Vous êtes sur la page 1sur 2

Magazine

Réflexion

Prescrivons-nous trop
Département de médecine générale –
UFR Paris-Diderot
Mots-clés Key words
d’examens complémentaires ? Tests diagnostiques
Examens
Diagnostic tests
Clinical chemistry
biologiques tests
Do we prescribe too many tests? Médecine générale General practice

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit


Thi-Viet Tran, Michel Nougairede
d’intérêts concernant les données publiées
exercer 2013;106:88-9. thitranviet@gmail.com dans cet article.

Les médecins adorent les examens. Nous Alors, pourquoi prescrit-on d’un examen, en général une prise de
en prescrivons, parfois en ignorant ce qu’il réellement ces examens sang. Or, une étude randomisée a montré
en ressortira ; au moins savons-nous qu’il complémentaires ? que ces examens étaient souvent inutiles
en sortira quelque chose. Pour le méde- et qu’une simple surveillance clinique était
cin, leur prescription est rapide et presque Nous prescrivons des examens pour gérer suffisante dans plus de 80 % des cas6.
anodine ; pour le patient, ils représentent nos patients. La pression du patient est un Nous prescrivons aussi pour découvrir des
les réponses de la science à leurs maux. critère important lors de la prescription maladies rares : un symptôme d’appa-
En théorie, un médecin prescrit des exa- d’un examen. L’examen normal peut le rence bénin peut parfois cacher quelque
mens complémentaires après l’interroga- rassurer ou aider le médecin à le convain- chose de plus profond. D’un autre côté,
toire et l’examen physique pour éclairer cre par exemple de ne pas augmenter tout symptôme ne cache pas une maladie
ses hypothèses diagnostiques, les renforcer, ses prises médicamenteuses. Certes, nous rare… Entre celui qui ferait les examens de
les confirmer ou les infirmer. L’objectif est aurions pu le convaincre sans prescrire manière systématique, pour trouver une
de décider de la meilleure prise en charge. une exploration, mais cela demande poignée de diagnostics au prix de nombre
De fait, si, quel que soit le résultat d’un parfois une quantité de temps et d’efforts d’explorations inutiles et celui qui ne ferait
examen, cette dernière devait rester la décourageante… Nombre d’examens com- « rien », conscient qu’il risque de passer
même, cet examen serait inutile. plémentaires sont ainsi prescrits par manque à côté de la maladie grave, où est le juste
Mais est-ce vraiment le cas ? Une étude de temps ou par manque de conviction3. milieu ? Un élément de réponse simple à
réalisée à partir des demandes de radio- Après son premier examen, le médecin cette question est la tendance judiciaire
graphies du genou émanant de médecins arrive souvent à plusieurs hypothèses actuelle  : les médecins sont poursuivis
généralistes invitait le médecin à préciser, diag­nostiques qu’il sera sans doute tenté pour leurs erreurs diagnostiques, mais
pour chaque examen, le motif de la deman- d’explorer simultanément. Ainsi, à l’hôpi- jamais pour la prescription excessive et
de, si le patient avait fait pression pour tal, nombre d’examens sont prescrits dès inappropriée d’examens complémentaires7.
avoir l’examen et s’il avait un diagnostic l’entrée du patient, parfois à cause des La menace d’un procès – réelle ou fantas-
spécifique en tête au moment de la pres- «  protocoles  » d’examens ou des exa- mée – incite de plus en plus de médecins
cription1. Sur 515 radiographies étudiées, mens « de routine », d’autres fois, pour à prescrire des examens inutiles, à deman-
90 % avaient été considérées normales « prendre de l’avance » sur des délais de der plus d’avis spécialisés, voire à hospita-
ou non contributives à la prise en charge rendez-vous. Une telle attitude engendre liser ou traiter de manière injustifiée8.
du patient. D’ailleurs, dans 85 % des cas, évidemment un grand nombre d’examens
la prescription de l’examen n’avait pas inutiles : jusqu’à 68 % de ces examens ne Sommes-nous conditionnés
conduit à une modification thérapeutique. seraient pas justifiés4. Moins avouable est la à prescrire ?
Seules 50 % des radiographies auraient tendance à refaire un examen plutôt que
été réellement indiquées en suivant les de chercher le résultat de celui qui aurait Tout l’enseignement de la médecine est
recommandations concernées. En revan- été fait avant, que ce soit par manque de dédié au diagnostic et au traitement des
che, dans 30 % des cas, la pression du confiance dans l’appareil ou la technique maladies. Le médecin soigne des mala-
patient avait été un critère important de d’un autre service de radiologie, ou sim- dies. De fait, il croit que tous les patients
la prescription, et dans 16 % des cas, elle plement par paresse5… consultent pour être guéris de leurs mala-
en avait été l’élément déterminant. Parfois aussi, le médecin n’a aucune hypo- dies et se réfère à ce qu’on lui a ensei-
Ces résultats sont comparables à ceux du thèse diagnostique, dérouté par un symp- gné… dans des services hospitaliers de
recours par les médecins généralistes à une tôme ou une histoire inhabituelle. C’est deuxième ou troisième recours, qui peut
imagerie cérébrale pour des céphalées : dans ces situations que le médecin a se résumer par : « en cherchant bien on
47 % des prescriptions avaient été réalisés tendance à prescrire davantage : 60 % finit par trouver ». Malheureusement, le
en dehors des recommandations, principa- des consultations associées à une plainte corollaire «  ceux qui n’ont rien trouvé
lement pour rassurer les patients2. inexpliquée aboutissent à la prescription au cours de leurs investigations ne sont

88 e x e r c e r la revue française de médecine générale Vo l u m e 2 4 N ° 1 0 6


Réflexion Magazine

pas des médecins compétents » amène d’une grande compagnie d’assurances 7. En ai-je averti le patient ?
souvent les médecins à « poursuivre les américaine ont eu un examen d’imagerie 8. La préparation du patient est-elle opti-
explorations ». irradiant en 3 ans11. La dose moyenne male ?
Cette attitude n’est pas sans inconvénients de radiations reçue était de 2,4 mSv/an. 9. Celui qui réalisera l’examen a-t-il toutes
face aux « vrais » patients qui consultent Environ 20 % des assurés ont reçu des les données nécessaires à son interpré-
non pas pour être guéris mais pour être doses cumulées entre 3 et 20 mSv/an, et tation ?
rassurés quant à une souffrance pas forcé- 2 % des doses supérieures à 20 mSv/an, 10. Q  uand et comment vais-je gérer les
ment organique. Ces fameux patients qui soit davantage que les doses maximales résultats de cet examen quand je les
n’ont rien – ou pas grand-chose – et chez tolérées chez les personnels de l’industrie aurai ?
qui on finit par découvrir un examen anor- exposés aux radiations. En respectant ces quelques règles sim-
mal, avec le risque d’un traitement aussi Même s’il est impossible de mettre en ples, le praticien évitera de prescrire des
inapproprié que la maladie est inventée. rapport les bénéfices cliniques immédiats examens complémentaires inutiles, sou-
Même en dehors de ces patients, toute éventuels de l’imagerie et le risque lointain vent contraignants pour le patient (temps
notre formation est guidée par cette volonté et théorique d’un cancer lié à l’irradiation, passé, inconfort...) et parfois même nocifs
technique de tout explorer, de tout expli- il convient, une fois encore, de se poser des pour sa santé.
quer, de tout chiffrer. Prescrire plus, pour questions sur l’utilité de chaque examen.
savoir mieux. Probablement bien au-delà
de ce qui était réellement nécessaire pour Les dix commandements Références
soigner efficacement.
1. Elliot S, Kernick D. Why do GPs with a spe-
Mais à quel prix ? Il est impossible d’éva- Les examens complémentaires ont révolu- cial interest in headache investigate headache
luer les sommes représentées par ces pra- tionné la médecine, leur utilité diagnosti- presentations with neuroradiology and what
tiques. Dans le rapport sur la « Defensive que est incontestable, mais ils ne doivent do they find? J Headache Pain 2011;12(6):
625-8.
Medicine » en 2008, le coût des examens pas se substituer à tout. L’examen clini-
2. Fazel R, Krumholz HM, Wang Y, et al. Exposure
complémentaires inutiles avait été estimé que devrait permettre de sélectionner les to low-dose ionizing radiation from medical ima-
à 281 millions de dollars dans le seul État patients malades – au sens où l’entend le ging procedures. N Engl J Med 2009;361:849-
du Massachusetts9... médecin – pour qui les examens complé- 57.
Ne dit-on pas pourtant que la santé n’a mentaires seraient utiles dans la stratégie 3. Haillot O, Lanson Y. Imaging and the court of law:
useful images and useless images. Ann Urol
pas de prix ? Ne vaut-il pas mieux dépen- diagnostique et thérapeutique. 1990;24:602-4.
ser en excès pour détecter à coup sûr la Pour inverser cette tendance dangereuse
4. Hillman BJ, Goldsmith JC. The uncritical use
maladie plutôt que de risquer un retard à la surprescription, il faudrait idéalement of high-tech medical imaging. N Engl J Med
au diagnostic ? repenser la formation initiale des médecins. 2010;363:4-6.
Malheureusement, toutes ces explorations, Tous les patients ne peuvent et ne doivent 5. Massachusetts Medical Society. Investigation of
qu’on imaginait bénéfiques pour le patient, pas être traités comme ceux des services de defensive medicine in Massachusetts. Boston:
MMS, 2008 Disponible sur : http://www.mass-
qui cherchent la maladie dans chaque recoin, troisième recours des grands hôpitaux uni- med.org/AM/Template.cfm?Section=Research_
ne sont pas anodines. Pire encore, elles fini- versitaires. Il faut que les médecins arrêtent Reports_and_Studies2&TEMPLATE=/CM/Content
raient par induire la maladie… de croire que les demandes des patients Display.cfm&CONTENTID=27797.
sont techniques et qu’ils cessent de multi- 6. Miyakis S, Karamanof G, Liontos M, Mountoka-
lakis TD. Factors contributing to inappropriate
Prescrire une perte plier les examens complémentaires jusqu’à ordering of tests in an academic medical depart-
de chances ? trouver le bon (ou le mauvais…) ! ment and the effect of an educational feedback
Pour résumer ces bonnes pratiques que strategy. Postgrad Med J 2006;82:823-9.
Les tests prescrits peuvent être dangereux, nous devrions acquérir, rappelons ici les 7. Morgan B, Mullick S, Harper WM, Finlay DB. An
audit of knee radiographs performed for general
irradiants, inconfortables, angoissants, ou dix commandements à suivre avant de
practitioners. Br J Radiol 1997;70:256-60.
donner lieu à des complications inatten- prescrire un examen5 :
8. Schattner A. The unbearable lightness of dia-
dues10. Par ailleurs, le résultat d’un examen 1. Ai-je interrogé et examiné le patient gnostic testing: time to contain inappropriate test
peut être un faux négatif, contrairement à avec soin ? ordering. Postgrad Med J 2008;84:618-21.
ce que pensent les patients, et les rassu- 2. À quelle question clinique cet examen 9. Summerton N. Positive and negative factors in
rer faussement ; ou au contraire un faux va me permettre de répondre ? defensive medicine: a questionnaire study of
general practitioners. BMJ 1995;310:27-9.
positif, et conduire à des traitements abu- 3. Est-ce le meilleur test pour cette ques-
10. van der Weijden T, van Bokhoven MA, Dinant
sifs. Dans d’autres cas, les résultats sont tion (en gardant à l’esprit ses sensibilité GJ, van Hasselt CM, Grol RP. Understanding
corrects mais simplement non contributifs et spécificité) ? laboratory testing in diagnostic uncertainty: a
ou ignorés par les médecins mêmes qui 4. Y a-t-il d’autres options ? qualitative study in general practice. Br J Gen
Pract 2002;52:974-80.
les ont prescrits5. 5. Ce test a-t-il déjà été fait auparavant,
11. Fazel R, Krumholz HM, WangY, et al. Exposure
En s’intéressant de plus près aux radiations mon examen sera-t-il redondant ?
to low-dose ionizing radiation from medical ima-
ionisantes associées aux examens médi- 6. Quels sont les dangers et effets secon- ging procedures. N Engl J Med 2009;361:849-
caux, on découvre que 70 % des assurés daires de l’examen ? 57.

Vo l u m e 2 4 N ° 1 0 6 e x e r c e r la revue française de médecine générale 89

Vous aimerez peut-être aussi