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Avortement et norme procréative de la dernière génération

soviétique en Russie
Mona Claro
Dans Cahiers du Genre 2016/1 (n° 60), pages 15 à 37
Éditions Association Féminin Masculin Recherches
ISSN 1298-6046
ISBN 9782343088952
DOI 10.3917/cdge.060.0015
© Association Féminin Masculin Recherches | Téléchargé le 15/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.0.198.49)

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Cahiers du Genre, n° 60/2016

Avortement et norme procréative


de la dernière génération soviétique en Russie

Mona Claro

Résumé
En Russie soviétique, après la déstalinisation, l’avortement était acces-
sible légalement sur simple demande de la femme, mais les politiques
publiques encourageaient peu la diffusion de la contraception ‘moderne’.
Les femmes de la ‘dernière génération soviétique’, entrées dans l’âge adulte
autour des années 1980, recouraient souvent aux méthodes ‘traditionnelles’
et avortaient en moyenne trois ou quatre fois au cours de leur vie : rare-
ment pour repousser à plus tard la première naissance, le plus souvent pour
espacer et limiter les suivantes. Cet article analyse les rationalités situées
de leurs choix procréatifs, et montre que la non-planification des gros-
sesses prenait des significations différentes en fonction, notamment, des
enfants déjà nés et du contexte conjugal.

RUSSIE SOVIÉTIQUE — SEXUALITÉ — NORME PROCRÉATIVE — AVORTEMENT —


CONTRACEPTION
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« On ne planifie pas les enfants, comme peut-être
[…] en Amérique […]. On n’est quand même pas
des robots ! »
(Elena, née en 1967)

Dans les années 1960-70, tandis qu’en Occident les luttes


féministes portaient notamment sur la légalisation et la gratuité
de l’avortement, en Russie soviétique, ces réformes remontaient
16 Mona Claro

à 1920 1. Après une période de recriminalisation sous Staline


(1936-1953), l’URSS était redevenue pionnière dans ce domaine,
et servait de modèle à l’ensemble du monde communiste. Ainsi,
lorsque des dissidentes soviétiques féministes se sont emparées
du sujet, au début des années 1980, leur discours ne portait pas
sur la ‘libération’ du droit à l’avortement. Elles insistaient
plutôt sur l’amélioration des conditions dans lesquelles l’acte
était réalisé (qualité de l’anesthésie, sollicitude du personnel
médical) ; elles les replaçaient dans le contexte plus large d’un
système de santé insuffisamment subventionné, et dans un même
continuum avec les conditions spartiates des accouchements, par
exemple. Elles pointaient également du doigt le peu d’options dont
les femmes disposaient pour réguler les naissances (Collectif
1980 ; Rossiianka 1980).
L’enjeu de la santé reproductive dans l’URSS d’après la dé-
stalinisation n’a pu être approfondi par les sciences sociales qu’à
partir de la perestroïka, quand les statistiques de l’avortement
ont été publicisées. Dans un premier temps, les recherches, sur-
tout démographiques et épidémiologiques, se sont développées
sous le signe de la comparaison Est-Ouest et de la dénonciation
du ‘retard’ soviétique. Présentant les taux d’avortement les plus
élevés au monde, les pays communistes étaient censés abandon-
ner leur « culture de l’avortement » et embrasser une « culture
de la contraception » à l’occidentale (Avdeev, Troitskaya 1991 ;
Remennick 1991 ; Popov 1995 ; David, Skilogianis 1999). Dans
un deuxième temps, des approches davantage sociohistoriques
ont permis d’interroger de façon plus complexe les choix pro-
créatifs des femmes des pays communistes, sans les réduire au
statut de victimes passives de politiques publiques inadaptées
(Stenvoll 2007 ; Bélanger, Flynn 2009 ; Denisov, Sakevich 2009 ;
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Zdravomyslova 2009 ; Hilevych 2015). Cet article s’inscrit dans
le prolongement de ces travaux, et s’inspire de recherches por-
tant sur d’autres contextes nationaux (Bajos, Ferrand 2006 ; Faya
Robles 2011 ; Van der Sijpt 2014).
Si l’objectif n’est pas, ici, de discuter de la valeur heuristique
du concept de « culture de l’avortement », il faut néanmoins

1
Je tiens à remercier Michel Bozon, Juliette Rennes et Veronika Duprat-
Kushtanina pour leurs relectures.
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 17

rappeler que son usage nécessite une double précaution. D’une


part, parce qu’il est politisé sur le mode de la dénonciation, et a
paradoxalement préparé le terrain aussi bien à la promotion des
‘droits reproductifs’ qu’au militantisme ‘pro-life’. D’autre part,
plus fondamentalement, parce qu’il correspond à l’articulation
rétrospective d’attitudes et de pratiques qui n’étaient pas pen-
sées en ces termes avant la perestroïka. Les propos d’une inter-
viewée, Veronika, née en 1958, sont révélateurs :
À l’époque c’était naturel de faire un avortement. Personne ne
pensait que c’était tuer un enfant. […] Je suis allée avorter […]
comme on va boire le thé. […] Et seulement au bout de
nombreuses années, quand ce débat a commencé dans la société
[pendant la perestroïka], à propos du fait que l’avortement, il ne
faut pas, c’est un meurtre... j’ai commencé à y penser. Bien-sûr,
je tiens ces pensées à distance parce que je comprends que...
enfin, pardon mais dans ce cas, je dois considérer que n’importe
quel acte sexuel... euh... j’aurais dû, euh le garder et être
enceinte ? […] Mais ne le prenez pas comme quelque chose de
tragique... c’était vraiment la philosophie de toute la société.
Veronika juge la problématisation de l’alternative contraception /
avortement non pertinente pour la période soviétique antérieure
à la perestroïka, et la renvoie à un après (marqué par un éveil
religieux) et éventuellement à un ailleurs (incarné par la cher-
cheuse occidentale dont elle n’a pas besoin de la compassion).
En Russie soviétique, on peut dire plus largement que, comme
dans d’autres contextes, l’avortement n’est pas nécessaire-
ment vécu par les femmes comme moins ‘rationnel’, moins
‘responsable’ ou moins ‘moral’ que la contraception : ces deux
pratiques permettant d’atteindre le même objectif ne sont pas
ontologiquement opposées l’une à l’autre. La sexualité ‘non’ ou
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‘mal protégée’ procède de rationalités situées qu’il s’agit de
cerner (Luker 1975 ; Conley, Rabinowitz 2004 ; Bozon 2005 ;
Gribaldo et al. 2009 ; Guillaume, Lerner 2010).
Cet article porte sur les dernières cohortes de femmes russes
à avoir vécu leur socialisation primaire et leur entrée dans la
sexualité à l’époque soviétique, et que l’on peut rattacher à une
« dernière génération soviétique » (Yurchak 2006). Pour ces
femmes devenues majeures à la fin de la Stagnation (1964-
1985) et pendant la perestroïka (1985-1991), on compte plus
18 Mona Claro

d’avortements que de naissances. L’immense majorité d’entre


elles a eu un à deux enfants entre 20 et 25 ans ; elles ont inter-
rompu en moyenne trois à quatre grossesses — rarement pour
repousser leur entrée dans la maternité, le plus souvent pour es-
pacer et limiter les naissances suivantes (Zakharov et al. 2009).
L’article s’appuie sur une partie de mon corpus de thèse : dix
entretiens semi-directifs menés en russe à Moscou et Saint-
Pétersbourg, entre 2012 et 2015, avec des femmes nées entre
1957 et 1973, rencontrées par le bouche à oreille. Ces résultats
ne sont pas généralisables à l’ensemble de la population russo-
soviétique : on s’intéressera ici à des femmes au profil urbain
(toutes habitaient l’une des ‘deux capitales’, dont trois originaires
de villes de province) et socialement relativement favorisé (huit
ont au moins l’équivalent d’une licence, deux exercent des pro-
fessions peu ou non qualifiées, aucune n’est originaire de ‘l’élite’
[nomenklatura]). La première partie aborde les politiques repro-
ductives soviétiques après la déstalinisation. La deuxième partie
analyse la place et le sens de l’avortement dans les parcours
procréatifs.

Un pronatalisme ambigu

Décider de la question de la maternité elles-mêmes


À la suite de la Révolution d’Octobre, le décret de 1920
légalisait l’avortement tout en appelant à sa disparition. Les
bolcheviks condamnaient le néomalthusianisme, et promettaient
de libérer le prolétariat des difficultés matérielles qui le forçait à
limiter sa fécondité. Les femmes soviétiques étaient censées
bénéficier d’une égalité en droit absolue avec les hommes, et
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leur émancipation devait passer par la possibilité pour elles de
cumuler les rôles de mère et de travailleuse, grâce à la prise en
charge par l’État du travail domestique et parental (crèches,
cantines…) : c’est à cette condition que le problème des gros-
sesses non désirées cesserait de se poser ; en attendant, l’avorte-
ment légal restait un mal nécessaire (Avdeev et al. 1993). Avec
le tournant stalinien des années 1930, la ‘question sociale’ et la
‘question des femmes’ furent proclamées résolues, et l’avortement
perdit sa justification sociologique (Claro 2015) : après 1936, il
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 19

n’était plus autorisé que pour raisons médicales. La Russie


soviétique était finalement gagnée par les mêmes angoisses
démographiques que le reste de l’Europe, et mettait en place des
politiques natalistes comparables, mais n’assignant pas les
femmes au foyer (Hoffmann, Timm 2009).
Peu de temps après la mort de Staline, en 1955, l’avortement
fut de nouveau autorisé sur simple demande de la femme, en lien
avec l’inefficacité de la prohibition (Avdeev et al. 1993 ; Nakachi
2010). Il était toujours censé disparaître dans un ‘avenir radieux’,
mais il fallait éviter sa pratique clandestine pour mieux protéger
les capacités reproductives des femmes. Le changement s’ins-
crivait aussi dans une recherche, caractéristique du Dégel (1953-
1964), de modes de gouvernement des conduites plus subtiles et
plus efficaces, reposant moins sur la loi et la coercition, davan-
tage sur la norme et l’incitation (Field 2007 ; Randall 2011). Il
s’agissait donc de relancer la lutte contre l’avortement en pre-
mier lieu via la ‘promotion de la maternité’.
De plus, le décret de 1955 insiste de façon inédite sur le projet
« d’octroyer à la femme la possibilité de décider la question de
la maternité elle-même ». Cette politique démographique officiel-
lement fondée sur la reconnaissance du libre arbitre des femmes
correspond à un art de gouverner plus proche de la politique
française d’encadrement de l’avortement après 1974, par exemple,
que des politiques de la procréation autoritaires mises en place
dans certains autres pays communistes — aucune ‘police gynéco-
logique’ similaire à celles de la Chine de l’enfant unique ou de
la Roumanie de Ceausescu. Si le concept de « biopolitique »
(Foucault 2004) est applicable au domaine de la procréation en
URSS après 1955, on peut faire l’hypothèse que cette bio-
politique ne fonctionne pas selon des modalités radicalement
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différentes de celles qui se développent parallèlement à l’Ouest,
mais apparaît moins approfondie, à plus d’un titre.
Tout d’abord, la recherche de mécanismes de régulation fondés
sur une connaissance précise des processus démographiques ne
semble pas être une priorité pour le ministère de la Santé : la
collecte des statistiques de l’avortement reprend de façon moins
détaillée qu’avant 1936, et surtout ces statistiques sont classées
‘à usage interne’, c’est-à-dire largement soustraites à l’analyse
20 Mona Claro

scientifique. Ensuite, l’ampleur des efforts des autorités pour in-


citer les femmes à renoncer à l’avortement et à avoir davantage
d’enfants, qu’il s’agisse des aides sociales ou de la surveillance
étroite des corps des femmes par les médecins, était limitée par
des logiques d’allocation des ressources — en l’occurrence, la
priorité économique accordée au secteur militaro-industriel au
détriment du welfare 2.
Le pronatalisme apparaît comme une constante des discours
officiels des années 1930 jusqu’à la fin de la période soviétique,
et connaît même un nouvel élan à partir des années 1960-70. En
même temps, la mobilisation du travail reproductif des femmes
entrait en tension, si ce n’est en contradiction, avec leur mobili-
sation en tant que force productive. De plus, au-delà d’une prise
en charge relativement large en crèche et jardin d’enfants
notamment, les mesures soviétiques de stimulation de la fécon-
dité sous forme d’allocations n’apparaissaient pas particulière-
ment généreuses en comparaison avec les politiques natalistes
d’Europe de l’Ouest, et des soviétologues ont pu parler d’un
« pronatalisme hésitant » (Desfosses 1981). Cette politique n’a
pas permis d’enrayer, sur le long terme, la chute du taux de
natalité sous le seuil de renouvellement des générations. Seule
innovation substantielle de la période, l’introduction de congés
maternité longue durée (un à trois ans), au début des années 1980,
a encouragé un bref sursaut du taux de natalité, analysable
comme un effet de calendrier : les cohortes sur lesquelles se
concentre cet article se sont orientées un peu plus précocement
que les précédentes sur une même norme d’un ou deux enfants
(Zakharov et al. 2009).
L’accès à l’avortement : peu restrictif, faiblement encadré
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Le décret de 1955 autorisait l’avortement sur simple demande
de la femme jusqu’à 12 semaines (28 semaines pour raisons
médicales), et la gratuité était garantie sous certaines conditions.
Bien que la médecine soviétique ait été à la pointe de l’inno-
vation en matière d’avortement par aspiration (Tunc 2008), il
2
En part de son PIB (produit intérieur brut), l’URSS dépensait proportion-
nellement deux fois moins pour la santé que la moyenne des pays de l’OCDE
(Organisation de coopération et de développement économiques) (Rivkin-Fish
2005).
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 21

semblerait que la méthode plus risquée et plus douloureuse du


curetage soit restée très répandue — tendance qu’on peut relier
à la question du sous-équipement et de l’inertie du système de
santé (Holland 1980 ; Remennick 1991). La législation de 1955
est restée globalement inchangée jusqu’à la fin de la période
soviétique (et même jusqu’aux années 2000), à l’exception de la
directive du ministère de la Santé de 1987 3 appelant à la diffu-
sion de la technique de « l’avortement par aspiration à des
délais précoces » (jusqu’à vingt jours d’aménorrhée) sans
dilatation du col de l’utérus — plus connue ailleurs dans le
monde sous le nom de ‘méthode Karman’ ou encore ‘extraction /
régulation menstruelle’, baptisée dans le bloc de l’Est ‘mini-
avortement’ 4. Plusieurs enquêtées ont insisté en entretien sur la
spécificité de cette nouvelle procédure, qu’elles avaient vécue
comme n’étant « pas une opération », « beaucoup plus simple »
que l’avortement, et « sans douleur ». L’une d’entre elles
considérait qu’elle avait ainsi réglé un problème de « retard de
règle », et qu’elle « [n’avait] pas [été] enceinte » 5.
Les dispositifs d’accueil des femmes souhaitant avorter, censés
les inciter à choisir de mener leur grossesse à terme, se heur-
taient aux contraintes de temps caractéristiques du système de
santé dans son ensemble, classiquement décrit par les patientes
en termes de « travail à la chaîne [konveier] » (Rivkin-Fish
2005). Le cadre législatif de 1955 laissait aux médecins — dont
environ 70 % étaient aussi des femmes — l’initiative de discus-

3
Directive [prikaz] du ministère de la Santé d’URSS n° 757 du 05.06.1987.
4
Cette technique, parce qu’elle peut être mise en œuvre très rapidement après
une prise de risque et sans que la grossesse ne soit confirmée, brouille les
frontières entre régulation des cycles menstruels, contraception d’urgence, et
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avortement : elle a pu être considérée comme révolutionnaire par certaines
féministes occidentales (Pavard 2012) et s’imposer dans des pays du Sud où
l’avortement était illégal (Van de Walle, Renne 2001). Les pays de l’Est
semblent occuper une position intermédiaire entre les pays du Nord où l’aspi-
ration précoce est considérée comme un avortement à part entière et les pays
du Sud où elle n’entre pas dans cette définition.
5
Par ailleurs, la directive du ministère de la Santé n° 1342 du 31.12.1987
autorisait les avortements entre 12 et 28 semaines pour des raisons autres que
médicales (comprenant notamment le viol, le divorce, le fait d’avoir déjà cinq
enfants ou d’être âgée de moins de 18 ans). Aucune enquêtée ne m’a fait part
d’un tel avortement dit ‘tardif’ pour raisons sociales.
22 Mona Claro

sions visant à influencer les décisions des candidates à l’avor-


tement, selon une double logique de care et de contrôle, mais ne
dictait aucun cahier des charges contraignant. On ne mis en
place aucun des dispositifs sophistiqués de moralisation, de psy-
chologisation et d’individualisation typiques des législations
occidentales introduites dans les années 1960-70 — entretiens
avec un·e psychologue, ‘délais de réflexion’ (au contraire, un
délai d’attente maximum était fixé à 10 jours), etc.
Le ministère de la Santé pouvait proclamer que la femme qui
souhaite avorter « consulte le gynécologue qui, après l’avoir mise
en garde contre les risques de cette intervention et avoir cherché
à la faire revenir sur sa décision, ne peut refuser l’intervention »
(OMS 1962). Cependant, cette « mise en garde » n’était pas
systématiquement mentionnée dans la littérature médicale pro-
fessionnelle (Gerasimov 1983). Il semblerait qu’on ne dispose
d’aucunes données représentatives sur le déroulement des inter-
actions patiente-médecin avant, pendant et après l’opération. Faute
d’archives, les historien·ne·s en sont réduit·e·s à juxtaposer : d’une
part, le discours officiel promettant la sollicitude de l’État-
providence soviétique à chaque femme enceinte, quelle que soit
sa situation économique et conjugale ; d’autre part, des discours
de dissident·e·s, dénonçant les promesses non tenues. Par
exemple, officiellement, les avortements devaient être réalisés
sous anesthésie, mais les dissidentes féministes dénonçaient
celle proposée comme insuffisante. De même, selon elles :
Parfois (très rarement), au moment de l’admission à l’hôpital,
en remplissant les nombreux documents pour l’avortement, une
femme se voit demander pourquoi elle ne veut pas avoir l’enfant.
[…] Ce qu’ils font de ces renseignements, on ne sait pas
(Collectif 1980).
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Les sources écrites que j’ai analysées (prose et pamphlets
féministes ou écrits par des femmes dans les années 1980-90
principalement) et les témoignages que j’ai recueillis en entre-
tien convergent en tout cas sur la place plutôt marginale qu’ils
accordent aux discussions avec les médecins autour de la déci-
sion d’avorter : c’est l’indifférence des médecins surchargé·e·s
de travail qui semble dominer, même si des tentatives de dissua-
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 23

sion et d’intimidation, sur le mode du rappel à la norme pro-


créative (Bajos, Ferrand 2006), sont aussi évoquées 6.
En effet, il semblerait que l’avortement était construit moins
comme un problème dans l’absolu que par rapport à une norme
procréative, et notamment à un nombre idéal d’enfants par femme.
Après la déstalinisation, dans les campagnes de propagande, les
médailles pour les mères de sept enfants et plus (instaurées en
1944) laissent la place à un idéal d’au moins deux enfants, trois
de préférence. Cet idéal était présenté moins comme un devoir
patriotique que comme une synthèse harmonieuse entre
l’épanouissement de chaque famille (bonheur des couples, diffi-
cultés liées aux enfants uniques…) et les intérêts de l’ensemble
de la société (renouvellement des générations) (Field 2007). La
figure repoussoir des campagnes anti-avortement était la femme
qui avortait avant d’avoir eu des enfants, devenait stérile, et finis-
sait ses jours dans la solitude et la dépression (Randall 2011) :
le ‘drame’ de l’avortement était construit avant tout comme le
drame des infertilités secondaires touchant les femmes qui
n’avaient pas encore réalisé leurs intentions reproductives. Or,
cette problématisation pouvait d’une certaine manière légitimer
implicitement, en creux, le recours à l’avortement par les femmes
qui avaient déjà atteint le nombre d’enfants idéal.
La contraception : peu encouragée
Après 1955, les directives du ministère de la Santé donnaient
l’impression que la diffusion de la contraception était un front
secondaire de la lutte contre l’avortement (Vishnevskii 2006).
Mais la promotion du contrôle des naissances aurait demandé des
investissements importants dans l’innovation ou l’importation,
et restait contraire à la doctrine anti-malthusienne. Il semblerait
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que cette « ambivalence ait débouché sur une procrastination
institutionnalisée », pour reprendre une formulation proposée

6
Dans la prose de Natalia Baranskaia (1969), de Maria Arbatova (1994) et
Yulia Voznesenskaya (1987), le lieu des discussions autour de la décision
d’avorter n’est pas le tête-à-tête avec le médecin, mais l’espace collectif de la
salle d’attente ou de soin de l’hôpital, où se déploient injonction à confesser
l’histoire de son avortement et maternalisme des femmes les plus âgées envers
les moins expérimentées.
24 Mona Claro

par Deborah Field (2007) au sujet de l’attentisme soviétique en


matière d’éducation sexuelle.
À partir des années 1970, et surtout du début des années
1980, le ministère de la Santé s’oriente prudemment vers une
politique de diffusion du stérilet, tout en se montrant extrême-
ment méfiant à l’égard des effets secondaires de la contracep-
tion hormonale 7. Le stérilet était moins onéreux à produire que
la pilule, et son usage mieux contrôlable par les médecins-
fonctionnaires. Il était préconisé uniquement pour les femmes
ayant déjà eu au moins un enfant, et sa pose recommandée à la
suite d’un avortement ou d’un accouchement (Barkalov, Darsky
1994). On estime qu’à la fin de la période soviétique, cette
contraception concernait jusqu’à 15 % des femmes en âge
d’avoir des enfants (Avdeev, Troitskaya 1991).
Avec la perestroïka, le ministère de la Santé reconnaît s’être
fourvoyé à propos de la pilule, et tente de jeter les bases d’une
nouvelle politique de diffusion de la contraception, rapidement
interrompue par l’effondrement du système soviétique. Un pro-
gramme de diffusion du ‘planning familial’ est ensuite soutenu
par des organisations internationales et des fondations états-
uniennes, mais interrompu en 1998. Mes enquêtées ont donc en
commun de ne jamais avoir été exposées sur le long terme et de
façon systématique à des injonctions contraceptives univoques.
Par exemple, dans leurs discours, la pilule, globalement dis-
créditée avant la fin des années 1980, reste clivante après ; le
stérilet, plutôt recommandé pour les femmes ayant déjà eu des
enfants sur toute la période, suscite en même temps des craintes
importantes.
Plusieurs enquêtes menées dans les années 1980 avec diffé-
rents types d’échantillons ont mis en évidence qu’une minorité
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de femmes considéraient le risque d’avorter comme ‘préférable
à’ ou ‘moins dangereux que’ l’usage permanent d’une contra-
ception (autour de 10 % des interrogées, ou moins) 8. Sans poser

7
Cette méfiance est en partie comparable à celle suscitée en Occident par les
pilules de première génération, et très similaire au rejet étatique de la contra-
ception hormonale en générale, au Japon, jusque dans les années 1990.
8
Antonov, Medkov (1987) ; Popov et al. (1993) ; Visser, Bruyniks et al.
(1993) ; Visser, Pavlenko et al. (1993).
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 25

directement la question, Andrei Popov (1986) a déduit — de


façon contestable — des résultats d’une enquête représentative
menée à Moscou en 1978 qu’une telle ‘préférence’ pour l’avor-
tement concernait environ 25 % des femmes. Par ailleurs, les
données d’une grande enquête représentative de 2004, malgré
un certain biais déclaratif (sous-déclaration classique dans les
enquêtes sur l’avortement), suggèrent que derrière la moyenne
de trois ou quatre avortements par femme, à la fin de la période
soviétique, se cachait une répartition relativement dispersée :
seule la moitié des femmes russes nées entre 1958 et 1967 aurait
avorté deux fois ou plus, tandis qu’environ 20 % n’auraient
avorté qu’une fois, et environ 30 % n’auraient jamais avorté.
Extrapolant à partir des pratiques contraceptives contemporaines
de ces cohortes de femmes, les démographes Boris Denisov et
Viktoria Sakevich (2009) concluaient que seule une minorité
d’entre elles ne recourait qu’à l’avortement, tandis que la majorité
d’entre elles utilisait à la fois la contraception et l’avortement.

Avortement et scénarios procréatifs,


avant et après la naissance du premier enfant

Premier enfant : amour, sérieux et spontanéité


Il semblerait que l’entrée dans la maternité était un pivot
crucial dans l’évolution des pratiques de contrôle des naissances
au cours de la vie d’une femme. Une enquête représentative
menée à Moscou en 1983-85, auprès de femmes mariées mères
d’un ou deux enfants, a par exemple mis en évidence une
prévalence contraceptive de l’ordre de 30 % avant la naissance
du premier enfant, contre près de 70 % après cette naissance
(Antonov, Medkov 1987). La source d’informations sur la
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contraception la plus mise en avant par mes enquêtées étaient
les ‘amies’ (ou encore « sarafannoe radio », expression qui ren-
voie au bouche à oreille entre femmes, et qui connote les socia-
bilités villageoises traditionnelles et les rumeurs invérifiables).
Or, le moment où cette source semblait la plus décisive était
avant la première grossesse, et les méthodes les plus souvent
conseillées présentaient de forts taux d’échecs : surtout le retrait
et les lavements, plus rarement le calendrier ; le préservatif était
26 Mona Claro

connu de toutes mais peu plébiscité à ce stade. Après la nais-


sance du premier enfant, les médecins étaient plus souvent cités
comme source d’informations, et la contraception potentielle-
ment plus efficace : possibilité du stérilet et plus rarement de la
pilule ; le préservatif devenait un peu plus populaire.
De même, selon les dissidentes féministes :
Certaines femmes ne se font pas avorter la première fois […]
pour ne pas risquer de se priver à jamais de mettre des enfants
au monde. Mais les fois suivantes, cela ne leur importe plus
(Rossiianka 1980).
L’avortement était-il nécessairement vécu comme impensable
pour la première grossesse, avant le premier enfant, puis comme
de plus en plus inévitable ? Nous étudierons cette question à
partir de l’exemple de dix femmes au profil plutôt urbain et
éduqué. Toutes ont rapporté des grossesses et des pratiques
contraceptives ; trois ont eu des enfants et n’ont évoqué aucun
avortement ; cinq ont eu des enfants et des avortements ; deux
ont eu des avortements et pas d’enfant. Parmi les cinq enquêtées
nées entre 1957 et 1964, aucune n’a interrompu sa première
grossesse, en accord avec la norme médicale et sociale qui pré-
valait, mais parmi les cinq nées entre 1967 et 1973, deux l’ont
fait.
Dans la période soviétique tardive, pour l’immense majorité
des femmes, tout se passait comme si repousser dans le temps la
naissance du premier enfant n’était ni nécessaire ni avantageux
(Rotkirch 2002 ; Kesseli, Rotkirch 2010). La première mater-
nité n’avait pas besoin d’être précédée ni de la fin des études, ni
de l’acquisition d’une autonomie financière et résidentielle, ni
même forcément du mariage — se marier pendant la grossesse
était anodin (Ivanova, Mikheeva 1998). Devenir mère permet-
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tait fondamentalement d’entamer son entrée dans l’âge adulte :
cela ouvrait souvent à plus ou moins long terme la possibilité de
‘recevoir un appartement’ (selon la procédure d’attribution des
logements par l’État) et de décohabiter d’avec les parents — ces
événements se déroulaient rarement dans l’ordre inverse. La
revue de vulgarisation médicale Zdorov’e (mentionnée par cer-
taines de mes enquêtées) pouvait situer l’âge optimal de la
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 27

maternité « entre 20-21 et 25-26 ans environ » (Vasil’chenko,


Reshetniak 1975), ou encore affirmer :
Selon certains sociologues, le plus avantageux pour la femme
contemporaine est de devenir mère à 19-20 ans. Quand ses
enfants auront grandi et demanderont moins de soins, il lui
restera suffisamment de temps pour sa carrière (Volkova 1985).
Selon le scénario normatif dominant, les jeunes femmes
s’abstenaient de rapports hétérosexuels tant qu’elles n’étaient
pas prêtes à devenir mères, puis, à partir du moment où leur
sexualité pouvait s’adosser sur la perspective d’un couple
parental, ne recouraient ni à la contraception ni à l’avortement.
Parmi mes enquêtées, certaines ont tout de même eu des
rapports avant un éventuel futur mari, mais elles ont pu, comme
les autres, souligner qu’une fois dans une relation qui remplit les
deux critères de ‘l’amour’ et du ‘sérieux’, il n’était pas logique
de se protéger : de façon révélatrice, pour Olga, le préservatif
— qui protégeait seulement des grossesses 9 — signifiait
‘l’absence de confiance’.
L’horizon le plus unanimement partagé par les enquêtées
— mais pas toujours atteint — était donc celui d’une première
grossesse qui survient dans un couple pour qui les questions de
la contraception et de l’avortement ne se posent pas, soit parce
qu’il vient de se marier (scénario 1), soit parce qu’il projette de
toute manière de le faire tôt ou tard (scénario 2). Certaines,
autant parmi les plus jeunes que les plus âgées du corpus, ont
insisté pour distinguer ce deuxième scénario du mariage dit
« po zaletu », expression familière et péjorative qui signifie
littéralement ‘à cause d’une grossesse non prévue’. Comme le
résume Veronika, née en 1958 :
[Autour de moi,] toutes se mariaient enceintes […]. Ça me
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semblait blessant, outrageant [oskorbitel’no] de se marier [non
pas] pendant une grossesse, mais précisément à cause d’une
grossesse.
On peut faire l’hypothèse que les mariages ‘à cause d’une
grossesse’, appelés aussi ‘de rattrapage’ (vdogonku) étaient dévalo-
risés parce qu’ils renvoyaient à une union fondée non pas sur

9
Selon elle, personne ne pensait encore au sida. Le premier cas officiellement
déclaré en URSS remonte à 1988.
28 Mona Claro

des sentiments amoureux, mais sur des considérations jugées


plus triviales, matérielles et de respect des convenances
— typiquement avec intervention des parents de la jeune fille
enceinte. Or, l’idéal conjugal socialiste, tel qu’il pouvait être
intériorisé par les personnes enquêtées, était construit précisé-
ment en opposition avec ces deux repoussoirs : les ‘mariages de
raison, liés à des calculs financiers (po raschetu)’ des sociétés
‘capitalistes’ et les ‘mariages forcés ou arrangés’ des sociétés
‘traditionnelles’.
Le hasard de la première grossesse
Quand le scénario normatif dominant fonctionne, le « hasard »
de la grossesse (terme souvent utilisé en réponse à ma question
de savoir si elle était « planifiée ») n’en est pas vraiment un :
« l’accident planifié » se transforme en « projet par accident »
(Faya Robles 2011). Olga, Tatiana, Veronika, Sonia et Irina (nées
entre 1957 et 1973) relatent toutes dans des termes extrêmement
similaires la naissance de leur premier enfant, moins d’un an,
voire moins de neuf mois après leur mariage, quand elles avaient
entre 21 et 23 ans : elles ne s’étaient jamais protégées avec ce
partenaire, c’était « naturel [estestvenno] », « légitime / logique
[zakonomerno] », elles et leurs (futurs) maris n’y avaient « pas
du tout réfléchi », n’en avaient « pas discuté », « c’est juste arrivé
[okazalos’, poluchilos’] ». Presque toutes relativisent (immédiate-
ment ou peu après dans l’entretien) la notion de ‘hasard’ liée à
l’absence de contraception, comme Olga (née en 1957) :
Je n’ai jamais pensé que notre mariage avait eu lieu uniquement
parce que... par hasard... quelqu’un ne s’était pas protégé ou
quelque chose comme ça... Parce que tout ce qui nous arrivait
était tellement [...] sérieux. […] Si c’est de l’amour, alors... en
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quelque sorte... on est déjà... tout ce qui nous arrive, c’est bien /
ce qui doit se passer [pravil’no]. Et on... ça ne doit pas être
influencé par notre volonté.
Inga (née en 1964) a cherché à échapper à cette trajectoire
normative en utilisant une contraception, en vain, et elle ne
mentionne pas avoir envisagé l’avortement :
Je ne voulais pas avoir un enfant tout de suite après le mariage...
et c’était une erreur, c’est juste que je ne savais pas comment
fonctionnait la pilule contraceptive. […] Le médecin ne m’a pas
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 29

bien expliqué 10. […] Et le résultat, c’est un petit garçon formi-


dable qui est arrivé.
En revanche, Liuba (née en 1972), qui elle aussi raconte n’avoir
pas réussi à trouver de contraception satisfaisante lors de ses
premiers rapports sexuels (elle utilise donc le retrait), franchit le
pas de l’avortement lorsqu’elle tombe enceinte au cours de sa
deuxième année à l’université. Issue d’un milieu modeste, elle
mise tout sur sa réussite à l’université et ce critère, qui avait
déjà joué pour repousser ses premiers rapports, a pu être décisif
aussi dans sa décision d’avorter, à une époque de difficultés
matérielles et d’incertitudes politiques (1990) :
Je sortais avec [lui]. Et ça avançait, avançait, avançait, mais
sans sexe. C’était les examens, et je me suis dit : si je le réussis,
on le fait, mais si je le rate, il ne se passera rien. Parce que c’est
bien une rupture dans la sécurité de ma vie, parce que c’est bien
une transition.
Elle donne l’impression de souligner, a posteriori, à quel point
sa décision d’avorter était contraire à la trajectoire normative
qu’elle aurait dû suivre, dans la mesure où son copain la
« rassurait, il disait : ‘ce n’est pas grave, on se mariera, et tout
se passera bien’ » :
Au foyer étudiant, j’ai vu des filles tomber enceintes de quelqu’un,
par hasard. […] Elles [...] laissaient l’enfant à leurs parents, et
revenaient passer leurs examens. Et en plus, parce qu’elles
étaient mères célibataires, on leur donnait […] une chambre
individuelle […]. J’ai vu tellement d’avortements autour de moi
[…]. Mais celles qui faisaient des avortements, elles avaient
déjà eu des enfants, tandis que moi je n’en avais aucun.
Ne pas interrompre une première grossesse pouvait sembler
tellement important que même lorsqu’une jeune fille tombait
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enceinte en dehors d’un contexte de couple, ou sans certitude de
bénéficier du soutien du géniteur, elle pouvait être incitée à
envisager le scénario normatif alternatif de la maternité en
solitaire, qui, bien que plus précaire et moins légitime que le
scénario conjugal, bénéficiait d’une certaine protection sociale.
Dans certains cas, l’avis de la mère de la jeune fille et de son

10
Son médecin lui avait prescrit la pilule à des fins de régulation hormonale,
justement pour rétablir sa fertilité.
30 Mona Claro

médecin pouvaient converger dans leur rejet de l’avortement,


lié à la peur des risques pour sa fertilité future, ainsi qu’à la
certitude de pouvoir s’en sortir matériellement. Mais Zoya (née
en 1967) a interrompu ses deux premières grossesses à 20 et 22
ans, à chaque fois dans le cadre d’une relation sans avenir :
La deuxième fois, j’étais prête à [poursuivre la grossesse]. Je
voulais […] le statut de femme mariée... les droits que ça donne
[…]. Ma mère a parlé avec cet homme, […] il a dit qu’il ne
voulait pas du tout s’engager pour l’avenir avec moi. […] Être
une mère célibataire [odinochka] […], ça n’aurait pas été du
bonheur pour moi, […] et l’enfant en aurait souffert.
Si l’avortement était relativement impensable dans le cadre d’un
couple ‘sérieux’, en revanche, en l’absence de père potentiel, des
justifications qui n’auraient pas été suffisantes dans le premier
cas (liées à la poursuite d’études par exemple, comme pour
Zoya) pouvaient entrer en compte pour légitimer l’interruption
de grossesse.
Avortements d’espacement, d’arrêt,
et mise à l’épreuve d’une nouvelle union
Le plus souvent, c’est après que les femmes soient devenues
mères qu’elles commençaient à recourir de façon plus décisive
à la contraception et à l’avortement — presque toutes mes
enquêtées ont décrit ces enjeux comme principalement féminins
et relativement ignorés par leurs partenaires. Ce sont les avorte-
ments ayant permis d’espacer les naissances qui ont suscité,
rétrospectivement, les mises en récit les moins problématisées
et, semble-t-il, les moins investies émotionnellement. Dans ces
cas-là, une deuxième grossesse est advenue trop vite après la
naissance du premier enfant et dans le contexte de la même
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union. Quelques temps après cette grossesse avortée, un deuxième
enfant a pu naître dans un contexte plus favorable et ainsi valider,
en quelque sorte, la stratégie choisie. Le récit de Veronika semble
particulièrement représentatif :
Simplement ma fille avait seulement 9 mois, et […] tout à fait
naturellement, je suis allée avorter. Je vais chez le gynécologue,
et soudain elle me dit : ‘vous êtes enceinte’. Elle m’a même... à
l’époque, à tel point c’était naturel, qu’elle ne m’a même pas
demandé... elle m’a tout de suite prescrit un avortement
[napravila na abort].
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 31

Son cas suggère, par ailleurs, que la norme sociale d’espace-


ment minimal entre deux naissances pouvait être renforcée par
une norme médicale visant à protéger la santé des enfants
encore allaités. Veronika, Tatiana et Irina ont ainsi raconté leur
premier avortement, survenu environ un an après la naissance
de leur premier enfant, de façon extrêmement similaire. Mais
pour Irina, la possibilité d’une deuxième naissance a finalement
été contrariée par son divorce notamment, de sorte que cet avor-
tement pensé comme devant espacer les naissances s’est avéré,
finalement, un avortement d’arrêt de celles-ci.
Le deuxième avortement d’Irina se rapproche des autres
avortements d’arrêt relatés par Tatiana, Inga et Olga : tous ont
eu lieu après leur divorce, dans le cadre d’une nouvelle union
paraissant moins protectrice, et dans le contexte de précarité socio-
économique du début des années 1990. Notamment, Tatiana
souligne que « ça dépendait de l’homme […], c’était juste des
histoires » (elle a avorté plusieurs fois) ; Irina qu’elle n’avait
aucun droit (propiska) sur le logement de son concubin ; et Inga
que « les pensions alimentaires étaient toutes petites ». Dans ces
situations, la décision d’avorter apparaît comme moins évidente
à prendre que pour les avortements d’espacement. Elle implique
une mise à l’épreuve de la relation de couple et amène à envisa-
ger le scénario de la maternité en solitaire, qui semble encore
plus difficilement viable que pour le premier enfant : ces trois
enquêtées ont toutes expliqué avoir essayé de s’imaginer « seule
avec deux/trois enfants ». Le récit d’Inga est représentatif :
Il y a eu une grossesse et je lui ai proposé de la laisser/garder
[ostavit’] […]. Il n’a pas dit non directement. Il m’a dit du
genre : ben, comme tu veux… […] Il m’a dit qu’il ne prendrait
pas sur lui la responsabilité de cet enfant, et étant donné que
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j’avais passé tant de temps avec un enfant en étant seule et en
manquant beaucoup d’argent, et en plus c’était une époque très
difficile, on était en 1993 […] quand il n’y avait rien à manger,
tout ça ! [...]. Et je n’ai pas poursuivi cette grossesse [ne stala
rozhat’], j’ai eu peur.
En revanche, Olga, qui elle non plus n’était pas mariée avec
son nouveau concubin, a en quelque sorte pris le risque de se
retrouver seule avec trois enfants à plus ou moins long terme,
parce qu’il lui avait dit qu’il voulait un enfant avec elle, mais
32 Mona Claro

également, me dit-elle, parce que quoi qu’il arrive, elle avait


survécu (perezhila) à plusieurs années seule avec les deux
premiers, avait « appris à vivre seule », et n’avait « plus peur de
rien ». Après ce troisième enfant, elle a avorté du même
compagnon, parce qu’elle a « manqué de forces » et d’« audace /
courage [smelost’] ».
Ces parcours procréatifs après la naissance du premier enfant
se sont donc improvisés, notamment, en fonction des attitudes
des géniteurs, de sorte qu’il faudrait raisonner non pas en termes
de possibilité de réaliser des intentions initiales, mais plutôt de
« navigation reproductive » et de « choix [reconfigurés en
permanence] en fonction de [ceux d’autres acteurs sociaux] »
(Van der Sijpt 2014). Plus il y a d’enfants à charge déjà nés,
plus la transformation de « l’accident planifié » en « projet par
accident » est difficile à envisager.
* *
*
En conclusion, la politique soviétique d’éradication de
l’avortement par la promotion de la maternité et par la diffusion
de la contraception, proclamée après 1955, semble avoir été
relativement inefficace, puisque les femmes ont continué à y
recourir massivement. Mais cette biopolitique faiblement investie
a tout de même participé à délimiter les contours d’une norme
procréative, d’un champ des possibles dans lequel se déployaient
différents vécus de l’avortement. Sans que l’État soviétique ne
diffuse activement une norme contraceptive explicite, il a favo-
risé indirectement, chez les femmes de la ‘dernière génération
soviétique’, des parcours reproductifs marqués par un recours
faible à la contraception comme à l’avortement avant la naissance
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d’un premier enfant, mais plus intense après. C’est le résultat en
partie non intentionnel : d’une part, des politiques qui régulaient
les cycles de vie — congés maternité pendant les études, attri-
bution des logements en fonction des naissances ayant déjà eu
lieu, notamment — et qui incitaient à la parentalité précoce ;
d’autre part, de la norme médicale interdisant l’interruption
d’une première grossesse pour éviter la stérilité, et de la timide
politique de promotion du stérilet comme seule contraception
Avortement et norme procréative… en Russie soviétique 33

hautement efficace, mais recommandée seulement après la nais-


sance d’un premier enfant.
Il semblerait que les enquêtées se soient en partie réapproprié
l’utopie d’une insouciance procréative permise par des politiques
sociales sécurisantes, mais en l’appliquant surtout à la première
maternité. La stabilité résidentielle et professionnelle était très
forte, et selon la perception représentative de Sonia, née en
1967 :
Les gens vivaient tous à peu près pareil, moyennement bien
[odinakovo sredne], mais tous étaient sûrs d’avoir derrière eux
un État puissant, qui, quoi qu’il arrive, résoudrait tes problèmes.
Dans un univers social où il y avait peu de place pour
l’imprévu, les relations sexuelles et amoureuses, avec la
parentalité, étaient peut-être parmi les seules sphères de la vie où
la spontanéité et les défis inattendus pouvaient être valorisés,
justement parce que les risques apparaissent comme gérables.
De façon révélatrice, pour Elena, née en 1967, devenue mère
célibataire à 18 ans :
On ne planifie pas les enfants, comme peut-être […] en
Amérique […]. On n’est quand même pas des robots !
Cependant, cette possibilité de valoriser la non-planification
des grossesses, dans le discours de mes enquêtées, ne valait que
pour les naissances d’enfants arrivés plus ou moins au bon
moment, mais élevés tant bien que mal et aimés de toute
manière — éventuellement comme une forme de victoire sur
l’adversité au moment de l’effondrement de l’URSS. Cette
même absence de planification, quand elle donnait lieu à des
avortements, n’était pas valorisée, et plutôt envisagée par ces
femmes, certaines fois, sur le mode du souci de santé inévitable,
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surtout pour les avortements d’espacement. D’autres fois, les
récits étaient plus amers : en partie en lien avec une sociali-
sation religieuse ultérieure et une culpabilisation rétrospective ;
surtout pour les avortements au statut plus ambigu, qui pou-
vaient être pensés à l’époque comme d’espacement, mais ce sont
avérés d’arrêt.
34 Mona Claro

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