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Bull Acad Natl Med (2019) 203, 409—412

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ÉDITORIAL

La médecine génomique personnalisée :


prédire ou médire ?夽,夽夽
Personalized genomic medicine: For the better or for the
worse?

Résumé Les régions transcrites du génome humain sont désormais connues et peuvent être
testées en pratique clinique. Le séquençage en parallèle de centaines de gènes à visée diagnos-
tique est possible à des coûts devenus abordables et l’étude des variations du génome humain
s’accélère. Pourquoi la médecine génomique personnalisée ferait-elle donc encore débat ?
C’est que les tests génétiques se généralisent alors même que la signification d’innombrables
variations de l’ADN reste inconnue, et donc possiblement source d’erreurs d’interprétation
par excès ou par défaut. Non encadrés, non expliqués par des professionnels, les tests géné-
tiques pourraient avoir un impact désastreux tant chez des malades que chez des personnes en
bonne santé, devenus consommateurs de tests prédictifs de pertinence douteuse et pourtant
accessibles en vente libre à l’étranger. Ce qui est techniquement possible est-il ipso facto médi-
calement acceptable ou éthiquement souhaitable ? La marchandisation de tests génétiques non
contrôlés ne pourrait-elle pas être tôt ou tard à l’origine d’un nouveau désastre sanitaire ?
© 2019 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de l’Académie nationale de médecine.

Summary Most transcribed coding regions of medical relevance are presently known and tes-
ted in clinical practice. High throughput sequencing of hundreds of genes has become feasible.
Running costs are ever cheaper and deciphering all genetic variants of the human genome is
underway. Then, why is personalized molecular genomics debated? The reason is that gene-
tic tests have come into medical practice while actual significance of countless DNA variants
remains unknown (VOUS), and therefore possibly responsible of false positive or false negative
results. If not explained and properly regulated, genetic testing may become counterproductive
and have a serious negative, impact on both patients and healthy consumers. Is whatever tech-
nically possible, ipso facto medically and ethically acceptable? Is business friendly appropriate
when it comes to personalized genomic medicine?
© 2019 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of l’Académie nationale de médecine.

Un test génétique, c’est un « zoom », un fort grossissement


sur une région de notre génome dans le but d’en analyser un
夽 Séance délocalisée à l’IRCAD de Strasbourg (France), le gène précis. Les 25 000 gènes que nos parents nous ont trans-
21 mai 2019. mis peuvent être testés sur une simple prise de sang. L’ADN
夽夽 Séance du 21 mai 2019 délocalisée à Strasbourg. d’une tumeur aussi peut être testé sur biopsie. On parle alors

https://doi.org/10.1016/j.banm.2019.06.006
0001-4079/© 2019 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de l’Académie nationale de médecine.
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de génétique « somatique ». Ces tests fondent la génomique avancées ne réduiront pas l’exigence de dialogue singulier :
de précision (500 000 tests/an en France). Ils constituent elles vont l’accroître. Toujours plus de technicité, toujours
une avancée indiscutable pour poser le diagnostic d’une plus d’humanité !
maladie déclarée, prédire sa survenue chez une personne
à risque encore bien portante (diagnostic présymptoma-
tique), dépister une maladie au stade de fœtus/embryon Ce qui est autorisé et opposable
dans une famille à risque, reconnaître les couples porteurs
sains de maladies au vu de leurs antécédents familiaux, anti- Sont aujourd’hui autorisés en pratique hospitalière cou-
ciper les avantages/inconvénients des traitements innovants rante, les tests génétiques diagnostiques pour des maladies
(pharmaco-génomique). La génomique de précision repré- déclarées : cancers, maladies neurologiques, cardiovascu-
sente donc une avancée majeure de la médecine. laires ou débutant dans l’enfance. Ainsi l’institut imagine
Les régions du génome dont l’intérêt médical est le plus a conçu des panels robustes pour tester simultanément
grand sont les régions dites « transcrites », qui codent les gènes reconnus responsables de maladies par grandes
pour les protéines de l’organisme. Les tests génétiques entrées cliniques : « mon enfant est épileptique, mon enfant
permettent de déterminer leur composition par une tech- est autiste ou en retard, sourd ou malvoyant. . . ». Tester
nique appelée le séquençage. Le séquençage à haut débit les gènes connus de la médecine chez un patient donné,
(next generation sequencing, NGS) permet l’exploration pour confirmer une hypothèse diagnostique n’est pas seule-
simultanée de centaines de gènes, à des prix très abor- ment légitime. C’est une obligation de moyens opposable.
dables (quelques centaines d’euros). Plus de 8000 de nos Robuste, rentable en termes de rapport coût/efficace, cette
25 000 gènes sont déjà connus pour causer une ou plusieurs approche a l’immense mérite de ne répondre qu’à la ques-
maladies. tion posée, et de mettre les usagers à l’abri de découvertes
fortuites de signification incertaine ou discutable (« VOUS »).
Le diagnostic prénatal et préimplantatoire est aussi auto-
S’il en est ainsi, pourquoi y a-t-il débat ? risé et en service. Un couple à risque de transmettre une
affection d’une particulière gravité peut, s’il le souhaite,
C’est que, malgré les indiscutables progrès récemment demander un diagnostic prénatal ou préimplantatoire, pour
accomplis, d’innombrables variations de l’ADN restent de éviter les récidives. L’affection doit être héritée (risque de
signification inconnue (« variants of unknown significance », récidive : 25—50 %), d’une particulière gravité et incurable.
« VOUS »). On déchiffre, on annone le génome, mais on De nombreuses affections de fréquence variable sont éli-
n’en comprend pas encore toutes les nuances ni toutes les gibles et l’Agence de la biomédecine contrôle strictement
subtilités. Non expliqués, non encadrés, ces « VOUS » pour- l’activité des centres autorisés.
raient conduire à des erreurs d’interprétation, même à un Très encadrés aussi, des tests génétiques présymptoma-
désastre sanitaire, qui n’aura rien à envier à ceux qui l’ont tiques peuvent être proposés, si elles le souhaitent, aux
précédé. Face à tant d’incertitudes, faut-il sans broncher personnes asymptomatiques, à risque de développer une
subir la tyrannie du marché des tests génétiques ? Ce qui maladie à début tardif au regard de leurs antécédents fami-
est techniquement possible est-il ipso facto médicalement liaux. Discutable en l’absence de mesures préventives ou
souhaitable ? Économiquement supportable ? Éthiquement curatives de nature à enrayer la maladie, ce savoir est à
acceptable ? Face à la marchandisation galopante des tests, double tranchant. Est-ce prédire ou médire ? « Hélas, hélas,
le « business friendly » (23 and Me) convient-il à la médecine il est terrible de savoir, quand ce savoir ne sert de rien à celui
génomique personnalisée ? qui le reçoit » s’écrie Tirésias dans Œdipe Roi de Sophocle
Révisées cette année, les Lois de Bioéthique, qui doivent (316-7). Ou encore, dans l’Ecclésiaste (1, 18) : « Abondance
tant à Jean-François Mattei, régulent fort heureusement de savoir, abondance de souffrances ». D’où l’importance
l’usage des tests génétiques en France. Des recommanda- des consultations de génétique préalables aux tests pré-
tions de bonnes pratiques sont édictées par les agences de symptomatiques pour la Chorée de Huntington. Informés des
régulation : l’Agence de la biomédecine (ABM) et la Haute doutes qui entourent l’âge de début et l’allure évolutive de
Autorité de santé. Ainsi, la prescription d’un test génétique la maladie, près de 90 % des candidats aux tests présympto-
doit être précédée et suivie d’une consultation ad hoc, pour matiques abandonnent leur demande. On le voit, il ne faut
informer patients et familles des bénéfices, des doutes et que quelques minutes pour faire une prise de sang ou pour
des possibles conséquences des tests (incertitudes, impact séquencer un gène. Il faut des heures pour s’expliquer, se
sur la fratrie). Le diagnostic présymptomatique sur mineur faire comprendre et éviter les malentendus.
est interdit et les tests génétiques en vente libre, sur inter- Aux États-Unis, le Center of Disease Control du National
net ou non conformes au cadre médical rappelé plus haut Institute of Health (CDC —– États-Unis) a édicté des règles
sont sévèrement punis par la Loi. La consultation s’achève pour évaluer la pertinence de nouveaux tests (ACCE model :
par la signature d’un consentement éclairé, toujours rétrac- analytical, clinical and ethical relevance). Les critères sont
table, autorisant le médecin à pratiquer un test génétique. fondés sur l’évaluation de la valeur prédictive et de la puis-
On le voit, les tests génétiques ne sont pas seule- sance du test, un doublement du risque étant considéré
ment une affaire d’ordinateurs et de séquenceurs. Ils sont comme une valeur acceptable. Ce seuil varie en fonction de
avant tout une affaire de temps consenti, d’explications, la sévérité de la maladie et de l’impact du test présympto-
de soutien par des professionnels formés, pour éviter les matique. Il doit être utile, « actionable », c’est-à-dire, suivi
malentendus et autres dérives commerciales. En un mot, d’effets. En oncologie, des tests prédictifs sont proposés
ils sont une affaire d’humanité. Contrairement aux idées aux apparentés d’un sujet présentant une forme héréditaire
reçues et aux vertus prêtées à l’intelligence artificielle, ces de cancer : cancer colorectal, du sein ou de l’ovaire. La
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détection d’un risque conduit à un suivi précoce et rigou- le Conseil d’État écrivait : « L’eugénisme peut être dési-
reux, voir à proposer une mastectomie bilatérale préventive gné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant
aux femmes ayant présenté un premier cancer. Encore faut- à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine.
il être sûr de l’imputabilité des variants détectés, ce qui est Il peut être le fruit d’une politique délibérément menée
loin d’être le cas tant sont grandes nos incertitudes ! Fait de par un État et contraire à la dignité humaine. Il peut aussi
société, beaucoup de femmes américaines optent pour cette être le résultat collectif d’une somme de décisions indivi-
amputation bilatérale mutilante et définitive « au bénéfice duelles convergentes prises par les futurs parents, dans une
du doute ». Conséquence effrayante, 50 % des mastecto- société où primerait la recherche de ‘‘l’enfant parfait’’, ou
mies bilatérales aux États-Unis sont pratiquées sur la base du moins indemne de nombreuses affections graves » [1].
de variations de l’ADN de signification inconnue (« VOUS ») ! Si les mentalités ont tant changé en dix ans, ce n’est pas
nécessairement le reflet de la versatilité des Français. C’est
plutôt la conséquence de la mondialisation, mais aussi d’un
Les innovations certain pragmatisme de l’opinion face aux promesses non
tenues de guérison des maladies génétiques. Entre puissance
Depuis cette année, la Loi française ouvre la possibilité (mais diagnostique et impuissance thérapeutique, la moins mau-
encadre strictement) le diagnostic prénatal non invasif de vaise option n’est-elle pas celle d’ouvrir, pour les couples
quelques anomalies génétiques (DPNI). Il s’agit d’un test qui le souhaitent, la possibilité de tester pour les préve-
génétique sur l’ADN fœtal circulant dans le sang mater- nir, un petit nombre de mutations assurément responsables
nel, par une simple prise de sang de la femme enceinte en d’affections d’une particulière gravité ?
début de grossesse. Dispensant de la biopsie de chorion ou Mais les tests génétiques les plus spectaculaires, les
de la ponction de liquide amniotique, le DPNI concerne les moins discutables sont assurément ceux qui prédisent
trisomies 13, 21 et 18, le sexe fœtal dans certaines affec- l’efficacité, les effets adverses et la toxicité de nouvelles
tions liées au chromosome X (seuls les garçons sont à risque) drogues (« pharmacogénomique »). Ces tests dépistent les
et le groupe Rhésus fœtal chez les femmes Rhésus-négatif. variants génétiques modifiant l’assimilation, la transforma-
D’autres applications comme la mucoviscidose ou le nanisme tion, le catabolisme des médicaments. Une trentaine de
(achondroplasie) sont à l’étude. Il s’agit là d’indications tests prévoient déjà la toxicité des chimiothérapies (sein,
médicales parfaitement fondées. Mais par sa simplicité, colon), des antirétroviraux contre le virus VIH, la prédispo-
l’extension du DPNI à des indications qui n’aurait plus rien sition HLA à la toxicité de certains médicaments (abacavir).
de médical, inquiète à juste titre les agences. En particu- Ainsi est né le concept de « test compagnon », une sorte
lier, le DPNI pour convenance personnelle (choix du sexe de « package » lançant sur le marché un nouveau médica-
par exemple), si répandu au Moyen Orient, est strictement ment et son test prédictif. Au total : 50—100 000 patients/an
prohibé en France. bénéficient de ces tests et de prescriptions personnalisées
Il est une autre innovation qui suscitera assurément de fondées sur la constitution génétique précise des patients
nombreux débats lors de la révision des lois Mattei : c’est le (c’est-à-dire, mutations EGFR en réponse au Gefitinib dans
dépistage des porteurs sains de maladies génétiques (« car- le cancer du poumon).
rier testing »). Très largement pratiqués à l’étranger, ces
tests visent à identifier les couples à risque de donner nais-
sance à un enfant malade d’une affection dont les parents ne Les menaces sociétales
se savent pas porteurs sains. Il s’agit de couples sans anté-
cédents personnels ou familiaux, désireux d’avoir accès à un Le revers de la médaille est bien entendu le risque de
choix reproductif éclairé. Techniquement possible pour les marchandisation des tests génétiques. Ce marché devenu
affections récessives (d’hérédité bi parentale ou maternelle très lucratif a déjà commencé de pervertir notre science.
à l’exclusion des maladies dominantes ou accidentelles), Non contrôlés, instrumentalisés par les fake news et les
le « carrier testing » se pratique déjà dans les popula- « influenceurs » des réseaux sociaux, les tests génétiques
tions à risque de nombreux pays (Tays-Sachs chez les juifs pourraient faire beaucoup de dégâts et même devenir une
ashkénazes aux États-Unis, au Canada et en Israël, thalas- « arme de destruction massive ». Près de 14 000 caryo-
sémie en Sardaigne, en Sicile). Si le carrier screening ne se types moléculaires (comparative genomic hybridization,
pratique pas en France, c’est sans doute que les agences CGH) sont réalisés chaque année en France, y compris sur
comme les politiques redoutent la stigmatisation ethnique signes d’appels échographiques en prénatal. Des interrup-
qu’il implique. L’opinion, elle, y est massivement favorable tions médicales de grossesse sont pratiquées sur la base de
(>80 % des jeunes couples) et appelle de ses vœux un scree- CGH variants de signification inconnue (« VOUS »). Difficile
ning plus large, qui irait au-delà des populations à risque et de dire combien d’IMG ont déjà été pratiquées « au béné-
qui s’étendrait à l’ensemble des affections génétiques d’une fice du doute ». Ce qui est certain en revanche, c’est que le
particulière gravité, incurables, évitant le premier cas. risque de surinterpréter les variants en prénatal croît avec
S’il est autorisé un jour en France pour des affections le nombre de variants testés. En prénatal comme pour le
graves et incurables, le dépistage des porteurs sains res- « carrier screening », la sagesse voudrait donc de tester
tera assurément une démarche individuelle, volontaire, non moins de variants dont on est sûr que toujours davantage,
coercitive, testant simultanément des futurs conjoints pour de signification incertaine.
réduire l’anxiété des couples où l’un des deux serait porteur. Autre menace sociétale, la médicine prédictive, à
L’accusation de démarche eugénique à propos du dépis- l’évidence survendue. Beaucoup de gènes de prédisposi-
tage des porteurs sains de maladies génétiques est-elle tion aux maladies communes ont été localisés dans de
fondée ? Lors de La révision des lois de Bioéthique en 2009, grandes études d’association (genome wide association
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studies, GWAS). Mais aucune n’est aujourd’hui assez fiable contribueront-elles un jour à « hiérarchiser » les humains ?
ni assez puissante pour être transférée en clinique, car On le sait bien, il n’existe pas d’ethnies « pures », pas
la valeur prédictive positive (VPP) d’un variant singulier de frontières entre les groupes humains. Mais dans l’actuel
est très faible. De surcroît, ces variations n’ont de perti- contexte de tension relative aux flux migratoires, notre
nence qu’en population générale et non pour un individu. science ne risque-t-elle pas d’être récupérée, exploitée à
Là encore, fonder aujourd’hui une prédiction sur la base des fins politiques pour servir des causes identitaires. Nul,
des données actuelles, ce n’est pas prédire, c’est médire. qu’il soit scientifique ou citoyen, ne peut ignorer l’impact
C’est aussi sot que de prétendre inférer ce qu’a été le suf- sociétal potentiel de la génomique ni la possible perversion
frage d’un électeur pris au hasard en examinant la totalité de la génomique personnalisée.
des suffrages exprimés dans son bureau de vote ! Pourtant il
subsiste dans l’opinion une profonde incompréhension, une Conclusion
incroyable crédulité qui bénéficie au marché.
En revanche, la combinaison de variants répartis aléatoi-
On le voit bien, nos gènes ne commandent pas notre avenir.
rement sur le génome pourrait dans l’avenir accroître la VPP
Ils ne dictent pas notre futur et aucune fatalité ne leur est
des tests (predictive risk factors, PRS). Ainsi, une grande
attachée. L’information nécessaire à la vie est bien conte-
étude québécoise combinant 200 variants de l’ADN répartis
nue dans nos gènes. Pour autant, l’ADN ne confisque pas
sur le génome a permis d’identifier un sous-groupe de 10 %
notre destin, la liberté nous est donnée et les déterminismes
de femmes à haut risque de développer cancer du sein non
biologiques qui nous gouvernent ne réduisent en rien notre
familial.
libre arbitre ni ne nous interdisent de faire l’expérience de
Mais la fascination technologique semble la plus forte.
la nouveauté.
Il existe de la part de personnes en parfaite santé, un fort
Comme pour l’Arbre de la Connaissance du jardin d’Eden,
engouement en faveur du séquençage global (whole exome
« la science n’est pas bonne ou mauvaise : elle est bonne et
sequencing, whole genome sequencing), sous la pression du
mauvaise à la fois » (H. Atlan). À nous d’en faire un usage
marché et même de généticiens rêvant d’accès libre aux
raisonnable. Les risques sociétaux attachés à la médecine
tests, sans médecins, ni conseillers génétiques, avec des
génomique personnalisée ne doivent donc pas gommer son
ordinateurs et des machines. Même au risque de faire des
extraordinaire contribution aux progrès en santé. Considé-
découvertes fortuites d’interprétation incertaine, qui font
rer la catastrophe comme possible et même probable ne
parler de « savoir toxique » (toxic knowledge) par ana-
relève pas du pessimisme : c’est un mode d’accès à la
logie avec les emprunts toxiques. Tenter de protéger les
connaissance. C’est en considérant cet événement comme
usagers de cette dérive n’est ni du paternalisme ni du cor-
inéluctable qu’il ne se produira peut-être pas.
poratisme. C’est du simple bons sens Tant que subsistent
Dans « L’Heuristique de la peur », Hans Jonas consi-
tant d’inconnues, tant d’incertitudes, sur l’interprétation
dère que la survenue possible des scénarios catastrophes
de la lecture du génome, la prudence doit rester la règle.
doit être prise en compte dans le processus de décision. Ce
Un célèbre généticien américain, James Lupsky, s’étant fait
qui fonde la position catastrophiste, c’est l’anticipation du
séquencer son propre génome, s’est trouvé une mutation
jugement qui sera porté sur nous dans l’avenir. La prophé-
prédite comme létale. Il est en parfaite santé, mais que
tie du malheur est faite, après tout, pour éviter qu’elle se
serait-il advenu si son génome avait été séquencé en préna-
réalise. . .
tal ?
À ces difficultés d’interprétation des données de
séquence s’ajoutent les « fake news » de faux prophètes, Déclaration de liens d’intérêts
de faux dévots et autres imposteurs. Par la magie des
mots, des plumes bien payées et ignorantes de la science L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
manipulent l’opinion avec de fausses promesses (« transhu-
manisme », « mort de la mort », « ciseaux moléculaires »). Références
Donateurs, investisseurs, lecteurs crédules, key opinion lea-
ders naïfs croient mordicus à ces « avions renifleurs » [1] Conseil d’État. La révision des lois de bioéthique. Paris: La
d’aujourd’hui. Comme la désinformation est devenue la documentation française; 2009 [Consulté le 19/06/2019. Dis-
règle, comme les parieurs du capital risk sont préparés à ponible sur : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/
perdre de l’argent, la séquence « fake news-information mal storage/rapports-publics/094000288.pdf].
intentionnée-fraude » reste largement impunie, les bulles
spéculatives gonflent et tout le monde ou presque y trouve A. Munnich
son compte. Service de génétique médicale, hôpital Necker-enfants
Mais il est une menace sociétale plus grave encore : c’est malades, 149, rue de Sèvres, 75743 Paris, France
le « flirt » entre génomique et eugénisme. Avec l’afflux Adresse e-mail : arnold.munnich@inserm.frimagine
massif des big data, les différences génomiques entre
groupes humains ne risquent-elles pas d’alimenter tout ou Reçu le 5 juin 2019
tard un néo-eugénisme « scientifique » ? Ces différences Accepté le 17 juin 2019
Disponible sur Internet le 22 juin 2019

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