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Génétique
moléculaire
humaine :
> La génétique moléculaire, après s’être attaqué
des maladies
avec succès aux maladies héréditaires monogé- monogéniques
niques, s’est donnée pour objectif d’identifier les aux maladies
déterminants génétiques des maladies fré-
quentes à composante héréditaire importante.
complexes
François Rousseau, Nathalie Laflamme
Cela constitue un défi de taille. Nous discuterons
les différents aspects méthodologiques et pra-
tiques de l’identification de ces gènes, ainsi que
les défis qui attendent la médecine pour utiliser
efficacement les nouveaux outils diagnostiques
issus de ces travaux. < F. Rousseau: Unité de recherche
en génétique humaine
et moléculaire, Centre
de recherche de l’hôpital
St-François-d’Assise du CHUQ,
Université Laval, 10, rue de
l’Espinay, Québec G1L 3L5,
Canada.
N. Laflamme: Institut national
de santé publique du Québec,
Québec, Canada.
moléculaires ont été bcxfro@hermes.ulaval.ca
appliqués successive-
La pathogénie de la majorité des maladies implique ment à l’étude de la génétique des maladies monogé-
l’interaction entre le bagage génétique d’un individu et niques classiques [1-3], à la cartographie systéma-
son environnement, et ce dans des proportions tique du génome humain [4-6], puis à son séquencage
variables selon la maladie. À une extrémité du spectre, [7, 8] et, enfin, à l’étude des maladies fréquentes à
on retrouve les affections « purement héréditaires », forte composante génétique (ou maladies génétiques
telle la dystrophie musculaire de Duchenne, dont l’ap- complexes) [9-12]. L’identification des mutations
parition chez un individu repose exclusivement sur la géniques, puis de la fonction du (des) produit(s) de ces
présence d’une mutation importante du gène DMD. À gènes, permet de révéler la biologie normale et celle de
l’autre extrémité du spectre se trouvent des conditions la maladie. Les maladies génétiques complexes peuvent
« purement environnementales », telle l’amputation être définies comme faisant défaut aux lois de Mendel,
accidentelle d’un doigt chez un travailleur de la car elles sont plutôt déterminées par l’interaction de
construction. Entre ces deux extrêmes, se situe la vaste plusieurs facteurs génétiques et environnementaux
majorité des maladies humaines, résultant de l’effet de [13]. Les gènes impliqués dans les maladies complexes
l’environnement sur le génome particulier et unique (ou polygéniques) sont pressentis comme ayant des
d’un individu. effets individuels plus modestes que les gènes à forte
L’avènement des outils modernes de biologie molécu- pénétrance, impliqués dans les maladies héréditaires
laire au cours des années 1970, puis leur application à classiques mendeliennes [14] (Figure 1). En corollaire,
la génétique humaine dans les années 1980 ont conduit l’identification des gènes associés aux maladies com-
à une augmentation rapide et significative des connais- plexes demande d’adopter des stratégies et des
sances, à la fois sur l’étiologie de plusieurs maladies méthodes différentes, aussi bien en termes de recrute-
héréditaires et sur le fonctionnement du vivant, au sens ment des sujets de recherche qu’en termes des métho-
très large. Les outils de la biologie et de la génétique dologies utilisées [9].
REVUES
environ seulement deux fois plus de gènes que D. mela- besoin d’être significativement améliorées.
nogaster (la mouche à fruits), qui en possède près de
13 500. On ne connaît pas encore la fonction de tous ces Dispositifs expérimentaux
gènes et beaucoup d’efforts de recherche sont portés
vers cette question. Le projet génome humain a aussi Parmi les phénotypes ou maladies polygéniques impor-
permis de constater que, bien que les êtres humains tantes aujourd’hui à l’étude, on retrouve entre autres la
diffèrent entre eux par moins de 1% du génome (toutes densité osseuse (héritabilité ≈ 0,80), les formes non fami-
ethnies confondues), on retrouve une différence de liales de cancer (cancer du sein : héritabilité ≈ 0,30, can-
séquence toutes les 1250paires de bases entre deux cer colorectal : héritabilité ≈ 0,35, cancer de la prostate :
SYNTHÈSE
copies d’un segment d’ADN donné prises au hasard [8]. héritabilité ≈ 0,40…), l’asthme (héritabilité ≈ 0,60), les
Certaines de ces différences de séquence entre les maladies inflammatoires de l’intestin (héritabilité ≈ 0,50),
« variantes » de génome humain se trouvent dans des le diabète de type I (héritabilité ≈ 0,50), l’obésité (hérita-
gènes et en affectent la fonction à un degré plus ou bilité ≈ 0,65), l’hypertension artérielle (héritabilité ≈ 0,80)
moins important. Il est raisonnable de penser que les et la schizophrénie (héritabilité ≈ 0,83).
variantes affectant très sévèrement la fonction d’un Il existe trois grandes classes de dispositifs expérimen-
gène seront plus rares dans la population que celles ne taux permettant d’identifier les gènes impliqués dans
l’affectant que modérément ou pas du tout. les maladies complexes (Figure 2). Le premier implique
La disponibilité de la séquence complète du génome
humain (bien qu’encore non finalisée encore) et d’un
grand nombre de variantes génétiques (identifiées en
REVUES
l’importance de la qualité des données génotypiques. établis et rigoureusement évalués, sont nécessaires à
En effet, beaucoup de méthodologies de génotypage la détermination de la performance analytique (le test
s’accompagnent d’un taux indéterminé de faux géno- peut déterminer de façon fiable - sensible et spéci-
types, ou ne produisent pas de résultat pour une pro- fique- la présence d’une substance ou d’une mutation
portion très significative des échantillons analysés dans un échantillon) et de la performance clinique
(souvent entre 5% et 10%). Cela peut affecter la puis- (capacité à distinguer un individu en bonne santé d’un
sance d’une étude, augmentant exponentiellement individu malade). Cette étape de l’évaluation a sou-
l’ampleur du problème à mesure que les analyses se vent été absente, ou seulement partiellement réalisée,
complexifient et que plusieurs locus sont simultané- ce qui a mené à une situation où certains tests valables
SYNTHÈSE
ment analysés. De plus, les erreurs de génotypage peu- n’ont été introduits en clinique que très laborieuse-
vent causer une perte artéfactuelle de l’équilibre de ment - faute de données fiables justifiant ces
Hardy-Weinberg, qui est parfois utilisé comme test dépenses, alors que d’autres tests ont été introduits
d’association génétique. Malheureusement, bien qu’il trop précocément en clinique sans que l’on sache vrai-
existe plusieurs dizaines de méthodes de génotypage ment la signification d’un résultat positif ou négatif.
performantes en termes de débit, peu d’entres elles ont Plusieurs questions se posent quand bien même des
été étudiées systématiquement en regard de perfor- données fiables démontrent la bonne performance
mances analytiques (sensibilité, spécificité et taux de analytique et clinique d’un nouveau test: doit-il être
complétude). Par exemple, une méthode de génotypage introduit? Vient-il se substituer à une autre analyse
donnant un résultat pour 95% des échantillons (ce qui courante ou bien s’ajoute-t-il à l’arsenal
peut paraître satisfaisant à première vue) signifie que diagnostique? Dans quelle séquence (ou algorithme)
5% des échantillons n’ont pas de génotype à chaque doit-il être utilisé en conjonction avec les tests exis-
fois qu’un marqueur est testé. De plus, notre expé- tants ? Son usage doit-il être restreint à certains
rience montre que, lorsque l’ADN est purifié à l’aide groupes à plus haut risque? Son introduction affec-
d’une méthode bien standardisée (telle les colonnes de tera-t-elle les coûts de santé ? Si oui, comment? Est-
Qiagen), ce ne sont généralement pas toujours les ce que la nouvelle technologie réduira (par l’élimina-
mêmes échantillons qui ne produisent pas de résultat: tion d’interventions plus coûteuses) ou augmentera
la proportion des échantillons n’ayant pas de génotype (par l’induction de procédures complémentaires) les
pour tous les marqueurs augmente donc avec le nombre coûts globaux de santé? Les nouveaux tests molécu-
de marqueurs testés: 5% au premier, 10% au deuxième, laires n’échappent évidemment pas à cette nécessaire
15% aux troisième, et ainsi de suite… D’où l’impor- évaluation, mais ont rarement été soumis à une étude
tance de connaître a priori la performance de la systématique de leurs performances analytiques et cli-
méthode de génotypage qui sera choisie, car elle peut niques. Ces études nécessitent l’analyse de centaines,
varier entre 1% et 10% de non-complétude à chaque voire de milliers d’échantillons d’ADN provenant d’indi-
marqueur. Non moins important est le taux de faux vidus porteurs et normaux. Pour les tests moléculaires
génotypes obtenu avec la méthode, qui pourra tout pour lesquels il est possiblement envisagé de procéder
autant affecter les résultats [15, 19, 20]. à une forme de dépistage systématique (tel le syn-
drome de l’X-fragile, l’hémochromatose, l’ostéopo-
Le transfert technologique vers la clinique rose, le cancer du sein, la pré-éclampsie ou les dyslipi-
démies), des estimations fiables de la prévalence
Bien que plusieurs gènes impliqués dans les maladies allélique des mutations à étudier dans la population
monogéniques classiques aient été identifiés, la pleine visée doivent être obtenus [22-24].
exploitation en clinique de ces nouveaux outils de la
génétique moléculaire a été retardée en partie à cause Conclusions et perspectives
d’un manque de données fiables sur leurs performances
diagnostiques (sensibilités et spécificités analytique et La complétion du projet génome prévue pour bientôt,
clinique) et la prévalence des mutations dans la popu- combinée aux multiples initiatives visant à débusquer