surprenants, entre autres,] il éteint les incendies, il apaise les tem-
pêtes, il [117] éloigne les flux et leurs dangers, il rend nul les malé-
fices et met les diables en fuite. »
En somme, au moins pour la fin du paragraphe, le sang menstruel
possède la puissance magique que l'on attribue d'ordinaire à l’eau bé-
nite.
François Habert reprend à son compte l'opinion d'Agrippa :
Sang menstrual (ainsi que dict maint livre)
De fîebvre quarte aisément nous délivre, (c. VII)
Peu à peu, cette donnée « médicale » sera abandonnée par nos apo-
logistes : la décence, aux XVIIe et XVIIIe siècles interdit d'en faire
état 73.
Les vertus du sang menstruel dans la médecine alchimique
semblent ignorées de Michelet qui se borne à s'attendrir de façon ob-
sessionnelle sur la femme, « une semaine par mois, deux fois malade,
vulnérable à tout... » (la Femme, p.359).
Il est certain que tout ce chapitre qui joue un rôle clé, au moins aux
débuts, dans l'argumentation sur la supériorité des femmes exige un
commentaire que nous réservons pour les conclusions.

5. Beauté
73
On se rappellera au passage l'opinion de Rousseau, selon qui les femmes ne
doivent cette incommodité périodique qu'à la vie sociale moderne où on use
d'aliments trop riches et trop abondants !
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 142

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La femme est supérieure à l'homme en beauté. Voici la proposition


initiale, moins simple qu'il n'y paraît. Même les misogynes en sont
d'avis, à ceci près que la beauté, fallacieuse et décevante, ne sert qu'à
l'œuvre de perdition que la femme accomplit : « Ce corps brutal
montre que tes attraits, tes allèchements et tes ruses ne tendent qu'à
des actions lascives et brutales & à des comportements plus de brutes
que de créatures raisonnables. » (Olivier, Alphabet, l646, p.7).
La beauté est un masque trompeur. « La nature toute occupée aux
embellissements du corps ne songe point aux beautés de l'âme,. » (Ac-
qua, p.7).
Pour les apologistes au contraire, elle sera miroir et reflet de la per-
fection intérieure, selon l'idéalisme platonicien. La beauté est malédic-
tion [118] ou don de la Providence. Une fois encore, tout se prouve. Et
pourtant : « Vouloir prouver que la femme surpasse en beauté
l'homme, ce n'est pas moins que qui se mettroit en peine de justifier
que le iour est plus lumineux que la nuict. » (Saint-Gabriel, p.l6).
De nombreux textes incluent ici un blason du corps féminin selon
les canons du XVIe siècle : « Sa chair est délicate, son teint clair et
blême, sa peau belle, sa teste bien faite, ses cheveux sont disposés
avec grâce, tendres, luisans, & longs ; la femme a l'air grand et magni-
fique, le regard agréable et gay, le visage le plus beau, le front décou-
vert, lustré et gracieux, les yeux plus brillants, plus étincellans que
ceux de l'homme. » (Agrippa, 1713, p.23).
Ces traits idéaux ne varient guère jusqu'au XVII e siècle. M. de
Saint-Gabriel admire encore chez la femme : « Une chair délicate,
douce et blanche [...] les cheveux en abondance d'un blond cendré,
cres-pé et annelé [...] deux petites fossettes des deux costés de la
bouche [...] le sain dur & séparé comme deux petits monts de neige,
en aspect l'un de l'autre 74. »
Alexandre de Pontaymeri décrit le visage de la beauté idéale :
« Une chevelure mignardement flotant à l'entour d'un front largette-

74
Billon, p. 138. r°, note lui aussi « la couleur blanche et belle & la Peau plus
nette que le verre ».
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 143

ment eslevé où deux yeux (ou plutost deux soleils) respandent une lu-
mière languissante. » (P41, r°).
La chevelure féminine est spécialement admirée, car elle est à la
fois emblème de beauté et de pudeur, elle suscite le désir et défend la
femme contre son indiscrétion : « Leur belle chevelure se peult épa-
nouyr en si épesse longueur qu'il semble Dame Nature ne leur avoir
peu choysir manteau de crespe plus élégant à couvrir toutes les mi-
gnonnes parties de leur corps. » (Billon, f°145,v°).
La beauté ne se donne pas seulement à contempler, elle possède un
pouvoir sui generis : ce qui au XVIIIe siècle ne sera plus que fadaise
galante — « l'empire que les femmes ont sur nous » — doit s'entendre
au XVIe siècle dans toute la force du terme. Le pouvoir de séduction
du corps féminin s'exerce aussi bien sur les lions du cirque (pour les
vierges chrétiennes) que sur les juges de l'aréopage (devant qui Phryné
se dévêt) 75. L'enthousiasme prend une coloration religieuse et, si l'in-
tensité [119] libidinale se trahit ici, de tels passages devaient indispo-
ser bien des censeurs austères : « Le corps de la femme est un vray
temple. » (Pontaymeri, f°50,r°). « Le corps de la femme est le ciel des
perfections humaines & son âme est le thrésor des vertus célestes et
divines. » (d°).
En regard de cette description exaltée du corps féminin, la plupart
de nos apologistes poussent le zèle jusqu'à tracer un tableau repous-
sant, non du peu d'attrait mais de la laideur spécifique, de la hideur de
la nature masculine : « Cette peau rude & grossière toute chargée de
poils ne le distingue guères du commun des bêtes. » (d°, p.38).
Il y a dans ces passages une frénésie tant soit peu masochiste qui
ne laisse pas d'étonner. C'est à qui trouvera des motifs propres à dé-
précier le corps de l'homme. Le système capillaire des hommes paraît
surtout un signe de sa nature inférieure. La barbe qui pousse anarchi-
quement est perçue comme une sorte de moisissure, de mauvaise
herbe, propre à rappeler au mâle présomptueux qu'il n'est pétri que du
limon de la terre. Les femmes, dit Billon, sont « exemptes de pareilles
difformités » (f°146, r°).

75
Cf. par exemple Du Bosc, 1632, p. 282 et Acqua, p. 23. Un autre motif sin-
gulier apparaît chez Pontaymeri (1599) : la beauté de la femme échappe au
talent, à l'art du peintre, elle ne peut être reproduite, elle est un défi pour les
plus grands (f° 20, r°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 144

A contrario, la calvitie apparaît comme une dégradation physique


qui, réservée, aux hommes, confirme la même thèse : « Caput quidem
in viris calvitie deformatur, muliere contra, magno noturae provile-
gio, non calvescente. » (Agrippa). « La femme ne devient chauve »,
constate plus tard F. De Billon (f°146, r°).
Ce n'est pas seulement « en surface » mais dans la profondeur des
tissus que l'homme dissimule le caractère impur de sa nature phy-
sique. Du XVe au XVIIIe siècles, à titre d'expérience probante, tous
nos auteurs ou presque vont proposer la démonstration de la saleté in-
terne et impurifiable de l'homme : « Qu'une femme après avoir bien
lavées ses mains prene une nouvelle eau bien claire & qu'elle les lave
une seconde ou une troisième [...] cette eau demeurera tousjours nette
[... ] mais qu'un homme au contraire fasse la même chose, cette eau
deviendra toute trouble de saleté et d'ordure & autant de nouvelle eau
qu'il prendra, autant elle sera trouble et vilaine. » (Noël, art.VIII).
On croirait avoir mal compris ce passage et sa portée, si dès La
Chambre et Agrippa, il n'apparaissait déjà tel quel : « ... quoties denuo
abluit, turbat aquam et inficit  76, ». La pureté morale des femmes se
transcrit en une chair magiquement immaculée.
[120]
Pour l'homme « ce qu'il a de sale vient d'une cause interne et se
produit du dedans de luy même » (Noël, 1701, p.38).
En sorte que. pour les apologistes de la Renaissance et encore plus
tard, il n'y a pas une beauté féminine et une beauté masculine dont la
nature offrirait des exemples plus ou moins accomplis, mais une
unique image de la beauté, toute entière manifestée dans le corps de la
femme, reflet plus parfait de l'image divine, ou, dira-t-on, modèle à
son tour pour le Créateur qui s'inspirera des femmes pour créer les
anges 77.
La femme seule atteste que l'humanité après la chute ne fut pas to-
talement spoliée des ornements divins ; l'homme au contraire, banni
du Paradis, se rapproche physiquement de la bête brute 78. Certes, il a
la force physique, si la femme seule a la beauté. Mais cela compense-
76
Cf. aussi Billon, p. 147, v° ; Soucy, p. 201.
77
« Des linéamens de leurs visages, uniques modelles de la beauté des Anges,
lesquels ne sont formez que sur le patron de celle des femmes. »
(Pontaymeri, f° 20. r°.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 145

t-il l'absence de celle-ci ? Un raisonnement topique nous convaincra


du contraire : « Les hommes surpassent les femmes en une chose en
laquelle ils sont surpassés par les bestes au lieu que la femme les sur-
passe en une autre en laquelle elles ne sont surpassées par aucune des
choses visibles. » (Gilbert, p.9).
« En tous ces attributs, il y est luy mesme surmonté par l'élé-
phant, le lyon le cheval, le taureau & plusieurs autres ani-
maux. » (Saint-Gabriel, p.73.)
Ce raisonnement sera encore repris par Poullain de la Barre ; la
force corporelle ne peut entrer en ligne de compte en faveur des
hommes « autrement les bestes auraient l'avantage par dessus eux ».
(Poullain, 1673, p. 197).
Au XVIIIe siècle, le raisonnement se déplace significativement : on
distinguera le mérite, qui seul établit la différence entre les hommes,
de données naturelles desquelles on ne peut tirer argument : « La force
est étrangère au mérite parce qu'elle ne dépend pas de nous. » (La
Coste, p. 1937) ; « L'homme ne saurait donc se prévaloir de cette
force, sans faire injustice aux femmes. » (Boudier, 1788, p.VII).
Tout le développement sur la beauté supérieure du corps féminin
« jaillissement de la splendeur divine 79 », n'est qu'un préalable [121]
pour faire paraître l'intime et nécessaire harmonie entre beauté du
corps et beauté de l'âme. Cet argument des inséparables se présente
avec la force de l'évidence. Il existe une « conformité et relation du
corps à l'esprit 80 » : « La beauté paraît au dehors représenter comme
en une vive image les excellentes et rares vertus que Dieu a infuses en
son âme. » (Angenoust, p.37).
« La beauté de leur corps n'est qu'un voile qui couvre celle de leur
âme & au travers duquel on en voit briller les rayons » écrira Gilbert
avec lyrisme (p.9).
Cette liaison, fortement établie, entre beauté extérieure et beauté
intérieure permet aux apologistes d'écarter le reproche de se laisser
guider par l'attrait sensuel. Si le corps est le reflet de l'âme, cet attrait
est légitimé et sublimé, dans tous les sens du mot.
78
L'homme, dit Gilbert, n'est beau que s'il ressemble à une fille (tel Achille
qui, jeune homme, était pris pour une fille) (p. 6).
79
Soucy, p. 208.
80
Saint-Gabriel, p. 37.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 146

L'amour des femmes est spiritualisé puisque l'apparence extérieure


n'est qu'emblème, allégorie d'une supériorité spirituelle qui se trouve
dialectiquement rendue manifeste. L'amour sensuel est d'emblée
amour de la vertu, propédeutique à une élévation de l'homme qui em-
brasse corps et âme. Cette argumentation archaïque se rencontre en-
core au XVIIIe siècle, chez Puisieux 81 et Coulon notamment : « La
beauté de son cœur sur son visage est peinte. »
Seul Poullain de la Barre, dont l'esprit critique remonte sans cesse
aux présupposés mêmes de l'argumentation, se pose la question de sa-
voir ce qu'est la beauté en elle-même, et non comme hypostase d'autre
chose. L'harmonie des corps n'est plus pour lui une vertu transcen-
dante, elle est fonctionnelle ; elle ne se donne pas à contempler mais à
saisir dans son mouvement et dans le rapprochement des sexes : « La
perfection et la beauté de chaque corps ne consiste que dans l'union &
dans la juste convenance de toutes les parties. » (1675, p.2).
Ce que Poullain admire chez l'homme comme chez la femme, c'est
comment leurs corps sont faits l'un pour l'autre et comment de cette
conformité naît le sentiment de beauté et d'harmonie. L'auteur de
l'Égalité des deux sexes apparaît ici encore comme un esprit d'une rare
originalité. Un peu plus tard, le P. Caffiaux, qui s'inspire du précédent,
découvre l'absolue relativité des canons de la beauté chez les diffé-
rents peuples. Il renonce à l'idéalisme ethnocentrique au profit d'une
acceptation critique de la diversité des idées et des hommes ; qu'est-ce
que la [122] beauté, se demande-t-il pour les Africains, les Brésiliens,
les Chinois, les Arawaks et les Maures ? Cela pourrait aller loin mais
la réflexion de Caffiaux tourne court après avoir énoncé cette thèse re-
lativiste 82.

6. Vertus morales

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81
P. 138 et suiv. ; voir Coulon. p. 6.
82
La voix des femmes, « naturellement harmonieuse » (Pontaymeri, f° 20, v° ;
cf. Toselli, p. 109), apparaît comme un autre signe sensible de l'harmonie
spirituelle qui règne en elles :
« Les accens modulés de sa flexible voix
« Aux plus féroces cœurs savent donner des loix. » (Coulon, p. 8).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 147

L'amour des femmes n'est pas incompatible avec l'amour de la ver-


tu. C'est même une seule et même chose, puisque la supériorité morale
des femmes est leur plus bel ornement. Aux yeux de l'homme,
conscient de son imperfection congénitale et de ses tares, la femme
déploie « la beauté de l'âme la mieux ornée des vertus morales et spi-
rituelles » (Saint-Gabriel, p.36).
« Son inclination pour la vertu [est] plus grande que celle de
l'homme. » (Dinouart, ch. VII.) L'homme se prévaut en vain de sa
force physique, la femme est « plus forte, non pas de vertu corporelle,
mais par la force du cœur » (La Chambre).
Certes, la femme est douce et pitoyable, mais ces traits ne sont pas
signes de faiblesse. Sa résistance psychologique, dont on fait grand
état de nos jours, est constatée par M. de Soucy : « Elles résistent à
des afflictions où les hommes succomberont. L'on ne les void jamais
mourir de tristesse & les hommes en meurent tous les jours. » (Soucy,
11).
Le XVIIc siècle, on le voit, n'a pas le culte du chagrin stérile. Les
apologistes de la femme ont cherché surtout à démontrer, en partant
d'exemples historiques, que les femmes sont susceptibles d'exceller
dans les vertus réputées « masculines », force, magnanimité 83,
vaillance et intrépidité 84 ; de Penthésilée, reine des Amazones à
Jeanne d'Arc, ils énumèrent les femmes qui se sont montrées hé-
roïques, ajoutant à Plutarque des exemples modernes. Il leur plaît sur-
tout de monter en épingle les cas où des femmes montrèrent leur cou-
rage, alors que les hommes étaient lâches et abattus 85.
Mais cette capacité de défier les vertus masculines, n'empêche pas
les femmes de cultiver des qualités où elles dominent sans partage.
[123] « L'humanité et la douceur.. . forment le principal caractère de
notre sexe », affirme Madame de Puisieux 86 (p. 116).
« La douceur d'esprit, l'égalité d'humeur, la complaisance & la po-
litesse à l'égard des égaux, sont encore des qualités où le beau sexe a
beaucoup d'avantages sur nous » avoue le Père Caffiaux (I. p.86). Il
admire également leur égalité d'humeur : « Il arrivera quelquefois
83
Billon, Ier bastion.
84
Du Bosc, 1632, p. 133 et Triomphe du beau sexe, p. 67.
85
Cf. Brinon, Triomphe, p. 94 et suiv. ; voir aussi Soucy, p. 68.
86
Cf. Guillaume, ch. VI et VII.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 148

qu'une femme entrera dans une colère affreuse contre son laquais
parce qu'il aura éteint peu adroitement une bougie ; ou qu'elle pousse-
ra des hurlements parce qu'un maladroit aura marché sur la patte de
son chien. On en est quitte pour prendre furtivement son chapeau, ga-
gner l'escalier dérobé & se retirer chez soi à petit bruit. À cela près, les
femmes sont assez égales dans leurs humeurs & cette égalité est une
suite de leur douceur. » (I. p.89).
Le sérieux des trois volumes que Caffiaux consacre à la supériorité
du beau sexe est garant de la gravité de ce passage. Les misogynes ne
voient dans la douceur et la sensibilité féminine que sensiblerie, fai-
blesse de l'âme. Ils leur reprochent de ne savoir que pleurer. Empédo-
cle, Aristote et Pline ne déclarent-ils pas que les pleurs (comme le
rire) sont le propre de l'homme, le trait qui le distingue des animaux ?
Et ne dira-t-on pas que les femmes qui sont si faciles aux larmes sont
aussi beaucoup plus « humaines » sous ce rapport. C'est ainsi que rai-
sonne Alexandre de Pontaymeri : « Les lyons les ours, & les tygres ne
pleurent jamais », constate-t-il doctement (f°33,r°). Les éléphants, oui.
parfois, mais ils sont une exception. Le sexe masculin ne sait pas pleu-
rer ou s'il pleure, c'est à la façon des « cocodrilles » (f°35.v°) : il n'y a
vraiment pas de quoi s'en faire gloire 87.
Lucrèce Marinella (1600) voyait les choses autrement. C'était un
préjugé à ses yeux, que de croire les femmes plus portées aux pleurs
que les hommes : « Sono molti che dicono che le donne facilmente
piangono [124] & pero voglio che vediamo, se ritroviamo huomini
ancor noi lagrimosi. »
Quoi qu'il en soit, les hommes peuvent-ils mépriser la douceur des
femmes, quand ils voient comme leur tempérament agressif et violent
produit tous les désordres et tous les crimes ? « Les femmes n'ont que
87
Notre tradition se rencontre ici avec un thème « scientifique » du XXc
siècle. Si l'émotivité de la femme paraît plus intense, cette disposition peut
être tenue pour un avantage affectif : la répression des affects chez l'homme,
loin d'être conforme à son « tempérament ». est plutôt un lourd handicap.
On en verra pour preuve que le sexe masculin domine largement dans les
hôpitaux psychiatriques (Montagu. p. 90). Pour dix suicides d'hommes, on
n'en compte que trois de femmes. La résistance psychologique supérieure
des femmes semble aussi attestée : « Les femmes résistent bien mieux que
les hommes à toutes sortes d'épreuves, à la faim, aux intempéries, aux chocs
nerveux, à la maladie, etc. » (p. 66). Ce passage d'Ashley Montagu, 1968,
c'est du pur Agrippa.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 149

peu ou point de part aux désordres que la fureur des duels produit
dans l'État. » (Caffiaux, I, p.67.) « La mer est-elle couverte de cor-
saires femelles & de pyrates de ce mesme sexe ? » (Saint-Gabriel,
p.66)
Quand on voit les guerres, les rapines, les querelles publiques et
privées nées dans les sociétés où l'homme fait la loi, on ne peut que
souhaiter qu'advienne le Règne des femmes.
D'autres vertus leur sont échues en partage. La clémence 88, la bien-
faisance 89, la charité et la miséricorde : « Quel empressement dans les
femmes pour assister les indigents et les nécessiteux ! » (Caffiaux, l,
p.77) 90.
François de Billon (1553) consacre son Troisième bastion aux
preuves de « la clémence et libéralité des femmes ».
Elles ont surtout, naturellement, cette vertu que les hommes s'em-
pressent d'exiger sans la pratiquer eux-mêmes : la constance et la fidé-
lité : « L'amitié & la Foi conjugale sont mieux gardées par les femmes
que par les Hommes. » (Triomphe du Beau Sexe, p.41) ; « Autant que
la clarté du soleil est pardessus celle d'un fallût, d'autant la fidélité des
femmes excède celle des hommes. » (L'Escale, p.47) 91.
Pénélope, Artémise, Porcia, tant d'autres, incarnent cette haute ver-
tu. Seul Poullain de la Barre, avançait audacieusement la thèse que
l'inconstance est propre à la nature humaine, que la fidélité conjugale
n'est mieux gardée par la femme que parce qu'on lui laisse moins l'oc-
casion de suivre son penchant.
« Les hommes n'y sont pas moins sujets [ à l'inconstance ] mais
parce qu'ils se voient les maîtres, ils se figurent que tout leur est per-
mis. » (Poullain, 1673, p.227.)
[125]
Parmi les vertus naturelles des femmes, l'une d'elles, quoique fort
admirable pour l'esprit chrétien, est aussi celle qui les rend particuliè-
rement vulnérables à la présomption des misogynes. L'homme est né
88
Billon, f° 91, r°.
89
Acqua, p. 100 et Triomphe du beau sexe, p. 63.
90
Cf. Du Bosc, 1632, p. 249.
91
Voir Brinon, p. 228 ; Vigoureux, p. 47 ; Angenoust, p. 70 ; Du Bosc, 1632,
p. 190 ; Guillaume, ch. IV ; Caffiaux, I, p. 83, etc.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 150

plein de morgue, de suffisance, de vanité ; la femme est humble et


modeste mais cette modestie se retourne contre elle et peu s'en faut
que les misogynes n'y voient un aveu d'infériorité : « ... les femmes
trop plus que volontiers comporteroient par leur humilité et auroient à
honneur d'estre estimées plus basses que les hommes. » (Billon,
f°8,r°).
La piété est beaucoup mieux pratiquée par les femmes que les
hommes. Pour les désigner ne dit-on pas, au XVII e siècle, « le sexe
dévot » : « Elles passent sans contredit pour avoir plus de dévotion &
de piété que nous. » (Poullain, p.63) 92.
On disait déjà, au Moyen Âge, « il est plus d'hommes en prison et
plus de femmes aux sermons » (Alexis).
Plutôt que de prendre exemple sur elles, les hommes tendent à re-
garder cette vertu avec condescendance. Ils feraient mieux de prati-
quer avec plus de constance les devoirs de la religion 93.
Les femmes ont-elles eu quelque part aux hérésies et aux schis-
mes 94 qui ont ensanglanté le monde ? Elles n'ont pas cette présomp-
tion ; elles sont justement soumises, dociles, et modestes 95. Or la piété
va de pair avec la pudeur : on ne peut avoir l'une sans l'autre. Cepen-
dant lorsqu'il s'agit de confesser leur foi, elles sont prêtes à le faire
jusqu'au martyre inclusivement : la gloire de l'Église est dans le grand
nombre de ses saintes, et cependant, ayant le corps « naturellement
tendre », elles montrent dans l'épreuve, un plus grand courage 96.
Leur sobriété fait contraste avec les excès auxquels les hommes
s'abandonnent 97 : « Des femmes intempérantes, il ne s'en trouvera que
peu ou point d'exemplaire. » (Pontaymeri,f°24,v°).
François de Billon avait longuement démontré que « le sexe fe-me-
nin » est « tousjours sobre » (f°69,r°).

92
Là-dessus Poullain s'embarque dans un éloge du dévouement des reli-
gieuses de l'Hôtel-Dieu (p.65). Il ne doit pas ignorer que là n'est pas la ques-
tion.
93
Voir Billon, f° 101, r° ; Gilbert, p. 27 ; Noël, art. XIII ; Caffiaux I, p. 48 ;
notamment.
94
Cf. Bermen, p. 139.
95
Caffiaux, I, p. 59.
96
Pontaymeri, f° 12, r°.
97
Ibid., f° 22, v°.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 151

[126]
Contre toute vérité, Jacques Olivier s'était permis de traiter les
femmes d'« yvrongnesses eshontées » (p.301). On lui réplique avec
indignation : « Les hommes sont plus subjects à l'yvrongnerie que les
femmes. » (Vigoureux,p. 197) ; « Les hommes par l'yvrongnerie sont
attirez à toutes sortes de vices, d'ire, paresse, luxure, envie, tyrannie,
trahison, fureur. » (Vigoureux, p.203).
Ce thème semble avoir une grande importance au XVII e siècle. On
fait mérite aux femmes de tomber bien rarement dans l'intempérance :
« C'est chose très-extraordinaire parmy les nations mesmes les plus
adonnées à l'yvrongnerie, d'y voir une dame yvre. » (Saint-Gabriel.
p.59).
Quelles vertus n'ont-elles pas ? Elles ont la « prudence oecono-
mique » en la conduite d'une famille, la « sagesse » qui suppose sens
de la mesure et modération 98. Elles ont la sincérité, la bonne foi et la
discrétion.
Les misogynes répètent à satiété que les femmes sont menteuses,
trompeuses, indiscrètes, déloyales 99. Les champions du beau sexe ne
leur concèdent rien sur ce point : « Les hommes sont plus inconstans,
plus dissimulez que les femmes, icelles n'ont aucune ruse, sont de leur
estre toutes simples. .. » (Vigoureux, p.72).
« Elle est beaucoup plus discrète, secrète et avisée en ses dis-
cours. » (L'Escale, p.52.) « Les femmes gardent au moins autant le se-
cret que les hommes. » (Triomphe du Beau Sexe, p. 83.)

7. Pudeur et chasteté

98
V. Soucy, ch. IX et Bermen, p. 307. Le P. Caffiaux, dans un long dévelop-
pement et par une anticipation qui s'explique mal, expose que les femmes
n'auront jamais la sotte prétention de vouloir devenir cosmonautes (I, p. 63).
99
Jacques Olivier rapproche le penchant « naturel » des femmes au mensonge
de l'usage qu'elles font du maquillage — sorte de tromperie physique, — la
femme étant déloyale de corps comme d'esprit : « Si le Diable paroist en des
corps enpruntez pour séduire les plus asseurez, les femmes se fardent, se
masquent & se plastrent le visage pour attraire & charmer les esclaves de
leurs voluptés. » (p. 107).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 152

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La « pudeur naturelle au beau sexe », les vertus de continence, de


chasteté qui lui sont particulières, sont des arguments qui militent en
faveur de la supériorité des femmes.
À l'exclusion de Poullain de la Barre et de quelques auteurs du
XVIIIe siècle, ce train d'arguments figure avec des développements et
des [127] exempta variés dans tous les ouvrages recensés. Il présup-
pose une valorisation de la répression sexuelle et exige que cette ré-
pression soit fondée en nature. Mais au moins, l'exigence morale de
chasteté et de continence est tenue pour universellement valable : si
l'homme s'y soustrait, c'est que sa nature est inférieure et perverse. Ce
n'est qu'à partir de Boudier (1753). que l'éloge de la chasteté « propre
au sexe » cesse d'impliquer un blâme quelconque pour les hommes.
La chasteté n'est plus une vertu masculine, elle devient une « spéciali-
té » féminine et est exigée des femmes à ce titre 100.
Si la chasteté est une vertu, elle doit être requise de tous les hu-
mains également — il n'est guère d'effort à partir de là pour démontrer
les insuffisances du sexe masculin sous ce rapport. C'est paradoxale-
ment cette unité métaphysique et éthique que la philosophie naturelle
du XVIIIe siècle va contester ou aménager en fonction de l'idée de
« fonctions complémentaires des deux sexes » : la laïcisation de l'idée
de nature en vient à remettre en cause un axiome que le spiritualisme
métaphysique archaïque fondait en évidence.
Voulues par Dieu, la pudeur, la modestie, sont donc « naturelles au
sexe » (Noël.p.XII ; Gacon, p. 9). Si la femme s'écarte de cette vertu
naturelle, si elle dément une « supériorité » dont nul ne prétend lui
disputer le mérite, elle devient un être monstrueux : « Une femme
sans pudeur est tout ce qu'il y a au monde de plus méprisable. »
(Boussanelle, p.52) 101.

100
La pureté physiologique de la femme devant quoi Michelet s'extasie, lui fait
souhaiter qu'elle se soumette au régime lacté, en harmonie avec sa nature.
La vraie femme est un être frugivore, pour qui il faut surtout éviter la fétidité
des viandes (la Femme, p. 52-53).
101
À partir de Boudier de Villemert, cette condition naturelle de la femme ser-
vira constamment de moyen pour lui refuser le droit de se mesurer à
l'homme, ceci au nom de « l'égalité dans la différence » : « La délicatesse
départie à la femme par la nature, la pudeur même, ce trait divin, qui ajoute
encore aux grâces, la circonscrivent dans une vie paisible et sédentaire. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 153

Aux XVe et XVIe siècles, on cherche des preuves de cette « pudeur


naturelle ». inscrite dans le corps des femmes et dans certaines parti-
cularités physiologiques qu'on lira comme indices de la volonté di-
vine.
Rodrigue de la Chambre, avec une naïveté que ses successeurs
n'oseront imiter, remarque que Dieu a voulu que l'homme, et non la
femme, doive en certaines circonstances toucher ses « parties deshon-
nestes » (B, f°I. r°).
[128]
Que les organes génitaux externes soient, chez la femme, plus dis-
simulés, moins « visibles » que chez l'homme, voici qui confirme la
volonté divine de ménager une pudeur qu'en retour on peut exiger
d'elle : « A la feme ne se peult regarder aucune de ses parties se-
crètes. » (B,P I,r°).
C'est le propre de l’epistémê de la Renaissance d'interroger le
monde naturel comme un livre, d'y interpréter certaines constatations
comme signes et emblèmes d'un plan de la divinité. R. de la Chambre
remarque que les cheveux des femmes peuvent pousser de telle ma-
nière que, même nues, elles soient encore pudiques : autre signe. Fran-
çois de Billon lui aussi fera l'éloge de la chevelure, « comme propre
couverture de la Femme ». Autre « preuve », dont l'ambiguïté ferait
sourire, mais que Freud reprend à son compte pour en tirer, il est vrai,
des conclusions opposées : la femme, lorsqu'elle tombe, tombe tou-
jours sur le dos : « Si casu fortuito cadendum, mulieres fere semper
in tergum décidant. » (Agrippa).
L'homme, au contraire, tombe sur le nez, précise François de
Billon : « Car s'il avient par accident qu'une femme vienne à tomber,
ce sera tousiours les yeux au Ciel & non pas le nez en terre comme les
autres créatures. » (Billon, f° 147,v°).
Cet argument requiert un mot d'explication. Le propre de l'homme,
ce qui le distingue des animaux, est qu'il peut regarder le ciel, rester
en contact « visuel » avec la divinité. Il ne broute pas le mufle à terre
comme une vache. S'il est prouvé que la femme dans sa chute, ana-lo-
gon plus ou moins conscient de l'acte sexuel, regarde le ciel, on tirera
de cette constatation la certitude d'un contact plus constant avec Dieu,

(ch. VI).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 154

d'une « élévation » particulière de l'âme. La preuve par la chute est


corroborée par la « preuve par la noyade » qui s'appuie sur l'autorité
de Pline, — les anciens confirmant, sans les comprendre, les desseins
de la Providence chrétienne : « Nam authore Plinio atque experientia
(!) teste, mulier prona jacet pudori defunctarum parcente natura, uir
autem natat supinus. » (Agrippa).
Ce que François Habert traduit à sa façon en français :
Et si la femme en l'eau morte est rendue
Ayant dessous le ventre, est estendue. (G,II,v°)
Et ce que C.M.D. Noël confirme encore au début du XVIII e siècle :
« Une femme qui se noyé & meurt dans l'eau [...] surnage le ventre
dessous, comme si la Nature faisoit grâce à sa modestie. » (Noël,
p.70).
[129]
Ces preuves de la pudeur naturelle ne sont qu'une propédeutique à
l'affirmation d'une chasteté plus grande chez la femme. Or la chasteté
est sans conteste une des vertus chrétiennes les plus hautes et les plus
estimables. Il est clair cependant que peu d'hommes peuvent prétendre
la pratiquer.
Chez les anciens, auxquels on suppose une intuition mystérieuse
des exigences morales judéo-chrétiennes, la chasteté était parfois exi-
gée avec plus de sévérité qu'elle ne l'est dans les temps d'immoralité
où le monde est tombé. F. de Brinon admire les lois Spartiates qui exi-
geaient même des époux qu'ils se dissimulent pour céder à leurs pen-
chants, « tant la honte d'un plaisir si sale doit estre grande » (p. 132).
La chasteté féminine est donc un axiome constamment réaffirmé
dans tous nos écrits : « La XXVIIIe raison est pour estre plus chastes,
laquelle afferme Quintulien en ses déclarations, disant des femes, non
pas des homes en ceste vertu. » (La Chambre, B,f°2,r°).
« Et celle mesme sentence accorde Saint Bernard ainsi disant que
plus belle chose fait il peut estre que chasteté qui de créature hu-"
maine conçeue d'orde matière & semence & en pechié peut faire ung
très-net & plaisant habitacle à Dieu ; Chasteté, dist-il est la seule vertu
à mesme, en ce monde mortel, représenté l'immortalité. » (Pisan, Tré-
sor, XLIV,v°).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 155

Pour Brinon, la chasteté peut être « sans contredit » proclamée


« Royne de toutes les vertus » (p. 131) ; Billon s'exclame : « O don
des Cieux, honneste continence féminine. » (f°66,v°).
Gilbert, au XVIIe siècle, est plus optimiste que d'autres sur la pra-
tique de la chasteté en son temps : « Nos filles et nos dames françoises
portent la chasteté en un si haut degré de perfection que les anciennes
dames Romaines [. .. ] n'ont jamais eu nul avantage sur elles. »
Cela se répète, à la nausée, jusqu'au XIXe siècle : « La femme est
chaste de sa nature, la pudeur est un de ses plus beaux ornements. »
(Debay, p.45).
La femme doit être la sainte, la sœur-mère, l'objet interdit du dé-
sir : réprimant le désir, la paillardise des mâles, elle est l'image d'une
vertu inaccessible et conserve le stable trésor de l'honneur féminin.
Jeanne d'Arc dont la vie atteste que la femme peut exceller dans le
seul domaine qui semblait strictement réservé aux hommes, celui de la
vaillance guerrière et de l'art militaire, est aussi une vierge inacces-
sible : [130] elle unit en elle la vertu suprême de son sexe et s'attribue
les plus hautes qualités masculines.
D'innombrables traités à la gloire de la chasteté et de la virginité
paraissent du Moyen Âge à la fin de l'ancien Régime 102.
On argumentera ici de façon érudite par la « preuve par le sui-
cide ». Combien de vierges ont trouvé la mort plutôt que de renoncer à
cette « chasteté qu'elles prisent mille fois plus que la vie »
(Soucy.p.59). « L'on ne peut nyer qu'un nombre infiny de gracieuses
femmes n'ayent vertueusement préposé leur précieuse Chasteté et hon-
nesteté à tout l'aise ou bien temporel qui se soit jamais peu souhaitter
en ce mortel territoire. » (Billon.63.v° -64,r°.)
Lucrèce, violée par Tarquin. les filles de Phédon, Britonia poursui-
vie par Minos. Digna qui résista à Attila. Sophronie. les onze mille
vierges du martyrologe. ... les listes anecdotiques s'allongent indéfini-
ment. F. de Billon qui consacre à la chasteté son « deuxième bastion »
remarque que si. pour défendre leur intégrité certaines vierges re-
courent au suicide 103 ou affrontent le martyre, la pudeur a autrefois
servi aux archontes de Milet pour enrayer une vague de suicides parmi
102
Cf. par exemple Hoeniger, Propugnaculum castitalis, 1575.
103
Cf. Brinon, p. 140 et suiv.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 156

les jeunes filles du lieu : il a suffi que les officiers de la Cité menacent
d'exposer nue sur la place publique la première qui se suiciderait !
Preuve inverse de la même thèse.
Dieu merci, le recours au suicide n'est qu'une solution extrême. Les
femmes ont imaginé des ruses moins dramatiques pour résister à la
paillardise mâle. Aux premiers siècles, certaines filles romaines, pré-
voyant que leur ville allait être prise par les Huns, avaient eu la bonne
idée de « faire mortifier un poulet sous leurs aisselles » pendant plu-
sieurs jours, répandant ainsi une odeur si désagréable qu'elles par-
vinrent à décourager ces barbares affamés de viol. Cette plaisante
anecdote est contée par F. de Billon (f°65,r°).
C'est une commune opinion au Moyen Âge (et dans diverses socié-
tés « primitives » ) que la virginité possède certaines forces magiques
dont on citera de singuliers exemples : « Une simple fille par la puis-
sance de sa virginité a tiré sans peine avec sa ceinture un vaisseau que
[131] toutes les forces humaines & toute l'industrie de la Mathéma-
tique n'auroit sceu faire mouvoir du lieu où il estoit arresté. »
(Soucy,p.62).
*
* *
Un point reste obscur. La chasteté est-elle d'autant plus méritoire
que les femmes, travaillées par le désir, font le sacrifice constant du
moindre penchant illicite, ou si par hasard elles ne seraient pas « natu-
rellement » froides, bien moins que l'homme portées à la débauche et
même indifférentes à leurs assouvissements bestials ? C'est la seconde
solution à quoi on se range, surtout au XVIIe siècle.
Gilbert dit bien que la chasteté est supérieure au courage, car pour
celui-ci il ne s'agit que de surmonter les périls, pour celle-là, il faut
surmonter ses propres désirs. Ce raisonnement axiologique, typique-
ment aristotélicien, n'est pas suivi. Gilbert lui-même semble, ailleurs,
admettre qu'il n'y a pas dans la femme de désir sui generis : « C'est
une preuve bien infaillible que les femmes sont plus parfaites que les
hommes puisqu'elles se passent aisément d'eux & qu'ils ne sçauroient
vivre sans elle. » (Gilbert, p.33).
On aboutit ainsi à un éloge vibrant de la frigidité, non comme mé-
rite moral mais comme complexion naturelle : le sacrifice est moins
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 157

grand qu'il n'y paraît, mais la supériorité des dames en est renforcée :
« La complexion ordinaire de la femme, selon tous les hommes, est
d'estre froide (à ce que dit Aristote mesme, leur ennemy) & par consé-
quent chaste : au lieu que la constitution naturelle de l'homme le rend
luxurieux & paillard. » (L'Escale, p.34).
Cette thèse est d'autant plus importante dans l'économie de notre
argumentation que les misogynes professionnels disent exactement le
contraire : l'homme selon eux est tourmenté par les insatiables désirs
de sa compagne, sources de péchés et de malheurs.
La thèse « sexologique », qui domine à l'âge classique et va dans le
sens de nos apologistes, est que la femme n'éprouve d'intérêt aux
choses sexuelles que par l'homme, que la volupté même ne peut être
atteinte que par une « intervention extérieure » : « La deffense des
femmes gist en ce qu'elles ne peuvent commettre de volupté, qu'elles
ne soient premièrement excitées par les hommes. » (Vigoureux,
p.118).
[132]
Cette thèse qui fait de l'homme le seul agent actif de la volupté,
flatte sa vanité sexuelle, mais force à concéder une pureté « physiolo-
gique » aux femmes 104.
L'homme, au contraire de la femme, est esclave d'une sexualité
bestiale qui le pousse à la paillardise. « L'homme est aussi lascif
qu'elle est chaste » (Noël, 1701, p.61), « preuve certaine que l'homme
est le plus faible & l'animal le plus dangereux pour la femme » (Di-
nouart,p.81). Il s'abandonne à ses penchants luxurieux « en des gestes
& façons de faire que les bestes brutes en auraient horreur », déplore
le capitaine Vigoureux (p. 131), « cherchant son plaisir d'une façon,
tantost de l'autre ; toutes sortes de chatouillements, dissolutions, pollu-
tions luy font jeux & esbatemens » (d°,p.l32) ; « Ils ont beau estre re-
tirez & renfermez dans les monastères, avoir faict vœu de virginité,

104
L'existence d'une sexualité clitoridienne est ignorée ou niée. On verra ce-
pendant : Réflexions sur les hermaphrodites, Champeaux (BN, Rés. Z
3252). Le Petit Chaperon rouge de Perrault, peut être lu comme un apo-
logue transparent de la genèse sui generis du désir féminin. On verrait, dans
le mot « chaperon, » une équivoque sur « cappero », « capperone » dans
l'italien des auteurs licencieux (chez l'Arétin par exemple).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 158

l'avoir promis à Dieu, néantmoins à la simple occasion qui se pré-


sente, ils se laissent emporter à leurs sensualités. » (d°,p.39).
Il n'y a que les hommes qui se sont laissé emporter aux plaisirs
contre nature à Sodome et Gomorrhe, assure le Traité de 1686.
Comme pendant les preuves de chasteté chez les filles, Brinon se
complait à rassembler avec érudition les exemples fameux de dé-
bauches contre nature, propres aux hommes : « La brutale affection
d'Aris-ton est assez publiée qui osa bien pour contenter l'insolence de
ses appétits nouveaux & monstrueux se joindre à une asne de laquelle
il eut un enfant my fille my-asne. » (Brinon, p. 140) 105.
« Néron, voulant changer l'ouvrage de nature, après avoir coupé les
génitoires à un sien mignon luy fit tailler en la place cète partie de la
femme que la révérence me fait taire & puis l'épousa publiquement
comme femme & s'en servit en céte qualité de là en après. » (d°)
Le Père Caffiaux, deux siècles plus tard, rappelle qu'Archimède fut
le premier streaker et que les femmes n'auraient garde d'imiter son
exemple, fût-ce sous prétexte de science : « Archimède, qui au sortir
du bain, courait tout nud par la ville en criant qu'il avoit trouvé la so-
lution d'un problème qu'il cherchait n'a point encore eu d'imitatrices. »
(Lp.64).
[133]
L'affaire semble entendue, mais les antiféministes vont répétant
que la femme est au contraire un animal lascif infiniment plus porté
que l'homme à se satisfaire et, comme l'atteste Tirésias, dotée d'une
sensualité plus intense :

Tu as leu de Thyresias
Qui fust en femme converty
Il est à penser que si as
Et que le voies devant ty.
Quen dy-tu, avoit-il menty
Quant il dit que plus de luxure,
Quand il estoit femme, senty
Que quant avoit nostre nature ?
(Paroles de l'Adversaire, in Le Franc, f° 114,r°)
105
Il suit ici Plutarque, in Vit. Paraît.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 159

Cette thèse est niée avec indignation. Si la femme cède parfois,


c'est encore l'homme le premier coupable, riposte-t-on : « Les
Hommes premièrement en sont cause, comme Autheurs de tous maux
en toutes Créatures. » (Billon, f°15,r°).
Charles Estienne croit aussi « ceste faulte debvoir estre du tout im-
putée à la fascheuse importunité des hommes, à leurs lascives
œillades » (p. 152).
Est-on bien sûr, d'ailleurs, que les femmes sont si faibles ? Il faut
faire la part de la stupide vanité masculine en ce domaine : « J'en co-
gnoy plusieurs lesquels, pour avoir veu l'ombre d'un cotillon des
dames, se ventent de les avoir dépucelées & ne leur oseroyent deman-
der un simple baiser. » (Pontaymeri, f°7,r°).
Un vague malaise apparaît cependant parfois. À force de lire Héro-
dote ou Pline, on trouve trop d'exemples anciens de débauches institu-
tionalisées : « Je sçay bien qu'en Numidie, en Phénice & en Cy-pre les
filles gaignent leur mariage à la publication de leur corps [...] céte
coutume leur est honorable, elle nous serait infâme. » (Brinon, p. 136)
« Elles font ce qui est reçeu en leur pays, sil y estoit défendu, elles
s'en abstiendraient. » (d°, p.l38) 106.
La rétorsion est faible, car il s'agissait de prouver que la chasteté
est naturelle. Ces variantes culturelles mettent mal à l'aise. On les
ignore généralement.
*
* *
[134]
Seuls Poullain de la Barre (1673) et, plus confusément, quelques-
uns de ses successeurs, auront l'audace de renverser cette topique. Ils
exalteront non plus la chasteté, qu'ils perçoivent comme contraire au
plan de la Nature, mais la sensualité, le plus grand désir et le plus
grand plaisir sexuel, de sorte que la femme reste dans ce domaine, su-
périeure, mais en partant du présupposé contraire. L'idée que les
femmes sont plus portées à la « galanterie » que les hommes et que
106
Entre les Arabes, toutes les femmes « sont à l'abandon » (Brinon, p. 137).
Cf. au XVIIe siècle, le thème de la « lubricité des Maldivoises » ; voir no-
tamment Voiage de François Pyrard, Paris, 1615.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 160

cela est fort bien ainsi est reprise par Bayle (Pensées diverses sur les
Comètes, paragr. 163, p. 104, La Haye, 1727) qui voit bien que la
chasteté est une vertu masculine, entendre : une fausse vertu inventée
par les hommes pour tenir les femmes en lisière : « Les hommes ont
établi la gloire des femmes dans la chasteté 107. »
M. de Saint-Gabriel, soixante ans auparavant, inclinait déjà à
concéder que les femmes sont « plus » sensuelles, mais comme il per-
sistait à faire de la chasteté la plus haute vertu, il lui fallait en tirer
con-tradictoirement une preuve de supériorité des femmes : « Que si
les femmes sont plus enclines naturellement aux appétits sensuels &
que le jugement de Tirésias entre lupiter et lunon soit vray — s'abste-
nans comme elle font de ce plaisir, il faut quelles soient douées d'une
bien plus grande vertu que l'homme 108. »

8. Supériorité intellectuelle

Retour à la table des matières

« Presque tous les sçavants soutiennent que l'esprit des femmes est
plus faible que celui des hommes, qu'il est moins constant, moins
propre aux emplois 109. » Peut-être la femme a-t-elle reçu quelques ca-
pacités de raisonnement, mais l'influence de ses sens l'asservit ; « l'in-
terposition de sensualité » cause « cette grande et lourde Ecthlipse
[Éclipse] de sagesse » qu'on remarque en elles 110. Ainsi va l'opinion

107
L'idée que la femme aime plus que l'homme, mais en termes de sentiments
de l'âme et non de désir physique, est déjà attestée chez les panégyristes du
XVIe siècle : « Les femmes ordinairement sont plus amoureuses et moins la-
biles en leur inclination d'aymer. » (Billon. f° 142, v°).
108
Le P. Caffiaux, qui tient les femmes pour « plus » chastes en pratique,
avoue aussi que la galanterie serait excusable chez elles : « l'incommodité de
la grossesse » étant compensée par une inclination puissante « à produire
leurs semblables ». Ce n'est pas de cela qu'il s'agissait chez Poullain de la
Barre ! On tiendra Caillet pour un précurseur, qui dans son Tableau du Ma-
riage (Orange, 1635) fait de la volupté la première fin du mariage et de la
propagation, la troisième seulement (BN rés. Z 3243).
109
Comte de Bièvre, Histoire des deux Aspasies, Paris, 1736, p. I.
110
Tournes, Louè'nge (1551), p. 4 (Bibliographie I C).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 161

dominante, « les femmes ont du goût et cela leur tient lieu de rai-
son 111 ».
[135]
« La femme est d'une humeur si bizarre et diverse que c'est outre-
cuidance de se promettre d'en pouvoir décrire autre chose que
quelques particularités 112. »
Ici encore, les apologistes, plutôt que de se mettre en position de
défense, attaquent en prenant le contre-pied de cette opinion admise
partout. L'esprit de la femme est « le plus capable des vertus intellec-
tuelles 113 ». « Il n'est rien au dessus de son vaste génie 114. » Sans doute,
l'esprit qu'elle montre est-il différent de celui de l'homme, plus subtil,
plus naturel, plus vif : « La fème est plus vive d'esprit que l'hôme 115. »
« Pour ce qui regarde l'esprit, les femmes ont un avantage bien mar-
qué. Plus de vivacité dans l'imagination, plus de naturel dans les pen-
sées, plus de choix dans les termes... 116 »
La vivacité d'esprit dont la femme est spécialement dotée est un ar-
gument qui figure en première place parmi ceux dont François de
Billon (1553) va se servir contre les « Pantagruélistes » : « Considéré
que tout ce que peult imaginer ou composer l'homme, la femme aussi
le peult : et là où pénètre l'intellect de l'un peult par semblable péné-
trer l'intellect de l'autre ; ouy encores davantage suyvant ce que n'a
peu nyer icelluy Aristote au mesme endroit que dessus, là où il dit que
les femmes sont plus aptes à souvenance, plus vigilantes, plus sobres
et plus constantes. Ce qui démontre bien en elles quelque grâce spé-
cialle d'intelligence et force d'esprit. » (f°7,r°).
Mais on n'en reste pas là. Ce qu'il convient de démontrer, c'est que
« les femmes sont plus propres aux sciences que les hommes 117 ».
Malgré les préventions masculines, on cherchera, dans chaque do-
maine, des femmes qui ont surpassé les hommes. Aux XVII e et xvme
siècles, l'exemple de Christine de Suède, celui d'Anne Marie Van

111
Plante-Amour, Art, p. 4 (Bibliographie I C).
112
Fierville, Meschanceté (Bibliographie I C).
113
Saint-Gabriel, p. 36.
114
Coulon, p. 13.
115
Billon, p. 7.
116
Philippe, p. 2 ; cf. Thomas, p. 84.
117
Noël, art. XIV.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 162

Schurman, philologue et érudite hollandaise, avaient frappé les es-


prits 118.
Avec son savoir encyclopédique. François de Billon ne démontre
pas seulement le rôle éminent des femmes dans les arts, les lettres, la
civilité ; elles ont aussi inventé toutes les techniques. Vers la fin du
premier [136] âge du monde, une femme appelée Noema, fille de La-
mech, inventa l'art du tissage et de la laine — auparavant, l'homme
n'était vêtu que de peaux de bêtes. La reine Sémiramis, impératrice
des Assyriens, fut la première à trouver la technique de la navigation
et la construction de navires de haute mer. Tritonia (?) inventa le cha-
riot royal à quatre chevaux. L'agriculture même fut inventée par une
« dame », nommée Cérès ! Isis inventa les cloches, les trompettes et
les hiéroglyphes. La nymphe Carmentis donna aux Romains l'alphabet
vocalique... De toutes ces inventions, les hommes ont profité en ou-
bliant très vite à qui ils les devaient. On trouvera de telles listes rai-
sonnées, et de plus longues, dans la plupart des écrits de notre système
discursif.
Il est vrai que la coutume maintient les filles dans l'ignorance. À
voir le nombre de celles qui ont surmonté les entraves qu'on leur met,
il est permis de se demander si beaucoup de savants auraient pu trans-
mettre leur nom à la postérité, à supposer qu'ils fussent nés filles : « Il
est surprenant qu'on ne trouve pas un plus grand nombre de véritables
sçavants parmi les Hommes, vu l'avantage de l'Éducation que leur
Sexe a pardessus nous. » (Triomphe du Beau Sexe, p. 104).
C'est parce qu'ils redoutent la naturelle supériorité des femmes, que
les hommes leur interdisent de s'élever par l'instruction 119. Ils
craignent, à les entendre, que l'impudeur, la licence accompagnent
chez elles la science. C'est, à l'instar d'Arnolphe, pour préserver leur
vertu qu'on les veut sottes : « Voilà une impertinente conséquence, de
croire que les sciences fassent les impudiques : au contraire, je dis que
c'est l'ignorance et non pas le sçavoir qui fait les coquettes »
(Guillaume, p. 197). Poullain de la Barre suppose aux femmes des dis-
positions supérieures pour diverses sciences, l'histoire (éd. 1679,
p.54), la théologie (p.55), la médecine (p.56). On voudrait par une
feinte complaisance les nourrir de quelque instruction sans outrepasser

118
Guillaume, p. 204.
119
Gilbert, p. 16.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 163

les domaines utiles à leur condition, un peu de lettres, un peu d'arts


d'agrément, un peu d'économie domestique. Pourquoi « les sciences
de la philosophie la plus spéculative » leur seraient-elles interdites 120 ?
Cette revendication du droit de l'instruction, que nous retrouverons
plus loin, ne se justifie que dans un contexte de réflexion positive et
critique sur la condition féminine. L'enthousiasme mystique des pre-
miers défenseurs de la supériorité des femmes allait beaucoup plus
[137] loin. Ils ne leur croyaient pas seulement des virtualités intellec-
tuelles mal cultivées mais les voulaient douées de science infuse :
« Les femmes sçavent toutes choses naturellement » écrivait Agrippa,
au début du XVIe siècle. Et il précisait bien : « Les femmes surpassent
aisément et sans estude ceux mêmes qui sont maîtres dans chaque
art. » (éd. 1713, p.95).
Ce que Gilbert affirme encore un siècle plus tard : « Elles ont par
la naissance ce que les hommes n'acquièrent que par le travail et par
les années. » (p. 14).
La femme possède « le transcendant des choses crées » : elle saisit
intuitivement l'essence du réel, selon la Reine Margot citée dans la
Deffense de Pierre de l'Escale.
Poullain de la Barre, s'il exige pour les femmes un droit égal à
l'instruction, tend à leur attribuer un don inné, un instinct scientifique
plus juste et plus spontané. Les femmes ont l'esprit naturellement phi-
losophique. Sur Dieu, sur l'âme, la moindre d'entre elles raisonne avec
plus de rigueur que les théologiens. On dispute en Sorbonne de la cir-
culation du sang. Les femmes ont trop de bon sens et d'intuition pour
mettre en doute cette théorie et se raillent de ceux qui la nient. On voit
se développer ici le thème de l’instinct, substitut du savoir et supérieur
à lui, comme l'inné est supérieur à l'acquis. Les femmes, dira plus tard
Boussanelle « ont un instinct plus sûr et plus délié que les idées rai-
sonnées de la reflexion » (p. 101).
Au XVIe siècle, cette idée d'une surrationalité féminine, d'une ca-
pacité mystérieuse d'activer des forces psychiques d'une étendue plus
vaste que celles de la raison raisonnante trouve son expression dans le
mythe de Sibylles. La femme est douée du don de prophétie, de double
vue ; elle a la faculté de percevoir l'avenir, de dévoiler l'inconnais-
sable.
120
Boussanelle, p. 104.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 164

Cornélius Agrippa souhaitait que les femmes puissent devenir prê-


tresses, à cause des Sibylles. Le mythe de la féminité sibyllienne pou-
vait s'appuyer sur l'autorité de saint Jérôme qui avait proclamé que ces
dix prophétesses païennes avaient prêché par divine inspiration l'avè-
nement de Jésus-Christ.
Martin Le Franc, le premier écrivain de notre tradition, évoque les
Sibylles pour prouver la transcendance intellectuelle des femmes
(p.319-320).
« Veult-on cognoistre la capacité de ce gracieux sexe en choses
plus hautes qu'en grâces d'Esprit de Prophétie dont tant de femmes ont
[138] été divinement illustrées ? Y a-t-il invention de choses humaines
qui soit à égaller à une prévision des cas à avenir ? [...] je suplye re-
mémoré soit en la pensée d'un chacun quelle capacité et grand' grâce
fut celle des anciennes sibiles (femmes grecques) d'avoir non seulle-
ment déclaré aux Empereurs romains et à autres ce que leur étoit futur
mais aussi d'avoir prédit au monde aveuglé l'admirable incarnation de
son Rédempteur. » (Billon.)
En 1650, Gilbert propose encore à l'admiration « ces dix sçavantes
filles qui ont eu le don des prophéties » (p.21). Madame de Coicy as-
sied sa défense du mérite des femmes, sur le fait que les Oracles des
Grecs, les Sibylles des Romains, les Pythonnises des Hébreux, et des
filles inspirées dans bien des peuplades sauvages sont autant de
preuves qu'il est départi aux femmes des dons intellectuels sans
contreparties chez les hommes 121. La Sorcière de Michelet 122, la Nadja
d'André Breton passeront à cet égard pour des avatars modernes d'une
thématique qui remonte très loin.

L'éloquence

La parole est le propre de l'homme : « Ce qui nous distingue le


plus des bêtes, c'est la parole. » (Noël, 1701, p.51). Les misogynes
sont donc malvenus de reprocher aux femmes leur babil, puisque ce
trait doit être porté au compte de leur supériorité. Tous nos théoriciens
considèrent la femme comme douée pour l'éloquence, possédant de
121
Voir Coicy, I ; Galien, p. 55.
122
Cf. aussi la Femme, p. 328 (éd. originale).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 165

naissance un talent que l'homme n'acquiert qu'à grande peine. Elles


n'ont pas besoin d'apprendre l'art oratoire, car chez elles, cette science
est infuse : « Toutes les Rhétoriques du monde ne peuvent donner aux
hommes ce qui ne coûte rien aux femmes. » (Poullain, p.50).
Un don naturel, congénital est évidemment supérieur à tout savoir
acquis. Or il s'agit ici d'un « talent si naturel qu'on ne peut le leur dis-
puter » (d0) 123.
Agrippa renchérit sur cet argument : pas d'exemple, dit-il, — ou si
peu — qu'une femme soit jamais née muette 124. Jacquette Guillaume
[139] dresse la liste des femmes qui ont brillé par leur éloquence dans
tous les siècles.
Les misogynes pourraient rétorquer que le don de la parole est une
chose, le caquet stérile, la vacuité babillarde en est une autre. Caffiaux
(1753) concède cette distinction, mais il remarque que bien des
hommes sont portés au vain bavardage, qu'il ne faudrait pas qu'ils sur-
estiment l'intérêt de leurs propos ordinaires, qu'enfin les femmes
parlent au niveau de la condition qu'on leur fait : dès qu'elles ont
quelque éducation, la puissance raisonnable de leur éloquence sur-
passe celle de l'homme.

9. Talent politique et vertus guerrières

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Les femmes peuvent-elles exceller dans les domaines que la cou-


tume et le préjugé semblent réserver aux seuls hommes ? Non
contentes de dépasser les hommes en toutes sortes de vertus, sont-
elles capables d'en disputer les mérites sur leur propre terrain ? L'exer-
cice du pouvoir politique exige des qualités intellectuelles, une sa-
gesse et une audace dont les femmes seraient privées, au dire des anti-
féministes. Si la position des laudateurs de l'autre sexe apparaît
comme paradoxale, ils ne manqueront pourtant pas d'exemples qui
pressent de conclure que bien des femmes, dans l'antiquité et à
l'époque moderne, ont exercé avec gloire des charges publiques,
123
Ce que répète Puisieux, p. 90 ; voir aussi Bermen, p. 340.
124
Cf. Agrippa. 1713, p. 49 ; voir aussi Pontaymery, f° 18, r° et suiv. ; Noël,
1698, art. XI ; Galien, p. 19 ; Debay. p. 65 ; et Guillaume, p. 214 et suiv.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 166

qu'elles ont avec honneur et sagesse assumé le pouvoir suprême,


quand il se faisait qu'il tombât dans leurs mains. Qu'enfin, rien n'in-
dique qu'elles en soient indignes, si on leur permettait de l'exercer,
qu'au contraire il semble constant qu'elles y ont fait éclater, de Sémi-
ramis à Christine de Suède, des talents supérieurs, conformes aux ver-
tus morales qui leur sont départies. Alors même que ce sont les
hommes qui exercent le pouvoir, combien d'entre eux ont été dirigés
et conseillés de façon plus ou moins occulte par diverses égéries ?
Au début du XVIe siècle, Guillaume Dufour conpose, à la requête
d'Anne de Bretagne, une histoire des femmes célèbres, vaste compila-
tion où puiseront les apologistes ultérieurs. « Toutes les grandes mo-
narchies ont été instituées par le conseil des femmes » démontre
Alexandre de Pontaymeri 125. Mieux encore, si l'homme revendique la
supériorité de la force physique et le don naturel de la vaillance, pour
se réserver les charges militaires, bien des femmes ont démontré que
[140] leur sexe est « aussi propre pour l'exercice des armes 126 ». « Les
vertus militaires ne sont en effet ni « trop fortes, ni trop rudes pour les
femmes », constate le P. Caffiaux (I, p.l76) qui exprime une thèse lar-
gement répandue dans nos écrits. Seule, au XVI e siècle. Mademoiselle
de Gournay semble renoncer à défendre l'honneur des dames sur ce
terrain, « le sexe féminin estant vraysemblablement d'un corps moins
propre aux armes, par la nécessité du port et nourriture des enfants ».
L'histoire offre à foison des exemples de femmes qui ont manifesté
des vertus guerrières : Artémise, reine d'Halicarnasse, Cyané, Zé-no-
bie, les Amazones, Judith (!), la Pucelle d'Orléans, les dames de Beau-
vais qui repoussèrent les Huguenots.., 127 « L'Art militaire n'a point de
mystère particulier auquel les femmes ne puissent atteindre. » (Pui-
sieux, p. 113).
Si la femme est plus pacifique, moins vainement querelleuse que
n'est l'homme, elle est capable d'actions héroïques lorsqu'il s'agit pour
elle de venger son honneur 128.

125
Fº 4, r° ; voir Le Franc, f° 274, r° et suiv. ; Noël, art. XVI.
126
Noël, art. XV.
127
Caffiaux, op. cit.  ; liste analogue chez Coicy, I, VII « De l'amour de la pa-
trie ».
128
Caffiaux, II, III.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 167

L'histoire des Amazones, souvent évoquée et contée en détails par


l'abbé Guyon est là pour démontrer que, débarrassées de la tutelle
masculine, les femmes peuvent se gouverner et se rendre redoutables
à leurs voisins par leur science militaire et leur intrépidité : « Les
Amazones avoient une Reine à leur tète qui étoit revêtue de tout le
pouvoir souverain. On dit même que leur république subsista plusieurs
années, sans qu'elles eussent aucun homme parmi elles & que leur
pays n'etoit peuplé que par le commerce qu'elles entretenoient avec
leurs voisins. » (Lp. H9).
« Je sais que Strabon, Paléphatus & quelques autre anciens, ont
semblé révoquer en doute que les Amazones ayent jamais existé. »
(d°, p.121.)
L'auteur se propose de démontrer par l'autorité de sources innom-
brables que les Amazones ne sont nullement sorties de la légende. Les
Amazones antiques ne sont pas la seule société exclusivement fémi-
nine, que l'on connaisse au XVIIIe siècle : « On dit qu'encore aujour-
d'hui il y a dans l'Afrique un royaume composé de seules femmes qui
tuent tous les garçons qu'elles produisent. » (Bayle, Rép. Let., août
1685). [141] On en a découvert encore aux Amériques, le long du
fleuve Amazone, justement (I, p.l26).
« À Bornéo, île très considérable de la mer de l'Inde, ce sont les
femmes qui gouvernent, suivant les relations de Mandesto, et leurs
maris n'ont pas d'autres prérogatives que d'être les plus distingués de
leurs vassaux. » (Caffiaux, I, p.30.)
Mais plus souvent que ces exemples lointains et exotiques, la car-
rière de Jeanne d'Arc, citée dans toutes nos sources ou presque,
semble la preuve éclatante qu'une femme, par un privilège sans doute
exceptionnel, et sans abdiquer les charmes et les vertus de son sexe,
peut faire preuve du courage et de l'héroïsme les plus hauts, alors
même que les hommes semblaient avoir abandonné le combat. Grâce
à elle, la couronne de France ne passa pas en des mains étrangères 129.
Elle est l'incarnation mystérieuse du renversement des valeurs andro-
centriques. Elle fait la somme des vertus suprêmes des deux sexes.
Elle préfigure le Règne des Femmes, marquant, par son passage dans
l'histoire, une transgression de tous les interdits et des limitations que
la nature même semblait avoir imposés aux femmes.
129
Cf. Gilbert, p. 39.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 168

On pourrait rétorquer qu'elle ne fut qu'une exception singulière.


Pour les apologistes, elle incarne la précellence des vertus féminines,
lorsqu'un devoir suprême appelle la femme à braver la médiocrité de
sa condition. C'est ainsi en tout cas, que l'image de la Pucelle d'Or-
léans, se transmet dans notre tradition. L'admiration populaire s'ex-
prime ici plus que la version « officielle » : « Quis satis laudare pote-
rit puellam illam nobilissimam, licet humili génère ortam, qui anno
Christianorum MCCCC XXVIII occupato per Anglos Franciae Re-
gno, Amazonis more sumptis armis, primamque aciem ducens, tam
strenue feliciterque pugnavit ut pluribus proeliis superatis Anglis,
Francorum regi jam amissum regnum restituerez » (Agrippa) 130.
[142]
Dès Cornélius Agrippa (1509) l'éloge de Jeanne d'Arc va tenir une
place importante dans l'argumentation. La Vierge guerrière dresse
« un monument éternel de gloire pour le beau sexe » (Noël. 1701,
p.31).
On ne cessera d'interroger sa mystérieuse destinée. Elle semble
prophétiser un monde à venir où les femmes manifesteraient au grand
jour une supériorité tellement absolue qu'elles soumettraient les plus
sceptiques.

10. La femme, « âme de la société »

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Chez les peuples sauvages et dans les temps barbares, la femme est
généralement opprimée. Elle ne gagne le respect qui lui est dû qu'à la
mesure des progrès que font la civilité et la politesse. Et cela peut se
concevoir, puisque la femme est l'éducatrice des hommes, son guide
130
Cf. Billon, p. 47 v° ; Postel, passim ; Guillaume, p. 144 ; Traité de 1686, p.
57 ; Caffiaux. I, p. 226 ; Toselli. Ce n'est pas ici la Pucelle de Schiller, virile,
privée des dons de la féminité en compensation de sa renommée guerrière.
Traduction du passage d'Agrippa : « Qui pourrait assez louer cette jeune fille
de haute noblesse — quoique d'humble origine — qui, en 1428, alors que le
royaume de France était occupé par les Anglais, armée à la façon des Ama-
zones et placée à la tête des troupes, se battit si bravement et avec tant de
bonheur qu'elle défit les Anglais en de nombreux combats et rendit au Roi
son royaume qu'il avait presque perdu. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 169

indispensable dans la voie du raffinement, le moteur du progrès vers


une société courtoise et policée. Les premiers apologistes de la Que-
relle des femmes, à l'avant-garde d'une renaissance de la vie de cour,
sont déjà persuadés de cet axiome. Le zèle pour les femmes va de pair
avec la reconnaissance du rôle souverain qu'elles jouent dans la ré-
forme des mœurs et l'ennoblissement des relations sociales. C'est un
critère pour juger d'un milieu ou d'une époque : « Aux grandes mai-
sons, vous les voyez tousjours caressées, servies et révérées : & aux
petites on ne voit que riottes, plaintes, querelles. » (L'Escale.p.7).
C'est une thèse platonicienne que seule la société des femmes civi-
lise la farouche nature des hommes, barbares et mal polis de leur natu-
rel, que la civilisation et les arts ne fleurissent qu'autant que les
femmes sont choyées et écoutées. L'homme, dit Pontaymeri. « n'est
gracieux, courtois et civil que par la fréquentation des Dames »
(f°45,r°). Elles sont « l'âme de la société » assure Boudier de Ville-
mert, deux sièccles plus tard (éd. 1788, p.43). Cette thèse est sans
doute la clé qui permet de découvrir le rôle de la polémique sur la su-
périorité des femmes dans les diverses factions qui dominent la socié-
té.
Déjà François de Billon avait cherché dans un long et savant expo-
sé, à mettre en regard l'excellence comparée des divers systèmes poli-
tiques européens et le degré de liberté et de respect dont jouissaient les
femmes dans chacun de ces pays - surtout la France. l'Allemagne et
l'Italie. Il trouve que sans conteste, la paix civile, l'équilibre institu-
tionnel, le haut degré de civilisation mettent au-dessus de tout autre le
Royaume de France (nous sommes en 1550). Or, c'est aussi en France
que les femmes « sont librement et plus doucement traitées » (f°180.
v°). [143] Billon en conclut que le rôle des femmes est d'autant plus
grand que la civilité fleurit mais, dialectiquement, que les progrès des
mœurs en général doivent beaucoup à cette bienheureuse émancipa-
tion. Le long chapitre XIII du Fort inexpugnable montre que pour
Billon le problème de la « préexcellence » des femmes est directement
lié à une réflexion politique.
Une fois encore, on dira que la femme est « naturellement civile »
et dans cet oxymoron se condense le paradoxe : être plus proche de la
vérité originelle, la femme est aussi image de l'avenir des sociétés,
dans un progrès continu vers une plus grande urbanité. L'homme, de
tempérament fruste, s'impose la politesse comme une contrainte dont
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 170

il bénéficiera. La femme y aspire parce qu'elle est conforme à sa na-


ture : « Il faut advoiier que l'esprit des femmes est incomparablement
plus agréable que celuy des hommes & la douceur de leur entretien est
tousjours la plus belle écolle des plus honnestes gens. » (Soucy.
p.108). « Rien de plus propre à former l'esprit & le cœur, à inspirer
des sentimens à apprendre l'usage du monde, que la conversation d'un
sexe le plus ingénieux et le plus délicat. » (Dinouart, p.74.)
Dans cette perspective, la femme ne jouit plus seulement d'une su-
périorité statique : elle a un rôle à jouer dont se perçoivent progressi-
vement les heureux effets. Dans une société moins barbare et plus
douce, la supériorité des dames se reconnaît d'autant mieux qu'elles
sont la cause efficiente de l'adoucissement des mœurs 131. Cette dialec-
tique est essentielle : elle fait de la supériorité féminine l'objet d'un dé-
voilement auquel les femmes contribuent. Avec la nature pour seul
guide, la femme entraîne l'homme dans la voie d'une plus haute
culture. Pure nature et hyper-culture : elle reste un être des confins.
Son rôle sera magnifié : « Les femmes ont inventé tous les Arts qu'on
appelle libéraux. » (1713, p.83) proclame Cornélius Agrippa. Et Fran-
çois du Soucy : « L'invention des lettres appartient seulement aux
femmes. » (p.27).
On établira ici la liste de toutes les femmes qui ont laissé leur nom
dans les lettres, de Sapho à Madame Deshoulière. Madame de Ville-
dieu, Mademoiselle de Scudéry, en passant par les Lyonnaises :
Louise Labé. Pernette du Guillet.
François de Billon (1553) après avoir fait l'éloge des Princesses de
France, ne manque pas de signaler à l'admiration les Lyonnaises [144]
« Jane Gaillarde et Pernette du Guyllet », mais aussi la Picarde Héli-
senne de Crenne, dont de récentes publications nous font aujourd'hui
redécouvrir l'étonnant talent. « En un passage de son livre touchant les
angoisses amoureuses, elle donne une fâcheuse touche à tout détrac-
teur de femme. » (f°36,r°.)
Plus souvent que poète elle-même, la femme est l'inspiratrice des
plus grands ; le mérite de Dante revient à Béatrice, celui de Pétrarque
à Laure : « Auquel des deux, savoir est, de Dame Laure ou Pétrarque
131
Voir « Si la conversation des femmes est utile aux hommes, du Lundy 14
octobre 1641, conférence », Brochure in BN Rés. Z 3241 (35 du recueil de
Jamet).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 171

doit on rendre plus de grâces pour la fruition de si agréable Poésie. »


(Billon, f°67, v°).
Avec un enthousiasme qui tend souvent à dépasser les limites de ce
qui se peut défendre, on en viendra à s'interroger si les hommes ont
jamais inventé quoi que ce soit dont les arts et les lettres ont profité :
« Aussi ne peut-on dire que les femmes ayent inventé les jeux de dez,
de cartes & autres sottises. » (Pontaymeri, f°23,v°).
Le rôle civilisateur imparti aux femmes est de ceux sur lesquels
Michelet insistera. Elles sont le levain dans la pâte, le facteur de pro-
grès et d'harmonie dans une société que la prééminence de l'homme
vouerait à l'entropie et à la barbarie. Le monde « vit » de la femme,
« ange de paix et de civilisation » (la Femme, p. 10 et 138). « Elle y
met deux éléments qui font toute civilisation : sa grâce, sa délicatesse
- mais celle-ci est surtout un reflet de sa pureté. Que serait-ce du
monde de l'homme si ces deux choses manquaient ? » (p. 10).

11. L'éducation des filles

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Depuis l’Économique de Xénophon jusqu'à la fin du XVIIIe siècle


en passant par Fénelon, les traités sur l'éducation à donner aux filles
sont légion. Nous ne voulons pas rendre compte, fût-ce en survol, de
cette vaste production, mais décrire la position homogène et radicale
de tous nos apologistes face à ce problème. Elle consiste à attribuer au
défaut d'éducation les prétendus défauts congénitaux du sexe féminin,
à mettre les adversaires des femmes en demeure de leur reconnaître le
droit à une éducation égale ou d'avouer que c'est la crainte de les voir
s'élever au-dessus des hommes qui les fait reculer. Ce serait évidem-
ment leur faire dire qu'ils sont intimement persuadés que la thèse ad-
verse est véridique. L'égalité revendiquée ici n'est donc que le moyen
d'une épreuve qui rende patente la précellence féminine. Mais c'est
aussi la seule revendication concrète qui apparaisse régulièrement
[145] dans nos écrits. Elle préfigure une exigence lancinante du fémi-
nisme moderne.
L'éducation des filles est traditionnellement bornée aux fonctions
subalternes qu'on s'attend à leur voir remplir : « La seule attention
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 172

qu'on a d'ailleurs pour elles, c'est de leur apprendre à manier l'éguille


et le fuseau. » (Triomphe du Beau Sexe, p. 102).
L'aiguille est le fuseau, c'est en effet, l'alpha et l'oméga d'Arnolphe
et de ses congénères. Quels arguments appuient les prétentions de
ceux qui veulent maintenir les femmes dans l'ignorance ? Ils trouvent
leur origine dans la prétendue infirmité physique des femmes :
« L'obligation de former des enfans les rend sujettes à mille infirmitéz
qui les rendent incapables des plus hautes fonctions de la société. »
(Poullain, 1675, p. 158).
On a déjà vu réfuter ce point de vue androcentrique ; cela conduit
d'ailleurs à une pétition de principe : le savoir est inutile aux femmes
puisqu'elles sont exclues des fonctions importantes et elles sont ex-
clues de ces fonctions parce qu'ignorantes 132. Tous ces raisonnements
prétendus dissimulent un seul sentiment, la peur qu'ont les hommes de
devoir traiter les femmes en égales. L'ironie traditionnelle sur les
femmes savantes ne trahit pas autre chose. Juvénal avouait déjà qu'il
est bien éprouvant pour un homme de voir une femme montrer
quelque connaissance :

Non habeat matrona tibi quae juncta recumbit


Dicendi genus, aut curtum sermone rotato
Torqueat enthymemata,... (VI, 448)

Traitons-les en égales, disait Caton, elles voudront aussitôt être


maîtresses. Voilà l'aveu ! Et D'Aillant, en 1772, dans un pamphlet mi-
sogyne paré de prétentions philosophiques, ne raisonne pas autrement.
Les hommes, dit-il, sont propres à l'étude, cela devrait suffire à en
écarter les femmes, car il faut pour suivre en tout la nature, que les tra-
vaux des deux sexes n'entrent pas en concurrence 133. En outre, la
femme ne pourra devenir savante : « Tant d'objets à la fois, tant de
faits différents ne pourront se réunir & se classer dans sa tête & avant
de les avoir parcourus l'excès du travail aura produit le dégoût. »
(p.26).

132
Cf. Du Bosc, 1632, p. 151 ; Triomphe de 1719 et Puisieux, p. 62 et suiv.
133
Voir Rousseau, Émile  : « Dès qu'une fois il est démontré que l'homme et la
femme ne sont ni ne doivent (!) être constitués de même, de caractère et de
tempérament, il s'ensuit qu'ils ne doivent pas avoir la même éducation. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 173

[146]
On reconnaît ici le fameux paralogisme « du chaudron » : à vouloir
trop prouver on s'expose au dilemme suivant ; ou bien elles ne pour-
ront étudier et pourquoi ne pas tenter l'expérience, ou bien elles le
peuvent, et alors la raison force à le leur permettre.
C'est ici la deuxième rétorsion qui consiste à dire : puisque les
femmes sont, à votre opinion, évidemment inférieures, on ne risque
rien à vouloir mettre en leur esprit quelque lumière. Plutôt que de spé-
culer, les défenseurs de la femme demanderont inlassablement qu'on
la mette dans la condition de faire ses preuves : « Et pourquoy leur
instruction ou nourriture aux affaires et Lettres, à l'égal des hommes,
ne remplirait elle ce vuide, qui paroist ordinairement entre les testes
des mesmes hommes et les leurs. » (Gournay).
La femme a le désir de s'instruire 134 et elle en a la capacité : « Il ne
leur manque rien pour les sciences du côté de la capacité : elles y sont
aussi propres que nous. » (Caffiaux. II. p.70). « Si l’usage estoit de
faire estudier les femmes, elles excelleroient toutes dans les
sciences. » (Soucy, p.108.)
Alors que la mauvaise éducation qu'on lui réserve n'a pas encore
porté fruit, la fillette est notoirement plus précoce que le garçon :
« Les tilles font paraître plus d'esprit que les garçons. » (Caffiaux.
II.p.85) ; « que l'on regarde seulement ce qui se passe dans les petits
divertissements des enfants » (Poullain, p.34) 135.
Le P. Caffiaux ne se contente pas de mettre en parallèle l'éducation
qu'on réserve d'ordinaire à chaque sexe, il remarque avec perspicacité
qu'une bonne part de l'éducation des filles consite à les persuader
qu'elles sont inférieures, à leur faire « intérioriser » le rôle subordonné
qu'on leur réserve. Il ne s'agit pas seulement d'une éducation mé-
diocre, mais absurde et dégradante. - ce que Mademoiselle de Gour-
nay. constatait déjà en 1622 : « le deffaut de bonne instruction, voire
l'affluence de la mauvaise 136 ».

134
« Cui natura inest scienliarum artiumque desiderium ei conveniunt scien-
tiœ & artes.  » (Schurman. argt. I.)
135
Il faut vraiment en arriver à Rousseau pour s'entendre dire que « toutes les
petites filles apprennent avec répugnance à lire et à écrire » (Émile).
136
« Il semble qu'on soit convenu de cette sorte d'éducation pour leur abaisser
le courage, pour obscurcir leur esprit & ne le remplir que de vanité & de sot-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 174

[147]
Bien sûr. on feint de redouter que l'éducation des filles ne se fasse
aux dépens de leur vertu, de cette réserve naturelle, de ce charme
chaste dont l'empire est si grand. Le P. Caffiaux prévoit que ce serait
tout le contraire : « La science bien loin de rendre les femmes plus
méprisantes & plus hautaines, les rendrait au contraire, plus humbles
et plus vertueuses. » (II, p.69).
Il y a derrière ces craintes, la peur que le mari ne paraisse pas à son
avantage devant une épouse capable d'interrompre son soliloque sei-
gneurial. Plutôt que d'avouer qu'il faudrait bien qu'il renonce à ce rôle,
on préfère le rassurer : « La lecture & la science rendent tousjours une
femme plus discrète : si son mary est sçavant, elle l'en estime davan-
tage, s'il ne l'est point, elle souffre plus généreusement ses défauts. »
(Du Bosc, p.440).
On avoue toutefois qu'une femme instruite aurait d'emblée l'avan-
tage sur les plus doctes, car elle possède, de nature, la civilité et la fi-
nesse. Le savant, s'il fuit le contact des dames, restera « grossier »
(Soucy, p.133).
Il va de soi qu'on ne peut exiger l'égalité dans l'éducation sans vou-
loir ouvrir aux femmes les fonctions publiques qui leur sont interdites.
Comme l'imagination sociale et historique fait quelque peu défaut à
certains de nos auteurs, cette conséquence ne leur apparaît pas dans
toute son étendue.
Certains au contraire mesurent la portée du changement et sa légiti-
mité. Si l'histoire sacrée et l'histoire profane rendent des témoignages
éclatants de la capacité des femmes à remplir les charges les plus
hautes lorsqu'elles leur échoient, il convient de se demander quel pré-
jugé empêche encore de les en croire dignes 137. « Si de temps immé-
morial, les hommes eussent été moins envieux & assez désinterressés
pour rendre justice à nos talens, en nous laissant le droit de partager
avec eux les emplois publics, ils auraient été aussi accoutumés à nous
les voir remplir, que nous le sommes à les leur voir déshonorer », dit
Puisieux. non sans force (p.85). « Il n'y a point de Science, point de
Charge publique dans l'État que les femmes ne soient naturellement
aussi propres à bien remplir que les hommes. » (d°,p.l04.)
tise. » (Poullain, 1673. p. 48.)
137
Cf. par exemple : Acqua, p. 18.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 175

Cette réflexion sur le droit à l'éducation et au savoir est la consé-


quence pratique qui découle le plus immédiatement de la thèse de la
[148] supériorité du sexe féminin. C'est aussi la revendication qui pa-
raît la plus simple à satisfaire, sans délai ni bouleversement social.
Ceci, même si certains auteurs perspicaces prévoient bien que les
conséquences ultimes d'un accès égal au savoir seraient de nature à
changer profondément les mœurs. Les considérations sur l'éducation
des filles, déjà présentes chez Christine de Pisan, prennent de plus en
plus de place au XVIIIe siècle. On constituerait une bibliothèque en-
tière des ouvrages qui y sont consacrés alors. (M me de Miremont,
Mme de Genlis)
L'idée de l'égalité devant l'éducation fait son chemin mais elle reste
une idée, qu'il coûte peu d'accepter en principe, avec d'insidieuses ré-
serves qu'on voit apparaître dès le milieu du siècle. On redoutera, sans
conclure, que certaines femmes instruites ne se montrent d'une « os-
tentation ridicule ». Cela conviendrait mal à leur « grâce naturelle 138 ».
En somme, les laisser devenir savantes c'est déjà beaucoup. Qu'elles
comprennent qu'il ne leur faut pas sortir de leur condition.
Parmi tant de vertus, elles auront aussi celle de s'en satisfaire ; elles
ne voudront pas joindre aux dons innés qui leur sont départis, les
vains savoirs que l'homme acquiert à grand-peine : leur mérite est si
éclatant, qu'elles renonceront sans peine à disputer aux hommes la
course aux offices, les vanités publiques, l'exercice de fonctions où
tant de risques de perdition les guettent.
Ce type de raisonnement louvoyant est de ceux que nous avons rat-
tachés au « sexisme scientifique » de Boudier de Villemert et de ses
successeurs.

12. Le Règne des femmes

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L'idée d'un état futur de la société où les femmes auraient le pou-


voir que les hommes usurpent, est primitivement un jeu de l'esprit dé-
rivé de la topique médiévale du monde à l'envers. On ne conçoit pas

138
Cf. Levallois, p. 34.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 176

d'abord un partage des prérogatives sociales et politiques, mais un ren-


versement pur et simple des hiérarchies et des droits, que la fable des
Amazones contribue à rendre imaginable 139 et qu'illustrera plus tard la
découverte des sociétés primitives matriarcales aux Amériques et en
Insulinde. Ce n'est que par la suite, avec Poullain de la Barre, que les
revendications [149] de droits égaux pour les deux sexes modifient
cette image : le rôle accru des femmes leur permet ici et maintenant
d'affirmer leur supériorité ; une société égalitaire sera pénétrée des va-
leurs féminines, non plus dominée par la loi du plus fort et par la vio-
lence, mais influencée par l'exemple des vertus naturelles aux
femmes.
C'est une autre façon de concevoir le Règne des Femmes, comme
utopie gynocratique d'une société réformée et pacifique, où la civilité
et l'amour seraient les forces dynamiques. Les exemples, malgré tout
rares et dispersés de l'heureuse influence des femmes lorsque, sorties
de leur condition subalterne, elles ont pu avoir l'initiative et montrer
leurs talents, convergent dans cette projection dans l'avenir d'une so-
ciété régie par le sexe supérieur. Une telle utopie a sa logique :
l'homme domine, mais le cours du monde est misérable ; l'âge d'or est
en avant, la puissance réformatrice existe déjà dans la société à l'état
latent ; si l'homme renonce à opprimer ses compagnes, il libérera des
forces bénéfiques. On se souvient de la forme grandiose que l'idée
d'un Règne des Femmes prenait dans le système de Guillaume Postel :
« Ceste doctrine féminine régnera & dominera toutes les opinions &
cœurs de tout le monde. » (p.87).
On sait cependant que la doctrine de Postel reste sans écho direct
dans les écrits de notre tradition. Agrippa déjà concluait son panégy-
rique en appelant de ses vœux une société où la pacifique influence de
la femme viendrait à bout de la barbarie et de la brutalité de cet âge de
fer. Saint-Gabriel, vers 1640, termine lui aussi son discours par un ta-
bleau du monde sous le Règne des Femmes : « Au lieu de la guerre et
de tous ces grands carnages [...] l'on jouyrait de la douceur d'une pro-
fonde paix dans tous les Estats du monde. » (p. 126).

139
« Ennemies déclarées du Gouvernement des hommes qu'elles méprisaient
& haïssaient souverainement, elles n'avaient en vue que les moiens de se te-
nir dans l'indépendance. » (Abbé Guyon. Amazones, p. 50.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 177

Dans son volumineux essai en trois volumes Défense du beau sexe


(1753), le P. Caffiaux est un des derniers à souhaiter très nettement
l'avènement d'une société où les femmes régiraient les mœurs et exer-
ceraient les charges suprêmes : « Je prétends que la femme a plus de
droits de gouverner les peuples que l'homme. » (I. p. 112).

[150]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 178

[151]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

ÉLÉMENTS
DE CONCLUSION
1. Pratique de l'argumentation
et genre littéraire

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Pour plus d'un auteur de notre tradition, le discours sur la supério-


rité des femmes relève plus du « tour de force » rhétorique sur un
thème paradoxal, du jeu disputatif visant à rendre probable à force
d'arguments choisis, une théorie apparemment malaisée à soutenir,
que de la pensée critique, de l'intuition d'une logique déviante à oppo-
ser aux idées reçues. Il est souvent difficile, sinon vain, de vouloir dé-
mêler ce qui tient du divertissement de cour, du brillant exercice, de
l'étalage érudit, de l'habileté doxographique et ce qui entraîne réelle-
ment la pensée dans un paysage neuf, lui fait apercevoir d'autres pers-
pectives. Du XVIe au XVIIIe siècle, l'érudit veut éblouir en faisant
preuve de galanterie, en reprenant à son compte un jeu d'arguments à
la fois déviants et usés. Les mêmes thèmes sont abordés avec plus ou
moins de bonheur par des esprits aussi « originaux » que Cornélius
Agrippa ou Guillaume Postel, aussi capables d'aperçus concrets et
d'analyses fines que Billon et par de pompeux rhéteurs ou de vains
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 179

tourneurs de phébus, par des pédants pleins d'adages latins. C'est bien
la notion d'« originalité », notion toute moderne, qui se trouve ici d'un
emploi abusif et confus. Il ne s'agit pas pour nos zélateurs de se mon-
trer originaux, mais de s'inscrire dans une continuité où on recherche-
ra avec soin tous les précédents, toutes les traces, au plus loin de la
culture antique et de la tradition chrétienne. Au XX e siècle, comme au
temps [152] d'Agrippa, la « contestation » est le fait de sous-groupes
avides de conformité interne, la « désobéissance idéologique »,
comme il apparaît dans Ubu enchaîné, veut des lois, des conventions,
des habitudes qui permettent de se démarquer. Ceci fait la singularité
de notre objet d'étude : quatre-vingts ouvrages, étalés sur plus de trois
siècles, où se retrouvent sans cesse un noyau argumentatif central, une
liste ne-varietur d'exemples prestigieux, aboutissant à une proposition
générale stable et cependant paradoxale, guère plus agréée par le cou-
rant idéologique dominant au XVIII e qu'au XVe siècle. Déviance d'au-
tant plus suspecte qu'elle reste étroitement dépendante des thèses re-
çues, comme nous le montrerons.
C'est pourquoi, avant d'aborder la ou les fonctions idéologiques
remplies par notre tradition, il convient de na pas en sauter l'aspect
purement rhétorique, au sens premier de ce mot. La défense de la su-
périorité des femmes permet une certaine pratique brillante de l'argu-
mentation. Elle constitue, en terme d'école, le paradoxe-type, pour la
démonstration duquel un talent particulier dans l'emploi des méca-
nismes topiques est requis. C'est même probablement ici qu'il faut
chercher la source historique de nos écrits : exercice donné par le
maître au XIIIe et XIVe siècles pour la disputatio de deux bacheliers
sententiaires se réclamant de partis contraires. Joute éloquente, jeu
d'apparat mais pris très au sérieux — comme le sont tous les jeux 140.
Le plan-type de la plupart des apologies, jusqu'au milieu du XVII' 1
siècle en tout cas, se conforme à la stratégie de la dispositio classique :
exorde, proposition, division, narration, confirmation (et réfutation),
péroraison. L'exorde comporte d'ordinaire deux parties : une dénéga-
tion, l'auteur se défendant de se laisser inspirer par une vaine galante-
rie, niant que son ouvrage soit « le divertissement d'un esprit oysif ».
« qu'une passion d'amour parcoure [les] sens de l'auteur », ou que son

140
Voir Palémon Glorieux, La littérature quodlibétaire, Kain, 1925-1935 : 2
vol. in-8° et Thomas le Bailly. Quodlibets, Vrin, 1960 ; in-4°, 491 p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 180

esprit « ait été prévenu et préoccupé de quelque imaginaire beauté »


(Bermen, p.17).
Une déclaration de bonne foi, invitant l'auditoire à se laisser
convaincre par la force de la dialectique et à se débarrasser des préju-
gés se rencontre nécessairement : « Je produiray seulement des raisons
naturelles & des arguments preignants qui mèneront les aveugles
comme une Ariadne avec son fil. » (Bermen, p.122).
[153]
La narration comporte la suite des arguments rassemblés par caté-
gories selon un ordre quasi immuable : preuves par la Création et exé-
gèse réfutative de la tentation d'Ève : preuves par la nature et argu-
ments « médico-physiologiques » ; preuves historiques rangées par
catégories : supériorité des femmes en vertus, en chasteté et tempé-
rance, en arts et en lettres, en force d'âme et en courage... S'y inter-
calent fréquemment un éloge du mariage, un développement sur son
excellence et sa conformité aux vœux de la Providence. Tout ceci peut
être doublé d'un versant négatif : démonstration, en pendant, des vices
et insuffisances de l'homme.
Ce plan fait entrer le discours sur la supériorité des femmes dans le
troisième genre rhétorique, le genre épidictique dont il est un des
exemples les plus caractéristiques.
Depuis Aristote, on distingue trois genres ou classes du discours
persuasif : le genre judiciaire qui consiste à accuser ou défendre ; le
genre délibératif, qui revient à conseiller ou dissuader l'auditoire ; et le
genre épidictique qui correspond à ce qu'on nomme « éloquence d'ap-
parat » et où il convient de louer ou de blâmer 141. Le genre épidictique
ou démonstratif englobe des discours comme le panégyrique, l'oraison
funèbre, la harangue mercuriale... Cette division est, dans la pratique
difficile à tenir : on a vu que le panégyrique des dames tient aussi de
l'apologie (genre judiciaire).
Le panégyrique a ici un autre trait, son caractère paradoxal, c'est-à-
dire très précisément « contraire à l'opinion commune ». Le travail du
rhéteur est d'autant plus épineux qu'il ne s'agit pas de rendre probable
une thèse douteuse ou indifférente, mais bien une proposition à pre-

141
Voir Crevier, Rhétorique, I. p. 16 ; Bary. Rhét., I. p. 176 ; un quatrième
genre, « pro-treptique » (éloquence de la Chaire), est parfois ajouté.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 181

mière vue intraitable, diamétralement opposée à l'opinion moyenne,


l'envers de ce qui « irait de soi ». Plus malaisée la démonstration, plus
brillante la victoire dialectique finale. La plupart des écrits analysés
s'ouvrent sur l'affirmation même de ce paradoxe et du risque intellec-
tuel qu'il comporte. Ce qui peut n'être qu'une forme habile de cap-ta-
tio benevolentiae : « Je ne doute point que ce que j'avance ici ne pa-
raisse un paradoxe à quelques personnes. » (Gardeton, II). « N'est-ce
pas l'opinion tenue des Philosophes que la femme n'est qu'un défaut
de l'homme ? » (Angenoust. p.3.) « Du moins ne scauroit-on montrer
d'histoire ny ancienne ny moderne qui nous aprenne qu'il y ait eu des
peupies [154] entier où l'on ait tenu formellement le contraire 142. »
(Poullain, 1675, p.110.)
C'est, dit Caffiaux, le « préjugé le plus ancien, le plus étendu, le
plus universel » : « il semble que tout le genre humain ait fait un pacte
pour mal parler du beau sexe » (I & V). La thèse de la supériorité du
sexe masculin excède les milieux et les classes, « ce sentiment est re-
çu universellement [...] depuis le Prince jusqu'au paysan » (Puisieux,
p.36).
Il ne s'agit pas de recourir au sophisme pour défendre le paradoxe
mais d'exploiter de façon à la fois rigoureuse et neuve les mécanismes
des topiques aristotéliciennes, régissant le recours aux lieux communs
du persuasible en leur dérivation en forme d'enthvmèmes.
Un mot d'explication, fort rapide, s'impose ici. Toute proposition
opinable 143 se détermine comme telle en ceci qu'on peut la traiter
comme une spécification sémantique donnée d'une proposition plus
générale et plus abstraite constituant une « vérité » mi-logique, mi-
idéologique, irréductible en elle-même, qu'Aristote appelle topos 144.
« Les lieux communs sont des propositions exprimant des vérités pro-
bables sous la forme la plus universelle. Ces propositions sont les élé-
ments de tout raisonnement dialectique 145. »
Soit la proposition suivante : « On peut comprendre que les hu-
mains hésitent souvent à croire la vérité, eux qui si facilement donnent
142
« Peut-on entreprendre sérieusement de lui donner [à la femme] un avan-
tage qu'elles ne demandent pas & qu'elles ne se sont jamais attribué ? » (d°,
p. 115.)
143
On dit bien « opinable » et non vraie ou nécessaire.
144
« Lieu », en latin, « sedes argumentorum ».
145
Voir : Thionville, p. 32 (références complètes à la note 14).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 182

leur assentiment au mensonge. » Cette thèse, dans sa généralité n'est


ni vraie ni fausse ; le dialectique est étranger à l'aléthique. Elle est pro-
bable, admissible ; elle peut être une étape dans une argumentation, on
peut en tirer d'autres pour conduire une stratégie démonstrative. Ce
qui la rend probable est la structure abstraite, l'harmonie de relation
qui s'y trouve présupposée. Cette relation peut s'exprimer en ces
termes : « Si un accident est à un phénomène, le contraire de cet acci-
dent est probablement au contraire de ce phénomène. » Tel est le to-
pos, le « lieu » commun d'où dérive l’enthymène.
Cette relation entre surface et profondeur du discours est très diffé-
rente de l'enchaînement syllogistique qui s'établit de façon nécessaire
dans une axiomatique donnée.
[155]
Les lieux communs axiologiques (et non plus ontologiques) pro-
duisent des jugements de valeur par comparaison des phénomènes en
présence. On citera les lieux de l'ordre, de l'unique, de l'économie, de
l'essence, du modèle. Tout le raisonnement de nos apologistes sur la
Genèse, est une application rigoureuse des ressources topiques d'Aris-
tote : la femme est montrée supérieure à l'homme par l’ordre de la
création, le lieu, la matière, la finalité. Les innombrables exemples
historiques auxquels on a recours, traçant des parallèles entre héros et
héroïnes, chasteté des hommes et des femmes, force d'âme, constance,
etc.. conduisent tous à une valorisation en double hiérarchie selon le
lieu « si le meilleur d'un groupe est absolument supérieur au meilleur
de l'autre, il est probable que le premier groupe est supérieur à
l'autre ». La distinction du Stagirite entre essence et accident et les
lieux qui en dérivent, justifient la stratégie qui consiste dès le début à
attribuer à la nature féminine des mérites irréductibles, et aux défauts
de l'éducation les faiblesses accidentelles que l'on voit aux femmes.
« Deux contraires ne peuvent exister dans le même sujet » : ce pos-
tulat logique, appliqué ici à la psychologie explique la raideur du rai-
sonnement : si on a démontré la constance des femmes, on a du même
coup réfuté l'accusation de légèreté : si la femme possède la force
d'âme, elle ne peut faire preuve de faiblesse...
Toute la dialectique aristotélicienne et ses catégories guident la dé-
marche, en ceci, du reste, qu'elles constituent le fonds du mode de
pensée classique.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 183

Bien souvent, au milieu des arguments qui dans un ordre rituel se


succèdent dans l'apologie, le lecteur moderne est frappé par une pro-
position dont la bizarrerie atteste le caractère archaïque. Les sources
antiques où glanent les premiers doxographes amènent, dans le
désordre des citations, de singulières croyances. Cornélius Agrippa
démontre que la femme est naturellement douée pour l'éloquence par
l'affirmation péremptoire que nul ne vit jamais de femme muette, la
mutité congénitale étant réservée aux seuls hommes. Brinon, qui en
croit Pline (L. VII.ch.7), admire la faveur particulière que Dieu a faite
aux femmes de ne pouvoir être gauchères 146. (f°12).
[156]
Gilbert voit la supériorité des femmes prouvée par leur penchant à
l'oisiveté : « Elle est dans le monde comme une image de la Divinité
qui demeure dans un éternel repos, tandis qu'elle fait mouvoir les
Cieux et les Elémens. » (p. 11).
Les arguments tirés des « étymologies » les plus fantaisistes se
pressent sous la plume de Jean Bouchet : ils sont conformes à l'esprit
du temps, outre que la preuve par l'étymologie est reçue d'Aristote qui
la classe parmi les « lieux des dérivés ». Les arguments tirés du genre
des mots, en français ou dans les langues anciennes, présupposent un
sentiment mystique des rapports nécessaires entre signifiant et signi-
fié. De ce qu'en latin « toutes les sciences et les vertus ont des noms
féminins », Agrippa tire une preuve de la précellence du beau sexe
(éd. 1713, p.83). Alexandre de Pontaymeri remarque que ce ne peut
être sans raison que les plus belles sciences, les plus rares vertus
« doyvent estre représentées en forme et figure de femme » (p. 1) 147.
« Adam, premier nom de l'Homme (que les Hébreux disent Adom)
ne signifie autre chose que Terre, d'où a été derryvé ce nom général.
Homme. Mais Hève, premier nom de la Femme & qu'iceux Hébreux
appellent Cavah, signifie, selon les interprétations hébraïques. Vie. »
(Billon, 1553, p.l28,r°.)

146
Autre argument singulier chez Billon, f° 168, v° : « Encore peut-on juger la
préexcellence du noble sexe fémenin par la qualité des grenoilles et des cra-
paux, qui naturellement sont enflez de venin, les grenoilles au contraire... »
147
Ou trouvera encore divers arguments tirés du genre des mots au début du
XVIIIe siècle, voir Triomphe du Beau Sexe, (1719) début.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 184

On dit le Rhône, le Danube, le Tibre mais la Loire, la Seine, la


Saône, constate Billon (f°169,r°) or les premiers de ces fleuves sont
sales et pollués, les seconds sont purs et limpides, ainsi se démontre la
pureté essentielle de la féminité, une féminité à l'échelle de l'univers,
dont le langage conserve les preuves.
Le Phénix est toujours femelle et « le Bazilic » toujours mâle, ces
deux êtres fantastiques, l'un symbole de reviviscence, l'autre de malé-
diction et de mort sont pour Billon l'allégorie de la nature opposée des
deux sexes (p.166,r°).
L'argumentation du panégyrique des femmes se double presque né-
cessairement d'une réfutation point par point des raisonnements miso-
gynes traditionnels. Le plus souvent, on renversera l'adversaire par la
métastase (qui le montre aussi coupable que celui qu'il accuse) ou la
rétorsion (qui retourne contre lui ses propres arguments). Le chevalier
de l'Escale, s'adressant aux contempteurs du beau sexe, s'écrie :
« Vous faites gloire comme de choses fort honnorables de ce que vous
reprenez [157] si aigrement en elles » (p.8). La concession rhétorique
est une figure par laquelle on affaiblit apparemment sa position pour,
en fait, surenchérir dans le sens de la thèse défendue. En gros, le mou-
vement consistera à concéder que les femmes montrent quelques dé-
fauts, mais à ajouter que toutes leurs faiblesses sont dues au despo-
tisme et à l'importunité des hommes : « De mesme est-ce une grande
sottise à l'homme de blasmer la femme pour un péché qu'il lui fait
commettre luy mesme avec tant d'importunité (L'Escale, p.32). « Il
nous sied bien de reprocher des complaisances que nos importunités
arrachent. » (Acqua, p.17.)
L'éducation médiocre et nuisible qu'on réserve aux filles est cause
des quelques reproches qu'on peut adresser à certaines d'entre elles.
Après avoir réduit les femmes en sujétion, les hommes se permettent
encore de reprocher certaine indolence, certaine pusillanimité, cer-
taine légèreté qui sont la conséquence accidentelle de la condition ab-
surde qu'on leur réserve : « La femelle estant yssue du ventre maternel
[est] de là en avant tenue en la maison quasi en ocieuse vie, ny plus ny
moins que s'elle feust incapable de plus haute éducation : ne lui estant
permis de s'exerciter, en plus part, qu'au fil & à l'aiguille. » (Billon.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 185

p.8) 148. « La manière dont les femmes sont élevées les autorise à tout
craindre. » (Puisieux, p. 121)
Par de fréquentes attaques ad hominem, l'apologiste s'efforcera en-
fin de disqualifier les misogynes en leur prêtant de douteux motifs :
Aristote, Pétrone, Boccace étaient des « gitonistes de profession »,
Boileau devait à l'accident qui le priva dès l'enfance de ses attributs
virils une hostilité par laquelle il se vengeait du peu de danger que sa
fréquentation présentait pour le beau sexe. La plupart des gynophobes,
explique Larivière, sont des êtres « sauvages et de manières gros-
sières » (p.19) ; si leur hostilité aux femmes n'a pas de causes physio-
logiques, elle s'explique par une basse vengeance, ils se sont laissés
asservir par des femmes et le ressentiment les fait parler 149 ; ils n'en
disent du mal que parce que leur paillardise n'a pu vaincre leur pu-
deur 150. Enfin, quelque cause qu'on soupçonne à leur mépris des
femmes, ils seront montrés dissimulant derrière d'hypocrites attaques,
d'inavouables et honteux motifs.
« Il est nécessaire, écrit François de Billon à l'adresse des blason-
neurs du sexe féminin, que vous soyez tous ou grandement incivilz
[158] (pour n'avoir hanté dames honnestes. qui les méprisez tant en
leur sexe) ou ignorons (pour les spécialles grâces qu'elles ont des
Cieux, de-quov cete Forteresse vous fera sçavans) ou bien que soyez
superbes et envieux qui voudriez comme le premier Ange trébuchant
vous voir, avec quelque raison, supérieurs des femmes et les tenir en
estime de servantes créatures. » (f°68,r°.)
Une autre tradition rhétorique médiévale reste très vivace dans nos
écrits : celle des exempta, listes raisonnées d'anecdotes historiques
servant d'illustrations à une même sentence morale. Le discours sur la
supériorité des femmes est une remarquable occasion de recueillir des
dizaines de récits hétéroclites : de Thomiris « Royne des Scythes » à
Jeanne de Vaucouleurs, on passe en revue d'innombrables Romaines
vertueuses, saintes chrétiennes, princesses modernes qui contribuent
par leur exemple à appuyer la thèse centrale 151. Hérodote, Thucydide
et Salluste vont servir beaucoup mais c'est surtout Plutarque qui sera
148
Voir Poullain, p. 214 ; aussi Acqua, p. 18 et 31.
149
Boussanelle et Caffiaux, III, p. 11.
150
Dinouart, p. 71.
151
Presque toujours, à Plutarque et aux Écritures, on ajoute un peu d'histoire
de France.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 186

mis à contribution, lui qui a produit un célèbre ouvrage consacré à


l'illustration des vertus féminines 152.
Déborah, Judith, la Mère des Macchabées, Egérie, Livie, Camille,
Penthésilée, Sémiramis, Zénobie, Sapho, la Pucelle d'Orléans, Chris-
tine de Suède mais aussi d'innombrables dames ou demoiselles
constantes, chastes, intrépides, économes, savantes, héroïques, pieuses
remplissent des volumes de leurs mérites. On en vient d'ordinaire aux
contemporaines, ainsi au XVIIIe siècle, citera-t-on Madame Dacier,
Madame Deshoulières, Madame Dupin. Il n'est guère que les Agnès
Sorel et les Gabrielle d'Estrées dont les noms sont tus.
Il est plaisant de constater que le procédé n'a pas changé pour Ash-
ley Montagu, au XXe siècle. C'est toujours la même liste, avec en sup-
plément Berthe Morisot, Marie Curie et Georgia O'Keeffe. Sémiramis
et Didon sont remplacées par Indira Gandhi et Sirimavo Bandara-
naike...
Cette tradition éclectique explique la parfaite coexistence dans le
même statut persuasif de preuves empruntées à la Bible, à Hérodote, à
Plutarque, à Pline, à Saint Augustin, à l'hagiographie, à la légende,
aux [159] récits de voyage. Un même éclectisme préside au choix des
autorités et des références ultimes. La supérieure beauté des femmes
s'appuie à la fois sur Platon et sur la Genèse (la femme est un reflet
plus accompli de l'image divine). À première vue, une foi identique
semble accueillir la fable de Tirésias aveuglé par Junon et celle d'Eve
tentée par le Serpent.

Cette passion doxographique d'accumuler les « preuves par l'his-


toire », où l'effet de masse induit les conclusions relève sans doute
d'une démarche archaïque de l'esprit. Elle n'est pas moins en faveur,
elle aussi, tout au long de notre tradition 153.
152
Voir Plutarque : « Plutarci philosophi, de Virtutibus mulierum traduction
per Alamanum Ranutinum, civem florentinum ; Brixiae. 1485, 4° (B. Mus.
IA 31081). On notera les très nombreuses traditions des Femmes illustres de
Plutarque. On a cité ici celle de l'abbé Lambert (Paris, 1763).
153
ARISTOTE, Logique d'Aristote, Paris, Ladrange, 1839-1844 ; 4 vol. in-8°. -
ARISTOTE, Topiques, Paris, Belles Lettres, 1967 ; 2 vol. in-16. — BARY, Re-
né, la Rhétorique française, Paris, 1665, 2 vol in-8°. — BRETTEVILLE, abbé
de, l'Éloquence de la chaire et du barreau, Paris, Thierri. 1689, 2 vol in-12.
— GIBERT, Balthazar, la Rhétorique ou les Règles de l'éloquence, Paris, CL.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 187

2. Ensemble idéologique

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Le panégyrique des femmes apparaît comme un genre discursif


que nous avons cherché à synthétiser en sélectionnant des invariants,
articulés en fonction d'une finalité constante. La notion de genre dis-
cursif ne s'identifie pas cependant à l'image d'une « forme » sémanti-
quement vide que, d'une œuvre à l'autre, des contenus idéologiques
variés viendraient remplir. Tout genre se ramène à une série de
contraintes idéologiques, plus ou moins malléables, et remplit une
fonction sociale ou plus précisément plusieurs fonctions en tension
dialectique, les unes de subversion, les autres d'intégration, les unes
utopiques, les autres « idéologiques » — en prenant ces termes selon
le couplage opéré par Karl Mannheim mais en ne les traitant pas,
comme il le fait, comme exclusifs l'un de l'autre. 154 Les genres sont
des entités institutionnelles qui figent la production textuelle en lui as-
surant un certain degré de légitimité. Leur autonomie est une appa-
rence : si paradoxaux ou critiques [160] qu'ils semblent, les présuppo-
sés sous-jacents les maintiennent toujours partiellement dans la mou-
vance de l'intertexte social.
La place éminente de notre tradition dans la pratique rhétorique
étant établie, il serait faux cependant de vouloir réduire l'ensemble du
courant discursif à la prouesse oratoire.

Thiboust, 1730, in-12, 654 p. — NEOBARIUS, Conra-dus. De inveniendi ar-


gument ! disciplina, libellus in studiosae iuventutis gratiam nunc primum
eonscriptus, Luteciae Par., C. Wecheli, 1536, un vol. in-16. — THIONVILLE,
Eugène, De la théorie des lieux communs dans les «  Topiques » d'Aristote,
Osnabriick, Otto Zeller, 1965 (édit. orig. 1855). — VERNULAEUS, Topica
seu de Inventione et affectibus, libri duo qui omnem probandi, amplificandi
& mouendi rationem continent Eloquentia candidatis necessariam, in «  De
Ane dicenci », Lovanii. Ph. Dormahi Typ., 1627.
154
Cette thèse, évidente dans le cas du panégyrique des femmes, me semble
tout aussi pertinente pour traiter du roman, du voyage-extraordinaire, du
pamphlet, de la science-fiction..., pour autant que ces ensembles soient dé-
terminés non comme des idéal-types transhistoriques mais dans des limites
historiques précises.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 188

Ni la persistance d'une tradition aussi cohérente et « contesta-


taire ». ni les intensités affectives qui traversent ces écrits ne se trou-
veraient expliquées.
Le discours sur la supériorité des femmes n'émane pas de soli-
taires, il est à chaque époque appuyé par une fraction de la classe do-
minante ; c'est pendant des siècles une des seules formes « tolé-
rables » de déviance impliquant malgré tout une mise en cause globale
de l'ordre social. Lieu équivoque d'une contestation plus ou moins ra-
dicale des conventions consubstantielles à la puissance institution-
nelle, ce discours préfigure dès le XV e siècle la critique philosophique
des sociétés monovalentes, conservatrices et androcentriques. La dé-
monstration de la supériorité du sexe féminin constitue peut-être le
motif idéologique le plus souvent repris et traité, toujours en position
déclarée de paradoxe, du XVe au début du XIXe siècle.
Nous avons passé en revue quatre-vingts ouvrages. C'est l'occasion
de saisir les conditions de migration et de mutation d'une forme dis-
cursive développée sur plusieurs siècles. Telle quelle, elle ne laisse
pas de surprendre à divers égards.
La stabilité de la configuration idéologique que nous avons sous
les yeux est assurément frappante. Ce n'est pas qu'en trois siècles, des
coupures et une évolution n'apparaissent dans la diachronie. Poullain
de la Barre par exemple (1673) procède à un dépassement critique de
l'ensemble argumentatif légué par Rodrigue de la Chambre et Agrip-
pa, deux siècles plus tôt. Mais la continuité du système discursif n'en
est pas cependant altérée en son entier. Des « fossiles » idéologiques,
des chimères surannées subsistent, immuables, intransformées, et s'ar-
ticulent tant bien que mal aux présupposés épistémiques nouveaux.
Les rêveries de la médecine alchimique se transposent, à peine
aménagées, dans le discours rationaliste-naturaliste des Dinouart, Pui-
sieux et autres doxographes du XVIIIe siècle. Il y a une résistance au
changement qui peut être sentie comme lieu d'un désir, rebelle à la
progression des mœurs et des représentations sociales. Si des déplace-
ments et des retours critiques à l'impensé du système apparaissent çà
et là, une série d'invariants subsistent jusqu'à la fin de l'Ancien Ré-
gime.
[161]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 189

Homogène par la liaison qu'il maintient entre ses maximes essen-


tielles, le système discursif fixé au XVe siècle est le point d'intercep-
tion de fragments de discours eux-mêmes hétérogènes ; exégèse bi-
blique, doxographie patristique, recueils d'exempla historico-moraux,
fragments tirés du savoir médical, physiologique, spéculations occul-
tistes, le tout combiné selon la stratégie léguée par les Topiques
d'Aristote ; tous ces emprunts sont articulés en vue de signifier une su-
périorité naturelle des femmes que, dans leurs contextes propres, ils ne
visent ordinairement pas à énoncer.
*
* *
Parler en faveur des femmes, c'est braver le préjugé le mieux ancré
dans tous les esprits, impliqué dans les mœurs, les institutions, le lan-
gage, véritable pierre d'angle de l'édifice économique, juridique et so-
cial. Pendant trois siècles, le mépris des femmes et la condition infé-
rieure qui est leur lot apparaît à un groupe d'esprits comme à la fois in-
défendables, scandaleux et pourtant consubstantiels à la société qui est
la leur, sous tous ses aspects, et aux maximes essentielles qui en gou-
vernent le fonctionnement.
Peut-on défendre une thèse alors que les intéressées elles-mêmes
loin de revendiquer cet avantage, tendent à se soumettre au jugement
défavorable qu'on a formé contre elles ? « Les femmes sont elles
mêmes si fortement convaincues de leur inégalité & de leur incapaci-
té, qu'elles se font une vertu non seulement de suporter la dépendance
où elles sont, mais encore de croire qu'elle est fondée sur la différence
que la nature a mise entr'elles & les hommes. » (Poullain, 1675, p.
118).
Nos apologistes sont bien des « champions du beau sexe », ceux
qui dans un combat d'honneur prennent en charge la cause de quel-
qu'un qui ne peut se défendre lui-même. Dans leurs florilèges, la
femme reste « l'absente de tout bouquet ». Les Champions des dames
parlent au nom d'un sexe qui n'a pas la parole, dont le babil, le caquet
n'est perçu par les antiféministes que comme un bruit vain et de peu
de conséquence : « J'ay éprouvé cent fois qu'en raportant certains rai-
sonnements comme venans d'une femme, on n'y faisait nulle atten-
tion. » (d°. p. 110).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 190

C'est donc parce qu'ils sont hommes qu'ils ont — dans une certaine
mesure — licence de parler au nom de la femme, condamnée au mu-
tisme. Mais que vaut une thèse qu'on n'a pas reçu mandat d'assumer,
une parole qui ne se fait entendre qu'au bénéfice de l'usurpation qu'on
[162] condamne, qui ne s'adresse enfin qu'à un auditoire si imbu de
l'erreur qu'on attaque qu'il faudrait en bon droit le récuser 155 ?
Les apologies paradoxales trahissent une volonté de contrecarrer le
préjugé dominant, mais ne parviennent guère à échapper à la force
d'entropie du système : il s'agira longtemps de retourner contre l'opi-
nion établie ses propres textes, ses autorités, ses arguments, son axio-
logie, de subtiliser dans l'exégèse, d'induire une thèse déviante
d'exemples historiques qui sont le bien commun des défenseurs de la
femme et de leurs adversaires. La rétorsion est le seul mode de cri-
tique concevable dans une société à monovalence idéologique. Sur les
marges de cette idéologie, la tradition alchimique, l'enseignement de
la kabbale, pour Agrippa et Postel, le renouveau de l'exégèse biblique
rationaliste et le naturalisme libertin, pour Poullain de la Barre, leur
permettent de transgresser en certains points l'ensemble massif des
présupposés dominants. Ainsi se constitue une tradition soutenue suc-
cessivement par diverses fractions du monde aulique, de la noblesse
de cour, puis de la bourgeoisie éclairée. Un jeu de thèses et de thèmes
se maintient, dans une évolution lente et discontinue de l'ensemble
discursif. Les limites de l'activité critique qui s'y implique sont vite at-
teintes : l'ambiguïté de la thèse qui oppose aux misogynes l'idée fon-
damentalement obscure d'une « supériorité » des femmes, le caractère
purement spéculatif et abstrait de la démarche, la dépendance
constante vis-à-vis du système de valeurs même où l'antiféminisme
dominant trouve ses justifications, le caractère ludique de l'éloquence
d'apparat où s'englue le discours, tout concourt à maintenir dans
l'équivoque une parole à la fois transgressée et mystificatrice, où l'uto-
pie et le désir ne se donnent jamais pour ce qu'ils sont.
Certains esprits plus intrépides, comme Poullain de la Barre ou
l'anonyme de l’Apothéose du Sexe, parviendront à aller au-delà de
cette rhétorique cérémonieuse, galante et érudite, à subvenir les postu-
lats sous-jacents, à ouvrir sur d'autres questions où la face des choses
155
« Du moment que je prétends que l'opinion commune fut un préjugé & une
erreur, tous ceux qui y sont engagés deviennent mes parties et par consé-
quent récusables. » (Poullain, 1675, p. 99.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 191

change enfin d'aspect. Tributaires d'une tradition déjà marginale mais


intégrée et tolérable, ils tendront à introduire un contre-discours véri-
tablement corrosif.
*
* *
[163]
On a pu se demander pourquoi les défenseurs des femmes, plutôt
que de chercher à prouver l'égalité des deux sexes, ont généralement
préféré soutenir le paradoxe extrême et risqué d'une supériorité des
femmes, en prenant le contrepied absolu de l'opinion triviale. On a pu
tendre à ne voir dans ce « choix » qu'une galanterie hyperbolique et
frivole, une occasion de montrer de l'esprit qui ne requerrait guère la
sincérité ou l'intime conviction : « Perhaps we are to take all such
gentlemen as having their tongues in their cheeks », suggère Ruth
Kelso, après avoir examiné quelques écrits de la Querelle des femmes.
Nous pensons qu'un motif plus fondamental explique cette attitude. La
pensée classique semble incapable de concevoir différenciation sans
hiérarchie ; l'idée moderne d'« égalité dans la différence » (peut-être
bien obscure aussi) lui paraîtra longtemps informulable.
Il faut ramener tous les écarts à des continuités mesurables dans un
système scalaire : l'hétérogène, l'incompossible, le centrifuge, le dé-
passement-mutation, semblent s'identifier à l'inintelligible pur et
simple. Le principe d'identité et celui du tiers-exclu régissent tout rai-
sonnement.
Dans un discours privé de dimension historique, la force de dépas-
sement et de subversion que recèle la libération de potentiels humains
opprimés ne trouve à s'exprimer, de façon statique que par le renver-
sement des hiérarchies établies.
La thèse de la supériorité des femmes est alors une variante impor-
tante de l'antique topos du mundus inversus, le monde à l'envers.
*
* *
Pour être fondé à proclamer un sexe supérieur à l'autre, il faut pou-
voir disposer de critères discriminatoires préalables. De tels critères
seront cherchés dans la conformité à une « nature » postulée. La
condition défavorable dans laquelle vivent les femmes les empêche de
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 192

faire reconnaître leurs mérites. Il faut alors éliminer du jugement ce


qui relève de l'éducation et des mœurs, pour ne retenir que les « avan-
tages naturels ».
Dès les premiers textes, le mélange de sources chrétiennes et
d'exemples tirés des païens prouve par son éclectisme même, que le
jugement sur l'humanité passe par l'alternative nature-culture et non
vraiment par des critères chrétiens de faute et de rédemption. L'erreur
vient de ce que les esprits prévenus négligent cette distinction et
« confondent [164] ordinairement la nature avec la coutume » (Poul-
lain. 1673, p.84, — éd. 1690). « On rejette ainsi sur la nature ce qui ne
vient que de l'Éducation » (d°, p.246.) Il est pourtant aisé de repérer
les déterminations naturelles, puisqu'il suffit d'exiger d'elles qu'elles se
retrouvent « partout, dans tous les âges, dans tous les états & dans
toutes les rencontres de la vie » (Poullain. 1675, p.l06).
Cette distinction permettra d'opérer systématiquement le départ
entre les vertus supérieures des femmes, éléments stables et
conformes à leur essence, et les défauts qu'on leur voit parfois, phéno-
mènes accidentels dus à l'oppression même dont elles sont les vic-
times : « Ces femmes que nous voyons être sans forces & sans vertus,
la nature les avoit formées propres aux actions de forces et de vertus,
mais l'Éducation a tout anéanti. » (Coicy, I.p.9).
C'est le premier présupposé qui régit la production du discours ;
une pensée essentialiste tend à constituer un ensemble originel, cos-
mogonique, de déterminations univoques qui permette de négliger la
variété des institutions et des mœurs et la dérive de l'histoire. Cette ré-
gression aux origines prétendues, comme moyen de faire apparaître la
vérité actuelle domine de plus en plus la démonstration à mesure
qu'on va vers le XVIIIe siècle.
Il ne fait pas de doute que l'assomption d'un état naturel confondu
avec l'idée d'une vérité régulatrice permanente permet en fait d'hypo-
stasier les préjugés sociaux en les ancrant dans une transcendante évi-
dence. Le « sexisme philosophique » n'aura pas d'autre démarche.
L'homme est un être qui a pu dépasser les déterminations naturelles,
qui s'est servi d'elles pour les transformer à son avantage, qui a fait de
l'anti-physis sa nouvelle essence ; la femme reste tout instinct, toute
dépendance aux rythmes biologiques et aux fins obscures de l'espèce.
C'est un être des Origines ; pour l'homme, échapper à ces détermina-
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 193

tions, c'est s'accomplir et affirmer sa libre souveraineté ; pour la


femme, ce serait se renier : elle doit au contraire chercher à préserver
en elle la mystérieuse dépendance qui l'enchaîne à ses fonctions origi-
nelles.
La fidélité à la nature s'identifie aux rôles sexuels et génésiques,
dans l'accomplissement desquels elle se conforme à la seule vérité ins-
crite dans sa physiologie et dans sa conformation spirituelle. Chez la
femme, « l'instinct de la maternité domine tout le reste » (Michelet, la
Femme, p.49). Si elle s'y soustrait, menace Debay, elle s'expose à
« d'affreuses maladies » (p.9). Le goût pour la parure leur est. égale-
ment « naturel », « le désir de plaire » est, dit Boudier de Villemert,
« naturel [165] au Sexe » (1788, p.22). Mais, la réserve, la modestie,
la chasteté, la pudeur leur sont également des qualités « naturelles »
(Du Bosc, 1632, p. 120). Si l'entendement lui fait défaut, l'instinct et la
finesse lui sont attribués de naissance. Chez l'homme, les vertus se
conquièrent ; chez la femme, elles sont congénitales ; on lui demande
seulement de veiller à écouter cet instinct qui la soumet à ses décrets.
On l'invite avec sollicitude à rester « ce » qu'elle est : tellement tou-
chante. « Que les femmes laissent aux hommes leurs travers » sug-
gère-t-on modestement ; « il y a toujours tout à perdre à contrarier la
nature 156 ».
Ce n'est que chez Mary Wollstonecraft que la critique de ces préju-
gés, transfigurés en vertus naturelles, se fait systématique : la femme
mérite-t-elle d'être dite plus constante que l'homme ? « Une éducation
prise à contre-sens, une âme étroite et sans culture et beaucoup de pré-
jugés sexuels tendent à rendre les femmes plus constantes. » (p.56.)
« Je nie l'existence des vertus sexuelles, sans en excepter la modes-
tie » (p. 109) qui n'est que « fausse pudeur » (p.317). Ce sont les
hommes qui « font de ces qualités les vertus cardinales du sexe »
(p.65). Elle conclut et la remarque est à retenir : « S'il n'existe de crité-

156
Boudier de Villemert. 1788, ch. XV. La crainte qui obsède Boudier de Vil-
lemert. Ségur et d'autres, c'est de voir la confusion des sexes s'installer, les
différences se dissoudre, les rôles s'échanger, « c'est ce dont nous sommes
menacés dans ce siècle où tout semble conspirer à intervertir l'ordre », pro-
phétise-t-il (nous soulignons, Boudier. 1788, ch. XIV). « La mollesse ayant
tout féminisé, le contraste mis par la nature entre les deux sexes a disparu. »
(D°. p. 39.)
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 194

rium, de type moral que pour les hommes, la Femme n'est qu'un être
équivoque 157. » (p.66).
Chez les défenseurs de la supériorité des dames, l'excellence natu-
relle suppose au contraire une comparaison constante avec l'autre
sexe, et donc des critères communs aux deux : supérieure à l'homme,
la femme n'est pas absolument différente : ses vertus sont plus hautes,
son rôle dans le maintien de l'espèce éminent, son ardeur créatrice et
civilisatrice plus intense. Le mode de raisonnement est le même, le
souci d'accentuer les différences pour mieux perpétuer l'asservisse-
ment est moins évident.
La distinction entre les sexes, traitée en termes de complémentari-
té, n'existe qu'en fonction des nécessités de la génération et ne s'étend
pas au-delà. Le contraste entre l'homme et la femme est affaire de plus
ou moins grande excellence à partir de critères constants : telle est la
démarche générale de tous les ouvrages que nous avons analysés.
Boudier de Villemert accentue la différence pour figer l'écart et natu-
raliser [166] les rôles sociaux ; nos apologistes ne reconnaissent qu'un
mode unique à l'excellence humaine, ils prétendent y montrer la pré-
éminence des femmes. Elles sont plus dignes selon la commune na-
ture et vivent en plus haute conformité avec les fins ultimes qu'on lui
assigne.
S'il est vrai, comme nous l'avons assez indiqué, que les prétendues
vertus naturelles qu'on leur prête sont imprégnées par l'axiologie so-
ciale dominante, il demeure que les écrivains du corpus les requièrent
également des deux sexes et fondent sur elles, à la défaveur du sys-
tème phallocentrique, une prééminence des femmes.
L'identité spirituelle, l'appartenance à une même essence de
l'homme et de la femme est toujours affirmée en premier, que ce soit
par référence à la volonté divine (Dieu impose aux deux sexes le
même nom, « homines » en les créant 158) ou par recours aux concepts
d'Aristote : « L'un & l'autre sont compris dans l'espèce de l'homme, ce

157
Rappelons que cet écrit est de 1792.
158
Angenoust, p. 36 ; « Dieu a créé l'homme & la femme également à son
image. Il leur a donné du côté de l'âme les mêmes facultés, la même puis-
sance. Le péché n'a pas détruit cette égalité. La dépendance de la femme
n'est pas une suite de sa création. » (Dinouart, ch, I, II).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 195

en quoy ils diffèrent, c'est chose accidentelle non essentielle. » (Ber-


men, p. 124).
« L'esprit n'a point de sexe », écrit Poullain de la Barre (1673, p.
109), « l'esprit et l'âme n'ont point de sexe », ne cessera-t-on de répé-
ter 159, cette égalité de principe n'excluant pas une supériorité de ten-
dance. Au XVIIIe siècle, la physiologie se substitue à la métaphysique,
et on affirmera que « le cerveau » de la femme « est entièrement sem-
blable au nôtre » (Caffiaux, II, p.90). « L'anatomie la plus exacte n'a
pu encore remarquer aucune différence entre la tête de la femme & la
tête de l'homme. Leur cerveau est entièrement semblable. » (Coicy, I,
p.7.)
(Rien de moins exact du reste : le cerveau de la femme est statisti-
quement plus léger que celui de l'homme — mais la physiologie mo-
derne ajoute que le poids ne fait rien à l'affaire.)
Bermen de la Martinière seul fournit ici un argument curieux : il
prouve l'identité essentielle des deux sexes en faisant état de phéno-
mène de transsexualisme rapportés par les autorités antiques : « Plu-
sieurs femmes par la force de l'imagination sont devenues hommes,
comme nous voyons d'une fille de bourgeois de la ville Cassine [...]
Lucius Mutram dit qu'en la ville d'Argos une fille nommée Arescuse
[167] ayant esté mariée se sentit changée de sexe, & en qualité
d'homme se nomma Aresconte, & l'Histoire faict mention qu'il print
femme en mariage & eut d'elle plusieurs enfans. » (Bermen, p.l34) 160.
Quoi qu'il en soit, l'affirmation de l'excellence de la femme selon la
mission de l'espèce humaine entière s'articule à celle de l'identité d'es-
sence. Homme et femme ont la même âme, dit Cornélius Agrippa,
mais « si nous faisons attention aux autres choses qui sont dans
l'homme, nous trouverons que les femmes sont en tout, infiniment au-
dessus des hommes » (Agrippa, éd. 1801, p.3).
Ainsi s'énonce la thèse centrale qui nous a permis de réunir ces
textes divers. Même Poullain de la Barre, quoiqu'il réclame pour les
sexes l'égalité, tend à donner l'avantage aux femmes : « Ces deux qua-
litez d'avoir plus de tendresse & de beauté, leur estant très avanta-
geuses, est une marque de leur excellence au-dessus de nous, sil y en
159
« Lettre » de 1737. p. 127 ; Acqua. p.32 ; Toselli, p. 25.
160
Cf. aussi Guyon, I, p. 9 : « Le plus léger usage du monde aprend qu'il est
des hommes qui sont femmes & des femmes qui sont hommes. »
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 196

doit avoir d'autre entre les deux sexes que celle qui vient de la Rai-
son. » (1675, p. l07) 161.
*
* *
"Nous avons indiqué plus haut pourquoi il nous semble que l'idée
d'égalité dans la diversité se conçoit plus malaisément que celle d'hié-
rarchie de comparables. Les deux idées peuvent coexister : on prouve
à la fois une supériorité tendancielle et on réclame une égalité de
« droit naturel » et de traitement 162. L'anonyme auteur du Triomphe du
Beau Sexe (1729) expose ceci on ne peut plus clairement : « Pour
prouver et autoriser le Triomphe que nous prétendons de raporter sur
les Hommes, il n'y a qu'à combattre à forces égales. » (p. 107).
Tout au contraire, Mary Wollstonecraft réclame le principe d'une
égalité, juridique et sociale, sans trancher a priori d'une égalité d'es-
sence : « Peut-être l'expérience prouvera-t-elle qu'elles ne peuvent at-
teindre au même degré de force d'esprit, de persévérance, de cou-
rage » (p.71).
[168]
La revendication de Yidentité absolue n'apparaît que comme un ex-
trémisme romantique dans le premier féminisme : « Femmes, mères,
amantes... citoyennes ! Plus de colifichets, plus de ces vaines parures
que recherchait la vanité de nos mères. La blouse plébéienne pour
tous, le pantalon pour tous. » (Enfantin, Prédications somptuaires).
Aux idées d'égalité de traitement et de supériorité d'essence,
s'ajoute une mise en relation d'un autre ordre, celle de la complémen-
tarité qui trouve son expression emblématique dans la fable des an-
drogynes : « L'amour naist de la séparation de l'Androgyne & n'est
autre chose qu'un désir de joindre ces deux moitiés qui furent jadis en
un seul et mesme sujet. » (Brinon, p.296). « Les deux sexes, quoique
séparés en deux individus, ne forment qu'un tout moral. » (Boudier,
1788, p. XIII.) « L'homme et la femme sont deux être incomplets et
relatifs n'étant que deux moitiés d'un tout. » (Michelet. la Femme,
p.258.)

161
« C'est une des raisons qui me persuade que ceux qui ont plus de pente à
l'amour sont plus excellens que les autres. » (d°. p. 112.)
162
Puisieux, p. 57 ; Dinouart, p. XIII.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 197

Une interprétation analogue de la Création se rencontre égale-


ment : « Ce n'est pas précisément par le Mariage, mais par la création
que la Femme est la propre chair de l'Homme. » (Dinouart, p.89).
La femme est certes la « compagne » de l'homme pour la propaga-
tion du genre humain 163 ; plus généralement le désir qui pousse les
sexes l'un vers l'autre est la preuve « expérimentale » de cette complé-
mentarité : « Car tout ainsi que rien ne peut brusler que le feu, nous ne
pouvons rien aymer que la femme. » (Pontaymeri,f°45,v°). « Dieu a
gravé dans le cœur de nos premiers parens cette inclination mutuelle
des deux Sexes. » (Dinouart, p.86.)
L'union des sexes, le mariage seront présentés comme la forme ac-
complie de l'amitié 164 et le commerce avec ses semblables étant le dé-
sir naturel de l'être humain, l'harmonie sociale ne peut exister qu'entre
égaux 165.
*
* *
Sur le plan diachronique, l'évolution des idées qui apparaît dans les
ouvrages que nous avons étudiés, laisse apparaître une progression pa-
radoxale. L'idée de l’égalité des droits entre les sexes ne se fait jour
[169] que lentement et, toujours, elle reste dans la dépendance de la
thèse de la supériorité féminine, qu'elle se borne à réaménager. Dès le
milieu du XVIIIe siècle cependant, le principe de l'égalité apparu chez
Poullain de la Barre et repris par quelques-uns de ses admirateurs, loin
de s'imposer, se voit opposer les thèses sexistes de la différence com-
plémentaire des sexes, qui pose abstraitement leur égalité pour la nier
concrètement. Ainsi les idéologues de la bourgeoisie qui va accéder
au pouvoir, après avoir contribué à une mise en cause critique de l'an-
tique misogynie, semblent dans les années qui précèdent la Révolution
se reprendre, se raviser et vouloir fonder dans une rationalité nouvelle
l'oppression séculaire imposée aux femmes. Au moment où le pouvoir
va lui être dévolu, la bourgeoisie semble mesurer les risques que la li-
bération de l'opprimé fait encourir à une classe qui cherche à se faire
légitime. Les concessions faites du bout des lèvres sont désormais for-
tement en retrait sur l'enthousiasme libérateur des Poullain de la
163
Vigoureux, p. 182.
164
Angenoust. p. 208.
165
Dinouart. p. 74 et Wollstonecraft, p. 26.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 198

Barre. La lutte des classes interfère ici avec la lutte des sexes. Affron-
tée à l'exercice concret du pouvoir, la nouvelle classe dominante met
la sourdine à une réflexion dont le pouvoir de rupture l'inquiète. Après
une phase de dépassement critique négateur, l'idéologie bourgeoise
trouve à l'oppression d'un sexe sur l'autre des arguments conformes
aux nouveaux rapports de forces. Du même coup, avec Olympe de
Gouges et Mary Wollstonecraft. la lutte effective des femmes devient,
au-delà des enthousiasmes généreux et des mystifications galantes,
l'affaire des seules femmes.

3. Discours du libidinal

Retour à la table des matières

La femme est avant tout un être sexuel — « le sexe » dit-on à l'âge
classique. Sa seule vertu est d'avoir de la vertu, de s'offrir et de se re-
fuser à la fois au désir, satanique pour les misogynes, plus qu'humaine
pour les thuriféraires : qu'importe. Le désir est dans le discours, tra-
vesti en rêveries mystiques, en pompeuses galanteries ou en spécula-
tions rationalistes, jusqu'au jour où l'anonyme de 1712 rappellera que
l'apologie des femmes ne peut être qu'« Apothéose du sexe ». Il faut
dire quelques mots de cette interférence de la discursivité sociale et de
l'intensité libidinale avec ses « retours du refoulé ». On la voit paraître
dans certains excès significatifs. Le texte est un potlatch où on sacrifie
à la femme désirée tout ce qui paraissait le bien propre de l'homme :
elle lui sera supérieure dans la carrière des armes, dans la sagesse po-
litique, dans les arts et dans les lettres ; le mérite de Pétrarque revient
à Laure, l'affaire du Paradis Terrestre tourne à la gloire d'Eve et au dé-
cri d'Adam. Le zélateur sait qu'il ne va pas convaincre par cette suren-
chère, [170] sinon de sa volonté d'excéder les limites de l'opinable
pour faire éclater l'intensité du culte voué à ce qu'il désire. Un seul,
Jean du Pont-Alais, avoue que la supériorité des femmes ne se peut
démontrer que par un seul argument irréfutable : le besoin que les
hommes ont d'en jouir.

Et homme, ung chascun le croye,


Ains il despartiroit sa vie
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 199

Et plustost luy prendrait anvie


De la mort ou de n'avoir riens
Que d'estre roy de tant de biens
Sans avoir famé en sa richesse.
Qui est le tout de sa liesse
Et son corps vault mille fois plus
Que tout ce qu'il est dit dessus 166.

Sans doute ce désir n'est-il pas exclusif de la crainte ; la philogynie


magique d'Agrippa en est la dénégation-dépassement 167. En faisant de
la femme un être supérieur, l'apologiste s'abandonne à une puissance
dissimulée encore, mais qu'il pressent souveraine. Face à la femme-
sorcière, il joue à l'apprenti-sorcier, il veut libérer les forces féminines
— tenues en bride dans l'ordre phallocratique — redoutables mais
bienfaisantes.
L'éloge du mariage tient une place variable dans les écrits exami-
nés, mais c'est parfois plus directement à une apologie de la toute-
puissance du désir qu'aboutit le discours. Et là aussi, l'audace contes-
tataire est à la mesure de l'horreur du sexe qui se montre avec une fré-
nésie fréquemment ordurière dans la vaste littérature misogyne dont
nous avons montré quelques échantillons : « Y a-t-il au monde une
chose plus sale et plus deshonneste que la volupté ! » s'exclamait
Jacques Olivier (p. 168-170).
Au contraire, l'universelle bienfaisance de désir, chez François de
Brinon fait de lui le moteur de tout amendement en ce monde : « Il
rend le vilain noble, l'avaricieux libéral, l'ignorant docte, le chagrin
guay, le lourd dispost, le couard généreux : & bref est sujet en
l'homme de tout louable exercice. » (Brinon, p.296). Platon appelle
l'Amour Pantadiscale [171] qui signifie « tout enseignant » « pource

166
Le désir qui porte l'homme vers la femme est partagé par tous les êtres
créés. On a vu que la jeune fille apaise la cruauté des animaux sauvages.
Mais. « jusques aux Esprits Infernaux, les femmes sont chéries » (Billon, f°
140, v°), ce que confirme Agrippa : « Les démons qui sont des substances
spirituelles souffrent de violentes passions pour les Femmes. » (Agrippa
1713, p. 27).
167
Le sentiment que le procès menstruel est impur et dangereux est presque
universelle ment répandu. Le retournement axiologique produit ici par les
apologistes du XVIe constitue un phénomène singulièrement significatif.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 200

qu'il n'y a invention au monde qu'amour ne trouve. Il est père des arts,
des sciences & des disciplines. » (Bermen, p.l55).
Le rapprochement des sexes est admiré comme seule conjonction
absolue des êtres : « Les corps se joignent par l'entrelacement des or-
ganes, les âmes s'allient par le rassemblement des affections, les
cœurs se réunissent par la coagulation des lèvres, les pensées se lient
par la conformité inséparable des volontez. » (Bermen, p.9).
Le désir permet à l'homme de dépasser les limites fixées à sa na-
ture : « C'est par le désir que nous sommes proprement les images de
Dieu, puisqu'en l'exécutant selon ses loix nous imitons ce que nous
connaissons en lui de premier, qui est de produire par amour un ou-
vrage séparé de nous. » (Poullain, 1675, p.l 18).
Dans son mouvement d'ensemble comme dans ses contradictions
et ses échappées intuitives, et malgré sa « générosité », le discours sur
la supériorité des femmes reste discours du mâle, expression de son
désir, de ses craintes et de ses mythes.
L’altérité du sexe féminin, perçue par les misogynes comme insuf-
fisance, malignité, menace, devient ici prétexte à dithyrambe, source
de fascination et objet d'un culte : la mystification à quoi s'aban-
donnent nos apologistes n'est pas moins aliénante. En manipulant les
concepts de supériorité et d'égalité, intégralement idéologiques, le sys-
tème discursif manifeste son incapacité constitutive à penser la diffé-
rence comme telle. Il efface l'ambivalence et essentialise le virtuel.
S'il cherche à discerner le contingent des données naturelles, c'est en
posant « la nature » comme invariant stable et régulateur. Ce n'est que
subrepticement que naît une réflexion plus dynamique, que le destin
des sociétés et des individus apparaît déterminé par une suite de choix
et non par une aveugle nécessité. Une utopie gynocratique se dessine
alors, aspiration à une libération du désir et à un dépassement des ser-
vitudes et des contraintes ; en même temps, l'utilité sociale et l'excel-
lence des institutions sont montrées dans leur relativité. Une réflexion
sur les finalités possibles de l'espèce, sur l'interaction entre fonction
sociale des individus, mœurs et caractères s'ébauche, qui cependant
n'aboutit qu'à d'utopiques abstractions. On voit, par les analyses que
nous avons données, combien presque toute déviance reste dans la
mouvance des interprétations dominantes et leur est complémentaire,
comment le dépassement des présupposés primaires est aléatoire et
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 201

restreint. L'alternative erreur-vérité ne peut rendre compte d'un dis-


cours de rupture qui reste asservi aux dogmes qu'il combat ; discours
qui se [172] déroule tout entier dans l'opinable, dissimule sa fonction,
déplace et biaise ses intensités.
Le désir de la femme et la dynamique de la réforme sociale su-
bissent une « conversion » en s’inscrivant dans la trame du discours
épidictique.
L'asservissement de la pensée spéculative aux conditions sociales
concrètes dans lesquelles elle s'énonce ne peut mieux apparaître que
par l'étude d'une déviance dont l'audace reste, sauf par éclairs, tribu-
taire de l'ordre institutionnel et discursif qu'elle conteste.

Paris, Londres, Montréal,


juillet 1974-mars 1975.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 202

[173]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

BIBLIOGRAPHIE
Retour à la table des matières

La plupart des titres de la bibliographie, surtout ceux des ouvrages


anciens, sont accompagnés de la cote de l'ouvrage à la Bibliothèque
Nationale de Paris (BN), au British Muséum (B. Mus.) ou à la Biblio-
thèque Royale de Bruxelles (Brux).
On indique en premier lieu l'édition consultée et citée dans cet ou-
vrage ; si elle diffère de L'édition originale, la date de celle-ci et le
lieu d'édition sont signalés après l'entrée principale. Dans quelques
cas, on a également signalé diverses rééditions.

Première section

A. Corpus principal :
le Discours sur la supériorité des femmes
du XVe au XVIIIe siècle 168

ACQUA. Chevalier dell'. Essai sur la supériorité intellectuelle de


la femme. Berlin. 1797 : in-8°, XIV + 182 p. ( = Brux. III 17515 A).

168
On a inséré dans cette section les ouvrages italiens que nous avons évoqués
çà et là. On trouvera dans la section I.B. les écrits qui, sans se rattacher plei-
nement au genre du panégyrique des dames, en rappellent certains aspects.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 203

AGRIPPA. Cornélius, ab NETTESHEIM, De nobilitate & praecel-


lentia foeminei sexus. Lugduni Batavorum. Severinus Matthaei. 1643 :
in 12, 359 p. (= Brux. VH 3604 A.) (orieinale : Antverpiae. M. Hille-
nius, 1529) (Coloniae, 1532 ; un vol. in-8° = B. Mus 4373 a I).
AGRIPPA. Cornélius, ab NETTESHEIM ; trad. J. d'Arnaudin, De la
grandeur et de l'excellence des femmes au-dessus des hommes ; Paris,
François Rabuty. 1713 : in—12.125 p. (Autres traductions : Paris.
Galliot du Pré. 1530 : Paris. 1578 (trad. L. Vivant) : Leiden, Haak,
1726 et Paris, Delance, 1801, avec le Commentaire de Roetitg, = BN
Rés. Z 3229 [I]).
ANGENOUST, Maître Nicolas. Le paranvmphe des dames dédié à la
sérénissime rovne Marie de Medicis, mère du ROY Treschrestien.
Troves. Pierre du Ruau. 1629 ; in-12°, 271 p. ( = BN Rés. p. R 749).
Apologie des femmes avec des notes historiques en deux parties
par un homme de lettres, dédiée aux dames de Marseille. Marseille.
Ant. Favet. 1770 : un vol. in-8°.
Apologie des femmes contre les calomnies des hommes où l'on
montre la nécessité du mariage, son excellence et les moyens d'y vivre
heureux. Amsterdam. 1713 : un vol. in-16.
Apologie du beau sexe. Rouen. Virey. 1729 ; in-12. 52 p. ( =BN 8°
R 28162).
[174]
L'Apothéose du beau sexe, Londres, Van der Hoek, 1712 ; in-
8°,xlvi + 138p. ( = BN R 24056 ou B. Mus. 1081.f.3).
BERMEN DE LA MARTINIÈRE, Louis de, le Bouclier des dames
contenant toutes leurs belles perfections, Rouen, I. Besongne, 1621 ;
in-12°, 21 + 401p. (B. Mus. 08416 e 64). (L'édition originale serait de
1618.)
[BERNIER] Apologie contre le livre intitulé « Alphabet de la mé-
chanceté des femmes », Paris, 1618, un vol. in-12°.
BILLON François de le Fort inexpugnable de l'honneur du sexe fé-
minin, construit par F. de Sillon, secrétaire, Paris, J. d'Allyer, 1555 ;
in-4°, 260ff. (= BN 4° Z 1326 et Rés. Z 872). [Republié en 1564 sous
nouvelle couverture : La Défense et forteresse invincible de l’honneur
et vertu des dames.]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 204

BOCASSE, Jehan [sic], le Livre de la louenge et vertu des nobles et


cleres dames, Paris, A. Vérard, 1493 ; in-fol. n.p. [= BN Rés. G. 365].
[Première trad. : 1401, par Laurent de Premierfait.]
[BOUCHET, Jean] le Jugement poétic de l'honneur fémenin et sé-
jour des illustres, claires et honnestes Dames par le Traverseur, Poi-
tiers, s.e., (priviï. ) 1536 ; in-4°, XXIV + 96ff. ( = BNKés. Ye.363).
[BOUCHET, Jean] les Triumphes de la noble et amoureuse dame &
l'art de honnestement aymer composé par le Traverseur des voyes pé-
rilleuses, Paris, Galliot duPré, 1535 ; in-fol., VI+ 155p. ( = BN. Vélins
585). (Édition originale : 1530.)
BOUSSANELLE, Sieur de, Essai sur les femmes, Amsterdam et Pa-
ris, Hochereau le Jeune, Gogué, 1765 ; in-12, XXV + 158p. ( = Brux.
III 17487 A).
[BRINON, Pierre de] le Triomphe des dames, Rouen, J. Osmont,
1599 ; in-12, 343p. (= BN. R 24057).
BRONZINI, Cristoforo, Délia dignità e nobiltà delle donne, dialogo
di C.B., Firenze, Z. Pignoni, 1622 ; 3 vol. in-4° (= BN Z3442).
BRONZINI, l'Advocat des femmes ou de leur fidélité et constance,
dialogue... contre les médisans de ce temps, traduit d'italien en fran-
çais par S.D.L. ; Paris, Toussainet Du Bray, 1622 ; in-12,n. ch. (B.
Mus. 8416 a 27).
CAFFIAUX, Don Philippe Joseph, Défenses du beau-sexe ou Mé-
moires historiques, philosophiques et critiques pour servir d'apologie
aux femmes, Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1753 ; 3 vol.
in-12 (= BN R24131 - 24134).
CANONHIERO, Pietro Andréa, Della eccellenza delle donne di A.C.,
dottore di Filosofia, Medicina & Teologia , Firenze, Grenier & Fabe-
ni, 1606 ; in-4°, 26p. (BN Rés. R 1671).
CHAUSSÉ DE LA TERRIÈRE, Jacques, Traité de l'excellence du ma-
riage [...] où l'on fait l'apologie des femmes contre les calomnies des
hommes, Paris, S. Perier, 1685 ; in-12°, 338 p. ( = BNR 24141).
COICY, Madame de, Les femmes comme il convient de les voir. Ap-
perçu de ce que les femmes ont été, de ce qu'elles sont & de ce
qu'elles pourroient être, Londres et Paris, Bacot, 1785 ; 2 vol. in-12° (
= BN R 23075-23076).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 205

[COULON] Éloge du beau sexe publié par M.C.***, Paris, Dubois,


1773 ; in-8°, 120p. (=BJVYe 41086 ow Ye 21112).
DEBAY, A., Physiologie des perfections et beautés de la femme,
Paris, Garnier, 1852 ; in-12°, 236 p. ( = BN 8° Tb1228)
DINOUART, Abbé Joseph-Antoine-Toussaint, le Triomphe du sexe,
ouvrage dans lequel on démontre que les femmes sont en tout égales
aux hommes par M.D*** ; Amsterdam, I. Racon, 1749 ; in-12,
XVIII- 94 p. ( = BN Rés. Z 3225 [3] ).
[175]
DOMENICHI, Lodovico, la Nobiltà delle donne, Venetia, G. Giolito
di Ferrari e fratelli, 1549 : in-8°. 277 ff. ( = BN 8°K 952).
Du Bosc. Jacques, la Femme héroïque ou les Héroïnes comparées
avec les héros en toute sorte de vertus, Paris, A. de Sommaville et A.
Courbé. 1645 : 2 vol. in-4° ( = BN R 5989-5990).
[Du Bosc, Jacques] l'Honneste Femme (préfacé par Nicolas Perrot
d'Ablancourt), Paris, P. Billaine, 1632 ; in-8°. 347 p. ( = B. Mus. 8416
i 23 ou BN R 34163).
ESTIENNE, Charles (d'après O. LANDI), « Pour les Femmes, Décla-
mation XXIII », dans Paradoxes, ce sont propos contre la commune
opinion..., Paris, Charles Estienne, 1553 ; p. 148-158. ( = BN R 45690
& Rés. F 1638).
L'Excellence des femmes, avec leur réponse à l'auteur de l'Alpha-
bet, accompagné d'un docte et subtil discours de la Reyne Marguerite
sur le même suject à l'auteur des « Secrets moraux ». Paris. P. Passy,
1618 ; in-8°, 15 p. ( = BN Rp 1623).
FONTE, Moderata (Modesta Pozzo dé Zorzi), Il merito delle donne
ove chiaramente si scuopre quanto siano elle degne e piu perfetle de
gli huomini, Venetia, Dominico Imberti, 1600 ; in-8° car, 158p. ( =
Brux. VH 7105).
[FRANC, Martin (ou LE FRANC) ] le Champion des dames, s.l.n.d.
(Lyon. 1485) ; in fol. goth., 185 ff. ( = BN Rés. Ye 27) ; [réédité sous
le titre : le Champion des dames, livre plaisant, copieux et habondant
en sentences contenant la deffence des dames... Paris G. Dupré, 1530 ;
3 vol. in-8° ( = BN Rés Ye 4028-4030) ].
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 206

[GACON-DUFOUR. Marie-Armande], Mémoire pour le sexe féminin


contre le sexe masculin, Paris. Royez et Londres, 1787 ; in-12, 50p.
( = MRz 3563).
[GAILLAR], le Bouclier des femmes contre les impostures et les ca-
lomnies des médisons de leur sexe, par G. ; Paris, Bessin, 1621 ; un
vol. in-8°.
GALIEN, Madame, Apologie des dames, appuyée sur l'histoire, Pa-
ris, Didot. 1737 ; in-12°, XVIII + 274 p. ( = BN Rés Z 3253). '
[GARDETON, César], le Triomphe des femmes, ouvrage dans lequel
on trouve que le sexe féminin est plus noble et plus parfait que le sexe
masculin, Paris, Delaunay, 1822 ; in-18, 90 p. ( = BNR 52823).
[GARDETON, César], le Triomphe des femmes ou Esquisse des ver-
tus et des talents du beau sexe, Paris, Chassaignon, 1834 ; broch. In-
18° ( = BN R 52824) (diffère du précédent).
GILBERT. Gabriel, Panégyrique des dames, Paris. A. Courbé,
1650 ; in-4°, 48p. ( = BN X. 3482).
GOURNAY, Voir : JARS DE GOURNAY
GUILLAUME. Jacquette, les Dames illustres où par bonnes et fortes
raisons il se prouve que le sexe féminin surpasse en toutes sortes de
genres le sexe masculin. Pans T Jolly, 1665 ; in-12°, 444 p. ( =BN R
24053 et B. Mus. 12511 e 9) 169
GUYON. Abbé Claude-Marie, Histoire des Amazones anciennes et
modernes, Paris, J Villette, 1740 ; 2 vol. in-12º.
[176]
HABERT, François, le Jardin de fœlicité avec la louenge et haul-
tesse du sexe féminin en ryme francoyse (extraiele de Henricus Cor-
nélius Agrippa) par le Banny de Liesse, Paris, Pierre Vidouë. 1541 ;
in-8° (= BN Rés. Ye 1686) [voir aussi section I B de la bibliographie].
HEROËT de la Maisonneufve, Antoine, la Parfaicte Amye, Lyon, E.
Dolet et Paris, Pierre de Tours. 1542 ; in-8°, 94p. ( = BN Rés Ye
1613).

169
Selon la Biographie de Didot, il parut en 1668 un ouvrage différent et dû à
une autre femme : Marie-Anne, GUILLAUME, Discours sur le sujet que le
sexe féminin vaut mieux que le masculin, Paris, 1668 ; un vol. in-12º.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 207

J***, Mademoiselle, la Malice des hommes découverte dans la


justification des femmes. Rouen, J. F. Béhourt, 1754 ; in-16°, 24 p. ( =
BN Recueil Jamet, Femmes, n° 35. Rés Z 3241) (Aussi : Troyes.
1759).
JARS DF, GOURNAY. Marie de. Égalité des hommes et des femmes,
s.l.n.d.. 1622 ; in-8°, 28 p. ( = B/VZPayen 543).
L.S.D.L.L. ; la Femme généreuse qui montre que son sexe est plus
noble, meilleur politique, plus vaillant, plus sçavant, plus vertueux, et
plus œconome que celuy des hommes, Paris. Piot. 1643 ; petit in-8°
(cet ouvrage n'a pu être trouvé).
LA CHAMBRE. Jehan Rodrigue = LA CÀMARA, Juan R., Obras,
Madrid, Sociedad de bibliofilos espano les, 1884 ; in-8º, XXXIX +
455 p.
LA CHAMBRE, Jehan Rodrigue de (traduit par F. de Lucenne), le
Triumphe des dames, Paris, Pierre le Caron, s.d. (avant 1490) ; in-4°,
n.p. goth. (= BN Rés R 982 A).
[LA CHAMBRE, Jehan Rodrigue de], le Triomphe et exaltation des
dames auquel est déterminé par cinquante raisons que la femme est
plus noble et de plus grand excellence que l'homme, Paris, P. Sergent
(1530) ; pt 4° goth. ( = BN Rés. R 934).
LA COSTE, M. de, « La supériorité des dames sur les hommes, ex-
trait d'un discours de M. de la Coste le Cadet. » Paris, Mercure de
France, septembre 1744 : p. 1936-1948.
LA MARCHE, Olivier de, le Parement et triumphe des dames [...].
Paris. Jehan Petit et Michel Lenoir, 1492 [?] (Paris, 1510, in-8° = BN
Rés Ye 1253)
LA MARTINIÈRE Voir : Bermen de La Martinière, Louis de.
LANDI, Ortensio, « Paradosso XXV Che la donna é di maggior ec-
cellentia che l'huomo » dans Paradossi cioé sententie fuori del comun
parère, novellamente venute in luce, Lyon. G. Pullon da Triro. 1543 ;
f° 78-95 v° (in-8°) ( = BN Rés.Z3575).
LA RIVIERE, A. de. le Partisan des femmes, ou la Source du mérite
de l'homme. Sexe plein de vertus recevés mon hommage, Paris. Cuis-
sard, 1758 ; in-16, 28 p. (= BN Z 3243).
LEFRANC Voir : FRANC.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 208

LEGOUVÉ. Gabriel, le Mérite des femmes, Paris, Didot, 1801 ; in-


16°, 107p. (=Brux. VH 11956 A I).
LE DELPHYEN, Deffense en faveur des dames de Lyon : avec un
bref discours de l'excellence et beauté de la femme. Lyon, Pierre Mi-
chel 1596 (en vers) ; in—12. 20p. ( = BN Ye 19887).
L'ESCALE. Chevalier (Pierre) de. le Champion des femmes qui
soustient qu'elles sont plus nobles, plus parfaites que les hommes,
contre un certain Misogynes anonyme auteur & inventeur de « l'Im-
perfection & Malice des femmes », Paris, Veufve Guillemot, 1618 ; in
—12, 194 ff. ( = BN Rés Z 31218 [ 2]).
Lettres au Chevalier de K*** par la marquise de M*** au sujet de
celles qu'il a écrites sur les Femmes, La Haye, la Compagnie, 1754 ;
in-16º, 134p. ( = BN Rés. Z 3238).
[177]
LEVALLOIS, J.-P.-Alphonse, Hommage au beau sexe ou discours
sur les femmes. Mortagne, Marre-Roguin, 1813 : in-8°, 50p. ( = BN R
41849).
La Liberté des dames. Paris, Christophle Remy. 1685 ; in-16°,
305p. ( = BN R 41934).
LUCENNE. F. de Voir : Jehan Rodrigue de LA CHAMBRE.
MACHON, Louis. Discours ou sermon apologétique en faveur des
femmes, question nouvelle, curieuse et non jamais soustenuë, Paris, T.
Biaise, 1641 ; in-8°, p. limin., 115p. ( = BN R 24043 ou X 18880).
MARINELLA. Lucrezia, le Nobiltá et exeellenze delle donne et i di-
fetti e mancamenti de gli huomini, Venetia, G. B. Ciotti. 1600 ; in-4°,
4 + 92 ff ( = BN Rés R 1670).
MARINELLO, Giovanni, [Gli] Ornamenti delle donne [...], opera
utile e necessaria ad ogni gentile persona, Venetia, Valgrisio, 1574 ;
in-fol.. (8) + 376 + (25)p.
MEYNIER, Honorât de, la Perfection des femmes. Avec l'imperfec-
tion de ceux qui les méprisent, Paris, Julien Jacquin et Nicolas
Alexandre, 1625 ; in-8°, 64p. ( = BN Rz 3430).
MIREMONT, Jacqueline de, Apologie pour les dames où est mon-
trée la précellence de la femme en toutes actions vertueuses (en vers),
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 209

Paris, Jean Jesselin, 1602 ; in-12, brochure (cet ouvrage n'a pu être
trouvé).
NERVÈZE, Suzanne de, « Apologie en faveur des femmes » dans
Oeuvres spirituelles et morales, Paris, Jean Paslé, 1642 ; p. 83-92 ( =
BN Rés. Z 3208 [1]).
NOËL C.M.D., les Avantages du sexe, ou le Triomphe des femmes
dans lequel on fait voir par de très fortes raisons que les femmes l'em-
portent par dessus les hommes & méritent la préférence. Anvers,
Henry Sleghers, 1698 ; in-12°, 129p. ( = BN Rés Z 2318 [1]).
NOËL. C.M.D., le Triomphe des femmes, où il est montré par plu-
sieurs raisons que le sexe féminin est plus noble et plus parfait que le
masculin, Anvers. H. Sleghers, 1700 ; in-12º, 115p. ( — Brux. III
14973 A.) (Cet ouvrage diffère du précédent.)
Oratione del/'humile Invaghito in difesa et Iode delle Donne, Man-
toua, G. Roffinello, 1571 ; in-4°, n.p. ( = BN Rés R 1666).
PADRÓN, Rodriguez del
Voir : LA CHAMBRE. Rodrigue de.
[PERRAULT, Charles] l'Apologie des femmes, Cologne ( = Paris),
1694 ; in-12°, 24 ff n.p. + 12p. (=BN Rés 3252 [1]).
PHILIPPE E.A., [dit P. de PRETOT], le Triomphe des dames ou le
Nouvel Empire littéraire, Paris, s.e., 1755 ; in-8°, 23p. ( = BNZ 3225
[6]).
PlSAN, Christine de, « Épistre au Dieu d'Amours, (1399) » dans
Œuvres poétiques, publiées par M. Roy ; Paris, F. Didot, S.A.T.F.,
1891 ; in-8°, t. II, 1-27.
PISAN, Christine de, le Trésor de la Cité des dames, Paris, A. Vé-
rard, 1497 ; in-fol. ( = BN Rés. Y2 186) (composé en 1404) ( = BN
fds fr. 607, 608, 609, 826. 1177, 1178, 1179, 1182. .. pour les mss.).
[PONT-ALAIS, Jean du], la Louange des dames, in-4° de 6 ff non
ch., car. goth. ( = BN Rés Ye 1054).
[178]
PONTAYMERI, Alexandre de. Paradoxe apologique, où il est fidel-
lement démonstré que la femme est beaucoup plus parfaitte que
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 210

l'homme en toute action de vertu, Paris, Jean Richer. A. L'Angelier,


1594 ; in 12, 155p. ( = BN Rés. R 2166).
POSTEL, Guillaume, Les très merveilleuses victoires des femmes
du Nouveau Monde et comment elles doivent à tout le monde par rai-
son commander et même à ceux qui auront la monarchie du monde
vieil, Paris, Jehan Ruelle, 1553, édition facsimilé s.l.n.e. du XVIIIe ( =
Brux. VH 2329 A).
POSTEL, Guillaume, Le Prime Nove del altro mondo cioè l'admira-
bile historia & non meno necessaria & utile da esser letta & intesa da
ogni uno, che stupenda, intitulata : La Vergine Venetiana. Parte vis-
la, parte provata & fidellissimamente scritta per Gulielmo Postello,
primogenito della Restitutione & spirituale Padre de essa Vergine,
s.l.. appresso del autore, 1555 ; in-8°, 39 ff. ( = BN Rés D2 5257).
POULLAIN DE LA BARRE. François (ou POULAIN.) De l'égalité des
deux sexes, discours physique et moral où l'on voit l'importance de se
défaire des préjugez ; Paris, A. Dezallier, 1679 (édition originale
1673) ; in-12°, 248 p. ( = BN Rés Z 3218 [4]). (Traduction anglaise :
The Woman as good as the Man ; 1677.)
POULLAIN DE LA BARRE. François, De l'excellence des hommes
contre l'égalité des sexes, Paris, J. Du Puis, 1675 ; in-12°, 329p. ( =
BN R 24076).
POULLAIN DE LA BARRE, François, Dissertation ou discours pour
servir de troisième partie au livre de l'Egalité des deux sexes, etc. et
de Réponce aux authorités de L'Ecriture sainte qu'on rapporte dans
la seconde partie, Paris, Jean du Puis, 1690 ; in-16°, 79p. ( = B. Mus.
526 f 24 [3]). (Voir aussi section I B.)
PUISIEUX. Ph. Florent de/ou Madeleine, la Femme n'est pas infé-
rieure à l'homme, Londres, s.e„ 1750 ; m-12, 140p. ( = BN R 35778).
PUISIEUX, Ph. Florent de, le Triomphe des dames, traduit de l’an-
glois de Miledi P***, Londres, 1751 ; in-12°, 140p. ( = BN R 52822
ou Rés Z 3215 [1]).
RODRIGUEZ DE LA CÀMARA (OU DEL PADRÒN), Juan Voir à : LA
CHAMBRE. Rodrigue de.
ROMIEU, Marie de, Les premières œuvres poétiques de Ma Damoi-
selle Marie de Romieu Vivaroise, contenant un Brief discours que
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 211

l'excellence de la femme surpasse celle de l'homme..., Paris, L. Breyer,


1581 ; in-12°, 50 ff ( = BN Rés 1877).
S-D-L-
Voir : BRONZINI, C, l'Advocat des femmes...
SAINT-GABRIEL, M. de, Le Mérite des dames par Mr de S.-Gabriel
Conseiller du Roy, avocat en ses conseils, cy devant avocat général
en sa cour des aydes de Normandie, Paris, Jacques Legras, 1655 ; in-
8°, 148p. ( = BN Rés Z 3241 [ 6 ] ) (édit. originale, même éditeur.
1640 : BN R 24078.)
SCHURMAN, Anna-Maria van, « Problema practicum ad reveren-
dum & clariss. Theologum D. Andream Rivetum, Num fœminae
Christianae conveniat studium litterarum » dans Opuscula hebrœa,
grœca, latina, gallica, Lugduni Batavorum, Ex offi-cina Elsevirorum,
(1650) ; in-12°. p. 28-95 ( = Brux. VB 7415 A [1]).
Soucy, François du. Sieur de Gerzan, le Triomphe des dames, Pa-
ris, l'autheur, 1646 ; in-4°, 216p. (= BN R. 5986).
TAILLEMONT. Claude de. Discours des champs faëz à l'honneur &
exaltation de l'amour et des dames, Paris, G. du Pré, 1571 ; in-16°,
224p. ( = B. VB 6958).
[179]
TOSELLI, Benedetto, Apologie des femmes ou vérités qui font
triompher le beau sexe. Milan. Soffietti. 1798 ; in-12°, 107p. (= BB
16° Z 11624) (réédité en 1801 : 16° Z 11622 : « le Triomphe des
femmes »).
Traité agréable et curieux de la noblesse et excellence du sexe de
la femme par dessus celui des hommes, La Haye, P. Perier, 1686 ; in-
12, 74p. ( = B. Mus. 8416 a a 62). (C'est une adaptation libre de Cor-
nélius Agrippa.)
Le Triomphe des femmes, tirée [sic] de plusieurs auteurs. Nuis,
Henry Baptiste Bec, (Chaton, 1700) ; in-24°, 12p. ( = BN Y2 71820).
Le Triomphe du beau sexe où l'on fait voir les avantages et préro-
gatives qui rendent les femmes supérieures aux hommes, Hambourg,
Vve Denis Le Sage, 1719 ; un vol. in-12° (= BN R 52826).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 212

VIGOUREUX, Capitaine, la Défense des femmes contre l'alphabet


de leur prétendue malice et imperfection... ; Paris. Pierre Chevalier,
1617 ; in-12°, 210p. ( = BN R 24100).
VITTORIA ( ?), le Sexe vengé ou la Prééminence de la femme sur
l'homme. Réponse de la signora Vittoria au Docteur Pancrace, ora-
teur et bibliothécaire des Petites-Maisons, s.l., A. Bross. 1760 ; in-
16°, 18p. (= BN Rés Z 3252).
VIVANT, Loys, Traité de l'Excellence de la femme, Paris, 1578.
(voir : AGRIPPA. Cornélius.)

B. Annexe : Autres ouvrages comportant quelques aspects perti-


nents (contient aussi les ouvrages tardifs. XIXe et XXe siècles).

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ALBERTUS MAGNUS, De secretis mulierum, Amstelodami, Aput


Henricum & Viduam T. Boom, 1702 ; in-24, 336p.
ALEXIS, Guillaume [ou ALECIS], le Débat de Ihomme & de la
femme fait et composé par frère Guillaume Alexis, Paris. Guillaume,
1520 ; in-12º ( = B. Mus. c 22a.21) [première édition : Paris, 1493 ].
L'Apothéose de la femme (en vers), Reims, Luton, 1853 ; in-8°, 48
p. ( = BN Ye 37515).
ARCHAMBAULT, Mademoiselle, Dissertation sur la question : Le-
quel de l'homme ou de la femme est plus capable de constance ? ou la
Cause des dames [...], Paris, Vve Pis-sot et J. Bullot, 1750 ; in-8°, 166
p. ( = BN Rés Z 3213 [1] ).
[ASTELL, Mary]. An Essay in Defence of the female Sex [...],
Londres, A. Roper & E. Wilkinson, 1696 : in-8° (24) +148 + (4) p., pl.
B***, Mademoiselle de. la Réflexion de la lune sur les hommes,
Paris, A. de Sommaville, 1654 : in-8°. 127p. ( = B. Mus. 1079. d. 7
[3]).
BAYLE, Pierre, Dictionnaire historique et critique, Rotterdam, R.
Leers, 1697 (1696) ; 2 tomes in-fol. [On a cité également : J. G.,
Chaufepié. Nouveau Dictionnaire historique et critique pour servir de
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 213

supplément au. . . Dictionnaire de M. Pierre Bavle, Amsterdam. Châ-


telain, 1750-1756 ; 4 vol. in-fol.
BOUCHARD. Amaury, Amalrici Bouchardi Tῆs γυναιkἓιαs Φύτληs
id est Feminei sexus Apologia, adversus Andream Tiraquellum [« De
Legibus connubialibus »] ; Venundatur, In Aedibus Ascensianis,
1522 : in-4°, 73 ff. ( = BN Rés F 834 [1]).
BOUCHU, René Victor, les Femmes, Chaumont, Cousot. 1812 ; in-
8°, 68 p. ( = BN Ye 15957).
CASTIGLIONE, Baldassare. Il Libro del Cortegiano, Venetia, Aldo
Romano. 1528 ; in-fol., Sign. A- P( = B/V Rés. 1).
[180]
CASTIGLIONE. Baldassare, le Courtisan... traduict par Jacques Co-
lin. Paris, Jehan Longis et Vincent Sertenas. 1537 ; in-8°, 11-238 ff.
(= BN Rés. * E 592).
CHAMPIER. Symphorien, le Livre de vraye Amour, éd. by J.B.
Wadsworth, 's Gravenhage, Mouton, 1962 ; in-16°, 71 p. (tiré de la
Nef des Dames vertueuses, Lyon, J. Arnol-let. 1503 / Paris, Ph. Le
Noir, 1531).
CHAUFEPIÉ, J. G. Voir : BAYLE, Pierre.
COLLET, Pierre, le Parrallèle vivant des deux sexes, par un sol-
dat ; Amsterdam et Paris, Dufour. 1769 ; in-16°, 64 p.
DOYEN, Madame, veuve la Fontaine, le Triomphe des femmes ou
le paradoxe de 1766 confondu. Dissertation où l'on prouve que la
femme est de l'espèce humaine, Amsterdam, la Compagnie, 1767 ; un
vol. in-12°.
DUCHÉ. Jean, le Premier Sexe, Paris, R. Laffont, 1972 ; in-8°, 489
p. ( = BN 8° R 74713).
Épistre à M.D.*** sur son dialogue ou Satire X contre les femmes,
Lyon,. (1694) ; in-16°, 5 p. ( = BN Rés Z 3249) [atttribué à Gacon].
FONTAINE, Charles, la Contr' Amye de Court, Paris, Adam Saul-
nier, 1543 [et Lyon] ; in-8°, 27 ff. ( = BN Rés.p.Ye 479)
GEDICUS, Simon, (ou GEDICKE), Defensio sexus muliebris, opposi-
ta futilissimœ disputationis recens editce, quœ [...] blasphème conten-
ditur mulieres homines non esse, Lipsiae, M. Lautzenberger, 1595.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 214

GOUGES, Olympe Aubry de, les Droits de la femme. À la Reine,


s.l.n.d., in-8°, 24 p. (BN *E 5568).
GUEVARA, A. de, le Mespris de la Court avec la vie rustique. Nou-
vellement traduit d'Espaignol en Françoys. —l'Amye de Court — la
Parfaicte amye — la Contr' Amye — l'Androgyne de Platon — l'Expé-
rience de l'Amye de Court contre la contr'amye — le nouvel Amour,
Paris, Jehan Ruelle le Jeune, 1568 ; un vol. in-16° ( = BN Z 32348).
HABERT. François, le Songe de Pantagruel, avec la déploration de
feu Messire Anthoine Du Bourg, Chevalier, chancellier de France,
Paris, Adam Saulnier, 1542 ; pt. in-4°, 24 ff. ( = BA'Rés Ye 1688).
HABERT. François, la Nouvelle Vénus par laquelle est entendue
pudique amour, Lyon, Jean de Tournes, 1547 ; in-8°, 45 p. ( = BN
Rés. Ye 1691).
HOENIGER, Nicolaus. Propugnaculum castitatis ac pudicitiœ forti-
tudinis constantiœque tam virginum quam uxorum..., Basiliae, Sebas-
tianum Henricpetri ; 1575 ; in-8°, 751 p. (Brux. III 29417 A).
JOHNSON. Abraham, Lucina sine concubitu. Lucine affranchie des
loix du concours, s.l., 1750 ; broch. in-16°.
Lucina sine concubitu... dans laquelle il est pleinement démontré,
par des preuves tirées de la théorie & de la pratique qu'une femme
peut concevoir et enfanter sans le commerce de l'homme [Suivi de]
John ROE, Concubitus sine Lucina ou le Plaisir sans peine, Londres,
J. Wilcox, 1786 ; in-18°, 144p. (Brux. II 90623 A).
LA BORIE, François Arnault, Anti-Drusac ou Livret contre Drusac
faict à l'honneur des femmes nobles, bonnes et honnestes, par ma-
nière de dialogue, Toulouse, Jaq. Colomies, 1564.
[181]
LE FEVRE DE RESSON. Jean, le Rebours de Matheolus [composé fin
du XIVe siècle], Paris, M. Le Noir, 1518 ; in-4° goth., sign. A-L [ =
BN Rés Ye 256 ].
LESAGE. D'ORNEVAL et ANSEAUME. le Monde renversé, opéra co-
mique en un acte, Paris, Duchesne, 1753 ; in-8°, 49 p. + mus. [ = BN
&° Yth 12015].
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 215

LESNAUDERIE, Pierre Lemonnier de, la Louenge de mariage et re-


cueil des hystoires des bonnes, vertueuses et illustres femmes, Paris,
Pierre Sergent, s.d. ; in—4° goth., sign. A-R ( = BN Rés. m. r. 86).
MAROT, Jean, Les OEuvres, Paris, A. -U. Coustelier, 1723 ; in-12°,
266p. ( = BN Ye 7325).
Mes idées sur l'éducation du sexe, Mannheim, CF. Schwan, 1778 ;
in-24°, 75 p.
MICHELET. Jules, la Femme. Paris, Hachette, 1860 ; in-12°, LX-
VIII - 396p. ( = BN 8°R 18292).
MICHELET. Jules, la Sorcière ; Paris, Didier, 1952—1956 ; 2 vol.
in-12°.
MONTAGU, Ashley, la Supériorité naturelle de la femme (The na-
tural Superioritv of Women), Paris, Buchet-Chastel, 1968 ; in-8°,
208p. (éd. orig. en anglais : 1952).
MURÂT. Henriette-Julie de Castelnau, comtesse de, la Défence des
dames, ou Mémoires de Mme la Comtesse de *** avant sa retraite,
Lyon, T. Amaulry, 1697 ; 2 vol. in-16° ( = BN Y252539-52540).
PLUTARQUE, Plutarci philosophi de Virtutibus mulierum traductio
per Alamanum Ranuti-num civem Florentinum, Brixiae, 1485 : un vol.
in-4° (B. Mus. IA 31081).
POULLAIN DE LA BARRE, Françoys, De l'Éducation des dames
pour la conduite de l'esprit dans les sciences et dans les mœurs. En-
tretiens. Paris, J. Du Puis, 1674 ; in-12°, 358p. ( = BN R 47378). (Édi-
tion originale - 1671 = BN R 47377.)
PRADON, Nicolas (?), Réponse à la satire X du sieur D***, Paris,
R.J.B. de La Caille. Cavelier et Osmont, 1694 ; une brochure in-12°.
(= BNYe 30686).
RÉTIF de la BRETONNE, les Gynographes, ou Idées de deux hon-
nêtes femmes sur un projet de règlement proposé à toute l'Europe
pour mettre les femmes à leur place et opérer le bonheur des deux
sexes, La Haye, Gosse et Pinet. 1777 ; in-8°, VIII-568 p. [= BN Rés
R. 2770].
ROE. Richard, Concubitus sine Lucina, ou le Plaisir sans peine,
trad. Richard Rœ, Londres, 1752 : in-16°, 70 p. (= BN 8° Tb 71.
47A).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 216

ROUSSEL, docteur Pierre. Système physique et moral de la femme...


Paris, Vincent, 1775 ; in-12°, XXVI-380p. ( = BN 8° Tb 12 5).
SAINTE-COLOMBE, Etienne-Guillaume (?) La Femme comme on
n'en connaît point ou Primauté de la femme sur l'homme, Londres,
Gabriel Goldt, 1786 ( = Paris) ; in-12°, 165p.
TAGEREAU. Vincent. Discours sur l'impuissance de l'homme et de
la femme Sec, Paris. A. Du Brueil. 1611 : in-8°. 191 p. (= BN E 4579).
THOMAS, Antoine-Léonard, Essai sur le caractère, les mœurs et
l'esprit des femmes dans les différers siècles, Paris. Moutard, 1772 ;
in-12°, 158p. ( = Brux 17487 A [2]).
VOLTAIRE. « Femmes soyez soumises à vos maris, » in Mélanges ;
Paris. Gallimard. 1961 ; p. 1279 & suiv.
[182]
WOLLSTONECRAFT (GODWIN) Mary. A Vindication of the Rights of
Woman. With Slrictures on political & moral Subjects, London,
1792 ; un vol. in-8° ( = B. Mus 523 g 3).
WOLLSTONECRAFT (GODWIN), Mary. Défense des droits des
femmes, suivie de quelques considérations sur des sujets politiques et
moraux, Paris et Lyon. 1792 ; un vol. in-8° (B. Mus 523 g 4).

C. Annexe :
Textes misogynes et « sexistes » évoqués ou cités

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(ACIDALIUS. Valens), Disputatio perjocunda qua anonvmus pro-


bare nititur mulieres homines non esse, Leipzig, 1595 : un vol. in-4°
(et La Haye, 1635, etc.). (Voir aussi plus bas : PARADOXE sur les
femmes...)
Avis aux femmes sur le ur nudité d'épaules & de gorges, s.l.,
(1682) ; in-24°, 4p. ( = BN, Rés. Z 3245).
BARBANTANNE. Père Achille de, le Discours sur les femmes, Avi-
gnon. Vve de Alexandre Girouxet Paris, L.C.Q.D.A.. 1254 (sic pour
1754) ; in-12°. 72p. ( = BN R 27534).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 217

BOCCACE, Jean, le Laberinthe d'amour de Messire J.B. autre-


ment Invective contre une mauvaise femme. Mis nouvellement d'Ita-
lien en Françovs, Paris, Jan Ruelle, 1571 : in-16. 144ff. (= BN Rés Y2
2255).
[BOILEAU-DESPRÉAUX. Nicolas] Dialogue ou Satire X sur les
femmes, du Sieur D[espréaux]. Paris, Denis Thierry, 1694 : in-16°.
24p. (= BN Z3249 [3]).
BOUDIER de VILLEMERT, P.J., l'Ami des femmes, s.l. 1758 ; in-12°,
188p. ( = BN Rés Z3216 et Brux. III 17516 A ; autres éditions : s.l.
1774, Londres et La Haye, 1779 ; éd. citée : Paris. Royez, 1788 ; in-
8°. 322p. ( = BN 8° R 18716).
Le Caractère d'une femme sans éducation, Cologne. Samuel Ren-
trok (vers 1700) ; in-24°, 222p.
CATALANI Vincenzo, L'Ami du beau sexe - l'Amico del bel Sesso,
ovvero Nuove reflessioni sull'infiuenza delle donne nella società...,
Bourg nella Bressa, Janinet. an XIII (1805) : 3 vol. in-8° ( = Brux. III
17518 A, BN R 30785 -7).
CLAPIÈS, ch. Voir : PARADOXE sur les femmes. . .
[ D'AILLANT de la TOUCHE], Lettres à M*** sur un ouvrage intitu-
lé « Essai sur le caractère, les mœurs et l'esprit des femmes » par M.
Thomas ; Londres et Paris, s.e., 1772 ; in-8°. 80 p. ( = BN Rés Z 3262
[7]).
Les Différens caractères des femmes du siècle. Avec la description
de l'Amour propre, Lyon. Jacques Lyons, 1695 ; in-16°. 264p. [attri-
bué à Madame de Prigny]. [Une satire du même titre attribuée à Pou-
part : Paris, 1705.]
Discorso intorno alla maggioranza dell'Huomo e della Donna
Fatto dall' Accademico Bromozo dell'Accademia de' Solleciti di Tre-
vigi, Trevigi. A. Mezzolini. 1589 ; in-4° ( = BA/Rés R 1668).
DROUET de MAUPERTU1S. J.B.. la Femme foible, où l'on repré-
sente aux femmes les dangers auxquels elles s'exposent par un com-
merce fréquent et assidu avec les hommes, Amsterdam 1755 ; in-12°,
120 p. (B. Mus. 1094. d.21).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 218

DRUSAC. Gratien du Pont de, les Controverses des sexes masculin


et femenin ; Toulouse, Colomiés, 1534 ; in-4°, 179 ff. ( = BN Rés Ye
48-49).
[183]
Entretiens d'une Dame de Qualité avec son Directeur s.l.n.d.
(1762) ; in-8°. 82 p.
FIERVILLE de l'Aigle, Cacogynie ou Meschanceté des femmes,
Caen, M. Yvon 1617 ; un vol, in-12°.
GOUSSAULT, Abbé, le Portrait d'une femme honneste, raisonnable
et véritablement chrétienne, Paris. M. Brunet. 1694 ; in-12°, 363p. ( =
Brux. VI 42945).
GUILLORÉ, F., Retraite pour les dames, Paris, Estienne Michallet,
1684 (Aussi : Bruxelles. 1685 = B. Mus. 850.d. 17).
JUVERNAY, Pierre, Discours particulier contre la vanité des
femmes de ce temps ; par Pierre Juvernay, prestre parisien, Paris,
Jean Mestais, 1635 ; in-8°. 38p. ( = BN Rés. Z 3249 [2]).
LA BORDERIE, Bertrand de, « l'Amye de Court » in Opuscules
d'amour, Lyon, Jean de Tournes, 1547 [Ed. orig. 1542 chez Gilles Co-
rozet] ; un vol, in-8° (= B.Mus. c. 39 c. 58).
LA BRUYÈRE, le Sieur de. Réplique à l'Anti-malice ou Défense des
femmes du Sieur Vigoureux, autrement dit Brie-Comte-Robert ; Paris,
1617 ; un vol. in-12°. 317p.
LE FEVRE de Resson, Jean, [ traducteur ] Le Livre de Matheolus,
poème français du XVIe siècle, Bruxelles, A. Mertens, 1846 ; 2 vol. in-
12°. [et Paris, Bouillon, 1892].
LINGON, Thierry, Speculum impudicarum mulierum, (Rome),
1523 ; un vol. in-4° ( = BN Rés R 1663).
Louanges des dames en prose et en vers, discours prononcé par
Mlle Pérette de la Babille, présidente de l'Académie des femmes sa-
vantes &c ; Lyon, A.J. Déjussieu 1736 ; in-8°, 31p. ( = BN Rés Y2 .
2664).
La Louënge des femmes. Invention extraicte du commentaire de
Pantagruel sur l’« Androgyne » de Platon : [Lyon, Jean de Tournes],
1551, in 8°, 54p. ( = BN Rés. Ye 1654).
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 219

La malice des femmes, dédiée à la plus méchante du monde. Revûë


& corrigée de nouveau, Troyes, Jean Oudot, 1732 ; in-16, 34p. [voir :
Jacques, OLIVIER,...].
MARCONVILLE, Jean de. De la bonté et de la mauvaistié des
femmes, Paris, J. Dallier, 1564, in-8°, 76 ff. ( = BN R 18275).
la Meschanceté des filles, Troyes, N. Oudot, 1656 ; in-12°, 48p. (=
BN 8° 55579).
MEUNG. Jean de [ou de MEUN], dans Guillaume de LORRIS, le Ro-
man de la Rose, publié par Ernest Langlois, Paris, Didot, 1914-1924 ;
5 vol. in-8°.
NÉVIZAN, Jean de, (NEVIZZANO, Giovanni), Sylvœ Nuptialis libri
sex... in quibus materia matrimonii, dotium filiationis, adulterii, origi-
nis, successionis et monitorialium plenissime discutitur [...] ; Parrhi-
siis. J. Kerver, 1521 ; un vol. in-8°. (Rééd. Lyon. 1526 ; Cologne.
1656. Venise, 1570 ; Lyon, 1572 ; E. Telle signale une édition de
1502 [?].)
OLIVER, Jacques, Alphabet de l'imperfection et malice des femmes,
dédié à la plus mauvaise du monde, revu, corrigé et augmenté d'un
friant dessert et de plusieurs histoires pour les courtisans et partisans
de la femme mondaine, Rouen, R. Féron, 1630 ; in-12°, 431p. (édit.
orig. Paris, 1616) ( = BN 24095 et Rés Z 3230 Pièce).
OLIVIER, Jacques, Responce aux impertinences de l'aposté capi-
taine Vigoureux sur la « Défense des femmes », Paris, J. Petit-Pas,
1617 ; in-12°. 151 p. ( =M R 24101).
[184]
Paradoxe sur les femmes où l'on tâche de prouver qu'elles ne sont
pas de l'espèce humaine, traduit d'Acidalius par Ch. Clapiès ; Craco-
vie ( = Paris), 1766 ; in-12° ( = BN R 24195).
PELLETIER-ST-JULIEN. Le démérite des femmes, poème, Paris, De-
bray. an XI ; in-12°, 52 p. ( = BN Ye 29762).
PHILALÈTHE, Timothée, De la modestie des habits des filles et des
femmes chrestiennes, Liège, Henry Stréel, 1675 ; in-12°. 168p.
PIPET, Abbé J., Instructions chrétiennes... touchant le luxe et la va-
nité des femmes, Paris, Targa, 1678 ; in-8°, 75p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 220

PLANTE-AMOUR. Chevalier (F. Bruys), l'Art de connaître les


femmes, La Haye, J. van den Kieboom, 1713 ; in-12°. XXXII - 349 p.
( = Brux. III 17514 A).
[MEUSNIER de QUERLON] Problème sur les femmes où l'on essaye
de prouver que les femmes ne sont point des créatures humaines, Am-
sterdam, La Compagnie, 1744 ; un vol. in-12° [ voir : Valens
ACIDALIUS].
RABELAIS. François. Tiers livre des faictz et dictz héroïques du
noble Pantagruel : composez par M. Franc Rabelais, docteur en Me-
dicine et Calloïer des iles Hières [...], Paris, Chrestien Wechel, 1546 ;
un vol. in-8° ( = BN Rés. Y2 2159).
RABELAIS. François Voir : la Louënge des femmes (Attribution
contestée).
ROUSSEAU, Jean-Jacques, Emile, ou De l'éducation, Amsterdam, J.
Néaulme. 1762 ; 4 tom. in-12°.
SÉBILLET. Thomas.
Voir : la Louënge des femmes (Attribution contestée).
SÉGUR, Alexandre, de, les Femmes, leur condition et leur in-
fluence dans l'ordre social chez differens peuples anciens et mo-
dernes, édition augmentée ; Paris, Corbet, 1820 ; 4 vol. in-16° (éd.
orig. : an XI = 1803). ( = Brux. VH 4545 A).
Le Tableau des piperies des femmes mondaines, où par plusieurs
histoires se voyent les ruses & artifices dont elles se servent, Cologne.
Pierre du Marteau, 1685 ; in-18°. 284p. [ =B. Mus. 8416 a48. ]. (Ed.
orig. : Paris. J. Denis, 1632. ]
VASSETZ. Abbé de. Traité contre le luxe des coëffures, Paris, Edme
Couterot, 1694 ; in-12°, 213 p. ( = BN Rés Z 3240).
VILLEMERT, B. de Voir ; BOUDIER DE VILLEMERT.
VIREY, J.-J. De la femme, sous ses rapports physiologique, moral
et littéraire, Bruxelles, Wahler, 1826 ; in-16°, IV + 456p. ( = Brux. III
58691 A.) 170.

170
On trouvera une bibliographie exhaustive des satires misogynes, pour les
XVIIe et XVIIIe siècles dans : Ehrard. Hobert. Die französiche Frauensatire
1600-1800. Marburg, s.e.. 1967 ; in-8°. 351 p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 221

Deuxième section :
Quelques ouvrages de référence

Retour à la table des matières

ABENSOUR. Léon, la Femme et le féminisme avant la Révolution,


Paris, E. Leroux. 1923 ; gr. in-8°. XXIV + 479 p.
ASCOLI, Georges, « Essai sur l'histoire des idées féministes en
France », Revue de synthèse historique, 13 : 1906, 25-5, .99-106, 161-
184.
[185]
Aspects du féminisme en Angleterre au XVIIIe siècle, éd. Michèle
Plaisant, Paul Denizot, Françoise Moreux ; Lille, P.U.L., 1972 ; in-8°,
85p.
BACKER, Dorothy Anne Liot, Precious Women, New York. Basic
Books. 1974 ; in-8°, 308p.
BEAUVOIR, Simone de, le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949 ;
2 vol. in-8°.
BOUWSMA, William, Concordia Mundi. The Career and Thought
of Guillaume Postel, Cambridge, Harvard University Press. 1957 ; in-
8°, VI + 328p.
D'ALLEMAGNE, H-R, les Saint-Simoniens, Paris, Gründ, 1930 ; in-
4°. 453 p.
DESCARMES, Alain. Histoire satirique de la femme à travers les
âges, Paris, SJGI, 1947 ; in-16°, 216p.
Dow, Blanche Hinman, The Varying Attitude toward Women in
French Literature of the XVth Centurv : The Opening Years, New
York, French Studies, 1936 ; in-8°, V-290p.
Du recueil de Jamet, registre manuscrit (correspondant à Rés Z
3206, 3206 bis et ter, 3207) ; in-4°, 204 ff [ =BN Rés. E 5 (usuel)].
DUHET, Paule-Marie, les Femmes et la Révolution, 1789-1794, Pa-
ris, Julliard, 1971 : in-16°, 240p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 222

EAUBONNE, Françoise d', le Complexe de Diane. Érotisme ou fémi-


nisme, Paris, Julliard. 1951 ; in-8°. 301p.
FAGNIEZ, Gustave, la Femme et la société française dans la pre-
mière moitié du XVIIe siècle, Paris, J. Gamber, 1929 : in-8°. XXII +
397p.
GAY, J., Bibliographie des principaux ouvrages relatifs à l'amour,
aux femmes, au mariage, Paris, Lemonnyer et Gilliet, 1893-4 ; in-4°,
4 vol.
GIANERI, Enrico. Storia del femminismo, Milano, Omnia, 1961 ;
in-8°, 378p.
GUILLERM-CURUTCHET. Luce et al, la femme dans la littérature
française et les traductions en français du XVIe siècle, Lille, Publica-
tions de l'université de Lille III, 1971 ; in-4°, 304 p.
GONCOURT, Edmond et Jules de. la Femme au XVIIIe siècle. La so-
ciété, l'amour, le mariage, Paris, Flammarion, 1938 ; in-16°. 160p.
HAYS, Hoffmann Reynolds. The Dangerous Sex. The Myth of Fe-
minine Evil, London, Methuen. 1966 ; in-8°. 315p. ( = B. Mus. X
529/2542).
KELSO, Ruth, Doctrine for the Lady of the Renaissance, Urbana,
University of Illinois, 1956 ; in-4°. 475p.
LAIGLE, Mathilde, le Livre des trois Vertus de Christine de Pisan
et son milieu historique et littéraire, Paris. H. Champion. 1912 : in-8°.
XII + 375p.
LARCHER. L.— J., Satires et diatribes sur les femmes, l'amour et le
mariage, avec un réfutation, Paris, A. Delahays, 1860 ; in-16°, 283p.
LEDERER, Wolfgang Gynophobia ou la peur des femmes, Paris,
Payot, 1970 ; in-8°, 330p. (traduit de l'anglais).
LEFRANC, Abel, « Tiers-Livre et querelle des femmes » in Rabe-
lais. Paris. Albin-Michel, 1953 ; p. 261-315.
[186]
MAULDE DE LA CLAVIÈRE, R. de. Vers le bonheur ! Les Femmes
de la Renaissance, Paris, Perrin, 1898 ; in-8°. 717 p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 223

MEYER. P., « Plaidoyer en faveur des femmes », Romania, VI :


1877 : p.501 et suiv.
O'NEILL, William L., The Woman Movement in the United States
and England London, Allen & Unwin - New-York, Barnes & Noble,
1969 ; in-8°, X-208p.
ORSIER, Joseph, H. C. Agrippa, sa vie et son œuvre, d'après sa
correspondance, 1486-1535 ; Paris. Chacornac, 1911 ; in-8°, 142p.
( = BN 8° M 15708).
OULMONT, Christian, « Gratien du Pont de Drusac, et les
femmes » ; Revue des études rabelaisiennes, Paris, 1904 ; pp. 1-28 &
135-153.
PAYER, Alice de, le Féminisme du temps de la Fronde, Paris, Fast,
1922 ; in-8°, 207p.
POOLE. Gordon, « Aile origini délie concezione borghese délia
donna » Idéologie, 15 : 1971.
PROST A., les Sciences et les arts occultes au XVIe siècle..., Paris,
Champion, 1881-1882 ; 2 vol. in-8°.
REYNIER, Gustave, la Femme au XVIIIe siècle, ses ennemis et ses
défenseurs ; Paris, Pion, 1933 ; in-8°, 276p.
SCHIFF. M., la Fille d'alliance de Montaigne, Marie de Gournay...,
Paris, Champion 1910 ; in-16°, 147p.
Suitte des femmes, commençant par le n° 35 (du recueil de Jamet) ;
manuscrit in-4°, 170 ff [= BN Rés. E 5 (Usuel)].
TELLE, Emile, l'Œuvre de Marguerite d'Angoulème reine de Na-
varre et la Querelle des femmes, Toulouse, Lion & fils, 1937 ; in-8°,
419p.
VÈZE, Raoul, les Femmes et la galanterie au XVIII e siècle...
d'après les mémoires, chroniques, libelles et pamphlets du temps... Pa-
ris. H. Daragon. 1907 ; in-8°, VII-280p. ( = BN 8°Li2 165).
ZONTA, G., Trattati del Cinquecento sulla donna, Bari, Laterza,
1913 ; in-8°, 409p.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 224

[187]

Champions des femmes.


Examens du discours sur la supériorité des femmes
1400-1800.

Chronologie
des principaux écrits
du corpus  171

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1485 [Éd, princeps] FRANC, le Champion des


Dames (écrit en 1442).
Vers 1490 LA CHAMBRE (Lucenne), le Triomphe des
femmes (écrit vers 1440).
1492 LA MARCHE, Parement et triomphe des
femmes.
1497 C. DE PISAN, le Trésor de la Cité des Dames
(composé en 1404, première édition impri-
mée).
1509 AGRIPPA, De nobilitate & praecellentia foe-
minei sexus (publié en 1529).
Début du XVIe siècle PONT-ALAIS, La
Louange des Dames.
1518 [Éd. princeps ] LE FEVRE, le Rebours de Ma-
theolus [composé à la fin du XIVe siècle].
1536 BOUCHET, le Jugement poétic...
1541 HABERT, Louënge et haultesse du sexe fémi-

171
Se référer à la bibliographie. Les titres sont donnés ici sous forme abrégée.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 225

nin.
1542 HEROËT, la Parfaicte Amye.
1543 LANDI, Paradosso...
1549 DOMENICHI, la Nobiltà delle donne.
1553 POSTEL, les Très Merveilleuses Victoires des
femmes...
1553 ESTIENNE, Pour les femmes...
1555 BlLLON, le Fort inexpugnable du sexe fémi-
nin.
1564 LA BORIE, Anti-Drusac...
1574 MARINELLO, Ornamenti delle Donne...
1571 TAILLEMONT, Discours des champs faëz...
1578 VIVANT, Traité de l'Excellence... (voir 1509).
1581 ROMIEU, L'excellence de la femme surpasse
celle de l'homme.
1594 PONTAYMERI, Paradoxe apologique...
1596 LE DELPHYEN, Deffense en faveur des
dames...
1599 BRINON, le Triomphe des dames.
[188]
1600 FONTE. Il Merito délie donne.
1600 MARINELLA. le Nobiltà et eccelenze...
1602 MIREMONT. Apologie pour les dames.
1606 CANONHIERO, Della Eccelenza delle donne.
1617 VIGOUREUX, Défense des femmes.
1618 L'ESCALE, le Champion des femmes.
1618 ***, l'Excellence des femmes, avec leur ré-
ponse...
1621 BERMEN, le Bouclier des dames.
1622 GOURNAY, Égalité des hommes et des
femmes.
1622 BRONZINI, l'Advocat des dames.
1625 MEYNIER, la Perfection des femmes.
1629 ANGENOUST, Paranymphe des dames...
1632 Du BOSC, l'Honneste femme.
1640 SAINT-GABRIEL, le Mérite des dames.
1641 MACHON, Sermon apologique en faveur des
femmes.
1642 NERVÈZE, Apologie en faveur des femmes.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 226

1643 L.S.D.L.L., La femme généreuse, qui montre


que son sexe est supérieur...
1645 Du BOSC. la Femme héroïque.
1646 Soucy, le Triomphe des Dames.
1650 GILBERT, Panégyrique des Dames...
1665 GUILLAUME, les Dames illustres...
1673 POULLAIN, De l'égalité des deux sexes.
1675 POULLAIN, De l'excellence des hommes...
1685 CHAUSSÉ, Excellence du mariage et apolo-
gie des femmes.
1685 ***, la Liberté des Dames.
1685 ***, Traité agréable et curieux...
1690 POULLAIN, Dissertation ou discours...
1694 PERRAULT, Apologie des femmes.
fin du XVIIe siècle ***, le Triomphe des femmes.
1698 NOËL, les Avantages du sexe.
1701 NOËL, le Triomphe des femmes.
1712 ***, Apothéose du beau sexe.
1713 ***, Apologie des femmes...
1713 AGRIPPA, De la grandeur et de l'excellence
des femmes (traduction nouvelle).
1719 ***, Le Triomphe du beau sexe.
1729 ***, Apologie du beau sexe.
1737 GALIEN. Apologie des dames.
1740 GUYON. Histoire des Amazones.
1744 LA COSTE, la Supériorité des dames.
[189]
1749 DlNOUART, le Triomphe du sexe.
1750/1751 PUISIEUX, le Triomphe des dames.
1753 CAFFIAUX, Défense du beau sexe.
1754 M **, Lettre au Chevalier de K **
1754 J **, la Malice des hommes.
1755 PRÉTOT, le Triomphe des dames.
1758 LA RIVIÈRE, Le Partisan des femmes.
1760 VlTTORIA. le Sexe vengé...
1765 BOUSSANELLE. Essai sur les femmes.
1767 DOYEN, le Triomphe des femmes.
1770 ***, Apologie des femmes avec des notes his-
toriques.
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 227

1772 THOMAS, Essai sur le caractère des


femmes.
1773 COULON, Éloge du beau sexe.
1785 COICY, Les femmes comme il convient de les
voir.
1787 GACON-DUFOUR, Mémoire pour le sexe...
1797 DELL'ACQUA, Essai sur la supériorité intel-
lectuelle de la femme.
1801 LEGOUVÉ le Mérite des femmes...

[190]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 228

[191]

TABLE DES MATIÈRES


Introduction [1]

Première partie : historique [7]

Chapitre I. Jusqu'à la fin du seizième siècle [9]


1. Le Moyen Âge [11]
2. Martin Le Franc, 1442 [16]
3. Rodrigue de la Chambre, traduit par F. de Lucenne vers 1490 [17]
4. Le XVIe siècle, généralités [20]
5. Misogynes du XVIe siècle [22]
6. Cornélius Agrippa, 1509 [28]
7. Jean Bouchet, 1536 [31]
8. François Habert, 1541 [32]
9. Antoine Héroët et la « Querelle » de 1541 [32]
10. François de Billon, 1553 [34]
11. Guillaume Postel, 1553 [37]
12. Marie de Romieu, 1581 [43]
13. Alexandre de Pontaymeri, 1594 [43]
14. Pierre de Brinon, 1599 [44]

Chapitre II. Le dix-septième siècle [45]


1. La contre-offensive de Maître Jacques Olivier, 1617 [47]
2. Le Capitaine Vigoureux, 1617 [50]
3. Le Chevalier de l'Escale, 1618 [51]
4. Louis de Bermen de la Martinière, 1621 [51]
5. Marie de Gournay, 1622 [53]
6. Autres apologistes avant Poullain de la Barre [55]
7. Poullain de la Barre, 1673 [58]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 229

8. Jacques Chaussé de la Terrière, et divers autres [66]


9. C.M.D. Noël, 1698 [67]
10. Écrits misogynes aux XVIIe et XVIIIe siècles [67]

Chapitre III. Le dix-huitième siècle [71]


1. L'Apothéose du Beau-Sexe, 1712 [75]
2. Panégyriques publiés entre 1715 et 1744 [77]
3. L'Abbé Dinouart, 1749 [79]
4. P. et M. Florent de Puisieux [80]
5. Le Père Caffiaux, 1753 [81]
6. Lettres au Chevalier de K***, 1754 [82]
7. Boudier de Villemert (1758), et le sexisme philosophique [83]
8. Jusqu'en 1789 [88]
9. Les premières féministes : Olympes de Gouges et Mary Wollstonecraft,
1792 [90]
10. Le chevalier dell' Acqua, 1797 [93]
11. Au dix-neuvième siècle [94]

Deuxième partie : thématique [99]

1. Arguments tirés de la Genèse. [101]


2. Différences et avantages physiques [107]
3. Rôle de la femme dans la génération [109]
4. La femme-médecin, la femme-médecine [113]
5. Beauté [117]
6. Vertus morales [122]
7. Pudeur et chasteté [126]
8. Supériorité intellectuelle [134]
9. Talent politique et vertus guerrières [139]
10. La femme, « âme de la société » [142]
11. L'éducation des filles [144]
12. Le Règne des femmes [148]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 230

Éléments de conclusion [151]


Pratique de l'argumentation et genre littéraire [151]
Ensemble idéologique [159]
Discours du libidinal [169]

Bibliographie [173]
Première section [193]
A. Corpus principal [173]
B. Annexe : autres ouvrages [179]
C. Textes misogynes et « sexistes » évoqués ou cités [182]
Deuxième section [184]
Ouvrages de référence [184]

Chronologie des principaux écrits du corpus [187]

[194]
Marc Angenot, Champions des femmes... (1977) 231

[195]

Achevé d'imprimer
à Montréal, le 2 décembre 1977
sur les presses de l'Imprimerie Jacques-Cartier Inc.

Fin du texte

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