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Chapitre 2

Martingales à temps continu

On présente les rudiments de la théorie des martingales à temps continu, au moins la partie
qui nous sera utile par la suite. On commence par introduire les notions de filtration, tribu
et temps d’arrêt, et étudie ensuite les différents modes de convergence pour les martingales
à temps continu, ainsi que le théorème d’arrêt.

1. Filtrations et temps d’arrêt


Soit (Ω, F , P) un espace de probabilité. Une filtration (Ft )t≥0 sur cet espace est une famille
croissante de sous-tribus de F . On dit que (Ω, F , (Ft ), P) est un espace de probabilité filtré.
Durant tout le cours, on supposera que la filtration possède la propriété suivante : Si
A ⊂ Ω est tel que A ⊂ B pour un B ∈ F avec P(B) = 0, alors A ∈ F0 (dont A ∈ Ft
pour tout t ≥ 0). Cette propriété n’aura aucune influence sur les calculs concrets ; elle aura
l’avantage de nous épargner de certaines discussions de mesurabilité.

Définition 1.1. Un processus (Xt , t ≥ 0) est dit adapté (par rapport à la filtration (Ft ))
si ∀ t ≥ 0, Xt est Ft -mesurable.

On définit
F∞ := σ(Ft , t ≥ 0) .

Définition 1.2. Une application T : Ω → R+ ∪ {+∞} est un temps d’arrêt si ∀t ≥ 0,


{T ≤ t} ∈ Ft .

À chaque temps d’arrêt T , on peut associer la tribu

FT := {A ∈ F∞ : ∀ t ≥ 0, A ∩ {T ≤ t} ∈ Ft }.

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14 Chapitre 2. Martingales à temps continu

On peut facilement vérifier que si T = t (temps d’arrêt constant), alors FT vaut bien Ft .

Propriété 1.3. Soient S et T des temps d’arrêt.


(i) T est FT -mesurable. [Si l’on préfère les variables aléatoires réelles, on peut dire :
T 1{T <∞} et 1{T <∞} sont FT -mesurables.]
(ii) Si S ≤ T , alors FS ⊂ FT .
(iii) S ∧ T et S ∨ T sont des temps d’arrêt, et on a FS∧T = FS ∩ FT . De plus,
{S ≤ T } ∈ FS∧T , {S = T } ∈ FS∧T et {S < T } ∈ FS∧T .

Preuve. (i) Voir TD.


(ii) Soit A ∈ FS . Alors A ∩ {T ≤ t} = (A ∩ {S ≤ t}) ∩ {T ≤ t} ∈ Ft .
(iii) On a {S ∧T ≤ t} = {S ≤ t}∪{T ≤ t} ∈ Ft et {S ∨T ≤ t} = {S ≤ t}∩{T ≤ t} ∈ Ft .
D’après (ii), FS∧T ⊂ FS ∩ FT . Réciproquement, si A ∈ FS ∩ FT , alors

A ∩ {S ∧ T ≤ t} = (A ∩ {S ≤ t}) ∪ (A ∩ {T ≤ t}) ∈ Ft ,

et donc A ∈ FS∧T . Par conséquent, FS∧T = FS ∩ FT .


Enfin, {S ≤ T } ∩ {T ≤ t} = {S ≤ t} ∩ {T ≤ t} ∩ {S ∧ t ≤ T ∧ t} ∈ Ft , car S ∧ t et
T ∧ t étant FS∧t -mesurable et FT ∧t -mesurable respectivement, sont Ft -mesurables. Donc
{S ≤ T } est FT -mesurable. De même, {S ≤ T } ∩ {S ≤ t} = {S ≤ t} ∩ {S ∧ t ≤ T ∧ t} ∈ Ft ,
ce qui donne {S ≤ T } ∈ FS . Donc {S ≤ T } ∈ FS ∩ FT = FS∧T .
En interchangeant S et T , on voit que {S ≥ T } ∈ FS∧T . Donc {S = T } = {S ≤
T } ∩ {S ≥ T } ∈ FS∧T . !

Propriété 1.4. Soit T un temps d’arrêt. Alors

!∞
k
Tn := 1 k−1 k
n { 2n <T ≤ 2n }
+ (+∞) 1{T =∞},
k=0
2

est une suite de temps d’arrêt qui décroı̂t vers T .

Preuve. Exercice aux TD. !

2. Martingales à temps continu


Soit (Ω, F , (Ft ), P) un espace filtré.
§3 Convergences et théorèmes d’arrêt 15

Définition 2.1. On dit que (Mt , t ≥ 0) est une martingale [resp. surmartingale ; sous-
martingale] si
(i) (Mt ) est adapté;
(ii) ∀ t ≥ 0, E(|Mt |) < ∞;
(iii) ∀ s < t, E(Mt | Fs ) = Ms , p.s. [resp., ≤ Ms ; ≥ Ms ].

Il est facile de voir que la plupart de propriétés élémentaires des martingales à temps
discret sont encore valables pour les martingales à temps continu. Par exemple, si (Mt ) est
une martingale et si f est une fonction convexe telle que E(|f (Mt )|) < ∞, ∀ t, alors (f (Mt ))
est une sous-martingale.

Théorème 2.2. (Inégalité de Doob) Soit (Mt , t ≥ 0) une martingale continue à droite1 .
Alors pour tout t > 0, " #
E sup Ms ≤ 4E(Mt2 ).
2
s∈[0,t]

Preuve. Soit D ⊂ R+ dénombrable et dense. Soient 0 ≤ t1 < t2 < · · · < tk = t. Alors


Nn := Mtn∧k est une martingale à temps discret. Par l’inégalité de Doob pour les martingales
à temps discret, on a E(max1≤i≤k Mt2i ) ≤ 4E(Mt2 ). Par convergence monotone, ceci implique
que, si D est un sous-ensemble dénombrable de R+ , alors E(sups∈[0,t]∩D Ms2 ) ≤ 4E(Mt2 ). La
continuité à droite des trajectoires de (Ms ) (c’est-à-dire, des fonctions aléatoires s ,→ Ms )
confirme alors que sups∈[0,t]∩D Ms2 = sups∈[0,t] Ms2 p.s. si t ∈ D et si D ⊂ R+ est dense. !

3. Convergences et théorèmes d’arrêt


On présente une collection de résultats importants, dont la preuve est omise car elle s’appuie
sur des résultats pour les martingales à temps discret, combinés avec un argument semblable
à celui dans la preuve du Théorème 2.2.

Théorème 3.1. Si (Mt , t ≥ 0) est une sous-martingale continue à droite, et si T est un


temps d’arrêt, alors (MT ∧t , t ≥ 0) est une sous-martingale continue à droite.

Théorème 3.2. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite. Si supt≥0 E(Mt+ ) <
∞, alors M∞ := limt→∞ Mt existe p.s., et E(|M∞ |) < ∞.

Théorème 3.3. Si (Mt , t ≥ 0) est une surmartingale positive et continue à droite, alors
M∞ := limt→∞ Mt existe p.s., et E(M∞ ) ≤ E(M0 ).
1
Continuité à droite : p.s., la fonction t ,→ Mt (ω) est continue à droite sur R+ .
16 Chapitre 2. Martingales à temps continu

Théorème 3.4. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite et uniformément


intégrable. Alors Mt → M∞ p.s. et dans L1 .
De plus, pour tout t ≥ 0, on a Mt ≤ E(M∞ | Ft ) p.s.

Théorème 3.5. Si (Mt , t ≥ 0) est une martingale continue à droite telle que

sup E(Mt2 ) < ∞,


t≥0

alors il existe une variable aléatoire M∞ telle que Mt → M∞ p.s., et dans L2 .


De plus, pour tout t ≥ 0, on a Mt = E(M∞ | Ft ) p.s.

Théorème 3.6. Soit (Mt , t ≥ 0) une sous-martingale continue à droite, et soient S ≤ T


des temps d’arrêt bornés. Alors

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

En particulier, pour tout temps d’arrêt borné T , on a E(MT ) ≥ E(M0 ).

Théorème 3.7. Soit (Mt ) une sous-martingale continue à droite et uniformément intégrable.
Soient S ≤ T des temps d’arrêt. Alors

E(MT | FS ) ≥ MS , p.s.

En particulier, pour tout temps d’arrêt T , on a E(M∞ ) ≥ E(MT ) ≥ E(M0 ).

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