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Résumé
La transparence est aujourd’hui une priorité pour la plupart des gouvernements. Le
nombre de pays qui ont adopté une loi sur l’accès aux documents administratifs est
en augmentation. Les lois sur l’accès à l’information ne remplacent pas la transpa-
rence, mais elles peuvent signaler la volonté d’un gouvernement d’accroître l’ouver-
ture. Jusqu’à présent, la plupart des études se sont intéressées aux États où de telles
lois existent, notamment en Europe et en Amérique du Nord, tandis que très peu de
recherches ont été menées en Afrique. La présente contribution vise à capitaliser sur
les recherches antérieures pour présenter le cas du Bénin. Les questions de recherche
portent sur le développement de l’accès à l’information, les obstacles à l’introduc-
tion d’une loi plus ferme dans ce pays et les attentes du gouvernement en matière
de transparence. Les données sont basées sur des entretiens avec des organisations
de la société civile, un fonctionnaire chargé de l’accès aux documents administratifs
au Bénin et plusieurs employés de l’administration nationale. Les résultats montrent
comment les différences contextuelles et institutionnelles façonnent les réformes en
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Introduction
L’appel en faveur d’une plus grande transparence au sein des administrations
n’est pas particulièrement nouveau. Toutefois, son expansion actuelle dans le
monde entier montre que la transparence est de plus en plus considérée comme
un élément essentiel de la bonne gouvernance. Selon Hood (2006a : 19), la
notion a même acquis un statut « quasi-religieux ». Les lois sur l’accès à l’informa-
tion (ATI) se sont multipliées sur tous les continents et de nombreuses initiatives,
émanant tant des gouvernements que de la société civile, ont attiré un nombre
croissant de participants. En fonction du contexte culturel, le concept peut être
soit perçu comme une valeur intrinsèque, soit considéré positivement comme
un mécanisme garantissant une forte valeur instrumentale. Ce second point de
vue suppose que la transparence est nécessaire pour atteindre des objectifs tels
qu’une participation accrue des citoyens (Welch, 2012 : 99) et la confiance dans
le gouvernement (Mabillard et Pasquier, 2016 : 75).
On s’est cependant peu intéressé aux contextes de l’Amérique latine, de l’Asie
et de l’Afrique. En ce sens, les lacunes sont considérables dans les recherches
sur la transparence dans ces régions ; plus de la moitié des études identifiées
dans l’analyse documentaire de Cucciniello et al. (2016: 37) ont été menées en
Amérique du Nord et en Europe. L’observation de ces lacunes et la demande
grandissante de recherches comparatives dans le domaine de l’administration
publique (AP) (Welch et Wong, 1998 : 42) devraient amener les chercheurs à
s’intéresser davantage à d’autres contextes. La présente étude entend aller dans
ce sens en explorant un cas insuffisamment commenté dans la littérature : peu
d’études se sont penchées sur la situation en Afrique de l’Ouest. De notre point
de vue, le Bénin, un État dont la démocratie est bien établie dans la région,
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Figure 1 : Pays où une loi sur l’accès à l’information est entrée en vigueur,
par période (1766-2017).
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Comme les autres lois sur l’accès à l’information, cette loi précise qui a le droit
d’accéder aux documents administratifs (tous les citoyens) et permet d’imposer
des sanctions administratives ou judiciaires aux agents ou organismes publics qui
ne justifient pas leur refus de divulguer les informations demandées. Une longue
liste de dérogations est également prévue. Cependant, les délais de réponse aux
demandes ne sont pas clairement énoncés dans la loi ; tandis que les organismes
publics ne disposent que de cinq jours pour se prononcer sur la demande, aucun
délai n’est explicitement indiqué pour ce qui est de la transmission des docu-
ments demandés.
D’un point de vue théorique, il est essentiel de distinguer les différentes
approches en matière d’accès à l’information. Ancienne colonie française, le
Bénin appartient à la francophonie, un espace dans lequel l’accès aux documents
administratifs est considéré comme faisant partie d’une réforme du secteur
public et de la création d’une véritable démocratie administrative (Calland et
Diallo, 2013 : 3). En revanche, une telle réforme est beaucoup plus motivée par
la protection du droit des citoyens à l’accès à l’information dans les pays anglo-
phones. Diallo (2013 : 67) affirme que « le fait d’avoir copié le système juridique
français, dépassé, explique le fossé grandissant entre les pays francophones et
anglophones… Ces derniers semblent mieux comprendre les vertus d’une loi sur
le libre accès à l’information ».
Au Bénin, le droit administratif est un héritage direct de la culture juridique
française et a peu évolué depuis l’indépendance, il y a près de 60 ans (Dossou-
mon, 2007). Ce cas ne fait pas exception puisque tous les pays francophones
et tous les domaines du droit ont été fortement influencés par la colonisation
française. Conformément à Calland et Diallo (2013), le Plan d’actions du gou-
vernement 2016–2021 insiste sur la nécessité de moderniser l’administration et
de structurer les réformes de la gouvernance du pays sur la base des principes
de transparence, d’imputabilité et d’efficience. Ce faisant, le plan d’action vise à
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droit des citoyens à accéder aux documents détenus par l’administration (Keko,
2017). Selon Houndété, la loi existante n’accorde qu’un accès limité et a conduit
à l’adoption généralisée de pratiques opaques. Elle ne permet pas de réduire
efficacement la corruption et la pauvreté, ne favorise pas la transparence et la
confiance et entrave le développement d’une culture démocratique plus solide.
Une amélioration de la situation aiderait également les citoyens à mieux utiliser
leurs droits de participation (Keko, 2017).
Les OSC, qui étaient au départ plus actives dans les pays anglophones, sont
à présent associées de manière plus active et préconisent un cadre législatif plus
solide en matière d’accès à l’information. Elles ont aussi exprimé à plusieurs
reprises leurs préoccupations quant à la mise en œuvre effective de la législation.
En ce sens, un projet de loi a été présenté au Parlement national en 2014 par
le Réseau ouest-africain pour l’édification de la paix (WANEP-Bénin), soutenu
par l’Open Society Initiative in West Africa (OSIWA), mais il n’a pas encore été
adopté. Le texte comprend une liste précise de dérogations ; il propose égale-
ment la création d’un organe de contrôle fort : la CNAPI. Celle-ci fonctionnerait
comme un mécanisme indépendant et impartial de contrôle de l’accès du public
aux documents administratifs, et serait habilitée à servir d’intermédiaire, à impo-
ser des sanctions et à faire appliquer la loi. Elle serait tenue de faire rapport au
Parlement chaque année (WANEP-Bénin, 2014 : 23).
Actuellement, les plaintes peuvent être adressées à la Haute Autorité de l’Au-
diovisuel et de la Communication (HAAC). L’article 99 confirme le droit de recours
à la HAAC, qui peut également imposer des délais aux organes administratifs,
inviter des témoins pour discuter des litiges et enquêter sur les affaires dans les
bureaux de l’administration (art. 100). Selon l’article 107, la HAAC est habilitée
à porter une affaire devant un tribunal administratif. En parallèle, le bureau du
médiateur a vu le jour en 2006. Nous ne tiendrons toutefois pas compte de cet
organe, car la plupart des plaintes qui lui sont soumises concernent des pro-
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limite à mesurer le cadre juridique, qui est considéré comme une condition préa-
lable essentielle à la mise en œuvre de toute loi sur l’accès à l’information (Global
Right to Information Rating, 2017). Même si le classement ne mesure pas la
qualité de la mise en œuvre de la législation, il convient de noter que le Bénin
ne figure pas sur la liste, contrairement au Togo, par exemple, qui était classé
85e position sur 110 pays en 2017.
Une mise en œuvre efficace de la loi nécessite la réalisation de plusieurs fac-
teurs. Ceux-ci vont des facteurs internes (type de régime, niveaux de développe-
ment et de corruption, structure juridique) et internationaux (influence des ONG
internationales), au contenu de la loi – principalement la liste des dérogations
et les délais de réponse aux demandes – et au champ d’application de la loi.
Notre article porte essentiellement sur deux questions principales liées à la mise
en œuvre de l’accès à l’information au Bénin : « existe-t-il un organe de contrôle
solide ? » et « les fonctionnaires sont-ils motivés pour se conformer aux réformes
en faveur de la transparence ? ». Ce second aspect touche à une question essen-
tielle dans le développement de la transparence dans le secteur public : un aban-
don culturel administratif de la tendance traditionnelle de la bureaucratie à rester
opaque (Weber, 1980 [1922]).
Questions de recherche
Après ces volets théorique et contextuel, nos questions de recherche (QR) portent
essentiellement sur trois caractéristiques clés de toute législation sur l’accès à
l’information : l’environnement politique et social, le contenu de la loi et les ques-
tions de mise en œuvre. Comme mentionné plus haut, le contexte reste parti-
culièrement important car il façonne en partie la nature spécifique de la loi. Le
contenu de la loi est lui aussi fondamental, puisqu’il résulte directement de cet
environnement, via des processus qui ont été étudiés de façon détaillée dans
Mabillard et al. Accès à l’information au Bénin 151
plusieurs cas (par exemple au Royaume-Uni) (voy. Hazell et al., 2010). La mise en
œuvre a aussi une incidence sur la solidité du cadre juridique et mérite donc que
l’on s’y intéresse. Sur la base de ces trois éléments, les QR de la présente étude
peuvent être formulés en ces termes :
QR 1 : quels sont les acteurs politiques et de la société civile concernés par l’accès
à l’information au Bénin ? Quel est leur objectif concernant la législation sur l’accès
aux documents administratifs ?
QR 2 : existe-t-il un organe de contrôle ? Dans quelle mesure peut-il faire appliquer
la loi dans la pratique ?
QR 3 : en ce qui concerne la mise en œuvre, quelles sont les attentes et les positions
en matière de transparence des travailleurs du secteur public ?
Méthodologie
Nous privilégions ici la recherche exploratoire en raison du manque relatif de
connaissances sur l’accès à l’information au Bénin. Nous utiliserons la méthode
de l’étude de cas unique décrite par Yin (2003). La validité de la construction est
basée sur la multiplication des sources, et la fiabilité est assurée par la standardi-
sation des procédures, qui pourraient facilement être répétées dans d’autres cas.
Ces deux aspects sont essentiels car ils garantissent la possibilité de reproduire la
présente étude ultérieurement.
La présente recherche ne fournit pas d’explications sur l’adoption éventuelle
de lois sur l’accès à l’information dans un pays ou une région spécifique ; cet
objectif s’avérerait probablement trop ambitieux et pas particulièrement perti-
nent pour un processus aussi évolutif et multidimensionnel. En effet, les États
ont adopté des lois différentes, qui divergent sur de nombreux aspects : champ
d’application, mécanismes de recours, compétence juridique, etc. Cependant,
elles partagent toutes des éléments similaires. Par conséquent, il serait possible à
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Observations
Tout d’abord, la proposition de législation rédigée par WANEP-Bénin en 2014
montre que les OSC encouragent les réformes en matière de transparence. Dans
le passé, ce type de soutien a poussé plusieurs pays à adopter ou à modifier une
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politique fort en faveur d’une plus grande transparence afin de garantir que la loi
soit appliquée plus efficacement et qu’une législation plus complète et progres-
sive sur l’accès à l’information soit adoptée à l’avenir.
Deuxièmement, l’entretien approfondi mené avec le vice-président de la HAAC
fait apparaître un changement de paradigme en cours, même si, dans la pratique,
la législation n’est pas encore vraiment mise en œuvre. Il n’existe actuellement
aucune statistique sur le volume des demandes et/ou des plaintes, et les struc-
tures nécessaires pour garantir une application correcte de la loi (en termes de
collecte, d’enregistrement et de rapports) font toujours défaut. Du point de vue
de la recherche, cette absence de statistiques reste une contrainte majeure pour
l’analyse de la mise en œuvre de la législation sur l’accès à l’information et le
respect de la loi.
Parmi les autres problèmes de mise en œuvre, citons les dérogations abusives,
qui permettent la rétention d’informations, le manque de ressources et de forma-
tion dans l’administration, les délais prolongés pour répondre aux demandes et
le faible niveau de sensibilisation de la population. En outre, l’organisme devrait
se voir allouer un budget de fonctionnement plus important pour renforcer son
pouvoir de recours et de contrainte 10. La création de points focaux pour garantir
le suivi des demandes et la fourniture de matériel promotionnel (sous une forme
beaucoup plus simple que la loi) peuvent constituer une solution efficace pour
remédier à ce problème de mise en œuvre.
Le vice-président de la HAAC souligne la nécessité de créer un nouveau code,
de procéder à des changements institutionnels et de trouver des solutions aux
problèmes de mise en œuvre. Il demande instamment non pas la création d’un
autre organe de contrôle, mais plutôt le renforcement de celui qui existe déjà.
Une extension des compétences juridiques et une augmentation du budget
permettraient d’assurer un meilleur fonctionnement du processus de médiation.
Ceci est particulièrement important, le rôle joué par la HAAC et, plus globale-
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et les OSC. En ce sens, les médias devraient jouer un rôle important en tant
qu’intermédiaires entre les informations divulguées par l’administration et les
citoyens. Comme l’ont exprimé deux répondants, l’accès à l’information est plus
susceptible d’être utilisé par les groupes pour lesquels les données sont utiles sur
le plan professionnel.
Les travailleurs du secteur public interrogés dans le cadre de la présente étude
semblaient enthousiastes à l’idée d’une administration et d’un gouvernement
plus ouverts. Tous considéraient la transparence comme un pilier fondamental
de la démocratie : « la transparence administrative a pour effet de renforcer la
démocratie dans la mesure où les frustrations dues à l’ignorance sont limitées
compte tenu de la fin du secret des communications » (R12). Dans le même temps,
les fonctionnaires font état d’un manque général de ressources pour faire face à
la nouvelle législation. Cela se traduit par un manque de temps pour répondre
aux demandes, par des structures désorganisées et par une mauvaise tenue des
dossiers.
La plupart des personnes interrogées reconnaissaient que la modernisation
du secteur public était nécessaire pour relever le nouveau défi de la liberté
d’information et qu’une « réforme administrative majeure s’imposait » (R7). Des
ressources plus importantes devraient être consacrées aux structures de l’admi-
nistration et les fonctionnaires devraient être mieux formés, notamment en ce
qui concerne la divulgation de documents dans le cadre de la loi sur l’accès à
l’information. Outre le développement de nouvelles structures, l’éducation doit
être fortement encouragée afin de garantir un accès équitable à l’information et
une bonne compréhension de c elle-ci, comme le mentionne le R1 :
Il faut résoudre les problèmes liés à l’accès à l’information. Pour ce faire, il faudra
accroître l’alphabétisation et étendre les réseaux de radio et de télévision. L’intensi-
fication de l’éducation des enfants est un facteur fondamental. Au-delà du simple
accès à l’information, il est nécessaire de s’assurer que l’information est bien reçue,
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Analyse et conclusion
Même si la présente étude porte sur un cas peu documenté dans la littérature, la
construction et les catégories développées plus haut sont basées sur une vision
universaliste fondée sur l’eurocentrisme. Cette affirmation peut aussi s’appliquer
aux « doctrinaires conventionnels » (Darch et Underwood, 2010 : 6), souvent
représentés par des ONG et des coalitions d’activistes. Les recherches ultérieures
devraient aussi adopter d’autres points de vue, par exemple, les universitaires afri-
Mabillard et al. Accès à l’information au Bénin 155
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