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06/07/2023 11:28 Architecture et littérature - Écrire et/ou bâtir chez Frank Lloyd Wright se (1954) - Presses universitaires de Provence

Presses
universitaires
de
Provence
Architecture et littérature  | Pierre Hyppolite,  Antoine
Leygonie,  Agnès Verlet

Écrire et/ou bâtir


chez Frank Lloyd
Wright se (1954)
À propos de The Natural Hou

Claude Massu
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p. 71-78

Texte intégral
1 Comme Le Corbusier, Frank Lloyd Wright (1867-1959) est
un architecte qui a beaucoup écrit. Son œuvre construite
retient davantage l’intérêt que son œuvre écrite. Pour
autant, sa production écrite abondante fait partie intégrante
de son œuvre. On ne saurait la minimiser. On doit à Wright
une dizaine de livres. Ces écrits rassemblent des textes de
statuts différents  : analyses d’édifices, exposés doctrinaux,
manifestes, explications techniques, narrations, anecdotes,
dialogues, autobiographies, portraits, etc., mais aussi pages
à prétention littéraire inspirées par les lectures et la culture
de l’architecte. Ce vaste corpus de discours témoigne d’un
rapport constant entre le construire et le narratif. Ce rapport
change selon les étapes de la longue carrière de Wright, mais
il repose aussi sur des continuités, comme le montre la
manière dont il reprend et complète ses textes antérieurs.
Cette pratique fréquente de la reprise, du montage et de
l’usage des images par rapport aux textes conduit à
s’interroger sur les rôles de l’écrit par rapport au bâti dans
l’œuvre de Wright. Pour cerner plus précisément ces
questions, le livre The Natural House (1954) s’impose
comme un des textes les plus attrayants et les plus
représentatifs de sa méthode d’écriture. Il constitue le noyau
autour duquel réfléchir à ces diverses questions.

L’architecte écrivain
2 Rappelons brièvement les principales publications de
Wright. La conférence prononcée en  1901  à la Hull House à
Chicago sur le thème «  The Art and Craft of the Machine  »
est rapidement devenue un texte de référence pour
comprendre la pensée de l’architecte. En 1910, Wright rédige
la préface au fameux portfolio publié par l’éditeur berlinois
Wasmuth Ausgeführte Bauten und Entwürfe qui présente
sous une coloration japonisante ses projets et réalisations
jusqu’en  19101 . L’ouvrage contribue à faire connaître les
Maisons de la Prairie au public amateur européen.
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En  1912  paraît l’essai sur l’estampe japonaise The Japanese


Print  : An Interpretation, texte parfois sous-estimé mais
fondamental. Il s’agit de son premier ouvrage en tant que tel,
en dehors des articles, conférences et préfaces. «  In the
Cause of Architecture  » est une série d’articles publiés dans
Architectural Record à partir de 1927. Modern Architecture
rassemble le texte des conférences données à l’université de
Princeton en 1930.
3 1932  est une année charnière pour les écrits de Wright. En
pleine période de la grande crise économique, il fait paraître
la première version de son Autobiography et, en lien avec
son projet urbanistique Broadacre City, The Disappearing
City. Ce premier écrit sur l’urbanisme sera par la suite revu,
mis à jour et corrigé. Les deux versions de l’autobiographie
(1932  et  1943) constituent le grand repère bibliographique
de l’architecte2 .
4 Son activité éditoriale Wright ne faiblit pas après la seconde
guerre mondiale alors qu’il est âgé de quatre-vingts ans et
plus. En  1949, il rend hommage à Louis Sullivan dans un
livre intitulé Genius and the Mobocracy. The Future of
Architecture (1953) est suivi en 1954 de The Natural House.
A Testament (1957) est une récapitulation de son œuvre et
de sa doctrine. Un an avant sa mort, Wright publie
en  1958  The Living City, ultime avatar de ses écrits sur
Broadacre City.
5 L’écrit a donc toujours été présent dans la carrière de
Wright, qui a même réalisé des mises en page de revue,
comme en témoigne en  1938, le numéro de janvier
d’Architectural Forum consacré à son œuvre.

The Natural House comme collage


6 The Natural House, publié en  1954, est un montage de
plusieurs textes regroupés en deux grandes parties
chronologiques3 . La première partie, sous-titrée «  Book
One  : 1936-1953  », rassemble plusieurs écrits parus
antérieurement. Le premier chapitre, «  Organic
Architecture », est paru à l’origine en 1936 dans la revue The
Architect’s Journal à Londres. Les chapitres «  Building the

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New House », « In the Nature of Materials : a Philosophy »,


«  The Usonian House I  » et «  The Usonian House II  » sont
extraits de la deuxième version de l’Autobiography publiée
en  1943. «  Concerning the Usonian House  » est écrit à
l’occasion de l’inauguration en novembre  1953  de
l’exposition sur le site du futur Solomon Guggenheim
Museum de New York, intitulée Sixty Years of Living
Architecture : The Work of Frank Lloyd Wright.
7 La seconde partie de The Natural House, sobrement
intitulée «  Book Two  : 1954  », contient des textes inédits
écrits ad hoc. Ces écrits d’origine disparate ont cependant
une unité dans la mesure où ils sont centrés presque
totalement sur la question de la maison pour tous dans la
culture démocratique américaine, ce que Wright appelle la
maison usonienne d’après le néologisme « Usonia » forgé par
l’écrivain Samuel Butler auteur d’Erewhon (1872) pour
qualifier les États-Unis dans leur authenticité et leur
originalité. On trouve dans le discours de Wright tout à la
fois des considérations philosophiques, esthétiques,
théoriques et pratiques.
8 L’article «  Organic Architecture  » date de  1936. Fils de
prédicateur, Wright ne dédaigne pas d’imprégner ses écrits
d’accents bibliques. Par exemple, la phrase «  L’époque est
advenue et l’époque ne l’a pas connu  » est une variante du
verset  11  du prologue de l’Évangile selon saint Jean dans la
version autorisée de la Bible : « Il est venu parmi les siens et
les siens ne l’ont pas reçu4 ». Il emprunte aussi au procédé
littéraire illustré par John Bunyan dans The Pilgrim’s
Progress (Voyage du pèlerin) (1678-1684), à savoir la mise
en scène de personnages allégoriques comme Mrs.
Gablemore, Mrs. Plasterbuilt et Miss Flattop5 . Wright par
deux fois égratigne avec condescendance Le Corbusier qu’il
persiste à qualifier de Suisse : « quelque quinze ou vingt ans
plus tard [par rapport à  1908] un Suisse (en France) devait
redécouvrir un préalable esthétique familier6 ». Et ailleurs :
« Ces mots ont peut-être échappé au “découvreur” Suisse, il
était jeune à l’époque7 ».

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9 Le principe de la continuité plastique est à l’œuvre dans


l’architecture de Sullivan au travers du rôle que celui-ci
assigne à l’ornement. Wright fait l’éloge de son Lieber
Meister. En  1949, il devait faire paraître un livre sur ce
dernier, Genius and the Mobocracy, dans lequel il rend
hommage aux qualités ornementales du maître. L’édition
originale comprenait trente-neuf dessins de Sullivan, surtout
des dessins de détails d’ornement. La structure du livre
s’articule autour de quatre parties  : Background, Middle
Ground, Foreground et Perspectives. Le propos est ici centré
sur la personnalité artistique de Sullivan qui donne sa
cohérence à l’ouvrage.
10 Comprenant quatre extraits d’An Autobiography, The
Natural House est en continuité partielle de celle-ci.
Quelques considérations introductives sur cet écrit
s’imposent ici. Wright commence à rédiger An
Autobiography en  1926, à  59  ans, sur l’insistance de sa
compagne de l’époque Olgivanna Hinzenberg, rencontrée
en 1924 (alors que sa femme Miriam Noel refuse toujours le
divorce). Il la publie en  1932, année où se tient l’exposition
Modern Architecture : International Exhibition au Museum
of Modern Art de New York, et où paraît simultanément
l’espèce de manifeste du modernisme architectural intitulé
The International Style, de Philip Johnson et Henry-Russell
Hitchcock8 . Wright pensait intituler son ouvrage «  From
Generation to Generation » ; c’est Olgivanna qui lui suggéra
le titre plus direct d’An Autobiography. Cette première
version comporte trois livres  : «  Family Fellowship  »
(camaraderie familiale), «  Work  », «  Freedom  ». Chaque
livre s’ouvre par l’évocation d’une saison  : hiver, printemps,
été. C’est ici peut-être un souvenir des Kindergarten Chats
de Sullivan, dont la structure en quatre parties épouse le
cycle des saisons : été, automne, hiver et printemps.
11 Une nouvelle édition remaniée et mise à jour d’An
Autobiography est rédigée en 1942 et publiée en 1943. Cette
édition a fait l’objet d’une traduction française en 1955 chez
l’éditeur Plon, mais il s’agit d’une version incomplète. Elle a
été republiée telle quelle par les éditions de la Passion

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en  19989 . En  1957, soit deux ans avant sa mort, Wright fait
paraître A Testament, qui peut être considéré comme un
complément à l’autobiographie1 0 .
12 An Autobiography revêt une structure peu linéaire.
Plusieurs faisceaux s’y entrecroisent et différentes sortes de
discours sont à l’œuvre. C’est une sorte de collage d’écrits de
diverses natures. Ce procédé narratif est aussi à l’œuvre dans
l’ouvrage The Natural House. An Autobiography comporte
des espèces de petites monographies d’édifices, concernant
par exemple, le Larkin Building à Buffalo de  1903-1904,
l’Unity Temple à Oak Park de  1905-1906, les Midway
Gardens de  1913-1914, l’Imperial Hotel à Tokyo de  1915-
1922, ou les édifices Taliesin I de  1911. Wright revendique
fièrement la maison Winslow de  1893 mais se dit un peu
honteux de la maison Moore de  1895, réalisée dans un style
anglais avec pans de bois et briques. Wright avait accepté de
la dessiner pour des raisons financières car il avait une
famille à nourrir, et s’en veut d’avoir cédé, lui qui sut par
ailleurs résister aux sirènes parisiennes du puissant Daniel
H. Burnham, surnommé l’oncle Dan.
13 Des exposés doctrinaux sont intercalés dans le récit. Il en va
par exemple des pages sur la construction de la maison
nouvelle et la maison de la Prairie («  Prairie House  ») qui
sera reprise dans The Natural House. Ailleurs, Wright
disserte sur les incidences techniques et esthétiques
respectives du système poteau-poutre et de la construction
en cantilever ou en porte-à-faux.
14 On trouve enfin des événements racontés avec des dialogues
qui dramatisent le propos. Quelques cas peuvent être ici
évoqués. Le récit de la fameuse rupture avec Sullivan conduit
Wright à reconnaître qu’il avait violé son contrat en
effectuant des travaux au noir. Il rejette toutefois la
proposition de Burnham d’aller étudier à l’École des Beaux-
Arts de Paris tous frais payés pendant plusieurs années.
L’épisode de la rencontre entre les deux hommes nous vaut
un portrait vivant de l’«  oncle Dan  ». Wright raconte aussi
comment il reçut la visite de Kuno Francke, professeur invité
d’esthétique à Harvard, à l’origine de la commande du

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recueil de planches publié en  1910  chez l’éditeur berlinois


Wasmuth, et qui contribua tant à faire connaître son œuvre
en Europe. À ce propos, il confesse qu’il avait toujours aimé
la vieille Allemagne, mais jamais Paris. An Autobiography
est en outre parsemée de portraits de membres de la famille,
de collaborateurs et de clients. Cet aspect n’est pas le
moindre des intérêts du texte.
15 Le récit est imprégné de langage biblique. Il ne faut pas
oublier qu’il était né dans une famille de prédicateurs. Par
exemple, Isaïe est évoqué par deux fois, d’abord à propos du
grand-père de Wright qui avait tendance à prêcher comme
Isaïe. Le prophète est également invoqué lors de l’incendie
des bâtiments de la communauté de Taliesin II. Ailleurs,
c’est l’Évangile selon saint Mathieu qui est cité pour en
montrer l’actualité à propos des rapports architecte/client.
Un ton messianique un peu grandiloquent imprègne çà et là
le texte.
16 Plusieurs fragments d’An Autobiography sont donc inclus
dans The Natural House. «  Building the New House  »
(«  Construire la maison nouvelle  ») est un chapitre assez
souvent reproduit d’une Autobiographie, qui synthétise les
propositions de Wright en matière d’architecture
domestique. Les considérations «  philosophiques  » sont,
dans l’extrait de l’Autobiographie, intitulées « In the Nature
of Materials  : A Philosophy1 1 ». Il s’agit d’une profession de
foi en faveur du respect de la vérité des matériaux, que ce
soit le verre ou l’acier. Wright fait l’éloge du verre  : «  Le
verre, ce supermatériau tel que nous l’utilisons aujourd’hui
est un miracle1 2 ». L’acier permet la plasticité : « Un édifice
de verre et d’acier ne peut pas ne pas ressembler à ce qu’il
est. Il se doit de glorifier l’acier et le verre1 3 ». Des
considérations sur l’ornement intégral concluent cet extrait.
La technique du collage de textes antérieurs n’évite pas
certaines redites, par exemple sur l’ornement.
17 «  La maison usonienne I  », toujours extrait de
l’Autobiographie, est une analyse concrète des
caractéristiques de la maison usonienne. Wright appuie son
propos avec des illustrations de la première maison Herbert

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Jacobs à Westmoreland (Wisconsin) de  1937  et la maison


Sturges à Brentwood Heights (Californie) de  1939. «  La
maison usonienne II » est un texte court centré sur l’idée de
chauffage par gravité. Il clôt la série des textes repris d’An
Autobiography.
18 Le texte de présentation de l’exposition de 1953 sur le site du
futur musée Solomon Guggenheim à New York est un bref
écrit de circonstance, mais qui résume clairement les
caractéristiques de la maison usonienne  : enjeu
démocratique d’une telle architecture, confort de la
distribution intérieure et du plan ouvert, respect des
nouveaux matériaux. Dans ce chapitre, les illustrations de
l’exposition et leurs légendes prennent le pas sur le texte
écrit.

Un manuel de construction Faites vous-


même votre maison usonienne
19 La deuxième grande partie de l’ouvrage a été rédigée
en  1954. Ce texte inédit et original prend la forme d’une
sorte de manuel de construction. Il est rédigé dans une
langue neutre, dépourvue d’effets littéraires. À l’aide de
remarques et conseils concrets, Wright s’efforce de répondre
à la simple question  : comment réaliser une maison
usonienne ?
20 D’abord où construire ? Il répond : de préférence loin dans la
banlieue et si possible proche de la nature. La
recommandation est cohérente avec le plaidoyer en faveur de
la décentralisation urbaine qu’il avait clairement défendue
avec son projet de Broadacre City.
21 Sur quel sol construire  ? Plat  ? Pentu  ? Wright envisage les
différentes hypothèses, tout en soulignant que la maison
usonienne est faite pour s’adapter à toutes les données
topographiques. Il souligne en même temps les avantages de
la maison sur accotement entre deux talus (« the berm-type
house »), et n’hésite pas à donner des conseils en matière de
fondations, d’éclairage et d’orientation de la maison.
22 L’acier et le verre («  matériaux miraculeux1 4 ») permettent
de nouvelles libertés dans la conception des maisons
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usoniennes  : espace fluide, ample grâce à de plus grandes


portées, transparence, luminosité et lien visuel avec la nature
environnante.
23 Le sous-sol doit être éliminé car il est générateur
d’insalubrité. Wright redit ce qu’il a déjà affirmé dans le
chapitre «  Building the New House  ». Le sous-sol est «  un
endroit infect, gazeux et humide1 5 ». De même, il a la phobie
du grenier. C’est pour lui un gaspillage d’espace.
24 Wright donne des conseils sur l’isolation et le chauffage de la
maison usonienne de même que sur la forme du toit. Des
considérations pratiques suivent sur la taille de la cuisine et
les possibilités d’agrandir la maison. La cuisine, qualifiée
d’espace de travail (« workspace »), devient une partie de la
salle de séjour, du fait qu’elle cesse d’être un espace fermé.
Elle est une sorte d’alcôve du salon. Pour pallier certains
inconvénients dus en particulier aux odeurs de cuisine,
l’auteur recommande l’installation d’un système de
ventilation placé au-dessus du séjour. On voit par là que
l’architecte ne néglige aucun détail pratique de la vie
usonienne.
25 Wright consacre trois pages aux chambres d’enfants. Ce
programme lui tient à cœur, comme il l’a montré
antérieurement avec la belle et ample salle de jeu ajoutée à
sa maison d’Oak Park en 1893.
26 Le mobilier, les chaises et les fauteuils doivent être en
harmonie avec l’architecture usonienne. Dans les faits,
l’architecte conçoit des formes anguleuses aux arêtes vives,
censées être plus confortables que les styles conventionnels.
S’agissant des peintures intérieures et extérieures, il dénonce
quoi que ce soit qui serait appliqué sur le matériau brut. La
vérité du matériau doit l’emporter sur toute autre
considération. À l’air conditionné, il préfère le climat
naturel. Il illustre son propos en se référant à la colonie de
Taliesin West installée dans la chaleur du désert d’Arizona.
27 Pour le choix de l’entrepreneur de construction, Wright
conseille au futur propriétaire usonien de regarder ses
réalisations antérieures avant de se décider. La dimension
économique est constamment présente dans ses propositions

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architecturales. Les coûts de construction sont toujours


indiqués dans les légendes. La démocratisation de l’habitat
ne peut être crédible que si elle est accessible à une large
couche de la population, à savoir « le tiers moyen supérieur
de la couche démocratique de notre pays1 6 ».
28 Après l’examen rapide de ces différents points concrets,
Wright rappelle que la maison est une œuvre d’art soumise
aux règles d’une grammaire. L’architecture reste à ses yeux
l’apanage d’une pratique artistique individuelle, voire
individualiste. Pour posséder une maison usonienne, il faut
s’adresser à un architecte usonien. Wright exprime sa
défiance à l’égard du travail d’équipe (teamwork1 7 ). Cette
affirmation est d’autant plus surprenante qu’elle est
contredite par sa pratique plutôt collective dans les deux
communautés de Taliesin West et Taliesin East.
29 Suit un ensemble de plusieurs pages avec croquis techniques
aux cotes précises consacrées à expliquer le système des
« blocs textiles », c’est-à-dire une construction de parpaings
en ciment insérés dans une trame de tiges métalliques pour
constituer une paroi continue et décorée de motifs estampés.
Le discours est ici d’ordre technique. Cette architecture
«  textile  » a été expérimentée et mise en œuvre dans les
années  1920  en Californie dans les maisons Millard («  La
Miniatura  », Pasadena, 1922-1923), Storer (Los Angeles,
1923), Freeman (Los Angeles, 1923) et Charles E. Ennis (Los
Angeles, 1923-1924). Dans The Natural House, Wright
illustre son propos avec la maison Benjamin Adelman à
Phoenix (1953). Ce qu’il appelle « The Usonian Automatic »
permet de limiter le recours à des artisans spécialisés et
donc d’économiser sur le coût global de la construction. C’est
sa réponse à la question de la maison standardisée que Le
Corbusier avait résolue par son projet de maison Citrohan.
30 The Natural House se termine par un court texte intitulé
« Organic Architecture and the Orient ». Wright conclut sur
une passion qui n’a cessé de l’inspirer : sa fascination pour la
civilisation japonaise. L’architecte reconnaît une qualité
orientale dans ses édifices et postule une analogie entre la
maison japonaise et la maison usonienne. Déjà dans The

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Japanese Print  : An Interpretation, il avait souligné


l’esthétique de l’essentiel par élimination, qui lui semblait
être la grande leçon des arts du Japon1 8 . Wright aime à citer
le philosophe chinois Lao-Tseu, pour qui l’essence de
l’architecture est l’espace interne à habiter et non les murs et
toit enveloppant l’espace. Définir l’architecture par l’espace
interne place résolument Wright parmi les modernistes.

Recyclage
31 The Natural House est un texte relativement cohérent
malgré sa structure de collage et les divers niveaux
d’écriture. Cette publication est plutôt plus convaincante que
d’autres écrits wrightiens car elle est dans l’ensemble plus
concrète. Wright est souvent verbeux et confus lorsqu’il
s’essaye à philosopher. Les définitions de l’architecture
organique sont parfois contradictoires ou obscures. Son
écriture est souvent de tonalité moralisante, inspirée entre
autres par Walt Whitman, Ralph Waldo Emerson et Thomas
Carlyle. Mais dans The Natural House, il apparaît plus
convaincant et plus attachant, dans la mesure où il envisage
sous un angle pratique la construction de la maison de la
démocratie individualiste américaine, dite maison
« usonienne », en empruntant le terme à Samuel Butler.
32 L’intérêt des publications de Wright réside dans les
illustrations particulièrement soignées. Déjà pour le recueil
Wasmuth, il avait fait redessiner vues et plans de ses
édifices. Ce n’est pas le moindre intérêt de The Natural
House que la présence de plans précis à la manière des
Quattro Libri de Palladio. Cela signifie que les bâtiments
illustrés sont copiables. Plusieurs écrits de Wright, dont The
Natural House et A Testament, fonctionnent comme des
sortes d’«  ateliers de Wright  ». Les nombreuses
photographies en noir et blanc accompagnées de légendes
conséquentes font partie intégrante du propos. L’architecte
opère un travail soigné de mise en pages, comme le montre
l’édition de The Natural House.
33 Il existe une analogie entre le travail d’écriture de Wright et
son activité d’architecte. La notion de reprise, de
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récapitulation traverse son œuvre. Son grand projet


d’urbanisme, Broadacre City, a fait l’objet de trois textes,
rédigés à trois moments différents  : The Disappearing City
(1932), When Democracy Builds (1945) et The Living City
(1958). Dans une courte préface à The Living City,
l’architecte s’est exprimé sur cette dimension de mise à jour
d’un même écrit en affirmant avoir tenu compte de certaines
critiques sur le fond et la forme de l’ouvrage1 9 . Les textes
écrits dans les années  1930  au moment de la grande crise
économique lui paraissent encore pertinents vingt ans plus
tard, dans un contexte très différent. Le projet de Broadacre
City, lui-même, récapitule toutes les facettes de l’œuvre de
Wright. L’architecte y fait étalage de ses projets construits et
non construits.
34 Cette esthétique de la reprise du même se donne à voir par
exemple dans la typologie de la tour : le projet de tours pour
St. Mark’s-in-the-Bowery à New York (1927-1931) est repris
quasi tel quel pour la tour Price à Bartlesville (1952-1956),
dans un contexte urbain très différent2 0 . Un même projet est
à l’œuvre à presque trente ans d’écart. Wright fait la même
chose pour ses textes : il a tendance à les recycler en grande
partie, alors que Le Corbusier ne semble pas avoir procédé
ainsi avec ses écrits.

Notes
1. Voir l’édition française : F. L. Wright, Projets et Réalisations de Frank
Lloyd Wright, Paris, Herscher, 1986.
2. J’ai présenté en février 2006, lors d’un colloque précédent de la SFA
sur « Architecture et littérature », une communication sur la question de
l’autobiographie comme genre littéraire, et son usage par deux
architectes, en l’occurrence Sullivan, auteur de The Autobiography of an
Idea et Wright.
3. F.L. Wright, The Natural House, New York, New American Library,
1970  [1 re éd. 1954]. Les références ultérieures seront données par
rapport à cette édition.
4. Ibid., p. 17 : « The age came into its own and the “age” did not know its
own. » Le texte biblique anglais se lit : « He came unto his own, and his
own received him not. »
5. Ibid., p. 17.

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6. Ibid., p. 25 : « Some fifteen or twenty years later a Swiss (in France)
was to rediscover a familiar preliminary aesthetic. »
7. Ibid., p. 27 : « The words may have escaped the Swiss “discoverer” ;
he was young at the time. »
8. H.R. Hitchcock et P. Johnson, Le Style international, Marseille,
Parenthèses, 2001, introduction et traduction de C. Massu [1 re éd. 1932].
9. F.L. Wright, Autobiographie, Paris, éd. de la Passion, 1998, traduction
de Jules Castier (1 re éd. 1932 et 1943, 1955 pour l’édition française).
10. Id., Testament, Marseille, Parenthèses, 2005, introduction et
traduction de C. Massu [1 re éd. 1957].
11. On peut regretter que ce chapitre soit absent de l’édition française de
l’autobiographie.
12. F.L. Wright, The Natural House, op.cit., p. 45 : « This super-material
glass as we now use it is a miracle ».
13. Ibid., p. 52 : « A steel-and-glass building could not possibly look like
anything but itself. It will glorify steel and glass ».
14. Ibid., p. 151.
15. Ibid.
16. Ibid, p.  198  : «  the upper middle third of the democratic strata in
our country ».
17. Ibid., p. 185.
18. Voir C. Massu, «  L’estampe et l’architecte  : The Japanese Print de
Frank Lloyd Wright  », dans LArt, Effacement et Surgissement des
figures. Hommage à Marc Le Bot, Paris, Publications de la Sorbonne,
1991, p. 57-62.
19. F.L. Wright, The Living City, New York, New American Library,
1970, p. XV et XVI.
20. Sur cette question, voir Terence Riley, éd., Frank Lloyd Wright
Architect, New York, The Museum of Modern Art, 1994.

Auteur

Claude Massu

Université de Paris I Panthéon-


Sorbonne
Du même auteur

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Autour de The International


Style de H.-R. Hitchcock et P.
Johnson (1932) : remarques sur
le livre d’architecture aux
États-Unis in Le livre
d'architecture, XVe-XXe siècle,
Publications de l’École
nationale des chartes, 2002
San Francisco et l’architecture
contemporaine. Le de Young
Museum par Herzog & de
Meuron (2005) in San
Francisco, à l’ouest d’Éden,
Presses universitaires de
Provence, 2012
Entre abstraction et figuration
in Les historiens et l’avenir,
Presses universitaires de
Provence, 2014
Tous les textes
© Presses universitaires de Provence, 2014

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Référence électronique du chapitre


MASSU, Claude. Écrire et/ou bâtir chez Frank Lloyd Wright se (1954) :
À propos de The Natural Hou In  : Architecture et littérature  : Une
interaction en question XXe -XXI e siècles [en ligne]. Aix-en-Provence  :
Presses universitaires de Provence, 2014 (généré le 06 juillet 2023).

https://books.openedition.org/pup/11852 14/15
06/07/2023 11:28 Architecture et littérature - Écrire et/ou bâtir chez Frank Lloyd Wright se (1954) - Presses universitaires de Provence

Disponible sur Internet  : <http://books.openedition.org/pup/11852>.


ISBN  : 9791036550591. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.pup.11852.

Référence électronique du livre


HYPPOLITE, Pierre (dir.) ; LEYGONIE, Antoine (dir.) ; et VERLET,
Agnès (dir.). Architecture et littérature  : Une interaction en question
XXe -XXI e siècles. Nouvelle édition [en ligne]. Aix-en-Provence : Presses
universitaires de Provence, 2014 (généré le 06 juillet 2023). Disponible
sur Internet  : <http://books.openedition.org/pup/11762>. ISBN  :
9791036550591. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pup.11762.
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