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LES GÉNOMES
ET SES ENJEUX

Alain BUCHETON
1 – LA GÉNÉTIQUE : AU
CŒUR DES RÉVOLUTIONS
Giuseppe Baldacci SUCCESSIVES DES SCIENCES
Didier Boichard
DE LA VIE
Michel Boulétreau
Michel Caboche
Michael Chandler 1.1 LE GÉNOME, LA GÉNÉTIQUE
Claude Chevalet
ET LES SCIENCES DU VIVANT
Michel Delseny
Bernard Dujon
Annie Jacq L’aventure des sciences de la vie depuis
Pierre Legrain un siècle a été profondément marquée par la
Arnold Munnich
génétique. Sans doute plus qu’aucune autre
discipline, la génétique a été à l’origine des
Alain Nicolas
grandes révolutions biologiques successives.
Véronique Paquis Dans le public, elle est souvent devenue le
William Saurin symbole même du développement des sciences
Hélène Richard-Foy de la vie dans leur ensemble. Elle suscite, par
Jean Weissenbach les immenses perspectives qu’elle offre, espoir
et inquiétude à la fois. Elle est en effet devenue
aujourd’hui l’une des voies d’approche privilégiées
du vivant. Le véritable bond en avant dans
l’étude du développement permis par l’intrusion
de cette science est sans doute l’une des illus-
trations les plus marquantes de la puissance de
l’approche génétique. Celle-ci offre maintenant
d’extraordinaires possibilités de comprendre
les mécanismes intimes de la vie et de modifier
le vivant de façon durable. Ses implications
dans les connaissances fondamentales et ses

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applications dans les domaines de la santé et sont révolutionnés par les connaissances sur le
de l’agronomie sont considérables, avec leurs génome et les possibilités de le manipuler. Cela
retombées évidentes sur le plan économique. explique l’intérêt croissant des grands groupes
Cela suffit à expliquer les moyens consi- industriels pour ces problèmes.
dérables qui lui sont consacrés dans la plupart
des grands pays.

La génétique est une science jeune, mais 1.2 LA GÉNÉTIQUE EN FRANCE


elle est probablement celle qui, plus qu’aucune ET DANS LE MONDE
autre, a marqué de façon déterminante le
développement de la biologie. 2003 a été
l’année du cinquantenaire de la découverte de
la structure de l’ADN, l’une des acquisitions La France dispose d’atouts en génétique.
majeures de la science du XXe siècle. Cette Le travail pionnier d’un certain nombre de
découverte, permettant d’expliquer la péren- grands scientifiques a permis de former un
nité et les variations des caractères héréditaires, nombre conséquent de chercheurs dans des
leur transmission, et même d’entrevoir les domaines comme la génétique des levures, des
mécanismes de leur expression, allait dans les champignons filamenteux, de la drosophile, ou
années suivantes permettre l’accès à la connais- encore en génétique humaine.
sance précise des mécanismes intimes de la vie. Malgré l’importance du génome et l’exis-
L’ensemble des sciences du vivant allait en être tence d’un potentiel humain important, il
bouleversé. Avec la découverte des enzymes semble qu’aujourd’hui, dans notre pays, on ne
de restriction et de la transcriptase inverse et s’intéresse plus à la génétique, et que la géno-
la mise au point des techniques de séquen- mique ne soit considérée que comme un outil
çage de l’ADN, la biologie moléculaire devenait ou un moyen d’aborder certains problèmes
opératoire dans les années soixante-dix. Les (séquençage, étude des transcriptomes et
premiers vecteurs porteurs de gènes étrangers protéomes, etc.). L’étude des génomes elle-
datent de cette période, signant l’avènement même ne semble plus susciter grand intérêt.
de l’ingénierie génétique. La plus grande partie On parle même d’aire post-génomique !
de ce qui est enseigné aujourd’hui en géné- Pourtant, le problème majeur de la vie, celui
tique était inconnu il y a 20 ans. On mesure le de la relation entre le génotype d’un individu
chemin parcouru, etc. La génétique a apporté et son phénotype, reste une question d’une
une méthode et des moyens dont aucune disci- brûlante actualité plus de cent ans après la
pline biologique ne peut se passer. Les progrès naissance de la génétique. Il est encore illu-
de cette discipline liés à l’avènement de la soire, par exemple, de prédire l’ensemble des
bioinformatique et à l’essor de la technologie changements résultant de modifications des
ont abouti à la génomique, qui bouleverse génomes. Un développement bien compris de
maintenant les manières d’appréhender l’étude la génomique et de la plupart des disciplines
du vivant sous tous ses aspects. La séquence du biologiques, ne peut se concevoir sans l’apport
génome d’un nombre croissant d’organismes décisif de l’approche génétique. On ne peut
est disponible, offrant une source d’information que s’inquiéter très sérieusement de l’état du
inestimable. Les progrès de la génétique et de financement de la génétique en France, préci-
la génomique permettent désormais d’aborder sément au moment où la génomique est en
les questions biologiques de façon globale. Les plein essor.
perspectives ainsi offertes ne concernent pas
que le développement des connaissances. La D’énormes programmes sont en cours
génétique et la génomique offrent des ouver- dans le monde pour déterminer les domaines
tures d’application toujours plus proches et et la période d’expression de l’ensemble des
surtout plus importantes. Les domaines de la gènes ainsi que pour déterminer systémati-
santé, du médicament et de l’agro-alimentaire quement les résultats de leur inactivation dans

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des espèces de plus en plus nombreuses. La déterminer les origines de réplication chez les
France, à l’exception notable des programmes mammifères ou les points chauds de recombi-
sur les levures, Arabidopsis et la souris, est le naison. Les mécanismes assurant la plasticité
plus souvent absente de ces efforts. Il convient des génomes et leurs conséquences sur le
toutefois de rappeler que ces programmes, pour plan évolutif sont de mieux en mieux appré-
indispensables qu’ils soient, ne permettront pas hendés. La régulation de l’activité du génome
à eux seuls de déterminer avec précision la est aussi beaucoup mieux comprise, et, surtout,
fonction des gènes. Celle-ci requiert l’étude ces dernières années ont été marquées par la
de nombreux mutants et des interactions avec reconnaissance de l’importance des régula-
d’autres gènes. Mais il convient surtout de tions épigénétiques que l’on croyait margi-
rappeler qu’un génome ne se résume pas à nales. Ainsi, on commence maintenant à
ses phases ouvertes de lecture et que, s’il est comprendre les relations entre le fonction-
déjà difficile d’identifier les gènes à la suite nement du génome et les modifications de la
du séquençage, il est infiniment plus difficile chromatine comme la méthylation de l’ADN
encore de préciser le rôle des séquences non ou les modifications des histones, soulignant
codantes, et que les analyses systématiques, une nouvelle fois qu’un génome ne se résume
dans l’état actuel des connaissances, ne pas à ses phases de lecture. À un autre niveau,
permettront pas de résoudre ce problème, ou on commence tout juste à mettre en évidence
seulement de façon très partielle. C’est pour- les relations entre la localisation nucléaire des
tant là que se trouve la plus grande partie des gènes et leur activité transcriptionnelle. Enfin,
signaux de régulation et des séquences impli- l’une des découvertes majeures de la génétique
quées dans l’architecture du chromosome. Des a sans aucun doute été la mise en évidence
questions comme l’organisation fonctionnelle du phénomène « d’ARN interférence » (RNAi),
et la compartimentation du noyau, la stabilité et du fait de son importance comme mécanisme
les variations du génome, la régulation de l’ex- de régulation, mais aussi par la puissance de
pression des gènes, le contrôle épigénétique, l’outil qu’il constitue dans d’innombrables
restent déterminantes et sont l’objet d’activités études et par les perspectives qu’il offre en
très intenses. Dans le cadre du soutien à la thérapie. La découverte de ce phénomène
génomique, le GREG, puis les ACC-SV, ou le fondamental et universel, totalement inconnu
programme génome du CNRS, ont apporté il y a seulement quelques années, illustre à quel
un appui très significatif à la génétique qui point la recherche fondamentale en génétique
a permis aux équipes françaises de tenir leur doit être encouragée, de même qu’il illustre
place dans la compétition internationale. Il faut la portée des retombées de cette recherche.
bien constater que, en dehors du programme Dans tous ces domaines, il existe en France de
Génoplante (dont, malgré son succès, la survie nombreuses équipes souvent performantes et
n’est pas assurée au-delà de 2005), la France ne internationalement reconnues. Elles sont dans
dispose plus de programme pour soutenir cette beaucoup de cas à la limite de leur survie et,
recherche. Les grandes difficultés auxquelles si rien n’est fait, notre pays pourrait bien rapi-
le développement de la génétique s’est heurté dement perdre pied dans ce secteur décisif de
dans notre pays jusqu’aux années soixante se la recherche.
retrouvent finalement aujourd’hui.
Pourtant, les problèmes de l’organisation,
l’expression et l’évolution des génomes font 1.3 L’EXPRESSION DES GÉNOMES
l’objet d’études intenses et nombreuses dans
toutes les grandes nations scientifiques. Des
progrès considérables ont été réalisés, des Un bon nombre de laboratoires français se
questions fondamentales sont en voie d’être concentrent sur la régulation génétique et épigé-
résolues, et de nouveaux thèmes ont émergé. nétique de l’expression des génomes. Le rôle de
Ainsi, on entrevoit maintenant la possibilité de la structure chromatinienne, la méthylation de

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l’ADN, les modifications des histones (acéty- stabilité et de la plasticité génomique l’utilisa-
lation, phosphorylation, méthylation, etc.) tion des systèmes modèles est indispensable.
dans la régulation de l’expression des gènes La concentration exclusive du soutien financier
constitue un domaine dans lequel nombre sur les cellules animales ou sur les mammi-
d’équipes tiennent largement leur place dans fères serait une grave erreur. L’étude de la
la compétition internationale. réplication, recombinaison et réparation des
génomes se poursuit dans un certain nombre
Le rôle des ARN dans les régulations épigé- de laboratoires et a permis la constitution en
nétiques a été reconnu plus récemment. Les France d’une communauté qui se réunit régu-
petits ARNs non codants apparaissent de plus lièrement et interagit par des collaborations et
en plus comme ayant un rôle universel ayant été des échanges d’informations et de matériels.
conservé au cours de l’évolution, ce qui souligne Cependant, cet axe aurait besoin d’être renforcé
leur importance. Ils ont des fonctions « classi- pour éviter que la France soit distancée.
ques » dans la biogenèse des ribosomes ou le
fonctionnement du spliceosome par exemple. L’accumulation des données de séquen-
Ils contrôlent aussi l’expression génique, d’une çage a mis en relief la place massive des
part via le système d’ARN interférence qui cible éléments transposables dans les génomes, dont
la stabilité des ARN messagers, mais aussi par ils constituent une source majeure de plasticité.
des mécanismes ciblant la traduction. Ils sont Cela est particulièrement évident chez l’homme
également capables d’induire, au moins dans puisque près de la moitié de son génome résulte
le monde végétal, des modifications covalentes de transposition (notamment de rétrotranspo-
de la structure chromatinienne, en particulier la sition). Les éléments transposables jouent un
méthylation de l’ADN. Ils sont impliqués dans rôle moteur dans la plasticité des génomes et la
des processus aussi variés que le développe- structuration de la chromatine. Du fait de leur
ment embryonnaire, le contrôle de virus et aptitude à transposer, ils peuvent induire diffé-
des séquences parasites comme les éléments rents types de réarrangements chromosomiques
transposables, et le contrôle des réarrangements (insertions, délétions, inversions, translocations)
du génome dans certaines espèces. La France et contribuent au brassage génétique. Certains
n’est pas en retard dans ce domaine, mais il d’entre eux permettent même la rétrotransposi-
est important qu’un grand effort soit fait pour tion d’ARN messagers cellulaires. Des résultats
maintenir cette position. récents obtenus chez plusieurs eucaryotes
(drosophile, plantes) suggèrent également
qu’il existe une corrélation entre la présence
d’éléments transposables et d’autres séquences
répétées dans une région, et sa structuration
1.4 L’ÉVOLUTION DES GÉNOMES
sous forme d’hétérochromatine. Chez certains
organismes (ciliés, ascaris), ils pourraient être à
l’origine de l’élimination de régions du génome
L’étude des mécanismes moléculaires somatique. D’autre part, les éléments transpo-
assurant la stabilité et la plasticité des génomes, sables participent à la modulation de l’expres-
d’une part dans les organismes modèles (bacté- sion des génomes en apportant des séquences
ries, levures, nématode, drosophile, souris, régulatrices (promoteurs, enhancers, etc.) ou
Arabidopsis) et d’autre part dans les lignées suivant des mécanismes qui restent à découvrir.
cellulaires animales, connaît actuellement un Il faut enfin noter que les éléments transposa-
essor important. Les résultats montrant que la bles constituent une voie d’entrée originale et
transformation tumorale est associée à l’ins- privilégiée pour aborder l’étude des régulations
tabilité génomique, et la mise en place par épigénétiques.
le gouvernement en 2003 d’un plan de lutte
contre le cancer, expliquent en partie le déve- La France possède la seconde commu-
loppement rapide de ces thèmes de recherche. nauté (après les États-Unis) étudiant la trans-
Pour étudier en détail les mécanismes de la position sous ses différents aspects (étude

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

moléculaire des mécanismes de transposition fort contenu théorique, proposer de scénarios


et rétrotransposition, régulation, populations, argumentés, avancer des hypothèses sur les
évolution). Celle-ci est organisée, tient des mécanismes, qui ont contribué à en faire de
réunions régulières, interagit fortement, et est véritables sciences expérimentales.
en grande partie regroupée au sein d’un GDR.
Le manque actuel de moyens des laboratoires Il existe en France une très importante et
impliqués compromet fortement l’avenir de très active communauté travaillant sur la géné-
cette communauté. tique du développement, en utilisant divers orga-
nismes modèles (drosophile, nématode, souris,
Arabidopsis, etc.), ou abordant par la génétique
des problèmes tels que le développement et le
fonctionnement du système nerveux (incluant
1.5 L’APPORT DE LA GÉNÉTIQUE la mémoire et l’apprentissage). Ces commu-
AUX GRANDES QUESTIONS nautés sont généralement aidées par les actions
DE LA BIOLOGIE spécifiques destinées à soutenir par exemple la
biologie du développement, les neurosciences
ou la biologie cellulaire.
La génétique constitue une méthode d’ap-
proche essentielle pour aborder pratiquement
toutes les grandes questions de la biologie. Il
est ainsi indéniable que la génétique a été déter- 1.6 QUELQUES ÉLÉMENTS SUR L’ÉTAT
minante pour l’étude du développement. Les DES LIEUX DE LA RECHERCHE EN
travaux pionniers réalisés dans ce domaine sur GÉNÉTIQUE EN FRANCE
la drosophile en Europe et aux États-Unis ont
véritablement révolutionné la biologie du déve-
loppement. Les gènes clés ont été caractérisés. Faire un état des lieux de la recherche
Cette approche est devenue rapidement celle en génétique est une tache complexe qui
qui a fait le succès des organismes modèles. implique :
C’est aussi ce travail qui a permis de prendre
conscience de la conservation du vivant, non – de définir le contour de cette recher-
plus seulement au niveau des mécanismes molé- che ;
culaires de base de la cellule, mais à un niveau
– de pouvoir faire un état des lieux précis
supérieur d’organisation avec la conservation
des forces en jeu ;
des gènes, de leur fonction, et de la mise en
place des plans d’organisation des organismes. – de mesurer la production des groupes
Cette conservation justifie la notion d’organisme de recherche travaillant dans ce domaine ;
modèle puisque la fonction d’un gène chez
l’homme peut être recherchée, en première – de pouvoir comparer la situation de
approximation, chez l’un de ces organismes la France à celle d’autres pays européens
facilement utilisable pour l’analyse génétique. (comme l’Allemagne ou la Grande Bretagne)
et aux États-Unis.
De la même manière, l’approche géné-
tique est de plus en plus largement utilisée
dans nombre de domaines, des neurosciences
à la biologie cellulaire. La recherche en génétique

Enfin l’introduction de la génétique dans On inclut sous cette terminologie de


les sciences de l’évolution, de la biodiversité nombreux types de travaux dans les domaines
et de l’écologie leur a permis de dépasser le suivants : génétique, génétique des popu-
stade de la description ou des reconstitutions lations, évolution, structure des génomes,
historiques, pour les enrichir désormais d’un expression des génomes et son contrôle (avec

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

en particulier le contrôle épigénétique de de l’INSERM dans la génétique humaine et les


l’expression génique), modifications des aspects génétiques de pathologies telles que les
acides nucléiques, réplication et réparation pathologies vasculaires, le diabète et les mala-
de l’ADN, transcription, traduction, muta- dies métaboliques, l’immunologie. Le CNRS
genèse, transgenèse, etc. La recherche en est plus généraliste, avec une forte implication
génétique s’adresse à tous les organismes dans l’étude des ARN, l’analyse et l’évolution
vivants depuis le virus jusqu’à l’homme. des génomes, la génétique classique. Les deux
Chez l’homme elle a pour champ d’étude de organismes contribuent à la rédaction de revues
nombreuses pathologies : maladies généti- didactiques dans des périodiques internationaux
ques, prédispositions à des maladies, cancer, de premier plan, mais le CNRS est beaucoup
etc. Les méthodologies mises en œuvre sont plus actif que l’INSERM dans ce domaine.
variées : biologie moléculaire, biochimie,
biologie cellulaire, cytogénétique, génétique
classique, bioinformatique-biostatistique,
épidémiologie, évolution, biodiversité, etc. La situation au niveau international

La participation aux projets européens


est souvent prise en compte pour évaluer la
L’état des lieux productivité des groupes de recherche. C’est
un mauvais indicateur dans le domaine de la
En France, ces travaux sont menés prin- recherche fondamentale, le pré requis étant le
cipalement au CNRS, à l’INSERM, à l’INRA, au plus souvent « l’impact sociétal » qui souvent
CEA, à l’IRD, au CIRAD et dans les universités. ne fait que refléter la participation d’indus-
Les chercheurs du CNRS et du CEA se consa- triels au projet. Il y a une forte participation
crent à des études fondamentales dans l’en- de laboratoires français à de tels projets soit
semble des champs disciplinaires mentionnés dans les disciplines agro-alimentaires, soit
ci-dessus. L’INSERM est plus orienté sur dans le domaine médical sur des pathologies
des études génétiques dans les pathologies particulières. Par contre les laboratoires très
humaines. L’INRA s’intéresse aux génomes des fondamentalistes sont moins représentés.
espèces animales et végétales, principalement
celles d’intérêt agronomique. Une comparaison de la production scien-
tifique du CNRS et de l’INSERM en termes de
Au CNRS, 161 formations affichent le mot publications dans des domaines comparables
clé génétique. À l’INSERM, 87 unités et plus fournit un meilleur indicateur. Celle-ci montre
d’une centaine de formations diverses affichent une bonne activité de publication des labora-
ce mot clé. Ces laboratoires peuvent consacrer toires CNRS et INSERM, aussi bien au niveau
la totalité de leurs travaux à la génétique, mais de la qualité que de la quantité.
plus souvent avoir la génétique comme champ
d’activité périphérique.
Recommandations

La production scientifique des groupes Depuis les années soixante-dix, des incita-
tions et des soutiens ministériels et des organismes
Il est possible de trouver dans les bases de recherche à la génétique et à la biologie molé-
de données les publications par organisme de culaire ont permis la constitution progressive
recherche et par mot clé. On constate que les d’une large communauté scientifique en France.
laboratoires CNRS et INSERM publient beau- Celle-ci tient généralement bien sa place dans une
coup. Le pourcentage de publications de fort compétition internationale de plus en plus vive.
impact est sensiblement le même au CNRS et à Ces efforts sont en voie d’anéantissement du fait
l’INSERM, avec des spécificités : forte implication de l’absence totale d’actions dans ce domaine.

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

Cela est d’autant plus incompréhensible que 2 – LA GÉNOMIQUE :


des moyens gigantesques, tant publics que
privés, sont mobilisés aux États-Unis pour DISCIPLINE CENTRALE
déterminer l’organisation et comprendre le DE LA BIOLOGIE
fonctionnement des génomes. Ces moyens
sont consacrés à la fois à la génomique et à
la génétique. Des moyens considérables sont
aussi engagés dans des pays de taille compa-
2.1 QU’EST-CE QUE
rable à la France (notamment le Royaume-Uni, LA GÉNOMIQUE ?
l’Allemagne, le Japon). Les dernières subven-
tions octroyées en France à la génétique l’ont
été par le programme génome du CNRS, et Définir la génomique est un exercice
encore ces moyens étaient-ils très limités. Ce délicat, peut-être même inutile. Une approche
type de recherche, pourtant décisif, ne bénéficie génomique d’une question biologique vise à
plus d’AUCUN SOUTIEN SPECIFIQUE, hormis prendre en compte simultanément la totalité de
les efforts en génomique végétale soutenus l’information dont une cellule (ou un organisme)
par le programme Génoplante. La plupart des peut disposer, à observer la manière dont elle
équipes engagées dans cette voie ne disposent utilise cette information et les conséquences
plus que des crédits récurrents de plus en plus de cette utilisation. La cellule est un calcula-
maigres des organismes de recherche, et des teur chimique qui évalue à chaque instant son
quelques associations caritatives qui acceptent état interne et son environnement immédiat, et
encore de financer ce genre de recherche. Si produit des réponses appropriées à cette situa-
cette situation devait durer, il y a fort à craindre tion en sollicitant le stock d’instructions de son
que ces équipes s’éteindront ou réorienteront génome. Au sens large, la génomique fait appel
leurs activités dans d’autres domaines suscepti- à un ensemble d’approches expérimentales qui
bles d’attirer plus facilement des financements. s’appuient sur la connaissance d’une séquence
C’est tout un pan de la recherche française, génomique. En bonne logique une approche
sans doute l’un des plus centraux, qui est génomique devrait donc commencer par l’éta-
menacé de disparition. blissement de la séquence du génome ou, à tout
le moins, d’une grande collection d’ADNc de
Il est urgent que des initiatives soient l’organisme considéré. Cela n’est apparu qu’avec
prises pour poursuivre les efforts auparavant les premières séquences génomiques au milieu
engagés dans ce domaine vital de recherche. des années 90 et a bénéficié du développement
Une initiative majeure devrait prendre la de techniques expérimentales qui sont apparues
forme d’un grand programme sur l’étude des à peu près à la même époque ou antérieurement
génomes, lancé par le ministère de la recherche (hybridation fluorescente différentielle sur des
et les organismes de recherche, notamment le réseaux de sondes d’ADN, double hybride, électro-
CNRS, dans lequel trouverait place un soutien phorèse bidimensionnelle de protéines, etc.).
fort à la génétique et aux aspects les plus inno- Ces approches se caractérisent par une
vants de la génomique. importante « parallélisation » et nécessitent des
savoir-faire particuliers. Le développement
de technologies à l’échelle génomique
s’accompagne aussi de la nécessité de pouvoir
acquérir et gérer ces quantités massives de
données. Tant pour les équipements que pour le
fonctionnement, de telles plates-formes ont des
besoins de moyens financiers sans commune
mesure avec ceux des laboratoires académiques.
La nécessité de mutualiser et de centraliser
les ressources au niveau de plates-formes

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

technologiques conduites par des personnels Une première série de grands projets
spécialisés s’est donc, au moins en partie, portant sur l’homme, les espèces modèles prin-
imposée. Sont donc considérées dans le champ cipales (souris, drosophile, nématode, arabette,
de la génomique toutes les approches visant à etc.) et les pathogènes majeurs a été réalisée par
obtenir une image globale des processus biolo- de grands centres qui se sont dotés au moment
giques se déroulant au sein d’une cellule. Ce de la compétition avec Celera de très impor-
rapport n’a cependant pas l’ambition de faire tantes capacités de séquençage. Or, ces grands
une description même résumée de ces appro- centres sont pour l’essentiel aux États-Unis (Voir
ches, mais de se limiter à passer en revue les à la fin de ce chapitre les capacités mondiales de
efforts entrepris au niveau national et de les séquençage). Les centres américains cumulent
replacer dans le contexte international. entre eux une capacité qui engendre chaque
année une masse de données équivalentes à
trois projets de type génome humain à une
couverture de 10 équivalents génome.
2.2 SÉQUENÇAGE Du fait de l’importante capacité installée,
de nombreux projets de séquençage de grands
génomes sont en cours ou près d’être achevés.
Au niveau international, le séquençage Ils portent principalement sur le séquençage
des génomes s’est développé, depuis le milieu de génomes de vertébrés ou cordés (Fugu,
des années 80, avec l’idée forte de décrypter Tetraodon et cione sous forme d’ébauche ;
le génome humain. Cette idée a façonné une chimpanzé, chien, rat, bovin, poulet,
discipline naissante qui, depuis, a largement xénope, poisson zèbre, medaka, amphioxus,
dépassé ses enjeux initiaux et inclut maintenant Oikopleura, en cours), de protostomiens
les domaines de l’agronomie, de l’environne- (anophèle, ébauche ; abeille en cours ainsi
ment, des maladies infectieuses, de la biodiver- que d’autres branches de protostomiens notam-
sité ou, simplement, ceux de la connaissance ment les lophotrochozaires) et de plantes (riz,
fondamentale. Medicago, maïs). Il est à noter que très rares
sont les projets qui ont abouti à une séquence
Après le court prélude cartographique où la couverture est complète. La finition d’une
de l’homme, où l’exemple de Généthon a séquence représente aujourd’hui un coût sensi-
démontré à l’échelle internationale l’intérêt de blement supérieur à celui de l’établissement
la concentration des moyens, cette concentra- d’une séquence ébauche et suppose la mise en
tion s’est étendue au domaine du séquençage. place d’une équipe spécialisée qui se consacre
Celui-ci a ensuite connu une accélération au projet. D’où découle l’intérêt de collabo-
unique dans l’histoire de la biologie en raison rations efficaces entre centres de séquençage
de la compétition consécutive à l’initiative de et communauté scientifique traditionnelle, qui
la compagnie Celera et à la réponse publique devrait être la force du système français.
à ce défi pour le séquençage du génome
humain. Une course aux équipements et à la La coordination à l’échelle internationale
robotisation s’est accompagnée d’une diminu- s’établit autour de l’ISC (International Sequencing
tion spectaculaire des coûts. Cette diminution Consortium), qui est une sorte de continuation du
se poursuit avec l’introduction d’une deuxième consortium génome humain avec quelques autres
génération de séquenceurs multicapillaires. Les partenaires, notamment TIGR. Sous la pression
coûts sont à présent de l’ordre de l’euro par des bases de données et des gros groupes de
lecture dans les grands centres. Cette dimi- bioinformatique, l’ISC a adopté une charte dans
nution des coûts renforce encore l’intérêt laquelle les centres s’engagent à déposer leurs
de concentrer l’activité de séquençage pour données concernant les génomes de « commu-
pouvoir minimiser la fraction des coûts fixes nity interest » non assemblées dans les « Trace
indirects, qui varient en raison inverse du Repositories ». Il y a cependant un désaccord sur
nombre d’opérations unitaires. la définition de « community interest ».

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

Malgré la limitation de ses moyens en cours. Le travail d’inventaire des gènes est
relativement au reste du monde, la France, assez avancé chez les eucaryotes multicellu-
outre sa contribution au génome humain, a laires (plantes et animaux) et les champignons,
contribué de manière significative aux projets mais reste inexistant chez les micro-eucaryotes,
de séquençage génomique dès les années 80 et très incomplet chez les procaryotes. Avec
avec la levure et Bacillus subtilis. Ces deux l’inquiétude croissante sur les effets dévas-
projets pionniers étaient collaboratifs. Ils ont tateurs des pollutions humaines sur la bios-
contribué à développer l’idée de coopération phère, il est vraisemblable que les études de
au sein de chaque communauté scientifique génomique seront de plus en plus importantes.
(parfois pourtant de taille réduite) pour aborder Le monde marin devrait aussi offrir un vaste
les projets génome (on l’a vu avec Arabidopsis, champ d’exploration au niveau des génomes.
la paramécie, etc.). Les scientifiques français Les Français devraient pouvoir être bien placés
ont ainsi réussi à mettre à profit les moyens dans ces deux derniers domaines. De même, le
dont ils disposaient pour réaliser des projets re-séquençage de gènes ou de régions génomi-
bien visibles au niveau international. Dans le ques chez de nombreux individus d’une même
monde des microorganismes, on peut citer, espèce est une activité qui devrait augmenter.
outre la levure et B. subtilis déjà mentionnés,
le bacille de Koch (Mycobacterium tubercu-
losis, même si la séquence elle-même était
réalisée en Angleterre) et celui de la lèpre et de
mycobactéries apparentées, plusieurs bactéries 2.3 ANALYSE DES SÉQUENCES
pathogènes, quelques archae et cyanobactéries, GÉNOMIQUES
des bactéries lactiques, la première microspo-
ridie (Encepahlitozoon cuniculi), les Listeria
(dans un projet partiellement européen), et L’établissement de la séquence d’un
plus récemment Ostreococcus tauri (une algue génome s’accompagne systématiquement de
unicellulaire, l’un des plus petits génomes son analyse à l’aide d’outils informatiques.
eucaryotes), la paramécie, Photorhabdus Ces analyses systématiques portent avant tout
luminescens, d’autres levures et champignons, sur l’inventaire des gènes. Les inventaires sont
etc. Le Génoscope a joué un rôle clé dans la faits par des méthodes informatiques plus ou
majorité de ces projets. C’est de l’articulation moins automatisées et se poursuivent par une
efficace entre ce dernier et les membres de la « curation » humaine. La qualité de ces inven-
communauté scientifique que dépend le succès taires automatisés est largement dépendante
des projets de séquençage en France. du niveau de l’intervention humaine réalisée
en aval. Faute de moyens, celle-ci n’est
Il est vraisemblable que les très grands souvent plus réalisée ou au plus une seule
projets, notamment ceux qui sont financés par fois. À l’inverse, les méthodes automatisées
le NIH, vont connaître un certain ralentisse- peuvent être appliquées de manière récurrente
ment dans les années à venir. Néanmoins, du et autorisent des mises à jour périodiques des
fait de l’importante diminution des coûts, le annotations. La qualité des annotations des
séquençage prendra une autre priorité avec génomes séquencés proposées par les plates-
les génomes d’espèces d’intérêt économique, formes d’annotation internationales (Ensembl,
ou d’espèces clés pour l’étude de l’évolution, NCBI, TIGR, MIPS, etc.) est très inégale. Pour
ou encore de nouvelles espèces devenant les génomes d’organismes multicellulaires, l’in-
des systèmes modèles. En effet, l’état de nos ventaire reste très dépendant de l’existence de
connaissances sur la diversité du monde vivant ressources annexes (collection de séquences
et les écosystèmes est très rudimentaire. L’étude d’ADNc, comparaison avec des génomes situés
des génomes est la voie de choix pour ces à des distances évolutives appropriées, d’où
problèmes. L’exploration par la séquence des l’accroissement du besoin de séquençage).
branches majeures de l’arbre de l’évolution est L’apport de la génomique comparative dans

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

les annotations prend une importance croissante génotypage ont vu le jour aux États-Unis, au
avec l’accumulation des génomes séquencés. Royaume-Uni, en Allemagne, au Japon. Cette
Ces comparaisons s’appuient souvent sur des dernière est sans doute la plus importante à
outils comme tBLASTx et nécessitent d’impor- ce jour avec 300 millions de génotypes par
tantes capacités de calcul. Elles s’orientent aussi an. Contrairement au séquençage, il existe
vers l’identification de séquences conservées aujourd’hui de multiples technologies de géno-
non codantes ayant une fonction biologique. typage de SNP. Les coûts sont très variables
L’identification informatique des régions régu- d’une méthodologie à l’autre. Elles sont souvent
latrices n’a pas atteint le degré de fiabilité de développées par des entreprises privées qui les
l’établissement de modèles de gènes. La géno- commercialisent avec les réactifs associés. Les
mique comparative entre espèces très proches mêmes approches sont à considérer pour des
est essentielle pour progresser dans ce domaine espèces modèles ou d’intérêt économique. Les
(comme cela a été montré par l’étude des besoins de génotypage ne font que croître. Des
levures), d’où le besoin de plus de séquences. développements récents permettent à présent
d’identifier des procédés à coûts fortement
réduits (de l’ordre du centime par génotype) qui
apparaîtront dans un délai de un à deux ans. Il
2.4 GÉNOTYPAGE faudra être capable d’acheter et de maîtriser ces
nouvelles technologies en temps opportun.
Chez l’homme, des analyses préliminaires
La première manière d’établir un lien de déséquilibre de liaison à l’échelle du génome
entre un génotype et un phénotype repose sur suggèrent que l’essentiel des variations de
une cartographie génétique du locus respon- séquences serait regroupé sous forme de blocs
sable du phénotype. Cette question prend haplotypiques à l’intérieur desquels il n’y aurait
une importance considérable en génétique que très peu de recombinaisons et qui corres-
humaine, où l’analyse génétique se déroule pondraient pour l’essentiel à des haplotypes
dans des conditions particulières. Mais quel ancestraux conservés qui se retrouvent dans
que soit l’organisme considéré, la cartographie les grands groupes ethniques. Ces observa-
génétique s’appuie sur des méthodes de géno- tions réorientent le travail cartographique aussi
typage de variants de séquence permettant de bien chez l’homme que dans d’autres espèces.
localiser la région. La nature des variants utilisés L’établissement d’une carte de ces haplotypes
a évolué au cours du temps. Le développe- (Hap Map) est en cours à l’échelle mondiale.
ment de grandes collections de marqueurs Une première version de 600000 marqueurs est
multialléliques (microsatellites) cartographiés prévue pour fin 2004. On peut regretter que la
a transformé la cartographie de phénotypes France ne soit pas partie prenante de ce projet,
mendéliens monogéniques qui est à présent faute de financement approprié.
devenue une activité routinière. En revanche,
la recherche des locus de prédisposition géné-
tique aux maladies multifactorielles nécessite
de recourir à un génotypage massif auquel les
marqueurs multialléliques se prêtent mal. C’est
2.5 TRANSCRIPTOME
pourquoi d’importantes collections de variants
bialléliques de SNP (« single nucleotide poly-
morphism ») ont été initiées en parallèle du Les séquences de génome ont permis
séquençage du génome humain et continuent d’appliquer à grande échelle la technique
à être développées. d’hybridation différentielle fluorescente déve-
loppée par Pat Brown ou d’autres méthodes
Ce génotypage massif se réalise lui aussi d’analyse globale des transcriptomes avec
sur des plates-formes de génotypage à grande des « arrays » de sondes prédéterminées. Les
échelle. Quelques grandes plates-formes de premiers génomes séquencés comme la levure

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069-116-Chap4-T2 78 18/08/05, 16:35:54


4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

ont été les premiers à être étudiés à grande 2.6 PROTÉOMES, INTERACTOMES,
échelle (mise en évidence de réseaux de
ÉTUDES FONCTIONNELLES
régulation surtout bien avancé chez la levure,
cycle cellulaire, voies métaboliques, réponses
aux différents stress, etc.). Les collections de
mutants aident ces études globales, surtout Les techniques de protéomique sont
quand, comme chez la levure, les étique- très nombreuses. Elles cherchent d’une part à
tages moléculaires des mutants permettent de établir un inventaire des protéines dans un type
trier les gènes mutés a posteriori à partir de cellulaire ou un compartiment cellulaire parti-
mélanges complexes de nombreux mutants. culier et d’autre part à mettre en évidence des
Les applications humaines en matière de interactions entre protéines. Les finalités de ces
diagnostic, dans le domaine du cancer en techniques sont multiples, la plus importante
particulier, ont aussi été un élément moteur sur le plan fondamental visant à comprendre
dans la diffusion des techniques d’analyse du le fonctionnement des nombreux complexes et
transcriptome sur des « arrays » de sondes. Des machines à multiples composants protéiques.
sociétés commerciales proposent des réactifs Elles se heurtent encore à de grandes difficultés
(puces pangénome) et des plates-formes d’ana- techniques et, en plus de problèmes propres à
lyse clé en main (Affymetrix, Agilent, etc.). Ces chacune, n’échappent pas aux problèmes géné-
solutions commerciales apportent une standar- riques déjà mentionnés ci-dessus (reproduc-
disation qui a beaucoup fait défaut dans la tibilité, standardisation, etc.). Leur pratique à
phase de développement de cette technologie. grande échelle reste limitée à quelques plates-
La pratique de cette technologie peut être envi- formes ayant acquis une expertise encore
sagée à l’échelle du laboratoire, notamment peu répandue à l’échelle internationale. Les
pour l’appliquer à des questions biologiques informations produites par ces approches sont
utiles, mais sont surtout des points de départ
spécifiques. Mais les coûts très élevés pour
pour d’autres études plus ciblées qui devraient
les puces et les plates-formes d’analyse ainsi
être menées au niveau des laboratoires et non
que l’indispensable standardisation plaident
plus des plates-formes.
pour une concentration et une mutualisation
des moyens et des choix de priorité délicats.
Beaucoup de nouvelles techniques et
De nombreux logiciels d’analyse de données
stratégies récentes d’analyse fonctionnelle
ont aussi été développés. Le développement
des génomes ont utilisé la levure comme
des puces pangénome est aussi largement plate-forme de validation à cause du nombre
dépendant de la qualité des annotations des limité de ses gènes et des outils génétiques
génomes séquencés. L’intérêt diagnostic de disponibles (dont la collection de mutants et
ces outils notamment dans le domaine du les collections de gènes clonés sous différents
cancer a suscité le développement de grands promoteurs dans différents vecteurs). C’est avec
programmes nationaux, tels qu’en France, le la levure que furent validés la technologie de
programme systématique d’exploration des double marquage des protéines pour la puri-
transcriptomes de tumeurs, Carte d’Identité fication de complexes natifs (Tap-TAG), les
des Tumeurs, financé par la Ligue Nationale premières « chips » à protéines et la recherche
Contre le Cancer. Mais les « arrays » génomiques de fixation aux ligands, le marquage systéma-
touchent tous les domaines de recherche et tique des protéines par des épitopes artificiels
tous les organismes. Par rapport aux principaux ou par la GFP, etc., le but étant évidemment
systèmes modèles pour lesquels existent des de transférer rapidement ces techniques à des
solutions commerciales, la construction d’ar- systèmes plus complexes, dont les cellules
rays pour les nouveaux organismes séquencés humaines. C’est là précisément que les compa-
qui intéressent une communauté scientifique gnies privées ont pris immédiatement le relais,
spécifique peut rapidement devenir limitante limitant ainsi malheureusement la diffusion des
au niveau technique comme financier. connaissances dans ces domaines.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

Les collections de mutants par délétion de lancée aux États-Unis. Pour l’instant seuls les
gènes ont été construites chez la levure et chez États-Unis et le Royaume-Uni (Wellcome Trust)
B. subtilis et se révèlent des ressources très semblent concernés. Y aura-t-il une division du
utiles. Chez la levure, des cartes d’interactions travail comme pour le séquençage ?
génétiques basées sur des phénotypes synthé-
tiques sont en cours d’établissement. Générales L’inventaire des gènes pose d’emblée
ou plus spécifiques, elles font intervenir des deux questions liées qui vont devenir les
stratégies expérimentales très sophistiquées enjeux majeurs des décennies à venir. Peut-
dans lesquelles l’expertise en génétique joue on aujourd’hui prédire le phénotype résultant
le rôle essentiel. Cependant de telles collections de l’altération d’un seul élément génomique ?
de mutants resteront limitées aux organismes Plus largement, peut-on décrire l’ensemble des
pour lesquels le remplacement de gènes par caractéristiques d’un système biologique en vue
recombinaison homologue est efficace (il faut de sa modélisation ? Il faut, à de rares excep-
aussi que la proportion de gènes essentiels à la tions près, répondre modestement par la néga-
vie soit faible mais cela est probablement le cas tive à la première question. Pour certains, cette
pour la majorité des organismes). Pour d’autres prédiction passe par la résolution préalable de
organismes comme Arabidospis thaliana (mais la deuxième question. Nous devons devenir
aussi et encore la levure), l’inactivation de capable de prendre en compte l’ensemble des
gènes par transposons ou mutagenèse aléa- éléments d’un système. Les premières tenta-
toire par insertion d’ADN offre la possibilité tives de descriptions exhaustives de systèmes
d’établir des collections quasi-complètes de biologiques ont été amorcées. À nouveau, les
mutants. Selon la difficulté de caractérisation systèmes modèles les plus complets, comme
et de maintenance de ces mutants, ces collec- la levure, servent de tremplins d’essais. On ne
tions doivent être centralisées (A. thaliana) ou peut pas encore prédire les développements de
peuvent ne pas l’être (levure). Mais pour la ce domaine en émergence. Il est probable que
plupart des organismes, l’inactivation fonction- les hésitations, essais, erreurs et recentrages
nelle des gènes par interférence ARN (RNAi) seront nombreux avant que le domaine émerge
semble la voie privilégiée. C’est le cas pour réellement. L’une des difficultés est la fiabilité
Caenorhabditis elegans, par exemple. parfois limitée des données expérimentales à
grande échelle, les erreurs engendrées pouvant
masquer des phénomènes pourtant réels mais
de faible amplitude. En attendant que la capa-
cité de prédiction dont nous rêvons avec la
2.7 GÉNÉTIQUE « biologie des systèmes » devienne une réalité,
À L’ÉCHELLE GÉNOMIQUE, les approches réductionnistes traditionnelles
ET « SYSTEMS BIOLOGY » conserveront leur pleine utilité.
Les questions fonctionnelles continueront
donc largement à bénéficier des approches
Outre les projets d’étude fonctionnelle plus classiques, réductionnistes, pratiquées
déjà décrits et portant souvent sur des micro- de manière séquentielle, gène par gène ou
organismes, de gros programmes de mutagenèse protéine par protéine, mais sans toutefois
sur la souris sont en cours au Royaume-Uni et en revenir à étudier un seul système étroit et
Allemagne. Comme pour le « knock-out » systé- souvent artificiellement isolé de l’ensemble
matique des gènes, le phénotypage des animaux par un réductionnisme trop poussé. Ainsi
est crucial. Mais l’inventaire des protéines à partir l’établissement de la structure tridimension-
des séquences de génome permet de mesurer nelle de l’ensemble des protéines d’un génome,
l’ampleur de la tâche à réaliser. Une initiative l’inactivation par « gene targetting » (KO), les
visant à connaître la fonction des 30000 gènes marquages des protéines observées à l’échelle
humains en pratiquant une série d’approches intracellulaire, s’orientent vers le grand nombre
systématiques pour chacun des gènes a été et non plus le particulier.

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

2.8 CONCLUSION 2.9 CAPACITÉS DE SÉQUENÇAGE


ET DE GÉNOTYPAGE

Ces dernières années, la génomique en


France s’est, en grande partie, structurée autour Séquençage
du CNRG (Consortium National de Recherche
en Génomique), doté d’un budget modeste – États-Unis : quatre grands centres publics
comparé aux efforts américains, anglais et japo- (dont trois financés par le NIH et un par le
nais, mais qui n’est pas insignifiant. Le CNRG DOE) totalisant environ 350 à 400 séquenceurs
comprend d’une part des plates-formes natio- ABI 3730 représentant une capacité annuelle
nales pour le séquençage (Genoscope, Centre de l’ordre de 200 à 300 millions de lectures.
National de Séquençage), pour le génotypage À cela s’ajoute le « Joint Technology Center »
(Centre National de Génotypage) et, dans de la fondation Craig Venter pour la Science
l’avenir, pour la construction et le phénotypage (environ 200 machines plus une énorme capa-
de souris dont les gènes sont inactivés indivi- cité de calcul informatique) ;
duellement (Institut Clinique de la Souris, capa- – Royaume-Uni : séquençage très centralisé
cité actuelle de 300 gènes par an). Les centres au Sanger Institute (80 séquenceurs ABI 3730
nationaux poursuivent d’une part des projets et une capacité annuelle de 40 à 60 millions
propres et d’autre part des projets en collabo- de lecture ;
ration avec des équipes académiques, soumis
dans le cadre d’appels à propositions. Le CNRG – Chine : 80 machines sur deux centres ;
coordonne, dans le cadre du Réseau National – Japon : situation très éparpillée ;
des Génopoles (RNG), les plates-formes tech- plusieurs centres avec 20 à 30 séquenceurs
nologiques de génomique concentrées dans multicapillaires ;
les grands centres académiques nationaux.
Il contribue au financement des équipements – Allemagne : très peu de séquençage à
des Génopoles et au fonctionnement partiel de grande échelle ;
certains grands programmes de génomique. Les
– France : Genoscope, 16 séquenceurs
Génopoles françaises sont pour l’essentiel des
ABI 3730 (8 à 12 millions de lectures).
plates-formes de proximité pour les travaux de
génomique des équipes académiques locales.
Il était souhaité que se dégagent des plates-
formes d’envergure nationale à l’image de Génotypage
l’Institut Clinique de la Souris.
À la différence du séquençage où l’on
Comme on l’a vu à plusieurs reprises, c’est observe une technologie pratiquement mono-
de la capacité à intégrer harmonieusement les lithique, plusieurs technologies restent en
activités entre centres nationaux, plates-formes compétition (ParAllele, Illumina, Invader/Third
techniques et laboratoires classiques, que Wave, etc.). Ne sont mentionnés ici que les plus
dépendront les succès de la recherche française gros centres qui, pour la plupart, participent au
dans tous les domaines de la génomique. projet HapMap en plus de leur implication dans
des projets ciblés sur des pathologies.
– États-Unis : trois centres publics (Baylor,
Broad, NIH-Baltimore) bien identifiés, implica-
tion de fonds privés ;
– Baylor et Broad Institute (anciennement
Whitehead Genome Center) sont les contribu-
teurs majeurs aux États-Unis au projet HapMap
(participation américaine de 33 %) ;

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069-116-Chap4-T2 81 18/08/05, 16:35:57


RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

– Illumina fournit sa technologie aux humaine, celles de nature éthique, juridique


gros centres mais participe aussi directement et économique sont au premier plan.
à HapMap ;
– Baltimore est impliqué dans des projets
sur des maladies et fait du génotypage pour des
laboratoires publics ; 3.1 À LA RECHERCHE DES GÈNES
– Baylor utilise la technologie « ParAllele » RESPONSABLES DE MALADIES
et Broad et Baltimore « Illumina » ; GÉNÉTIQUES
– capacité estimée à 400 millions de
génotypes par an (100 millions de dollars) ;
Avec l’identification des premiers gènes
– Japon : un gros centre, Riken SNP responsables de maladies monogéniques au
Research Center ; 300 millions de génotypes cours des années 80, la génétique humaine
par an (65 millions de dollars). Responsable a connu un développement sans précé-
d’un quart de HapMap. A aussi un gros finan- dent. La démarche de clonage positionnel
cement (55 millions de dollars) pour des est devenue routinière et a grandement
collections de malades. Utilise les technologies bénéficié des résultats du projet génome
« Invader » et « Illumina » ; humain. On connaît à présent environ
1500 gènes impliqués dans une (ou quelque-
– Canada : Université McGill, 10 millions fois plusieurs) des quelque 5000 pathologies
de génotypes par an. Participe au projet pouvant présenter un mode de transmission
HapMap (10 %). Utilise Illumina ; monogénique, recensés au catalogue de
– Royaume-Uni : Sanger Institute. McKusick (http://www.ncbi.nlm.gov/Omim/).
Responsable de d’un quart de HapMap. La plupart des gènes responsables restent
Utilise Illumina ; donc à identifier, mais il s’agit de pathologies
de plus en plus rares (ou de formes minori-
– France : Centre National de Génotypage, taires de maladies à forte hétérogénéité de
7 millions de génotypes par an. locus) pour lesquelles il devient difficile de
rassembler des familles en nombre suffisant.
La recherche d’effets fondateurs dans des
populations isolées et de familles consan-
guines permet souvent de réduire le nombre
de familles nécessaires aux analyses. Même
3 – GÉNÉTIQUE HUMAINE si les pathologies concernées sont rares,
l’identification de ces gènes est cruciale,
non seulement pour les patients, mais aussi
Le projet Génome humain, la recherche puisqu’elle révèle les protéines qui partici-
biomédicale et les progrès réalisés dans le pent aux processus physiologiques, parfois
domaine de la génétique humaine dans les d’une grande complexité. Ainsi, du fait de
dix dernières années ont un impact important l’hétérogénéité de locus, l’analyse géné-
sur le diagnostic, la prévention et le traite- tique distingue aujourd’hui une centaine de
ment de maladies généralement incurables. formes différentes de rétinites pigmentaires
La rapidité de développement des techniques (ou de surdités non syndromiques) qui, en
recourant à la biologie moléculaire est source première analyse, présentent souvent une
de grands espoirs mais soulève également de même symptomatologie. La déconstruction
nombreux problèmes de par notre incapacité des mécanismes physiologiques hautement
à en évaluer toutes les conséquences possi- sophistiqués par l’identification des gènes/
bles dans le futur. Parmi toutes les questions protéines impliqués renouvellera profon-
découlant des progrès réalisés en génétique dément la connaissance de ces processus

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

cellulaires, tissulaires ou systémiques. Il nombre croissant de pathologies, des examens


demeure donc crucial de poursuivre l’ef- invasifs et non spécifiques. Actuellement, ils
fort d’indentification de gènes de maladies sont réalisés dans différentes situations :
monogéniques, notamment en collaborant
avec des pays dont les populations sont – le diagnostic post-natal : utilisé pour
caractérisées par des familles nombreuses, diagnostiquer une maladie chez un enfant ou un
une forte consanguinité, permettant de adulte atteint. De plus, dans un certain nombre
révéler des effets fondateurs. de cas, ces tests permettent de prédire l’appa-
rition future d’une pathologie chez un individu
Alors que de nombreux gènes de mala- sain au moment de la réalisation de l’examen
dies génétiques ont déjà été identifiés, seuls (diagnostic présymptomatique). L’intérêt de
quelques très rares facteurs de prédisposition à cette médecine prédictive est évident lorsqu’il
des maladies communes ont été découverts. Le existe des moyens de prévenir l’apparition
fait que ces recherches n’aient que faiblement de la maladie (certains cancers familiaux, par
progressé, malgré les efforts considérables déjà exemple). Par contre, en l’absence de moyen
engagés, souligne les difficultés inhérentes à préventif, les problèmes éthiques et sociaux se
ces travaux. Trois difficultés majeures viennent retrouvent au premier plan. Un autre problème
compliquer l’analyse génétique : lié au diagnostic présymptomatique concerne
– l’hétérogénéité de locus ; l’utilisation de la notion de prédisposition
génétique dans un but discriminatoire. La
– la pluralité des locus pouvant contribuer réglementation concernant la confidentialité
au phénotype chez un même individu, situation des données est primordiale si l’on veut éviter
fréquente pour les caractères quantitatifs tels leur utilisation par un employeur ou par une
que la glycémie, la pression artérielle, etc. ; compagnie d’assurance ;
– l’importance souvent considérable des – le diagnostic prénatal (DPN) : réalisé
facteurs non génétiques. sur l’embryon ou le fœtus. Il consiste à prévenir
Ces difficultés rendent l’analyse familiale la naissance d’un enfant malade. Là encore,
particulièrement ardue. D’autres approches sont les questions éthiques sont nombreuses : quel
donc mises en œuvre pour les maladies multifac- niveau de gravité nécessite le recours au DPN
torielles. Plusieurs stratégies ont été proposées qui se soldera par une interruption de gros-
et utilisées. Sur le plan technique, les espoirs sesse en cas d’enfant atteint ? Comment garantir
continuent de reposer sur la disposition d’un que ce type d’examen ne sera pas réalisé dans
nombre quasi illimité de marqueurs génétiques le but de déterminer le sexe de l’enfant à naître
(SNP ou « single nucleotide polymorphism »), pour des motifs autres que médicaux ou pour
soit pour observer directement des associations identifier des caractéristiques sans retentisse-
statistiquement significatives entre SNP et un ment sur sa santé ?
phénotype, soit pour définir des haplotypes Si le développement de tests génétiques
renfermant les allèles de prédisposition. précoces sur cellules embryonnaires circulantes
dans le sang maternel constitue un espoir
important pour le diagnostic prénatal dans les
années à venir, le diagnostic préimplantatoire
3.2 LES TESTS GÉNÉTIQUES (DPI) représente aujourd’hui une alternative
au DPN. Il permet de déterminer le statut sain
ou malade d’un embryon, au stade 8 cellules,
Une des premières conséquences de obtenu par fécondation in vitro. Le transfert
« l’explosion » des connaissances et des tech- d’embryons sains sélectionnés évite ainsi les
niques en génétique moléculaire a été le interruptions de grossesse, qui font éventuel-
développement de tests génétiques à visée lement suite à un DPN classique. Là encore,
diagnostique. Ces tests remplacent, dans un le développement de cette nouvelle technique

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

pose d’emblée un problème éthique lié au 3.3 MALADIES GÉNÉTIQUES


possible « détournement » de son indication
ET POSSIBILITÉS THÉRAPEUTIQUES
initiale. Est-il souhaitable d’utiliser le DPI
pour concevoir un enfant indemne d’une
maladie génétique, mais qui pourra égale-
ment être sélectionné sur ses capacités de À l’heure actuelle, les espoirs thérapeu-
futur donneur de cellules ou d’organes pour tiques reposent sur plusieurs types d’approches
son frère ou sa sœur malade ? De même, que qui doivent être développées parallèlement,
répondre à des parents ayant un enfant atteint telles que la production de protéines recombi-
d’une maladie non génétique et qui désirent nantes, les transplantations d’organes, la thérapie
concevoir un autre enfant HLA compatible, génique ou la pharmacologie conventionnelle.
également dans un but thérapeutique ? Si la thérapie génique a représenté l’approche
la plus « médiatisée », force est de constater, à
La réalisation de tests génétiques par un l’heure actuelle, que les résultats ne sont pas à la
nombre grandissant de laboratoires publics et hauteur des espoirs suscités.
privés, notamment en Europe, pose un certain
nombre de problèmes en santé publique :

– La fiabilité des résultats : Elle diffère Les protéines produites


d’un laboratoire à l’autre et s’explique notam- par génie génétique
ment par la difficulté à mettre en place un
contrôle qualité, la complexité de certaines Elles ont fait la preuve de leur efficacité
pathologies, les limites des tech niques et de leur innocuité dans plusieurs pathologies
utilisées et la frontière entre recherche et (les facteurs VIII et IX dans l’hémophilie, l’insu-
diagnostic souvent difficile à établir. line dans le traitement du diabète ou l’hormone
de croissance dans les retards staturaux). Leur
– L’accessibilité à tous : Si pour les production repose sur la construction d’ani-
maladies les plus courantes, chaque pays maux transgéniques qui produisent la protéine
dispose au moins d’un laboratoire capable humaine d’intérêt, par exemple dans le lait.
de réaliser le test adéquat, dans le cas de Le clonage de tels animaux s’avère intéressant
pathologies particulièrement rares, le seul pour pallier aux difficultés rencontrées pour
laboratoire disponible est souvent situé dans obtenir et maintenir des lignées transgéniques
un pays étranger. capables de produire ce type de protéines de
manière reproductible.
Se pose alors, pour la famille, le problème
de la prise en charge du coût, parfois élevé, de
l’examen et pour le clinicien, celui de l’éva-
luation de la qualité du résultat. Les transplantations d’organes

La solution passe par l’organisation Ultime solution thérapeutique pour une


d’un réseau européen de laboratoires de grand nombre de pathologies (mucoviscidose
référence. Cette organisation en réseaux, et greffe pulmonaire, cardiomyopathie et greffe
dont les bases ont déjà été posées sur le cardiaque, déficits immunitaires et greffe de
territoire français, est indispensable si l’on moelle osseuse, etc.), elle est soumise à deux
veut pouvoir, dans le futur, disposer de tests limitations majeures : un nombre de donneurs
génétiques pour les 5 000 maladies rares 1 insuffisant et le risque de rejet qui impose
recensées à ce jour. l’utilisation d’immunosuppresseurs tout au long

1. Une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’une personne sur deux mille dans la population générale. Environ
trois millions de personnes en France sont concernées par ces affections.

84

069-116-Chap4-T2 84 18/08/05, 16:36:00


4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

de la vie du patient. L’utilisation de cellules La thérapie génique


souches est potentiellement extrêmement inté-
ressante pour remplacer des cellules détruites Là encore, il faut distinguer la thérapie
ou lésées car elle permet notamment de pallier génique germinale, non applicable à l’homme,
à ces limitations. On pourrait ainsi disposer à qui consiste en une modification du patrimoine
volonté de cellules ou de tissus différenciés, génétique transmissible à la descendance, et la
susceptibles d’être réimplantés chez un malade thérapie génique somatique, qui vise à corriger
atteint d’un infarctus du myocarde ou d’une le fonctionnement anormal d’un gène dans une
chorée de Huntington. Des cellules souches cellule somatique. Dans ce dernier cas, envi-
sont présentes chez un individu tout au long sagé pour le traitement de maladies génétiques
de sa vie, depuis la période embryonnaire ou de cancers par exemple, la modification
jusqu’à l’âge adulte. Mais c’est pendant la génétique ne sera pas transmise à la descen-
période embryonnaire qu’elles sont les plus dance. Il est clair que dans ce domaine, il existe
nombreuses et donc les plus faciles à isoler. aujourd’hui un fossé entre les espoirs suscités
L’utilisation potentielle de cellules souches et les résultats obtenus. Plusieurs facteurs sont
embryonnaires obtenues à partir d’embryons à l’origine de cette déconvenue : de nombreux
humains surnuméraires (produits par fécon- problèmes techniques non résolus (choix du
dation in vitro et pour lesquels il n’y a plus vecteur, ciblage des cellules d’intérêt, etc.), des
de projet parental) suscite de vives contro- indications plus limitées que celles annoncées
verses d’ordre éthique. L’obtention de cellules au départ et surtout des risques réels de toxicité
souches embryonnaires par clonage thérapeu- ou de mutagenèse insertionnelle. Il est clair que
tique (issues d’embryons créés par transfert si le constat actuel ne doit pas faire abandonner
de noyau) permettrait de régler le problème l’espoir de guérir certaines maladies grâce à
d’immunocompatibilité entre donneur et rece- la thérapie génique, il convient d’être plus
veur. En effet, le noyau transféré proviendrait prudent à la fois sur la nature et le nombre de
d’une cellule somatique du receveur et les maladies potentiellement curables, mais aussi
cellules implantées seraient alors compati- sur les délais nécessaires.
bles pour le système HLA. Néanmoins, l’uti-
lisation d’une telle technique est également
source de vives polémiques, notamment en
raison d’une dérive possible vers le clonage La pharmacogénétique
reproductif humain, unanimement condamné.
Pour toutes ces raisons, les cellules souches Dans le cas d’un nombre croissant de
adultes, plus difficiles à isoler que les cellules maladies, l’identification du gène respon-
souches embryonnaires et dont le spectre de sable et de la protéine défectueuse a permis
différenciation est plus limité, représenteront de décortiquer les mécanismes à l’origine du
peut-être la solution dans les années à venir. déficit. Ces études fonctionnelles permettent
La possibilité pour les chercheurs d’utiliser ces d’envisager de nouvelles approches pharmaco-
cellules souches embryonnaires varie d’un pays logiques adaptées à chaque affection, voire à
européen à l’autre. En France, dans le cadre de chaque patient. On peut maintenant envisager
la révision des lois de bioéthique, le projet de d’utiliser des molécules qui vont rétablir un
loi adopté en janvier 2003 par le Sénat interdit épissage correct, modifier les conséquences
le clonage thérapeutique et reproductif et d’une mutation non sens sur la traduction,
autorise la recherche sur l’embryon humain de activer ou verrouiller une voie métabolique,
manière dérogatoire et provisoire. Néanmoins, etc. Les enjeux de la pharmacogénétique, basée
l’immense espoir suscité par l’utilisation de ces sur la définition de profils génétiques (SNP) qui
cellules souches, quelle que soit leur origine, devraient permettre de prévoir la réaction d’un
justifie l’importance des moyens humains et malade à un médicament et d’adapter un trai-
financiers qui seront investis dans les années tement « à la carte », sont également énormes
à venir. sur le plan médical et économique.

85

069-116-Chap4-T2 85 18/08/05, 16:36:01


RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

3.4 CONCLUSION les réseaux métaboliques, les réseaux de


signalisation cellulaire, les mécanismes de
régulation physiologique.
Les questions soulevées par les progrès Outre-atlantique, on distingue volontiers
de la génétique médicale sont à la hauteur « bioinformatics » et « computational biology ».
des résultats obtenus, même si ces derniers Le premier champ recouvrant l’activité de
sont encore nettement insuffisants sur le recherche, de développement et d’applica-
plan thérapeutique. Si les questions éthiques tion d’outils en vue d’étendre l’utilisation de
sont aujourd’hui au premier plan, la mise données biologiques ; ce champ de recherche
en place d’un cadre législatif clair et réfléchi inclut l’acquisition, le stockage, l’organisation,
devrait aider à y répondre. De plus, un large l’archivage, l’analyse et la visualisation de ces
consensus existe sur l’objectif principal de la données. Le second champ consiste dans le
recherche médicale qui vise à soigner le plus développement et l’application de théories,
efficacement possible et à guérir des maladies de méthodes d’analyse de données, de modé-
humaines. Ce consensus devrait également lisations mathématiques et de techniques de
aider à aplanir les divergences liées à l’émer- simulation informatique en vue d’étudier des
gence de ces nouvelles technologies. Dans le systèmes biologiques. La bioinformatique telle
domaine biomédical, il convient de préserver que nous l’entendons généralement en France
une recherche fondamentale de qualité si l’on recouvre ces deux champs de recherche.
veut garantir celle de la recherche appliquée
dans les années futures. Dans ce cadre, le Les produits de cette discipline sont des
renforcement des interactions entre chercheurs méthodes et des outils d’analyse de l’infor-
et cliniciens semble fondamental et le rôle joué mation, des bases de données permettant
par les Sciences de la Vie du CNRS et l’INSERM de structurer et de retrouver de la connais-
devrait être de tout premier plan. sance biologique, et des modèles décrivant
des systèmes biologiques. Historiquement,
le champ d’application majeur de la bioinfor-
matique a été la biologie moléculaire et bien
que l’on puisse faire remonter les premiers
travaux qui relèvent de bioinformatique au
4 – LA BIOINFORMATIQUE milieu des années 60, les numéros spéciaux
de la revue Nucleic Acids Research de 1982 et
ET LES GÉNOMES 1983 marquent avec éclat le développement
mondial de ce champ. Le terme de bioinforma-
tique est relativement récent : dans les années
4.1 INTRODUCTION 80 les instances de la recherche française lui
ont souvent préféré celui de « interface infor-
matique-biologie ». Une telle dénomination
La bioinformatique a l’ambition de déve- a l’avantage de l’exactitude au moment où
lopper et d’utiliser l’ensemble des techniques, émerge une nouvelle discipline. Elle présente
outils, concepts et théories permettant d’ana- pourtant un inconvénient : l’épaisseur d’une
lyser de manière systématique et automatique interface est si faible qu’on n’y trouve proba-
l’information des systèmes biologiques afin blement pas de place pour quiconque, et que
d’en prédire les comportements. À ce titre, les financements qui devraient lui être accordés
si elle construit les moyens informatiques sont généralement octroyés en fait à l’un ou
de traitement des données génétiques et l’autre des domaines que cette interface met
génomiques, elle développe aussi ceux qui en contact. Il est significatif que seuls sept
permettent d’analyser des données de struc- articles émanent de laboratoires français parmi
ture des macromolécules ou de modéliser les les 401 publications que citent Ouzounis et
systèmes biologiques plus complexes comme Valencia (Bioinformatics, 2003, 19 :2176-2190)

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069-116-Chap4-T2 86 18/08/05, 16:36:02


4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

dans leur revue sur les premiers temps de la présentent entre eux de manière à déterminer
bioinformatique (des origines au début des lesquels recouvrent les mêmes régions d’un
années 90). génome et ainsi les assembler. L’assemblage
des séquences génomique repose sur l’appli-
Les rapports de la bioinformatique cation systématique de l’algorithme de Smith
d’une part et de la biologie moléculaire, de et Waterman (J. Mol. Biol., 1981, 147 : 195-
la génétique et de la génomique d’autre part 197) ou de versions optimisées de celui-ci. Le
sont importants : sans les méthodes et les programme Phrap, qui a été systématiquement
programmes de la bioinformatique, on n’aurait employé pendant le projet génome humain,
pas su reconstruire les séquences des génomes s’appuie sur une version optimisée de cet
que les grands programmes de séquençage ont algorithme. De la même façon ce sont des
produites ; sans les bases de données déve- développements algorithmiques nouveaux
loppées par la bioinformatique, on ne saurait qui permettent de prendre en compte les
organiser le sens que l’on sait extraire de ces données de séquençage de grands génomes
données ; enfin, sans les services que cette par « shotgun » intégral.
discipline a su développer au niveau mondial
sur le web, on n’aurait pas pu organiser les
grandes collaborations internationales qu’ont Le séquençage de l’ADN fournit la
été les grands programmes de séquençage et structure chimique du génome. Cela ne suffit
que seront de plus en plus les programmes évidemment pas : pour faire sens de cette infor-
d’analyse fonctionnelle de génomes. mation il faut identifier les gènes. Cela a motivé
le développement de nouvelles méthodes dont
les premières versions ont été empruntées à la
linguistique formelle. Les programmes comme
Glimmer, Genmark, Genscan, correspondent à
4.1 DÉVELOPPEMENTS de telles techniques, fondés sur des modèles
ALGORITHMIQUES de Markov. Ces méthodes, qui incorporent des
connaissances biologiques, sont de théories
actives : elles conduisent à des prédictions que
La prise en compte de la spécificité des l’on peut ensuite soumettre à l’expérience.
données biologiques donne lieu à une impor-
tante activité de développement algorithmique. La recherche de similarité entre les
L’augmentation des flux de données, qui se séquences nouvellement déterminées et celles
produit depuis la décennie précédente, exige pour lesquelles on dispose déjà d’une infor-
que ces algorithmes soient de plus en plus mation fonctionnelle est une tâche lourde.
rapides. L’apparition de données nouvelles La suite de logiciels Blast développée à cette
(données de transcriptomes ou de protéomes) fin repose également sur la mise en œuvre
motive des développements algorithmiques d’algorithmes reposant sur des heuristiques
nouveaux. Enfin, les publications scientifiques rapides. Les programmes de génomique récents
elles-mêmes, par la croissance de leur volume, ont motivé le développement de nouvelles
deviennent sujet d’analyse systématique et méthodes comme le logiciel Blat développé à
nécessitent des développements nouveaux. l’Université de Santa Cruz aux États-Unis.
Une grande partie de l’algorithmique des
mots et du texte doit son développement aux Il est important de bien comprendre que
données de séquences. Ainsi, l’opération qui le développement de méthodes bioinforma-
permet de reconstruire les longues séquences tiques ne s’est pas fait uniquement en emprun-
des génomes complets à partir des fragments tant des algorithmes développés par ailleurs,
que l’on peut obtenir expérimentalement pose au contraire cette discipline est une source de
un problème compliqué : il s’agit d’identifier problèmes qui nécessitent des développements
toutes les ressemblances que ces fragments algorithmiques nouveaux.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

4.2 DÉVELOPPEMENT connu comme la « Swiss-prot funding crisis »


de 1996. Swiss-Prot est une base de données
DE BASE DE DONNÉES
de séquences protéiques annotées par des
experts. Elle est reconnue par l’ensemble de
la communauté des chercheurs de la biologie
Le développement de l’acquisition systé- moléculaire comme une ressource unique, mais,
matique d’informations biologiques a motivé en 1996, le renouvellement d’un financement
le développement de bases de données pour européen ne put avoir lieu : le maintien de la
conserver ces informations. Genbank est base de données (et extension) n’avait alors
la base de données qui, avec la banque de pas été considéré comme un développement
donnée de l’EMBL et sa contrepartie japo- nouveau. Ceci conduisit à rechercher un mode
naise DDBJ, centralise les informations sur de financement original, et une compagnie
les séquences nucléotidiques. En 1981, les privée (Genebio) fut constituée pour la valo-
270 séquences de Genbank à Los Alamos riser auprès des industriels. Ceci conduisit de
contenaient 370 000 nucléotides. Genbank fait à ce que l’utilisation de la base de donnée
représente maintenant une quantité d’infor- ne soit plus totalement libre, bien qu’elle le
mation 200 000 fois plus importante. Swiss- restât pour la communauté académique. Cette
Prot, créée en 1986, contient à présent plus de crise est maintenant résolue : le NIH a en effet
100 000 protéines annotées par des experts. annoncé qu’il accorde un financement sur trois
On recense à présent 386 bases de données ans de 15 millions de dollars pour réaliser l’inté-
(Baxevanis, Nucl. Acids Res, 2003, 31 :1-12) gration des trois banques majeures collectant des
dont les contenus sont aussi variés que l’en- données de protéines, Swiss-prot, trEMBL et la
semble des données de séquences nucléoti- banque PIR. La banque de données Uniprot sera
diques connues (par exemple Genbank ou la le produit de cette intégration. Plus grave est le
banque de nucléotides de l’EMBL), des données cas de YPD, la banque de données des protéines
de génomique comparative (par exemple de levure : rachetée par la société Incyte, et elle
COG http://www.ncbi.nlm.nih.gov/COG), des n’est maintenant plus librement accessible.
données d’expression génétique (par exemple
ArrayExpress http://www.ebi.ac.uk/arrayexpress
L’intégration des banques de données
ou BodyMap http://bodymap.ims.u-tokyo.ac.jp),
est le second problème que pose l’accrois-
des voies métaboliques (par exemple Kyoto
sement du nombre de ces banques : en effet
Encyclopedia of Genes and Genomes
les informations disponibles sur un objet ou
http://www.genome.ad.jp/kegg), ou encore
un processus biologiques sont dispersées dans
des catalogues de gènes associés à des
plusieurs banques de données différentes.
phénotypes ou à des maladies (par exemple
Deux approches sont maintenant adoptées :
Online Mendelian Inheritance in Man
la constitution de banques de données spécia-
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/omim/).
lisées et le développement de systèmes d’in-
La croissance en nombre de ces bases de tégration des bases de données. Les banques
données pose deux questions majeures : celle de données spécialisées s’intéressent à un
de leur entretien et celle de leur intégration. organisme, un type d’objet biologique ou
un processus particulier. Le travail consiste
L’entretien des bases de données est à ré-extraire les données contenues dans des
souvent sous-estimé : les instances scientifi- banques de données générales et à y ajouter
ques ont souvent tendance à considérer que de nouvelles données expérimentales. Il
le travail de recherche s’arrête au moment où existe un très grand nombre de telles bases
la structure d’une telle base a été conçue et de données spécialisées. Elles présentent
après qu’elle a été alimentée une première fois, l’intérêt de contenir une information validée
on connaît alors les différents éléments qu’on par les experts d’un domaine biologique,
veut y intégrer et on en a une première version. mais il n’est pas rare qu’elles présentent un
Une telle attitude a débouché sur ce qui a été schéma très spécifique et des interfaces qui

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

les rendent peu inter-opérantes. La seconde 4.4 POSITION DE LA RECHERCHE


approche consiste à développer des systèmes
BIOINFORMATIQUE FRANÇAISE
d’intégration de banques de données. On peut
citer par exemple SRS (Etzold et al., Methods
Enzymol., 1996,266 :114-28), Kleisli (Davidson
et al., International Journal of Data Libraries,
Les revues Bioinformatics et Journal of
1997, 1 :36-53), ou Discovery link développé
Computational Biology (J. Comp. Bol.) sont les
par la société IBM. Ces systèmes reposent sur
supports de publication majeurs en bioinfor-
des techniques de médiation qui sont encore
matique. On peut se donner une vision instan-
du domaine de la recherche en informatique.
tanée de la position de la recherche nationale
en bioinformatique en examinant quelle est
Là encore, la bioinformatique affronte des la part de publications provenant de labora-
problèmes originaux qui sont dus à la grande toires français dans ces revues. 17 numéros
richesse des données de biologie et à l’évo- de Bioinformatics publiés en 2003 contiennent
lution relativement rapide des concepts qu’il 226 articles originaux et 153 notes applicatives.
s’agit de représenter. Les notes applicatives sont de très courts arti-
cles décrivant un outil bioinformatique original
(programme, base de données ou service web).
25 articles ont été publiés dans J. Comp. Bol.
Sur l’ensemble des 251 (226 + 25) articles,
4.3 LE DÉVELOPPEMENT 13 ont une origine française, 121 proviennent
DES SERVICES WEB d’institutions américaines, 35 du Royaume-
Uni, 19 d’Allemagne et 13 de Chine. En ce qui
concerne les notes applicatives, 64 proviennent
des USA, 16 du Royaume-Uni, 13 d’Allemagne,
De plus en plus, ces bases de données 3 ont une origine française.
sont interrogeables sur le web. À travers
l’inter face de son navigateur, on peut lancer
une requête. Les services web permettent Par ailleurs, la revue Nucleic Acids
aussi de mettre une méthode bioinforma- Research a publié deux numéros, l’un entiè-
tique à disposition d’utilisateurs. Les utilisa- rement consacré aux bases de données de
teurs de ces services qui peuvent être très biologie moléculaire (Nucleic Acids Research
éloignés géographiquement et les auteurs de 2003, 31 n°1), l’autre aux serveurs web pour
méthodes ou de bases de données peuvent la biologie (Nucleic Acids Research 2003,
éviter de se soucier de porter une application 31 n°13). Dans le premier, 130 articles décri-
informatique sur un système différent du leur. vent des bases de données, dans le second
Ce point est d’importance car il augmente les 121 décrivent des serveurs web. En ce qui
possibilités de collaborations à distance. Il concerneles bases de données, 63 articles
présente néanmoins des inconvénients : les proviennent des USA, 20 du Royaume-Uni,
sources de programmes ne sont plus relues 19 d’Allemagne et 13 de France. En ce qui
par d’autres que leurs auteurs et il est donc concerne les serveurs web, 64 articles sont
moins facile de savoir quelles opérations sont originaires des USA, 17 d’Allemagne, 14 de
effectivement réalisées par ces programmes ; France et 13 du Royaume-Uni.
puisque les ressources utilisées ne sont pas
celles des utilisateurs, elles sont parfois La production américaine est de l’ordre
mises à disposition trop parcimonieusement ; du double de la production européenne. Au
enfin lorsqu’il s’agit de bases de données, sein de celle-ci, la production française arrive
leur accès ne peut être réalisé qu’avec les en troisième position derrière le Royaume-Uni
méthodes prévues par les auteurs, ce qui et l’Allemagne, sauf en ce qui concerne les
interdit de lancer des requêtes originales. serveurs Web.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

4.5 CONCLUSION précoce de la bioinformatique dans ce pays,


le fait que le centre européen de bioinforma-
tique (EBI) soit localisé près de Cambridge
La bioinformatique française s’est acti- à proximité d’un centre de génomique de
vement développée dans le courant des haut niveau, le Sanger Centre qui a contribué
années 90, avec un léger retard par rapport pour plus de 25 % au projet de séquençage
aux USA ou au Royaume-Uni. Il importe que du génome humain, et l’implication finan-
cet effort soit maintenu : la biologie produira cière très conséquente de Wellcome Trust.
de plus en plus de données, de types de plus
en plus variés et sur un mode de plus en plus
systématique et rapide. L’analyse de cette
information sera une des clés des prochaines
découvertes, et si les techniques de biologie
moléculaire ont marqué la seconde moitié 5 GÉNÉTIQUE,
du siècle qui vient de s’écouler, il est vrai- GÉNOMIQUE, ÉVOLUTION
semblable que celles de la bioinformatique
marqueront ce siècle en biologie. ET ENVIRONNEMENT
Pour qu’une discipline se développe, il
est important de promouvoir les formations La totale continuité entre génétique,
supérieures qui l’enseignent. Au niveau
écologie et évolution est un fait récent. Il
national, un effort sensible a été réalisé pour
paraissait impensable, il y a quelques années
former des ingénieurs bio-informaticiens
(niveau DESS). Un effort pour atteindre le encore, que puisse être comblé le fossé histo-
niveau du Doctorat reste nécessaire. rique qui les séparait. L’éclairage apporté par
les approches génétiques joue un rôle central
Le financement continu de la mainte- non seulement dans les études sur l’évolu-
nance de bases de données est une nécessité tion, dont la cible évidente est le génome lui-
à laquelle nous avons échappé partielle- même, mais aussi dans la plupart des études
ment en nous concentrant sur des bases sur la biodiversité, les relations des orga-
de données spécialisées et en évitant de nismes à leur environnement, leurs réponses
développer une base de données majeure : et adaptations aux stress, la dynamique et
il en résulte que les bases de données sur la stabilité des populations, les interactions
les séquences nucléotidiques sont pour l’es- parasitaires ou symbiotiques, l’organisation
sentiel produites aux USA, et celles sur les
des communautés plurispécifiques.
protéines le sont en Suisse et au Royaume-
Uni. Notons à nouveau sur ce sujet que Dès les années 80, les axes génétique
les USA, parmi bien d’autres projets de des populations, biologie et écologie évolu-
bioinformatique, consacrent 15 millions de tives, ont émergé en France sous l’impulsion
dollars au financement de l’intégration des d’un petit nombre de centres, principalement
trois bases de données de protéines pour les à Paris, Lyon, Montpellier, avant d’essaimer
trois prochaines années. Ceci est à comparer pour pénétrer à des degrés divers la plupart
aux 2 millions d’euros qui sont consacrés en des autres pôles scientifiques. Cet essor s’est
France au financement des programmes de appuyé sur le développement parallèle des
recherche bioinformatique à trois ans par concepts, intégrant notamment la culture
l’action concertée incitative IMPBIO. Cette mathématique et probabiliste de la génétique
action est la seule qui a financé la recherche des populations et de la génétique quantita-
bioinformatique française en 2003. tive, et des outils, en particulier ceux de la
L’avance du Royaume-Uni est essentiel- biologie moléculaire, de la modélisation et
lement due à trois causes : un développement de l’informatique.

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069-116-Chap4-T2 90 18/08/05, 16:36:07


4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

5.1 ANALYSEDESCRIPTIVE de détecter et d’identifier ces microorganismes,


et même d’aborder l’étude de leur rôle fonc-
ET FONCTIONNELLE DE LA DIVERSITÉ
tionnel. C’est un champ nouveau de la biologie
DU VIVANT et de l’écologie qui vient de s’ouvrir, dans
lequel prévaudra une approche plus intégra-
tive des génomes, et où l’étude des interactions
Les outils de la biologie moléculaire auto- entre procaryotes et eucaryotes va prendre une
risent un marquage d’une puissance et d’une place grandissante.
fiabilité inégalées, et sont souvent les seuls
disponibles. La description des taxons, leurs Les champs d’application sont immenses :
relations phylogéniques, la reconstitution de l’environnement (notamment gestion et conser-
leur généalogie, de l’histoire du peuplement vation de la biodiversité), l’agronomie (biologie
de la planète à différentes échelles spatiales des sols, gestion des résistances, protection des
et temporelles ont pris une nouvelle dimen- cultures, développement durable, traçabilité
sion, renforcée par l’étude difficile des ADN sanitaire et commerciale), et la santé (patho-
anciens qui a ouvert une discipline nouvelle : gènes et parasites, populations vectorielles).
la paléogénétique, dont la lisibilité commence
à s’affirmer en France.
On retrouve les mêmes développements à
l’échelle infra-spécifique où l’analyse moléculaire 5.2 RELATIONS DU GÉNOME
des populations (présentes ou passées) permet À L’ENVIRONNEMENT, MÉCANISMES
de reconstituer leur histoire, de comprendre DE L’ADAPTATION ET DE L’ÉVOLUTION
leur structure, leur fonctionnement et leur
dynamique actuels, de comprendre les forces
structurant la distribution de la variation géné-
tique (dérive, migration, sélection, démographie À côté de ces marqueurs désormais
historiqueetc.). Cette révolution de l’étude des incontournables, la génétique fournit des
structures et de la dynamique spatio-temporelle outils d’investigation fonctionnelle, aussi bien
des populations a permis d’amorcer la synthèse à travers les mécanismes de sélection, qu’à
entre les approches concrètes et les modèles travers l’expression différentielle des gènes en
théoriques en génétique, dynamique et écologie fonction des conditions externes.
des populations. On peut commencer à prévoir
leur évolution et à organiser la gestion de leurs Très peu d’études concernent les effets de
réponses aux changements anthropiques. La l’environnement sur la structure et la compo-
position française est plutôt bonne pour ce qui sition des génomes, ou sur les interactions
est des outils et de la compréhension théorique, entre ses différents composants. Ces études
mais des efforts sont à faire pour développer sont pourtant indispensables pour comprendre
des modèles sophistiqués incluant ces diffé- l’adaptation et l’évolution des espèces (géné-
rentes forces. tique des espèces invasives, réponses aux
stress, aspects génétiques de la biologie de la
Une mention particulière doit être faite conservation). Ainsi connaît-on mal les méca-
pour la microbiologie, où détection et typages nismes responsables des modifications de taille
à grande échelle sont devenus courants, et et de composition des génomes, et l’impact des
surtout pour l’écologie microbienne. Les grands bouleversements historiques du génome
milieux complexes comme les sols, les eaux sur la variabilité génétique des populations. De
continentales, marines ou lagunaires, et le même, on ne sait pas prévoir les invasions :
milieu vivant lui-même sont peuplés d’une quelles espèces ont la capacité à envahir ?
foule de bactéries, pour la plupart non cultiva- Quels changements génétiques associés à ces
bles et non détectables par les méthodes tradi- invasions ? Quels profils d’expression de leurs
tionnelles, et de virus. Il est devenu possible gènes dans les nouveaux environnements ?

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

Réciproquement, les effets des êtres méthodologiques pour étudier des questions
vivants sur la physico-chimie de leur milieu, centrales comme l’héritabilité de la valeur sélec-
très étudiés à l’échelle des bilans globaux (flux tive, la plasticité phénotypique, les normes de
carbonés, cycles biogéochimiques, etc.), sont réaction et leur contrôle génétique.
presque inconnus à l’échelle fonctionnelle
locale des organismes et des populations L’étude des transcriptomes à haut débit
qui en sont les acteurs. L’approche spatio- va donner un nouvel essor à ces recherches
temporelle fine de ces processus devra intégrer en permettant de repérer les gènes impliqués
une dimension génétique, aussi bien en ce qui dans ces fonctions, d’étudier leur expression
concerne le fonctionnement et l’expression des dans des conditions ou sous des environne-
systèmes génétiques impliqués, que l’organi- ments naturels ou contrôlés, d’enregistrer les
sation et les différenciations génétiques des variations entre individus.
populations concernées. La France est globalement peu présente
Le rôle des associations parasitaires et dans ce domaine. Il est urgent que les écologistes,
symbiotiques (les « interactions durables ») écophysiologistes, évolutionnistes de notre pays
dans les processus d’adaptation et d’évolu- prennent conscience de l’apport considérable de
tion est encore mal compris, et probablement la génétique, qui dépasse très largement la seule
sous-estimé. Chez les plantes comme chez mise à disposition de marqueurs performants.
les animaux, c’est une collection de génomes
(y compris procaryotes) qui sont associés au
niveau de chaque « individu », qui interagissent
de différentes manières (de la synergie mutua- 5.3 L’ÉVOLUTION DES GÉNOMES
liste à l’antagonisme parasitaire), pour conduire
au phénotype opérationnel (le « phénotype
étendu »). L’étude de cette confrontation entre L’évolution biologique repose sur la
génomes distincts demande à être approfondie fixation dans le génome d’erreurs produites
aussi bien dans une perspective évolutive par différents mécanismes, dont les multiples
(co-adaptations, co-évolution, édification des conséquences vont du simple changement
génomes) que dans une perspective fonction- ponctuel d’une base jusqu’à des remanie-
nelle (expression des génomes, réponses à ments profonds du génome ou la génération
l’environnement). de nouveaux gènes à partir de gènes pré-
existants. Le fonctionnement du génome, sa
La réalisation des phénotypes, interface plasticité, ses mécanismes de réparation et de
entre génomes et environnement, soulève recombinaison portent ainsi la responsabilité
d’immenses questions, et une mention parti- directe de la nature des « mutations » soumises
culière doit être faite du contrôle génétique aux processus stochastiques ou adaptatifs, et
et épigénétique des caractères quantitatifs à indirecte de la réponse des organismes aux
variation continue. Si certaines adaptations à contraintes. L’évolution moléculaire est donc
des perturbations environnementales spécifi- le lieu de rencontre privilégié des approches
ques, naturelles ou anthropiques, relèvent de évolutives et fonctionnelles.
fonctions précises contrôlées par un nombre très
réduit de loci, c’est le plus souvent à travers Les aspects bioinformatiques et théoriques
des caractères quantitatifs que sont réalisées les de la génomique évolutive (phylogénie, géné-
adaptations des organismes aux facteurs envi- tique des populations, modélisation dans le
ronnementaux majeurs (climatiques, trophiques, domaine de l’évolution) sont bien développés
biotiques, etc.). La génétique quantitative utilise en France, notamment la phylogénie, et il faut
actuellement des outils mathématiques dérivés souligner le très bon fonctionnement pluridis-
des méthodes d’amélioration, et son appli- ciplinaire de cette communauté de biologistes
cation aux populations naturelles demande et informaticiens autour de la phylogénie et de
de nouveaux développements théoriques et la génomique comparatives.

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

L’analyse fine de l’évolution de certaines recherches sur l’organisation des génomes,


familles de gènes, l’évolution du code, de la leur évolution et les fonctions des gènes ne
structure introns-exons, des ADN répétés, peuvent plus se concevoir sans référence aux
etc., permet de faire le lien entre le niveau relations qui s’établissent entre les organismes
moléculaire et l’environnement auquel doivent et leur milieu, soit à court terme au niveau de
s’adapter les espèces. la réalisation des phénotypes, soit à plus long
terme au travers des pressions de sélection et
L’analyse comparative de génomes très
processus d’adaptation.
distants permet de décrire de manière exhaus-
tive les « patterns » de variations à long terme La communauté concernée en France,
(les « conséquences » de l’évolution molé- au CNRS en particulier, mais aussi à l’INRA,
culaire). Elle constitue un outil très puissant est bien structurée autour de plusieurs pôles
pour mettre en parallèle structure et fonction d’excellence de renommée internationale et de
des gènes, et comprendre les évolutions diffé- plusieurs GDR. Paradoxalement, sa situation à
rentielles qu’ils ont pu connaître. l’interface de différents champs disciplinaires
L’approche de génomique des populations la met en grande difficulté car jusqu’ici les
développe les comparaisons entre espèces sciences de l’environnement et de la biodiver-
proches ou à l’intérieur des espèces, et prend sité s’intéressent beaucoup aux faits, résultats
en compte la variabilité entre individus pour et évolutions socialement perceptibles mais
un ensemble de gènes. Elle s’appuie sur des très peu aux mécanismes sous-jacents, et réci-
modèles de génétique des populations inté- proquement, la génétique conserve encore
grant effets sélectifs, conversion, recombinaison une approche fortement réductionniste. Alors
et variabilité des systèmes génétiques. Elle que les clivages scientifiques et intellectuels
implique des collaborations entre bioinformati- entre ces disciplines commencent à s’atténuer
ciens et généticiens des populations, et requiert en France, il en va tout autrement au niveau
beaucoup de données sur la variabilité fine du institutionnel. Il est extrêmement urgent de
génome, notamment l’accès à de nombreux promouvoir l’interdisciplinarité au niveau de
fragments d’ADN séquencés chez de nombreux ces sous-disciplines biologiques, aussi bien en
individus. Elle débouche sur une « génomique incitant à la programmation d’opérations de
microévolutive » dans laquelle les données sont recherche transversales ou d’interface, qu’en
encore peu nombreuses, et où la France, avec sa veillant à la cohérence et à la modernité des
bonne culture dans le domaine de la génétique programmes de formation dès les premiers
des populations, pourrait jouer un rôle. cycles universitaires.

5.4 CONCLUSION
6 – GÉNOMES ET
Les connexions entre génétique et MICROBIOLOGIE
biologie moléculaire d’une part, et écologie
et évolution d’autre part, se situent dans
deux domaines : l’histoire des êtres vivants,
et les mécanismes de l’évolution et de l’adap-
6.1 LES ENJEUX DE LA RECHERCHE
tation. La génétique apporte des outils et EN MICROBIOLOGIE
des concepts qui permettent de dépasser les
approches descriptives et consolident les appro-
ches théoriciennes plus récentes en offrant de Outre le rôle clé joué par l’étude des
véritables possibilités d’investigation fonction- microbes comme systèmes modèles dans
nelle et expérimentale. Réciproquement, les l’essor de la biologie moléculaire, ces modèles

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

ont également fourni un apport essentiel dans la corrosion, dans la régénération des
au développement de l’ensemble des outils sols. Ils sont depuis longtemps exploités par
et approches constituant la génomique. Les l’homme pour la production d’aliments, ou
premiers génomes complètement séquencés plus récemment pour la production d’anti-
étaient ceux de deux microorganismes, biotiques. Leur potentialité d’utilisation pour
le procaryote bactérien Haemophilus le recyclage de la biomasse, la dépollution,
influenzae et l’eucaryote Saccharomyces la production de molécules à haute valeur
cerevisiae. Début 2004, les séquences de ajoutée, est immense.
1 487 génomes viraux et 159 génomes
bactériens (eubactéries et archea confondus)
étaient présents dans les bases de données Malgré les enjeux de connaissances
publiques, et presque 400 génomes addition- fondamentales et les enjeux sociaux et
nels de procaryotes sont en cours d’analyse. économiques liés au développement de
À ces chiffres, il faut ajouter les génomes de la microbiologie, force est de constater
microorganismes eucaryotes. Ces données ne que l’effort français de recherche dans ce
sont pas si surprenantes si nous considérons domaine n’est pas à la hauteur. Au niveau de
la taille réduite des génomes microbiens par la recherche fondamentale, on a assisté, dès
rapport aux eucaryotes supérieurs, l’énorme le milieu des années 80, à une désaffection
diversité de la vie microbienne (tant du point des chercheurs pour la microbiologie. Ce
de vue des espèces que de la variété des mouvement s’est accompagné d’une baisse
niches écologiques) et l’impact des microbes des financements et d’une certaine désaf-
dans tous les domaines de la vie. fection des étudiants, qui voient en elle, à
travers l’enseignement qu’ils reçoivent, une
discipline « historique ». Bien que des labo-
L’émergence ou la re-émergence des ratoires français aient joué un rôle important
maladies infectieuses dans le monde, les dans le séquençage des génomes de Bacillus
problèmes posés par les infections nosoco- subtilis et de la levure, qu’ils continuent de
miales et les phénomènes de résistance aux jouer un rôle important pour le séquençage
antibiotiques, ont remis la microbiologie de plusieurs microorganismes, et qu’ils
sur le devant de la scène, associant exclu- soient impliqués dans plusieurs programmes
sivement, dans l’esprit du grand public, les de génomique fonctionnelle de microorga-
microorganismes aux maladies infectieuses. nismes, globalement la contribution française
Mais cet aspect ne représente qu’une partie à la mine d’information génomique a été
infime de l’impact des microbes sur notre bien moindre que celle des États-Unis et de
vie. Les microbes constituent une partie la Grande Bretagne. De plus, au niveau de
significative de la biomasse, pouvant aller l’industrie, on assiste au niveau mondial, et
jusqu’à 90 % selon certaines estimations. Les principalement en Europe, à un désengage-
virus bactériens à eux seuls sont vraisem- ment des grands groupes pharmaceutiques
blablement les entités les plus nombreuses de la recherche sur les anti-infectieux, qui
dans la biosphère et représentent un pool par ailleurs n’était plus depuis longtemps
génique énorme. Les microorganismes occu- une priorité majeure.
pent l’ensemble d’une biosphère large de
30 kilomètres, depuis les failles océaniques
les plus profondes jusqu’à plusieurs kilo- Pourtant, le développement de la géno-
mètres dans l’atmosphère, et peuvent résister mique, en particulier de la génomique fonction-
aux pressions, aux températures, aux condi- nelle, relance l’intérêt des modèles microbiens,
tions de salinité et de pH les plus extrêmes. ce qui s’est déjà traduit par un certain renverse-
Ils jouent un rôle essentiel dans les grands ment de tendance aux USA, alors que le déclin
cycles écologiques tels ceux du carbone et semble se poursuivre non seulement en France
de l’azote, dans la croissance des plantes mais en Europe. Il est temps de renverser la
ou des animaux via des symbioses délicates, tendance à notre tour.

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

6.2 GÉNOMIQUE ET RENAISSANCE majoritaire en ce qui concerne les études


évolutives. De plus, les microorganismes sont
DE LA MICROBIOLOGIE
présents dans les trois grands domaines du
vivant, représentant à eux seuls l’intégralité de
deux de ces règnes (eubactéries et archées),
L’apport de la génomique et une large partie de la biodiversité des euca-
en microbiologie ryotes. Pour comprendre la diversification des
différentes branches du vivant, il est important
Comme pour tout organisme, la connais- de pouvoir analyser et comparer de nombreux
sance et l’analyse de la séquence génomique, exemples de génomes dans ces trois grands
l’analyse globale de l’expression génique, du domaines. Il ne faut pas oublier non plus les
protéome, des interactions entre protéines, des virus et bactériophages, dont on apprécie de
voies métaboliques, facilite une vision intégrée plus en plus la diversité biologique ainsi que
du fonctionnement cellulaire et peut parfois le rôle important qu’ils ont pu jouer dans
déboucher sur l’identification de fonctions l’évolution, par le biais de transferts de gènes.
cryptiques. Pour ce qui concerne les micro- Indépendamment des virus, les transferts hori-
organismes, les analyses du transcriptome et zontaux entre microorganismes partageant des
du protéome dans différentes conditions de mêmes niches écologiques sont de plus en
culture commencent à porter leurs fruits en plus documentés et contribuent fortement à la
fournissant une carte globale de la dynamique plasticité génomique. De tels transferts peuvent
de l’expression d’un génome et de ses réponses conduire à la transmission de gènes de patho-
aux différents signaux externes. Cela constitue génicité ou de résistance aux antibiotiques.
un atout essentiel pour la compréhension
des circuits métaboliques et des systèmes de
perception de l’environnement et de transduc- 2. Les microorganismes comme orga-
tion de signal. La génomique comparative entre nismes modèles de fonctionnement cellu-
espèces proches a déjà fourni des perspec- laire intégré : Un des objectifs essentiels de
tives inattendues sur l’évolution des processus la génomique est sans doute de comprendre
comme la pathogénicité et la fixation de l’azote. le fonctionnement intégré d’un génome au
La comparaison d’organismes voisins patho- niveau d’une cellule entière. Or les organismes
gènes et non pathogènes ou ayant des hôtes microbiens modèles tels la levure, E. coli ou
différents (comparaison de génomes entiers ou B. subtilis, restent les meilleurs systèmes d’étude
soustraction génomique) permet d’identifier pour réaliser cet objectif. L’analyse du fonction-
des candidats pour les gènes de pathogenèse nement intégré du génome dans la physiologie
ou les gènes déterminant la spécificité d’hôte, cellulaire passe non seulement par le déve-
et donc de cibler plus efficacement les études loppement de la génomique et des disciplines
ultérieures. connexes (bioinformatique par exemple), mais
par un nouveau développement de la géné-
tique. En effet, même chez des organismes
possédant un nombre relativement limité de
L’intérêt des modèles gènes (quelques milliers pour les bactéries ou
microbiens en génomique la levure) une proportion importante de ces
gènes sont soit totalement « orphelins », soit de
1. Fonctionnement et évolution des fonction précise inconnue, même s’ils peuvent
génomes : La détermination des génomes de être rattachés à une classe fonctionnelle connue
microorganismes reste beaucoup plus aisée ou à une famille de gènes. Découvrir la fonc-
que celle d’organismes multicellulaires macro- tion de ces gènes est un des véritables défis de
scopiques, au moins pour ce qui est des la génomique fonctionnelle. Si les approches
microorganismes cultivables. L’accumulation dites globales ou à haut débit fournissent à la
des données concernant ces microorganismes communauté scientifique des ressources indis-
représente une base d’analyse largement pensables, l’exploitation complète des données

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

ainsi accumulées ne pourra se faire que grâce et l’ARN et la photosynthèse. Le CEA est très
à des efforts concertés associant les compé- présent dans ce dernier domaine, essentiel-
tences de nombreux laboratoires, à travers lement à travers des études biophysiques et
un renouveau de l’intérêt pour la physiologie structurales. Au CEA on peut aussi citer l’utili-
cellulaire, s’appuyant nécessairement, à côté sation de protéines de la levure comme modèle
des approches génomiques et structurales plus pour l’étude du prion et de la transcription. La
soutenues, sur des approches génétiques. France possède également une tradition d’uti-
lisation des champignons filamenteux comme
organismes modèles.
Plusieurs laboratoires de l’INRA, particu-
6.3 LA RECHERCHE PUBLIQUE lièrement à Jouy en Josas et à Grignon, ont joué
FRANÇAISE EN MICROBIOLOGIE un rôle important dans le développement de
la génomique de Bacillus subtilis et de diffé-
ET LES APPROCHES GÉNOMIQUES rentes levures. Des projets importants portent
sur les bactéries lactiques. D’autres projets
s’intéressent aux microorganismes d’intérêt
Le CNRS représente une part impor- agroalimentaire et industriel tels que levures
tante de la microbiologie française. De très et bactéries du vin, pathogènes de plantes ou
nombreuses équipes, en particulier au CNRS, régulateurs d’insectes ravageurs. La génomique
mais aussi des équipes universitaires, s’intéres- se développe dans le domaine de l’étude des
sent aux divers aspects de la physiologie des flores microbiologiques (microorganismes de la
enveloppes microbiennes (transports, énergé- rhizosphère, particulièrement avec la contribu-
tique, composants), ainsi qu’aux mécanismes tion de l’INRA et du CNRS à Toulouse, colon
d’adaptation des microorganismes à leur envi- humain, rumen, aliments, eau, fruits, etc.), au
ronnement et aux interactions cellulaires (en niveau des écosystèmes ou des propriétés
particulier procaryotes/eucaryotes). Les études physiologiques, métaboliques, et génétiques
hôtes-pathogènes sont très présentes à l’Ins- des souches utilisées, avec plusieurs projets de
titut Pasteur, en association avec le CNRS, et génomique fonctionnelle.
dans une moindre mesure avec l’INSERM, mais
également dans diverses unités du CNRS en De nombreux laboratoires s’intéressent à la
association avec des universités, que ce soit biodiversité et à l’écologie microbienne, dans le
pour des pathogènes bactériens ou des para- cadre du département des sciences de la vie du
sites. Par contre, les études sur les anti-infec- CNRS, mais aussi du département des sciences
tieux, les cibles potentielles, les mécanismes de l’univers. Nombre de ces laboratoires seront
de résistance, au-delà de quelques laboratoires amenés à intégrer les approches génomiques,
phares, paraissent insuffisamment développées, bioinformatiques et de génétique moléculaire.
au regard des enjeux, que ce soit au CNRS ou à Un des points forts de la recherche
l’INSERM. La microbiologie semble moins bien française est de bien couvrir l’ensemble de la
représentée à l’INSERM où elle concerne surtout biodiversité microbienne (virus, bactéries des
la virologie et l’étude de la réponse immuni- différentes branches, archées, protistes, cham-
taire. La plupart des équipes travaillant sur des pignons et algues microscopiques) ce qui est
maladies infectieuses (bactériennes ou dues à un atout certain à préserver. L’étude des aspects
des parasites) sont associées au CNRS et/ou à moléculaires de cette diversité, en particulier
l’Institut Pasteur. L’épidémiologie des maladies grâce aux apports de la génomique, est très
infectieuses semble relativement limitée. certainement à renforcer.
Les microorganismes restent largement Il semble que dans tous les organismes
utilisés comme modèles d’étude des méca- de recherche, les laboratoires s’intéressant aux
nismes de base de la cellule, particulièrement microorganismes affirment leur volonté de se
en ce qui concerne le métabolisme de l’ADN tourner vers des approches génomiques. De

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

nombreux laboratoires ont fait du génome un Les seuls génopoles ayant des projets de
objet d’études : mécanismes de fonctionnement génomique fonctionnelle de microorganismes
des génomes (stabilité, plasticité, transfert de sont, en région parisienne, le site de Pasteur/
gènes), comparaison génomique d’espèces Necker et, en province, Toulouse, Marseille et
proches, évolution, biodiversité. Montpellier. La génomique des microorganismes
marins pourrait peut-être trouver une place dans
le programme mer du génopole ouest.

6.4 LES
MOYENS POUR
LA GÉNOMIQUE À LA DISPOSITION Les programmes nationaux
DES MICROBIOLOGISTES
Il y a deux types de programmes
qui pourraient soutenir la génomique des
microorganismes : les programmes de géno-
Séquençage mique proprement dits, ou les programmes
« microbiologie ». En ce qui concerne le
L’immense majorité des génomes séquençage du génome de microorganismes
séquencés à ce jour, ou en cours de séquen- d’intérêt pour les chercheurs français, il n’existe
çage, sont des génomes de microorganismes. aucun programme, en dehors des appels d’of-
fres annuels du Genoscope, qui ne sauraient
Loin de s’atténuer, les besoins en matière répondre à l’ensemble des besoins Au niveau
de séquençage de génomes microbiens vont du CNRS, un programme « puces à ADN » est
probablement rester importants. La connais- maintenant « achevé » (mais pas les recherches
sance de la biodiversité et le développement en la matière !). Il est vraiment dommageable
de l’écologie microbienne passe par le pour la recherche que les quelques efforts
séquençage de nouveaux génomes. Le déve- entrepris ne soient que ponctuels et rapi-
loppement de nouveaux systèmes modèles dement classés « sans suite ». Le programme
hôtes-pathogènes particuliers, l’émergence ministériel qui subventionne les puces affyme-
de nouvelles pathologies infectieuses (voir trix ne répond pas nécessairement aux besoins
l’exemple récent du SARS), nécessiteront des utilisateurs. Le seul autre programme de
le séquençage de nouveaux pathogènes. génomique est le programme « protéomique et
De plus, la comparaison de génomes très génie des protéines » du CNRS qui a retenu en
proches ou de sérotypes pathogènes et non 2003 26 projets, dont 5 concernent la protéo-
pathogènes est riche d’enseignements tant au mique de microorganismes.
niveau des mécanismes de l’évolution que de
l’identification de facteurs de pathogénicité ou En ce qui concerne les programmes axés
de spécificité d’hôte. sur la microbiologie, les difficultés du nouveau
programme microbiologie, à l’avenir très incertain,
L’effort français de séquençage, pour ce illustrent bien les difficultés de la communauté
qui est des programmes à grande échelle, se des microbiologistes à trouver des financements.
fait essentiellement au Genoscope. Plusieurs En ce qui concerne l’écologie et la biodiversité
projets en cours ou qui viennent d’être achevés microbienne, le seul programme existant est
concernent des microorganismes (environ 16 Geomex, très ciblé et qui est très loin de couvrir
projets sur 45 répertoriés). Il est probable que la l’ensemble des besoins dans ce domaine. Enfin
capacité de séquençage du Genoscope ne saurait la génomique fonctionnelle implique nécessaire-
répondre aux besoins, alors même qu’il n’existe ment de s’allier à des approches génétiques. Or,
aucun programme, en particulier au ministère comme nous l’avons noté plus haut, il n’existe
de la recherche, pour financer des projets de à l’heure actuelle plus aucun financement spéci-
séquençage qui pourraient éventuellement être fique pour la génétique en France, qu’il s’agisse
réalisés sur d’autres plates-formes. de microorganismes ou d’autres organismes.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

6.5 CONCLUSION l’absorption du gaz carbonique et dans le


cycle de nombreux éléments minéraux. Enfin,
en matière de santé, un très grand nombre
La microbiologie peut offrir de nombreux de médicaments utilisent des principes actifs
modèles pour la génomique fonctionnelle, et d’origine végétale (aspirine, antitumoraux
dans le même temps, plusieurs secteurs de la tels que taxol et vinblastine, morphine, etc.)
microbiologie peuvent se renouveler de manière et la biodiversité végétale est loin d’avoir été
considérable grâce à la génomique (biodiversité complètement exploitée par l’homme pour
microbienne, réponses aux stress et adaptation assurer sa nutrition. Toute avancée sur la
aux milieux, interactions hôtes-pathogènes, etc.). connaissance des voies de biosynthèse de ces
Comme pour d’autres organismes, tirer les béné- produits a, ou aura, un impact sur la nutrition
fices de la révolution génomique ne se fera pas ou la production de médicaments et donc sur la
sans un nouveau développement de la génétique. santé. Au plan pratique, le développement de
Une réflexion sur l’articulation entre approches la génétique végétale a permis l’essor de l’amé-
globales et approches plus classiques, entre lioration des plantes et de la sélection variétale
plates-formes et travail au niveau des équipes, sur laquelle repose toute notre agriculture et
est également souhaitable. Les moyens financiers une partie des biotechnologies végétales.
et d’infrastructure nécessaires sont importants La génétique et la génomique végétales
pour la microbiologie comme pour d’autres revêtent une importance considérable, tant sur
disciplines. La faiblesse des moyens attribués à le plan théorique que pratique. Au plan de la
ce secteur, comme le manque d’infrastructures contribution à l’acquisition des connaissances,
et plates-formes réellement orientées vers la les travaux de génétique végétale ont d’abord
microbiologie ne fait que refléter les difficultés contribué à établir les lois fondamentales de la
de la microbiologie française, qui n’est plus une génétique avec les études réalisées sur le pois par
priorité depuis des dizaines d’années. Beaucoup Gregor Mendel. Ceux sont les travaux de Barbara
d’organismes de recherche et de génopoles McClintock sur le maïs qui ont conduit à la mise
orientent plutôt les moyens dont ils disposent en évidence des éléments transposables et aux
vers la génomique fonctionnelle des plantes concepts de fluidité des génomes. Plus récem-
et/ou de modèles animaux. On peut gager qu’on ment, les travaux de mise au point de plantes
ne fera pas l’économie de développer en paral- transgéniques ont révélé l’existence de méca-
lèle la génomique des microorganismes, a priori nismes d’inactivation de l’expression des gènes.
beaucoup plus abordable, et présentant souvent Les travaux pionniers allemands et anglais sur la
l’avantage de pouvoir s’appuyer sur des études génétique du développement floral du muflier
génétiques approfondies. ont conduit à identifier les gènes homéotiques
de développement floral. Ces divers travaux ont
illustré les particularités des caractéristiques du
développement des végétaux supérieurs. De
façon générale, la génétique végétale a permis
7 – LES GÉNOMES au cours des dix dernières années d’analyser
les processus de développement, et les voies
ET L’AGRONOMIE de transduction des signaux hormonaux ou
environnementaux. Ces découvertes orientent
dès maintenant les stratégies d’amélioration des
7.1 LES GÉNOMES plantes et d’utilisation des intrants.
ET LA GÉNÉTIQUE VÉGÉTALE
Les efforts de la génomique végétale ont
initialement porté sur des espèces ayant à la
Les plantes sont l’une des composantes fois « une bonne génétique » et une valeur de
majeures de notre environnement et jouent un modèle ; ils s’étendent maintenant aux princi-
rôle considérable dans la production d’oxygène, pales espèces d’intérêt agronomique dont les

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

génomes sont le plus souvent beaucoup plus technique a permis de générer des collec-
gros. Il était réaliste d’envisager le séquençage tions importantes de lignées étiquetées dont
des petits génomes comme celui d’Arabidopsis certaines sont exploitables pour des approches
(130 Mégabases) ou du riz (440 Mégabases), de génétique réverse par séquençage systé-
beaucoup moins d’envisager de séquencer matique des sites d’insertion. Parmi celles-ci
celui du maïs (2 600 Mégabases) ou du blé les collections Génoplante, GABI, Signal et
(16 000 Mégabases). Pour la plupart des Syngenta sont les plus importantes (avec des
espèces agronomiques l’étape initiale a consisté contraintes d’accès fortes pour cette dernière).
à réaliser des cartes saturées par des marqueurs Pour compléter cet outil de génétique réverse,
RFLP puis à dresser des catalogues de gènes à un programme européen, coordonné par la
partir d’étiquettes ADNc (EST). France, a été créé pour produire, à terme,
une collection de lignées « RNAi » affectée sur
chacun des 20 000 gènes annotés du génome
d’Arabidopsis. De puissants outils d’analyse
Les travaux de recherche du transcriptome sont maintenant également
sur l’espèce modèle Arabidopsis disponibles ou en cours d’élaboration. La firme
et les autres espèces modèles Affymetrix a été la première à commercialiser
une puce oligonucléotides de 8000 gènes
Ce n’est qu’au cours des années 80 que d’Arabidopsis. Affymetrix produit maintenant
le choix d’Arabidopsis thaliana comme espèce une puce de 22000 séquences en même
modèle s’est imposé au niveau mondial, et a temps qu’une batterie de puces « génomiques »
finalement « détrôné » aux USA les espèces couvrant sous forme d’oligonucléotides l’en-
phares maïs, soja et tomate. En effet Arabidopsis semble du génome. Parallèlement le consor-
thaliana est la première espèce végétale pour tium européen CATMA construit une puce de
laquelle diverses ressources génomiques ont 25000 éléments basée sur l’emploi de sondes
simplifié son utilisation pour des travaux de gène-spécifiques qui est maintenant opération-
génétique moléculaire. En premier lieu une nelle. Enfin une collaboration CNRS-CSHL USA
ressource EST a été constituée dès 1992 (consor- vise à créer une puce chromosomique permet-
tium français), puis une ressource YAC de bonne tant d’étudier les mécanismes de contrôle
qualité couvrant l’ensemble du génome (consor- épigénétique de l’expression des gènes sur
tium français) qui a permis le clonage posi- le Chromosome 4. Cet éventail d’outils est
tionnel de nombreux gènes. Une collaboration complété par la constitution de ressources
Allemagne-USA a par la suite réalisé une couver- visant à analyser la diversité biologique de
ture BAC du génome permettant le lancement l’espèce Arabidopsis. Les Pays-Bas ont été
d’un programme international de séquençage du pionniers dans ce domaine, suivis par le MPI
génome qui s’est terminé en 2000, programme de Jena (Allemagne) puis le Salk Institute. En
auquel le Genoscope, et ESSA (« European France, une « core collection » et un ensemble
Scientists Sequencing Arabidopsis ») impliquant de RIL ont été constitués à Versailles, ce qui
quelques laboratoires français, ont apporté représente une ressource significative pour
une contribution de qualité. Ce programme la communauté scientifique. Les outils SNP
est complété par trois initiatives (USA, Japon, permettant d’analyser le polymorphisme dans
France) de production de séquences d’ADNc ces populations sont développés dans le cadre
pleine longueur qui permettent une annotation d’une collaboration INRA-CNG. Les travaux
solide du génome et qui couvrent de l’ordre d’analyse du protéome menés en France, prin-
de 24 000 gènes. Les divers efforts visant à cipalement au CEA de Grenoble et à l’INRA de
maîtriser l’usage de transposons pour l’étique- Montpellier ont une bonne tenue scientifique,
tage de gènes ont finalement été distancés par par contre un important retard a été pris dans
la mise au point à Versailles d’une technique le domaine de l’analyse du métabolome d’Ara-
de mutagenèse d’insertion de l’ADN-T d’Ara- bidopsis, domaine dans lequel d’autres pays
bidopsis par transformation in planta. Cette d’Europe, l’Allemagne en particulier, ont pris

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

une longueur d’avance. Globalement l’INRA et « Arabidopsis for year 2010 » a été financé
le CNRS tiennent une place significative dans par la NSF avec le support déterminé du
la recherche en génétique moléculaire menée congrès américain. Malheureusement, il n’en
sur Arabidopsis au niveau international. La a pas été de même au niveau européen.
France se situe au cinquième rang mondial L’Union Européenne a financé une partie du
des citations par pays, derrière les USA, le séquençage du génome d’Arabidopsis dans le
Royaume Uni, l’Allemagne et le Japon, ce qui cadre du « framework 4 », mais n’a plus indi-
reste honorable. vidualisé les thématiques végétales dans ses
appels d’offre à partir du « framework 5 », et a
Le riz est devenu, à partir de 1997 la réorienté par la suite ses programmes sur les
seconde espèce végétale dont le génome questions de sécurité alimentaire. La contribu-
serait séquencé. Les équipes françaises, prin- tion de l’Union Européenne à la génomique
cipalement à Montpellier et Perpignan, se sont végétale a donc été très limitée dans le cadre
mobilisées pour assurer les contacts et réaliser des « frameworks » 5 et 6, malgré la qualité
le travail préliminaire de cartographie du chro- des projets et des équipes proposantes. Seul
mosome 12 qui a été finalement séquencé en un projet de génomique des légumineuses est
totalité par le Genoscope dans le cadre du retenu dans le cadre du « framework 6 ».
consortium international public. La même
stratégie de création de ressources et de mise
en place de collections de mutants d’insertion Notre pays a un savoir faire reconnu dans
a été réalisée, en particulier à Montpellier. le domaine de la génétique quantitative, mais
a tardé à introduire les outils de la génétique
Plus récemment, une luzerne sauvage, moléculaire pour étudier les génomes de
Medicago truncatula, a été poussée sur le plantes cultivées. Deux programmes européens
devant de la scène grâce aux efforts des (« framework 4 »), EGRAM et EuDicotMap,
équipes INRA et CNRS de Toulouse, Gif sur auxquels ont participé des équipes du CIRAD,
Yvette et Dijon. Son séquençage génomique du CNRS et de l’INRA, ont apporté une contribu-
est en cours, le Genoscope prenant en charge tion internationalement reconnue en effectuant
l’un des huit chromosomes. les travaux de cartographie RFLP comparée
établissant l’existence d’importantes conserva-
tions de synténie entre génomes de céréales
et plus limitées entre espèces dicotylédones et
Le programme Génoplante Arabidopsis. Le nombre réduit de travaux de
génétique mendélienne sur les plantes cultivées
Arabidopsis est un excellent modèle pour en France a limité les initiatives d’identifica-
l’étude de nombreuses fonctions, mais s’agis- tion des supports moléculaires de caractères
sant d’une plante sauvage, elle est dépourvue agronomiques et de développement des outils
de nombreux caractères connus sur les espèces de génomiques nécessaires à ces approches
cultivées, ce qui contribue à limiter son intérêt (banques BAC, puces ADN). Le constat a été
pour certaines approches (par exemple gènes fait par la direction de l’INRA et celle de firmes
support de domestication, formation des tuber- telles que Aventis et Limagrain que le retard
cules, des fruits, fixation racinaire de l’azote, accumulé pouvait avoir des conséquences
formation du bois, etc.). Ces divers éléments graves pour la compétitivité de la recherche
montrent l’importance des travaux de génétique publique, mais aussi une incidence très néga-
sur les plantes cultivées. Qu’en est-il des recher- tive sur la compétitivité du secteur semencier.
ches menées aujourd’hui ? Aux USA une forte Par exemple, en 1999, aucun gène « d’impor-
tradition de travaux de génétique sur les plantes tance agronomique » n’avait encore été identifié
cultivées a fourni la justification de travaux de en France contrairement à de nombreux autres
génomique. Un important programme de pays (USA, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas,
génomique portant sur un nombre conséquent et Australie) qui mènent sur la base de ce type
d’espèces cultivées, parallèle au programme de découvertes une politique offensive de

100

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

protection par brevet. Il a donc été décidé de les arbres fruitiers ou forestiers n’ont que
mettre en place un programme mobilisateur, peu bénéficié du programme car ces espèces
Génoplante, financé en principe pour un tiers n’étaient pas identifiées comme prioritaires par
par les instituts publics, un tiers par le secteur les partenaires privés de Génoplante, surtout
privé et un tiers par le ministère de la recherche céréaliers. Cependant, les équipes travaillant
(en réalité 40/40/20 !). Après quatre années, sur ces espèces ont largement bénéficié de la
les résultats obtenus sont impressionnants et dynamique créée.
notre pays a pu créer des outils de génomique
opérationnels pour cinq espèces cultivées
(maïs, blé, colza, riz, pois) en plus du soutien
qu’il a apporté aux travaux de génomique sur Quel avenir pour la recherche
Arabidopsis. Des ressources génomiques ont en génomique végétale ?
été créées en premier lieu. Parmi celles-ci
notons la production de marqueurs microsa- De nombreuses ressources moléculaires et
tellites ou SNP, banques BAC (par exemple génétiques ont été créées au cours des dernières
blé hexaploïde), collections importantes d’EST années et il est maintenant réaliste d’identifier le
(par exemple 150 000 EST de Maïs, 100 000 support moléculaire d’un caractère mendélien
EST de blé, etc.) et puces ADN dérivées, bases par clonage positionnel. De nouveaux outils
de données et outils logiciels bioinformatiques renouvellent complètement nos démarches
pour l’annotation des génomes. Chez le maïs expérimentales (par exemple TILLING, puces
et le riz des ressources de génétique réverse à ADN, etc.) et ouvrent de nouvelles perspec-
ont été aussi constituées. Des travaux d’ana- tives de recherche et d’applications. Il est donc
lyse QTL ont été menés sur toute une série indispensable de poursuivre l’effort de géno-
de caractères agronomiques sur lesquels des mique entrepris, en particulier sur les plantes
travaux de physiologie ayant un intérêt cognitif cultivées. C’est ici la mission des organismes
peuvent s’appuyer (remplissage de la graine, publics de recherche, de l’INRA, du CIRAD et
adaptation au stress hydrique, précocité de de l’IRD en particulier qui ont la capacité de
floraison, lignification, etc.). Enfin trois gènes gérer les ressources biologiques nécessaires.
d’importance agronomique, un gène de résis- Ce domaine de recherche présente de vastes
tance aux pucerons, VAT, un restaurateur de perspectives d’application dans le domaine
fertilité permettant la production de semences de l’amélioration des plantes cultivées, grâce
hybrides de colza, Rfo, et un gène de résistance à la sélection assistée par marqueurs qui peut
récessive aux virus, Pvr2, ont été récemment dorénavant s’envisager, dans les domaines de
clonés. Dans ce même cadre, trois plates-formes la traçabilité ou la découverte des mécanismes
de génomique ont été constituées qui jouent qui sous-tendent la qualité des produits. Tout
un rôle déterminant dans la conduite de ces en poursuivant les travaux sur Arabidopsis, il
nouveaux programmes à Evry (URGV INRA- semble important de développer des travaux de
CNRS, laboratoire RHOBIO privé) et au CIRAD génétique sur d’autres espèces, en particulier
de Montpellier. Au moins aussi important, une sur le riz, modèle d’étude des céréales et sur
dynamique nouvelle a été initiée qui a permis Medicago truncatula, légumineuse modèle qui
à un certain nombre d’équipes travaillant sur est, avec le maïs et la tomate, la prochaine prio-
plantes cultivées de renouveler leurs approches rité internationale en matière de séquençage.
et de former une réelle communauté scienti- Le riz présente l’intérêt particulier d’être un bon
fique en génétique moléculaire des plantes. modèle pour l’analyse de la variabilité géné-
tique, ce qui, pour être exploité, nécessite un
Il faut aussi souligner que Génoplante est investissement important dans le séquençage
loin de couvrir l’ensemble des projets de géné- d’allèles. Le nombre d’espèces cultivées sur
tique moléculaire des plantes : la plupart des lesquelles il est judicieux de faire des travaux de
espèces cultivées tropicales, cibles de l’IRD et génétique et de génomique de grande ampleur
du CIRAD, en sont exclues ; la vigne, la tomate, est une question dont la réponse dépend des

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

moyens que l’on veut investir. Il est essentiel de métabolites secondaires (les plantes fournissent
participer activement aux grands projets inter- 50 % des molécules d’intérêt pharmaceutique),
nationaux et de partager les charges les plus l’induction et le développement floral, le mode
lourdes. Dans une vision minimale, il semble d’action des phytohormones, les mécanismes
cependant important d’étudier au moins une de défense contre les pathogènes et préda-
céréale cultivée en France (le blé), une légumi- teurs et de co-évolution associés, etc. Grâce à
neuse (le pois, légumineuse à grosses graines l’accumulation des données génomiques, un
source de protéines végétales), un oléagineux important effort de recherches est à mener dans
(le colza, candidat à devenir une ressource le domaine émergeant de la biologie intégra-
majeure en biocarburants), enfin une espèce tive des systèmes complexes. Il y aurait lieu de
ligneuse et productrice de fruits, la vigne, créer de nouvelles équipes sur ces thèmes de
espèce en péril dans notre pays du fait de la recherche, de préférence sur des sites où existe
pression exercée par de nombreux pathogènes une masse critique de compétences.
qui en font la première culture consommatrice
de phytosanitaires. Le caractère stratégique des
travaux menés sur la vigne plaide en faveur du
séquençage rapide du génome de cette espèce Un sujet sensible :
afin d’y localiser en particulier les gènes impli- les OGM végétaux
qués dans la protection contre l’attaque des et la biotechnologie végétale
pathogènes. Une espèce fruitière tropicale telle
que la banane est aussi une possibilité intéres- Même si la création de plantes transgé-
sante envisagée par le CIRAD. niques (OGM) n’est que l’une des multiples
retombées de la génétique tant dans un but de
Quels thèmes majeurs aborder en France recherche que d’applications, elle est souvent
grâce à la génomique ? Nombreuses sont assimilée à la génétique végétale. La mauvaise
les équipes de recherche qui ont intégré la perception des OGM a donc un impact sur
génétique moléculaire à leurs approches. A l’essor futur de la génomique végétale. Les
de rares exceptions près, il n’y a plus guère travaux pionniers dans ce domaine ont été
de laboratoire végétaliste, INRA ou CNRS, conduits principalement en Europe au cours
qui n’utilise pas Arabidopsis comme outil de des années 80, en particulier sous l’impulsion
génétique moléculaire pour étayer ses travaux. de J. Schell et M. Van Montagu à Gand, et de
Cette situation est considérablement différente Jacques Tempé à Versailles. La machinerie
de celle à laquelle nous étions confrontés il y cellulaire de la bactérie phytopathogène
a 15 ans. La France est compétitive au niveau Agrobacterium tumefaciens, qui lui permet
international dans différentes thématiques : d’insérer un fragment oncogène d’ADN bacté-
formation de la paroi et lignification, formation rien dans le génome d’une cellule végétale,
du fruit, remplissage et qualité de la graine, a été utilisée pour développer des méthodes
adaptation aux stress hydriques et nutrition- efficaces de transformation génétique des
nels, membranes et systèmes de transport, plantes, ouvrant la voie à de multiples travaux
nodulation, biogenèse des plastes, système de recherche fondamentale, en particulier à
reproducteur, recombinaison et méiose, méris- tous ceux qui permettent d’établir la fonc-
tèmes, processus épigénétiques de contrôle de tion d’un gène par son inactivation ou par
l’expression des gènes, stabilité du génome et complémentation d’une mutation. Parmi ces
rétrotransposons, mécanismes de réparation travaux notons la découverte majeure des
de l’ADN. La liste n’est pas exhaustive, mais mécanismes d’inactivation épigénétique des
il reste par ailleurs des domaines importants gènes (« silencing »). Mais par ailleurs ces
insuffisamment couverts dans notre pays, parmi techniques ont aussi permis le développe-
lesquels il faut encourager en priorité l’étude ment de biotechnologies présentant un intérêt
des fonctions qui sont originales aux végé- agronomique (résistance aux herbicides, créa-
taux. Citons la mycorhization, la synthèse des tion de nouvelles résistances aux maladies ou

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

aux insectes, modification des réserves des sensiblement ralenti ces programmes et le
graines, production de molécules d’intérêt niveau de coopération internationale, puis
thérapeutique, dépollution, etc.). L’essor de a provoqué l’émergence d’un consortium
la génomique permettra aussi de réaliser des national, AGENAE.
OGM mieux définis, plus performants et mieux
traçables. Pourtant ces travaux ont été, et sont L’effort a porté initialement sur la produc-
encore, considérablement freinés en Europe tion de marqueurs microsatellites et la constru-
par l’existence du moratoire sur les OGM, alors ction de cartes génétiques, cytogénétiques
qu’ils sont soutenus massivement aux USA. et, plus récemment, de cartes d’irradiation,
Aujourd’hui 67,7 millions d’hectares d’OGM, domaine dans lequel la France occupe une
soit plus de quatre fois la surface cultivable place de premier plan. L’INRA a ainsi eu une
française, sont cultivés à travers le monde dont contribution importante, parfois majeure, dans
une part infime (moins du millième) en Europe, la construction des cartes du bovin, de l’ovin,
sans que cela aboutisse aux catastrophes écolo- du caprin, du porc, de la poule, du cheval, de
giques annoncées. Il en résulte malheureuse- la caille et du lapin.
ment un désengagement des industries de ce
Depuis plusieurs années, la stratégie priori-
secteur et une désaffection marquée en matière
taire est le développement de la cartographie
d’orientation professionnelle des jeunes vers
comparée entre espèces, en particulier avec les
les métiers de la recherche dans le domaine
génomes de l’homme et de la souris, permettant
végétal, où les candidatures à des DEA de
ainsi le transfert de l’information des espèces
biologie moléculaire végétale ont été divisées
les mieux connues vers les espèces agronomi-
par cinq en cinq ans. De la réponse apportée à
ques auxquelles des moyens beaucoup plus
ce problème dépend largement la compétitivité
réduits sont consacrés. D’abord à l’échelle
de notre industrie agroalimentaire et l’avenir de
chromosomique ou sub-chromosomique par
ce secteur de recherche, mais aussi notre PNB
peinture hétérologue au milieu des années 90,
et notre bien être collectif.
elle se base maintenant sur les cartes physiques
et les comparaisons de séquences. Des déve-
loppements bioinformatiques ont débouché sur
le logiciel ICCARE, un outil puissant de compa-
7.2 LES GÉNOMES raison des séquences entre espèces. Vers la fin
ET LA GÉNÉTIQUE ANIMALE des années 90, des banques de BAC ont été
produites pour la plupart des espèces étudiées
et, pour le bovin et le porc, elles ont été assem-
Les travaux de recherche en génétique blées et ancrées sur le génome humain à la
animale menés dans le domaine public en fois par des marqueurs et par séquençage
France, essentiellement à l’INRA, concernent d’extrémités des BAC, en collaboration avec
l’analyse des génomes, le déterminisme des le Genoscope. Dans ces deux espèces, ce
caractères phénotypiques, et les méthodes de travail réalisé dans le cadre d’AGENAE permet
gestion des populations animales domestiques. à l’INRA de participer aux consortiums de
séquençage des génomes complets, en cours
pour le bovin, en projet pour le porc.
Génomique et analyse des génomes À la fin des années 90, un effort de géno-
mique fonctionnelle a été réalisé en parallèle
L’étude des génomes d’animaux domes- avec la construction de banques d’ADNc
tiques a débuté au début des années 90 par normalisées de différents tissus, le séquençage
la construction des cartes génétiques des d’EST, en vue de produire des puces généri-
espèces agronomiques majeures dans le ques ou dédiées (glycogénome par exemple).
cadre de consortiums européens. L’arrêt des Ces travaux, réalisés pour l’essentiel dans le
financements européens en 1997 a d’abord cadre d’AGENAE, concernent quatre espèces,

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

le bovin, le porc, la poule et la truite. Ils sont sur appels à projets (5 millions d’euros par le
complétés par des accords d’échange interna- FNS, 10 millions d’euros par les partenaires et
tionaux avec l’USDA et différentes universités 10 millions d’euros par le FRT). Les travaux
américaines. Alors que le bilan de nos contribu- s’appuient sur les infrastructures collectives
tions au travail international est très significatif (centres nationaux, génopoles), sur le Centre
chez la truite (50 %), et non négligeable chez la National de Ressources Génomiques Animales
poule et le porc, l’arrivée récente et massive de mis en place à Jouy en Josas, et sur des
séquences d’EST pour plusieurs espèces, incite plateaux techniques installés dans les princi-
à réfléchir sur les options futures. Au minimum, paux centres INRA. Un dispositif système infor-
il convient de soustraire les clones déjà décrits matique unique, dérivé de celui de Génoplante,
avant de séquencer davantage. Dans certains est mis en place pour l’ensemble des génomes
cas, des banques spécifiques de tissus pourront animaux, avec un groupe de projets réunissant
être construites pour combler des fonctions actuellement sept personnes.
éventuellement absentes ou mal représentées.
Enfin, l’opportunité de se tourner vers les offres
commerciales de production de puces à oligo-
nucléotides est l’objet de réflexions. Variabilité génétique des phénotypes

Depuis trois ans, ces actions ont été réali- Cette thématique regroupe une part subs-
sées dans le cadre du programme AGENAE qui tantielle de la capacité de recherche ainsi que
est structuré autour des principes suivants : l’essentiel de la capacité expérimentale. Elle
– concentrer les moyens pour acquérir implique la définition des caractères analysés et
des données génériques sur les principaux de leurs composantes, leur méthode de mesure,
génomes d’intérêt en élevage (cartographie la modélisation statistique de leurs variations,
génétique et physique, transcriptome), dans le l’estimation de leurs paramètres génétiques, la
contexte de consortiums internationaux visant recherche de QTL ou de gènes majeurs (par
le séquençage complet ; des dispositifs familiaux), leur cartographie fine
(généralement par déséquilibre de liaison) et
– fédérer l’ensemble des équipes des l’identification des gènes impliqués et du poly-
différentes disciplines (génétique, physiologie, morphisme causal.
pathologie, nutrition) autour de l’usage de
matériels (puces) et d’outils (transcriptomique, Les caractères agronomiques étudiés
protéomique) pour répondre à des questions touchent la production, la reproduction, la
scientifiques et finalisées. composition corporelle, l’ingestion et l’efficacité
alimentaire, la qualité du lait et de la viande,
Initié au sein de l’INRA, le programme la résistance à diverses maladies (salmonelles,
AGENAE a ensuite été ouvert à une colla- coccidies, mammites, tremblante, parasites gastro-
boration organisée entre recherche publique intestinaux, etc.), le comportement, les aptitudes
et professions de l’élevage, se traduisant par sportives (chez le cheval) ou la coloration. Les
la création du GIS AGENAE et le soutien du dispositifs les plus courants sont la sélection de
ministère chargé de la recherche (Direction de lignées divergentes, les dispositifs de détection
la Recherche et Direction de la Technologie), de QTL (F2, BC), les dispositifs de cartographie
à des projets de recherche de type géné- fine de gènes. En complément du dispositif expé-
rique (soutien du FNS) et de type finalisé rimental, on mobilise aussi le dispositif national
(soutien conjoint du FRT et les partenaires de contrôle de performances, centralisé au CTIG
professionnels). Un premier appel à projets (INRA de Jouy en Josas) en collaboration avec
« GENANIMAL » a été lancé en avril 2003. les professionnels de la sélection animale. Un
Globalement, un budget de 50 millions d’euros observatoire national des anomalies génétiques
sur cinq ans a été retenu, dont environ 50 % a été mis en place pour compléter le dispo-
apporté par les établissements de recherche et sitif. Ces différentes sources d’information sont
50 % de contributions spécifiques attribuées très largement complémentaires : le dispositif

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

national couvrant des effectifs considérables, il – (c) le développement de méthodes de


permet l’estimation de paramètres à l’échelle de sélection et de gestion des populations (défi-
populations ou le criblage d’événements rares ; nition des objectifs de sélection, optimisation
par ailleurs, l’expérimentation donne accès à des programmes de sélection, caractérisation,
des génotypes ou des structures de populations de la diversité génétique, maintien de la
spécifiques, et à des phénotypes définis de façon variabilité génétique à long terme, méthodes
beaucoup plus précise, et à des échantillons de conservation).
biologiques.
Dans certains cas, les espèces agrono-
miques sont des modèles biomédicaux, comme
les porcs présentant une forte susceptibilité au 7.3 RECOMMANDATIONS
mélanome. Ces modèles sont sources de colla- COMMUNES AUX TRAVAUX
borations et de liens entre l’INRA et les autres DE GÉNÉTIQUE ET DE GÉNOMIQUE
organismes de recherche.
DANS LE DOMAINE AGRONOMIQUE
Quelques exemples de résultats : identi-
fication du gène RN responsable d’un défaut
de qualité de viande chez le porc, de plusieurs – Poursuivre le soutien aux programmes
gènes d’hyperprolificité chez l’ovin, du gène Génoplante et AGENAE portant sur la géno-
PIS d’intersexualité et d’absence de cornes mique des espèces modèles et de quelques
chez la chèvre, des différentes formes du animaux domestiques et plantes cultivées d’im-
gène PrP et de leur effet sur la résistance à portance majeure, à la fois pour promouvoir les
la tremblante. Par ailleurs, plusieurs centaines travaux de recherche fondamentale et la créa-
de gènes majeurs ou QTL ont été localisés, en tion d’outils performants en génétique animale
particulier chez le bovin, le porc, la poule et le et en génétique et amélioration des plantes ;
mouton, dont les plus importants sont en phase – lancer des appels d’offre nouveaux pour
de cartographie fine et de caractérisation. le soutien de programmes de biologie animale
et végétale utilisant les divers outils de la géno-
mique et de la génétique, mais aussi d’autres
Gestion des populations types d’outils (analyse d’image, biochimie, etc.)
et d’autres approches (en particulier les démar-
Enfin, au-delà des études de génomique ches de biologie des systèmes intégrés) ;
et de génétique des caractères agronomiques, – créer de nouvelles équipes analysant des
l’INRA et son département de génétique fonctions ayant une importance zootechnique
animale ont une mission dans la gestion de ou agronomique, au sens large du terme (par
certaines populations d’élevage, conformément exemple physiologie de la reproduction, adapta-
à la loi sur l’élevage de 1966. Cette mission se tion aux stress) selon la procédure des ACI ;
traduit par :
– informer les enseignants de biologie,
– (a) le maintien des bases de données les scolaires et le grand public de l’importance
nationales de contrôle de performances de la recherche en génétique et amélioration
au CTIG (identification, pedigree, situation des animaux domestiques et des plantes, et en
physique et performances des animaux) ; biotechnologie ;
– (b) l’évaluation génétique des repro- – soutenir les travaux de recherche fonda-
ducteurs, c’est-à-dire l’estimation de leur valeur mentaux sur les OGM animaux et végétaux,
génétique, à partir de leurs performances et pour éviter que la France accumule du retard
celles de leurs apparentés et, de plus en plus, à dans ce domaine, et définir un cadre sociale-
partir de l’information sur les polymorphismes de ment acceptable pour leur exploitation écono-
l’ADN (mutations causales ou marqueurs liés) ; mique éventuelle.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

8 – GÉNÉTIQUE, – (i) les applications de la génétique


existent déjà ;
GÉNOMIQUE ET
– (ii) elles voient le jour dans des entre-
BIOTECHNOLOGIE prises de toute taille et profil ;
– (iii) elles découlent d’une articula-
La société finance la recherche, quel tion réussie entre recherche académique et
retour en attend-t-elle ? Répondre à cette ques- recherche privée.
tion est une des clés du bon fonctionnement Enfin, il faut noter que la génétique, avec
du contrat social entre le chercheur et le l’apparition de la génomique (dans le sens
citoyen. La première réponse est certainement étude à grande échelle d’un grand nombre
de faire des découvertes inattendues grâce à d’objets biologiques, gènes, protéines ou
l’acquisition de connaissances nouvelles. Cette autres), est le premier secteur de la recherche
acquisition est essentielle au développement en biologie où l’on voit apparaître une indus-
de l’humanité et elle répond – en partie – à trialisation de la recherche fondamentale.
des questions existentielles. Ces questions sont
légitimes, tout un chacun les exprime plus ou
moins consciemment ; les généticiens doivent
revendiquer cette part de rêve (et pas seule-
ment de cauchemar) que d’autres scientifiques 8.1 APPORTSDE LA GÉNÉTIQUE
en recherche fondamentale assument sans DANS LE DOMAINE DES APPLICATIONS
hésitation. La deuxième réponse est, sans nul
doute, que la recherche doit aussi apporter des
réponses concrètes : ne plus avoir faim, vivre La génétique et la génomique ont déjà
en meilleure santé, avoir un environnement des retombées potentielles dans de nombreux
préservé pour les générations futures. secteurs industriels :
Pour ces demandes de progrès écono- – pharmaceutique, par exemple souches
mique, il est possible d’identifier une contri- mutantes ou transgéniques pour la production
bution de la recherche en génétique. Pourtant, de vitamines ou d’antibiotiques, variants viraux
ici comme dans d’autres domaines, la France pour des vaccins, modèles animaux pour des
parvient difficilement à suivre le rythme imposé maladies, gènes de virulence dans les bacté-
par les énormes investissements publics et ries pathogènes comme cibles thérapeutiques,
privés des États-Unis ou d’autres pays euro- validation de cibles pharmacologiques sur
péens. Il n’est pas question dans ce chapitre récepteurs clonés ;
de rediscuter de la pertinence à financer de la – agro-alimentaire, avec la production
recherche fondamentale, ou appliquée, dans de variants génétiques sélectionnés pour
des institutions de recherche académique ou de nombreuses espèces végétales (ici, nous
des entreprises privées, mais de souligner les parlons de sélection de variants naturels). On
points spécifiques à la génétique ou à la géno- peut aussi évoquer la recherche de combinai-
mique. En effet, il y a une réelle tendance des sons génétiques optimales chez les animaux
pouvoirs publics à sous-estimer les enjeux de la de boucherie ;
génétique dans le domaine industriel (industrie
pharmaceutique, agroalimentaire, énergétique et – procédés industriels proprement dits
environnementale), en raison du souci de garder avec la fabrication par des microorganismes
un profil bas sur des questions sensibles (par génétiquement modifiés de produits biochimi-
exemple O GM, clonage animal et humain) et ques entrant dans la composition de produits
aussi tout simplement par méconnaissance du industriels (lessives, produits aromatiques),
potentiel technique de la génétique. Les points ou pour le traitement de déchets (sélection
essentiels, développés ci-dessous, sont que : de souches bactériennes pour détoxiquer des

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

boues industrielles). L’usage d’organismes qui font appel à de sérieuses connaissances


génétiquement modifiés dans une filière en génétique. Dans un milieu de très
alimentaire devrait aussi être débattu dans grande compétitivité, les seules sociétés
un cadre plus sérieux et moins polémique qui survivront seront celles qui, au-delà
qu’aujourd’hui. d’une innovation technologique, sauront
intégrer une recherche amont interne ou
Ces secteurs sont à l’affût d’innovations. avec des partenariats académiques de très
À l’heure actuelle, ces marchés sont toujours en haut niveau. La génomique réduite à de la
forte croissance. Les innovations sont recher- cuisine de biologie moléculaire mâtinée de
chées, même sur du long terme (avec déve- bioinformatique de salon ne permettra pas
loppements prévus des produits à 10-15 ans) à ces sociétés de développer en interne ou
et sur des paris scientifiques risqués (haute de proposer à des partenaires industriels des
valeur ajoutée). produits innovants. On assistera à des feux
de paille associés à des coups boursiers.

8.2 APPLICATIONS GÉNÉTIQUES


DANS TOUS LES TYPES D’ENTREPRISES 8.3 ARTICULATION ENTRE RECHERCHE
ACADÉMIQUE ET INDUSTRIELLE
Les innovations par la génétique arri-
vent dans tous les types d’entreprises :
Les gènes (et produits dérivés) peuvent
– les grands groupes internationaux (par être des outils et les données de la génétique
exemple Procter & Gamble, laboratoires phar- peuvent donner des informations pour des
maceutiques divers, Monsanto ou DuPont) décisions sur des développements indus-
ayant des départements de recherche qui font triels. Cet enjeu est bien perçu dans de
de la génétique. Les politiques affichées à court nombreux pays, l’articulation entre recherche
terme par ces groupes, parfois pour des raisons académique et sociétés industrielles existe
liées au marché boursier, ne doivent pas faire déjà, la biologie/génétique se trouvant très
perdre de vue les grandes options stratégi- souvent en amont des phases de dévelop-
ques à long terme qui intègrent toujours de la pement que les entreprises maîtrisent en
recherche amont en génétique ; interne (citons, à l’échelle européenne, le
Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suisse).
– les sociétés établies dans des créneaux Dans les pays où cette articulation fait
niches qui ont émergé, surtout aux États-Unis, défaut, et la France fait malheureusement
au cours des 20 dernières années. À partir de partie de ceux-là, la capacité des entreprises
la révolution de la biologie moléculaire, des à créer des produits innovants est faible et le
sociétés se sont créées et ont très vite déve- milieu de la recherche académique ne forme
loppé en interne et/ou en partenariat avec pas (ou mal) des chercheurs qui auraient
des chercheurs du secteur académique de la comme vocation à transformer en produit
recherche en génétique de qualité. Chiron ou une découverte scientifique. C’est clairement
Amgen sont des exemples de telles sociétés le problème de la frontière (pris dans le sens
aux États-Unis. Serono, leader en produc- lieu de passage et non mur de séparation)
tion de protéines recombinantes, cherche à entre découverte et invention qui est posé.
s’inscrire dans ce schéma avec l’acquisition
de Genset ;
– les nouvelles sociétés de type start-up,
créées à partir de nouveaux concepts biolo-
giques ou de méthodologies expérimentales

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

8.4 INDUSTRIALISATION et qui relève d’un choix politique à assumer


(maintien d’emplois industriels, création d’en-
DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE
treprises, etc.), il faut permettre à la recherche
EN GÉNÉTIQUE française en génétique d’être compétitive par
rapport à ses voisines en Europe, sur le conti-
nent américain et en Asie. Les actions principales
Enfin, la génétique, avec l’arrivée de sont à mener sur le long terme et ne peuvent
la génomique, est le premier domaine de la donc pas s’inscrire dans des effets d’annonce
recherche en biologie où la dimension indus- budgétaire. Il faut partir du constat que, dans le
trielle a été prise en compte (robotique, auto- domaine de la génétique et de la génomique, les
matisation, grand nombre d’échantillons, etc.) acteurs mondiaux se trouvent à la fois parmi les
y compris dans les structures de recherche institutions de recherche académiques et dans
fondamentale. Cette dimension existait déjà les entreprises, françaises ou non, avec des liens
dans le monde médical (analyse médicale à variés entre ces structures, créés sur la base d’in-
grande échelle avec robots de biochimie et/ou térêts respectifs bien compris :
sérologie). Mais les chercheurs en biologie igno-
raient souvent cette culture du grand nombre – cofinancement de plates-formes techno-
d’échantillons ou des robots. Dans de nombreux logiques et de développements d’outils métho-
centres de recherche académique, génétique et dologiques ;
génomique sont maintenant clairement asso- – création de projets scientifiques mixtes
ciées et complémentaires pour des projets de où les cultures scientifiques se nourrissent
recherche fondamentale. En France, les centres respectivement ;
de recherche fondamentale qui bénéficient de
plates-formes à haut débit d’un niveau national – identification soigneuse des retombées
ou international sont rares. Citons le Centre possibles des projets, tant sur le plan des publi-
National de Séquençage et le Centre national cations (notoriété, visibilité scientifique) que
de Génotypage à Évry, la Clinique de la Souris sur la création de propriété ou produits indus-
à Strasbourg, et une plate-forme émergente de triels avec la reconnaissance de la contribution
protéomique au CEA à Grenoble. L’analyse de de chaque partenaire.
ces diverses structures, en France comme à En France, pour réaliser ces objectifs il
l’étranger, démontre que le succès de ces plates- faudrait soutenir ou imaginer des initiatives
formes passe par l’excellence scientifique des telles que :
équipes qui en sont les animatrices. Le mythe
de plates-formes technologiques performantes – laboratoires associés publics-privés. Ici
qui seraient dirigées indépendamment de projets nous nous référons à des structures, observées
scientifiques évalués et reconnus comme excel- à l’Étranger (Royaume-Uni, Japon par exemple)
lents doit être dénoncé : le coût de ces struc- où cohabitent des chercheurs travaillant sur des
tures, en général très élevé, et l’obligation d’une sujets de recherche fondamentale et finalisée.
action dans la durée (5 à 10 ans, au minimum) Les chercheurs peuvent passer d’un type de
justifient la mise en place de mécanismes d’éva- projet à l’autre. Il en résulte un échange de
luation précis et performants. pratiques professionnelles qui sont très fruc-
tueux. Mais cela suppose une grande rigueur
dans la définition des objectifs et des moyens
mis en œuvre ;
8.5 RECOMMANDATIONS – structures de valorisation associées aux
laboratoires de recherche fondamentale et aux
entreprises. Cette association doit se faire au
Au-delà du soutien direct que les pouvoirs contact des équipes de recherche, avec une
publics peuvent ou non apporter aux dévelop- compétence mixte de nature industrielle et scien-
pements des entreprises industrielles en France tifique au sein de la structure de valorisation. La

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

traduction en valeur économique d’un résultat trop souvent absente chez un grand nombre de
de recherche requiert un réel savoir-faire qui décideurs à tous les niveaux. Par ailleurs, l’intro-
ne s’invente pas ; duction de l’enseignement de la technologie au
collège, à côté de la physique, de la chimie et des
– passerelles entre structures industrielles sciences de la vie, n’a pas répondu à la demande :
et de recherche académique pour des cher- on a créé de nouvelles frontières entre savoirs,
cheurs et techniciens sur des missions à durée au lieu d’insister sur la synergie entre eux et la
déterminée (1, 2, ou même 5 ans) ; fertilisation croisée possible entre ces champs de
– aide à la création d’entreprises basées connaissance. Dans le domaine de la génétique
sur une expertise scientifique et technique et de la génomique, cet aspect culturel est parti-
permettant d’établir un métier dont on mesure culièrement criant : c’est le mélange subtil entre
le succès par la création d’emplois dans la cultures scientifique et technique qui a créé de la
durée et non par la seule hausse des actions synergie entre découverte scientifique et inven-
en bourse sur la base d’une communication tion d’un produit, par exemple dans le cas du
sans support concret. séquençage de l’ADN ou des kits de diagnostic
pour des agents viraux émergents. C’est l’absence
Dans le domaine de la génétique et géno- de liens entre science et technologie qui freine
mique, de telles initiatives pourraient très vite la création et interdit le fonctionnement pérenne
se mettre en place ou se développer. de structures industrielles innovantes pratiquant
En France, pour améliorer la mise en réellement la recherche et le développement
œuvre de tels projets, il faut certainement dans notre pays. Génétique et génomique ont
évaluer les expériences menées, soit sous la des atouts, ensemble, pour servir de chantier
forme de partenariats bilatéraux (financés par pilote pour améliorer cette situation.
le réseau génome par exemple), soit dans le
cadre de consortia (Génoplante), soit sur la
base de projets scientifiques retenus par les
comités scientifiques mis en place auprès des
plates-formes (CNS, par exemple).
Un dernier point mérite d’être souligné :
9 – GÉNÉTIQUE ET SOCIÉTÉ
en France la culture scientifique est disjointe de
la culture technique, et l’opposition des deux
conduit trop souvent à créer des structures La politique scientifique nationale est clai-
non performantes. Ainsi il est souvent difficile rement devenue un enjeu majeur dans les pays
de présenter un thème de recherche métho- développés et les gouvernements se chargent de
dologique dans un laboratoire de recherche façon de plus en plus évidente d’en définir les
fondamentale comme un sujet de thèse légi- objectifs par rapport à la société. Les citoyens
time. On reconnaît moins souvent qu’ailleurs financent directement la recherche scientifique
la contribution déterminante de la levée d’un publique, et indirectement la recherche privée
verrou technologique pour répondre à une par les crédits d’impôts, et l’élévation du niveau
question scientifique. culturel moyen des électeurs leur permet de
demander aux scientifiques un retour sur leur
La responsabilité de cet état de fait ne investissement. Or, les coûts sont devenus
revient pas uniquement aux décideurs de considérables, parce qu’en plus de la recherche
l’attribution des deniers publics, mais révèle universitaire, liée à l’appréciation positive de la
une méconnaissance en profondeur des formation des jeunes par la recherche, dans
mécanismes de création scientifique et d’in- tous les pays développés existent des agences
novation. Cet état de fait s’enracine dès le dédiées exclusivement à la recherche, surtout
système éducatif. La culture scientifique, parti- avec des visées applicatives. D’autre part,
culièrement en biologie, s’acquiert encore trop les méthodes d’études sont devenues très
peu au niveau des collèges et des lycées et est complexes, sophistiquées et chères.

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

Cette formulation des rapports entre cher- époques, les civilisations et la conception qu’on
cheurs et société peut apparaître brutale, mais a de la condition humaine. De plus, prolonger
c’est souvent dans ces termes que les questions la vie n’a d’intérêt dans nos sociétés que si
posées par le financement de la recherche l’état général, et l’état mental en particulier, sont
universitaire ou des EPST (Entreprises maintenus à un niveau satisfaisant. Malgré ces
Publiques Scientifiques et Technologiques) complications, c’est bien l’exigence d’une vie
sont discutées actuellement en France. Par globalement meilleure qui est à l’origine du
exemple, les tutelles ministérielles demandent développement des fondements et des appli-
aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs cations de la médecine, de la biologie, de la
du secteur public d’accepter l’évaluation chimie et de la physique modernes, mais aussi
rigoureuse de leurs travaux de recherche, des sciences humaines et sociales.
pour justifier leurs salaires et leurs finance-
ments. Il est intéressant alors d’examiner les Si l’on se limite à ce constat, on pourrait
critères utilisés pour l’évaluation, puisqu’ils avoir l’impression que la seule raison d’intérêt
n’indiquent pas seulement les standards que des citoyens des pays occidentaux pour la
se donne la science, mais aussi les obligations science se trouve dans ses applications prati-
que la société pose aux scientifiques. D’autre ques. Or, la situation est plus complexe. En
part, de plus en plus les recherches sont finan- effet, d’une part les applications de la science
cées sur des contrats établis entre le bailleur ont parfois généré des interrogations, voire des
de fonds et le scientifique, qui voit donc son révoltes parmi les citoyens et, d’autre part, la
activité orientée par le besoin d’obtenir l’argent demande scientifique sociale s’adresse aussi
nécessaire pour ses expériences. avec grande force à des problèmes dont les
solutions n’apparaissent pas immédiatement
Finalement, les parlements nationaux et le utiles dans la vie de tous les jours.
parlement européen sont sollicités de plus en plus
souvent pour statuer sur des problèmes provo- Pour commencer par ce dernier point, il
qués par l’avancée des résultats scientifiques. faut souligner que l’astrophysique, les études
Après les applications de la physique moderne interdisciplinaires sur l’origine de l’espèce
dans le domaine militaire, ce sont bien les avan- humaine, l’archéologie, l’histoire des religions,
cées de la biologie, et de la génétique en parti- l’histoire de l’art, la philosophie, la psychologie,
culier, qui inquiètent aujourd’hui de nombreux etc., suscitent un grand intérêt dans le public,
électeurs dans les pays développés. sans que leur soit associée la possibilité d’une
application immédiate. Il apparaît donc que
Notre analyse des interactions entre la la société se pose des questions très fonda-
recherche en génétique et notre société doit mentales sur notre origine, notre nature,
alors s’inscrire dans le cadre global de la vision notre place et notre destin dans un univers
sociale actuelle de la science et des volontés de complexe et immense. Or, pour répondre à ces
pilotage de ses orientations qui se manifestent interrogations, le public a besoin de l’aide des
dans les pays développés. chercheurs et il est donc prêt à subventionner
Il convient donc de s’interroger de façon leurs recherches. À partir de cette observation,
générale sur les questions que la société contem- on peut aussi souligner qu’il semble accepté
poraine pose aux scientifiques, puisque leur iden- par l’opinion que la capacité de notre espèce
tification aidera à comprendre les normes actuelles à s’interroger sur les questions scientifiques
qui règlent le contrat social entre les chercheurs et fondamentales constitue un élément central
leurs concitoyens. Dans nos sociétés, il apparaît des moyens d’analyse et de représentation qui
que la demande principale actuelle soit celle de ont contribué à l’évolution de notre espèce.
vivre mieux et plus longtemps.
Depuis que la science rationnelle, que
Ce concept d’apparence simple est en nous pratiquons aujourd’hui, s’est développée,
réalité très complexe, puisque la définition quelques exemples majeurs qui ont marqué
d’une bonne vie est différente selon les notre histoire par leur ampleur et leur non

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

utilitarisme immédiat, peuvent être cités. présent et notre futur, faute de quoi des
L’un est celui des observations de Copernic réactions hostiles à la science peuvent s’am-
et Galilée qui sortirent la terre du centre de plifier. Nos concitoyens sont conscients que
l’univers. Les montres n’ont pas été changées des découvertes très importantes ont déjà été
pour autant, et le soleil se lève toujours à l’est. réalisées en génétique et que d’autres vont
Un autre est l’hypothèse évolutive de Darwin sans doute suivre. Cependant, la génétique est
qui sortit l’homme du centre de la création. surtout assimilée à certaines de ses applications,
L’homme n’en fut ni meilleur ni plus mauvais. comme la lutte contre le cancer, les organismes
Ces deux événements ébranlèrent la société, génétiquement modifiés (OGM), les techni-
et si l’univers galiléen nous est aujourd’hui ques de procréation médicalement assistée, le
familier, l’idée darwinienne, qui postule que diagnostique prénatal de maladies génétiques,
l’homme, malgré la culture qui le distingue du les manipulations génétiques de toutes sortes
reste des êtres vivants, est de même nature que et en fin de compte le clonage humain. Toutes
l’animal, le végétal ou le microbe, n’est toujours ces applications sont loin de faire l’unanimité
pas assimilé réellement dans notre société. dans le public, bien au contraire certaines
suscitent même des réactions de franche
Le bilan d’un siècle de génétique et ses hostilité. Laisser identifier l’étude des gènes et
perspectives d’avenir doivent donc être intégrés des génomes avec ces applications serait donc
dans ce contexte d’intérêt et parfois de résis- non seulement simpliste et erroné, mais aussi
tance profonds du public pour les réponses dangereux parce que cela pourrait contribuer à
apportées par une discipline scientifique. Il susciter une vague d’opposition à la recherche
serait simpliste de nous concentrer exclusive- scientifique en général.
ment sur les possibilités nouvelles offertes par
les applications de notre discipline à la solu- Nous avons donc la responsabilité de
tion de problèmes d’intérêt immédiat. L’histoire convaincre nos concitoyens que nos recher-
de la science montre bien que les retombées ches contribuent à répondre aux questions
les plus extraordinaires et inattendues sur fondamentales qui sont posées par la société
le plan pratique sont venues de recherches depuis toujours, et qu’elles ne peuvent pas
fondamentales, motivées par la seule curio- être résumées seulement par ses applications.
sité du scientifique et sa capacité à se poser Cependant, il faut aussi courir le risque d’ex-
des questions originales et à en chercher les pliquer que certaines applications ne sont pas
réponses de façon rigoureuse et sans préjugés forcément mauvaises et que ce n’est pas parce
ni contraintes sociales. qu’elles suscitent des interrogations nouvelles
qu’il faut en avoir peur. Une société démocra-
D’autre part, le renvoi obsédant de tique avancée devrait être capable, en y mettant
certains courants de pensée à l’idée que la l’énergie et le temps nécessaires, d’évaluer avec
science doit s’attaquer à satisfaire en prio- ses membres l’impact social des avancées des
rité les besoins immédiats de l’humanité a sciences, sans ouvrir la porte à des réactions
induit certains groupes d’opinion à définir irrationnelles.
la recherche scientifique comme le moteur
de l’exploitation irréfléchie et égoïste des Dans les domaines de recherche couverts
ressources. Or, des exemples récents tragiques par les groupes qui étudient les structures, les
de l’histoire humaine confirment la nécessité fonctions et les régulations des gènes et des
d’une réflexion très large sur les rapports entre génomes, plusieurs axes complémentaires
la science, ses applications et leur utilisation peuvent être définis pour les prochaines
par les sociétés humaines. années, qui vont de la physiopathologie de
l’ADN à la reconstitution de l’évolution molécu-
Nous vivons une période d’une telle laire qui a mené à la vie telle qu’on la connaît
fécondité scientifique en biologie qu’il est de aujourd’hui, à la naissance de l’homme, à la
notre devoir d’apporter à notre société des complexité cellulaire et à la variété des formes
éléments nouveaux de réflexion sur notre de vie dans notre planète (et ailleurs ?).

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

L’étude de l’organisation et du fonctionne- sous-système (mitochondrie, noyau, chaînes


ment des gènes et des génomes est loin d’être de biosynthèse, etc.). L’articulation entre ces
accomplie. L’identification de la séquence sous-ensembles doit être abordée plus fine-
du génome humain a sans doute marqué les ment. Il s’agit à la fois des aspects de flux
esprits : cependant même le public commence de l’information présente dans le génome
à se rendre compte que ce n’est qu’une étape (signalisation, codage, rétroactivité, etc.), de
dans la compréhension du fonctionnement de la dynamique de l’architecture fonctionnelle
la molécule qui organise le fonctionnement et cellulaire (assemblage et désassemblage) et de
l’hérédité de la plupart des organismes, c’est- l’organisation spatio-temporelle des éléments
à-dire l’ADN. La connaissance du rôle de l’ADN (mouvements des protéines, des organites).
a fait son chemin dans la culture de base grâce Un nouveau concept commence aussi à
au bon système d’études secondaires français émerger : comme toute organisation vivante,
en même temps que la notion que des aberra- de la molécule biologique à la biosphère, une
tions de sa structure ou de son fonctionnement cellule n’a pas de déterminisme absolu, elle est
provoquent des maladies. La constitution de le fruit d’une histoire. Chaque cellule naît, vit
puissantes associations de familles de patients et meurt. À chaque instant où nous la voyons,
atteints de maladies génétiques, associations elle est à un moment de son histoire unique,
qui sont capables de mobiliser les médias, de héritière de son propre passé individuel et
récolter de grandes sommes d’argent, d’in- devant un avenir qui est inconnu de par le
fluencer les politiciens et d’orienter la recherche fait même des événements stochastiques qui
biomédicale, a contribué à propager la notion surviendront. L’approche de la cellule unique
du rôle central joué par l’ADN et celle des sera sans doute un chemin plein de surprise
dangers de ses aberrations. Malheureusement, et les traces de son histoire laissées dans son
ces élans ont contribué à alimenter des faux patrimoine génétique sont à la fois causes de
espoirs de guérisons rapides liées à l’utilisa- dysfonctionnement mais aussi matériels utilisés
tion de thérapies géniques. Les déceptions par l’évolution.
de ces espoirs trop optimistes, mais aussi les
progrès réels qui ont été réalisés par la mise L’étude de la variété de la vie tient de
en jeu de grandes sommes d’argent, devraient beaucoup plus près des questions d’identité
convaincre l’opinion publique de la nécessité de l’homme et de sa place sur la terre. En plus
de développer les recherches fondamentales en de l’étude de son organisation, qu’on a déjà
génétique, en particulier sur le métabolisme de discutée, un aspect plus étrange de la cellule
l’ADN. D’autre part, la lutte contre le cancer a est sa « robustesse » dans le sens scientifique,
été décrétée grande cause nationale en France. c’est-à-dire son pouvoir de continuer son
Elle passe nécessairement par la prévention, le chemin en dépit des heurts et accidents, des
dépistage et les soins médicaux mais aussi par variations faibles mais incessantes de son envi-
la compréhension du rôle central joué dans ronnement. Un autre niveau d’analyse est celui
son déclenchement par les dysfonctionnements des différences entre individus à l’intérieur
de l’ADN. L’effort des généticiens devrait se d’une espèce donnée. Ces variations peuvent
concentrer sur l’explication que des applica- être d’amplitude variable, chaque espèce étant
tions utiles contre les maladies génétiques et le marquée fortement par son histoire : expan-
cancer ne peuvent venir que d’une recherche sion, heurts avec des pressions de sélections
fondamentale bien soutenue financièrement et fortes ou pas, constantes ou variables, étran-
d’excellente qualité. glement des effectifs de population, etc. Enfin,
il nous reste à découvrir la partie cachée de
L’étude des causes génétiques de la l’iceberg de la vie. Nous ne connaissons qu’en-
complexité cellulaire est présente dans tous viron 1 à 10 % des bactéries et la mer, refuge de
les projets destinés à comprendre le fonc- la grande majorité de la variété biologique, du
tionnement intégré d’une cellule. Jusqu’ici fait de sa taille et de sa difficile accessibilité est
nous avons démonté ce microcosme en une réserve immense. Les résultats des analyses

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

génomiques et fonctionnelles qui viendront de et sur le sens à donner aux différences évidentes
l’ensemble de ces thèmes de recherche peuvent de couleur de peau ou de forme des yeux, indi-
être très spectaculaires autant sur le plan fonda- quent bien la portée profonde dans l’imaginaire
mental que sociologique et appliqué. du public de recherches de génétique qui n’ont
pas pourtant d’applications immédiates.
Un autre élément de grande fascination pour
le public des pays développés est celui de la mise
en place des organes, en particulier le cerveau Finalement, la connaissance de l’évolution
et son fonctionnement, et jusqu’aux individus des espèces sur la terre (naissance, apogée,
complets. Dans ce même contexte s’inscrivent disparition), la capacité de notre espèce de
les recherches, plus techniques mais tout aussi modifier les conditions de sélection grâce aux
fascinantes, sur les cellules souches présentes avancées technologiques, et l’énorme accélé-
chez l’adulte. En effet, tout en posant la question ration des connaissances en biologie posent
fondamentale des divisions asymétriques qui des questions extraordinaires qui touchent au
permettent leur maintien, les cellules souches de fondement même de la notion d’humanité. Par
l’adulte ouvrent des pistes applicatives de thérapie exemple, le débat sur le clonage thérapeutique
cellulaire alternatives à la thérapie génique et au conduit à des réponses différentes dans diffé-
clonage thérapeutique. On est là bien évidem- rents pays : cela indique bien que les problèmes
ment dans des domaines où seules des études posés sortent du strict cadre scientifique, qui est
interdisciplinaires pourront trouver des réponses le même partout, pour assumer des dimensions
satisfaisantes à des problèmes si complexes. philosophiques et idéologiques qui sont propres
Cependant, l’identification du rôle joué par le aux diverses cultures qui peuplent notre planète.
patrimoine génétique et son plan global d’expres- Dans une période de respect des différences, il
sion et de régulation reste un point central de ces est difficile d’imposer une opinion ou une ligne
analyses. Sans tomber dans les excès qui ont nui de conduite à l’ensemble des pays capables de
à notre discipline, comme les annonces erronées réaliser le clonage humain. D’autre part, des
de la découverte des gènes de la criminalité ou énormes intérêts économiques sont en jeu et
de l’homosexualité, des sujets passionnants de on ne peut pas exclure que même dans des pays
recherche concernent les déterminants génétiques culturellement hostiles au clonage thérapeutique
qui ont permis à notre espèce de développer un la pression des forces financières ne conduise
langage complexe et la capacité d’abstraction et pas à un changement de l’opinion publique.
de représentation symbolique. Le public semble L’impact profond de ces thèmes sur l’imaginaire
très intéressé par les études sur les composants collectif est prouvé par la déclaration d’un
matériels des activités cérébrales complexes, mouvement religieux sectaire d’avoir réalisé le
autant pour analyser les comportements ration- clonage reproductif humain. Sans donner trop
nels que sentimentaux. d’importance à de telles déclarations, dont les
motivations ne sont pas scientifiques, on ne peut
L’histoire évolutive des caractères qui nous pas passer sous silence l’obtention, publiée en
ont rendus différents des autres animaux constitue mars 2004 par un groupe sud-coréen (Hwang et
donc un défi intellectuel qui dépasse les murs de al. « Évidence of a pluripotent human embryonic
nos laboratoires. Les études génétiques et géno- stem cell line derived from a cloned blastocyst »,
miques d’espèces modèles autres que l’homme Science, vol.303, 1669-1674, 12 mars 2004), d’un
ont permis de commencer à tracer le chemin embryon humain obtenu par insertion d’un
suivi par les gènes au cours de l’évolution qui, à noyau dérivé d’une cellule différenciée dans
partir de lointains ancêtres communs, a conduit à un œuf humain énuclée. Le but de cette expé-
l’apparition de nouvelles formes biologiques. Le rience semble limité à l’étude des conditions
débat récurrent sur l’origine de l’espèce humaine, expérimentales nécessaires à sa réalisation et à
sur nos relations avec les grands singes, avec la production de cellules souches embryonnaires
lesquels nous partageons tant d’information géné- utilisables en thérapie, c’est-à-dire au clonage
tique, et finalement les questions politiquement thérapeutique. Cependant, le pas a été franchi,
très délicates sur l’existence de races humaines et pour la première fois la construction d’un

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RAPPORT DE CONJONCTURE 2004

clone humain capable de dépasser le stade de est citée partout dans les médias, qu’elle suscite
8 à 10 cellules a été documentée au sein de la tant d’espoirs mais aussi beaucoup d’interroga-
communauté scientifique. tions, alors que les grandes nations scientifiques
engagent des moyens considérables dans la
Même si la perspective de la modification
recherche sur les génomes, aucun programme
programmée du patrimoine génétique de notre
dédié au soutien à la génétique n’existe dans
espèce est une perspective qui semble encore
notre pays. À terme, c’est l’une des activités
lointaine, il serait imprudent de sous-estimer la
essentielles au développement des sciences de
rapidité de l’accumulation des données biolo-
la vie qui risque de s’étioler d’une façon qui
giques et celle des évolutions technologiques.
pourrait être irréversible.
Déjà une partie de nos concitoyens s’interroge
sur la possibilité d’un nouvel eugénisme scienti- Un programme interdisciplinaire pour
fique généré par les résultats de la génétique. Ce le développement de la génétique et de la
débat ne doit pas être escamoté. Le diagnostic recherche sur les génomes devrait permettre
pré-implantatoire est déjà utilisé pour sélectionner de contribuer à la structuration de la commu-
l’embryon, et les tests génétiques pour des nauté scientifique travaillant en France sur ces
embryons conçus naturellement seront de plus en problèmes, et soutenir efficacement les équipes
plus « faciles ». Seulement la mise en place rapide travaillant sur des sujets novateurs dans des
d’une confrontation ouverte et approfondie des thèmes concernant :
différents points de vue scientifiques, la discussion
de tous les aspects éthiques, et l’implication de – l’analyse globale de l’expression des
toutes les composantes qui régissent l’existence génomes et de sa régulation ;
d’une société démocratique, permettront aux – les régulations génétiques et épigéné-
chercheurs et aux citoyens d’avoir un rôle actif tiques de l’expression des génomes ;
dans ce débat fondamental.
– les approches génétique et structurale
de l’étude des ARN à fonction régulatrice ;
– le développement intégré des appro-
ches génétique et cellulaire pour l’analyse des
phénotypes ;
10 – QUELQUES
RECOMMANDATIONS – la machinerie cellulaire responsable de
l’intégrité, de la variabilité, et de l’évolution
POUR UN PROGRAMME des génomes ;
INTERDISCIPLINAIRE POUR – la création et le maintien de la diversité
LE DÉVELOPPEMENT DE génétique ;
LA RECHERCHE SUR LES – l’évolution des molécules, des formes
GÉNOMES et des fonctions du vivant ;
– la bioinformatique pour l’analyse structu-
rale, fonctionnelle et évolutive des génomes ;
Le Ministère de la Recherche, les orga-
nismes de recherche, l’ensemble des tutelles – les aspects fondamentaux de la recherche
qui ont en charge la recherche, devraient se en génétique humaine ;
préoccuper de manière urgente de l’état du – les aspects fondamentaux de la recherche
financement de la génétique et de la recherche en génétique animale, végétale et des micro-
sur les génomes en France. Un retard s’accumule organismes ;
depuis des années par rapport aux autres pays. Il
est surprenant et inexplicable de constater qu’en – le débat social et éthique induit par la
ce début du XXIe siècle, alors que la génétique recherche en génétique.

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4 – LES GÉNOMES ET SES ENJEUX

ANNEXE Institut Pasteur, Site Fernbach,


25 rue du Docteur Roux, 75724 Paris cedex 15
Annie Jacq
ANNEXE 1 : LISTE DES AUTEURS Chargée de Recherche au CNRS
Institut de génétique et microbiologie – IGM
Giuseppe Baldacci (UMR8621), Université Paris Sud (Paris XI),
Directeur de Recherche au CNRS Bât. 400 -409 -360,
Génotoxicologie et cycle cellulaire (UMR2027), 15 rue Georges Clémenceau
Institut Curie, Bât. 110, 91405 Orsay cedex
15 rue Georges Clémenceau 91405 Orsay cedex Pierre Legrain
Didier Boichard Directeur de Recherche au CNRS
Directeur de Recherche à l’INRA Protéines membranaires transductrices
INRA – Département de Génétique Animale, d’énergie (PMTE) (URA2096), Commissariat
Domaine de Vilvert 78352 Jouy-en-Josas cedex à l’énergie atomique, DSV/DBJC/SBFM,
Michel Boulétreau Bât. 532 – Pièce 205 91191 Gif sur Yvette cedex
Directeur de Recherche au CNRS Arnold Munnich
Biométrie et biologie évolutive (UMR5558), Professeur d’Université, Praticien Hospitalier
Université Claude Bernard (Lyon I), Bât. G. Hôpital des enfants malades,
Mendel et 711, 43 bd. du 11 Novembre 1918 149 rue de Sèvres 75743 Paris cedex 19
69622 Villeurbanne cedex
Alain Bucheton Alain Nicolas
Directeur de Recherche au CNRS Directeur de Recherche au CNRS
Institut de génétique humaine – IGH Dynamique de l’information génétique :
(UPR1142), 141 rue de la Cardonille, Bases fondamentales et cancer (UMR7147),
34396 Montpellier cedex 5 Institut Curie, 26 rue d’Ulm 75248 Paris cedex 05
Michel Caboche Véronique Paquis
Directeur de Recherche à l’INRA Professeur d’Université, Praticien Hospitalier
Laboratoire de biologie des semences, INRA, Laboratoire de Génétique, Hôpital de l’Archet 2,
route de Saint-Cyr 78026 Versailles cedex 151 route St Antoine de Ginestrière BP 3079
Michael Chandler 06202 Nice cedex 3
Directeur de Recherche au CNRS William Saurin
Laboratoire de microbiologie et génétique
moléculaires (UMR5100), Centre national de Directeur de Recherche au CNRS
la recherche scientifique, LMGM, 118 route Structure et évolution des génomes
de Narbonne 31062 Toulouse cedex 4 (UMR8030), GENOSCOPE – CNS,
2 rue gaston Crémieux BP 5706
Claude Chevalet 91057 Évry cedex
Directeur de Recherche à l’INRA
INRA, Génopole Toulouse Midi-Pyrénée, Hélène Richard-Foy
Chemin de Borde-Rouge, Auzeville BP 27 Directeur de Recherche au CNRS
31326 Castanet Tolosan cedex Laboratoire de biologie molécualire
Michel Delseny des eucaryotes – LBME (UMR5099), Bât. IBCG,
Directeur de Recherche au CNRS 118 route de Narbonne
Laboratoire Génome et développement des 31062 Toulouse cedex 4
plantes (UMR5096), Université de Perpignan Jean Weissenbach
Bat. C, 52 av. de Villeneuve, Directeur de Recherche au CNRS
66860 Perpignan Structure et évolution des génomes
Bernard Dujon (UMR8030), Genoscope – CNS
Professeur 2 rue gaston Crémieux BP 5706
Génétique des génomes (URA2171), 91057 Évry cedex

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