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Intermariage, immigration et statistiques raciales aux

États-Unis
Barry Edmonston, Sharon M. Lee, Jeffrey S. Passel
Dans Critique internationale 2001/3 (no 12), pages 30 à 38
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 1290-7839
ISBN 2724629140
DOI 10.3917/crii.012.0030
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 03/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.144.21.250)

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Contre-jour
Intermariage,
immigration
et statistiques
raciales
aux États-Unis

par Barry Edmonston, Sharon


M. Lee et Jeffrey S. Passel
d ans plusieurs pays, en particulier aux
États-Unis, l’administration collecte et publie
régulièrement des statistiques raciales, et les
citoyens sont invités à déclarer leur race à l’occasion des recensements ou en rem-
plissant divers formulaires administratifs. On peut en être surpris étant donné le
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consensus scientifique sur l’impossibilité de classer les hommes en races biologiques
distinctes, la race et l’ethnicité n’étant que des constructions sociales : pourquoi
alors continuer à dépenser du temps et de l’argent à collecter ce type de données ?
La réponse, notamment aux États-Unis, n’est pas simple, du fait du rôle très lourd
qu’a joué la race dans l’histoire du pays. Toutefois, s’il fallait fournir une seule
raison, ce serait justement que la race y est une réalité sociale. Les gens sont tou-
jours socialement identifiés selon des catégories raciales, et cette identité reste
déterminante pour leurs chances dans la vie et leur vécu social. Cette situation est
d’ailleurs reconnue dans les lois qui s’opposent à la discrimination raciale comme
le Voting Rights Act de 1965, ou encore dans les programmes publics de discri-
mination positive, par exemple. Tant que la discrimination raciale existe, l’admi-
nistration fédérale a besoin de statistiques pour la documenter. Tant que la race n’aura
pas cessé d’être déterminante pour les opportunités d’un groupe ou d’un individu
dans la société américaine, l’administration fédérale et différents services devront
poursuivre ce type de travail. Le recensement général, effectué tous les dix ans, est
ici très important, car il constitue la source la plus fiable de statistiques raciales pour
l’ensemble de la nation (Lee 1993). Or celui qui a été conduit en 2000, et dont les
tout premiers résultats commencent à être publiés, comportait de nouvelles caté-
gories raciales, ce qui ne sera pas sans conséquences sur l’appréhension de la réa-
lité et sur les prévisions démographiques.
Intermariage, immigration et statistiques raciales aux États-Unis — 31

Jusque-là, la collecte et la présentation des statistiques concernant les races étaient


encadrées par la Directive de politique statistique n°15 du Bureau du budget
(OMB) intitulée « Normes raciales et ethniques pour les statistiques fédérales et
les rapports publics ». Ce texte, le premier à afficher une telle ambition, était
l’aboutissement du travail accompli par les agences fédérales en 1977, sous la
direction de l’OMB, pour définir en la matière des normes de collecte et de pré-
sentation applicables par l’ensemble de l’administration.
Selon la Directive 15, les résultats statistiques en matière raciale devaient être
rapportés à quatre catégories raciales mutuellement exclusives : Blanc ; Noir ;
Amérindien ou indigène (native) de l’Alaska ; Asiatique ou insulaire du Pacifique.
Il s’y ajoutait deux catégories dites ethniques : « d’origine hispanique » et « non
d’origine hispanique ». Les Hispaniques pouvaient appartenir à n’importe quelle
race1. Toutefois, une proportion non négligeable de personnes (plus de 4 %), que
ce fût à l’occasion des recensements ou d’autres enquêtes, ne choisissaient aucune
de ces catégories et se déclaraient comme « autre race ». Lors du recensement de
1990, plus de 80 % de ces personnes étaient des Hispaniques.
Dès l’orée des années quatre-vingt-dix, l’immigration croissante et la multiplication
des intermariages ont mis à mal la validité de ce texte (Edmonston, Goldstein et Lott
1996) : d’une part, un grand nombre d’immigrants (en particulier en provenance
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d’Amérique latine et de pays arabes) se plaignaient de ce qu’aucune des quatre caté-
gories raciales ne s’appliquât à eux et choisissaient « autre race » ; d’autre part, dès le
recensement de 1990, un demi-million de personnes, sans doute issues d’intermariages,
n’obéirent pas à l’injonction de choisir une seule race et en cochèrent deux ou plus.
L’OMB soumit donc à un réexamen général la Directive 15, et deux importantes
modifications furent introduites en 1997. Tout d’abord, il y a désormais cinq caté-
gories de race au lieu de quatre, sans compter le classement ethnique (Hispanique
ou non) : Amérindien ou indigène de l’Alaska ; Asiatique ; Noir ou Afro-américain ;
Indigène de Hawaï ou autre insulaire du Pacifique ; Blanc. Ensuite, et c’est un chan-
gement plus profond, les personnes sont autorisées à se ranger dans plus d’une race :
dans le questionnaire 2000 du recensement, elles sont invitées à indiquer leur
identité raciale en cochant toutes les races qui s’appliquent à elles.
On avait beaucoup discuté de la meilleure façon de dénombrer les personnes qui
se considèrent comme d’origine raciale multiple. Une possibilité était de créer
une catégorie fourre-tout intitulée « multiracial ». Mais cette option présentait deux
faiblesses. D’abord, lorsqu’elle fut mise à l’essai sur le terrain, nombre de per-
sonnes interrogées ont mal accepté cette étiquette, préférant expliciter les diffé-
rentes origines qu’elles s’attribuaient. Ensuite, les chercheurs se sont demandé
comment produire des séries diachroniques valables avec une telle catégorie. Fina-
lement, on a donc choisi d’inviter les personnes interrogées à indiquer deux ou plu-
sieurs races si elles souhaitaient déclarer une ascendance multiraciale.
32 — Critique internationale n°12 - juillet 2001

Ce sont ces deux tendances lourdes : le développement rapide de l’immigration


et de l’intermariage, que nous avons voulu prendre en compte – à la différence de
travaux plus classiques – dans les projections que nous présentons ici. Celles-ci ont
été obtenues par une adaptation de la méthode des composantes. La population
initiale est caractérisée par l’âge, le sexe et l’ethnicité, comme dans une projection
classique. Le modèle utilisé pose des hypothèses démographiques différenciées selon
chacun des cinq groupes suivants : Amérindiens, Asiatiques et insulaires du Paci-
fique, Noirs, Hispaniques et Blancs. Il introduit deux nouveaux éléments par rap-
port aux projections habituelles. D’abord, il prend en considération la génération
d’arrivée aux États-Unis en classant la population en : première génération (immi-
grants), deuxième génération (enfants d’immigrants), troisième et plus. Ensuite,
il pose l’hypothèse de l’intermariage et de l’appartenance multiple qui en résulte2.
L’intermariage racial et ethnique ne cesse de se développer. Ainsi, 21 % en
moyenne des Américains asiatiques épousent des non-Asiatiques, mais ils sont
plus de 40 % à le faire lorsqu’ils sont nés aux États-Unis (Lee et Fernandez 1998).
Environ un tiers des Hispaniques mariés ont un partenaire non hispanique. Le taux,
traditionnellement bas, d’intermariage des Noirs a tout de même triplé en dix
ans, passant de 2 à 6 % au cours de la décennie quatre-vingt. Cette évolution aura
nécessairement pour effet de brouiller les frontières entre les races.
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Les recherches récentes permettent de dégager trois tendances importantes en
matière d’intermariage. 1) Il est fréquent dans plusieurs groupes raciaux et ethniques
américains : de plus en plus de gens ont des origines multiraciales, ou mixtes his-
panique/non hispanique. 2) L’intermariage varie beaucoup selon la génération
d’arrivée. 3) Plusieurs covariants de l’intermariage, tels que le jeune âge, le niveau
élevé d’éducation et la naissance sur le sol américain, donnent à penser que le taux
d’intermariage va continuer de croître. Notre modèle de projection incorpore
donc l’intermariage et définit deux types de naissances : d’origine raciale ou eth-
nique simple (quand les deux parents déclarent la même) ou multiple (dans le cas
contraire)3. Remarquons que les résultats rapportés ici sont fondés sur une hypo-
thèse minimale : on postule en effet que les taux d’intermariage observés à la fin
de la décennie quatre-vingt-dix se maintiendront, alors qu’ils ne cessent de croître
depuis plusieurs décennies et devraient, selon nous, continuer à le faire.

Examinons à présent les résultats obtenus (tableau page 34). Même en l’absence
d’immigration et avec le maintien des niveaux actuels, assez bas, de fécondité, la popu-
lation américaine continuerait à croître durant une quarantaine d’années (Smith et
Edmonston 1997 : 95). La pente actuelle de croissance naturelle, rapide du fait de
la jeunesse de la population, fournit une réserve d’une cinquantaine de millions d’habi-
tants en plus dans les prochaines décennies, même si l’immigration devait cesser
aujourd’hui. Or l’excédent migratoire annuel est actuellement de 1 million et devrait
Intermariage, immigration et statistiques raciales aux États-Unis — 33

passer à 1,2 million dans les dix années qui viennent. La population totale des
États-Unis devrait donc atteindre 400 millions vers 2050 et 554 millions, c’est-à-
dire presque le doublement du chiffre actuel, en 2100 (section A, ligne « Projection
standard ») : cela sur la base de nos estimations initiales de la population en 2000
(279 millions), qu’il faut désormais revoir à la hausse au vu des premiers résultats
du recensement : la population totale était de 281 millions au 1er avril 2000.
- Croissance des différents groupes ethniques et raciaux selon les projections classiques

Les résultats présentés sur les lignes « Projection standard » et « Projection standard/
Total (%) » ne prennent pas en compte l’intermariage. En 2000, 71 % des habitants
sont blancs, 12 % noirs, 12 % hispaniques, 4 % asiatiques, 1 % amérindiens. Mais
les tendances futures de l’immigration, ainsi que les taux très différents de fécon-
dité et de mortalité selon les catégories, conduiront à des changements majeurs dans
la répartition des groupes raciaux.
La population blanche passera de 198 millions en 2000 à 211 millions en 2030,
puis restera à peu près à ce niveau durant les soixante-dix années suivantes ; toute-
fois, comme les autres groupes croissent plus vite, sa part dans la population totale
passera de 71 % en 2000 à moins de 50 % entre 2050 et 2060 et à 39 % en 2100.
La population noire passera de 35 millions en 2000 à 87 millions en 2100. Sa part
dans la population totale croîtra modestement, passant de 12 à 16 % en un siècle.
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Deux groupes connaîtront une croissance substantielle : celui des Asiatiques et
insulaires du Pacifique et celui des Hispaniques. Le premier connaîtra un taux de
croissance annuel de 1 % et passera de 11 à 77 millions ; sa part dans la population
passera de 4 % en 2000 à 14 % en 2100. Les Hispaniques devraient représenter une
part croissante de l’immigration dans la première partie de la période de projection ;
cette population passerait de 33 millions en 2000 à 98 millions en 2050 et 169 millions
en 2100, soit de 12 % de la population totale à 31 % en 2100. Elle dépassera les effec-
tifs des Noirs vers 2005, devenant ainsi le groupe minoritaire le plus nombreux.
- Intermariage et origine simple ou multiple

Notre analyse est fondée sur la définition de groupes d’origine raciale simple ou
multiple. La population d’« origine simple » est constituée des personnes qui
n’ont donné qu’une seule origine dans le recensement de 1990, et des descen-
dants de celles d’entre elles qui se marient au sein de leur propre groupe. Celle
d’« origine multiple » est constituée des personnes qui ont répondu par plusieurs
origines dans le recensement de 1990, de leurs descendants, et de la descendance
des intermariages. La population totale est la somme de ces deux catégories. Les
personnes d’origine multiple sont donc comptabilisées dans deux ou plusieurs
groupes. Autrement dit, le nombre total de personnes d’origine simple est égal à
la somme des personnes d’origine simple de chacun des cinq groupes, alors qu’il
n’en est pas de même pour le nombre total de personnes d’origine multiple, parce
qu’elles sont comptées plusieurs fois4.
34 — Critique internationale n°12 - juillet 2001

Population des États-Unis par groupe racial ou ethnique et selon l’origine


raciale/ethnique simple ou multiple : projections 2000 à 2100
(millions d’habitants)

Année 2000 2020 2040 2060 2080 2100


A. Population totale
Origine simple 256,8 297,1 325,7 343,4 354,7 364,6
Origine multiple 22,0 34,4 56,8 91,3 137,1 189,1
Total 278,8 331,5 382,5 434,7 491,8 553,7
Projection standard 278,8 331,5 382,5 434,7 491,8 553,7
Orig. multiple/Total (%) 7,9 10,4 14,8 21,0 27,9 34,2
Proj. standard/Total ( %) 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
B. Amérindiens
Origine simple 1,4 1,5 1,5 1,4 1,1 0,8
Origine multiple 7,6 8,7 10,2 11,8 13,6 15,4
Total 9,0 10,2 11,7 13,2 14,7 16,2
Projection standard 2,1 2,9 3,7 4,4 5,0 5,6
Orig. multiple/Total (%) 84,4 85,3 87,2 89,4 92,5 95,1
Proj. standard/Total ( %) 0,8 0,9 1,0 1,0 1,0 1,0
C. Asiatiques et insulaires du Pacifique
Origine simple 9,5 16,9 26,4 36,4 46,3 55,8
Origine multiple 1,8 3,8 8,4 16,2 27,8 42,4
Total 11,3 20,7 34,8 52,6 74,1 98,2
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Projection standard 10,6 19,0 30,8 44,7 60,4 77,2
Orig. multiple/Total (%) 15,9 18,4 24,1 30,8 37,5 43,2
Proj. standard/Total ( %) 3,8 5,7 8,1 10,3 12,3 13,9
D. Noirs
Origine simple 31,5 39,6 47,1 53,5 59,4 65,8
Origine multiple 2,9 6,8 11,4 18,6 28,0 39,0
Total 34,4 46,4 58,5 72,1 87,4 104,8
Projection standard 34,8 44,3 54,1 64,1 74,7 86,6
Orig. multiple/Total (%) 8,4 14,7 19,5 25,8 32,0 37,2
Proj. standard/Total ( %) 12,5 13,4 14,1 14,7 15,2 15,6
E. Hispaniques
Origine simple 29,7 47,9 63,4 73,3 77,3 77,2
Origine multiple 7,2 18,2 40,8 77,6 127,2 184,0
Total 36,9 66,1 104,2 150,9 204,5 261,2
Projection standard 33,4 57,1 83,9 112,2 141,0 169,3
Orig. multiple/Total (%) 19,5 27,5 39,2 51,4 62,2 70,4
Proj. standard/Total ( %) 12,0 17,2 21,9 25,8 28,7 30,6
F. Blancs
Origine simple 184,7 191,2 187,3 178,8 170,6 165,0
Origine multiple 17,9 24,3 35,7 51,3 70,5 90,3
Total 202,6 215,5 223,0 230,1 241,1 255,3
Projection standard 197,9 208,2 210,0 209,3 210,7 215,0
Orig. multiple/Total (%) 8,8 11,3 16,0 22,3 29,2 35,4
Proj. standard/Total ( %) 71,0 62,8 54,9 48,1 42,8 38,8
Intermariage, immigration et statistiques raciales aux États-Unis — 35

Pour examiner les projections de population en tenant compte de l’intermariage,


nous introduisons deux changements par rapport à la série de résultats intitulés
« Projection standard » : 1) nous posons que la population en 2000 comporte déjà des
personnes d’origine simple et d’origine multiple ; 2) nous effectuons une série de
calculs pour établir des fourchettes pour chaque groupe ethnique ou racial dès lors
qu’on tient compte de l’intermariage. Cela nécessite plusieurs projections différentes,
comprenant : a) la population d’origine simple sans intermariage, qui donne l’effectif
de la future population d’origine simple ; b) la population d’origine multiple, y
compris toutes les additions ultérieures, qui donne la population future d’origine
multiple ; c) la projection standard, sans prise en compte de l’intermariage, permet
de comparer les résultats avec ceux des projections classiques. La population totale
est la somme (a+b). La ligne intitulée « Projection standard/Total (%) » montre le pour-
centage de la projection standard relativement à la population totale des États-
Unis. C’est elle que nous avons commentée dans la section précédente.
Plus de 84 % de la population amérindienne (section B) est d’origine multiple en
2000, avec 2,1 millions de personnes déclarant cette origine comme identité prin-
cipale. La population d’origine simple augmente légèrement, de 1,4 million en 2000
à 1,5 million en 2010, reste stable à 1,5 million jusque vers 2050 et baisse ensuite.
La population d’origine multiple croît régulièrement de 7,6 millions en 2000 à
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15 millions en 2100, faisant passer à 95 % la part des Amérindiens d’origine mul-
tiple à cette date.
La population asiatique (section C) d’origine simple augmente très vite entre
2000 et 2100, mais celle d’origine multiple augmente encore plus vite. En 2100,
on obtient une population d’origine simple de 56 millions, multiple de 42 millions.
Même si une personne a des origines raciales multiples, elle ne s’inscrira pas néces-
sairement comme telle : elle peut ne donner qu’une identité, son « identité raciale
principale » (on sait peu de chose sur ce point puisque, jusqu’au recensement de
1990, on n’avait droit qu’à une réponse). Si toutes les personnes ayant, parmi leurs
origines multiples, une origine asiatique choisissent cette dernière comme iden-
tité principale, alors la population dénombrée d’Asiatiques pourrait atteindre
98 millions en 2100, soit 21 millions de plus que la projection standard qui se
fonde sur l’hypothèse de zéro intermariage. À l’autre extrême, si aucune de ces
personnes ne fait ce choix, la population asiatique dénombrée ne sera constituée
que de personnes d’origine simple, soit 56 millions en 2100, ou 21 millions de moins
que la projection standard.
Chez les Noirs (section D), la population d’origine multiple devrait croître entre
2000 et 2100. En 2100, les Noirs d’origine simple seront 66 millions, ceux d’ori-
gine multiple, 39 millions. La population noire dénombrée pourrait donc varier
de 66 à 105 millions en 2100, selon la façon dont les Noirs d’origine multiple
choisiront de se déclarer. On ne sait pas encore comment les tableaux de résultats
36 — Critique internationale n°12 - juillet 2001

du recensement 2000 seront préparés de manière à fournir des données compa-


rables avec les recensements précédents. Il semblerait cependant que les individus
qui se sont déclarés à la fois comme Noir et Blanc ne seront pas affectés à un seul
de ces deux groupes. Dans la plupart des tableaux, ils figureront de plusieurs
façons, notamment sous des entrées particulières telles que « Noir-Blanc », « Noir
déclarant deux ou plusieurs races » et « Blanc déclarant deux ou plusieurs races ».
Avec une forte immigration et des taux assez élevés d’intermariage, les effectifs
hispaniques (section E) des deux types devraient connaître une croissance rapide.
En 2100, on aurait ainsi une population hispanique d’origine simple de 77 millions,
et multiple de 184 millions. La population hispanique future présente ainsi une large
fourchette, entre 77 et 261 millions, selon les taux futurs d’intermariage et l’auto-
identification des Hispaniques d’origine multiple.
Enfin, si la proportion de personnes d’origine multiple chez les Blancs (sec-
tion F) est modeste en 2000, elle augmentera substantiellement au cours du siècle.
Les projections indiquent une baisse des effectifs blancs d’origine simple, de
185 millions en 2000 à 165 millions en 2100, et une croissance des « multiples »,
de 18 millions en 2000 à 90 millions en 2100. Selon les taux d’intermariage et les
choix d’identification des « multiples », la population blanche pourrait varier entre
165 et 255 millions en 2100.
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La section A du tableau montre l’effet global de l’intermariage sur la population
des États-Unis. Du fait des intermariages entre les grands groupes, la population
d’origine multiple passerait de 22 millions (8 % de la population totale) en 2000
à 189 millions (34 %) en 2100.

À l’époque coloniale, la vision des Américains sur la population de leur pays était
celle d’une majorité blanche, à laquelle s’ajoutaient une minorité noire et un faible
nombre d’Amérindiens. Par la suite, la représentation courante des catégories
raciales s’est élargie avec l’apparition des catégories « Asiatiques » et « Hispaniques ».
Aujourd’hui, la population se diversifie encore. L’amplification du phénomène de
l’intermariage dans tous les groupes rend certaine la croissance rapide du nombre
de personnes d’origine multiple. En fait, il ne sera plus possible de décrire la popu-
lation américaine en termes de groupes raciaux et ethniques mutuellement exclu-
sifs, avec des cultures, des langues, des apparences extérieures distinctes et une seule
identification ethnique ou raciale pour chacun.
En 2100, sur la base des hypothèses de cette projection, la population amérin-
dienne sera d’origine multiple à 95 %, ce taux étant de 43 % pour les Asiatiques,
37 % pour les Noirs, 70 % pour les Hispaniques et 35 % pour les Blancs. Une telle
tendance impose une grande prudence pour la présentation et l’interprétation des
résultats de ce type à l’avenir. Le brouillage des frontières rend fort contestables
des affirmations du genre : « Un jour les Blancs ne seront plus majoritaires dans
Intermariage, immigration et statistiques raciales aux États-Unis — 37

ce pays ». N’oublions pas que les Hispaniques, qu’ils soient d’origine simple ou
multiple, se considèrent majoritairement comme blancs.
L’accroissement futur de la population d’origine multiple lance un sérieux défi
aux analyses qui se fondent sur des projections de population par groupes raciaux
ou ethniques. Une fois admis que chacun n’a pas forcément une seule identité
raciale ou ethnique, comment interpréter convenablement de telles projections
démographiques ? Quelle conclusion, par exemple, est-il possible de tirer d’une
projection de la population « asiatique et insulaire du Pacifique » lorsqu’on sait que
celle-ci, en 2100, pourrait varier de plus ou moins 25 % autour de la projection
standard (qui suppose un taux nul d’intermariage), selon la façon dont les personnes
ayant, parmi leurs origines, une origine asiatique choisiront de se déclarer ? Quelles
précautions faudra-t-il prendre pour prédire les effectifs hispaniques en 2100
lorsque 184 millions d’Hispaniques (33 % de la population du pays) seront proba-
blement d’origine multiple ?
Nous avons voulu présenter ici les projections de population que nous avons
effectuées à partir de données nouvelles sur la fécondité, la mortalité, l’immigration
et l’intermariage. Nous sommes bien conscients que ces chiffres sont d’interpréta-
tion délicate, ce qui ne fait que souligner la nécessité de modéliser la dynamique des
changements dus à l’intermariage. Il reste beaucoup à faire pour comprendre com-
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ment l’immigration et l’intermariage façonneront la population des États-Unis.
À mesure qu’évolue la composition raciale et ethnique de ce pays, comme elle
ne cesse de le faire depuis l’époque coloniale, les centres d’intérêt des recherches
se déplacent, de sorte que les catégories utilisées deviennent pour partie obsolètes.
On admet aujourd’hui que l’identité raciale et ethnique d’une personne reflète à
la fois son sentiment de soi et les vues de la société sur la race et l’ethnicité : c’est
bien pourquoi, dans les recensements et les enquêtes conduits actuellement par les
administrations fédérales, les gens sont invités à se classer eux-mêmes. Mais la
race et l’ethnie sont des concepts dynamiques : l’auto-identification d’une personne
peut changer avec le temps ou selon les circonstances, et il en est de même de l’éti-
quette que lui attribue la société.

Traduit de l’anglais par Rachel Bouyssou

Barry Edmonston est professeur à Portland State University, dont il dirige le Centre de recherche
sur la population. E-mail : edmonstonb@pdx.edu
Sharon M. Lee est professeur au département de sociologie de Portland State University.
Jeffrey S. Passel est chercheur associé au Centre d’étude des populations, The Urban Institute,
Washington DC.
38 — Critique internationale n°12 - juillet 2001

1. En réalité ces catégories sont toutes des groupes ethniques, et il n’y a pas de raison de distinguer la catégorie « Hispa-
nique » des quatre autres. C’est toutefois le choix constant des statistiques fédérales depuis un quart de siècle.
2. On trouvera un exposé complet du modèle dans Edmonston et Passel 1992, 1999.
3. Les chiffres et les hypothèses démographiques pour les projections de population sont décrits dans Edmonston, Lee et
Passel 2000.
4. Pour les besoins de cette étude, et afin d’avoir effectivement des catégories mutuellement exclusives sans pour autant se
priver de la catégorie « Hispanique », nous avons considéré comme « Hispaniques d’origine simple » ceux qui se déclaraient
Hispaniques et d’une seule catégorie raciale, et « Blancs » ou « Noirs » d’origine simple ceux qui ne déclaraient qu’une seule
origine raciale et qui, dans la catégorie de l’ethnie, se déclaraient non hispaniques.

Bibliographie
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 03/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.144.21.250)

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